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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-1, 1 octobre 2025, n° 23/04721

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 23/04721

1 octobre 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 50B

Chambre commerciale 3-1

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 1er OCTOBRE 2025

N° RG 23/04721 - N° Portalis DBV3-V-B7H-V7JM

AFFAIRE :

S.A. ENI GAS & POWER FRANCE

C/

S.A. SNEF

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Mai 2023 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° Chambre : 3

N°: 2021F00955

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Asma MZE

Me Oriane DONTOT

TAE [Localité 6]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE PREMIER OCTOBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A. ENI GAS & POWER FRANCE

RCS [Localité 6] n° 451 225 692

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentants : Me Asma MZE de la SELARL LX PARIS- VERSAILLES-REIMS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 699 et Me Florent PRUNET de l'AARPI Jeantet, plaidant, avocat au barreau de Paris

APPELANTE

****************

S.A. SNEF

RCS [Localité 5] n° 056 800 659

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentants : Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF & TEYTAUD SALEH, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617et Me Caroline DUGUETsubstituant à l'audience Me Robert CORCOS de la SELAS FTPA, Plaidant, avocat au barreau de Paris

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 19 Juin 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Bérangère MEURANT, Conseillère chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseillère,

Madame Bérangère MEURANT, Conseillère,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,

Exposé des faits

La société ENI gas & power France (ci-après dénommée la société ENI) est fournisseur d'électricité et de gaz naturel.

La société SNEF est une société spécialisée dans les travaux de génie électrique et climatique.

Le 21 avril 2017, la société ENI a conclu avec la société SNEF un contrat de vente de gaz naturel pour la période courant du 1er mai 2017 au 30 avril 2018.

A l'issue de ce contrat, la société ENI a continué à fournir du gaz à la société SNEF.

Le 12 juillet 2019, les parties ont conclu un second contrat pour la période courant du 1er juillet 2019 au 31 décembre 2023.

Par courrier du 5 août 2019, la société SNEF a contesté la validité du second contrat en soutenant que son consentement avait été vicié par une menace de coupure du gaz et que le signataire de l'acte n'était pas habilité à conclure le contrat.

Par différents courriers, la société SNEF a contesté les factures émises par la société ENI.

Par courrier du 28 février 2020, la société SNEF a demandé la résiliation du contrat au 30 avril 2020.

Le 10 juin 2020, la société ENI a adressé une facture de clôture pour « frais de résiliation anticipés » pour un montant de 623.149,17 euros.

La société SNEF s'y est opposée en invoquant la nullité du contrat conclu le 12 juillet 2019.

Par courrier du 24 juillet 2020, la société ENI a mis en demeure la société SNEF de lui régler la somme de 700.148,52 euros.

A défaut de paiement, par acte du 13 avril 2021, la société ENI a assigné la société SNEF devant le tribunal de commerce de Nanterre en paiement de la facture de clôture consécutive à la résiliation anticipée du contrat.

Par jugement du 25 mai 2023, le tribunal a :

- dit nul et, au surplus inopposable à la société SNEF, le contrat du 12 juillet 2019 ;

- débouté la société ENI de sa demande de paiement de la somme de 700.148,52 euros ;

- débouté la société ENI de sa demande subsidiaire ;

- débouté la société SNEF de sa demande de dommages et intérêts ;

- condamné la société ENI à payer à la société SNEF la somme de 10.000 euros au titre de la procédure abusive ;

- débouté la société ENI de sa demande de dommages et intérêts ;

- condamné la société ENI à payer à la société SNEF la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Le tribunal a considéré que la conclusion du contrat du 12 juillet 2019 avait été entachée de violence économique et qu'il était donc nul. Il a également estimé que le contrat était inopposable à la société SNEF du fait du défaut de qualité de son signataire.

