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Décisions

CA Amiens, 1re ch. civ., 30 septembre 2025, n° 21/05247

AMIENS

Arrêt

Autre

CA Amiens n° 21/05247

30 septembre 2025

ARRET



[J] veuve [I]

C/

S.E.L.A.R.L. PERIN [G]

AF/BT/SB

COUR D'APPEL D'AMIENS

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU TRENTE SEPTEMBRE

DEUX MILLE VINGT CINQ

Numéro d'inscription de l'affaire au répertoire général de la cour : N° RG 21/05247 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IIL3

Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU PRESIDENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE SAINT-QUENTIN DU TREIZE MARS DEUX MILLE QUATORZE

PARTIES EN CAUSE :

Madame [D] [J] veuve [I]

née le 16 Mars 1940 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Pierre LOMBARD, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN

APPELANTE

ET

S.E.L.A.R.L. PERIN [G], Mandataire Judiciaire, ès-qualités de liquidateur judiciaire de HOTEL DE [Localité 6], fonctions auxquelles elle a été nommée aux termes d'un jugement de liquidation judiciaire rendu par le Tribunal de Commerce de SAINT QUENTIN en date du 25/10/2019

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Audrey D'HAUTEFEUILLE, avocat au barreau d'AMIENS

Ayant pour avocat plaidant la SCP BEJIN-CAMUS, avocats au barreau de SAINT-QUENTIN

INTIMEE

DÉBATS & DÉLIBÉRÉ :

L'affaire est venue à l'audience publique du 03 juin 2025 devant la cour composée de Mme Agnès FALLENOT, Présidente de chambre, Présidente, Mme Anne BEAUVAIS et Mme Emilie DES ROBERT, Conseillères, qui en ont ensuite délibéré conformément à la loi.

A l'audience, la cour était assistée de Mme Blanche THARAUD, greffière.

Sur le rapport de Mme Agnès FALLENOT et à l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré et la présidente a avisé les parties de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 septembre 2025, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

PRONONCÉ :

Le 30 septembre 2025, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Agnès FALLENOT, Présidente de chambre et Mme Sarah BOURDEAUDUCQ, greffière placée.

*

* *

DECISION :

La société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] était propriétaire d'un fonds de commerce de restauration-hôtellerie exploité à [Localité 7], [Adresse 4], sous l'enseigne Hôtel-restaurant de [Localité 6], dans un immeuble qui lui avait été donné à bail par Mme [J] veuve [I] (Mme [I]) par acte du 3 octobre 1992, renouvelé par actes des 22 juillet 2003 et 9 juillet 2009.

Aux termes du dernier renouvellement, le loyer annuel avait été fixé à la somme de 11 004 euros, avec indexation sur l'indice trimestriel du coût de la construction publié par l'institut national de la statistique et des études économiques.

Par procès-verbaux des 21 novembre 2011 et 10 février 2012, la commission communale de sécurité de la ville de [Localité 7] a émis un avis défavorable à la poursuite de l'exploitation de l'hôtel-restaurant jusqu'à la réalisation d'une liste de travaux de mise en conformité.

En octobre 2012, suite aux réclamations de la preneuse concernant des infiltrations, Mme [I] a fait procéder à la réfection de la couverture de l'extension à usage de cuisine.

Alléguant l'inexécution des travaux de mise en conformité par la bailleresse et l'insuffisance des travaux de couverture, la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] l'a assignée, par acte du 11 décembre 2012, en exécution forcée.

Par jugement rendu le 13 mars 2014, le tribunal judiciaire de Saint Quentin a :

- condamné Mme [I] à payer à la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] les sommes suivantes :

- 26 311,64 euros hors taxes au titre des travaux de remise en conformité,

- 16 158,30 euros hors taxes au titre des travaux de couverture et de reprise des désordres consécutifs aux infiltrations,

avec intérêts au taux légal et capitalisation annuelle des intérêts,

- 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [I] aux dépens ;

- rejeté les autres demandes.

Par déclaration du 22 mai 2014, Mme [I] a relevé appel de cette décision.

L'instance a été enregistrée sous le numéro de répertoire général 14/2536.

