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Décisions

CA Orléans, ch. soc., 25 septembre 2025, n° 23/02138

ORLÉANS

Arrêt

Autre

CA Orléans n° 23/02138

25 septembre 2025

C O U R D ' A P P E L D ' O R L É A N S

CHAMBRE SOCIALE - A -

Section 1

PRUD'HOMMES

Exp +GROSSES le 25 SEPTEMBRE 2025 à

la SELARL CABINET DUVAL AVOCATS

la SCP STOVEN PINCZON DU SEL

AD

ARRÊT du : 25 SEPTEMBRE 2025

MINUTE N° : - 25

N° RG 23/02138 - N° Portalis DBVN-V-B7H-G3IW

DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION DE DEPARTAGE D'ORLEANS en date du 20 Juillet 2023 - Section : ENCADREMENT

APPELANTE :

S.A.R.L. WILAG, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Localité 2]

représentée par Me Cédrick DUVAL de la SELARL CABINET DUVAL AVOCATS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

ET

INTIMÉE :

Madame [S] [K]

née le 02 Juin 1982 à [Localité 4]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Damien PINCZON DU SEL de la SCP STOVEN PINCZON DU SEL, avocat au barreau d'ORLEANS

Ordonnance de clôture : 22 novembre 2024

Audience publique du 15 Mai 2025 tenue par M. Alexandre DAVID, Président de chambre, et par Madame Florence CHOUVIN-GALLIARD, conseiller, ce, en l'absence d'opposition des parties, assistés lors des débats de Mme Odalene DE AZEVEDO ALCANTARA, greffier.

Après délibéré au cours duquel M. Alexandre DAVID, Président de chambre et Madame Florence CHOUVIN-GALLIARD, conseiller, ont rendu compte des débats à la Cour composée de :

Monsieur Alexandre DAVID, président de chambre, président de la collégialité

Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre

Madame Florence CHOUVIN-GALLIARD, conseiller

Puis le 25 Septembre 2025, Monsieur Alexandre DAVID, président de Chambre, assisté de Mme Odalene DE AZEVEDO ALCANTARA, Greffier a rendu l'arrêt par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Mme [S] [K] a été engagée à compter du 5 février 2001 en qualité d'équipière polyvalente par la S.A.R.L. Wilag, exploitant un restaurant sous l'enseigne Mc Donald's.

La relation de travail était régie par la convention collective nationale de la restauration rapide du 18 mars 1988.

Dans le dernier état de la relation de travail, Mme [K] occupait le poste de directrice du restaurant. Elle bénéficiait à ce titre, depuis le 1er janvier 2019, d'une délégation de pouvoirs portant sur la réglementation du travail et de la main d''uvre, les prescriptions d'hygiène et de sécurité et la réglementation économique.

Par courrier du 7 septembre 2020, Mme [X] [C], qui exerçait les fonctions de directrice adjointe au sein de l'établissement dirigé par Mme [K], a sollicité de son employeur une rupture conventionnelle en faisant part de plusieurs griefs à l'encontre de Mme [K].

Par courrier du 17 septembre 2020, l'employeur a convoqué cette dernière à un entretien, prévu le 1er octobre 2020, en vue de recueillir les éléments de réponse de la salariée sur les accusations de comportements susceptibles d'être qualifiés de harcèlement moral.

Le comité social et économique s'est ensuite réuni le 18 septembre 2020 dans le cadre de la « prévention d'agissements confinant au harcèlement moral dénoncés par Mme [C] [X] ».

Par courrier du 26 septembre 2020, l'employeur a notifié à Mme [K] l'annulation de l'entretien prévu le 1er octobre, sa mise à pied à titre conservatoire et sa convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 10 octobre 2020.

Par courrier du 14 octobre 2020, l'employeur lui a ensuite notifié son licenciement pour faute grave.

Par requête déposée le 7 janvier 2021, Mme [S] [K] a saisi le conseil de prud'hommes d'Orléans aux fins de voir reconnaître l'absence de faute grave ou de cause réelle et sérieuse de son licenciement et d'obtenir diverses sommes au titre de la rupture.

