CA Versailles, ch. com. 3-1, 1 octobre 2025, n° 23/03385
VERSAILLES
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 50D
Chambre commerciale 3-1
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 1er OCTOBRE 2025
N° RG 23/03385 - N° Portalis DBV3-V-B7H-V35U
AFFAIRE :
S.A.R.L. FRASEM
C/
E.A.R.L. DE LA PORTE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Avril 2023 par le Tribunal de Commerce de CHARTRES
N° RG : 2022J00047
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Sabine LAMIRAND
Me Emmanuel MOREAU
TC CHARTRES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE PREMIER OCTOBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A.R.L. FRASEM
RCS Chartres n° 335 292 652
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentants : Me Sabine LAMIRAND de la SELARL LPALEX, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C.455 et Me Carlo RICCI de la SELAS FIDAL, plaidant, avocat au barreau de Chartres
APPELANTE
****************
E.A.R.L. DE LA PORTE
RCS Orléans n° 391 631 165
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentants : Me Emmanuel MOREAU de la SELARL HOCHLEX, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C 147 et Me Etienne DELIGNIERES substituant à l'audience Me Caroline VARLET-ANGOVE, plaidant, avocat au barreau de Paris
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 19 Juin 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseillère,
Madame Bérangère MEURANT, Conseillère,
Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,
Exposé du litige
L'earl De La Porte a, les 14 et 29 mars 2020, conclu avec la société Frasem un contrat de multiplication de semences de pois potagers au titre duquel la société Frasem fournit des semences et achète la production issue de leurs culture et multiplication par l'earl De La Porte.
Les plants ont été semés le 22 mars 2020 mais dès le mois de mai ils ont commencé à dépérir et le rendement s'est établi à un niveau environ dix fois inférieur à la normale.
Des analyses menées par un laboratoire ont relevé la présence d'un virus transmis par une prolifération de pucerons.
Une expertise organisée le 13 juillet 2020 en présence des experts mandatés par les assureurs a évalué le préjudice à 14.907,90 euros et a conclu à une sensibilité accrue des semences au virus susceptible d'engager la responsabilité de la société Frasem.
Sur saisine de l'earl De La Porte, la commission de conciliation de l'interprofession des semences a, le 5 octobre 2021, émis une proposition amiable à laquelle la société Frasem n'a pas donné suite.
Après vaine mise en demeure par lettre du 8 décembre 2021, l'earl De La Porte a, par acte du 18 mars 2022, assigné la société Frasem devant le tribunal de commerce de Chartres en réparation de son préjudice.
Par jugement du 18 avril 2023, le tribunal a débouté la société Frasem de toutes ses demandes, l'a condamnée à payer à l'earl De La Porte la somme de 5.463 euros et celle de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Après avoir admis au débat le rapport de l'expert missionné par l'assureur de l'earl De La Porte et celui d'un expert missionné par la société Frasem, le tribunal a rejoint l'analyse de la commission de conciliation ayant conclu à un partage de responsabilité, a fixé la part mise à la charge de la société Frasem à 2/3 et a repris les données de la commission pour arrêter une perte de revenus à la somme de 8.195 euros.
Par déclaration du 23 mai 2023, la société Frasem a fait appel de chacun des chefs du jugement et par dernières conclusions n° 3 remises au greffe et notifiées par RPVA le 28 janvier 2025, elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de débouter l'earl De La Porte de toutes ses demandes et de la condamner à lui payer une somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'instance.
La société Frasem conteste sa responsabilité.
Elle soutient que l'expertise d'assurance dont se prévaut l'earl De La Porte n'est pas contradictoire de sorte qu'elle ne peut justifier à elle seule une condamnation. Elle fait valoir qu'elle n'était pas présente aux opérations d'expertise amiable et qu'il n'est pas justifié qu'elle a été touchée par la convocation à ces opérations.
Elle fait observer que, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, elle a bien transmis toute la documentation technique à l'earl De La Porte et soutient que, le contrat étant non pas un contrat de vente mais un contrat sui generis s'apparentant à un contrat d'entreprise au sens des articles 1710 et suivants du code civil, le vice caché ou le défaut de conformité ne sont pas des fondements pertinents, qu'en tout cas la preuve d'un vice caché ou d'un défaut de conformité n'est pas rapportée, que le contrat ne comprend pas l'obligation pour elle de livrer des semences résistantes ou traitées pour offrir une résistance accrue aux virus, que la supposée moindre résistance des semences livrées n'est pas démontrée et qu'en outre un traitement n'existait pas compte tenu de la réglementation interdisant certains insecticides et de l'état de la technique.
Elle soutient que l'earl De La Porte est responsable de son dommage dès lors qu'elle n'a pas procédé en temps voulu au traitement sanitaire qu'elle lui avait préconisé, que le préjudice a été causé par des conditions climatiques défavorables et une invasion de pucerons, qu'aucun lien de causalité n'est établi entre les manquements qui lui sont reprochés et le préjudice, que la contestation par l'earl De La Porte de la perte de rendement retenue par le tribunal n'est pas fondée.
