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CA Paris, Pôle 5 - ch. 6, 24 septembre 2025, n° 24/19715

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 24/19715

24 septembre 2025

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 6

ARRET DU 24 SEPTEMBRE 2025

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/19715 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CKNMO

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 08 Novembre 2024 - juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris 9ème chambre 2ème section - RG n° 22/12917

APPELANTE

Madame [P] [D]

née le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 8]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Julie BARIANI, avocat au barreau de Paris, toque : B692

INTIMÉE

S.A. BANCO [Localité 7], société de droit espagnol

[Adresse 5]

[Localité 3] (Espagne)

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Michel SZULMAN, avocat au barreau de Paris, toque : P0551, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 906 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Juin 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Vincent BRAUD, président de chambre

Mme Pascale SAPPEY-GUESDON, Conseillère

Mme Laurence CHAINTRON, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé parVincent BRAUD, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.

* * * * *

PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 21 novembre 2024, Mme [P] [D] a interjeté appel d'une ordonnance rendue le 8 novembre 2024 en ce que le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris - ce dernier ayant été saisi par voie d'assignation en date du 18 octobre 2022 délivrée à sa requête à la société de droit espagnol Banco [Localité 7] - a déclaré Mme [D] irrecevable en son action dirigée à l'encontre de cette dernière, pour cause de prescription, et l'a condamnée aux dépens.

***

À l'issue de la procédure d'appel clôturée le 13 mai 2025 les prétentions des parties s'exposent de la manière suivante.

Au dispositif de ses conclusions communiquées par voie électronique le 17 janvier 2025 qui constituent ses uniques écritures, l'appelant

présente, en ces termes, ses demandes à la cour :

'Vu le Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 dit 'Bruxelles I BIS',

Vu le Règlement (CE) n°864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 dit 'Rome II',

Vu l'article 2224 du Code civil,

Vu l'ordonnance rendue par le JME de [Localité 6] le 3 octobre 2024,

Vu la jurisprudence française et européenne,

Il est demandé à la cour d'appel de Paris de :

- INFIRMER l'ordonnance rendue le 8 novembre 2024 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a :

- Déclaré irrecevable l'action de Madame [P] [D] dirigée contre la BANCO DE [Localité 7] ;

- Condamné Madame [P] [D] aux dépens de l'incident.

Et statuant à nouveau :

- DECLARER le droit français comme applicable à l'action en responsabilité engagée par Madame [D] à l'encontre de la société BANCO DE [Localité 7] S.A. ;

- RECEVOIR les demandes de Madame [D] à l'encontre de la société BANCO DE [Localité 7] S.A. ;

- CONDAMNER la société BANCO DE [Localité 7] S.A. à verser à Madame [D] la

somme de 1.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER la même aux entiers dépens.'

Au dispositif de ses conclusions communiquées par voie électronique le 12 mars 2025 qui constituent ses uniques écritures, l'intimé

présente, en ces termes, ses demandes à la cour :

'Il est demandé à la Cour :

- Confirmer l'ordonnance du Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Paris du 8 novembre 2024 qui a :

* déclaré irrecevable l'action de Madame [P] [D] dirigée contre la société BANCO [Localité 7],

* déclaré sans objet la demande de communication de pièces de Madame [P] [D] à l'encontre de la société BANCO [Localité 7],

* condamné Madame [P] [D] aux dépens,

- Débouter Madame [P] [D] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- Condamner Madame [P] [D] à payer à la société BANCO [Localité 7] SA la

somme de 2 000 € en application de l'article 700 du CPC,

- Condamner Madame [P] [D] aux entiers dépens.'

Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs conclusions précitées.

MOTIFS DE LA DECISION

1 - Selon procès-verbal dressé le 23 février 2021, Mme [P] [D] a déposé plainte contre personne inconnue pour détournement de fonds. Ayant consulté le site de 'MGI International' qui proposait des placements financiers comportant des taux de rémunération de 6 à 7 %, et laissé ses coordonnées sur ce site, elle a été contactée téléphoniquement par un dénommé [U] [T], se disant représentant de cette entité, et après divers échanges, Mme [D] a versé aux fins de placements financiers, les sommes de 1 000 euros et de 4 000 euros. Elle indiquait avoir ensuite changé d'interlocuteur, en la personne d'un certain [Y] [V]. Mme [D] exposait avoir effectué entre le 30 juin 2020 et le 7 décembre 2020, des virements pour un montant total de 150 000 euros, puis d'autres virements, ultérieurement, jusqu'au 1er février 2021 inclus.