Par jugement du 20 juillet 2023, auquel il est renvoyé pour un plus ample exposé du litige, le conseil de prud'hommes d'Orléans, statuant en sa formation de départage, a :

- Dit que le licenciement de Mme [S] [K] par la SARL Wilag n'est pas fondé sur une faute grave ;

- Dit que le licenciement du 14 octobre 2020 de Mme [S] [K] par la SARL Wilag n'est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

- Condamné la SARL Wilag à verser à Mme [S] [K] les sommes de :

- 40 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 2 592,22 euros au titre du rappel de la mise à pied ;

- 9 366 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 18 107 euros au titre de l'indemnité d'ancienneté ;

- Débouté Mme [S] [K] de sa demande de restitution de ses effets personnels ;

- Ordonné à la SARL Wilag de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à Mme [S] [K] le cas échéant, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage ;

- Débouté Mme [S] [K] du surplus de ses demandes ;

- Débouté les parties du surplus de leurs prétentions ;

- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision ;

- Condamné la SARL Wilag à payer à Mme [S] [K] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Laissé les dépens à la charge de la SARL Wilag.

Le 17 août 2023, la S.A.R.L. Wilag a relevé appel de cette décision.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 21 novembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du Code de procédure civile, la S.A.R.L. Wilag demande à la cour de :

- Déclarer l'appel recevable ;

- Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Orléans le 20 juillet 2023, statuant en formation de départage, en ce qu'il a :

* Dit que le licenciement de Mme [S] [K] n'est pas fondé sur une faute grave ;

* Dit que le licenciement du 14 octobre 2020 de Mme [S] [K] n'est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

* L'a condamnée à verser à Mme [S] [K] les sommes de :

- 40 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 2 592,22 euros au titre du rappel de la mise à pied

- 9 366 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

- 18 107 euros au titre de l'indemnité d'ancienneté

- 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile

* Lui a ordonné de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à Mme [S] [K], le cas échéant, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage

* L'a déboutée de sa demande de condamnation de Mme [S] [K] à son profit de la somme de 5 000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive

* L'a déboutée de sa demande de condamnation de Mme [S] [K] à son profit de la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile

* L'a déboutée de sa demande tendant à faire condamner Mme [S] [K] aux entiers dépens

* Laissé les dépens à sa charge.

Statuant à nouveau :

- Dire et juger que le licenciement pour faute grave de Mme [K] est parfaitement justifié et qu'elle a subi un préjudice du fait des agissements de cette dernière ;

En conséquence :

- Débouter Mme [K] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

- Condamner Mme [K] à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

- Condamner Mme [K] à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner Mme [K] aux entiers dépens en application des dispositions de l'article 696 du Code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 6 février 2024, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du Code de procédure civile, Mme [S] [K] demande à la cour de :

- Débouter la société Wilag de son appel et, plus généralement, de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il dit que son licenciement n'est pas fondé sur une faute grave ni sur une cause réelle et sérieuse ;

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il condamne la SARL Wilag à lui verser les sommes de :

- 2 592,22 euros au titre du rappel de la mise à pied

- 9 366 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

- 18 108 euros au titre de l'indemnité d'ancienneté

- La recevoir en son appel incident et la déclarer bien fondée ;

- Infirmer le jugement pour le surplus ;

Statuant à nouveau :

- Condamner la SARL Wilag à lui verser également la somme de 48 391 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

En tout état de cause,

- Condamner la SARL Wilag à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, compte tenu des frais engagés devant la cour d'appel ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 22 novembre 2024.

MOTIFS

- Sur le bien-fondé du licenciement pour faute grave

Il résulte de l'article L.1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Le motif inhérent à la personne du salarié doit reposer sur des faits objectifs, matériellement vérifiables et qui lui sont imputables.

La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et qui justifie la rupture immédiate de son contrat de travail, sans préavis. La charge d'en rapporter la preuve repose sur l'employeur (Soc., 27 septembre 2007, pourvoi n° 06-43.867, Bull. 2007, V, n° 146).

