CA Aix-en-Provence, ch. 4-8a, 25 septembre 2025, n° 24/07157
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-8a
ARRÊT AU FOND
DU 25 SEPTEMBRE 2025
N°2025/508
Rôle N° RG 24/07157 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BNEQE
S.A.S. [9]
C/
[D] [N]
CPAM13
Copie exécutoire délivrée
le : 25 septembre 2025
à :
- Me Franck-Clément CHAMLA, avocat au barreau de MARSEILLE
- Me Florence DONATO , avocat au barreau de MARSEILLE
- CPAM13
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Pole social du TJ de MARSEILLE en date du 22 Mai 2024,enregistré au répertoire général sous le n° 20/01759.
APPELANTE
S.A.S. [9], demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Franck-Clément CHAMLA de l'ASSOCIATION CHAMLA MONIQUE / CHAMLA FRANCK-CLEMENT, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEES
Madame [D] [N], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Florence DONATO de la SELARL ARTEMISE AVOCAT, avocat au barreau de MARSEILLE
CPAM13, demeurant [Localité 1]
représenté par [W] [B] en vertu d'un pouvoir spécial
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Juillet 2025, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseillère, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Emmanuelle TRIOL, Présidente de chambre
Monsieur Benjamin FAURE, Conseiller
Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseillère
Greffier lors des débats : Mme Mylène URBON.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Septembre 2025.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour le 25 septembre 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile
Signé par Madame Emmanuelle TRIOL, Présidente de chambre et Mme Mylène URBON, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Mme [N] a été embauchée en qualité de responsable des ressources humaines par la SAS [9] par contrat à durée indéterminée à compter du 17 juin 2013.
En arrêt de travail depuis le 19 janvier 2015, elle a déclaré à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône être atteinte de dépression et angoisse réactionnelles suite à un burn out et un harcèlement moral et sollicité la reconnaissance d'une maladie professionnelle le 15 juin 2015.
La maladie a été prise en charge au titre de la légistaion sur les risques professionnels par la caisse primaire d'assurance maladie. L'état de santé de Mme [N] a été déclaré consolidé le 13 décembre 2016 et il lui a été attribué un taux d'incapacité de 15% pour 'décompensation anxio-dépressive chronique : asthénie persistante et anxiété résiduelle, sans trouble mélancolique ou pantophobie'.
Par requête en date du 2 juillet 2020, reçue le 6 juillet suivant, Mme [N] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille aux fins de faire reconnaitre la faute inexcusable de son employeur à l'origine de sa maladie professionnelle.
Par jugement rendu le 22 mai 2024, le tribunal a :
- dit que la maladie professionnelle déclarée le 15 juin 2015 par Mme [N] est due à la faute inexcusable de la SAS [9],
- ordonné à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône de majorer au montant maximum la rente versée à Mme [N],
- dit que la majoration de la rente servie à Mme [N] suivra l'évolution du taux d'incapacité attribué,
- ordonné une expertise aux frais avancés de la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône, aux fins d'évaluer les préjudices de Mme [N],
- fixé à 4.000 euros la provision qui sera versée à Mme [N] à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices,
- dit que la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône versera directement à Mme [N] les sommes dues au titre de la majoration de la rente, de la provision, et de l'indemnisation complémentaire,
- dit que la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône pourra recouvrer le montant des indemnisations à venir et majorations accordées à Mme [N] à l'encontre de la SAS [9] et condamné cette dernière à ce titre, ainsi qu'au remboursement du coût de l'expertise,
- condamné la SAS [9] à verser à Mme [N] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SAS [9] au paiement des dépens,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision.
Par courrier recommandé expédié le 4 juin 2024, la SAS [9] a interjeté appel du jugement.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
A l'audience du 3 juillet 2025, la SAS [9] reprend les conclusions communiquées par RPVA le 10 mars 2025, dont un exemplaire est déposé, et visé par le greffe, le jour de l'audience. Elle demande à la cour de :
- réformer le jugement ,
- dire que la maladie professionnelle de Mme [N] déclarée le 15 juin 2015 n'est pas due à une faute inexcusable de sa part,
- débouter Mme [N] de sa demande tendant à voir majorée la rente servie par la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône,
- débouter Mme [N] de sa demande d'expertise,
- débouter Mme [N] de l'ensemble de ses prétentions,
- condamner Mme [N] à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, la société appelante fait valoir que :
- dès lors que Mme [N] ne justifie pas avoir expressément signalé à son employeur, elle-même ou par l'intermédiaire d'un représentant du personnel, les risques générés par son activité, sa faute inexcusable ne saurait être présumée sur le fondement des dispositions de l'article L.4131-4 du code du travail;
- il ne peut être fait grief à l'employeur d'avoir commis une faute en ne laissant pas Mme [N] exercer ses attributions en toute liberté et sans contrôle de sa hiérarchie, alors même que son contrat de travail, qui ne la désigne pas comme étant directrice des ressources humaines, mais responsable des ressources humaines, stipule expressément qu'elle exercera ses fonctions sous le contrôle de M. [P] [X] ou par toute personne mandatée par lui et qu'elle s'engage à respecter strictement les consignes générales et particulière de celui-ci,
- le contrat de travail limitant l'autonomie de la salariée dans l'exercice de ses fonctions, il ne peut être valablement soutenu que l'absence de pouvoir de commandement et la soumission de ses décisions à l'accord préalable de la direction exposaient la salarié à un risque psycho-social;
- il ne peut pas non plus être fait grief à l'employeur d'avoir manqué à ses obligations en ne donnant pas les moyens adaptés à sa salariée pour exécuter sa mission, en la privant d'autonomie et d'indépendance alors qu'elle a été embauchée pour accomplir une mission sous le contrôle a priori et a posteriori et sur les instructions du dirigeant,
- la délégation de pouvoirs contresignée par Mme [N] le 17 juin 2013 'pour tous les actes de la gestion quotidienne et, après concertation et comptes-rendus réguliers, pour la conduite de projets organisationnels en lien direct avec ses fonctions' ne l'exposait pas au risque d'engager sa responsabilité pénale pour les manquements propres de son employeur en l'absence d'autonomie et d'indépendance de la salariée délégataire;
- la salariée échoue à rapporter la preuve d'une faute de son employeur en produisant de nombreux mails adressés à ses supérieurs sans jamais qu'il en ressorte une quelconque situation de détresse subie par la salariée : elle rend compte, demande validation, informe ses supérieurs, attire l'attention, mais à aucun moment ne fait part d'un quelconque désarroi;
- si la salariée rapporte la preuve de son déséquilibre psychique, elle échoue à rapporter la preuve de faits imputables à son employeur, de sorte qu'il ne peut être valablement retenu qu'il a eu ou aurait dû avoir conscience d'un quelconque danger,
- la conscience du danger ne peut être déduite de l'importance des responsabilités confiées à la salariée,
- l'employeur n'a jamais eu connaissance des troubles psychologiques de Mme [N] avant son arrêt de travail, alors même que le risque psycho-social auquel elle se prétend avoir été exposée est bien répertorié dans le document d'évaluation des risques socio-professionnels établi depuis 2012,
- en l'absence de conscience de l'exposition de la salariée à un danger quelconque, la faute inexcusable de l'employeur à l'origine de la maladie professionnelle ne peut être valablement retenue.