Par déclaration du 7 juillet 2023, la société ENI a interjeté appel de l'ensemble des chefs du jugement sauf en ce qu'il a débouté la société SNEF de sa demande de dommages et intérêts, et par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 11 février 2025, elle demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la société SNEF de sa demande de dommages et intérêts et statuant à nouveau :

- à titre principal, condamner la société SNEF à lui payer la somme de 739.967,00 euros TTC, sauf à parfaire au jour de l'arrêt à intervenir, correspondant à l'indemnité contractuelle due au titre de la résiliation anticipée du contrat ;

- à titre subsidiaire, condamner la société SNEF à lui payer la somme de 34.274,00 euros TTC sauf à parfaire au jour de l'arrêt à intervenir, correspondant à la différence entre (i) les conditions tarifaires en vigueur lors de la durée ferme du contrat du 21 avril 2017, et (ii) le prix de marché PEG mensuel, majoré de 10 euros par mégawattheure ;

- en toute hypothèse, condamner la société SNEF à lui rembourser la somme de 25.000 euros, correspondant aux sommes de 10.000 euros au titre de la condamnation pour procédure abusive et de 15.000 euros accordés par le jugement au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'au paiement de la somme de 50.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens avec droit de recouvrement direct et la débouter de toutes demandes, en ce compris, la demande de condamnation tardive et infondée au paiement de la somme de 10.000 euros pour appel abusif.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 11 février 2025, la société SNEF demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, en conséquence, débouter la société ENI de toutes ses demandes et la condamner au paiement de la somme de 10.000 euros pour appel abusif outre celle de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens avec droit de recouvrement direct.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 13 février 2025.

MOTIFS

Il n'a pas été interjeté appel du chef du jugement par lequel la société SNEF a été déboutée de sa demande de dommages et intérêts. La cour n'en est donc pas saisie.

Sur la nullité du contrat du 12 juillet 2019

La société SNEF soutient que son consentement a été vicié par la violence économique exercée par la société ENI.

Elle fait valoir qu'elle était vis-à-vis de la société ENI dans un état de dépendance économique en raison du contrat la liant à la société CIS bio international, sa cliente, et de l'absence de préavis pour rechercher une solution alternative ; que la société ENI a abusé de cet état de dépendance économique en la menaçant d'une procédure de mise hors service de l'alimentation en gaz naturel du site de son client ; que cette man'uvre constitue un chantage pour obtenir la signature d'un nouveau contrat qui a été conclu moins d'une heure après sa transmission. La société SNEF ajoute que son consentement a été vicié par la crainte et la contrainte liée à la menace d'une coupure de l'alimentation en gaz d'un site à caractère sensible ; que seule la signature de ce nouveau contrat pouvait mettre un terme à la procédure de coupure ; que la menace a vicié le consentement dès lors qu'elle était injuste ; que la société ENI s'est adressée à un salarié non habilité avec la menace d'une coupure de l'alimentation en gaz alors même qu'aucune coupure ne pouvait avoir lieu sans respecter les règles strictes d'information. Elle estime que la société ENI a obtenu un avantage manifestement excessif par un tarif très élevé, non négocié ne reflétant pas ceux du marché au jour de la signature du contrat et une durée excessive de 54 mois alors même que le contrat conclu avec son propre client ne durait que 2 ans.

La société ENI répond que la société SNEF ne se trouvait aucunement dans un état de dépendance économique ; que le critère déterminant pour caractériser cet état résulte de l'absence d'alternative, alors qu'en l'espèce la société SNEF disposait de la possibilité de s'approvisionner auprès d'autres fournisseurs d'énergie ; que le contrat liant la société SNEF et son client CIS bio international a été établi pour une durée de 3 ans et qu'ainsi, elle ne pouvait ignorer être tenue de souscrire un nouveau contrat de fourniture de gaz à l'échéance du premier contrat de 2017 conclu pour une seule année ; que la société SNEF, en tant que professionnel de l'énergie, avait conscience de l'impossibilité de mise en 'uvre d'une coupure de l'approvisionnement de gaz en une seule journée ; qu'ainsi la crainte alléguée est en réalité inexistante.

Elle fait valoir que l'absence d'un préavis suffisant pour rechercher un autre fournisseur ne constitue pas un critère pour caractériser la dépendance économique ; que rien ne démontre l'impossibilité de retrouver un fournisseur d'énergie ; que la relation entre les parties n'ayant duré que deux ans ne constitue pas une relation durable, stable et continue de sorte que la dépendance économique ne peut se déduire de l'absence de délai de prévenance suffisant.