L'article L.1235-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Par ailleurs, le respect des droits de la défense et du principe de la contradiction n'impose pas que, dans le cadre d'une enquête interne destinée à vérifier la véracité des agissements dénoncés par d'autres salariés, le salarié ait accès au dossier et aux pièces recueillies ou qu'il soit confronté aux collègues qui le mettent en cause ni qu'il soit entendu, dès lors que la décision que l'employeur peut être amené à prendre ultérieurement ou les éléments dont il dispose pour la fonder peuvent, le cas échéant, être ultérieurement discutés devant les juridictions de jugement (Soc., 29 juin 2022, pourvoi n° 20-22.220, publié).

Dans la lettre de licenciement du 14 octobre 2020, qui fixe les limites du litige, l'employeur forme plusieurs griefs à l'encontre de Mme [K], à savoir :

- des faits de harcèlement moral à l'égard du personnel du restaurant ;

- un manque de professionnalisme et de bienveillance à l'égard des salariés du restaurant ;

- des propos et actes discriminatoires à l'égard de certains salariés ou candidats ;

- le non-respect des règles d'hygiène et de sécurité alimentaire ;

- le non-respect des règles relatives à la durée du travail et au pointage.

S'agissant des faits de harcèlement moral, la lettre de licenciement énonce :

« Madame [C], Directrice adjointe du restaurant, nous a adressé une plainte le 7 septembre 2020, relatant des faits de harcèlement moral dont vous seriez l'auteure et plus particulièrement selon ses termes : " votre politique reposant sur le mensonge, la délation, la diffamation, la terreur, le dénigrement, la manipulation et l'hypocrisie'.

A l'issue d'une enquête interne diligentée auprès des salariés du restaurant, nous avons eu la confirmation que vous mettiez en 'uvre un véritable harcèlement à l'égard de Madame [C].

En outre, nous avons eu la stupéfaction de constater que vous mettiez également en 'uvre un harcèlement à l'égard d'un grand nombre des salariés du restaurant.

Sur les propos et comportement humiliants à l'égard des salariés du restaurant

De nombreux témoignages en notre possession font état de votre attitude particulièrement déplacée et humiliante à l'égard des salariés du restaurant.

Aussi, vous n'hésitiez pas à utiliser un ton sec, hautain et inapproprié à l'égard de vos subordonnés.

A ce titre, Monsieur [G], manager et membre du CSE indique "les équipiers sont stressés lorsque [S] [K] arrive sur le terrain car elle a un ton sec et inapproprié avec eux. ".

Un témoignage en notre possession rapporte que « en 3 ans de poste, j'ai vu beaucoup de gens sortir de son bureau en pleurant. Cela est dû au ton qu'elle utilise pour parler, on est toujours pris de haut... J'ai dû quitter le comptoir pour aller pleurer aux toilettes. »

Monsieur [M] indique également : "une façon de parler à ses salariés inacceptable, avec un ton autoritaire et beaucoup de mépris.' une relation pas saine avec les salariés. '

Vous n'hésitiez pas non plus à dénigrer et critiquer publiquement les salariés du restaurant que ce soit en leur présence ou en leur absence.

A titre d'exemples, vous avez qualifié certains salariés de :

- « '[V] », « concon » ou encore « cassos », « incapable », « gamins irresponsables », « idiote ».

Madame [I], salariée du restaurant, indique :

« quand je travaille dans mon bureau, elle vient me déranger pour critiquer le personnel non présent. »

Madame [C] témoigne que vous passiez : « votre temps à dénigrer, manipuler et faire preuve d'hypocrisie envers tout le monde ».

Vous n'hésitiez pas à juger la vie privée de vos subordonnés et à colporter des rumeurs.

A ce titre, Monsieur [P] [D] indique 'la Directrice avait un traitement irrespectueux envers nous et après elle allait parler aux managers presque en face de nous. J'entendais tout ce qu'elle disait de moi aux managers et j'étais obligé de continuer dans mon poste. '.