Mme [N] reprend les conclusions dont un exemplaire est déposé, et visé par le greffe, le jour de l'audience. Elle demande à la cour de :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il lui a octroyé une provision de 4.000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices,
- condamner la SAS [9] à lui verser une provision de 20.000 euros à titre de provision sur les dommages et intérêts,
- condamner la SAS [9] à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, Mme [N] fait valoir que :
- il résulte du rapport d'expertise demandé par l'organisme de prévoyance de l'employeur et du rapport d'expertise établi sur demande de l'Assurance maladie qu'elle souffre d'une décompensation psychique réactionnelle à des difficultés professionnelles et qu'elle ne présentait aucun trouble antérieur à l'état dépressif constaté qui ne peut être attribué qu'à sa situation professionnelle selon les constatations médicales;
- c'est le comportement fautif de l'employeur à plusieurs titres qui est à l'origine de sa maladie professionnelle :
- dès lors qu'elle avait accepté une délégation de pouvoir, sa responsabilité personnelle était engagée par les manquements de son employeur qui exerçait des pressions importantes sur certains salariés aux fins d'obtenir leur départ volontaire, alors même qu'elle n'était pas à l'origine de ces pratiques qu'elle contestait,
- alors qu'elle était soumise à une charge de travail énorme en qualité de DRH, elle ne recevait les informations sur les salariés recrutés sans elle qu'à posteriori, n'obtenait pas de réponse à ses questions juridiques et était exclue des questions d'organisation et managériale alors qu'elle en avait l'entière responsabilité,
- elle était ainsi dénigrée et 'placardisée',
- alors qu'elle a entendu alerter son employeur sur la situation et sollicité un rendez-vous, elle n'a jamais obtenu de réponse,
- la faute inexcusable de l'employeur à l'origine de sa maladie professionnelle doit être présumée sur fondement des dispositions de l'article L.4131-4 du code du travail, ou tout au moins, prouvée;
- l'employeur a manqué à son obligation de mettre à jour dans un document unique les résultats d'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs conformément aux dispositions de l'article R.4121-1 du code du travail,
- la production du DUER révisé en février 2019, quatre ans après le départ de Mme [N] ne saurait démontrer que l'employeur a tenté de prendre des mesures pour prévenir les risques psycho-sociaux lorsqu'elle était présente dans l'entreprise,
- l'employeur ne démontre pas non plus avoir établi un programme de prévention des risques professionnels conformément à l'article L.4612-16 du code du travail,
- alors que l'employeur lui a confié une délégation de pouvoirs en matière de droit du travail et droit social, pour gérer l'ensemble du groupe composé de six entités juridiques distinctes, il ne lui a jamais donné les moyens et les pouvoirs constituant la nécessaire contrepartie de la délégation de responsabilité,
- il ne pouvait ignorer que ce comportement volontaire de dénigrement et de mise à l'écart porterait violemment atteinte à son état psychique et, s'est abstenu de prendre toute mesure face à la mise en danger de son personnel;
- la majoration de la rente et une expertise aux fins d'évaluation des préjudices sont justifiées par les dispositions de l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale et la reconnaissance d'une faute inexcusable à l'origine de la maladie professionnelle d'une part, et l'article L.452-3 du même code et les conséquences importantes de la faute inexcusable de l'employeur sur sa vie personnelle, d'autre part;
- les constatations du docteur [C] désigné par le pôle social, dans son rapport rendu le 20 janvier 2025, justifie qu'il lui soit alloué une provision sur l'indemnisation de ses préjudices de 20.000 euros.
La caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône reprend les conclusions datées du 18 juin 2025, dont un exemplaire est déposé, et visé par le greffe, le jour de l'audience. Elle s'en rapporte à droit sur l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur à l'origine de la maladie professionnelle et sur la provision, et demande à la cour de :
- en cas d'expertise, rappeler que la date de consolidation a déjà été fixée par le service médical à la date du 13 décembre 2016 avec un taux d'IPP de 15%,
- en cas de reconnaissance de la faute inexcusable, dire que la SAS [9] est condamnée à lui rembourser la totalité des sommes dont elle sera tenue de faire l'avance.
Il convient de se reporter aux écritures oralement reprises par les parties à l'audience pour un plus ample exposé du litige.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la présomption de faute inexcusable de l'employeur
Aux termes de l'article L.4131-4 du code du travail :
'Le bénéfice de la faute inexcusable de l'employeur prévue à l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale est de droit pour le ou les travailleurs qui seraient victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle alors qu'eux-mêmes ou un représentant du personnel au comité social et économique avaient signalé à l'employeur le risque qui s'est matérialisé.'
En l'espèce, il ne ressort d'aucune des pièces versées aux débats que Mme [N] ou un représentant du personnel avait alerté la SAS [9] du risque de décompensation psychique auquel était exposée la salariée.
C'est donc à bon droit que les premiers juges ont rejeté le moyen selon lequel la faute inexcusable de l'employeur à l'origine de la maladie professionnelle dont est atteinte Mme [N] doit être présumée.
Sur la preuve de la faute inexcusable de l'employeur
Il résulte des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé ,à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur, a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident ou de la maladie dont est victime le salarié mais il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.
Il est de jurisprudence constante qu'il appartient au salarié de rapporter la preuve que l'employeur avait conscience du danger auquel il était exposé et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
En l'espèce, contrairement à ce qu'indique la caisse primaire d'assurance maladie dans ses dernières conclusions, la SAS [9] ne défend pas à l'action en reconnaissance de sa faute inexcusable à l'origine de la maladie professionnelle dont est atteinte Mme [N] en contestant le caractère professionnel de la maladie.
En outre, il résulte du rapport d'expertise établi le 8 octobre 2015 par le docteur [J], désigné par l'Assurance maladie, et dont les conclusions ne sont pas discutées par les parties, que Mme [N] présente 'un épisode dépressif caractérisé ayant conduit à un traitement par Seroplex et une hospitalisation à la clinique [10] toujours en cours depuis le 23 juillet 2015 (...). Il n'y a pas d'état antérieur notamment pas d'antécédent personnel sur le plan psychiatrique ou de prédisposition individuelle intervenant dans l'affection présentée. L'état de santé de Mme [N] ne peut être attribué qu'à des difficultés professionnelles.'
De même, il ressort du rapport d'expertise du docteur [Y] désigné par la prévoyance de l'employeur, en date du 16 septembre 2015, que Mme [N] a présenté 'une décompensation psychique réactionnelle à des difficultés professionnelles sur un mode anxiodysphorique'.
Enfin, la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône a pris en charge la décompensation psychique présentée par Mme [N] au titre de la législation sur les risques professionnels après avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de la région de Marseille ayant reconnu le lien direct et essentiel entre la pathologie déclarée et le travail habituel de la salariée.
Ainsi, il est établi que Mme [N] a été atteinte d'un syndrome dépressif grave provoqué par les difficultés qu'elle a rencontrées dans l'exécution de sa mission professionnelle.
Le débat porte sur la conscience du risque psycho-social auquel était exposée Mme [N] par son employeur, d'une part, et sur l'absence de mesure prise par celui-ci pour prévenir la réalisation du risque.
Sur la conscience du risque psycho-social auquel était exposé Mme [N] par l'employeur
Selon contrat à durée indéterminée signé par Mme [N] avec la société [9] le 19 juin 2013, elle a été embauchée en qualité de responsable des ressources humaines, pour assumer des fonctions consistant dans 'la prise en charge de toute la fonction RH au sein de la société'.