Par ailleurs, elle soutient que la preuve d'une menace ou pression de sa part visant à obtenir la conclusion d'un contrat n'est pas rapportée. Elle fait valoir qu'en raison de la volatilité des prix de l'énergie, il est recommandé au client de se positionner rapidement ; que le premier contrat ayant expiré le 30 avril 2018, elle était légitime à demander la formalisation d'un nouveau contrat en raison du maintien de l'approvisionnement en gaz. La société ENI estime que les premiers juges ont renversé la charge de la preuve en considérant qu'elle devait rapporter la preuve d'avoir laissé un délai de prévenance suffisant, alors qu'il appartient à la société SNEF d'établir qu'elle n'a pas disposé d'un temps suffisant pour démarcher d'autres fournisseurs.

Enfin, elle fait valoir que la preuve d'un avantage manifestement excessif n'est pas rapportée, en ce qu'elle a proposé des tarifs ajustés au prix du marché et que la durée du contrat proposé de 54 mois s'inscrit dans les normes de contrat de fournisseurs de gaz.

Sur ce,

Selon l'article 1130 du code civil « L'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes.

Leur caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné ».

L'article 1131 du même code énonce que « Les vices du consentement sont une cause de nullité relative du contrat ».

L'article 1140 du code précité dispose que : « Il y a violence lorsqu'une partie s'engage sous la pression d'une contrainte qui lui inspire la crainte d'exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable ».

Enfin, l'article 1143 prévoit qu' « Il y a également violence lorsqu'une partie, abusant de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif ».

La violence économique suppose l'existence d'un état de dépendance économique, définie comme la situation dans laquelle une personne, ne bénéficiant pas de solution de remplacement équivalente, se trouve économiquement subordonnée à une autre, et l'exploitation abusive de cette situation de dépendance économique faite par l'une des parties pour tirer profit de la crainte d'un mal menaçant directement les intérêts légitimes de l'autre partie. La violence ne constitue un vice du consentement que si elle est illégitime et déterminante.

En l'espèce, la société SNEF a conclu avec la société CIS bio international le 2 janvier 2018 un contrat portant sur l'exploitation/maintenance des installations de chauffage, ventilation, climatisation et la fourniture de vapeur du site que cette dernière exploite à [Localité 7] dans le cadre de son activité de marquage radioactif de molécules et de fabrication de produits utilisés en médecine nucléaire pour la thérapie et l'imagerie.

Le contrat a été conclu pour une durée de 3 ans à compter du 1er mai 2017 et comportait une période de test de 12 mois à compter de son entrée en vigueur.

L'article XV du contrat met à la charge de la société SNEF une obligation de résultat quant à la fourniture d'énergie et prévoit l'application d'une pénalité dès la première heure de défaillance.

Afin de satisfaire à ses obligations contractuelles, la société SNEF a souscrit à une offre de fourniture de gaz de la société ENI le 21 avril 2017 à effet au 1er mai 2017. Ce contrat précise que le bénéficiaire de la livraison n'est pas la société SNEF, mais la société « IBA molecular », c'est-à-dire la société CIS bio international. Il a été conclu pour une durée ferme d'un an non renouvelable tacitement : « Par dérogation aux conditions générales de vente, ce contrat ne peut être renouvelé de façon tacite. Tout renouvellement se fera à la suite d'un rapprochement des parties pour la rédaction d'un nouveau contrat ».

Au terme du contrat, la société ENI n'a pas repris contact avec la société SNEF pour conclure un nouveau contrat et a poursuivi l'approvisionnement en mentionnant sur les factures émises postérieurement au 30 avril 2018 une échéance reportée au 30 avril 2019, puis au 30 avril 2020 avec un délai de préavis de résiliation de 60 jours.

Or, avant ce terme, le vendredi 12 juillet 2019 à 15h48, la société ENI a adressé un courriel intitulé « renouvellement URGENT » à M. [Y], ingénieur méthode au sein de la société SNEF, dont la teneur est la suivante :

« (')

Comme échangé ensemble, le site GI108703 [de la société CIS bio international] que nous alimentons en gaz, situé à [Localité 7], n'est plus sous contrat depuis le 30/04/2018.

Nous avons été alertés en interne par les services gaz et le site est sous procédure de mise hors service.

Afin de stopper la procédure, les services concernés nous demandent la mise à jour du contrat de fourniture de gaz.