Madame [C] rapporte les faits suivants :

- « Mme [K] m'affirme que Mme [O] ne sait pas faire le bon choix en termes de fréquentation et en vient à me parler de façon déplacée de la dernière rupture de Madame [O] qui l'aurait poussé à boire de l'alcool en quantité déraisonnable et à avoir des pensées sombres. Ce que Mme [K] semble juger pathétique. ».

Madame [F] atteste que vous l'avez informée de la tentative de suicide d'une salariée en ajoutant : « elle est trop conne, elle a essayé de mourir pour un mec. De toute façon, c'est le genre de fille qui est prête à tout donner à un mec qui s'en fout d'elle, regarde la, qui voudrait rester avec une fille comme elle ».

Madame [F] indique également que vous avez tenu les propos suivants à l'égard de Monsieur [N], Gérant du restaurant : « Le bourgeois, le fils à papa » ; "C'est vraiment un gamin plein aux as", "II doit être pété de tunes » ; « il préfère aller là où on lui lèche le cul'.

Il nous a été rapporté que vous tentiez de "diviser les salariés pour mieux régner" en empêchant les relations amicales entre équipiers et managers.

A ce titre, Madame [Z] rapporte : "[S] me faisait des crises de jalousie au travail lorsqu'elle apprenait que j'avais vu des personnes de Mcdo en dehors, et il fallait que je lui rende des comptes. J'étais dans l'obligation de cacher ma vie privée pour éviter toute remarque de sa part ».

Madame [I] explique à votre égard : 'Elle n'aime pas que l'on s'entende, elle essaie de nous diviser dès que l'on se rapproche ou lors des discussions sans elle. '

Plusieurs salariés nous ont également alertés concernant des remarques particulièrement déplacées de votre part sur leur physique et leurs tenues vestimentaires.

Madame [H] indique que vous critiquiez très souvent les salariés sur leurs poids ou leur situation.

Monsieur [W] rapporte que vous avez qualifié l'apparence physique de Monsieur [B], agent d'entretien au sein du restaurant, de « négligée et repoussante ».

Monsieur [B] confirme que vous lui aviez reproché d'être sale, mal rasé et mal coiffé.

Les témoignages en notre possession rapportent également que vous avez tenu les propos suivants à l'égard de vos subordonnés. :

- « Elle devrait mettre de l'anticerne, parce que là ce n 'est pas terrible. » ;

- « Elle a encore grossi. Elle va encore craquer son pantalon. Elle vient manger au McDo même quand elle ne bosse pas, elle est assez grosse comme ça. ». ;

- « Elle a encore grossi, son maquillage est trop voyant ». ;

- « Il est paresseux, il manque d'hygiène »

- " Ce n 'est pas possible de manger comme ça, il ne faut pas qu'elle s'étonne d'être énorme'.

- « Tu as vu les chemises qu'elle porte, elles sont plus horribles les unes que les autres »

Il n'est pas nécessaire de vous préciser à quel point ces salariés se sont sentis humiliés par votre attitude et par de tels propos.

Cela est d'autant plus inacceptable que certains de vos propos ont été tenus pendant le service et alors même que vos subordonnées servaient des clients !

Nous vous rappelons que notre clientèle est essentiellement constituée de familles et d'enfants, ce qui rend d'autant plus inadmissible une telle attitude sur le lieu de travail !

Vous aviez parfaitement conscience des conséquences de vos actes sur la santé physique et mentale de vos subordonnés puisque vous vous en vantiez.

En effet, plusieurs salariés dont Madame [I] attestent que vous vous vantiez de « défoncer » ou « « engueuler » les salariés.

Madame [H] et Madame [Z] attestent que : « elle se faisait une fierté de dire qu'elle avait défoncé un équipier envers les mangers. Ou alors demandait à I'équipe de gestion de le faire pour ne pas passer pour la méchante ».

Enfin, Madame [C] atteste des faits suivants : « Madame [K] a convoqué une équipière,

Madame [E] dans le bureau des managers. A sa sortie du bureau, Madame [E] avait les yeux mouillés, c'est alors que Madame [K] est venue me voir pour se vanter, sourire aux lèvres de l'avoir « défoncée ».