'Les principaux axes de la fonction sont :
- participer à la définition de la stratégie RH en collaboration avec la Direction;
- conseiller les opérationnels sur tous les aspects RH ( législation, gestion des carrières, recrutement, formation, rémunérations...);
- intervenir de manière opérationnelle sur l'ensemble des dossiers RH :
la gestion des recrutement : recueil des besoins auprès des opérationnels, mise en place, des partenariats (Écoles, Pole emploi, acteurs de l'emploi local...) organisation des sessions de recrutement, gestion administrative, intégration, suivi des nouveaux collaborateurs,
la formation : définir la politique de formation, construire le plan associé et le mettre en oeuvre, bilan,
la gestion des carrières : mettre en oeuvre et animer les processus de gestion des carrières de l'entreprise,
- être force de proposition et gérer des projets RH : entretiens professionnels, lutte contre l'absentéisme, politique salariale, harmonisation des procédure et outils...
- rédiger les accords collectifs,
- prendre en charge la gestion administrative du personnel, le reporting social, la supervision de la paie (externalisée),
- effectuer la veille légale, réglementaire et conventionnelle,
- animer les représentants du personnel : assurer un bon climat social, préparer et participer aux réunions avec les IRP : [6], CHSCT,
- travailler en étroite collaboration avec les conseillers extérieurs,
- assurer un reporting régulier auprès de la Direction Générale.'
En outre, il ressort de la délégation de pouvoirs du groupe [11] en ressources humaines à Mme [N] en date du 17 juin 2013, qu'il lui a été confié, 'pour tous les actes de la gestion quotidienne, et, après concertation et comptes rendus réguliers, (...) la conduite de projets organisationnels en lien direct avec ses fonctions'.
Il y est précisé que 'son objet vise à assurer la cohérence et l'efficience des modes de fonctionnement managériaux, organisationnels et juridiques des entreprises composant le Groupe [11] :
* La Fermière
* [8]
* MTV
* Regence
* La clé des champs
* Unicomex.
Cette délégation de pouvoirs pour être opérationnelle doit nécessairement être assortie d'un transfert effectif des moyens correspondants'.
La société [9] insiste dans ses conclusions sur la mention, dans le contrat de travail, selon laquelle Mme [N] 'exercera ses fonctions sous le contrôle de M. [P] [X], ou par toute personne mandatée par lui. La salariée s'engage à respecter strictement les consignes générales et particulières de celui-ci'.
Il se déduit de l'ensemble des termes contractuels précités que Mme [N] avait de lourdes responsabilités au sein du groupe [X], qu'elle devait assumer dans le respect des consignes de son chef hiérarchique, M. [X].
Or, il résulte des nombreux mails produits par la salariée que M. [X] s'abstenait de répondre aux demandes de directives de la salariée, réponses pourtant nécessaires pour permettre à celle-ci d'exécuter les tâches qui lui étaient confiées.
Ainsi, à titre d'illustration, en octobre 2013, alors que la société a reçu une lettre anonyme, Mme [N] rappelle à M. [P] [X] et M. [R], les dispositions du code du travail et le principe de précaution pour conseiller de rencontrer dès que possible la personne incriminée aux fins de vérifier les informations dénoncées dans le courrier et, compte tenu d'autres informations de même nature provenant de plusieurs ateliers, suggère la diffusion d'une note d'information rappelant l'interdiction formelle de harceler, moralement et sexuellement, en sollicitant le point de vue de la direction. Il n'est pas discuté qu'elle n'a jamais obtenu de réponse.
En février 2014, Mme [N] demande à M. [P] [X] et M. [R] de confirmer ou infirmer ses propositions de coefficients pour permettre la finalisation d'un projet 'pesée des postes' en joignant un tableau avec des propositions explicitées. Il n'est pas non plus discuté qu'elle n'a jamais obtenu de réponse.
En mars 2014, Mme [N] alerte M. [P] [X] et M. [R], en faisant référence aux dispositions du code du travail et à la jurisprudence, sur la nécessité de lancer des élections et d'informer les représentants du personnel de tout changement organisationnel dans l'entreprise, en demandant qu'il lui soit fait un retour le plus vite possible.Là encore, il n'est pas discuté qu'elle n'a pas obtenu de réponse.
En avril 2014, elle rappelle un message qu'elle avait adressé en janvier 2014 à propos du risque encouru de la requalification des contrats d'intérimaires allant au delà de 18 mois en contrats à durée indéterminée, en indiquant que le code du travail oblige à faire signer un contrat dans les trois jours de la prise de poste et à déclarer préalablement à l'URSSAF toute embauche, auquel la direction n'avait pas donné suite.
En juin 2014, Mme [N] rappelle l'organisation mise en oeuvre concernant la distribution de badges aux intérimaires, notamment à M. [X] et M. [R], en demandant s'il est faisable de procéder à la commande des badges avant une certaine date afin d'être en conformité avec la réglementation. Là encore, il n'est pas discuté qu'elle n'a pas obtenu de réponse.
En août 2014, Mme [N] relance par mail M. [X] sur le fait savoir s'il a avancé dans sa réflexion sur les moyens obligatoires à fournir par l'employeur aux salariés représentant du personnel pour éviter qu'il leur soit reproché un délit d'entrave, ainsi que sur sa décision quant à la date de réunion obligatoire du CHSCT.
En octobre 2014, alors que Mme [N] soumet par mail à M. [X] et M. [R], des candidatures d'intérimaires à des postes en CDI d'opérateur production ou de conducteur de ligne notamment, en explicitant les besoins de l'entreprise et en demandant expressément un retour sur la nouvelle orientation de recrutement envisagée et les profils proposés, elle n'a encore pas obtenu de réponse.
Toujours en octobre 2014, Mme [N] n'a pas eu réponse au mail adressé à M. [X] et M. [R] concernant la volonté de ce dernier d'élargir les amplitudes horaires de certains salariés, sans l'avoir informée de l'identité des salariés concernés alors que pour certains, cela suppose de rédiger des avenants aux contrats et d'en informer le comité d'entreprise.
En décembre 2014, Mme [N] indique avoir appris de manière informelle que certains salariés travaillaient les deux samedis à venir de sorte qu'elle demande à M. [X] et M. [R] si cela est officiel, si la [6] est informée, en précisant que le délai de prévenance est de 7 jours et que les personnes qui travaillent 6 jours sur 7 doivent bénéficier d'un temps de récupération. Elle demande en vain un retour de la direction sur ces points.
Par mail du 12 janvier 2015, une semaine avant l'arrêt de travail de la salariée, celle-ci explique à M. [X] et M. [R] qu'après le mécontentement de plusieurs salariés, elle a souhaité faire une note pédagogique sous forme de comparatif des offres [4] et [5], et que compte tenu de la masse de travail que cela suppose et la réquisition d'autres collègues, elle demeure en attente de leur décision pour savoir si elle doit poursuivre le traitement de ce dossier. Elle précise qu'à défaut de réponse, elle préviendra les autres salariés qu'il n'est pas utile de se mobiliser sur ce dossier et que lorsqu'une décision sera prise, elle aimerait en être informée afin de pouvoir s'organiser. Il n'est pas discuté que le mail est resté sans réponse.
Le même jour, elle relance M. [X] et M. [R] pour connaître leur disponibilité afin de pouvoir fixer la date des entretiens annuels, sans jamais avoir reçu de réponse.
Il est ainsi établi que l'absence répétée de réponse de la direction à la responsable des ressources humaines l'empêche d'organiser son travail ou de mettre l'entreprise en conformité avec la réglementation en matière de ressources humaines alors qu'elle en a la responsabilité.
