CA Paris, Pôle 4 - ch. 10, 25 septembre 2025, n° 22/08829
PARIS
Arrêt
Autre
RÉPUBLIQUE FRAN'AISE
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 10
ARRÊT DU 25 SEPTEMBRE 2025
(n° , 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/08829 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFYPV
Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Avril 2022 - Tribunal judiciaire d'AUXERRE - RG n° 20/00413
APPELANTE
S.C.I. AKEMI agissant en la personne de son gérant domicilié en cette qualité au siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée et assistée à l'audience par Me Sophie POURRUT CAPDEVILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : C1700
INTIMÉ
Monsieur [L] [I]
né le 12 Juin 1965 à [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté à l'audience par Me Benoît PILLOT, avocat au barreau de PARIS, toque : G0333
Assisté par Me Arnaud JOUBERT de la SELAS LEGI CONSEILS BOURGOGNE, avocat au barreau de DIJON, toque : 31
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 12 Juin 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Marie-Odile DEVILLERS, Présidente
Mme Valérie MORLET, Conseillère
Mme Anne ZYSMAN, Conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Valérie MORLET
dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Catherine SILVAN
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Odile DEVILLERS, Présidente et par Catherine SILVAN, Greffier, présent lors de la mise à disposition.
***
Faits et procédure
M. [L] [I] a le 31 août 2017, en sa qualité de propriétaire, confié à la SAS Optimhome un mandat de vente « multidiffusion » d'un bien lui appartenant à [Localité 5] (Yonne), comprenant un local commercial, un bureau, un garage avec grenier et huit appartements, pour un prix de 375.000 euros.
Une promesse unilatérale de vente du bien a le 4 juin 2018 été conclue entre M. [I], promettant, et la SAS AJNA 432, bénéficiaire, représentée par son président M. [K] [C], pour un prix de 350.000 euros, sous la condition suspensive de l'obtention par cette dernière d'un prêt immobilier.
La vente a finalement été régularisée par acte du 31 janvier 2019 entre M. [I], vendeur, et la SCI Akemi, représentée par son président M. [C], en présence de la Banque populaire de Bourgogne - France Comté, moyennant le prix de 350.000 euros.
Considérant avoir été trompée, notamment sur le nombre de locataires payant régulièrement leurs loyers, la société Akemi a par acte du 2 juillet 2020 assigné M. [I] en indemnisation devant le tribunal judiciaire d'Auxerre.
* Le tribunal a par jugement du 4 avril 2022 :
- débouté la société Akemi de l'ensemble de ses demandes,
- condamné la société Akemi à payer à M. [I] la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Akemi aux dépens de l'instance, avec distraction au profit du conseil de M. [I],
- rappelé que la décision est exécutoire de plein droit à titre provisoire.
Le premier juge a estimé que si la déclaration du vendeur dans l'acte de vente ne correspondait pas à la stricte réalité, il n'était pas établi qu'elle ait été intentionnelle, faite dans le but de tromper l'acquéreur et vicier son consentement. Il a ajouté que les impayés de loyers subis par l'acquéreur postérieurement à son acquisition constituaient un risque inhérent à ce type d'investissement et que la société Akemi, dont l'acquisition constituait un investissement locatif, aurait dû prendre les renseignements nécessaires mais ne justifiait d'aucune démarche en ce sens. Il a donc écarté un dol de la part de M. [I].
La société Akemi a par acte du 2 mai 2022 interjeté appel de ce jugement, intimant M. [I] devant la Cour.
* La société Akemi, dans ses dernières conclusions signifiées le 16 janvier 2025, demande à la Cour de :
- infirmer le jugement en ce qu'il :
. l'a déboutée de sa demande tendant à voir reconnaître que le contrat de vente d'immeuble n'a pas été négocié, formé et exécuté de bonne foi, que le vendeur M. [I] a manqué à son obligation d'information et qu'il a commis un dol ou une réticence dolosive de nature à engager sa responsabilité,
. l'a déboutée de sa demande d'indemnisation de ce chef,
. l'a déboutée de sa demande de condamnation de M. [I] à lui payer une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
. l'a déboutée de sa demande tendant à voir condamner M. [I] aux dépens,
. l'a condamnée à verser à M. [I] une somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
. l'a condamnée aux dépens de l'instance,
Puis, statuant à nouveau,
- condamner, à titre principal pour dol et à titre subsidiaire sur le fondement des articles 1240 et suivants du code civil, M. [I] à lui payer une somme de 25.000 euros en indemnisation de la perte de chance d'avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses,
- condamner M. [I] à lui payer une somme de 5.000 euros en indemnisation de son préjudice moral,
- condamner M. [I] à lui payer une somme de 7.000 euros sur les fondements de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles qu'elle s'est vue contrainte d'engager tant en première instance qu'en appel,
- condamner M. [I] aux dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de Maître Sophie Pourrut-Capdeville.
La société Akemi fait à titre principal valoir un dol de la part de M. [I], qui lui a communiqué au stade de la promesse puis de la vente des informations sur la situation locative de l'immeuble en cause qu'il savait ou aurait dû savoir erronées afin de la persuader de poursuivre la vente à des conditions plus avantageuses.
Elle argue à titre subsidiaire de la faute de M. [I], qui est resté taisant sur des informations concernant la situation locative réelle des locataires ou a délivré des informations erronées qu'il connaissait ou aurait dû connaître.
