CA Paris, 4e ch. - A, 3 mai 2006, n° 05/00476
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
O...
Défendeur :
L'INA INSTITUT NATIONAL DE L'AUDIOVISUEL
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. CARRE-PIERRAT
Conseillers :
Mme MAGUEUR, Mme ROSENTHAL-ROLLAND
Avocats :
SCP VERDUN - SEVENO, Me Chantal BODIN-CASALIS, Me Anne-Lise RIVIERE
Vu l'appel interjeté, le 8 décembre 2004, par Bruno G., alias ORLANDO, d'un jugement rendu le 12 novembre 2004 par le tribunal de grande instance de Paris qui, l'ayant déclaré recevable en ses prétentions à l'encontre de L'INSTITUT NATIONAL DE L'AUDIOVISUEL (ci-après l'INA), les a déclarées mal fondées et condamné à verser à l'INA la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 27 mars 2006, aux termes desquelles Bruno G., alias ORLANDO, poursuivant l'infirmation du jugement déféré, demande à la Cour de :
* constater que l'utilisation faite sans son autorisation, en qualité de légataire universelle de l'artiste interprète DALIDA de la chanson POUR NE PAS VIVRE SEUL interprétée par DALIDA dans l'émission CADET ROUSSELLE du 26 décembre 1972 est illicite et contrefaisante, en application des articles L. 212-2 et L.212-3 du Code de la propriété intellectuelle,
* faire interdiction à l'INA d'exploiter les oeuvres de DALIDA sous astreinte de 300 euros par interdiction constatée après un délai de 15 jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir pour tout vidéogramme ou produit dérivé sans son autorisation préalable,
* juger que les utilisations dérivées s'entendent de toute utilisation par extraits des émissions de télévision, qu'ils soient incorporés dans une oeuvre composite nouvelle ou sur d'autres supports,
* condamner l'INA à lui verser les sommes suivantes :
¤ 10.000 euros au titre de l'atteinte au droit moral,
¤ 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte au droit patrimonial d'exploitation de l'artiste-interprète,
* condamner l'INA à lui restituer la commission de 20 % indûment prélevée,
* ordonner la publication du jugement à intervenir par extrait dans 5 journaux dont 2 revues professionnelles, aux frais de l'INA, le coût de chaque insertion ne pouvant être inférieur à 4.000 euros,
* condamner l'INA à lui verser la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel ;
Vu les ultimes conclusions, en date du 27 mars 2006, par lesquelles L'INSTITUT NATIONAL DE L'AUDIOVISUEL, poursuivant la confirmation du jugement déféré, demande à la Cour d'y ajouter la condamnation de Bruno G., alias ORLANDO, à lui verser une somme de 8.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens ;
Motifs
SUR CE LA COUR :
#1 artiste interprète
Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il suffit de rappeler que :
* Bruno G., alias ORLANDO, frère de la chanteuse DALIDA, est son légataire universel,
* DALIDA a participé à une émission télévisée intitulée CADET ROUSSELLE, réalisée par Bernard L. et diffusée le 26 décembre 1972,
* l'INA vient, par l'effet des lois des 29 juillet 1982 et 30 septembre 1986, aux droits de l'ORTF pour l'émission précitée qu'elle a produite et diffusée et dans le cadre de laquelle l'artiste interprète a, conformément à la lettre d'engagement signé le 21 décembre 1972, réalisé une exécution muette de la chanson POUR NE PAS VIVRE SEUL, la partie sonore étant fournie par la diffusion concomitante d'un enregistrement préexistant dont l'appelant souligne qu'il en est le producteur,
* Bruno G., alias ORLANDO, a découvert qu'un coffret de 4 DVD du film 8 femmes comportait, dans un DVD intitulé Secrets de femme des émissions de télévision des années 1970 1980 au cours desquelles plusieurs chansons étaient interprétées, dont POUR NE PAS VIVRE SEUL,
#2 atteinte au droit moral
* estimant que la reproduction de cette chanson, sur le DVD précité, nécessitait son accord préalable et portait atteinte au droit moral de DALIDA en raison de la mauvaise qualité de la reproduction de l'enregistrement et de l'insertion de celui-ci dans une compilation, Bruno G., alias ORLANDO, a engagé la présente procédure à l'encontre de l'INA ;
* sur l'atteinte au droit moral de l'artiste-interprète :
#3 artiste interprète
Considérant, en droit, que selon les dispositions de l'article L. 212-2 du Code de la propriété intellectuelle,
L'artiste- interprète a le droit au respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation .
Ce droit inaliénable et imprescriptible est attaché à sa personne .
Il est transmissible à ses héritiers pour la protection de l'interprétation et de la mémoire du défunt ;
#4 enregistrement
Considérant, en l'espèce, que, en premier lieu, Bruno G., alias ORLANDO, soutient que l'INA aurait porté atteinte au droit moral de DALIDA en dénaturant l'enregistrement litigieux; que, à cet effet, il fait valoir que l'enregistrement litigieux accuserait de nombreux défauts, notamment de synchronisation de sorte que, pour préserver l'image de l'artiste, il eût été impératif de lui demander son accord préalable ;
#5 artiste interprète
Mais considérant qu'il résulte du visionnage, auquel la Cour s'est livrée, du DVD litigieux que la reproduction qui y est faite de l'interprétation par DALIDA de la chanson POUR NE PAS VIVRE SEUL n'a en rien été altérée par rapport à l'enregistrement original de sorte qu'il n'a pas été porté atteinte au droit de l'artiste-interprète au respect de son interprétation et que, sur ce point, toute référence à une autorisation préalable est inopérante ;
#6 artiste
Considérant que, en deuxième lieu, l'appelant prétend, à bon droit, que la circonstance selon laquelle l'interprétation litigieuse a été incluse, sans son autorisation, dans une compilation, porte atteinte au
droit moral de l'artiste-interprète ;
Qu'en effet, l'exploitation sous forme de compilation avec des oeuvres d'autres interprètes étant de nature à en altérer le sens, requiert une autorisation spéciale de l'artiste ou de ses ayants droits, dans la mesure où, en l'espèce, la compilation constituait un bonus du coffret DVD consacré au film HUIT FEMMES à vocation purement mercantile ;
#7 artiste
Considérant que, en troisième lieu, Bruno G., alias ORLANDO, soutient, avec pertinence, que, en application de l'article 8. 15 de la convention collective du 22 juillet 1985, modifiée par avenant du 15 avril 1986, son autorisation préalable était exigée ;
Qu'en effet, selon la disposition précitée, l'utilisation dérivée d'une émission, des photographies et prestations d'un artiste interprète effectuées à partir de cette émission sur un ou plusieurs produits est une exploitation dérivée pour laquelle l'autorisation préalable de l'artiste est nécessaire dès lors qu'il est clairement identifiable ;
Et considérant que l'utilisation faite de l'interprétation de la chanson POUR NE PAS VIVRE SEUL par DALIDA, dont il n'est pas contesté qu'elle est clairement identifiable, à titre de bonus vidéo afin d'inciter le public à acquérir le coffret DVD du film HUIT FEMMES, constitue une utilisation dérivée et non, ainsi que le soutient à tort l'INA, une utilisation secondaire ;
Qu'il convient, en outre, de relever que dans le contrat conclu, le 22 août 2002, entre l'INA et la société FILM OFFICE EDITIONS, il était mis, aux termes de l'article 7.1, à la charge de l'intimé l'obligation de recueillir les autorisations, notamment, des artistes-interprètes, de sorte que l'intimé ne saurait, dans le cadre de la présente procédure, sérieusement remettre en cause la nécessité dans laquelle il se trouvait de solliciter l'accord préalable de l'appelant ;
Qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'INA a porté atteinte au droit moral de l'artiste-interprète DALIDA, de sorte que, sur ce point, le jugement déféré sera infirmé ;
* sur l'atteinte portée aux droits patrimoniaux :
#8 chanson
Considérant qu'il est établi, d'une part, que l'INA est propriétaire de la seule prestation visuelle de DALIDA, puisque l'artiste a interprété la chanson POUR NE PAS VIVRE SEUL en play back intégral et que, d'autre part, ainsi qu'il l'a été précédemment retenu, l'utilisation faite de cette interprétation constitue une utilisation dérivée et non secondaire ;