Par dernières conclusions n° 3 remises au greffe et notifiées par RPVA le 14 janvier 2025, l'earl De La Porte demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Frasem à lui payer la somme de 5.463 euros, statuant à nouveau de condamner la société Frasem à lui payer la somme de 14.907,90 euros HT, subsidiairement celle de 11.036,43 euros HT, au titre du préjudice subi et y ajoutant, de condamner la société Frasem à lui payer la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Elle soutient que le rapport d'expertise amiable est opposable à la société Frasem faisant valoir, d'une part, que la société Frasem et son expert ont été dûment convoqués aux opérations d'expertise et que l'expert de la société Frasem était présent lors des opérations d'expertise et, d'autre part, que le rapport a été soumis à la libre discussion des parties tandis que l'expertise dont se prévaut la société Frasem a été établie unilatéralement et sur les seules pièces du dossier.
La société De La Porte soutient que la responsabilité de la société Frasem est engagée, sur le fondement des articles 1603 et 1231 du code, en ce qu'elle n'a pas respecté son obligation de délivrance conforme, compte tenu de la sensibilité accrue des semences livrées au virus en cause, qu'elle est également engagée en ce que la société Frasem ne lui a pas fourni des semences-mères en bon état sanitaire ni ne lui a transmis le cahier des charges techniques et les prescriptions règlementaires de production pour la variété des semences fournies, que ces fautes sont en lien de causalité avec le préjudice subi lequel ne résulte ni des conditions climatiques ni de son propre fait.
Elle fait valoir que le contrat n'est pas un contrat d'entreprise au sens de l'article 1710 du code civil dès lors qu'il comprend la fourniture de semences, qu'il implique une obligation de délivrance conforme, qu'en vertu des conditions générales de la convention type du GNIS devenu SEMAE, la société Frasem se devait en outre de fournir des semences en bon état sanitaire, que les semences fournies par la société Frasem ont été touchées par un virus qui ne résulte pas de l'environnement, qu'elle a elle-même agi directement après avoir constaté la présence des nuisibles et que ce traitement était adéquat.
La société De La Porte soutient, en invoquant le rapport d'expertise amiable, que son préjudice est de 14.907, 90 euros et qu'à défaut de retenir cette évaluation, son préjudice évalué au regard de son chiffre d'affaires est de 11.036,43 euros.
Elle conteste l'appréciation du préjudice par l'expert de la société Frasem, son préjudice correspondant à la différence entre le rendement contractuellement prévu et le rendement constaté, et le montant retenu par la commission de conciliation en ce qu'il est fondé sur le chiffre d'affaires de l'ensemble des producteurs de semences de pois pour l'année 2020.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 6 février 2025.
SUR CE,
Sur l'opposabilité de l'expertise amiable
Le 13 juillet 2020, l'expert de l'assureur de protection juridique de l'earl De La Porte a mené des opérations d'expertise sur place en présence de l'expert de l'assureur de la société Frasem. La société Frasem a été préalablement convoquée par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 3 juillet 2020.
L'accusé de réception visé par la société Frasem dans la partie discussion de ses conclusions n'est pas produit, l'earl De La Porte se bornant à produire l'arrêté du 15 avril 2020 fixant les modalités relatives au dépôt et à la distribution des envois postaux pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire pour faire face à l'épidémie de covid-19. Cet arrêté prévoit que le facteur remet le pli dans la boîte aux lettres du destinataire, à défaut près de la porte d'entrée, après s'être assuré de sa présence oralement et établit une attestation sur l'honneur de remise du pli et qu'en l'absence du destinataire il l'informe par tout moyen que l'envoi postal est mis en instance dans un lieu de retrait, les envois étant conservés pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire allongée de quinze jours.
La lettre de convocation fixe la réunion d'expertise au 15 juillet 2020, alors qu'elle a eu lieu deux jours avant en présence de l'expert missionné par l'assureur de la société Frasem, ce qui implique une modification de la date de l'expertise d'un commun accord. Cette lettre de convocation demande en outre à la société Frasem d'avertir son assureur « d'urgence ».
Il se déduit nécessairement du fait que l'assureur de la société Frasem a été en mesure de missionner un expert le représentant, de surcroît à une date de réunion antérieure à celle fixée par l'expert de l'assureur de l'earl De La Porte, que la société Frasem avait informé son assureur des opérations d'expertise et, par suite, qu'elle a eu elle-même connaissance de l'expertise et de sa propre convocation.
Si l'attestation sur l'honneur du facteur prévue par l'arrêté du 15 avril 2020 précité n'est pas versée aux débats, ces déductions suffisent à établir le caractère contradictoire et opposable de l'expertise amiable, dont le rapport a été établi le 30 octobre 2020 à partir des résultats d'une analyse en laboratoire faite le 2 juin 2020 à la demande de l'earl De La Porte et des opérations menées sur place par les deux experts diligentés par les assureurs des parties telles que consignées dans le procès-verbal de constatations signé par ces deux experts.
L'earl De La Porte relève le caractère non contradictoire du rapport d'expertise établi le 22 février 2021 par M. [P] à la demande de la société Frasem mais n'en déduit pas son inopposabilité. Il y a donc lieu d'en apprécier sa seule valeur probante.
Sur la responsabilité de la société Frasem
Sur les obligations de la société Frasem
L'article 1582 du code civil définit la vente comme une convention par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose, et l'autre à la payer.
En l'espèce, les relations contractuelles établies par les parties sont définies par les conditions générales d'une convention-type, les conditions générales du contrat de multiplication signées par les parties et les conditions spécifiques également signées par les parties.
