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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 2, 7 juin 2013, n° 12/05061

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

LES EDITIONS NERESSIS (SAS)

Défendeur :

GLOOBOT (SA), MJA (SELAFA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Aimar

Conseillers :

Mme Nerot, Mme Renard

Avocats :

Me Diez, Me Descotes, Me HATET-SAUVAL, Me Teytaud

CA Paris n° 12/05061

6 juin 2013

ARRET :

Réputé contradictoire,

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

— signé par Madame Marie-Christine AIMAR, présidente, et par Monsieur Truc Lam NGUYEN, greffier présent lors du prononcé.

Depuis 1996, la société Les Editions Neressis, éditrice depuis 1975 du journal hebdomadaire 'De Particulier à Particulier’ spécialisé en matière de petites annonces immobilières émanant de particuliers désirant traiter sans intermédiaire, exploite sous le nom de domaine un site internet où sont diffusées les annonces publiées dans le journal, à raison d’environ 300.000 annonces annuelles, ceci dans une organisation différente.

Estimant que la société Solus’Immo, éditrice du site internet accessible par le nom de domaine ainsi que la société Gloobot, éditrice du site internet procédaient, au moyen de moteurs de recherche verticaux, à une extraction d’annonces référencées sur son propre site portant atteinte à ses droits, elle les a mises en demeure, par courrier recommandé du 16 juin 2008, de cesser leurs agissements puis a fait dresser un procès-verbal par l’Agence de Protection des Programmes (APP), les 09 et 10 juillet 2008 avant de les assigner, le 29 mai 2009, pour des faits de contrefaçon de sa base de données et de concurrence déloyale.

La SARL Solus’Immo a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Paris rendu le 18 mai 2010 désignant la SELAFA MJA prise en la personne de Maître Y Z en qualité de mandataire-liquidateur.

La SA Gloobot est, quant à elle, en liquidation amiable selon décision des actionnaires du 18 mai 2011.

Par jugement contradictoire rendu le 1er mars 2012, le tribunal de grande instance de Paris a :

— dit que la société Les Editions Neressis ne peut être qualifiée de producteur de bases de données et l’a donc déclarée irrecevable à agir en contrefaçon de base de données,

— débouté la requérante de ses demandes au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme,

— débouté la société Gloobot de ses demandes reconventionnelles à l’encontre de la société Les Editions Neressis en condamnant toutefois cette dernière à lui verser la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

Par dernières conclusions signifiées le 26 décembre 2012, la société par actions simplifiée Les Editions Neressis, appelante, demande en substance à la cour, au visa des articles L 112-3 et suivants, L 341-1, L 342-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, 1382 et 1383 du code civil, de réformer le jugement en toutes ses dispositions, de débouter la société Gloobot de ses demandes reconventionnelles formées à titre incident et :

— de considérer que les sociétés Solus’Immo et Globoot ont extrait et utilisé de manière illicite une partie quantitativement et qualitativement substantielle de sa base de données et que cette utilisation est, par ailleurs, constitutive d’actes de concurrence déloyale,

— de leur interdire, en conséquence, de renouveler ces agissements sous astreinte, de condamner la société Gloobot à lui payer la somme indemnitaire de 300.000 euros, de fixer sa créance indemnitaire, d’un même montant, au passif de la société Solus’Immo et d’ordonner diverses mesures de publication (dans la presse et sur internet) en condamnant la société Gloobot à lui verser la somme de 12.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, en fixant sa créance à ce titre, pour un même montant, au passif de la société Solus’Immo et en les condamnant aux entiers dépens.

Par dernières conclusions signifiées le 25 octobre 2012, la société anonyme Gloobot, en liquidation amiable à la suite d’une dissolution anticipée, demande pour l’essentiel à la cour, au visa des articles L 342-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, 1382 et suivants du code civil et 122 du code de procédure civile :

— de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de rejeter l’intégralité des demandes de l’appelante,

— à titre incident et au visa des articles 32-1 du code de procédure civile, 1382 et suivants du code civil :

* de considérer l’action introduite comme abusive puisqu’elle l’a conduite à désindexer le site à réception de la lettre du 16 juin 2008 et de la condamner à lui verser la somme indemnitaire de 10.000 euros pour procédure abusive,

* de considérer que l’appelante est responsable du préjudice qu’elle a subi du fait de la médiatisation du procès engagé et qui a entraîné la cessation de toute activité en la condamnant à lui verser la somme de 100.000 euros venant réparer le préjudice consécutif à la déclaration de cessation d’activité et de liquidation amiable que lui a imposée la présente procédure,

— de condamner l’appelante à lui verser la somme de 12.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

Par acte du 28 juin 2012, l’appelante a assigné (à personne morale) la SELAFA MJA prise en la personne de Maître X avec remise d’une copie de ses conclusions d’appel.