A l'issue d'une visite périodique, la commission communale de sécurité de la ville a constaté la persistance d'irrégularités, et par arrêté notifié le 22 juin 2016, le maire a ordonné la fermeture au public de la partie hôtel de l'établissement, avant d'autoriser sa réouverture le 4 juillet 2017.

Dans l'intervalle, par arrêt rendu le 5 janvier 2017, la cour d'appel d'Amiens a ordonné une mesure d'expertise aux fins d'évaluation du coût des travaux de toiture et de mise en conformité.

L'expert a rendu son rapport le 31 août 2017.

Courant janvier 2018, la toiture du bâtiment s'est partiellement effondrée.

Le 3 avril 2019, l'affaire a été radiée du rôle des affaires en cours.

Le 3 juin 2019, la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] a été placée en redressement judiciaire. Cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire le 25 octobre 2019, la société Périn [G] étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

Mme [I] a déclaré ses créances de loyers, primes d'assurance et taxe foncière les 15 juillet et 3 décembre 2019.

Les clefs du local ont été restituées et un procès-verbal d'état des lieux de sortie a été dressé le 6 janvier 2020.

Le 20 octobre 2021, après reprise de l'instance sous le numéro de répertoire général 21/2207, l'affaire a de nouveau été radiée, puis l'instance a été reprise à la suite de la remise de conclusions le 27 octobre 2021 sous le numéro de répertoire général 21/5247.

Par conclusions du 25 février 2022, Mme [I] a principalement demandé à la cour de :

- infirmer le jugement,

- déclarer irrecevables les demandes de réalisation des travaux et les demandes nouvelles en cause d'appel de réparation du préjudice financier,

- débouter la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] de ses demandes,

- subsidiairement, limiter la condamnation à la somme de 8 977,08 euros TTC, sous réserve que la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] produise préalablement l'attestation d'assurance RC décennale de MSIA pour les travaux de menuiserie,

- fixer au passif de la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] la somme de 45 527,95 euros à titre privilégié.

Par conclusions du 1er mars 2022, la société Périn [G], ès qualités, a principalement demandé à la cour de :

- condamner Mme [I] à lui payer :

- 6 240 euros TTC correspondant aux travaux de reprise des fuites constatées dans la cuisine,

- 15 000 euros correspondant au trouble de jouissance du fait du retard dans l'exécution des travaux,

- 5 000 euros correspondant au trouble de jouissance du fait de l'effondrement de la toiture,

- 42 698,26 euros correspondant au coût des travaux de mise aux normes ou à tout le moins 27 449,71 euros,

- 205 200 euros en réparation de son préjudice financier,

- ordonner la capitalisation annuelle des intérêts,

- débouter Mme [I] de sa demande de fixation de sa créance au passif de la liquidation.

Par arrêt rendu le 6 décembre 2022, la présente cour :

- a déclaré recevables les demandes de la société Périn [G], ès qualités,

- a confirmé le jugement en ce qu'il a reconnu la créance d'exécution des travaux de mise en conformité, ordonné la capitalisation annuelle des intérêts, et en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles,

- l'a infirmé pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

- a constaté que la demande en avance du coût des travaux de toiture était devenue sans objet,

- a condamné Mme [I] à payer à la société Périn [G], ès qualités, la somme de 10 076,47 euros en réparation des troubles de jouissance causés par les infiltrations, avec intérêts au taux légal à compter de son arrêt et capitalisation annuelle des intérêts dans les conditions prévues à l'article 1343-2 du code civil,

- a condamné Mme [I] à payer à la société Périn [G], ès qualités, la somme de 12 033,76 euros en remboursement du coût des travaux de mise en conformité, avec intérêts au taux légal à compter du 13 mars 2014 et capitalisation annuelle des intérêts dans les conditions prévues à l'article 1343-2 du code civil,

Avant-dire droit sur le préjudice financier,

- a ordonné une mesure de consultation confiée à M. [V] [F] ;

- a fixé au passif de la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] une créance de Mme [I] d'un montant de 45 527,95 euros au titre des loyers, primes d'assurance et taxes foncières,

- a réservé les dépens et les frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

La juridiction a notamment retenu que :