2 - Par deux lettres recommandées avec demande d'avis de réception l'une et l'autre datées du 24 janvier 2022, le conseil de Mme [D] a reproché à la société ING Bank et à la société de droit espagnol Banco de [Localité 7] d'avoir manqué de vigilance à l'occasion de l'exécution des ordres de virement, et a mis en demeure la société ING Bank de lui rembourser, sous quinzaine, la somme de 167 496 euros correspondant au montant total de 25 virements exécutés entre le 13 juillet 2020 et le 1er février 2021, et agissait de même à l'encontre de la société Banco de [Localité 7], mais seulement pour la somme de 100 980 euros correspondant à une partie de ces opérations.

3 - C'est dans ce contexte que par deux actes du 18 octobre 2022, l'un signifié selon les voies européennes, Mme [D] a fait assigner la société ING Bank et la société Banco de [Localité 7] pour demander au tribunal, au visa des directives européennes n°91/308/CEE, n°2001/97/CE, n°2005/60/CE, n°2015/849, n°2018/843, des articles 1240, 1241, 1231-1, 1104 et 1112-1 du code civil, de :

À titre principal :

- Juger que les sociétés ING Bank N.V. et Banco de [Localité 7] S.A. n'ont pas respecté leur obligation légale de vigilance au titre du dispositif de LCB-FT.

- Juger que les sociétés ING Bank N.V. et Banco de [Localité 7] S.A. sont responsables des préjudices subis par Mme [D].

- Condamner in solidum les sociétés ING Bank N.V. et Banco de [Localité 7] S.A. à rembourser à Mme [D] la somme de 100 980 euros, correspondant à une partie de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.

- Condamner in solidum les sociétés ING Bank N.V. et Banco de [Localité 7] S.A. à verser à Mme [D] la somme de 33 499,20 euros, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.

- Condamner la société ING Bank N.V. à rembourser à Mme [D] la somme de 66 516 euros, correspondant au montant restant de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.

- Condamner in solidum les sociétés ING Bank N.V. et Banco de [Localité 7] S.A. à verser à Mme [D] la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner les mêmes, in solidum, aux entiers dépens.

À titre subsidiaire :

- Juger que la société ING Bank N.V. a manqué à son devoir général de vigilance.

- Juger que la société ING Bank N.V. est responsable des préjudices subis par Mme [D].

- Condamner la société ING Bank N.V. à rembourser à Mme [D] la somme de 167 496 euros correspondant à la totalité de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.

- Condamner la société ING Bank N.V. à verser à Mme [D] la somme de 33 499,20 euros, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.

- Condamner la société ING Bank N.V. à verser à Mme [D] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner la même aux entiers dépens.

À titre infiniment subsidiaire :

- Juger que la société ING Bank N.V. n'a pas respecté son obligation d'information à l'égard de Mme [D].

- Juger que la société ING Bank N.V. est responsable des préjudices subis par Mme [D].

- Condamner la société ING Bank N.V. à rembourser à Mme [D] la somme de 167 496 euros, correspondant à la totalité de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.

- Condamner la société ING Bank N.V. à verser à Mme [D] la somme de 33 499,20 euros, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.

- Condamner la société ING Bank N.V. à verser à Mme [D] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner la même aux entiers dépens.

4 - Par conclusions du 12 avril 2023, réitérées en dernier lieu le 12 juin 2024, la société Banco de [Localité 7] a saisi d'incident le juge de la mise en état, lui demandant :

À titre principal,

- Vu l'article 1968 du code civil espagnol,

- Constater la prescription de l'action de Mme [P] [D] à l'encontre de la société Banco [Localité 7] SA,

- En conséquence, déclarer Mme [P] [D] irrecevable en sa demande à l'encontre de la société Banco [Localité 7] SA,

À titre infiniment subsidiaire,

- Débouter Mme [P] [D] de son incident de communication de pièces,

- Débouter Mme [P] [D] de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,

- Condamner Mme [P] [D] à payer à la société Banco [Localité 7] SA la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner Mme [P] [D] aux dépens de l'incident.