Elles impliquent l'obligation pour la société Frasem de fournir les semences de base, de prendre la totalité de la récolte et de verser une rémunération à l'agriculteur, le prix de la récolte étant stipulé par les conditions spécifiques, en l'espèce 434 euros la tonne.
Si les semences-mères sont mises à disposition par la société Frasem, l'agriculteur n'en paie pas le prix de sorte que l'opération par laquelle la société Frasem livre des semences-mères à l'agriculteur n'est pas une vente et que la société Frasem n'est pas tenue de garantir les semences-mères en application de l'article 1603 du code civil.
Les conditions générales de la convention-type applicable en l'espèce stipulent en leur article I relatif aux obligations de l'établissement producteur de semences ou collecteur-expéditeur, que l'établissement s'engage notamment (i) à fournir en temps utile les semences-mères et que les semences-mères doivent être en bon état sanitaire, traitées si nécessaire avec un produit phytopharmaceutique autorisé, sans déchet, et si possible de calibre homogène (alinéa I.5.3.) et (ii) à veiller à ce que l'agriculteur reçoive par écrit, de l'établissement ou d'un tiers mandaté, « le cahier des charges techniques et les prescriptions réglementaires de production pour le Matériel ses principales caractéristiques ainsi que les conditions particulières pour la conduite de la culture » (alinéa I.5.4).
Ainsi en vertu du contrat la liant à l'earl De La Porte, la société Frasem avait l'obligation de lui fournir des semences-mères en bon état sanitaire et traitées si nécessaire et de lui transmettre le cahier des charges techniques et les prescriptions réglementaires de production.
Sur la fourniture de semences-mères en bon état sanitaire et traitées
Selon le procès-verbal de constatations relatives aux causes et circonstances et à l'évaluation des dommages signé par chacun des deux experts de l'assureur protection juridique de l'earl De La Porte et de l'assureur de la société Frasem, l'analyse des plantes endommagées par un laboratoire mandaté à cette fin par l'earl De La Porte a révélé la présence d'un virus « turnip yellow virus » transmis par les pucerons et la culture sur la parcelle de l'earl De La Porte présente un dépérissement généralisé sur l'ensemble de la parcelle avec des plants chétifs présentant très peu de gousses tandis que la parcelle voisine, plantée d'une autre variété, présente une culture développée fournie en gousses sans aucun dommage de développement. Les deux experts concluent que « les dommages constatés résultent d'une forte sensibilité de la variété au virus « turnip yellow virus » et/ou d'un manque de vigueur ».
Le rapport d'analyse d'un échantillon explique que la propagation de ce type de virus se fait exclusivement par le biais du puceron, qu'il ne se transmet ni mécaniquement ni par les semences, que les seuls moyens de lutte existant à l'heure actuelle sont les traitements insecticides et l'arrachage des plants infectés et que des variétés résistantes aux virus ou aux pucerons permettraient de limiter « le développement de ce type de virus ». Dans une lettre adressée à la société Frasem, le laboratoire a toutefois précisé que les indications relatives aux moyens de lutte et aux variétés qui permettraient de limiter « le développement de ce type de virus » ne relevaient pas de son diagnostic et qu'il ne pouvait ni affirmer ni contredire ces indications qui n'entrent pas dans le champ de son expertise.
Ainsi le résultat d'analyse ne met pas en cause l'état sanitaire ou le traitement des semences, les plants ayant été infectés par des pucerons.
Si les explications du laboratoire, sur lesquelles il est toutefois revenu, et la comparaison faite entre deux parcelles voisines sur lesquelles des semences-mères de variété distincte ont été cultivées tendent à établir que la variété fournie par la société Frasem n'était pas suffisamment résistante aux virus, un tel supposé défaut ne remet en toute hypothèse pas en cause la qualité de l'état sanitaire des semences-mères livrées à l'earl De La Porte.
S'agissant du traitement des semences-mères, il appartient à l'earl De La Porte, qui recherche la responsabilité de la société Frasem au titre d'un manquement au contrat de multiplication, de rapporter la preuve qu'un traitement avec un produit phytopharmaceutique autorisé permettant une résistance au virus « turnip yellow » existait et était nécessaire. Or l'earl De La Porte s'abstient de rapporter une telle preuve mais se borne à répliquer aux arguments de la société Frasem selon lesquels un tel traitement n'existe pas. Elle admet même qu'il n'existe aucune variété de pois répertoriée résistante à ce virus et affirme qu'il « est notoire que certaines variétés y sont plus sensibles que d'autres » sans le démontrer ni expliquer en quoi la plus ou moins grande sensibilité invoquée résulte d'un traitement phytosanitaire autorisé, entrant dans le champ d'application de l'obligation pesant sur la société Frasem, ou de caractéristiques inhérentes aux semences-mères, exclues du champ contractuel.
Il n'est dès lors pas établi que la société Frasem a manqué à son obligation de fournir des semences-mères en bon état sanitaire et traitées si nécessaire avec un produit phytopharmaceutique autorisé, seule obligation qu'elle a contractée à l'égard de l'earl De La Porte quant à l'état et aux caractéristiques du produit fourni et que l'earl De La Porte lui reproche de ne pas avoir respectée.
Sur l'information relative à la sensibilité particulière de la variété de semences fournies au virus « turnip yellow »
L'earl De La Porte reproche à la société Frasem de ne pas lui avoir fourni le cahier des charges techniques et les prescriptions réglementaires de production propres à la variété de semence fournie compte tenu de sa sensibilité aux virus.