Elle ne demande pas l'annulation de la vente, mais l'allocation de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices. Elle fait valoir une perte de chance de conclure la vente à des conditions plus avantageuses et un préjudice moral.
M. [I], dans ses dernières conclusions signifiées le 19 octobre 2022, demande à la Cour de :
- débouter la société Akemi de l'intégralité de ses fins et conclusions,
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- condamner la société Akemi à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Akemi aux entiers dépens d'appel.
M. [I] affirme qu'il n'y a pas eu dol de sa part, faisant valoir l'absence de toutes man'uvres dolosives concernant l'état locatif de l'immeuble, l'absence de dissimulation des informations relatives au paiement régulier des loyers, l'absence d'intention de tromper, le caractère non déterminant de l'information relative au rendement locatif.
Subsidiairement, il conteste toute faute de sa part, n'ayant pas manqué à son devoir d'information.
Il discute enfin les demandes indemnitaires de la société Akemi.
* La clôture de la mise en état du dossier a été ordonnée le 14 mai 2025, l'affaire plaidée le 12 juin 2025 et mise en délibéré au 25 septembre 2025.
Motifs
L'immeuble vendu par M. [I] à la société Akemi comprend huit appartements ou studios mis en location. A la date de la vente conclue le 31 janvier 2019, les loyers mensuels étaient compris entre 250 et 500 euros hors charges (comprises entre 20 et 110 euros par mois), les locataires bénéficiant d'allocations logement versées au propriétaire. Le local commercial était quant à lui loué moyennant un loyer annuel de 6.600 euros (outre des charges mensuelles de 100 euros).
Sur le dol
Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi (articles 1103 et 1104 du code civil).
L'article 1112-1 du code civil oblige la partie qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre (qui ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation) à l'en informer, étant notamment précisé qu'outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants du même code.
L'article 1128 du code civil dispose que sont nécessaires à la validité d'un contrat : le consentement des parties (1°), leur capacité de contracter (2°) et un contenu licite et certain (3°).
L'article 1130 nouveau du code énonce que l'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes, ajoutant que leur caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné. L'article 1131 suivant précise que les vices du consentement sont une cause de nullité relative du contrat.
L'article 1137 du code civil dispose que le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des man'uvres ou des mensonges, ou encore la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie, ajoutant que, néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation.
La promesse de vente a été conclue le 4 juin 2018 et ne pouvait l'être qu'au vu de la situation du bien à cette date.
Chacun des biens constituant l'immeuble en cause (appartements, garage, local commercial, bureau) étant loué ou mis en location, son acquisition par la société Akemi représentait nécessairement un investissement locatif. Les informations relatives à la situation locative de chacun des appartements et locaux avaient donc une importance déterminante pour l'acquéreur et sont bien entrées dans le champ contractuel. Malgré le caractère locatif de l'investissement projeté, la société Akemi ne justifie cependant pas avoir sollicité de M. [I], préalablement à la signature de l'acte de vente, plus d'éléments que ceux qui ont été inscrits dans les actes, et notamment ses décomptes locatifs. Il n'est ainsi pas établi que, quand bien même l'acquisition de l'immeuble constituait un investissement locatif, la rentabilité du bien était un élément déterminant de son consentement. Les décomptes locatifs ont régulièrement été produits en cours d'instance par M. [I], dès qu'ils ont été réclamés, et rien n'établit que leur communication pendant les négociations aurait été refusée. La société Akemi prétend que ces décomptes sont confus, empêchant les recoupements, ce qui relève de sa seule appréciation. Aucune confusion intentionnelle, seulement alléguée par la société, n'est établie et les recoupements ont été possibles.
M. [I] a, au stade de la promesse de vente signée le 4 juin 2018 avec la société AJNA 432, donné à l'acheteur représenté par M. [C], des informations relatives à la situation locative de l'immeuble objet de la vente. L'acte contient, pour chacun des biens constituant l'immeuble (appartements, local commercial, garage, bureau), les éléments relatifs à la date des baux consentis, l'identité des locataires, le loyer mensuel prévu et les charges, ainsi que le montant du dépôt de garantie, le promettant indiquant qu'il remettra au bénéficiaire les contrats de location, les états des lieux et les quittances de loyers.
Ainsi, dès la promesse de vente du 4 juin 2018, la société Akemi a été informée des défauts de paiement du locataire de l'appartement n°3 ([G] [E]), de la location de l'appartement n°5 à compter du mois de février 2018 seulement (et donc sur onze mois cette année), de l'absence de location de l'appartement n°6 à la date de l'acte, de la location du garage avec grenier à la SARL Tinex, représentée par son gérant, M. [I] lui-même, de l'absence de bail au titre du bureau.
L'acte de vente signé le 31 janvier 2019 avec la société Akemi reprend et actualise en sa seconde partie ces éléments relatifs aux conditions de location de chacun des biens constituant l'immeuble. La société Akemi a ainsi été informée de la modification du loyer de l'appartement n°4 au cours de l'année 2018 (initialement de 370 euros, outre 90 euros de charges, et ramené à 400 euros charges comprises), de la location de l'appartement n°6 à compter du 1er janvier 2019, de la conclusion d'un bail avec un nouveau locataire à compter du 1er août 2018 au titre de l'appartement n°8 et de la libération du garage au 30 janvier 2019.