Par conclusions sur incident du 8 août 2024, Mme [D] demandait, au visa du règlement (CE) n°864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 dit 'Rome II', des articles 2224 du code civil, 11, 138, 142, 788 et 789 du code de procédure civile, L. 561-5 et suivants et R. 561-5 et suivants du code monétaire et financier, de :

- Prononcer la loi française comme applicable à l'action en responsabilité intentée par Mme [D] à l'encontre de la société Banco de [Localité 7] S.A. ;

- Débouter la société Banco de [Localité 7] S.A. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- Recevoir la demande de communication de pièces formulée par Mme [D] ;

- Condamner la société Banco de [Localité 7] S.A. à communiquer à Mme [D] divers documents relatifs au fonctionnement des comptes ouverts en ses livres au nom des sociétés bénéficiaires des virements effectués par Mme [D].

- Condamner la société Banco de [Localité 7] S.A. à verser à Mme [D] la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner la même aux entiers dépens.

La société Banco de [Localité 7] soutenait que la loi espagnole applicable au litige l'opposant à Mme [D] prévoit qu'en matière de responsabilité extracontractuelle, le délai de prescription est d'un an (articles 1902 et 1968 du code civil espagnol). Selon cet établissement, l'Espagne étant le lieu d'appropriation indue des fonds dont Mme [D] réclame le remboursement, en application de l'article 4 du règlement Rome II la loi espagnole doit être déployée par le juge de la mise en état pour statuer sur la présente fin de non-recevoir. Elle considérait qu'au plus tard à la date du 23 février 2021, jour du dépôt de sa plainte, Mme [D] avait pleine connaissance de la réalité de son préjudice lié aux virements qu'elle présente comme frauduleux effectués en Espagne dans un ou plusieurs comptes ouverts dans les livres de la société Banco de [Localité 7]. Mme [D] disposait donc, en application de l'article 1968 du code civil espagnol, d'un délai d'un an pour agir en responsabilité à l'encontre de la société Banco de [Localité 7], soit jusqu'au 23 février 2022, et pour avoir délivré son assignation le 18 octobre 2022 seulement, Mme [D] est irrecevable en ses demandes.

Mme [D] faisait valoir que les directives anti-blanchiment de l'Union européenne constituent le fondement juridique de la résolution du présent litige, précisant en outre que, s'agissant de la loi applicable, l'article 4 du règlement Rome II révèle que, à propos d'une demande dont l'objet tient dans un préjudice financier, la loi du pays du domicile du demandeur est applicable lorsque le dommage se réalise directement sur un compte bancaire de celui-ci ouvert auprès d'une banque établie dans le pays de son domicile, de telle sorte que la loi française est applicable au présent litige, en ce que le dommage s'est réalisé dès la disparition des fonds depuis le compte de Mme [D]. Elle ajoutait être de nationalité française, résider en France, et que l'escroquerie a en outre été réalisée à partir d'un site accessible en France, autant d'éléments de rattachement concourant à la localisation du litige en France et en conséquence, à l'application du droit français. Elle soulignait qu'en matière de cyberdélit, la Cour de justice de l'Union européenne localise fictivement le litige dans le pays de situation du domicile de la victime, ce dont devra s'inspirer le juge de la mise en état dans le règlement du présent incident. Selon elle, par suite, son action en responsabilité à l'encontre de la société Banco de [Localité 7] est recevable, en application des dispositions de l'article 2224 du code civil prévoyant une prescription quinquennale qui court, dans la présente affaire, jusqu'au 23 janvier 2026.

5 - Sur ce, pour déclarer prescrite l'action de Mme [D], le juge de la mise en état a retenu l'application de la loi espagnole aux faits de la cause, avec les motifs :

'En application de l'article 789 du Code de Procédure Civile, le juge de la mise en état est, à compter de sa désignation et, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer, notamment, sur les incidents mettant fin à l'instance, telle une fin de non-recevoir tirée de la prescription.

En outre, l'article 4 du règlement (CE) n°864/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juillet 2007 relatif aux obligations non contractuelles dit Rome II, dispose :

'1. Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent.