La commission de conciliation a pris en compte le fait que « la société Frasem n'avait pas transmis le cahier des charges techniques et les prescriptions réglementaires de production et les conditions particulières pour la conduite de la culture prévu au point I.5.4. de la convention-type et notamment sur les sensibilités éventuelles de la variété aux attaques de virose ».
La commission de conciliation avait, le 24 juin 2021, transmis cette pièce, dans sa version révisée au 9 mars 2020, à la société Frasem au titre des pièces justificatives de l'earl De La Porte en vue de la réunion de la commission le 5 octobre suivant. Elle en fait elle-même état en page 5 de sa proposition de conciliation dans laquelle ne figure pas, parmi le descriptif des échanges intervenus entre les parties, le défaut de transmission du cahier des charges techniques. Ce supposé défaut de transmission du cahier des charges techniques et des autres éléments devant être transmis à l'agriculteur n'est évoqué ni dans la description par les parties des opérations avant le sinistre ni dans l'énoncé des échanges entre les parties pendant la procédure de conciliation. En page 12, il est mentionné que, selon l'earl De La Porte, la société Frasem lui avait proposé un itinéraire technique, élément qui fait précisément partie du cahier des charges techniques.
L'earl De La Porte n'explique pas dans quelles circonstances elle a pu transmettre à la commission de conciliation le cahier des charges techniques révisé du 9 mars 2020 et en faire état dans sa communication du 15 septembre 2021, en exposant qu'il ne comprenait pas de signalement sur la sensibilité particulière de la variété litigieuse, sans que la société Frasem le lui ait transmis préalablement, alors que celle-ci a conclu le contrat de multiplication le 14 mars 2020 et l'earl De La Porte le 23 mars suivant.
Il s'en déduit que la société Frasem a bien transmis au moment de la conclusion du contrat de multiplication un cahier des charges et des prescriptions réglementaires de production qu'elle considérait comme correspondant à la variété des semences-mères fournies.
S'agissant du défaut de cahier des charges techniques, de prescriptions réglementaires et de conditions particulières pour la conduite de la culture propres aux semences-mères fournies par la société Frasem, la commission de conciliation a elle-même qualifié d' « éventuelles » les sensibilités aux attaques de viroses de ces semences-mères.
Si les experts des assurances ont conclu à la sensibilité accrue au virus « turnip yellow » des semences fournies par la société Frasem, c'est par la seule comparaison a posteriori des deux parcelles voisines exploitées par l'earl De La Porte, la parcelle de comparaison n'ayant pas fait l'objet d'analyse en laboratoire, et le laboratoire saisi par l'earl De La Porte a conclu in fine à la seule présence du virus dans les plantes objets de l'échantillon sans apprécier la plus ou moins grande résistance des semences-mères aux virus.
Le cahier des charges techniques transmis par la société Frasem comprend en son paragraphe VII les mesures à prendre en cas de prolifération de ravageurs et y mentionne les pucerons pendant la période de végétation et, pour y répondre, le type d'insecticides à employer et le nombre d'applications autorisé.
Il ne ressort ni de l'analyse du laboratoire ni de la proposition de la commission de conciliation que les semences-mères fournies par la société Frasem étaient effectivement plus sensibles aux virus que d'autres produits équivalents. En outre aucune pièce versée aux débats ne critique l'emploi préconisé par la société Frasem d'un type d'insecticides en cas d'invasion de pucerons ni n'énonce les informations qui auraient dû être portées à la connaissance de l'earl De La Porte et relatives aux caractéristiques supposées propres aux semences-mères objet du contrat de multiplication.
La cour relève au surplus que, postérieurement à la conclusion du contrat de multiplication, la société Frasem a, le 17 avril 2020, averti les cultivateurs de la présence de pucerons dans les parcelles de pois potager et leur a donné la consigne, en cas de présence de pucerons, d'intervenir en utilisant un insecticide parmi les deux désignés et selon des quantités déterminées et que l'earl De La Porte a utilisé seulement le 22 avril 2020 l'un des deux insecticides préconisés après avoir utilisé le 16 avril précédent un insecticide non préconisé par la société Frasem.
Le manquement contractuel reproché à la société Frasem relativement au cahier des charges techniques n'est donc pas non plus démontré.
En définitive l'earl De La Porte ne démontre pas que la société Frasem a manqué à ses obligations contractuelles définies aux alinéas I.5.3.et I.5.4. de l'article I des conditions générales de la convention-type de sorte que le jugement entrepris sera infirmé en toutes ses dispositions et l'earl De La Porte déboutée de ses demandes d'indemnisation.