A l'instar de la promesse, l'acte contient une clause ainsi rédigée :
Remise de titre et pièces - Le vendeur a remis les contrats de location, les originaux des états des lieux.
A ce sujet, le vendeur déclare que les locataires sont à jour du paiement de leur loyer, à l'exception de Monsieur [G] [E], pour lequel le vendeur reçoit 250,00 euros de la part de la CAF chaque mois, le surplus n'étant pas réglé régulièrement.
Les informations contenues dans la promesse de vente puis l'acte de vente, relatives aux dates des baux, à l'identité des locataires (personne physiques ou morales), aux loyers, charges et dépôts de garantie ne sont pas contestées.
M. [I] affirme que certains loyers (appartements n°1, n°2, n°3 et n°5) lui étaient réglés en espèces. Ces loyers ont régulièrement été déclarés aux services fiscaux, déclaration dont il n'aurait pas eu intérêt si les loyers ne lui avaient pas été effectivement payés. Si certains loyers n'étaient pas réglés dès le 10 du mois mais en retard, le fait de ne pas le signaler au vendeur n'est pas constitutif d'une fausse déclaration, dès lors que le paiement intervenait en tout état de cause et régulièrement. Le fait qu'aucun locataire n'ait réglé ses loyers en espèces en suite de la vente de l'immeuble à la société Akemi n'invalide pas les affirmations de M. [I] et s'explique par le changement de propriétaire et de décision quant à la perception des loyers.
M. [I] ne peut en outre être tenu comptable des loyers non réglés par les locataires postérieurement à la vente de l'immeuble le 31 janvier 2019. Ces impayés constituent un risque inhérent à l'investissement locatif réalisé par la société Akemi.
Les états locatifs de chaque bien constituant l'immeuble, relatifs aux années précédant la vente, non réclamés par la société Akemi lors des négociations précontractuelles, ont été communiqués par M. [I]. La société Akemi a communiqué ses états locatifs, pour les années postérieures à la vente.
Ainsi :
Concernant l'appartement n°1, les loyers étaient régulièrement réglés avant la vente, seul un retard de paiement de l'allocation logement par la CAF a été rencontré par la société Akemi après l'acquisition de l'immeuble, qui s'explique par le changement de propriétaire et le retard de mise à jour administrative de son dossier et ne peut être reproché à M. [I].
Concernant l'appartement n°2, les loyers étaient réglés avant la vente. La société Akemi ne peut se contenter d'affirmer que M. [I] avait connaissance de l'abandon du logement avant la vente et qu'il ne percevait donc pas de loyers. Un procès-verbal de constat d'abandon et d'inventaire n'a été dressé par huissier que le 6 septembre 2019, sept mois après la vente de l'immeuble, et ce procès-verbal ne prouve pas que le locataire ait quitté les lieux avant cette vente.
Concernant l'appartement n°3, la société Akemi était avertie dès la promesse de vente du non-paiement par le locataire ([G] [E]) de ses loyers, et a toujours perçu l'allocation logement.
Concernant l'appartement n°4, il n'est justifié d'irrégularités de paiement de ses loyers par la SARL FTP, locataire, que postérieurement à la vente de l'immeuble. La promesse de vente fait état d'un loyer mensuel de 370 euros, augmenté de 90 euros pour charge. L'acte de vente actualise ce point en indiquant que le loyer mensuel a été ramené à 400 euros charges comprises (et non payables en sus, comme l'affirme la société Akemi). L'état locatif produit par M. [I] relatif à l'année 2018 montre clairement que l'entreprise réglait régulièrement ses loyers trimestriellement. Le seul fait que M. [I] ait déclaré que le loyer était payable mensuellement ne constitue pas un mensonge dolosif, dès lors que les loyers étaient effectivement payés. M. [I] pouvait légitimement ignorer, lors de la signature de l'acte de vente le 31 janvier 2019, l'absence de paiement du loyer de ce mois de janvier. L'état locatif de ce bien au titre de l'année 2019, postérieure à la vente, laisse apparaître un paiement intervenu le février 2019 par chèque pour « solde de tout compte », révélant que la société a quitté les lieux à ce moment. La société FTP a cessé son activité le 3 janvier 2020, un an après la vente ; la cessation des paiements a été fixée au 8 juin 2020 ; l'entreprise a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 19 juin 2020 et a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Paris du 8 décembre 2021, ensemble d'informations que M. [I] ne pouvait prévoir avant la vente et dont il ne pouvait donc informer la société Akemi.
Concernant l'appartement n°5, un bail a été signé avec un nouveau locataire au mois de janvier 2018. Les états locatifs présentés par M. [I] montrent que le loyer était régulièrement payé avant la vente. Le vendeur ne peut se voir imputer les défauts de paiement seulement postérieurs à celle-ci, constatés par la société Akemi.
Concernant l'appartement n°6, celui-ci n'était pas loué lors de la promesse de vente et a fait l'objet en 2018, postérieurement à la promesse, d'un bail de seulement deux mois en 2018. Un nouveau bail a été conclu le 1er janvier 2019, de sorte que M. [I] ne disposait pas d'informations relatives à la régularité du paiement des loyers à la date de la vente à la même époque et ne pouvait en communiquer à la société Akemi avant la vente. La situation locative de l'appartement postérieurement à la vente ne peut être imputée à M. [I].