Vous étiez d'autant plus informée de la situation que certains salariés sortaient en pleurant de votre bureau.

Pire encore, vous avez indiqué à Madame [C] que vous aviez trié les salariés qui devaient répondre au questionnaire de satisfaction au sein de l'entreprise afin d'obtenir de bons résultats.

Vous avez donc sélectionné les équipiers qui « ne poseraient pas de problèmes » selon vos termes. Outre la déloyauté dont vous avez fait preuve, cela démontre que vous aviez parfaitement conscience du climat dégradé au sein du restaurant engendré par votre comportement néfaste.

Force est de constater que vous vous désintéressez manifestement des répercussions causées par votre comportement sur les conditions de travail de vos subordonnés.

Une telle attitude est dès lors révélatrice du peu de considération que vous accordez à votre place au sein de notre entreprise.

* Sur la pression subie par les salariés et la peur des représailles

Les témoignages en notre possession révèlent des critiques constantes de votre part sur le travail des salariés.

Vous n'hésitiez pas à mettre en difficulté certains salariés sur le terrain afin de pouvoir ensuite reprocher les erreurs commises.

Madame [F] rapporte que vous avez demandé à une salariée de "se bouger un peu" puis vous avez "pouffé de rire" en constatant qu'elle perdait ses moyens.

Madame [C] affirme également que vous aviez pour habitude quotidienne de lui énumérer les erreurs commises par Madame [I]. Madame [C] s'est plainte de votre comportement consistant à mettre constamment en cause ses compétences dans l'exécution de ses fonctions, et à la dénigrer ouvertement, ceci outrepassant la liberté d'expression et caractérisant des agissements répétés de harcèlement moral.

Madame [J] rapporte que vous étiez constamment en train de contrôler son travail.

Elle rapporte également que vous n'aidiez jamais pendant les rushs.

Madame [T] fait état des faits suivants :

'Ce midi là, il y a eu beaucoup de monde et il y avait des équipiers absents, j'ai fait de mon mieux pour bien travailler, je faisais plusieurs tâches à la fois. [S] [K] m'arrachait à chaque fois les commandes de ma main en me disant que je ne faisais pas bien mon travail, elle m'a très mal parlé devant tous les clients et m'a mise en stress en me répétant que je n'ai pas bien fait l'open et le remplissage du comptoir. Je me suis sentie épuisée, je me suis dirigée aux toilettes des clients ou je me suis mise à pleurer. '

Monsieur [B] rapporte : « [S] [K] n'hésitait pas à m'engueuler sévèrement devant les équipiers et les clients ce qui me mettaient très mal à l'aise et a provoqué un manque de confiance en moi ».

Les salariés rapportent également que leur travail n'est jamais assez bien selon vous et qu'ils ne reçoivent aucun encouragement de votre part.

A ce titre, Madame [C] atteste que lorsqu'elle a félicité une salariée, vous lui avez indiqué que vous ne souhaitiez pas qu'elle félicite et encourage ses équipes afin qu'ils ne se sentent pas indispensables.

Cela est particulièrement grave dans la mesure ou la reconnaissance positive contribue au développement des compétences professionnelles et améliore le climat social au sein de l'entreprise.

En conséquence, les salariés se sont sentis stressés de travailler en votre présence.

Pire encore, les témoignages révèlent la crainte des salariés de subir des représailles de votre part en cas d'erreurs.

A ce titre, Madame [H] indique « lorsqu' [S] était présente sur le terrain, il y avait très souvent une ambiance malsaine, on ressentait tous de la pression de sa part.... Personne n'a le courage de lui dire les choses, de lui tenir tête à cause des représailles ».

Madame [Z] rapporte :

- "Je suis arrivée à un stade où j'étais dans l'obligation d'aller dans son sens par peur de représailles sur mes plannings. '.

Monsieur [W] et Madame [A] rapportent un acharnement de votre part à l'égard de Monsieur [B], agent d'entretien, qui a la suite d'une erreur sur le nettoyage d'une machine, a dû subir des remarques incessantes de votre part durant toute la semaine. Vous avez qualifié son travail « d'inefficace » et Monsieur [B] de « bon à rien ».