De surcroît, il est produit des mails permettant de vérifier que l'employeur ne respecte pas la réglementation pourtant rappelée par la salariée, et alors que celle-ci, délégataire des pouvoirs de la direction en matière de ressources humaines, en est responsable.
Ainsi par exemple, en octobre 2014, alors que Mme [N] explique à M. [X] et M. [R] que compte tenu des lettres précontentieuses adressées à l'entreprise par un salarié qui se plaint de l'irrespect du code du travail, elle préconise de dénoncer l'avantage acquis, donner un temps de réflexion et rédiger un avenant ou rompre le contrat de travail, dans les plus brefs délais, la direction lui fait connaître sa volonté d'attendre.
Dans le même mois, alors que Mme [N] rappelle qu'à défaut de délégués syndicaux, l'entreprise doit obtenir l'accord de la [7] qui a quatre mois pour répondre sur la validité d'un accord de participation des salariés aux résultats de l'entreprise, M. [R] a décidé de ne pas attendre le retour de la [7] pour mettre en oeuvre l'accord.
En décembre 2014, alors que Mme [N] rappelle que l'employeur ne peut définir un planning d'utilisation des heures de délégation sous peine de se voir reprocher un délit d'entrave, M. [X] répond qu'il est surpris que le représentant puisse prendre les heures de délégation en heure supplémentaire et considère qu'il ne peut pas faire ce qu'il veut.
Il résulte également du mail adressé par Mme [N] à un autre chef de service, avec en copie, M. [X] et M. [R], le 12 juin 2014, qu'après avoir fait état de l'irrespect du périmètre de sa mission par ce chef de service, elle lui demande de la tenir informée des modifications contractuelles impactant les salariés et lui rappelle qu'elle n'a pas à lui faire valider les contrats de travail qu'elle établit dès lors qu'il n'est pas son supérieur hiérarchique.
L'absence de réaction de la direction, pourtant mise en copie du mail, pour rappeler le périmètre de la mission de chacun des salariés, contribue inévitablement à décrédibiliser Mme [N].
En outre, il ressort de certains mails produits par la salariée que sa position n'est pas prise en compte ou plus encore, qu'elle a été exclue de prises de décision qui, pourtant, entraient pleinement dans le champ de sa mission professionnelle.
Ainsi, en avril 2014, alors que Mme [N] informe M. [X] qu'une intérimaire est recrutée sur un poste en CDI après validation de l'ensemble de ses supérieurs hiérarchiques, celui-ci répond qu'il souhaite être consulté avant toute validation, et contraint un des supérieurs hiérarchiques de l'intérimaire à confirmer les propos de Mme [N] concernant le bien-fondé du recrutement.
De même, en novembre 2014, il est adressé à Mme [N] un mail l'informant du recrutement d'une personne avec l'aval de M. [X] et M. [R], sans qu'elle ait été consultée ou même avisée en amont alors que le recrutement est le coeur de sa mission professionnelle.
Par mail du 23 décembre 2014, Mme [N] est destintaire du compte -rendu d'une revue de direction du 18 décembre 2014 à laquelle tous les responsables de services ont été conviés sauf elle, alors même qu'il a été abordé notamment la formation et l'environnement de travail, qui concernent évidemment les ressources humaines.
Par ailleurs, par mail du 1er juillet 2014 adressée à [T] [Z], avec en copie M. [X], Mme [N] alerte sur le fait qu'elle travaille 6 jours sur 7 depuis trois semaines et qu'elle doit gérer l'urgence en citant les élections du personnel à La fermière, deux contentieux sur l'identité juridique du groupe, un nouveau système de badge pour le groupe avec une incidence sur la sécurité, pour demander à ce que leur travail en commun soit mieux organisé.
Dans un mail du 14 janvier 2015, Mme [N] s'excuse pour son insistance et relance M. [X] et M. [R] afin d'avoir une réponse de leur part sur un dossier qui l'inquiète car il est stratégique en matière de ressources humaines et que sans validation de leur part, étape trés importante conditionnant le traitement total de la fonction (outils et méthodes), elle est empêchée d'avancer.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments, que la cour constate, comme les premiers juges, que par son propre comportement, l'employeur qui n'a pas donné à sa salariée, les moyens adaptés pour accomplir la mission qui lui était contractuellement confiée, ne pouvait pas ne pas avoir conscience, ou tout au moins, aurait dû avoir conscience, qu'il l'exposait à des risques psycho-sociaux.
Sur l'absence de mesure utile à prévenir la réalisation du risque psycho-social
Aux termes de l'article L.4121-1 alinéa 1er du code du travail : 'L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.'
En l'espèce, alors que c'est par son propre comportement que l'employeur à exposé sa salarié au risque psycho-social, il n'a pas pris les moyens utiles pour l'en préserver.
La production par la société [9] du document unique d'évaluation des risques révisé en 2019, plusieurs années après le départ de l'entreprise de Mme [N], n'est pas de nature à démontrer que l'employeur a pris des mesures pour prévenir le risque encouru par sa salarié.
En conséquence, il est établi que la société [9] qui avait ou aurait dû avoir conscience du danger du risque psycho-social auquel était exposé Mme [N], n'a pas pris les mesures utiles pour l'en préserver, de sorte que c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu la faute inexcusable de l'employeur à l'origine de la maladie professionnelle de la salariée.
Sur les conséquences de la reconnaissance de la faute inexcusable
En application de l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale, compte tenu de la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur à l'origine de la maladie professionnelle de Mme [N], c'est à bon droit que les premiers juges ont ordonner la majoration au maximum du montant de la rente versée à celle-ci.
En outre, en application de l'article L.452-3 du même code, afin d'évaluer les préjudices complémentaires de Mme [N], c'est à bon droit que les premiers juges ont ordonné une expertise.
Enfin, compte tenu des conclusions en date du 4 novembre 2024, du docteur [K], psychiatre désigné en première instance pour évaluer les préjudices de Mme [N],
selon lesquelles, elle présente:
- un déficit fonctionnel temporaire de 33% pendant deux mois, de 25% pendant deux mois et de 10% jusqu'à la consolidation,
- des souffrances endurées évaluées à 3/7,
- un déficit fonctionnel permanent de 10% alors qu'elle avait l'âge de 52 ans au moment où elle a été placée en arrêt de travail.
La provision demandée de 20.000 euros à valoir sur l'indemnisation des préjudices complémentaires de Mme [N] est justifiée.
Le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a octroyé une provision de 5.000 euros à valoir sur l'indemnisation des préjudices de Mme [N].
Il sera statué à nouveau pour fixer la provision à 20.000 euros.
Sur les frais et dépens
La société [9],succombant à l'instance, sera condamnée au paiement des dépens de l'appel, en vertu de l'article 696 du code de procédure civile.
En application de l'article 700 du même code, elle sera condamnée à payer à Mme [N] la somme de 3.000 euros à titre de frais irrépétibles et sera déboutée de sa demande présentée de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement par décision contradictoire,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,sauf en ce qu'il a octroyé une provision de 5.000 euros à valoir sur l'indemnisation des préjudices de Mme [N],
Statuant à nouveau,
Fixe la provision à valoir sur l'indemnisation des préjudices de Mme [N] à 20.000 euros,
Condamne la société [9] à payer à Mme [N] la somme de 3.000 euros à titre de frais irrépétibles,
Condamne la société [9] au paiement des dépens de l'appel.