Il n'est justifié d'aucune carence de paiement, antérieure à la vente de l'immeuble le 31 janvier 2019, concernant les appartements n°7 et 8 et la société Akemi ne présente aucun grief à ces titres.
Concernant le bureau, celui-ci n'était toujours pas loué lors de la vente et sa situation locative postérieure à celle-ci ne peut être imputée à M. [I].
Concernant le garage avec grenier, la promesse de vente mentionne un contrat de location au profit de la SARL Tinex, représentée par M. [I] lui-même (qui ne pouvait donc déclarer des loyers à ce titre). Ce bien a été libéré le 30 janvier 2019, ainsi que cela est régulièrement indiqué dans l'acte de vente. La situation locative postérieure de ce garage ne peut être imputée à M. [I].
Concernant le local commercial, la SARL New Concept, locataire, n'a certes pas réglé ses loyers du dernier trimestre 2018, mais a par courrier du 3 décembre 2018 sollicité de M. [I] des délais de paiement, entraînant seulement un décalage dans la comptabilité de 2018, régularisé dès 2019. La situation de ce locataire et sa demande de délai n'étaient pas connus de M. [I] lors de la signature de la promesse de vente le 4 juin 2018 et la situation a été régularisée par la suite. Il n'est pas démontré que M. [I] ait intentionnellement, dans le but de tromper la société Akemi (qui négociait le prix et les conditions de vente avec le mandataire, la société Optimhome), dissimulé cette situation ponctuelle (et régularisée) d'un seul locataire.
Il apparaît ainsi qu'aucune dissimulation ou réticence dolosive de M. [I], concernant les informations locatives du bien promis à la vente par acte du 4 juin 2018, actualisées lors de la régularisation de l'acte définitif de vente le 31 janvier 2019, ne peut être retenue.
Il résulte de l'ensemble de ces développements que la société Akemi ne démontre pas l'existence de man'uvres, mensonges, réticences ou dissimulations intentionnelles d'informations déterminantes de son consentement de la part de M. [I] à l'époque de la vente de l'immeuble.
C'est ainsi à juste titre que les premiers juges ont écarté le dol de M. [I] et débouté la société Akemi de toute demande d'indemnisation sur ce fondement.
Sur la faute
La société Akemi, affirmant avoir été lésée, peut demander réparation du dommage subi dans les conditions du droit commun de la responsabilité.
La société faisant état d'un défaut d'information précontractuelle, la responsabilité de M. [I] est alors examinée sur le fondement de l'article 1240 du même code, selon lequel tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Or il résulte des développements qui précèdent, au titre du dol, que la société Akemi n'a pu démontrer les manquements de M. [I] à son devoir d'information précontractuelle. Elle n'établit pas même sa négligence fautive par des informations non exhaustives ou erronées. Il n'est aucunement établi que l'intéressé, vendeur, ait délivré à la société acquéreur des informations qu'il savait ne pas correspondre à la réalité. Aucune faute ne peut être retenue.
La société Akemi, qui envisageait un investissement locatif, a été informée de la situation de chaque appartement et local composant l'immeuble, mais ne justifie pas avoir elle-même réclamé à M. [I] la communication de l'état des paiements effectifs des loyers avant la vente.
La valeur de l'immeuble vendu, en outre, a été évaluée par la société Optimhome, au regard de la situation locative du bien. L'agent immobilier a lui-même négocié les termes, prix et conditions figurant à l'acte de vente, ainsi que cela est rappelé en page 33 de l'acte. Mis en vente à 375.000 euros, l'immeuble a été vendu 350.000 euros, et la société Akemi ne démontre pas avoir perdu une chance de conclure la vente à des conditions plus avantageuses.
Il est par ailleurs constaté que la société Akemi ne justifie pas de préjudices en lien avec un défaut d'information. Les bilans comptables de la société des années 2019 et 2020 laissent apparaître des revenus respectifs de 47.096 et 49.973 euros, bien supérieurs aux revenus locatifs déclarés au services fiscaux par M. [I] au titre des années 2017 et 2018, de 36.720 et 35.450 euros. La société et le particulier ne sont cependant pas soumis aux mêmes règles comptables (la première étant soumise à une comptabilité d'engagement, le second à une comptabilité d'enregistrement) et les revenus locatifs de la société Akemi, réduits de ses créances sur ses locataires ont été, pour les années 2019 et 2020, de 35.020 et 36.970 euros, très similaires aux revenus de M. [I].
Ajoutant au jugement qui n'a pas examiné ce point, la Cour déboutera la société Akemi de ses demandes de dommages et intérêts au titre d'une perte de chance d'acquérir l'immeuble à un moindre prix et d'un préjudice moral, formulées contre M. [I] sur le fondement de fautes précontractuelles d'information, non établies.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Le sens de l'arrêt conduit à la confirmation du jugement en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance, mis à la charge de la société Akemi.