2. Toutefois, lorsque la personne dont la responsabilité est invoquée et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage, la loi de ce pays s'applique.

3. S'il résulte de l'ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2, la loi de cet autre pays s'applique. Un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, telle qu'un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question.'

Il résulte des dispositions combinées de ces textes que s'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge de la mise en état de rechercher la loi applicable à un litige, cette recherche relevant de l'office du tribunal statuant au fond, en revanche, il incombe au juge de la mise en état,

statuant sur une fin de non-recevoir opposée par l'une des parties, de rechercher la loi applicable à pareille fin de non-recevoir.

Au cas particulier, il n'est pas discuté que l'action en responsabilité engagée par Mme [D] à l'encontre de la Banco de [Localité 7] revêt une nature extracontractuelle en ce qu'il n'est ni allégué, ni établi que les deux parties entretiennent des relations contractuelles.

Dès lors, la détermination de la loi applicable au litige opposant ces deux parties est tributaire des critères posés à l'article 4 susvisé du règlement Rome II.

Il sera rappelé par ailleurs que le considérant n°7 de ce règlement Rome II précise que le champ d'application matériel et les dispositions dudit règlement doivent être cohérents par rapport au règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000 dit 'Bruxelles I', devenu 'Bruxelles I bis'.

Dans son assignation, Mme [D] rappelle avoir effectué de nombreux virements, dont certains au montant total de 100 980 euros, vers un compte bancaire domicilié en Espagne dans les livres de la Banco de [Localité 7], soulignant dans sa plainte du 23 février 2021 ne pas avoir pu récupérer ces fonds.

En pareille occurrence, le lieu où le dommage est survenu, tant au sens de l'article 4 du règlement 'Rome II' que de l'article 7 2) du règlement 'Bruxelles I bis', est le lieu de l'appropriation des fonds, en l'espèce, le compte ouvert en Espagne dans les livres de la Banco de [Localité 7], en l'absence de tout autre élément de rattachement allégué et attestant de liens plus étroits de nature à concourir à la désignation de la loi française.

Le lieu où le fait dommageable s'est produit ne saurait être, comme le soutient Mme [D], le centre des intérêts patrimoniaux de la victime.

En effet, le seul fait que des conséquences financières affectent le demandeur ne justifie pas l'attribution de compétence aux juridictions du domicile de celui-ci, les conséquences indirectes du dommage ne devant pas être prises en compte dans la mesure où seul importe le dommage direct.

En substance, le préjudice financier, à savoir l'atteinte subie par l'investisseur dans son patrimoine, revêt un caractère indirect par rapport à la perte des fonds qui s'est produite en Espagne, sur le compte bancaire du destinataire des virements reçus par la Banco de

[Localité 7], lieu de survenance du dommage.

Par suite, c'est à tort que Mme [D] soutient que le dommage qu'elle a subi s'est réalisé sur le compte bancaire ouvert en France.

En conséquence, le droit espagnol s'applique aux demandes formées par Mme [D] à l'encontre de la Banco de [Localité 7].

Or, s'agissant de la prescription de ces demandes, il est justifié que le droit espagnol prévoit un délai de prescription d'un an, à compter de la date de connaissance du dommage.

Ainsi que le relève la Banco de [Localité 7], dès son dépôt de plainte le 23 février 2021 Mme [D] a eu conscience du fait qu'elle a été victime d'une escroquerie, pour les virements reçus sur le compte ouvert dans les livres de la Banco de [Localité 7].

Par suite, les demandes formées à l'encontre de la Banco de [Localité 7] doivent dès lors être considérées comme irrecevables pour cause de prescription, cette prescription étant acquise le 23 février 2022, alors que l'assignation n'a été délivrée à l'encontre de cette banque que le 18 octobre 2022.

Dans la mesure où l'action dirigée contre la Banco de [Localité 7] est déclarée irrecevable, la demande de communication forcée de pièces dirigée par Mme [D] contre cet établissement devient sans objet.

Par ailleurs, il y a lieu de renvoyer l'affaire à l'audience de mise en état de la 2ème section de la 9ème chambre de ce tribunal du vendredi 10 janvier 2025 à 9h30, Mme [D] devant avoir conclu au fond avant cette date mais seulement à l'encontre de la société ING Bank qui demeure seule défenderesse à l'instance.'