Le greffier, La présidente,
Chambre 4-8a
ARRÊT AU FOND
DU 25 SEPTEMBRE 2025
N°2025/508
Rôle N° RG 24/07157 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BNEQE
S.A.S. [9]
C/
[D] [N]
CPAM13
Copie exécutoire délivrée
le : 25 septembre 2025
à :
- Me Franck-Clément CHAMLA, avocat au barreau de MARSEILLE
- Me Florence DONATO , avocat au barreau de MARSEILLE
- CPAM13
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Pole social du TJ de MARSEILLE en date du 22 Mai 2024,enregistré au répertoire général sous le n° 20/01759.
APPELANTE
S.A.S. [9], demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Franck-Clément CHAMLA de l'ASSOCIATION CHAMLA MONIQUE / CHAMLA FRANCK-CLEMENT, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEES
Madame [D] [N], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Florence DONATO de la SELARL ARTEMISE AVOCAT, avocat au barreau de MARSEILLE
CPAM13, demeurant [Localité 1]
représenté par [W] [B] en vertu d'un pouvoir spécial
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Juillet 2025, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseillère, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Emmanuelle TRIOL, Présidente de chambre
Monsieur Benjamin FAURE, Conseiller
Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseillère
Greffier lors des débats : Mme Mylène URBON.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Septembre 2025.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour le 25 septembre 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile
Signé par Madame Emmanuelle TRIOL, Présidente de chambre et Mme Mylène URBON, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Mme [N] a été embauchée en qualité de responsable des ressources humaines par la SAS [9] par contrat à durée indéterminée à compter du 17 juin 2013.
En arrêt de travail depuis le 19 janvier 2015, elle a déclaré à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône être atteinte de dépression et angoisse réactionnelles suite à un burn out et un harcèlement moral et sollicité la reconnaissance d'une maladie professionnelle le 15 juin 2015.
La maladie a été prise en charge au titre de la légistaion sur les risques professionnels par la caisse primaire d'assurance maladie. L'état de santé de Mme [N] a été déclaré consolidé le 13 décembre 2016 et il lui a été attribué un taux d'incapacité de 15% pour 'décompensation anxio-dépressive chronique : asthénie persistante et anxiété résiduelle, sans trouble mélancolique ou pantophobie'.
Par requête en date du 2 juillet 2020, reçue le 6 juillet suivant, Mme [N] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille aux fins de faire reconnaitre la faute inexcusable de son employeur à l'origine de sa maladie professionnelle.
Par jugement rendu le 22 mai 2024, le tribunal a :
- dit que la maladie professionnelle déclarée le 15 juin 2015 par Mme [N] est due à la faute inexcusable de la SAS [9],
- ordonné à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône de majorer au montant maximum la rente versée à Mme [N],
- dit que la majoration de la rente servie à Mme [N] suivra l'évolution du taux d'incapacité attribué,
- ordonné une expertise aux frais avancés de la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône, aux fins d'évaluer les préjudices de Mme [N],
- fixé à 4.000 euros la provision qui sera versée à Mme [N] à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices,
- dit que la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône versera directement à Mme [N] les sommes dues au titre de la majoration de la rente, de la provision, et de l'indemnisation complémentaire,
- dit que la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône pourra recouvrer le montant des indemnisations à venir et majorations accordées à Mme [N] à l'encontre de la SAS [9] et condamné cette dernière à ce titre, ainsi qu'au remboursement du coût de l'expertise,
- condamné la SAS [9] à verser à Mme [N] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SAS [9] au paiement des dépens,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision.
Par courrier recommandé expédié le 4 juin 2024, la SAS [9] a interjeté appel du jugement.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
A l'audience du 3 juillet 2025, la SAS [9] reprend les conclusions communiquées par RPVA le 10 mars 2025, dont un exemplaire est déposé, et visé par le greffe, le jour de l'audience. Elle demande à la cour de :
- réformer le jugement ,
- dire que la maladie professionnelle de Mme [N] déclarée le 15 juin 2015 n'est pas due à une faute inexcusable de sa part,
- débouter Mme [N] de sa demande tendant à voir majorée la rente servie par la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône,
- débouter Mme [N] de sa demande d'expertise,
- débouter Mme [N] de l'ensemble de ses prétentions,
- condamner Mme [N] à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, la société appelante fait valoir que :
- dès lors que Mme [N] ne justifie pas avoir expressément signalé à son employeur, elle-même ou par l'intermédiaire d'un représentant du personnel, les risques générés par son activité, sa faute inexcusable ne saurait être présumée sur le fondement des dispositions de l'article L.4131-4 du code du travail;
- il ne peut être fait grief à l'employeur d'avoir commis une faute en ne laissant pas Mme [N] exercer ses attributions en toute liberté et sans contrôle de sa hiérarchie, alors même que son contrat de travail, qui ne la désigne pas comme étant directrice des ressources humaines, mais responsable des ressources humaines, stipule expressément qu'elle exercera ses fonctions sous le contrôle de M. [P] [X] ou par toute personne mandatée par lui et qu'elle s'engage à respecter strictement les consignes générales et particulière de celui-ci,
- le contrat de travail limitant l'autonomie de la salariée dans l'exercice de ses fonctions, il ne peut être valablement soutenu que l'absence de pouvoir de commandement et la soumission de ses décisions à l'accord préalable de la direction exposaient la salarié à un risque psycho-social;
- il ne peut pas non plus être fait grief à l'employeur d'avoir manqué à ses obligations en ne donnant pas les moyens adaptés à sa salariée pour exécuter sa mission, en la privant d'autonomie et d'indépendance alors qu'elle a été embauchée pour accomplir une mission sous le contrôle a priori et a posteriori et sur les instructions du dirigeant,
- la délégation de pouvoirs contresignée par Mme [N] le 17 juin 2013 'pour tous les actes de la gestion quotidienne et, après concertation et comptes-rendus réguliers, pour la conduite de projets organisationnels en lien direct avec ses fonctions' ne l'exposait pas au risque d'engager sa responsabilité pénale pour les manquements propres de son employeur en l'absence d'autonomie et d'indépendance de la salariée délégataire;
- la salariée échoue à rapporter la preuve d'une faute de son employeur en produisant de nombreux mails adressés à ses supérieurs sans jamais qu'il en ressorte une quelconque situation de détresse subie par la salariée : elle rend compte, demande validation, informe ses supérieurs, attire l'attention, mais à aucun moment ne fait part d'un quelconque désarroi;
- si la salariée rapporte la preuve de son déséquilibre psychique, elle échoue à rapporter la preuve de faits imputables à son employeur, de sorte qu'il ne peut être valablement retenu qu'il a eu ou aurait dû avoir conscience d'un quelconque danger,
- la conscience du danger ne peut être déduite de l'importance des responsabilités confiées à la salariée,
- l'employeur n'a jamais eu connaissance des troubles psychologiques de Mme [N] avant son arrêt de travail, alors même que le risque psycho-social auquel elle se prétend avoir été exposée est bien répertorié dans le document d'évaluation des risques socio-professionnels établi depuis 2012,
- en l'absence de conscience de l'exposition de la salariée à un danger quelconque, la faute inexcusable de l'employeur à l'origine de la maladie professionnelle ne peut être valablement retenue.