Par courrier daté du 02 juillet 2012, la SELAFA MJA a fait savoir à la cour qu’elle ne pouvait plus figurer dans la procédure car le tribunal de commerce de Paris avait mis fin à sa mission suivant jugement rendu le 04 mai 2011 et qu’elle devait être mise hors de cause.

SUR CE,

Sur la protection conférée par l’article L 341-1 du code de la propriété intellectuelle :

Considérant que la société Les Editions Neressis poursuit l’infirmation du jugement qui lui a dénié sa qualité de producteur de bases de données et, en conséquence, sa recevabilité à agir, en énonçant que les pièces qu’elle produisait ne permettaient pas de retenir l’apport substantiel de cette société sur les annonces collectées et provenant de clients ;

Qu’elle fait valoir qu’elle a 'incontestablement’ cette qualité et met en avant les coûts qu’elle consacre à cette base de données, le fait que cette qualité lui a déjà été reconnue par trois fois par la présente juridiction entre 2005 et 2010 et s’attache à décrire le processus de traitement particulier et quotidien des annonces collectées avant leur parution ;

Que la société Gloobot observe que ne sont pas produites de nouvelles pièces et que l’appelante se borne à centraliser sur son site des annonces qui sont également adressées par les mêmes clients sur d’autres sites de diffusion concurrents, ce qui tend à prouver leur absence de traitement personnalisé ; qu’elle ajoute que cette dernière ne produit aucun contrat avec les annonceurs, que les investissements matériels invoqués ou l’existence de deux salariés qui sont en fait dédiés à la centralisation des annonces ne permettent pas de considérer que la condition qualitative de la base de données soit satisfaite ;

Considérant, ceci rappelé, que l’article L 341-1 du code de la propriété intellectuelle, transposant en droit interne la directive (CE) n° 96/9 du 11 mars1996, assure au producteur d’une base de données une protection 'contre l’appropriation des résultats obtenus de l’investissement financier et professionnel consenti par celui qui a recherché et rassemblé le contenu’ (considérant 39 de la directive) ;

Que cette protection spécifique suppose un investissement 'substantiel’ qui lui est affecté et qui, selon l’article L 341-1 précité, peut être 'financier, matériel ou humain’ ayant pour objet 'la constitution, la vérification ou la présentation’ du contenu de la base ;

Qu’en l’espèce, il résulte de ce qui précède que ce droit sui generis n’a pas vocation à protéger un apport marqué par des choix libres et créatifs de sorte qu’il importe peu que d’autres sites reprennent les mêmes annonces immobilières ; qu’il est, de la même façon, indifférent que l’appelante ait pu bénéficier de la protection accordée au producteur dans d’autres instances l’opposant à d’autres parties, d’autant que le litige ne portait pas sur les conditions de la protection ;

Que la finalité de ce droit étant de protéger les investissements consacrés par le producteur au traitement de la masse d’informations qu’il collecte, il convient de s’attacher aux moyens consacrés par la société Les Editions Neressis à la recherche d’éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base ;

Qu’à cet égard et compte tenu de la nature particulière des données rassemblées dans la base litigieuse, appelées à être rapidement obsolètes, il peut être considéré que la création des données est concomitante à leur recherche et à leur rassemblement de sorte que l’appelante peut se prévaloir du coût de la maintenance et du remplacement de son matériel et des ondulateurs ainsi que des frais de connexion à internet à très haut débit (soit pour un montant total d’environ 300.000 euros annuels) ainsi que de la masse salariale de quatre personnes qui y sont affectées pour en surveiller les flux et les optimiser (soit environ 200.000 euros par an) ;