- le bail mettait à la charge de la bailleresse les travaux de réfection des couvertures et de mise en conformité, et que Mme [I] avait manqué à ses obligations d'assurer le clos et le couvert et de délivrer la chose louée dans un état conforme à son usage contractuellement prévu d'hôtel-restaurant ;

- la preneuse à bail devait être indemnisée de son trouble de jouissance dû aux infiltrations et à l'effondrement du plafond, ainsi que des travaux de mise en conformité engagés en lieu et place de la bailleresse ;

- les pièces produites n'étaient pas suffisantes pour fixer le préjudice financier de pertes d'exploitation causé par la fermeture de la partie hôtel de l'établissement du 22 février 2016 au 4 juillet 2017.

M. [F] a rendu son rapport le 15 janvier 2024.

PRETENTIONS DES PARTIES

Par conclusions notifiées le 21 janvier 2025, Mme [I] demande à la cour de :

Infirmer le jugement entrepris,

Inscrire au passif de la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] la somme de 45 527,95 euros à titre privilégié.

Débouter la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] de ses « moyens, fins et conclusions »,

Dire irrecevables toutes les demandes nouvelles en cause d'appel sur des préjudices financiers non sollicités en première instance,

Dire irrecevables les demandes de réalisation de travaux qui sont impossibles puisque la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] est en liquidation judiciaire,

Vu le pourvoi Q 2418808 contre l'arrêt du 6 décembre 2022.

Surseoir à statuer dans l'attente de la reddition de l'arrêt de la Cour de cassation.

Vu le défaut de respect du contradictoire,

Ecarter le rapport de M. [F],

Ecarter l'ensemble de la comptabilité et des comptes sociaux de la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6], comme ne présentant pas les caractères sincères et véritables requis par la loi.

Débouter la SELARL Périn [G], ès qualités, de sa demande de préjudice financier.

Ordonner toute compensation.

Subsidiairement,

Dire qu'elle ne peut être tenue pour plus de 8 977,08 euros TTC, sous réserves que la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] produise préalablement l'attestation d'assurance RC décennale de MSIA pour les travaux de menuiserie,

Condamner la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] à lui payer 6 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Pierre Lombard.

Par conclusions notifiées le 27 janvier 2025, la société Périn [G], ès qualités, demande à la cour de :

1°) Juger que les demandes ne ressortant pas directement de ce qui a trait à l'évaluation des pertes d'exploitation de la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] pour la période du 22 février 2016 au 4 juillet 2017, devront être purement et simplement rejetées ;

Débouter par voie de conséquence Mme [I] des demandes qui suivent :

- infirmer le jugement entrepris,

- inscrire au passif de la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] la somme de 45 727,95 euros à titre privilégié,

- débouter la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] de ses « moyens, fins et conclusions »,

- dire irrecevable toutes les demandes nouvelles en cause d'appel sur des préjudices financiers non sollicités en première instance,

- dire irrecevables les demandes de réalisation de travaux qui sont impossibles puisque la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] est en liquidation judiciaire,

- ordonner toute compensation,

- subsidiairement, dire que Madame [I] ne peut être tenue pour plus de 8 977,08 euros TTC, sous réserve que la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] produise préalablement l'attestation d'assurance RC décennale de MSIA pour les travaux de menuiseries.

2°) Dire n'y avoir lieu à ordonner un quelconque sursis à statuer dans l'attente de ce qu'il soit définitivement statué ce que de droit par la Cour de cassation sur le pourvoi formé par Mme [I] à l'encontre de l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Amiens le 6 décembre 2022, et ce avec toutes suites et conséquences de droit ;

3°) Débouter Mme [I] du moyen soulevé par ses soins et tenant au rejet ou à l'annulation du rapport d'expertise de M. [F], expert judiciaire ;

4°) Débouter Mme [I] de sa demande tendant au rejet de la comptabilité de la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6], et ce avec toutes suites et conséquences de droit ;

5°) Au fond, condamner Mme [I] au paiement de dommages intérêts d'un montant de 114 000 euros au titre de la perte d'exploitation subie par société d'exploitation hôtelière de [Localité 6], avec intérêts au taux légal à compter du 6 août 2024, date de signification des conclusions récapitulatives en appel n°2 après l'arrêt du 6 décembre 2022, et jusqu'à parfait règlement ;

Ordonner la capitalisation des intérêts dans les prévisions de l'article 1343-2 du code civil ;

6°) Condamner Mme [I] au paiement d'une indemnité de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner enfin Mme [I] aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui comprendront également les frais et honoraires de MM. [Y] et [F], l'un et l'autre experts judiciaires, et en prononcer distraction au profit de Me Audrey d'Hautefeuille.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 mai 2025.