Ajoutant au jugement, la Cour condamnera la société Akemi, qui succombe en son recours, aux dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
Tenue aux dépens, la société Akemi sera également condamnée à payer la somme de 2.000 euros en indemnisation des frais exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens, en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs,
La Cour,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute la SCI Akemi de ses demandes de dommages et intérêts présentées contre M. [L] [I] sur le fondement de la faute,
Condamne la SCI Akemi aux dépens d'appel,
Condamne la SCI Akemi à payer à M. [L] [I] la somme de 2.000 euros en indemnisation de ses frais irrépétibles d'appel.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 10
ARRÊT DU 25 SEPTEMBRE 2025
(n° , 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/08829 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFYPV
Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Avril 2022 - Tribunal judiciaire d'AUXERRE - RG n° 20/00413
APPELANTE
S.C.I. AKEMI agissant en la personne de son gérant domicilié en cette qualité au siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée et assistée à l'audience par Me Sophie POURRUT CAPDEVILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : C1700
INTIMÉ
Monsieur [L] [I]
né le 12 Juin 1965 à [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté à l'audience par Me Benoît PILLOT, avocat au barreau de PARIS, toque : G0333
Assisté par Me Arnaud JOUBERT de la SELAS LEGI CONSEILS BOURGOGNE, avocat au barreau de DIJON, toque : 31
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 12 Juin 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Marie-Odile DEVILLERS, Présidente
Mme Valérie MORLET, Conseillère
Mme Anne ZYSMAN, Conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Valérie MORLET
dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Catherine SILVAN
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Odile DEVILLERS, Présidente et par Catherine SILVAN, Greffier, présent lors de la mise à disposition.
***
Faits et procédure
M. [L] [I] a le 31 août 2017, en sa qualité de propriétaire, confié à la SAS Optimhome un mandat de vente « multidiffusion » d'un bien lui appartenant à [Localité 5] (Yonne), comprenant un local commercial, un bureau, un garage avec grenier et huit appartements, pour un prix de 375.000 euros.
Une promesse unilatérale de vente du bien a le 4 juin 2018 été conclue entre M. [I], promettant, et la SAS AJNA 432, bénéficiaire, représentée par son président M. [K] [C], pour un prix de 350.000 euros, sous la condition suspensive de l'obtention par cette dernière d'un prêt immobilier.
La vente a finalement été régularisée par acte du 31 janvier 2019 entre M. [I], vendeur, et la SCI Akemi, représentée par son président M. [C], en présence de la Banque populaire de Bourgogne - France Comté, moyennant le prix de 350.000 euros.
Considérant avoir été trompée, notamment sur le nombre de locataires payant régulièrement leurs loyers, la société Akemi a par acte du 2 juillet 2020 assigné M. [I] en indemnisation devant le tribunal judiciaire d'Auxerre.
* Le tribunal a par jugement du 4 avril 2022 :
- débouté la société Akemi de l'ensemble de ses demandes,
- condamné la société Akemi à payer à M. [I] la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Akemi aux dépens de l'instance, avec distraction au profit du conseil de M. [I],
- rappelé que la décision est exécutoire de plein droit à titre provisoire.
Le premier juge a estimé que si la déclaration du vendeur dans l'acte de vente ne correspondait pas à la stricte réalité, il n'était pas établi qu'elle ait été intentionnelle, faite dans le but de tromper l'acquéreur et vicier son consentement. Il a ajouté que les impayés de loyers subis par l'acquéreur postérieurement à son acquisition constituaient un risque inhérent à ce type d'investissement et que la société Akemi, dont l'acquisition constituait un investissement locatif, aurait dû prendre les renseignements nécessaires mais ne justifiait d'aucune démarche en ce sens. Il a donc écarté un dol de la part de M. [I].
La société Akemi a par acte du 2 mai 2022 interjeté appel de ce jugement, intimant M. [I] devant la Cour.
* La société Akemi, dans ses dernières conclusions signifiées le 16 janvier 2025, demande à la Cour de :
- infirmer le jugement en ce qu'il :
. l'a déboutée de sa demande tendant à voir reconnaître que le contrat de vente d'immeuble n'a pas été négocié, formé et exécuté de bonne foi, que le vendeur M. [I] a manqué à son obligation d'information et qu'il a commis un dol ou une réticence dolosive de nature à engager sa responsabilité,
. l'a déboutée de sa demande d'indemnisation de ce chef,
. l'a déboutée de sa demande de condamnation de M. [I] à lui payer une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
. l'a déboutée de sa demande tendant à voir condamner M. [I] aux dépens,
. l'a condamnée à verser à M. [I] une somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
. l'a condamnée aux dépens de l'instance,
Puis, statuant à nouveau,
- condamner, à titre principal pour dol et à titre subsidiaire sur le fondement des articles 1240 et suivants du code civil, M. [I] à lui payer une somme de 25.000 euros en indemnisation de la perte de chance d'avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses,
- condamner M. [I] à lui payer une somme de 5.000 euros en indemnisation de son préjudice moral,
- condamner M. [I] à lui payer une somme de 7.000 euros sur les fondements de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles qu'elle s'est vue contrainte d'engager tant en première instance qu'en appel,
- condamner M. [I] aux dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de Maître Sophie Pourrut-Capdeville.
La société Akemi fait à titre principal valoir un dol de la part de M. [I], qui lui a communiqué au stade de la promesse puis de la vente des informations sur la situation locative de l'immeuble en cause qu'il savait ou aurait dû savoir erronées afin de la persuader de poursuivre la vente à des conditions plus avantageuses.
Elle argue à titre subsidiaire de la faute de M. [I], qui est resté taisant sur des informations concernant la situation locative réelle des locataires ou a délivré des informations erronées qu'il connaissait ou aurait dû connaître.