Que l’investissement humain est, en outre, constitué par les salaires de personnes dédiées à l’administration, à l’exploitation, à l’optimisation et à la surveillance de cette base de données (pour une masse annuelle d’environ 130.000 euros) outre ceux de développeurs organisant la présentation des requêtes sur internet (soit environ 145.000 euros par an) d’un architecte réseau et d’un administrateur système et réseau (pour environ 125.000 euros par an) ;

Qu’il convient de considérer qu’il est de nature à permettre à cette base de données de bénéficier de la protection instaurée par l’article L 341-1 précité dès lors que l’appelante spécifie la nature de leurs tâches, lesquelles consistent à ré-ordonnancer le contenu des annonces fournies par les particuliers, à en vérifier les éléments d’identification, à veiller à la lisibilité des annonces ainsi qu’à la cohérence des photographies éventuellement fournies et à permettre l’accès organisé de ces données ;

Qu’allié aux investissements financiers et matériels sus-évoqués, il permet de considérer que l’investissement est substantiel, de sorte qu’en sa qualité de producteur, l’appelante est habile à revendiquer la protection instaurée par l’article L 341-1 du code de la propriété intellectuelle ;

Que le jugement qui l’a déclarée irrecevable à agir doit donc être infirmé sur ce point ;

Sur l’extraction ou la réutilisation du contenu de la base de données incriminées :

Considérant que l’appelante fait valoir que l’activité des sociétés Gloobot et Solus’Immo ne consiste pas à indexer une simple information, comme pourrait le faire un moteur de recherche classique, mais à procéder à une extraction de son contenu, à savoir les annonces, au sens de l’article L 342-1 du code de la propriété intellectuelle ; qu’elle ajoute que cette extraction est quantitative puisque, procédant par sondage, elle évalue à 95 % et à 94 % le nombre d’annonces extraites retrouvées sur les sites et et que cette extraction systématique et quotidienne ne constitue pas une utilisation normale de sa base de données ;

Que la société Gloobot soutient quant à elle que le moteur de recherche qu’elle développe n’est pas interdit ou exclu à la racine du site dans le fichier d’exclusion des robots nommés 'Robots Txt', que l’indexation du site dans son site offrait aux internautes un lien qui les dirigeait vers le premier où ils pouvaient consulter l’annonce originelle et que les moteurs de recherche généralistes tels que Google ou Yahoo effectuent à l’identique la connexion de ses internautes vers le site  ;

Considérant, ceci exposé, que la directive (CE) n° 96/9 à la lumière de laquelle doit être interprété le droit national dispose, en son considérant 39, que son objectif est ' de protéger les fabricants de bases de données contre l’appropriation des résultats obtenus de l’investissement financier et professionnel consenti par celui qui a recherché et rassemblé le contenu en protégeant l’ensemble ou des parties substantielles de la base de données contre certains actes commis par l’utilisateur ou par un concurrent’ ;

Qu’il s’en déduit que l’extraction illicite ne peut s’entendre que de l’appropriation des investissements consentis objets de la protection, lesquels consistent, dans le cas particulier de l’espèce, comme il a été dit plus haut, à surveiller les flux, à ré-ordonnancer le contenu des annonces fournies par les particuliers, à en vérifier les éléments d’identification, à veiller à la lisibilité ainsi qu’à la cohérence des photographies éventuellement fournies et à permettre l’accès organisé de ces données ;

Qu’au terme d’une analyse circonstanciée des éléments produits que la cour fait sienne, et en particulier, des procès-verbaux de constat qui ont été établis, les premiers juges ont été conduits à constater que les deux sites litigieux sont des moteurs de recherche dans différents domaines proposant à l’internaute un affichage avec plusieurs réponses au regard des critères formulés dans sa demande mais dépourvu d’informations essentielles tels que les noms de vendeurs ou bailleurs; qu’ainsi et en présence des formules : 'accédez à l’annonce complète sur pap.fr’ ou 'indexé il y a une semaine sur pap', l’internaute intéressé par cette annonce devra cliquer sur le lien pour accéder au site dont est extrait le texte affiché ;

Qu’il ne peut donc être considéré qu’il y ait eu extraction de données portant atteinte aux investissements précis objets de la protection de sorte que la société appelante qui, au surplus, laisse sans réponse l’argument présenté tant en première instance qu’en cause d’appel relatif aux fichiers d’exclusion, sera déboutée de sa demande à ce titre ;