Par message adressé le 4 juin 2025, la cour a invité les parties à lui présenter leurs observations sur la recevabilité de l'exception de sursis à statuer soulevée par Mme [I], faute d'avoir été présentée avant toute défense au fond, en application des articles 378, 73 et 74 du code de procédure civile, par une seule note en délibéré chacune à lui adresser avant le 17 juin 2025 à 14h00.

Par message adressé le 6 juin 2025, la société Périn [G] a conclu à l'irrecevabilité de l'exception sur le fondement de l'article 74 du code de procédure civile.

Par message adressé le 17 juin 2025, à 12h11, Mme [I] a répondu avoir présenté sa demande in limine litis dans un paragraphe intitulé préambule, avant de reprendre cette demande dans le dispositif de ses conclusions, indiquant que la première partie de ce dispositif n'était « pas une demande nouvelle mais le simple rappel des demandes d'origine antérieures à l'arrêt du 6 décembre 2022 ». Elle a ajouté que l'intérêt du justiciable devait prédominer, et que la Cour de cassation appréciait les atteintes disproportionnées aux droits de la défense.

MOTIFS

A titre liminaire, la cour observe que l'arrêt mixte qu'elle a rendu le 6 décembre 2022 a d'ores et déjà :

- déclaré recevables les demandes de la société Périn [G], ès qualités ;

- constaté que la demande en avance du coût des travaux de toiture était devenue sans objet ;

- statué sur le préjudice de jouissance lié aux infiltrations et le préjudice lié au coût des travaux de mise en conformité de la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] ;

- fixé au passif de la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] la créance de Mme [I] d'un montant de 45 527,95 euros au titre des loyers, primes d'assurance et taxes foncières.

Les prétentions formées par Mme [I] ainsi que les développements figurant dans ses conclusions de ces chefs sont donc dénués d'objet et il n'y sera pas répondu.

1. Sur la demande de sursis à statuer

Mme [I] rappelle qu'elle a formé un pourvoi contre l'arrêt avant-dire droit rendu par cette cour le 6 décembre 2022.

La société Périn [G], ès qualités, répond qu'il n'y a pas lieu d'envisager un quelconque sursis à statuer puisqu'il n'y va pas de l'intérêt d'une bonne administration de la justice.

Sur ce,

En application des articles 73 et 74 du code de procédure civile, constitue une exception de procédure tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours. Les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l'exception seraient d'ordre public.

Aux termes de l'article 378 du code de procédure civile, la décision de sursis suspend le cours de l'instance pour le temps ou jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle détermine.

En l'espèce, le simple examen du dispositif des conclusions de Mme [I] met en évidence que l'exception n'a pas été présentée avant toute fin de non-recevoir et défense au fond. Elle doit donc être déclarée irrecevable, l'appelante étant illégitime à invoquer une atteinte disproportionnée à ses droits de la défense, alors que l'application de cette règle, en vigueur depuis le 1er janvier 1976, était parfaitement prévisible.

2. Sur la demande de rejet de la comptabilité de la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6]

Mme [I] soutient que le gérant de la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] ne comptabilisait pas les écritures de façon correcte, et qu'il avait un compte courant structurellement débiteur depuis 2013, allant jusqu'à -75 000 euros en 2018. Il a donc commis des fautes de gestion, de sorte que la comptabilité ne peut être qualifiée de sincère et véritable. De fait, le liquidateur judiciaire a engagé une procédure en extension de la liquidation judiciaire au gérant.

Mme [I] souligne encore que le consultant a reconnu que :

- la comptabilité n'était pas tenue « selon la règle des engagements, mais à partir de la trésorerie » ;

- la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] ne comptabilisait pas les loyers dus et non payés, de sorte que les bilans étaient faux ;

- l'expert-comptable de la société avait continué à tenir une comptabilité pendant près d'une dizaine d'années avec un compte courant du gérant débiteur, ce qui constitue un délit.