6 - À nouveau, en cause d'appel, développant la même argumentation que devant le juge de la mise en état, Mme [D] défend l'application de la loi française, en affirmant, pour l'essentiel, que le dommage est réalisé sur son compte bancaire en France, et qu'en outre il existe nombre d'autres éléments de rattachement militant pour cette application : Mme [D] est de nationalité française, réside en France, et l'escroquerie a été commise à partir d'un site accessible en France. Elle souligne encore qu'en matière de cyberdélits la cour de justice européenne a pu situer le lieu de réalisation du dommage au lieu de résidence de la victime. Par conséquent il y a lieu, selon elle, de faire trancher le litige en appliquant la loi française, et non la loi espagnole tel que le soutient la société Banco [Localité 7], soit notamment, la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil. Le délai de prescription courait jusqu'au 23 janvier (sic) 2026, l'action introduite le 18 octobre 2022 n'est donc pas prescrite.

Pourtant, le juge de la mise en état a fait une exacte application de la règle de droit aux faits de la cause. En particulier,

- L'article 122 du code de procédure civile dispose que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

- Comme l'a rappelé le juge de la mise en état, il lui appartient de déterminer la loi applicable pour statuer sur la fin de non recevoir.

- Pareillement, il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger d'en rechercher la teneur, soit d'office, soit à la demande d'une partie qui l'invoque, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger.

- En l'espèce, c'est à juste titre que la banque espagnole se fonde sur l'article 4 du règlement 'Rome II' qui dispose que 'Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent' pour faire valoir qu'au cas présent la loi espagnole est applicable, au détriment de la loi française.

- En l'occurrence, l'appropriation des fonds s'est produite en Espagne et la seule circonstance que les effets de cette appropriation ont été ressentis en France à raison de ce que les fonds investis l'ont été par l'intermédiaire d'un ordre de virement à partir de compte ouvert en France, en l'absence de tout autre élément pertinent de rattachement attestant de liens plus étroits de nature à concourir à la désignation de la loi française, est insuffisante à justifier l'application de cette dernière - la nationalité et la résidence de la victime n'y suffisant pas, pas plus que n'est pertinente la référence à les solutions jurisprudentielles européennes concernant une toute autre matière que les escroqueries par voie de virements bancaires internationaux.

Il y a donc lieu d'adopter les entiers motifs du premier juge, précis et circonstanciés, relatés supra, relativement à l'application de la loi espagnole aux faits de la cause.

Ensuite, les articles 1902 et 1968 du code civil espagnol, dont la teneur et le champ d'application en l'espèce ne sont pas discutés par Mme [D], prévoient que le délai de prescription est d'un an à compter de la connaissance du préjudice. Au cas présent, le délai de prescription commencera donc à courir, au plus tard, le 23 février 2021, date à laquelle Mme [D] a déposé plainte pour escroquerie. La prescription est en conséquence acquise depuis le 23 février 2022. L'assignation datant du 18 octobre 2022, la demande formulée à l'encontre de la société Banco [Localité 7] doit donc être déclarée prescrite.

Au vu de ce qui précède, il y a lieu de confirmer l'ordonnance déférée, dont les motifs sont adoptés en leur entièreté, en ce que les demandes de Mme [D] ont été déclarées irrecevables pour être prescrites, et sa demande de communication de pièces devenant dès lors sans objet.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Mme [D] qui échoue dans ses demandes, supportera la charge des dépens et ne peut prétendre à aucune somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. En revanche pour des raisons tenant à l'équité il y a lieu de faire droit à la demande de la banque intimée formulée sur ce même fondement, mais uniquement dans la limite de la somme de 1 200 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans les limites de l'appel,

CONFIRME l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;

Et y ajoutant

CONDAMNE Mme [P] [D] à payer à la société Banco [Localité 7] la somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à raison des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

DÉBOUTE Mme [P] [D] de sa propre demande formulée sur ce même fondement ;

CONDAMNE Mme [P] [D] aux dépens de l'appel sur incident.

* * * * *

Le Greffier Le Président

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