Sur les demandes accessoires
Partie perdante, l'earl De La Porte sera condamnée aux dépens de première instance, le jugement étant infirmé sur ce point, et aux dépens d'appel. Elle ne peut en conséquence prétendre à une indemnité procédurale. Le jugement sera dès lors également infirmé du chef des frais irrépétibles et l'earl De La Porte condamnée à payer à la société Frasem une somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a dû exposer devant le tribunal et en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant contradictoirement
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute l'earl De La Porte de toutes ses demandes ;
Condamne l'earl De La Porte à payer à la société Frasem une somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel ;
Condamne l'earl De La Porte aux dépens de première instance et d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier La Présidente
DE
VERSAILLES
Code nac : 50D
Chambre commerciale 3-1
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 1er OCTOBRE 2025
N° RG 23/03385 - N° Portalis DBV3-V-B7H-V35U
AFFAIRE :
S.A.R.L. FRASEM
C/
E.A.R.L. DE LA PORTE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Avril 2023 par le Tribunal de Commerce de CHARTRES
N° RG : 2022J00047
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Sabine LAMIRAND
Me Emmanuel MOREAU
TC CHARTRES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE PREMIER OCTOBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A.R.L. FRASEM
RCS Chartres n° 335 292 652
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentants : Me Sabine LAMIRAND de la SELARL LPALEX, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C.455 et Me Carlo RICCI de la SELAS FIDAL, plaidant, avocat au barreau de Chartres
APPELANTE
****************
E.A.R.L. DE LA PORTE
RCS Orléans n° 391 631 165
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentants : Me Emmanuel MOREAU de la SELARL HOCHLEX, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C 147 et Me Etienne DELIGNIERES substituant à l'audience Me Caroline VARLET-ANGOVE, plaidant, avocat au barreau de Paris
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 19 Juin 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseillère,
Madame Bérangère MEURANT, Conseillère,
Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,
Exposé du litige
L'earl De La Porte a, les 14 et 29 mars 2020, conclu avec la société Frasem un contrat de multiplication de semences de pois potagers au titre duquel la société Frasem fournit des semences et achète la production issue de leurs culture et multiplication par l'earl De La Porte.
Les plants ont été semés le 22 mars 2020 mais dès le mois de mai ils ont commencé à dépérir et le rendement s'est établi à un niveau environ dix fois inférieur à la normale.
Des analyses menées par un laboratoire ont relevé la présence d'un virus transmis par une prolifération de pucerons.
Une expertise organisée le 13 juillet 2020 en présence des experts mandatés par les assureurs a évalué le préjudice à 14.907,90 euros et a conclu à une sensibilité accrue des semences au virus susceptible d'engager la responsabilité de la société Frasem.
Sur saisine de l'earl De La Porte, la commission de conciliation de l'interprofession des semences a, le 5 octobre 2021, émis une proposition amiable à laquelle la société Frasem n'a pas donné suite.
Après vaine mise en demeure par lettre du 8 décembre 2021, l'earl De La Porte a, par acte du 18 mars 2022, assigné la société Frasem devant le tribunal de commerce de Chartres en réparation de son préjudice.
Par jugement du 18 avril 2023, le tribunal a débouté la société Frasem de toutes ses demandes, l'a condamnée à payer à l'earl De La Porte la somme de 5.463 euros et celle de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Après avoir admis au débat le rapport de l'expert missionné par l'assureur de l'earl De La Porte et celui d'un expert missionné par la société Frasem, le tribunal a rejoint l'analyse de la commission de conciliation ayant conclu à un partage de responsabilité, a fixé la part mise à la charge de la société Frasem à 2/3 et a repris les données de la commission pour arrêter une perte de revenus à la somme de 8.195 euros.
Par déclaration du 23 mai 2023, la société Frasem a fait appel de chacun des chefs du jugement et par dernières conclusions n° 3 remises au greffe et notifiées par RPVA le 28 janvier 2025, elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de débouter l'earl De La Porte de toutes ses demandes et de la condamner à lui payer une somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'instance.
La société Frasem conteste sa responsabilité.
Elle soutient que l'expertise d'assurance dont se prévaut l'earl De La Porte n'est pas contradictoire de sorte qu'elle ne peut justifier à elle seule une condamnation. Elle fait valoir qu'elle n'était pas présente aux opérations d'expertise amiable et qu'il n'est pas justifié qu'elle a été touchée par la convocation à ces opérations.
Elle fait observer que, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, elle a bien transmis toute la documentation technique à l'earl De La Porte et soutient que, le contrat étant non pas un contrat de vente mais un contrat sui generis s'apparentant à un contrat d'entreprise au sens des articles 1710 et suivants du code civil, le vice caché ou le défaut de conformité ne sont pas des fondements pertinents, qu'en tout cas la preuve d'un vice caché ou d'un défaut de conformité n'est pas rapportée, que le contrat ne comprend pas l'obligation pour elle de livrer des semences résistantes ou traitées pour offrir une résistance accrue aux virus, que la supposée moindre résistance des semences livrées n'est pas démontrée et qu'en outre un traitement n'existait pas compte tenu de la réglementation interdisant certains insecticides et de l'état de la technique.
Elle soutient que l'earl De La Porte est responsable de son dommage dès lors qu'elle n'a pas procédé en temps voulu au traitement sanitaire qu'elle lui avait préconisé, que le préjudice a été causé par des conditions climatiques défavorables et une invasion de pucerons, qu'aucun lien de causalité n'est établi entre les manquements qui lui sont reprochés et le préjudice, que la contestation par l'earl De La Porte de la perte de rendement retenue par le tribunal n'est pas fondée.