Elle ne demande pas l'annulation de la vente, mais l'allocation de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices. Elle fait valoir une perte de chance de conclure la vente à des conditions plus avantageuses et un préjudice moral.
M. [I], dans ses dernières conclusions signifiées le 19 octobre 2022, demande à la Cour de :
- débouter la société Akemi de l'intégralité de ses fins et conclusions,
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- condamner la société Akemi à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Akemi aux entiers dépens d'appel.
M. [I] affirme qu'il n'y a pas eu dol de sa part, faisant valoir l'absence de toutes man'uvres dolosives concernant l'état locatif de l'immeuble, l'absence de dissimulation des informations relatives au paiement régulier des loyers, l'absence d'intention de tromper, le caractère non déterminant de l'information relative au rendement locatif.
Subsidiairement, il conteste toute faute de sa part, n'ayant pas manqué à son devoir d'information.
Il discute enfin les demandes indemnitaires de la société Akemi.
* La clôture de la mise en état du dossier a été ordonnée le 14 mai 2025, l'affaire plaidée le 12 juin 2025 et mise en délibéré au 25 septembre 2025.
Motifs
L'immeuble vendu par M. [I] à la société Akemi comprend huit appartements ou studios mis en location. A la date de la vente conclue le 31 janvier 2019, les loyers mensuels étaient compris entre 250 et 500 euros hors charges (comprises entre 20 et 110 euros par mois), les locataires bénéficiant d'allocations logement versées au propriétaire. Le local commercial était quant à lui loué moyennant un loyer annuel de 6.600 euros (outre des charges mensuelles de 100 euros).
Sur le dol
Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi (articles 1103 et 1104 du code civil).
L'article 1112-1 du code civil oblige la partie qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre (qui ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation) à l'en informer, étant notamment précisé qu'outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants du même code.
L'article 1128 du code civil dispose que sont nécessaires à la validité d'un contrat : le consentement des parties (1°), leur capacité de contracter (2°) et un contenu licite et certain (3°).
L'article 1130 nouveau du code énonce que l'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes, ajoutant que leur caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné. L'article 1131 suivant précise que les vices du consentement sont une cause de nullité relative du contrat.
L'article 1137 du code civil dispose que le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des man'uvres ou des mensonges, ou encore la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie, ajoutant que, néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation.
La promesse de vente a été conclue le 4 juin 2018 et ne pouvait l'être qu'au vu de la situation du bien à cette date.
Chacun des biens constituant l'immeuble en cause (appartements, garage, local commercial, bureau) étant loué ou mis en location, son acquisition par la société Akemi représentait nécessairement un investissement locatif. Les informations relatives à la situation locative de chacun des appartements et locaux avaient donc une importance déterminante pour l'acquéreur et sont bien entrées dans le champ contractuel. Malgré le caractère locatif de l'investissement projeté, la société Akemi ne justifie cependant pas avoir sollicité de M. [I], préalablement à la signature de l'acte de vente, plus d'éléments que ceux qui ont été inscrits dans les actes, et notamment ses décomptes locatifs. Il n'est ainsi pas établi que, quand bien même l'acquisition de l'immeuble constituait un investissement locatif, la rentabilité du bien était un élément déterminant de son consentement. Les décomptes locatifs ont régulièrement été produits en cours d'instance par M. [I], dès qu'ils ont été réclamés, et rien n'établit que leur communication pendant les négociations aurait été refusée. La société Akemi prétend que ces décomptes sont confus, empêchant les recoupements, ce qui relève de sa seule appréciation. Aucune confusion intentionnelle, seulement alléguée par la société, n'est établie et les recoupements ont été possibles.
M. [I] a, au stade de la promesse de vente signée le 4 juin 2018 avec la société AJNA 432, donné à l'acheteur représenté par M. [C], des informations relatives à la situation locative de l'immeuble objet de la vente. L'acte contient, pour chacun des biens constituant l'immeuble (appartements, local commercial, garage, bureau), les éléments relatifs à la date des baux consentis, l'identité des locataires, le loyer mensuel prévu et les charges, ainsi que le montant du dépôt de garantie, le promettant indiquant qu'il remettra au bénéficiaire les contrats de location, les états des lieux et les quittances de loyers.
Ainsi, dès la promesse de vente du 4 juin 2018, la société Akemi a été informée des défauts de paiement du locataire de l'appartement n°3 ([G] [E]), de la location de l'appartement n°5 à compter du mois de février 2018 seulement (et donc sur onze mois cette année), de l'absence de location de l'appartement n°6 à la date de l'acte, de la location du garage avec grenier à la SARL Tinex, représentée par son gérant, M. [I] lui-même, de l'absence de bail au titre du bureau.
L'acte de vente signé le 31 janvier 2019 avec la société Akemi reprend et actualise en sa seconde partie ces éléments relatifs aux conditions de location de chacun des biens constituant l'immeuble. La société Akemi a ainsi été informée de la modification du loyer de l'appartement n°4 au cours de l'année 2018 (initialement de 370 euros, outre 90 euros de charges, et ramené à 400 euros charges comprises), de la location de l'appartement n°6 à compter du 1er janvier 2019, de la conclusion d'un bail avec un nouveau locataire à compter du 1er août 2018 au titre de l'appartement n°8 et de la libération du garage au 30 janvier 2019.