Vous trouverez ci-joint le contrat gaz qu'il faut s'il vous plaît nous renvoyer signé dans les plus brefs délais (à minima la page 7).

(') ».

La société ENI conteste toute dépendance économique de la société SNEF à son égard, soutenant que cette dernière n'ignorait pas que le contrat était arrivé à son terme et qu'elle avait la possibilité de s'approvisionner auprès d'un autre fournisseur.

Pourtant, alors que le contrat était arrivé à son terme, la société ENI a maintenu l'approvisionnement et indiqué sur les factures émises les 6 juin 2018 et 10 mai 2019 des dates d'échéance du contrat manifestant sa volonté claire et non équivoque de reconduire le contrat jusqu'au 30 avril 2020, nonobstant les stipulations relatives à sa durée, puis elle a adressé, avant l'arrivée de ce terme et au cours de la période des congés estivaux, un courriel à un salarié de la société SNEF, ingénieur méthode, sans compétence démontrée pour apprécier la situation juridique du contrat, évoquant en termes alarmants, de surcroît soulignés, l'absence de contrat depuis le 30 avril 2018 et une procédure en cours de mise hors service, induisant une menace de coupure imminente du site de la société CIS bio international à l'égard de laquelle la société SNEF était tenue d'une obligation de fourniture en gaz.

La société ENI soutient vainement que l'annexe du contrat précise que la coupure d'alimentation, du ressort du gestionnaire de réseau, prend au moins cinq jours et que le catalogue des prestations annexes de GRDF impose au fournisseur de formuler sa demande d'interruption de livraison au moins dix jours ouvrés avant la date souhaitée. En effet, le courriel du 12 juillet 2019, adressé à un salarié d'une entreprise spécialisée, non pas en fourniture de gaz, mais en électricité, plomberie et génie climatique, que la société ENI savait non juriste, évoque en des termes empreints d'une urgence extrême une menace de coupure imminente de l'alimentation sans autre précision et la nécessité de signer le contrat joint « dans les plus brefs délais », ne laissant ainsi aucune possibilité pour l'interlocuteur d'envisager consulter un autre fournisseur d'énergie.

Il ressort de ces éléments que la société ENI, par des man'uvres déloyales, a placé la société SNEF dans un état de dépendance économique, l'urgence de la situation créée par la société ENI n'ayant pas permis à la société SNEF de recourir à une solution de remplacement équivalente.

Profitant de la crainte de la société SNEF suscitée par la menace, que la société ENI savait pourtant infondée et donc illégitime, d'une coupure imminente de l'alimentation en gaz indispensable à l'activité de son client dans le domaine de la médecine nucléaire, la société ENI a exploité abusivement la situation de dépendance économique de la société SNEF, qui s'est trouvée contrainte d'accepter le contrat imposé par la société ENI, dont la durée et la tarification non négociées, très supérieures à celles du précédent contrat, sont très défavorables à la société SNEF.

En effet, alors que la société SNEF avait limité la durée du contrat de fourniture de gaz à un an correspondant à la période test prévue au contrat conclu avec la société CIS bio international, du 1er mai 2017 au 30 avril 2018, la société ENI lui a imposé un contrat d'une durée de 54 mois, dont le terme, fixé au 31 décembre 2023, excède largement celui du contrat conclu avec la société CIS bio international d'une durée maximale de 5 ans (durée initiale de 3 ans et renouvellement limité à 2 ans), portant le terme maximal du contrat, en cas de renouvellement, au 30 avril 2022. La durée du contrat du 12 juillet 2019 est donc manifestement inadaptée aux besoins de la société SNEF en ce qu'elle l'engage sur une période trop longue.

Par ailleurs, le prix du MWh/H fixé à 29,18 euros dans le contrat du 21 avril 2017 est passé, sans négociation possible, à 37,09 euros dans le contrat du 12 juillet 2019, représentant une augmentation du tarif du MWh/H de 27 %, alors que la société SNEF établit par la production d'un tableau d'évolution du prix du point d'échange de gaz entre 2010 et 2022 que le prix moyen du MWh/H était en baisse de plus de 30 % entre les mois d'avril 2017 et juillet 2019. Le tableau dont se prévaut la société SNEF recense effectivement les cotations du marché de gros du gaz qui ne correspondent donc pas au prix facturé au consommateur final. Néanmoins, il permet d'établir une tendance d'évolution du prix du gaz qui se reflète sur le prix de vente au consommateur, de sorte que cet élément de preuve est pertinent. La société ENI a ainsi obtenu un avantage manifestement excessif en termes de prix.