Par dernières conclusions n° 3 remises au greffe et notifiées par RPVA le 14 janvier 2025, l'earl De La Porte demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Frasem à lui payer la somme de 5.463 euros, statuant à nouveau de condamner la société Frasem à lui payer la somme de 14.907,90 euros HT, subsidiairement celle de 11.036,43 euros HT, au titre du préjudice subi et y ajoutant, de condamner la société Frasem à lui payer la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Elle soutient que le rapport d'expertise amiable est opposable à la société Frasem faisant valoir, d'une part, que la société Frasem et son expert ont été dûment convoqués aux opérations d'expertise et que l'expert de la société Frasem était présent lors des opérations d'expertise et, d'autre part, que le rapport a été soumis à la libre discussion des parties tandis que l'expertise dont se prévaut la société Frasem a été établie unilatéralement et sur les seules pièces du dossier.
La société De La Porte soutient que la responsabilité de la société Frasem est engagée, sur le fondement des articles 1603 et 1231 du code, en ce qu'elle n'a pas respecté son obligation de délivrance conforme, compte tenu de la sensibilité accrue des semences livrées au virus en cause, qu'elle est également engagée en ce que la société Frasem ne lui a pas fourni des semences-mères en bon état sanitaire ni ne lui a transmis le cahier des charges techniques et les prescriptions règlementaires de production pour la variété des semences fournies, que ces fautes sont en lien de causalité avec le préjudice subi lequel ne résulte ni des conditions climatiques ni de son propre fait.
Elle fait valoir que le contrat n'est pas un contrat d'entreprise au sens de l'article 1710 du code civil dès lors qu'il comprend la fourniture de semences, qu'il implique une obligation de délivrance conforme, qu'en vertu des conditions générales de la convention type du GNIS devenu SEMAE, la société Frasem se devait en outre de fournir des semences en bon état sanitaire, que les semences fournies par la société Frasem ont été touchées par un virus qui ne résulte pas de l'environnement, qu'elle a elle-même agi directement après avoir constaté la présence des nuisibles et que ce traitement était adéquat.
La société De La Porte soutient, en invoquant le rapport d'expertise amiable, que son préjudice est de 14.907, 90 euros et qu'à défaut de retenir cette évaluation, son préjudice évalué au regard de son chiffre d'affaires est de 11.036,43 euros.
Elle conteste l'appréciation du préjudice par l'expert de la société Frasem, son préjudice correspondant à la différence entre le rendement contractuellement prévu et le rendement constaté, et le montant retenu par la commission de conciliation en ce qu'il est fondé sur le chiffre d'affaires de l'ensemble des producteurs de semences de pois pour l'année 2020.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 6 février 2025.
SUR CE,
Sur l'opposabilité de l'expertise amiable
Le 13 juillet 2020, l'expert de l'assureur de protection juridique de l'earl De La Porte a mené des opérations d'expertise sur place en présence de l'expert de l'assureur de la société Frasem. La société Frasem a été préalablement convoquée par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 3 juillet 2020.
L'accusé de réception visé par la société Frasem dans la partie discussion de ses conclusions n'est pas produit, l'earl De La Porte se bornant à produire l'arrêté du 15 avril 2020 fixant les modalités relatives au dépôt et à la distribution des envois postaux pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire pour faire face à l'épidémie de covid-19. Cet arrêté prévoit que le facteur remet le pli dans la boîte aux lettres du destinataire, à défaut près de la porte d'entrée, après s'être assuré de sa présence oralement et établit une attestation sur l'honneur de remise du pli et qu'en l'absence du destinataire il l'informe par tout moyen que l'envoi postal est mis en instance dans un lieu de retrait, les envois étant conservés pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire allongée de quinze jours.
La lettre de convocation fixe la réunion d'expertise au 15 juillet 2020, alors qu'elle a eu lieu deux jours avant en présence de l'expert missionné par l'assureur de la société Frasem, ce qui implique une modification de la date de l'expertise d'un commun accord. Cette lettre de convocation demande en outre à la société Frasem d'avertir son assureur « d'urgence ».
Il se déduit nécessairement du fait que l'assureur de la société Frasem a été en mesure de missionner un expert le représentant, de surcroît à une date de réunion antérieure à celle fixée par l'expert de l'assureur de l'earl De La Porte, que la société Frasem avait informé son assureur des opérations d'expertise et, par suite, qu'elle a eu elle-même connaissance de l'expertise et de sa propre convocation.
Si l'attestation sur l'honneur du facteur prévue par l'arrêté du 15 avril 2020 précité n'est pas versée aux débats, ces déductions suffisent à établir le caractère contradictoire et opposable de l'expertise amiable, dont le rapport a été établi le 30 octobre 2020 à partir des résultats d'une analyse en laboratoire faite le 2 juin 2020 à la demande de l'earl De La Porte et des opérations menées sur place par les deux experts diligentés par les assureurs des parties telles que consignées dans le procès-verbal de constatations signé par ces deux experts.
L'earl De La Porte relève le caractère non contradictoire du rapport d'expertise établi le 22 février 2021 par M. [P] à la demande de la société Frasem mais n'en déduit pas son inopposabilité. Il y a donc lieu d'en apprécier sa seule valeur probante.
Sur la responsabilité de la société Frasem
Sur les obligations de la société Frasem
L'article 1582 du code civil définit la vente comme une convention par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose, et l'autre à la payer.
En l'espèce, les relations contractuelles établies par les parties sont définies par les conditions générales d'une convention-type, les conditions générales du contrat de multiplication signées par les parties et les conditions spécifiques également signées par les parties.