A l'instar de la promesse, l'acte contient une clause ainsi rédigée :
Remise de titre et pièces - Le vendeur a remis les contrats de location, les originaux des états des lieux.
A ce sujet, le vendeur déclare que les locataires sont à jour du paiement de leur loyer, à l'exception de Monsieur [G] [E], pour lequel le vendeur reçoit 250,00 euros de la part de la CAF chaque mois, le surplus n'étant pas réglé régulièrement.
Les informations contenues dans la promesse de vente puis l'acte de vente, relatives aux dates des baux, à l'identité des locataires (personne physiques ou morales), aux loyers, charges et dépôts de garantie ne sont pas contestées.
M. [I] affirme que certains loyers (appartements n°1, n°2, n°3 et n°5) lui étaient réglés en espèces. Ces loyers ont régulièrement été déclarés aux services fiscaux, déclaration dont il n'aurait pas eu intérêt si les loyers ne lui avaient pas été effectivement payés. Si certains loyers n'étaient pas réglés dès le 10 du mois mais en retard, le fait de ne pas le signaler au vendeur n'est pas constitutif d'une fausse déclaration, dès lors que le paiement intervenait en tout état de cause et régulièrement. Le fait qu'aucun locataire n'ait réglé ses loyers en espèces en suite de la vente de l'immeuble à la société Akemi n'invalide pas les affirmations de M. [I] et s'explique par le changement de propriétaire et de décision quant à la perception des loyers.
M. [I] ne peut en outre être tenu comptable des loyers non réglés par les locataires postérieurement à la vente de l'immeuble le 31 janvier 2019. Ces impayés constituent un risque inhérent à l'investissement locatif réalisé par la société Akemi.
Les états locatifs de chaque bien constituant l'immeuble, relatifs aux années précédant la vente, non réclamés par la société Akemi lors des négociations précontractuelles, ont été communiqués par M. [I]. La société Akemi a communiqué ses états locatifs, pour les années postérieures à la vente.
Ainsi :
Concernant l'appartement n°1, les loyers étaient régulièrement réglés avant la vente, seul un retard de paiement de l'allocation logement par la CAF a été rencontré par la société Akemi après l'acquisition de l'immeuble, qui s'explique par le changement de propriétaire et le retard de mise à jour administrative de son dossier et ne peut être reproché à M. [I].
Concernant l'appartement n°2, les loyers étaient réglés avant la vente. La société Akemi ne peut se contenter d'affirmer que M. [I] avait connaissance de l'abandon du logement avant la vente et qu'il ne percevait donc pas de loyers. Un procès-verbal de constat d'abandon et d'inventaire n'a été dressé par huissier que le 6 septembre 2019, sept mois après la vente de l'immeuble, et ce procès-verbal ne prouve pas que le locataire ait quitté les lieux avant cette vente.
Concernant l'appartement n°3, la société Akemi était avertie dès la promesse de vente du non-paiement par le locataire ([G] [E]) de ses loyers, et a toujours perçu l'allocation logement.
Concernant l'appartement n°4, il n'est justifié d'irrégularités de paiement de ses loyers par la SARL FTP, locataire, que postérieurement à la vente de l'immeuble. La promesse de vente fait état d'un loyer mensuel de 370 euros, augmenté de 90 euros pour charge. L'acte de vente actualise ce point en indiquant que le loyer mensuel a été ramené à 400 euros charges comprises (et non payables en sus, comme l'affirme la société Akemi). L'état locatif produit par M. [I] relatif à l'année 2018 montre clairement que l'entreprise réglait régulièrement ses loyers trimestriellement. Le seul fait que M. [I] ait déclaré que le loyer était payable mensuellement ne constitue pas un mensonge dolosif, dès lors que les loyers étaient effectivement payés. M. [I] pouvait légitimement ignorer, lors de la signature de l'acte de vente le 31 janvier 2019, l'absence de paiement du loyer de ce mois de janvier. L'état locatif de ce bien au titre de l'année 2019, postérieure à la vente, laisse apparaître un paiement intervenu le février 2019 par chèque pour « solde de tout compte », révélant que la société a quitté les lieux à ce moment. La société FTP a cessé son activité le 3 janvier 2020, un an après la vente ; la cessation des paiements a été fixée au 8 juin 2020 ; l'entreprise a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 19 juin 2020 et a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Paris du 8 décembre 2021, ensemble d'informations que M. [I] ne pouvait prévoir avant la vente et dont il ne pouvait donc informer la société Akemi.
Concernant l'appartement n°5, un bail a été signé avec un nouveau locataire au mois de janvier 2018. Les états locatifs présentés par M. [I] montrent que le loyer était régulièrement payé avant la vente. Le vendeur ne peut se voir imputer les défauts de paiement seulement postérieurs à celle-ci, constatés par la société Akemi.
Concernant l'appartement n°6, celui-ci n'était pas loué lors de la promesse de vente et a fait l'objet en 2018, postérieurement à la promesse, d'un bail de seulement deux mois en 2018. Un nouveau bail a été conclu le 1er janvier 2019, de sorte que M. [I] ne disposait pas d'informations relatives à la régularité du paiement des loyers à la date de la vente à la même époque et ne pouvait en communiquer à la société Akemi avant la vente. La situation locative de l'appartement postérieurement à la vente ne peut être imputée à M. [I].
Il n'est justifié d'aucune carence de paiement, antérieure à la vente de l'immeuble le 31 janvier 2019, concernant les appartements n°7 et 8 et la société Akemi ne présente aucun grief à ces titres.