La société Périn [G] répond que la procédure d'extension de la liquidation judiciaire sur le fondement des dispositions de l'article L 621-2 du code de commerce ne saurait fonder une demande de rejet de la comptabilité de la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] et justifier de son caractère insincère ou non probant, dès lors qu'elle n'a été engagée qu'en raison de l'existence d'un compte courant d'associé débiteur de son gérant. Il n'y a pas de contradiction entre le fait de dire qu'un gérant peut commettre un abus de bien social et de dire que la comptabilité est régulière, sincère et probante.

Sur ce,

Mme [I] demande à la cour de rejeter de la comptabilité de la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] dont elle conteste en réalité, non la recevabilité, mais le caractère probant, qu'il appartient à la cour d'apprécier.

Le fait que la comptabilité ait été tenue selon les règles de la trésorerie et non celle de l'engagement n'implique aucune insincérité, la différence existant entre ces deux modes de comptabilité consistant essentiellement dans le mode d'enregistrement des opérations financières : la comptabilité d'engagement enregistre les transactions dès qu'un engagement est pris, tandis que la comptabilité de trésorerie ne les enregistre qu'au moment du paiement ou de l'encaissement effectif. L'utilisation des règles de la comptabilité de trésorerie par la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] explique ainsi que les loyers dus mais impayés n'aient pas été comptabilisés.

En outre, aucune conséquence ne peut être tirée, dans le cadre de la présente procédure, du fait que le compte courant du gérant ait été débiteur, ce que les comptes n'ont d'ailleurs nullement dissimulé.

Enfin, la demande d'extension de la procédure de liquidation au gérant de la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] n'a été motivée que par l'existence de ce compte d'associé débiteur.

Mme [I] sera donc déboutée de sa demande tendant à faire écarter « l'ensemble de la comptabilité et des comptes sociaux de la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] ».

3. Sur la demande d'annulation du rapport de M. [F]

Mme [I] reproche à M. [F] de ne pas avoir pris connaissance de son dossier de plaidoirie et des pièces d'usage dans toute mission de ce type, en indiquant que sa mission stipulait d'étudier les documents fournis par la société Périn [G]. Le rapport n'a donc été établi que sur les pièces d'une partie, cette atteinte au principe du contradictoire lui faisant grief.

La société Périn [G] répond que M. [F] a scrupuleusement respecté le principe du contradictoire. Il a en effet convoqué les parties et leurs conseils, déposé un pré-rapport qu'il a transmis aux parties, pris connaissance de leurs dires et procédé au dépôt de son rapport d'expertise définitif. Elle rappelle que la partie qui allègue de l'atteinte au principe du contradictoire doit rapporter la preuve du grief que lui cause cette irrégularité

Sur ce,

Aux termes de l'article 16 du code de procédure civile, le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

Aux termes de l'article 232 du même code, le juge peut commettre toute personne de son choix pour l'éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d'un technicien.

Aux termes des articles 237 et 238 du même code, le technicien commis doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité.

Le technicien doit donner son avis sur les points pour l'examen desquels il a été commis.

Il ne peut répondre à d'autres questions, sauf accord écrit des parties.

Il ne doit jamais porter d'appréciations d'ordre juridique.

La jurisprudence a étendu à la consultation les obligations prévues pour l'expertise s'agissant du respect du principe du contradictoire. Il en résulte que le consultant doit convoquer les parties, recueillir leurs observations, et mentionner dans son avis les suites données à ces observations.

L'inobservation de ces formalités n'entraîne cependant la nullité qu'à charge pour la partie qui l'invoque de prouver le grief que lui cause cette irrégularité.

En l'espèce, Mme [I] se contente de reprocher à M. [F] de ne pas avoir pris connaissance de ses pièces.

Or il s'impose de constater que la cour a confié à ce dernier la mission de :

- analyser les documents comptables fournis par la Selarl Périn [G],

- évaluer les pertes d'exploitation de la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] pour la partie 'hôtel' uniquement, cela du 22 février 2016 au 4 juillet 2017,

- faire toutes observations utiles au règlement du litige.