Monsieur [B] atteste « [S] [K] m'a menacé de me virer (exemple : ça va mal finir, remet toi en question, je ne sais pas à quoi tu sers) ».

Madame [F] rapporte également les faits suivants : 'plusieurs fois, elle s'est vantée auprès de moi en disant 'j'ai défoncé [U] toute la journée, je n'ai pas arrêté mais comme je l'ai dans le pif ça ne me fait ni chaud ni froid, il n'y a que cela qu'il mérite', "de toute façon je ne peux pas me débarrasser de lui donc je ne peux que lui en mettre plein la gueule et je ne vais pas me gêner. "

Monsieur [W] indique qu'une équipière, Madame [T], a été victime de plusieurs crises d'angoisse en raison de la pression que vous lui faisiez subir.

En outre, nous avons été très surpris de constater lors de notre enquête interne, la crainte éprouvée par certains salariés de subir des représailles de votre part du fait de leur témoignage.

Enfin, les salariés rapportent votre absence totale de remise en question.

Madame [I] indique que vous lui imputiez vos propres erreurs : « elle ment, prétexte m'avoir donné des niches à faire à l'oral et insinue que j'ai des pertes de mémoire, alors qu'elle ne m 'a jamais donné quoi que ce soit. Elle cherche à me joindre en dehors de mes horaires de travail (appel ou SMS) alors que ce n 'est pas urgent ».

Cela est confirmé par Madame [H] qui indique : « [S] est une personne avec qui il est très compliqué de discuter (c'est à dire que même quand elle a tort, elle a toujours raison de par son statut). Il y a plusieurs années de cela, elle m'a dit : « si je dis noir, tu dis noir et si je dis blanc tu dis blanc ». ».

On ne peut que déplorer cette façon de manager.

Nous ne pouvons tolérer que nos salariés éprouvent un stress ou une crainte de travailler à vos côtés !

A cet effet, vous n'ignorez pas que nous sommes tenus à une obligation de sécurité de résultat envers nos salariés, laquelle a particulièrement été mise à mal par votre attitude, et ce d'autant plus que certaines de nos salariés ont éprouvé un réel sentiment de crainte a l'idée de travailler à vos côtés.

Or, l'exécution d'un travail sous une menace quelconque, relève de la facilité, et démontre, soit dit en passant, votre incapacité à occuper les missions qui vous ont été confiées autrement que par la pression et la crainte des représailles.

Vous avez fait preuve d'un comportement particulièrement déplacé et choquant pouvant recevoir la qualification pénale de harcèlement moral.»

Afin de démontrer la réalité de ce grief, l'employeur verse au débat, les pièces suivantes :

- la lettre du 7 septembre 2020 par laquelle Mme [C], adjointe de Mme [K], sollicite la rupture conventionnelle de son contrat, indiquant ne plus « être en phase avec la politique imposée par la directrice de l'entreprise, Mme [K] [S] », politique qui repose selon elle notamment sur « le mensonge, la délation, la diffamation, la terreur, le dénigrement, la manipulation, l'hypocrisie ». Mme [C] y évoque son mal être dans l'entreprise et dit être en état de dépression ;

- le compte-rendu de la « réunion exceptionnelle des membres du comité social et économique dans le cadre de la prévention d'agissements confinant au harcèlement moral dénoncés par Mme [C] [X] » du 18 septembre 2020. Dans la colonne « réponse », les représentants du personnel ont indiqué qu'il ressortait de l'enquête notamment « une discrimination à l'embauche, un refus de communication avec les équipiers, un sentiment de mal-être en la présence de la directrice (harcèlement, critiques), critiques répétées sur l'ensemble des salariés générant une mauvaise ambiance (sur le physique, sur l'orientation sexuelle des employés) » ;

- les attestations des salariés mentionnés dans la lettre de licenciement (pièces n° 8 à 31).

Ces vingt-trois attestations concordantes présentent des garanties suffisantes et emportent la conviction de la cour. Si certaines sont un peu vagues, d'autres énoncent des faits et propos précis tenus par Mme [K], par exemple sur le physique des salariés.