Mme [N] reprend les conclusions dont un exemplaire est déposé, et visé par le greffe, le jour de l'audience. Elle demande à la cour de :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il lui a octroyé une provision de 4.000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices,
- condamner la SAS [9] à lui verser une provision de 20.000 euros à titre de provision sur les dommages et intérêts,
- condamner la SAS [9] à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, Mme [N] fait valoir que :
- il résulte du rapport d'expertise demandé par l'organisme de prévoyance de l'employeur et du rapport d'expertise établi sur demande de l'Assurance maladie qu'elle souffre d'une décompensation psychique réactionnelle à des difficultés professionnelles et qu'elle ne présentait aucun trouble antérieur à l'état dépressif constaté qui ne peut être attribué qu'à sa situation professionnelle selon les constatations médicales;
- c'est le comportement fautif de l'employeur à plusieurs titres qui est à l'origine de sa maladie professionnelle :
- dès lors qu'elle avait accepté une délégation de pouvoir, sa responsabilité personnelle était engagée par les manquements de son employeur qui exerçait des pressions importantes sur certains salariés aux fins d'obtenir leur départ volontaire, alors même qu'elle n'était pas à l'origine de ces pratiques qu'elle contestait,
- alors qu'elle était soumise à une charge de travail énorme en qualité de DRH, elle ne recevait les informations sur les salariés recrutés sans elle qu'à posteriori, n'obtenait pas de réponse à ses questions juridiques et était exclue des questions d'organisation et managériale alors qu'elle en avait l'entière responsabilité,
- elle était ainsi dénigrée et 'placardisée',
- alors qu'elle a entendu alerter son employeur sur la situation et sollicité un rendez-vous, elle n'a jamais obtenu de réponse,
- la faute inexcusable de l'employeur à l'origine de sa maladie professionnelle doit être présumée sur fondement des dispositions de l'article L.4131-4 du code du travail, ou tout au moins, prouvée;
- l'employeur a manqué à son obligation de mettre à jour dans un document unique les résultats d'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs conformément aux dispositions de l'article R.4121-1 du code du travail,
- la production du DUER révisé en février 2019, quatre ans après le départ de Mme [N] ne saurait démontrer que l'employeur a tenté de prendre des mesures pour prévenir les risques psycho-sociaux lorsqu'elle était présente dans l'entreprise,
- l'employeur ne démontre pas non plus avoir établi un programme de prévention des risques professionnels conformément à l'article L.4612-16 du code du travail,
- alors que l'employeur lui a confié une délégation de pouvoirs en matière de droit du travail et droit social, pour gérer l'ensemble du groupe composé de six entités juridiques distinctes, il ne lui a jamais donné les moyens et les pouvoirs constituant la nécessaire contrepartie de la délégation de responsabilité,
- il ne pouvait ignorer que ce comportement volontaire de dénigrement et de mise à l'écart porterait violemment atteinte à son état psychique et, s'est abstenu de prendre toute mesure face à la mise en danger de son personnel;
- la majoration de la rente et une expertise aux fins d'évaluation des préjudices sont justifiées par les dispositions de l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale et la reconnaissance d'une faute inexcusable à l'origine de la maladie professionnelle d'une part, et l'article L.452-3 du même code et les conséquences importantes de la faute inexcusable de l'employeur sur sa vie personnelle, d'autre part;
- les constatations du docteur [C] désigné par le pôle social, dans son rapport rendu le 20 janvier 2025, justifie qu'il lui soit alloué une provision sur l'indemnisation de ses préjudices de 20.000 euros.
La caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône reprend les conclusions datées du 18 juin 2025, dont un exemplaire est déposé, et visé par le greffe, le jour de l'audience. Elle s'en rapporte à droit sur l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur à l'origine de la maladie professionnelle et sur la provision, et demande à la cour de :
- en cas d'expertise, rappeler que la date de consolidation a déjà été fixée par le service médical à la date du 13 décembre 2016 avec un taux d'IPP de 15%,
- en cas de reconnaissance de la faute inexcusable, dire que la SAS [9] est condamnée à lui rembourser la totalité des sommes dont elle sera tenue de faire l'avance.
Il convient de se reporter aux écritures oralement reprises par les parties à l'audience pour un plus ample exposé du litige.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la présomption de faute inexcusable de l'employeur
Aux termes de l'article L.4131-4 du code du travail :
'Le bénéfice de la faute inexcusable de l'employeur prévue à l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale est de droit pour le ou les travailleurs qui seraient victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle alors qu'eux-mêmes ou un représentant du personnel au comité social et économique avaient signalé à l'employeur le risque qui s'est matérialisé.'
En l'espèce, il ne ressort d'aucune des pièces versées aux débats que Mme [N] ou un représentant du personnel avait alerté la SAS [9] du risque de décompensation psychique auquel était exposée la salariée.
C'est donc à bon droit que les premiers juges ont rejeté le moyen selon lequel la faute inexcusable de l'employeur à l'origine de la maladie professionnelle dont est atteinte Mme [N] doit être présumée.
Sur la preuve de la faute inexcusable de l'employeur
Il résulte des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé ,à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur, a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident ou de la maladie dont est victime le salarié mais il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.
Il est de jurisprudence constante qu'il appartient au salarié de rapporter la preuve que l'employeur avait conscience du danger auquel il était exposé et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
En l'espèce, contrairement à ce qu'indique la caisse primaire d'assurance maladie dans ses dernières conclusions, la SAS [9] ne défend pas à l'action en reconnaissance de sa faute inexcusable à l'origine de la maladie professionnelle dont est atteinte Mme [N] en contestant le caractère professionnel de la maladie.
En outre, il résulte du rapport d'expertise établi le 8 octobre 2015 par le docteur [J], désigné par l'Assurance maladie, et dont les conclusions ne sont pas discutées par les parties, que Mme [N] présente 'un épisode dépressif caractérisé ayant conduit à un traitement par Seroplex et une hospitalisation à la clinique [10] toujours en cours depuis le 23 juillet 2015 (...). Il n'y a pas d'état antérieur notamment pas d'antécédent personnel sur le plan psychiatrique ou de prédisposition individuelle intervenant dans l'affection présentée. L'état de santé de Mme [N] ne peut être attribué qu'à des difficultés professionnelles.'
De même, il ressort du rapport d'expertise du docteur [Y] désigné par la prévoyance de l'employeur, en date du 16 septembre 2015, que Mme [N] a présenté 'une décompensation psychique réactionnelle à des difficultés professionnelles sur un mode anxiodysphorique'.
Enfin, la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône a pris en charge la décompensation psychique présentée par Mme [N] au titre de la législation sur les risques professionnels après avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de la région de Marseille ayant reconnu le lien direct et essentiel entre la pathologie déclarée et le travail habituel de la salariée.
Ainsi, il est établi que Mme [N] a été atteinte d'un syndrome dépressif grave provoqué par les difficultés qu'elle a rencontrées dans l'exécution de sa mission professionnelle.
Le débat porte sur la conscience du risque psycho-social auquel était exposée Mme [N] par son employeur, d'une part, et sur l'absence de mesure prise par celui-ci pour prévenir la réalisation du risque.
Sur la conscience du risque psycho-social auquel était exposé Mme [N] par l'employeur
Selon contrat à durée indéterminée signé par Mme [N] avec la société [9] le 19 juin 2013, elle a été embauchée en qualité de responsable des ressources humaines, pour assumer des fonctions consistant dans 'la prise en charge de toute la fonction RH au sein de la société'.