Elle ne démontre aucunement que si le technicien avait pris connaissance de ses pièces, ses conclusions auraient pu être différentes. En effet, il est patent qu'aucune des pièces figurant dans son dossier de plaidoiries ne constituait un élément susceptible de lui être utile dans la réalisation de sa mission, qui consistait uniquement à évaluer les pertes d'exploitation de la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] pour la partie 'hôtel' du 22 février 2016 au 4 juillet 2017.

Mme [I] ne justifie donc avoir souffert d'aucun grief.

Il convient donc de la débouter de sa demande d'annulation de la consultation.

4. Sur la demande indemnitaire de la société Périn [G], ès qualités, au titre du préjudice financier de la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6]

Mme [I] soutient que le préjudice ne peut être supérieur à la baisse éventuelle du bénéfice entre d'une part les périodes antérieures, d'autre part la période de fermeture. Elle ajoute que la période de fermeture retenue par le consultant est inexacte, puisque le gérant a reconnu avoir ouvert pendant la période de fermeture administrative, et que le mode de calcul du préjudice est erroné, puisque le consultant s'est basé sur une simple estimation de la part de la partie hébergement dans le chiffre d'affaires.

La société Périn [G], ès qualités, demande que le rapport de M. [F] soit entériné.

Sur ce,

Il sera observé à titre liminaire que c'est à bon droit que M. [F] a déterminé la perte d'exploitation de la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] à raison de la marge brute non réalisée sur la période donnée, et non de la baisse de son bénéfice. En effet, la perte de marge brute prend en compte le fait qu'à l'occasion de la réduction ou de l'arrêt de l'activité, les frais fixes (loyers, salaires, amortissements') restent inchangés. La perte d'exploitation correspond donc à la marge brute non réalisée en ce qu'elle sert à continuer à couvrir les charges fixes et à reconstituer le bénéfice espéré mais non réalisé. Il s'agit donc bien de l'indicateur pertinent pour chiffrer une perte d'exploitation, contrairement à ce que plaide Mme [I].

Les documents comptables transmis au consultant lui ont permis de reconstituer le chiffre d'affaires de l'activité hôtelière de la société et Mme [I] ne peut se contenter d'affirmer péremptoirement que les calculs effectués par l'homme de l'art pour reconstituer la partie hébergement dans les ventes comportant une partie de restauration en plus de la location des chambres d'hôtel (« ventes pension » et « ventes demi-pension ») sont erronés, sans le démontrer ni proposer aucune alternative argumentée aux quotes-parts retenues par ce dernier.

Sur ces bases parfaitement cohérentes, il convient de retenir, pour calculer le chiffre d'affaires qui aurait été réalisé par la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] pendant la période de fermeture de la partie hôtel de son établissement, son chiffre d'affaires mensuel moyen constaté sur l'année 2015, qui a précédé la fermeture. En effet, le caractère atypique du chiffre d'affaires réalisé en 2014 exclut que soit retenu le chiffre d'affaires mensuel moyen des quatre derniers exercices.

Le chiffre d'affaires mensuel moyen constaté sur l'année 2015 s'élève à 7 025 euros, ce qui représente un chiffre d'affaires perdu pendant la période de fermeture de 112 392 euros.

Si, ainsi que le note M. [F], entre le 22 février 2016 et le 4 juillet 2017, la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] a comptabilisé des allocations reçues de la CAF en chiffres d'affaires hôtel, il ne peut être déduit de ce seul élément que l'établissement est resté ouvert pendant la période de fermeture de sa partie « hôtel ». En réalité, il est seulement établi la présence de locataires jusqu'au 26 février 2016, le gérant de la société ayant expliqué à l'occasion de son audition du 26 mai 2016 leur avoir laissé un délai pour trouver un autre logement. Une occupation sur une durée aussi brève n'est pas de nature à avoir une incidence sérieuse sur l'évaluation de la perte d'exploitation de la société.