Mme [K] conteste la réalité de ce grief. A cet égard, elle soutient en substance (conclusions, p. 12 et 13) :

- que, comme l'a relevé le conseil de prud'hommes, tous les éléments de l'employeur découlent du seul courrier de Mme [C], aucun autre fait n'étant nouveau ;

- que Mme [C] ne fait état d'aucune contrainte ciblée sur sa personne ;

- que l'enquête menée n'a pas été contradictoire et que l'employeur n'a choisi de se placer sur le terrain du harcèlement moral que pour échapper à la contrainte de rapporter la preuve de faits constitutifs d'une faute grave ;

- que le compte rendu du comité social et économique n'a aucune valeur probante car il fait référence à des éléments postérieurs à la réunion.

Elle remet également en cause la valeur probante des attestations produites par l'employeur, estimant que les salariés ont témoigné soit pour « faire plaisir » à l'employeur (pages 26 et 28 de ses conclusions), en échange de faveurs (pages 24 à 26 et page 29 de ses conclusions), par esprit de revanche (pages 20,22 et 23 de ses conclusions) ou simplement par volonté de lui nuire (pages 21, 22, 24 de ses conclusions).

Elle considère en outre que les témoignages sont flous ou tardifs, ne permettant pas d'y répondre utilement (pages 22, 23 et 31 de ses conclusions). Elle souligne que certains salariés qui se plaignent de son comportement ont pourtant affiché une certaine sympathie envers elle (pages 22, 23 et 26 de ses conclusions). Elle soutient également que la dépression évoquée par certains salariés ne résulte que de leur vie personnelle et n'a aucun lien avec le travail (notamment page 28 de ses conclusions).

Elle produit enfin les attestations de trois salariés exposant qu'ils n'ont jamais rencontré de difficultés avec elle dans le cadre du travail.

Cependant, quand bien même tous les griefs reprochés par l'employeur au soutien du licenciement de Mme [K] auraient été mentionnés dans le courrier de Mme [C], l'employeur produit de nombreuses pièces pour en établir la réalité. La preuve de la faute de Mme [K] ne repose donc nullement sur le seul écrit de Mme [C].

En tout état de cause, l'employeur n'a nullement l'obligation de remettre au salarié et aux membres du conseil de discipline, l'intégralité d'un rapport d'enquête interne diligentée pour établir la matérialité des faits reprochés au salarié, dès lors qu'il communique un dossier contenant les éléments suffisamment précis pour permettre un débat contradictoire (Soc., 27 novembre 2024, pourvoi n° 23-11.720, publié et Soc., 18 juin 2025, pourvoi n° 23-19.022, FS-B.).

S'agissant du caractère contradictoire de l'enquête, dans le cadre d'une enquête pour harcèlement moral, il n'est pas imposé à l'employeur d'entendre le salarié faisant l'objet de l'enquête. Il convient de souligner que si l'entretien du 1er octobre 2020, visant à recueillir les observations de Mme [K], a été annulé, un entretien préalable au licenciement a été fixé au 10 octobre 2020, permettant ainsi à Mme [K] l'occasion de présenter des éléments de réponse à l'employeur. Surtout, les éléments de preuve produits par l'employeur, et notamment les attestations qu'il verse aux débats, peuvent être discutés dans le cadre de la présente procédure prud'homale. La salariée conteste ainsi ces éléments de preuve qui lui sont opposés et produit d'autres éléments au soutien de sa thèse (conclusions, p. 16 à 31).

Par ailleurs, le compte rendu de la réunion du comité social et économique n'est qu'un résumé de l'enquête menée par les représentants. Il est corroboré par les nombreux témoignages produits au débat judiciaire.