'Les principaux axes de la fonction sont :
- participer à la définition de la stratégie RH en collaboration avec la Direction;
- conseiller les opérationnels sur tous les aspects RH ( législation, gestion des carrières, recrutement, formation, rémunérations...);
- intervenir de manière opérationnelle sur l'ensemble des dossiers RH :
la gestion des recrutement : recueil des besoins auprès des opérationnels, mise en place, des partenariats (Écoles, Pole emploi, acteurs de l'emploi local...) organisation des sessions de recrutement, gestion administrative, intégration, suivi des nouveaux collaborateurs,
la formation : définir la politique de formation, construire le plan associé et le mettre en oeuvre, bilan,
la gestion des carrières : mettre en oeuvre et animer les processus de gestion des carrières de l'entreprise,
- être force de proposition et gérer des projets RH : entretiens professionnels, lutte contre l'absentéisme, politique salariale, harmonisation des procédure et outils...
- rédiger les accords collectifs,
- prendre en charge la gestion administrative du personnel, le reporting social, la supervision de la paie (externalisée),
- effectuer la veille légale, réglementaire et conventionnelle,
- animer les représentants du personnel : assurer un bon climat social, préparer et participer aux réunions avec les IRP : [6], CHSCT,
- travailler en étroite collaboration avec les conseillers extérieurs,
- assurer un reporting régulier auprès de la Direction Générale.'
En outre, il ressort de la délégation de pouvoirs du groupe [11] en ressources humaines à Mme [N] en date du 17 juin 2013, qu'il lui a été confié, 'pour tous les actes de la gestion quotidienne, et, après concertation et comptes rendus réguliers, (...) la conduite de projets organisationnels en lien direct avec ses fonctions'.
Il y est précisé que 'son objet vise à assurer la cohérence et l'efficience des modes de fonctionnement managériaux, organisationnels et juridiques des entreprises composant le Groupe [11] :
* La Fermière
* [8]
* MTV
* Regence
* La clé des champs
* Unicomex.
Cette délégation de pouvoirs pour être opérationnelle doit nécessairement être assortie d'un transfert effectif des moyens correspondants'.
La société [9] insiste dans ses conclusions sur la mention, dans le contrat de travail, selon laquelle Mme [N] 'exercera ses fonctions sous le contrôle de M. [P] [X], ou par toute personne mandatée par lui. La salariée s'engage à respecter strictement les consignes générales et particulières de celui-ci'.
Il se déduit de l'ensemble des termes contractuels précités que Mme [N] avait de lourdes responsabilités au sein du groupe [X], qu'elle devait assumer dans le respect des consignes de son chef hiérarchique, M. [X].
Or, il résulte des nombreux mails produits par la salariée que M. [X] s'abstenait de répondre aux demandes de directives de la salariée, réponses pourtant nécessaires pour permettre à celle-ci d'exécuter les tâches qui lui étaient confiées.
Ainsi, à titre d'illustration, en octobre 2013, alors que la société a reçu une lettre anonyme, Mme [N] rappelle à M. [P] [X] et M. [R], les dispositions du code du travail et le principe de précaution pour conseiller de rencontrer dès que possible la personne incriminée aux fins de vérifier les informations dénoncées dans le courrier et, compte tenu d'autres informations de même nature provenant de plusieurs ateliers, suggère la diffusion d'une note d'information rappelant l'interdiction formelle de harceler, moralement et sexuellement, en sollicitant le point de vue de la direction. Il n'est pas discuté qu'elle n'a jamais obtenu de réponse.
En février 2014, Mme [N] demande à M. [P] [X] et M. [R] de confirmer ou infirmer ses propositions de coefficients pour permettre la finalisation d'un projet 'pesée des postes' en joignant un tableau avec des propositions explicitées. Il n'est pas non plus discuté qu'elle n'a jamais obtenu de réponse.
En mars 2014, Mme [N] alerte M. [P] [X] et M. [R], en faisant référence aux dispositions du code du travail et à la jurisprudence, sur la nécessité de lancer des élections et d'informer les représentants du personnel de tout changement organisationnel dans l'entreprise, en demandant qu'il lui soit fait un retour le plus vite possible.Là encore, il n'est pas discuté qu'elle n'a pas obtenu de réponse.
En avril 2014, elle rappelle un message qu'elle avait adressé en janvier 2014 à propos du risque encouru de la requalification des contrats d'intérimaires allant au delà de 18 mois en contrats à durée indéterminée, en indiquant que le code du travail oblige à faire signer un contrat dans les trois jours de la prise de poste et à déclarer préalablement à l'URSSAF toute embauche, auquel la direction n'avait pas donné suite.
En juin 2014, Mme [N] rappelle l'organisation mise en oeuvre concernant la distribution de badges aux intérimaires, notamment à M. [X] et M. [R], en demandant s'il est faisable de procéder à la commande des badges avant une certaine date afin d'être en conformité avec la réglementation. Là encore, il n'est pas discuté qu'elle n'a pas obtenu de réponse.
En août 2014, Mme [N] relance par mail M. [X] sur le fait savoir s'il a avancé dans sa réflexion sur les moyens obligatoires à fournir par l'employeur aux salariés représentant du personnel pour éviter qu'il leur soit reproché un délit d'entrave, ainsi que sur sa décision quant à la date de réunion obligatoire du CHSCT.
En octobre 2014, alors que Mme [N] soumet par mail à M. [X] et M. [R], des candidatures d'intérimaires à des postes en CDI d'opérateur production ou de conducteur de ligne notamment, en explicitant les besoins de l'entreprise et en demandant expressément un retour sur la nouvelle orientation de recrutement envisagée et les profils proposés, elle n'a encore pas obtenu de réponse.
Toujours en octobre 2014, Mme [N] n'a pas eu réponse au mail adressé à M. [X] et M. [R] concernant la volonté de ce dernier d'élargir les amplitudes horaires de certains salariés, sans l'avoir informée de l'identité des salariés concernés alors que pour certains, cela suppose de rédiger des avenants aux contrats et d'en informer le comité d'entreprise.
En décembre 2014, Mme [N] indique avoir appris de manière informelle que certains salariés travaillaient les deux samedis à venir de sorte qu'elle demande à M. [X] et M. [R] si cela est officiel, si la [6] est informée, en précisant que le délai de prévenance est de 7 jours et que les personnes qui travaillent 6 jours sur 7 doivent bénéficier d'un temps de récupération. Elle demande en vain un retour de la direction sur ces points.
Par mail du 12 janvier 2015, une semaine avant l'arrêt de travail de la salariée, celle-ci explique à M. [X] et M. [R] qu'après le mécontentement de plusieurs salariés, elle a souhaité faire une note pédagogique sous forme de comparatif des offres [4] et [5], et que compte tenu de la masse de travail que cela suppose et la réquisition d'autres collègues, elle demeure en attente de leur décision pour savoir si elle doit poursuivre le traitement de ce dossier. Elle précise qu'à défaut de réponse, elle préviendra les autres salariés qu'il n'est pas utile de se mobiliser sur ce dossier et que lorsqu'une décision sera prise, elle aimerait en être informée afin de pouvoir s'organiser. Il n'est pas discuté que le mail est resté sans réponse.
Le même jour, elle relance M. [X] et M. [R] pour connaître leur disponibilité afin de pouvoir fixer la date des entretiens annuels, sans jamais avoir reçu de réponse.
Il est ainsi établi que l'absence répétée de réponse de la direction à la responsable des ressources humaines l'empêche d'organiser son travail ou de mettre l'entreprise en conformité avec la réglementation en matière de ressources humaines alors qu'elle en a la responsabilité.