Enfin, la prise en compte des charges directement liées à l'activité hôtelière, en fonction des éléments fournis, a permis à M. [F] de déterminer que la société réalisait un taux de marge brute compris entre 94,9% en retenant seulement les charges de blanchisserie et les taxes de séjour, ou de 87,6%, en retenant également les charges d'énergie, étant rappelé que l'expert-comptable de la société avait établi une attestation selon laquelle le taux de marge brute de l'activité hôtelière de la société était de 91,2%, en parfaite concordance avec l'estimation retenue par le consultant. C'est donc ce taux de 91,2% qui sera retenu.

Au regard de ces éléments, le préjudice d'exploitation de la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] peut être fixé à 102 500 euros (112 392 euros x 91,2%).

Mme [I] est déboutée de sa demande tendant à voir dire qu'elle ne peut être tenue pour plus de 8 977,08 euros TTC, sous réserves que la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] produise préalablement l'attestation d'assurance RC décennale de MSIA pour les travaux de menuiserie.

4.3. Sur la compensation

Aux termes de l'article L622-7 I- du code de commerce, le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception du paiement par compensation de créances connexes. Il emporte également, de plein droit, interdiction de payer toute créance née après le jugement d'ouverture, non mentionné au I de l'article L622-17 du code de la consommation.

La connexité suppose que les deux créances aient un fondement de même nature et qu'elles soient réciproques et certaines. Il n'est cependant pas nécessaire qu'elles soient liquides ou exigibles et il importe peu que la créance soit née avant ou après la procédure.

La compensation pour dettes connexes peut être prononcée dès lors que le créancier a déclaré sa créance.

En l'espèce, Mme [I], débitrice de sa locataire au titre de sa perte d'exploitation, a déclaré sa créance pour un total de 45 527,95 euros, somme que la cour a d'ailleurs fixé au passif de la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] au titre de sa créance au titre des loyers, primes d'assurance et taxes foncières.

S'agissant bien de créances réciproques et certaines, nées des manquements des parties au même contrat de bail, la compensation trouve à s'appliquer.

En conséquence, la créance de la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6], d'un montant de 102 500 euros, doit se compenser avec la créance de Mme [I], d'un montant de 45 527,95 euros TTC, à concurrence de la plus faible d'entre elles.

Par suite, le solde de la créance de la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] s'élève après compensation à 56 972,05 euros, somme que Mme [I] sera condamnée à payer à la société Périn [G], ès qualités, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et capitalisation annuelle des intérêts dans les conditions prévues à l'article 1343-2 du code civil.

5. Sur les demandes accessoires

En application des articles 696 et 699 du code de procédure civile, il convient de condamner Mme [I] aux dépens d'appel, comprenant les frais de consultation judiciaire, avec droit de recouvrement direct au bénéfice de Me d'Hautefeuille.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, Mme [I] sera par ailleurs condamnée à payer à la société Périn [G] la somme indiquée au dispositif du présent arrêt et déboutée de sa propre demande au titre de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par mise à disposition au greffe, après débats publics, par arrêt contradictoire, en dernier ressort,

Déclare irrecevable l'exception de sursis à statuer élevée par Mme [D] [J] veuve [I] ;

Déboute Mme [D] [J] veuve [I] de sa demande tendant à faire écarter l'ensemble de la comptabilité et des comptes sociaux de la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] ;

Déboute Mme [D] [J] veuve [I] de sa demande tendant à faire annuler le rapport de consultation déposé par M. [V] [F] ;

Fixe le préjudice financier de la société d'exploitation hôtelière de [Localité 6] à 102 500 euros ;

Condamne, après compensation entre la créance de la locataire au titre de son préjudice financier et la créance de la bailleresse au titre des loyers impayés, Mme [D] [J] veuve [I] à payer à la société Périn [G], ès qualités, la somme de 56 972,05 euros, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et capitalisation annuelle des intérêts ;

Condamne Mme [D] [J] veuve [I] aux dépens d'appel, comprenant le coût de la consultation de M. [V] [F] ;

Accorde le bénéfice du recouvrement direct à Me d'Hautefeuille, et déboute Me [X] de sa demande en ce sens ;

Condamne Mme [D] [J] veuve [I] à payer à la société Périn [G], ès qualités, la somme de 3 000 euros au titre de ses frais irrépétibles ;

Déboute Mme [D] [J] veuve [I] de sa propre demande de ce chef.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

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