En outre, les arguments soulevés par Mme [K] ne contredisent pas utilement les faits relatés dans les attestations. Certains faits ou propos tenus, notamment ceux relatifs au physique des salariés, sont précis et ne peuvent nullement être justifiés par des considérations liées à l'exercice de la prestation de travail. A titre d'exemple, M. [L], agent de maintenance, atteste que Mme [K] le réprimandait en permanence, qu'elle le traitait de « bon à rien » et lui reprochait d'être « sale, mal rasé, mal coiffé », ce qui a conduit à la démission du salarié (pièce n° 11 de l'employeur). Mme [F] témoigne également que Mme [K] lui aurait dit, à propos d'une autre salariée, « c'est pas possible de manger comme ça faut pas qu'elle s'étonne d'être énorme » (pièce n° 13 de l'employeur).

Il apparaît de plus peu crédible qu'un nombre si important de salariés aient accepté de fournir de faux témoignages dans le seul but de nuire à Mme [K] ou d'obtenir des faveurs de l'employeur.

Il est enfin inopérant que certains salariés ayant témoigné contre Mme [K] aient pu se montrer sympathiques dans des messages privés, étant au surplus rappelé que certains font état dans leurs attestations d'une crainte de représailles.

Il y a donc lieu de retenir que la société Wilag rapporte la preuve du comportement harcelant de Mme [K] envers ses subordonnés, se matérialisant notamment par des remarques inappropriées, des reproches infondés et/ou vexatoires ainsi qu'un ton agressif. Ses agissements répétés présentaient pour ses subordonnés un caractère humiliant et dégradant.

Les faits relatifs au comportement harcelant de la salariée et énoncés dans la lettre de licenciement sont donc matériellement établis.

Sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs énoncés dans la lettre de licenciement, il y a lieu de considérer qu'en dépit de l'ancienneté de la salariée, les agissements de Mme [K] à l'encontre de ses subordonnés rendaient impossible son maintien dans l'entreprise.

Par voie d'infirmation du jugement, il y a lieu de dire que le licenciement repose sur une faute grave et de débouter Mme [K] de ses demandes d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis et d'indemnité d'ancienneté. La mise à pied prononcée à titre conservatoire étant justifiée, Mme [K] est également déboutée de sa demande de rappel de salaire à ce titre. Il n'y a pas lieu d'ordonner le remboursement par la société Wilag aux organismes concernés des indemnités chômage versées à Mme [K].

- Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par l'employeur

Sur le fondement des articles 1240 du Code civil et 32-1 du code de procédure civile, l'employeur demande la condamnation de Mme [K] à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive. Il soutient à cet égard que Mme [K] a intenté une action sans la moindre preuve de son bien-fondé.

Au soutien de sa contestation du licenciement Mme [K] a toutefois produit, à hauteur d'appel, 33 pièces, parfois au soutien de la contestation d'autres griefs formulés à son encontre, tels que des courriers adressés à la préfecture demandant l'embauche d'un salarié étranger (pièce n°15), des attestations de salariés en sa faveur (pièces n° 20 à 22), des relevés de températures d'aliments (pièce n° 24), des conversations SMS avec certains salariés (pièces n° 25 à 30).

La société Wilag ne rapporte pas la preuve de ce que Mme [K] aurait fait un usage abusif de son droit d'agir en justice ou aurait commis une faute dans la conduite des procédures de première instance et d'appel.

Il y a dès lors lieu de la débouter de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive. Le jugement est confirmé de ce chef.

- Sur les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Par voie d'infirmation du jugement, il y a lieu de condamner Mme [S] [K] à supporter les dépens de première instance et d'appel.

L'équité ne recommande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe et en dernier ressort ;

Confirme le jugement rendu le 20 juillet 2023, entre les parties, par le conseil de prud'hommes d'Orléans, en ce qu'il a débouté la SARL Wilag de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

L'infirme sur le surplus des dispositions soumises à la cour ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

Dit que le licenciement de Mme [S] [K] repose sur une faute grave ;

Déboute Mme [S] [K] de ses demandes d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité d'ancienneté et de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire ;

Dit n'y avoir lieu à ordonner le remboursement par la SARL Wilag aux organismes concernés des indemnités chômage versées à Mme [S] [K] ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [S] [K] aux dépens de première instance et d'appel.

Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre et par le greffier

Odalene DE AZEVEDO ALCANTARA Alexandre DAVID

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