L'exploitation abusive par la société SNEF de la situation de contrainte économique est confirmée par l'échange de mails intervenu entre M. [D] de la société ENI et M. [Y] de la société SNEF le 12 juillet 2019. En effet, après l'envoi par M. [D] à 15h48 du courriel évoquant en termes soulignés la menace de coupure d'alimentation en gaz du site de la société CIS bio international et la nécessité pour stopper la procédure de signer un nouveau contrat « dans les plus brefs délais », M. [Y] a répondu à 16h21 : « Merci pour votre envoi. J'ai transmis à notre directeur pour signature ! Je vous le transmets dès que le contrat est signé. Merci par avance de ne pas couper le gaz » (souligné par la cour). M. [Y] a retourné le contrat signé le même jour à 16h40. Ainsi, en moins d'une heure, par la crainte générée par la menace illégitime d'interruption de la fourniture en gaz du site de son client, la société SNEF a signé un contrat dont les conditions lui étaient très défavorables.

Il se déduit également de cet échange que sans cet abus de dépendance économique, la société SNEF n'aurait pas souscrit le contrat litigieux.

Le consentement de la société SNEF a ainsi été vicié par la violence économique illégitimement infligée par la société ENI, déterminante de la conclusion du contrat du 12 juillet 2019, de sorte que par confirmation du jugement, il doit être déclaré nul.

La demande en paiement de la somme de 739.967 euros formulée par la société ENI à titre principal au titre de la résiliation anticipée du contrat du 12 juillet 2019 ne peut donc aboutir.

Sur la demande en paiement

La société ENI demande la somme de 34.274 euros résultant selon elle de l'article 14.5 des conditions générales de vente du contrat conclu en 2017 applicable en cas d'absence de renouvellement tacite et correspondant à la différence entre les conditions tarifaires de ce contrat et le prix du marché majoré de 10 euros par MWh/H assorti des pénalités de retard de paiement.

La société SNEF soutient que le contrat de 2017 a été tacitement reconduit de sorte que l'article 14.5 des conditions générales de vente n'est pas applicable.

Elle fait valoir que la société ENI a continué de lui fournir du gaz dans les conditions tarifaires initiales à l'issue du contrat de 2017 ; que les factures mensuelles indiquent une date de fin de contrat au 30 avril de l'année suivante démontrant la tacite reconduction du contrat initial à deux reprises ; qu'ainsi elle était déjà sous contrat au moment de la signature du contrat du 12 juillet 2019. Elle souligne qu'elle s'est acquittée du prix des consommations de gaz jusqu'à la résiliation du contrat de 2017 conformément au tarif applicable, de sorte que la société ENI ne peut se prévaloir d'aucune créance.

Sur ce,

L'article 1215 du code civil dispose que : « Lorsqu'à l'expiration du terme d'un contrat conclu à durée déterminée, les cocontractants continuent d'en exécuter les obligations, il y a tacite reconduction.

Celle-ci produit les mêmes effets que le renouvellement du contrat ».

L'article 14.5 des conditions générales du contrat initial du 21 avril 2017 stipule que :

« 14.5 ' Dans l'hypothèse où, à la date d'échéance du Contrat à durée ferme, le Client soit ne le renouvelle pas soit ne fait pas basculer son ou ses PCE chez un autre fournisseur soit tout simplement ne dénonce pas le contrat (par exemple cas de changement d'énergie), ENI fera ses meilleurs efforts pour continuer à fournir le ou les PCE du Client aux conditions en vigueur dans le contrat échu.

Si malgré ses efforts, ENI est dans l'impossibilité de maintenir ces conditions, le prix hors taxes et contributions facturé correspondra à la somme des coûts logistiques liés à la fourniture de chaque PCE et du prix du marché de gros pour le mois considéré majoré de 10 euros / MWh.

Le Contrat sera automatiquement prolongé jusqu'à la fin du mois civil suivant le mois de fourniture en cours et ainsi de suite, dans les nouvelles conditions ci-dessus.

