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Décisions

CA Paris, Pôle 4 - ch. 5, 24 septembre 2025, n° 22/07137

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 22/07137

24 septembre 2025

RÉPUBLIQUE FRAN'AISE

AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 5

ARRÊT DU 24 SEPTEMBRE 2025

(n° /2025, 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/07137 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFTTG

Décision déférée à la Cour : jugement du 08 mars 2022 - tribunal judiciaire de FONTAINEBLEAU - RG n° 11-21-000065

APPELANTS

Monsieur [F] [E] [Z] [I]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représenté par Me Flavie MARIS-BONLIEU de la SCP BOUAZIZ SERRA AYALA BONLIEU HAYOUN, avocat au barreau de FONTAINEBLEAU

Madame [H] [U] [Y] épouse [I]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Flavie MARIS-BONLIEU de la SCP BOUAZIZ SERRA AYALA BONLIEU HAYOUN, avocat au barreau de FONTAINEBLEAU

INTIMÉES

Madame [J] [K]

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me Nathalie BOUDE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Société d'assurance mutuelle à cotisations variables MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS - M.A.F., prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Nathalie BOUDE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 20 mai 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Ludovic JARIEL, président de chambre

Mme Emmanuelle BOUTIE, conseillère

Mme Viviane SZLAMOVICZ,conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Emmanuelle BOUTIE dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffière, lors des débats : Mme Tiffany CASCIOLI

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Ludovic JARIEL, président de chambre et par Tiffany CASCIOLI, greffière, présente lors de la mise à disposition.

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

En 2016, M. et Mme [I] ont décidé de faire des travaux dans leur maison sise [Adresse 2] à [Localité 5] (77).

Le 26 avril 2016, un arrêté du maire de la commune a autorisé les travaux, précisant que le portail donnant sur la [Adresse 7] aurait une largeur minimale de 4 mètres et serait implanté dans l'alignement.

Le 14 octobre 2016, M. et Mme [I] ont confié à Mme [K], architecte assurée auprès de la Mutuelle des architectes français (MAF), un contrat pour l'extension de leur maison d'habitation et la réfection de la clôture sur rue, incluant le portail arrière ainsi que la création de places de stationnement.

Le 11 octobre 2017, ils ont signé à cet effet le devis présenté par la société Pierres et poutres pour un montant de 61 433,62 euros hors taxes.

Les travaux ont été réalisés et le marché soldé en novembre 2018.

Le 19 décembre 2018, la réception est intervenue sans réserve.

Le certificat de conformité a été ensuite refusé au motif que le portail construit n'avait pas la largeur prévue par l'arrêté municipal.

Par actes en date du 12 janvier 2021, M. et Mme [I] ont assigné Mme [K] et la MAF, ès qualités, en indemnisation intégrale de leur préjudice.

Par jugement du 8 mars 2022, le tribunal judiciaire de Fontainebleau a statué en ces termes :

Déclare M. et Mme [I] recevables en leurs demandes, et les en déboute ;

Laisse à M. et Mme [I] la charge des dépens ;

Condamne in solidum M. et Mme [I] à payer à Mme [K] et à la MAF la somme de 800 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rappelle que, par application des dispositions de l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution, les éventuels frais de l'exécution forcée de la présente décision seront à la charge de M. et Mme [I].

Par déclaration en date du 6 avril 2022, M. et Mme [I] ont interjeté appel du jugement, intimant devant la cour :

- Mme [K],

- la MAF.

Le 28 septembre 2022, Mme [K] et la MAF ont formé un incident aux fins de radiation pour inexécution.

Mme [K] et la MAF se sont désistées de leur incident aux fins de radiation et M. et Mme [I] ont accepté ce désistement.

Par ordonnance rendue le 22 février 2025, le conseiller de la mise en état a enjoint aux parties de rencontrer un médiateur afin d'être informées sur l'objet et du déroulement d'une mesure de médiation. Elles n'ont cependant pas souhaité s'engager dans un processus de médiation.