Considérant que, par application des dispositions de l'article 8.15 de la convention collective précitée, l'INA avait donc, à l'instar du droit moral, l'obligation de demander l'autorisation préalable à toute exploitation, compte tenu des modalités mises en oeuvre dans la présente espèce, de Bruno G., alias ORLANDO ;
Que les moyens invoqués par l'INA sont donc inopérants ;
Qu'il s'ensuit que le jugement déféré sera, également sur ce point, infirmé ;
* sur la contrefaçon :
#9 qualité
Considérant que, en sa seule qualité d'ayant droit de DALIDA, qualité au demeurant non contesté, Bruno G., alias ORLANDO, est recevable à agir en contrefaçon à l'encontre de l'INA ;
Considérant que les conditions fautives, précédemment retenues, de l'exploitation de l'interprétation par DALIDA de la chanson POUR NE PAS VIVRE SEUL sont constitutives d'un acte de contrefaçon imputable à L'INA ;
Qu'il s'ensuit que le jugement déféré sera infirmé ;
*sur les mesures réparatrices :
Considérant que l'atteinte portée tant au droit moral que patrimonial par les actes de contrefaçon imputables à l'INA sera, au regard des éléments du dossier, réparé par l'octroi d'une indemnité globale de 6.000 euros ;
#10 mesures d interdiction
Considérant que pour mettre un terme aux actes illicites, il y a lieu de faire droit aux mesures d'interdiction et de publication sollicitées suivant les modalités prévues au dispositif du présent arrêt, étant toutefois précisé que ces mesures ne sauraient avoir la portée générale sollicitée par Bruno G., alias ORLANDO, mais être, en l'état, limitée qu'à la seule interprétation litigieuse ;
Considérant, enfin, qu'il y a lieu de faire droit à la demande de l'appelant relative à la restitution de la commission de 20% prélevée indûment par l'INA dès lors que, s'agissant d'une exploitation dérivée, il convient de faire application des dispositions de l'article 8.15.3 de la convention collective précitée, et non celles de l'article 8.8 de la même convention mises en oeuvre par l'intimé ;
* sur les autres demandes :
Considérant qu'il résulte du sens de l'arrêt que l'INA ne saurait bénéficier des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; que, en revanche, l'équité commande de le condamner, sur ce même fondement, à verser à Bruno G., alias ORLANDO, une indemnité de 5.000 euros ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Et, statuant à nouveau,
Dit que l'exploitation faite par l'INSTITUT NATIONAL DE L'AUDIOVISUEL, sans l'autorisation de Bruno G., alias ORLANDO, de l'interprétation réalisée par DALIDA de la chanson POUR NE PAS VIVRE SEUL dans le cadre de l'émission CADET ROUSSELLE, diffusée le 26 décembre 1972, est constitutive de contrefaçon,
Fait interdiction à l'INSTITUT NATIONAL DE L'AUDIOVISUEL, sauf autorisation expresse de Bruno G., alias ORLANDO, d'exploiter l'interprétation réalisée par DALIDA de la chanson POUR NE PAS VIVRE SEUL dans le cadre de l'émission CADET ROUSSELLE, diffusée le 26 décembre 1972, et ce sous astreinte de 300 euros par infraction constatée dans les 15 jours de la signification qui lui sera faite du présent arrêt,
Condamne l'INSTITUT NATIONAL DE L'AUDIOVISUEL à verser à Bruno G., alias ORLANDO, une indemnité globale de 6.000 euros en réparation des préjudices subis du fait de la contrefaçon,
Condamne l'INSTITUT NATIONAL DE L'AUDIOVISUEL à restituer à Bruno G., alias ORLANDO, la commission de 20 % indûment prélevée,
Autorise Bruno G., alias ORLANDO, à faire publier en extraits le présent arrêt dans quatre journaux ou revues dont deux à caractère professionnel, aux frais de l'INSTITUT NATIONAL DE L'AUDIOVISUEL, sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 3.500 euros H.T.,
Condamne l'INSTITUT NATIONAL DE L'AUDIOVISUEL à verser à Bruno G., alias ORLANDO, une indemnité de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Rejette toutes autres demandes,
Condamne l'INSTITUT NATIONAL DE L'AUDIOVISUEL aux dépens de première instance et d'appel qui seront, pour ces derniers, recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.