Le Client pourra résilier le Contrat moyennant un préavis d'un mois et sept (7) jours. La date de fin de contrat est alors fixée à la fin du mois civil suivant la date de réception de la demande de résiliation repoussée d'un mois et 7 jours calendaires ».

A l'issue du terme fixé au contrat, soit à compter du 30 avril 2018, la société ENI a continué de l'exécuter en alimentant en gaz le site de la société CIS bio international, tandis que la société SNEF s'est acquittée des factures de la société ENI émises aux mêmes conditions tarifaires. En outre, les factures émises par la société ENI postérieurement au 30 avril 2018, les 6 juin 2018 et 10 mai 2019, mentionnent une échéance reportée au 30 avril 2019, puis au 30 avril 2020 avec un délai de préavis de résiliation de 60 jours.

Ainsi, nonobstant la durée ferme d'un an convenue par les parties, le contrat a été tacitement reconduit d'un commun accord une première fois jusqu'au 30 avril 2019, puis une seconde fois jusqu'au 30 avril 2020, aux mêmes conditions tarifaires.

En fournissant le gaz au même tarif, la société ENI n'a pas été dans l'impossibilité de maintenir les conditions tarifaires convenues en 2017 puisqu'elles ont été appliquées dans les facturations émises les 6 juin 2018 et 10 mai 2019.

L'article 14.5 n'est donc pas applicable.

Dans ces conditions, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société ENI de sa demande en paiement.

Sur la procédure abusive

La société ENI soutient qu'elle n'a fait preuve d'aucune légèreté blâmable justifiant sa condamnation.

Elle fait valoir qu'aucune faute de sa part n'est caractérisée ; que la preuve des menaces n'est pas rapportée par la société SNEF ; que ses précédentes condamnations ne peuvent influencer le présent litige.

La société SNEF expose que la société ENI a abusé de son droit d'agir tant en première instance qu'en appel justifiant la confirmation du jugement l'ayant condamnée au titre de la procédure abusive et sa condamnation au paiement d'une somme de 10.000 euros au titre de l'appel abusif. Elle explique que la société ENI est coutumière des agissements confinant à l'escroquerie et qu'elle a déjà fait l'objet de nombreuses condamnations.

Sur ce,

L'exercice d'un droit ne dégénère en abus qu'en cas de faute équipollente au dol qui n'est pas établie en l'espèce. Le jugement sera par conséquent infirmé en ce qu'il a condamné la société ENI au paiement d'une somme de 10.000 euros au titre de la procédure abusive et la société SNEF sera déboutée de sa demande indemnitaire au titre de l'appel abusif.

Il n'y a pas lieu de condamner la société SNEF au remboursement de la somme de 10.000 euros qui lui a été accordée en première instance, la restitution étant une conséquence du présent arrêt.

Sur la demande de dommages et intérêts de la société ENI pour résistance abusive

La société ENI a fait appel du chef du jugement par lequel elle a été déboutée de sa demande de dommages et intérêts et en sollicite l'infirmation. Toutefois, elle ne formule pas de demande de condamnation de la société SNEF à ce titre, ni ne présente de moyen au soutien de sa demande d'infirmation, de sorte que ce chef de jugement ne peut qu'être confirmé.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Au regard de la solution du litige, le jugement sera confirmé des chefs des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile.

La société ENI qui succombe en son appel en supportera les dépens, dont distraction au profit de la SELARL JRF & Associés et ne peut prétendre à une indemnité de procédure.

Par ailleurs, elle sera condamnée à payer à la société SNEF une somme de 50.000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, dans la limite de sa saisine ;

Infirme le jugement entrepris par voie de retranchement en ce qu'il a dit le contrat du 12 juillet 2019 inopposable ;

Le confirme pour le surplus sauf en ce qu'il a condamné la société ENI gas & power France au titre de la procédure abusive ;

Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant ;

Déboute la société SNEF de ses demandes indemnitaires au titre de la procédure et de l'appel abusifs ;

Condamne la société ENI gas & power France aux dépens d'appel dont distraction au profit de la SELARL JRF & Associés ;

Condamne la société ENI gas & power France à payer à la société SNEF la somme de 50.000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel ;

Déboute la société ENI gas & power France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier La Présidente

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