Elles impliquent l'obligation pour la société Frasem de fournir les semences de base, de prendre la totalité de la récolte et de verser une rémunération à l'agriculteur, le prix de la récolte étant stipulé par les conditions spécifiques, en l'espèce 434 euros la tonne.
Si les semences-mères sont mises à disposition par la société Frasem, l'agriculteur n'en paie pas le prix de sorte que l'opération par laquelle la société Frasem livre des semences-mères à l'agriculteur n'est pas une vente et que la société Frasem n'est pas tenue de garantir les semences-mères en application de l'article 1603 du code civil.
Les conditions générales de la convention-type applicable en l'espèce stipulent en leur article I relatif aux obligations de l'établissement producteur de semences ou collecteur-expéditeur, que l'établissement s'engage notamment (i) à fournir en temps utile les semences-mères et que les semences-mères doivent être en bon état sanitaire, traitées si nécessaire avec un produit phytopharmaceutique autorisé, sans déchet, et si possible de calibre homogène (alinéa I.5.3.) et (ii) à veiller à ce que l'agriculteur reçoive par écrit, de l'établissement ou d'un tiers mandaté, « le cahier des charges techniques et les prescriptions réglementaires de production pour le Matériel ses principales caractéristiques ainsi que les conditions particulières pour la conduite de la culture » (alinéa I.5.4).
Ainsi en vertu du contrat la liant à l'earl De La Porte, la société Frasem avait l'obligation de lui fournir des semences-mères en bon état sanitaire et traitées si nécessaire et de lui transmettre le cahier des charges techniques et les prescriptions réglementaires de production.
Sur la fourniture de semences-mères en bon état sanitaire et traitées
Selon le procès-verbal de constatations relatives aux causes et circonstances et à l'évaluation des dommages signé par chacun des deux experts de l'assureur protection juridique de l'earl De La Porte et de l'assureur de la société Frasem, l'analyse des plantes endommagées par un laboratoire mandaté à cette fin par l'earl De La Porte a révélé la présence d'un virus « turnip yellow virus » transmis par les pucerons et la culture sur la parcelle de l'earl De La Porte présente un dépérissement généralisé sur l'ensemble de la parcelle avec des plants chétifs présentant très peu de gousses tandis que la parcelle voisine, plantée d'une autre variété, présente une culture développée fournie en gousses sans aucun dommage de développement. Les deux experts concluent que « les dommages constatés résultent d'une forte sensibilité de la variété au virus « turnip yellow virus » et/ou d'un manque de vigueur ».
Le rapport d'analyse d'un échantillon explique que la propagation de ce type de virus se fait exclusivement par le biais du puceron, qu'il ne se transmet ni mécaniquement ni par les semences, que les seuls moyens de lutte existant à l'heure actuelle sont les traitements insecticides et l'arrachage des plants infectés et que des variétés résistantes aux virus ou aux pucerons permettraient de limiter « le développement de ce type de virus ». Dans une lettre adressée à la société Frasem, le laboratoire a toutefois précisé que les indications relatives aux moyens de lutte et aux variétés qui permettraient de limiter « le développement de ce type de virus » ne relevaient pas de son diagnostic et qu'il ne pouvait ni affirmer ni contredire ces indications qui n'entrent pas dans le champ de son expertise.
Ainsi le résultat d'analyse ne met pas en cause l'état sanitaire ou le traitement des semences, les plants ayant été infectés par des pucerons.
Si les explications du laboratoire, sur lesquelles il est toutefois revenu, et la comparaison faite entre deux parcelles voisines sur lesquelles des semences-mères de variété distincte ont été cultivées tendent à établir que la variété fournie par la société Frasem n'était pas suffisamment résistante aux virus, un tel supposé défaut ne remet en toute hypothèse pas en cause la qualité de l'état sanitaire des semences-mères livrées à l'earl De La Porte.
S'agissant du traitement des semences-mères, il appartient à l'earl De La Porte, qui recherche la responsabilité de la société Frasem au titre d'un manquement au contrat de multiplication, de rapporter la preuve qu'un traitement avec un produit phytopharmaceutique autorisé permettant une résistance au virus « turnip yellow » existait et était nécessaire. Or l'earl De La Porte s'abstient de rapporter une telle preuve mais se borne à répliquer aux arguments de la société Frasem selon lesquels un tel traitement n'existe pas. Elle admet même qu'il n'existe aucune variété de pois répertoriée résistante à ce virus et affirme qu'il « est notoire que certaines variétés y sont plus sensibles que d'autres » sans le démontrer ni expliquer en quoi la plus ou moins grande sensibilité invoquée résulte d'un traitement phytosanitaire autorisé, entrant dans le champ d'application de l'obligation pesant sur la société Frasem, ou de caractéristiques inhérentes aux semences-mères, exclues du champ contractuel.
Il n'est dès lors pas établi que la société Frasem a manqué à son obligation de fournir des semences-mères en bon état sanitaire et traitées si nécessaire avec un produit phytopharmaceutique autorisé, seule obligation qu'elle a contractée à l'égard de l'earl De La Porte quant à l'état et aux caractéristiques du produit fourni et que l'earl De La Porte lui reproche de ne pas avoir respectée.
Sur l'information relative à la sensibilité particulière de la variété de semences fournies au virus « turnip yellow »
L'earl De La Porte reproche à la société Frasem de ne pas lui avoir fourni le cahier des charges techniques et les prescriptions réglementaires de production propres à la variété de semence fournie compte tenu de sa sensibilité aux virus.