Sur les actes de concurrence déloyale et de parasitisme incriminés

Considérant que la société appelante fait valoir à ce titre que les données extraites s’avèrent, selon elle, fondamentales pour déterminer le choix de l’internaute dans sa navigation et, notamment, dans sa décision d’accéder au site et que, par ailleurs, s’il décide d’accéder à son site, il sera directement dirigé vers l’annonce, sans avoir eu accès aux bandeaux publicitaires ni aux services qu’elle a mis en place sur sa page d’accueil ; que ces faits de parasitisme économique sont pour elle source de désorganisation ;

Mais considérant que les premiers juges ont pertinemment retenu qu’en l’absence d’informations essentielles sur les données d’une annonce, l’internaute ne pourra que se diriger vers le site clairement identifié sur les sites litigieux et que l’appelante, vers le site de laquelle l’internaute est dirigé, ne peut se prévaloir d’une captation de clientèle constitutive d’une faute engageant la responsabilité d’un concurrent ;

Que, par ailleurs, force est de relever qu’en se prévalant d’un préjudice résultant de pertes de recettes publicitaires ou liées aux services qu’elle propose, sans même spécifier en quoi ils consistent, l’appelante ne fait que procéder par affirmation et ne saurait, dans ces conditions, voir sa demande accueillie ;

Que le jugement qui l’a déboutée de ses demandes à ce titre sera, par conséquent, confirmé ;

Sur les demandes indemnitaires de la société Gloobot :

Considérant que l’intimée, formant appel incident, reproche à la société Les Editions Neressis de s’être livrée de manière arbitraire et sélective et sans préalable à une action judiciaire à son encontre alors qu’aucune faute ne pouvait lui être reprochée, d’avoir imprudemment médiatisé son action sur internet et de n’avoir pas tenu compte du fait qu’elle avait immédiatement désindexé le site  ;

Qu’outre cet abus de procédure, elle tire argument de la paralysie de ses activités consécutive à cette action, de la mise à néant des investissements qu’elle avait réalisés et de la nécessité qui a été la sienne de procéder à sa liquidation amiable ;

Mais considérant qu’en dépit de la solution donnée au présent litige, il ne peut être reproché à la société Les Editions Neressis, qui a pu se méprendre sur ses droits, d’en avoir abusivement poursuivi la reconnaissance et de s’être prévalue d’un préjudice en lien avec des faits constatés en 2008 en estant en justice ;

Qu’en outre, la médiatisation de l’action dirigée à l’encontre de la société intimée est étrangère à la personne de la société Les Editions Neressis, les articles de presse auxquels il est renvoyé (pièces 4 et 5) ayant d’ailleurs pour titre 'SeLoger.com attaque des sites pour pillage’ et 'SeLoger.com traîne en justice les pilleurs de sa base de données’ ;

Qu’enfin, c’est par motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal a considéré qu’aucun lien de causalité direct n’était établi entre la présente action en justice et la liquidation amiable de la société Gloobot ;

Que le jugement mérite, sur cet autre point, confirmation ;

Sur les demandes accessoires :

Considérant que l’équité commande de débouter les parties constituées de leurs demandes réciproques fondées sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Qu’il y a lieu de laisser à chacune la charge de ses propres dépens d’appel ;

PAR CES MOTIFS,

Constate que le tribunal de commerce de Paris a, par jugement rendu le 18 mai 2010, prononcé l’ouverture de la liquidation judiciaire de la société à responsabilité limitée Solus’Immo, avec désignation de la SELAFA MJA, prise en la personne de Maître Y Z, en qualité de liquidateur et que cette société a fait l’objet d’une radiation d’office avec clôture pour insuffisance d’actif par jugement rendu le 04 mai 2011 ;

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a dit que la société Les Editions Neressis ne peut être qualifiée de producteur de base de données en la déclarant irrecevable à agir en contrefaçon de base de données et, statuant à nouveau dans cette limite en y ajoutant ;

Dit que la société à responsabilité limitée Les Editions Neressis, qui a pris l’initiative de la base de données du site www.pap.fr> et le risque correspondant, est fondée à se prévaloir de la qualité de producteur d’une base de données bénéficiant de la protection instaurée par l’article L 341-1 du code de la propriété intellectuelle ;

Déboute les parties de l’ensemble de leurs prétentions ainsi que de leurs demandes réciproques fondées sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens d’appel.

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