De surcroît, il est produit des mails permettant de vérifier que l'employeur ne respecte pas la réglementation pourtant rappelée par la salariée, et alors que celle-ci, délégataire des pouvoirs de la direction en matière de ressources humaines, en est responsable.
Ainsi par exemple, en octobre 2014, alors que Mme [N] explique à M. [X] et M. [R] que compte tenu des lettres précontentieuses adressées à l'entreprise par un salarié qui se plaint de l'irrespect du code du travail, elle préconise de dénoncer l'avantage acquis, donner un temps de réflexion et rédiger un avenant ou rompre le contrat de travail, dans les plus brefs délais, la direction lui fait connaître sa volonté d'attendre.
Dans le même mois, alors que Mme [N] rappelle qu'à défaut de délégués syndicaux, l'entreprise doit obtenir l'accord de la [7] qui a quatre mois pour répondre sur la validité d'un accord de participation des salariés aux résultats de l'entreprise, M. [R] a décidé de ne pas attendre le retour de la [7] pour mettre en oeuvre l'accord.
En décembre 2014, alors que Mme [N] rappelle que l'employeur ne peut définir un planning d'utilisation des heures de délégation sous peine de se voir reprocher un délit d'entrave, M. [X] répond qu'il est surpris que le représentant puisse prendre les heures de délégation en heure supplémentaire et considère qu'il ne peut pas faire ce qu'il veut.
Il résulte également du mail adressé par Mme [N] à un autre chef de service, avec en copie, M. [X] et M. [R], le 12 juin 2014, qu'après avoir fait état de l'irrespect du périmètre de sa mission par ce chef de service, elle lui demande de la tenir informée des modifications contractuelles impactant les salariés et lui rappelle qu'elle n'a pas à lui faire valider les contrats de travail qu'elle établit dès lors qu'il n'est pas son supérieur hiérarchique.
L'absence de réaction de la direction, pourtant mise en copie du mail, pour rappeler le périmètre de la mission de chacun des salariés, contribue inévitablement à décrédibiliser Mme [N].
En outre, il ressort de certains mails produits par la salariée que sa position n'est pas prise en compte ou plus encore, qu'elle a été exclue de prises de décision qui, pourtant, entraient pleinement dans le champ de sa mission professionnelle.
Ainsi, en avril 2014, alors que Mme [N] informe M. [X] qu'une intérimaire est recrutée sur un poste en CDI après validation de l'ensemble de ses supérieurs hiérarchiques, celui-ci répond qu'il souhaite être consulté avant toute validation, et contraint un des supérieurs hiérarchiques de l'intérimaire à confirmer les propos de Mme [N] concernant le bien-fondé du recrutement.
De même, en novembre 2014, il est adressé à Mme [N] un mail l'informant du recrutement d'une personne avec l'aval de M. [X] et M. [R], sans qu'elle ait été consultée ou même avisée en amont alors que le recrutement est le coeur de sa mission professionnelle.
Par mail du 23 décembre 2014, Mme [N] est destintaire du compte -rendu d'une revue de direction du 18 décembre 2014 à laquelle tous les responsables de services ont été conviés sauf elle, alors même qu'il a été abordé notamment la formation et l'environnement de travail, qui concernent évidemment les ressources humaines.
Par ailleurs, par mail du 1er juillet 2014 adressée à [T] [Z], avec en copie M. [X], Mme [N] alerte sur le fait qu'elle travaille 6 jours sur 7 depuis trois semaines et qu'elle doit gérer l'urgence en citant les élections du personnel à La fermière, deux contentieux sur l'identité juridique du groupe, un nouveau système de badge pour le groupe avec une incidence sur la sécurité, pour demander à ce que leur travail en commun soit mieux organisé.
Dans un mail du 14 janvier 2015, Mme [N] s'excuse pour son insistance et relance M. [X] et M. [R] afin d'avoir une réponse de leur part sur un dossier qui l'inquiète car il est stratégique en matière de ressources humaines et que sans validation de leur part, étape trés importante conditionnant le traitement total de la fonction (outils et méthodes), elle est empêchée d'avancer.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments, que la cour constate, comme les premiers juges, que par son propre comportement, l'employeur qui n'a pas donné à sa salariée, les moyens adaptés pour accomplir la mission qui lui était contractuellement confiée, ne pouvait pas ne pas avoir conscience, ou tout au moins, aurait dû avoir conscience, qu'il l'exposait à des risques psycho-sociaux.
Sur l'absence de mesure utile à prévenir la réalisation du risque psycho-social
Aux termes de l'article L.4121-1 alinéa 1er du code du travail : 'L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.'
En l'espèce, alors que c'est par son propre comportement que l'employeur à exposé sa salarié au risque psycho-social, il n'a pas pris les moyens utiles pour l'en préserver.
La production par la société [9] du document unique d'évaluation des risques révisé en 2019, plusieurs années après le départ de l'entreprise de Mme [N], n'est pas de nature à démontrer que l'employeur a pris des mesures pour prévenir le risque encouru par sa salarié.
En conséquence, il est établi que la société [9] qui avait ou aurait dû avoir conscience du danger du risque psycho-social auquel était exposé Mme [N], n'a pas pris les mesures utiles pour l'en préserver, de sorte que c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu la faute inexcusable de l'employeur à l'origine de la maladie professionnelle de la salariée.
Sur les conséquences de la reconnaissance de la faute inexcusable
En application de l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale, compte tenu de la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur à l'origine de la maladie professionnelle de Mme [N], c'est à bon droit que les premiers juges ont ordonner la majoration au maximum du montant de la rente versée à celle-ci.
En outre, en application de l'article L.452-3 du même code, afin d'évaluer les préjudices complémentaires de Mme [N], c'est à bon droit que les premiers juges ont ordonné une expertise.
Enfin, compte tenu des conclusions en date du 4 novembre 2024, du docteur [K], psychiatre désigné en première instance pour évaluer les préjudices de Mme [N],
selon lesquelles, elle présente:
- un déficit fonctionnel temporaire de 33% pendant deux mois, de 25% pendant deux mois et de 10% jusqu'à la consolidation,
- des souffrances endurées évaluées à 3/7,
- un déficit fonctionnel permanent de 10% alors qu'elle avait l'âge de 52 ans au moment où elle a été placée en arrêt de travail.
La provision demandée de 20.000 euros à valoir sur l'indemnisation des préjudices complémentaires de Mme [N] est justifiée.
Le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a octroyé une provision de 5.000 euros à valoir sur l'indemnisation des préjudices de Mme [N].
Il sera statué à nouveau pour fixer la provision à 20.000 euros.
Sur les frais et dépens
La société [9],succombant à l'instance, sera condamnée au paiement des dépens de l'appel, en vertu de l'article 696 du code de procédure civile.
En application de l'article 700 du même code, elle sera condamnée à payer à Mme [N] la somme de 3.000 euros à titre de frais irrépétibles et sera déboutée de sa demande présentée de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement par décision contradictoire,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,sauf en ce qu'il a octroyé une provision de 5.000 euros à valoir sur l'indemnisation des préjudices de Mme [N],
Statuant à nouveau,
Fixe la provision à valoir sur l'indemnisation des préjudices de Mme [N] à 20.000 euros,
Condamne la société [9] à payer à Mme [N] la somme de 3.000 euros à titre de frais irrépétibles,
Condamne la société [9] au paiement des dépens de l'appel.
Le greffier, La présidente,