La commission de conciliation a pris en compte le fait que « la société Frasem n'avait pas transmis le cahier des charges techniques et les prescriptions réglementaires de production et les conditions particulières pour la conduite de la culture prévu au point I.5.4. de la convention-type et notamment sur les sensibilités éventuelles de la variété aux attaques de virose ».
La commission de conciliation avait, le 24 juin 2021, transmis cette pièce, dans sa version révisée au 9 mars 2020, à la société Frasem au titre des pièces justificatives de l'earl De La Porte en vue de la réunion de la commission le 5 octobre suivant. Elle en fait elle-même état en page 5 de sa proposition de conciliation dans laquelle ne figure pas, parmi le descriptif des échanges intervenus entre les parties, le défaut de transmission du cahier des charges techniques. Ce supposé défaut de transmission du cahier des charges techniques et des autres éléments devant être transmis à l'agriculteur n'est évoqué ni dans la description par les parties des opérations avant le sinistre ni dans l'énoncé des échanges entre les parties pendant la procédure de conciliation. En page 12, il est mentionné que, selon l'earl De La Porte, la société Frasem lui avait proposé un itinéraire technique, élément qui fait précisément partie du cahier des charges techniques.
L'earl De La Porte n'explique pas dans quelles circonstances elle a pu transmettre à la commission de conciliation le cahier des charges techniques révisé du 9 mars 2020 et en faire état dans sa communication du 15 septembre 2021, en exposant qu'il ne comprenait pas de signalement sur la sensibilité particulière de la variété litigieuse, sans que la société Frasem le lui ait transmis préalablement, alors que celle-ci a conclu le contrat de multiplication le 14 mars 2020 et l'earl De La Porte le 23 mars suivant.
Il s'en déduit que la société Frasem a bien transmis au moment de la conclusion du contrat de multiplication un cahier des charges et des prescriptions réglementaires de production qu'elle considérait comme correspondant à la variété des semences-mères fournies.
S'agissant du défaut de cahier des charges techniques, de prescriptions réglementaires et de conditions particulières pour la conduite de la culture propres aux semences-mères fournies par la société Frasem, la commission de conciliation a elle-même qualifié d' « éventuelles » les sensibilités aux attaques de viroses de ces semences-mères.
Si les experts des assurances ont conclu à la sensibilité accrue au virus « turnip yellow » des semences fournies par la société Frasem, c'est par la seule comparaison a posteriori des deux parcelles voisines exploitées par l'earl De La Porte, la parcelle de comparaison n'ayant pas fait l'objet d'analyse en laboratoire, et le laboratoire saisi par l'earl De La Porte a conclu in fine à la seule présence du virus dans les plantes objets de l'échantillon sans apprécier la plus ou moins grande résistance des semences-mères aux virus.
Le cahier des charges techniques transmis par la société Frasem comprend en son paragraphe VII les mesures à prendre en cas de prolifération de ravageurs et y mentionne les pucerons pendant la période de végétation et, pour y répondre, le type d'insecticides à employer et le nombre d'applications autorisé.
Il ne ressort ni de l'analyse du laboratoire ni de la proposition de la commission de conciliation que les semences-mères fournies par la société Frasem étaient effectivement plus sensibles aux virus que d'autres produits équivalents. En outre aucune pièce versée aux débats ne critique l'emploi préconisé par la société Frasem d'un type d'insecticides en cas d'invasion de pucerons ni n'énonce les informations qui auraient dû être portées à la connaissance de l'earl De La Porte et relatives aux caractéristiques supposées propres aux semences-mères objet du contrat de multiplication.
La cour relève au surplus que, postérieurement à la conclusion du contrat de multiplication, la société Frasem a, le 17 avril 2020, averti les cultivateurs de la présence de pucerons dans les parcelles de pois potager et leur a donné la consigne, en cas de présence de pucerons, d'intervenir en utilisant un insecticide parmi les deux désignés et selon des quantités déterminées et que l'earl De La Porte a utilisé seulement le 22 avril 2020 l'un des deux insecticides préconisés après avoir utilisé le 16 avril précédent un insecticide non préconisé par la société Frasem.
Le manquement contractuel reproché à la société Frasem relativement au cahier des charges techniques n'est donc pas non plus démontré.
En définitive l'earl De La Porte ne démontre pas que la société Frasem a manqué à ses obligations contractuelles définies aux alinéas I.5.3.et I.5.4. de l'article I des conditions générales de la convention-type de sorte que le jugement entrepris sera infirmé en toutes ses dispositions et l'earl De La Porte déboutée de ses demandes d'indemnisation.
Sur les demandes accessoires
Partie perdante, l'earl De La Porte sera condamnée aux dépens de première instance, le jugement étant infirmé sur ce point, et aux dépens d'appel. Elle ne peut en conséquence prétendre à une indemnité procédurale. Le jugement sera dès lors également infirmé du chef des frais irrépétibles et l'earl De La Porte condamnée à payer à la société Frasem une somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a dû exposer devant le tribunal et en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant contradictoirement
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute l'earl De La Porte de toutes ses demandes ;
Condamne l'earl De La Porte à payer à la société Frasem une somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel ;
Condamne l'earl De La Porte aux dépens de première instance et d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier La Présidente