Concernant le bureau, celui-ci n'était toujours pas loué lors de la vente et sa situation locative postérieure à celle-ci ne peut être imputée à M. [I].
Concernant le garage avec grenier, la promesse de vente mentionne un contrat de location au profit de la SARL Tinex, représentée par M. [I] lui-même (qui ne pouvait donc déclarer des loyers à ce titre). Ce bien a été libéré le 30 janvier 2019, ainsi que cela est régulièrement indiqué dans l'acte de vente. La situation locative postérieure de ce garage ne peut être imputée à M. [I].
Concernant le local commercial, la SARL New Concept, locataire, n'a certes pas réglé ses loyers du dernier trimestre 2018, mais a par courrier du 3 décembre 2018 sollicité de M. [I] des délais de paiement, entraînant seulement un décalage dans la comptabilité de 2018, régularisé dès 2019. La situation de ce locataire et sa demande de délai n'étaient pas connus de M. [I] lors de la signature de la promesse de vente le 4 juin 2018 et la situation a été régularisée par la suite. Il n'est pas démontré que M. [I] ait intentionnellement, dans le but de tromper la société Akemi (qui négociait le prix et les conditions de vente avec le mandataire, la société Optimhome), dissimulé cette situation ponctuelle (et régularisée) d'un seul locataire.
Il apparaît ainsi qu'aucune dissimulation ou réticence dolosive de M. [I], concernant les informations locatives du bien promis à la vente par acte du 4 juin 2018, actualisées lors de la régularisation de l'acte définitif de vente le 31 janvier 2019, ne peut être retenue.
Il résulte de l'ensemble de ces développements que la société Akemi ne démontre pas l'existence de man'uvres, mensonges, réticences ou dissimulations intentionnelles d'informations déterminantes de son consentement de la part de M. [I] à l'époque de la vente de l'immeuble.
C'est ainsi à juste titre que les premiers juges ont écarté le dol de M. [I] et débouté la société Akemi de toute demande d'indemnisation sur ce fondement.
Sur la faute
La société Akemi, affirmant avoir été lésée, peut demander réparation du dommage subi dans les conditions du droit commun de la responsabilité.
La société faisant état d'un défaut d'information précontractuelle, la responsabilité de M. [I] est alors examinée sur le fondement de l'article 1240 du même code, selon lequel tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Or il résulte des développements qui précèdent, au titre du dol, que la société Akemi n'a pu démontrer les manquements de M. [I] à son devoir d'information précontractuelle. Elle n'établit pas même sa négligence fautive par des informations non exhaustives ou erronées. Il n'est aucunement établi que l'intéressé, vendeur, ait délivré à la société acquéreur des informations qu'il savait ne pas correspondre à la réalité. Aucune faute ne peut être retenue.
La société Akemi, qui envisageait un investissement locatif, a été informée de la situation de chaque appartement et local composant l'immeuble, mais ne justifie pas avoir elle-même réclamé à M. [I] la communication de l'état des paiements effectifs des loyers avant la vente.
La valeur de l'immeuble vendu, en outre, a été évaluée par la société Optimhome, au regard de la situation locative du bien. L'agent immobilier a lui-même négocié les termes, prix et conditions figurant à l'acte de vente, ainsi que cela est rappelé en page 33 de l'acte. Mis en vente à 375.000 euros, l'immeuble a été vendu 350.000 euros, et la société Akemi ne démontre pas avoir perdu une chance de conclure la vente à des conditions plus avantageuses.
Il est par ailleurs constaté que la société Akemi ne justifie pas de préjudices en lien avec un défaut d'information. Les bilans comptables de la société des années 2019 et 2020 laissent apparaître des revenus respectifs de 47.096 et 49.973 euros, bien supérieurs aux revenus locatifs déclarés au services fiscaux par M. [I] au titre des années 2017 et 2018, de 36.720 et 35.450 euros. La société et le particulier ne sont cependant pas soumis aux mêmes règles comptables (la première étant soumise à une comptabilité d'engagement, le second à une comptabilité d'enregistrement) et les revenus locatifs de la société Akemi, réduits de ses créances sur ses locataires ont été, pour les années 2019 et 2020, de 35.020 et 36.970 euros, très similaires aux revenus de M. [I].
Ajoutant au jugement qui n'a pas examiné ce point, la Cour déboutera la société Akemi de ses demandes de dommages et intérêts au titre d'une perte de chance d'acquérir l'immeuble à un moindre prix et d'un préjudice moral, formulées contre M. [I] sur le fondement de fautes précontractuelles d'information, non établies.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Le sens de l'arrêt conduit à la confirmation du jugement en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance, mis à la charge de la société Akemi.
Ajoutant au jugement, la Cour condamnera la société Akemi, qui succombe en son recours, aux dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
Tenue aux dépens, la société Akemi sera également condamnée à payer la somme de 2.000 euros en indemnisation des frais exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens, en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs,
La Cour,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute la SCI Akemi de ses demandes de dommages et intérêts présentées contre M. [L] [I] sur le fondement de la faute,
Condamne la SCI Akemi aux dépens d'appel,
Condamne la SCI Akemi à payer à M. [L] [I] la somme de 2.000 euros en indemnisation de ses frais irrépétibles d'appel.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,