EXPOSE DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 5 décembre 2022, M. et Mme [I] demandent à la cour de :

Recevoir M. et Mme [I] en leur appel, les y déclarer bien fondés ;

Ecarter l'application de la clause stipulée en l'article G10 du cahier des clauses générales du contrat d'architecte énonçant qu'en cas de litige, les parties doivent saisir pour avis le conseil régional de l'ordre des architectes avant toute procédure judiciaire ;

En conséquence,

Déclarer les demandes de M. et Mme [I] tendant à voir reconnaître la responsabilité civile contractuelle de Mme [K] notamment au titre de son devoir de conseil recevables sans saisine préalable du conseil régional de l'ordre des architectes ;

Confirmer le jugement rendu le 8 mars 2022 par le tribunal Judiciaire de Fontainebleau en ce qu'il a déclaré leur action recevable ;

L'infirmer en ce qu'il les a déboutés de leurs demandes ;

Statuant à nouveau ;

Condamner solidairement Mme [K] et la Mutuelle des architectes français au paiement de la somme de 5 408 euros correspondant au coût de la remise en conformité du portail, avec intérêts au taux légal à compter du 2 novembre 2020 ;

Les condamner solidairement au paiement d'une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Les condamner solidairement aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction est requise au profit de la société Bouaziz Serra Ayala Bonlieu Le Men Hayoun.

Dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 29 septembre 2022 Mme [K] et son assureur la MAF demandent à la cour de :

Dire M. et Mme [I], non fondés en leur appel ;

Débouter M. et Mme [I] de leur appel tendant à l'infirmation du jugement du 8 mars 2022 du tribunal judiciaire de Fontainebleau en ce qu'ils ont été déboutés de leur demande de condamnation à l'encontre de Mme [K] et de la MAF ;

Confirmer le jugement du 8 mars 2022 du tribunal judiciaire de Fontainebleau en ce que M. et Mme [I] ont été déboutés de leur demande de condamnation à l'encontre de Mme [K] et de la MAF ;

Confirmer le jugement du 8 mars 2022 du tribunal judiciaire de Fontainebleau en ce que M. et Mme [I] ont été condamnés au paiement d'une somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens au profit de Mme [K] et de la MAF ;

Subsidiairement, sur la police MAF,

Juger la MAF recevable et bien fondée à opposer le cadre et les limites de sa police d'assurance, dont sa franchise contractuelle au tiers lésé ;

Rejeter toutes demandes de condamnations formulées à l'encontre de la MAF qui excéderaient le cadre et les limites de sa police d'assurance dont sa franchise contractuelle ;

Pour le surplus,

Rejeter toutes demandes, fins et conclusions en ce qu'elles sont dirigées à l'encontre de Mme [K] et de la MAF ;

Condamner M. et Mme [I] à verser aux concluantes une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner M. et Mme [I] aux entiers dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.

La clôture a été prononcée par ordonnance du 29 avril 2025 et l'affaire a été appelée à l'audience du 20 mai 2025, à l'issue de laquelle elle a été mise en délibéré.

MOTIVATION

Sur la responsabilité de Mme [K]

Moyens des parties

Devant la cour, M. et Mme [I] invoquent, à titre principal, la faute contractuelle de Mme [K] caractérisée par l'inadéquation des plans avec les demandes exprimées par la commune de [Localité 5] et, à titre subsidiaire, sa responsabilité au titre de la garantie décennale.

Ils précisent que le vice était caché dès lors qu'en leur qualité de maîtres d'ouvrages profanes, ils n'ont pas pu l'appréhender dans toutes ses conséquences et dans toute son étendue.

Ils avancent que Mme [K] était tenue d'une obligation de conseil à leur égard et qu'elle aurait dû les mettre en garde contre les risques pris en réduisant la largeur du portail et que la non-conformité de ce dernier rend l'immeuble impropre à sa destination au sens de l'article 1792 du code civil, le portail d'une largeur de 2,30m ne permettant pas le passage des véhicules de secours et plus généralement, de tout véhicule, rendant ainsi inaccessibles les places de stationnement exigées par le service de l'urbanisme.

Enfin, ils ajoutent que l'article 1.1.7 du cahier des clauses techniques particulières ne prévoit pas un portail identique en matière de dimension mais uniquement en matière de design et que, même dans l'hypothèse où ils auraient exigé un portail de même dimension que celui existant côté rue, l'architecte aurait aussi engagé sa responsabilité dès lors que cette demande n'était pas conforme aux prescriptions administratives.

En réponse, Mme [K] et la MAF soutiennent que le vice concernant la dimension du portail était apparent à la réception par M. et Mme [I], même non professionnels de la construction.

Elles avancent que M. et Mme [I] ne pouvaient pas ignorer la dimension du portail demandée par les services de l'urbanisme, qu'ils ont choisi de ne pas faire réaliser ; l'arrêté de non-opposition leur étant directement adressé et étant dépourvu de toute ambiguïté quant aux dimensions du portail.

Elles précisent que la différence de longueur du portail était apparente à la réception et a été acceptée par M. et Mme [I], de sorte qu'ils ne peuvent se prévaloir des dispositions des articles 1792 et suivants du code civil.

Enfin, elles ajoutent que, M. et Mme [I] ayant toujours souhaité que le portail litigieux soit de la même dimension que le portail situé côté rue, le CCTP a été établi conformément à leurs demandes.

Réponse de la cour

Aux termes de l'article 1792 du code civil, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère.

Il incombe au maître de l'ouvrage ou à l'acquéreur de l'ouvrage qui agit sur le fondement de l'article 1792 du code civil de rapporter la preuve que les conditions d'application de ce texte sont réunies (3e Civ., 7 juillet 2004, pourvoi n° 03-14.166, Bull., 2004, III, n° 142) et, notamment, du caractère caché du désordre, au jour de la réception, pour un maître de l'ouvrage profane (3e Civ., 2 mars 2022, pourvoi n° 21-10.753, publié au Bulletin).

Au cas d'espèce, M. et Mme [I] ont présenté une déclaration préalable de travaux le 4 mars 2016 concernant l'extension d'une habitation existante (véranda) sur un terrain situé [Adresse 2] à [Localité 5] pour une surface de plancher créée de 17,05m² et pour l'aménagement des abords et la création d'une place de stationnement [Adresse 7].

Par arrêté du 26 avril 2016, il n'était pas fait opposition à la déclaration préalable mais il était précisé que " le portail [Adresse 7] aura une largeur minimum de 4m et devra être implanté à l'alignement (voir extrait du plan) ".

Il n'est pas contesté que le portail litigieux a été réalisé avec une largeur de 2,33 mètres et qu'à la suite de la réception de l'ouvrage intervenue sans réserve le 19 décembre 2018, M. et Mme [I] ont été informés du refus de délivrance du certificat de conformité par le service de l'urbanisme, le portail n'ayant pas la largeur minimum de 4 mètres exigée par l'arrêté de non-opposition du 26 avril 2016.

Alors qu'il appartient à M. et Mme [I] de rapporter la preuve du caractère caché du désordre affectant le portail au jour de la réception, force est de constater la non-conformité du portail litigieux présentait un caractère apparent, même pour un maître d'ouvrage profane, s'agissant d'un portail d'une largeur de 2,33 mètres au lieu de la largeur de 4 mètres prescrite par le service de l'urbanisme dans l'arrêté de non-opposition et dont ils soutiennent, par ailleurs, que la dimension ne permettrait pas le passage de tout véhicule.

Ainsi, c'est à juste titre que le tribunal a rejeté leur demande au titre de la garantie décennale, la décision entreprise étant confirmée de ce chef.

En outre, M. et Mme [I] invoquent la responsabilité contractuelle de Mme [K], en sa qualité d'architecte.

Aux termes de l'article 1231 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

Il est constant que les défauts de conformité contractuels apparents sont, comme les vices de construction apparents, couverts par la réception sans réserve (3e Civ., 9 octobre 1991, pourvoi n° 87-18.226, Bulletin 1991 III N° 231) et que les désordres de construction apparents, qui n'ont pas fait l'objet de réserves à la réception, ne peuvent donner lieu à réparation sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, pour faute prouvée (3e Civ., 4 novembre 1999, pourvoi n° 98-10.694, 98-11.310, Bull. 1999, III, n° 210).

Alors qu'il n'est pas contesté que la réception du portail est intervenue sans réserves le 19 décembre 2018, il ressort des développements précédents que la non-conformité du portail litigieux présentait un caractère apparent même pour un maître d'ouvrage profane, s'agissant d'un portail d'une largeur de 2,33 mètres au lieu de la largeur de 4 mètres prescrite par le service de l'urbanisme dans l'arrêté de non-opposition notifié à M. et Mme [I] et dont ils soutiennent, par ailleurs, que la dimension ne permettrait pas le passage de tout véhicule.

Ainsi, s'agissant d'un désordre apparent qui n'a pas fait l'objet de réserves à la réception, il ne peut donner lieu à réparation sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun pour faute prouvée.

En conséquence, il y a lieu de rejeter les demandes formulées par M. et Mme [I] sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef.

Sur les frais du procès

Le sens de l'arrêt conduit à confirmer le jugement sur la condamnation aux dépens et sur celle au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

M. et Mme [I], parties succombantes, seront condamnés aux dépens d'appel et à payer à Mme [K] et à la MAF la somme globale de 3 000 euros, au titre des frais irrépétibles.

Le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile sera accordé aux avocats en ayant fait la demande et pouvant y prétendre.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

Condamne M. et Mme [I] aux dépens d'appel ;

Admet les avocats qui en ont fait la demande et peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. et Mme [I] et les condamne à payer à Mme [K] et la Mutuelle des architectes français la somme globale de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles.

La greffière, Le président de chambre,

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