CA Angers, ch. a - civ., 30 septembre 2025, n° 23/01980
ANGERS
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
D'[Localité 8]
CHAMBRE A - CIVILE
IG/AJ
ARRET N°:
AFFAIRE N° RG 23/01980 - N° Portalis DBVP-V-B7H-FH4N
Ordonnance du 22 novembre 2023
TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 11]
n° d'inscription au RG de première instance 23/00111
ARRET DU 30 SEPTEMBRE 2025
APPELANT :
Monsieur [S] [P] [E]
[Adresse 7]
[Localité 4]
Représenté par Me Camille ROBERT, avocat au barreau de LAVAL
INTIMES :
Monsieur [B] [C]
né le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 16]
[Adresse 3]
[Localité 6]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2024-000341 du 23/01/2024 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de [Localité 8])
Représenté par Me Emmanuel-François DOREAU de la SELARL DOREAU-GOUEDO ET ASSOCIES, avocat au barreau de LAVAL - N° du dossier [C]
CPAM DE LA [Localité 12]
[Adresse 2]
[Localité 5]
N'ayant pas constitué d'avocat
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue publiquement à l'audience du 19 mai 2025 à 14 H 00, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme GANDAIS, conseillère, qui a été préalablement entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame MULLER, conseillère faisant fonction de présidente
Madame GANDAIS, conseillère
Madame REUFLET, conseillère
Greffier : Monsieur DA CUNHA
ARRET : réputé contradictoire
Prononcé publiquement le 30 septembre 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Isabelle GANDAIS, conseillère, pour la présidente empêchée et par Tony DA CUNHA, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
~~~~
FAITS ET PROCÉDURE :
Le 17 décembre 2019, M. [B] [C] (ci-après le patient) consultait le Dr [S] [P] [E] (ci-après le dentiste) qui procédait à l'extraction d'une dent.
À la suite de ces soins dentaires, le patient se plaignait de vives douleurs au niveau gauche de la langue.
Suivant courrier du 21 janvier 2020, le dentiste orientait le patient vers un autre spécialiste en raison de 'douleurs continues suite à l'extraction de la dent 37".
Suivant acte d'huissier en date des 29 août 2023 et 23 octobre 2023, le patient a fait assigner le dentiste et son organisme social, la CPAM de la [Localité 12], devant le juge des référés de [Localité 11] aux fins d'obtenir la désignation d'un expert pour rechercher les causes et l'étendue des dommages dont il aurait été victime à la suite des soins dentaires prodigués par le praticien.
Suivant ordonnance rendue le 22 novembre 2023, le juge des référés a :
- ordonné une expertise médicale confiée au Dr [W] [J], lequel s'adjoindra, si nécessaire, tout sapiteur dans une spécialité distincte de la sienne, avec pour mission de :
'1/ Prendre connaissance du dossier et se faire communiquer le cas échéant le dossier medical complet [du patient], avec l'accord de celui-ci ou de ses ayants-droit ; en tant que de besoin, se faire communiquer par tout tiers détenteur les pièces médicales nécessaires à l'expertise, avec l'accord susvisé;
2/ Procéder à l'examen clinique [du patient], en assurant la protection de l'intimité de la vie privée de la personne examinée et le secret medical pour des constatations étrangères à l'expertise ; à l'issue de cet examen, en application du principe du contradictoire, informer les parties et leurs conseils de façon circonstanciée de ses constatations et de leurs conséquences ;
3/ Noter les doléances de M. [C] et recueillir les observations des défendeurs;
4/ Déterminer l'état [du patient] avant sa prise en charge le 17 décembre 2019 par le [dentiste] (anomalies, maladies, séquelles d'accidents antérieurs) ;
5/ Décrire comment [le patient] a été pris en charge le 17 décembre 2019 par le cabinet du [dentiste] et préciser l'ensemble des soins médicaux et paramédicaux reçus lors de cette prise en charge ainsi que les prescriptions assurées par le chirurgien-dentiste ;
6/ Décrire comment l'état de santé [du patient] a par la suite évolué, au cours des semaines et mois suivants, dire quels sont les soins médicaux et paramédicaux mis en oeuvre par les autres professionnels de santé ; décrire en particulier les complications qu'il a rencontrées et leur origine ;
7/ Fournir, au vu des pièces respectivement produites et des informations recueillies auprès des parties, tous les éléments permettant au juge d'apprécier si les praticiens ont rempli leur devoir d'information, préalablement aux soins critiqués ;
8/ Dire si les soins prodigués par les différents professionnels de santé ont été conformes aux données acquises de la science médicale à l'époque où ces soins ont été prodigués ;
9/ Dire en particulier si les actes et traitements médicaux décidés par le [dentiste] étaient justifiés, s'ils ont été réalisés ou prescrits avec attention et diligence et s'ils sont conformes aux données acquises de la science médicale à l'époque où ces soins ont été prodigués ; dans la négative, décrire et analyser de façon précise et motivée la nature des erreurs, des imprudences, des maladresses, des défaillances ou des manquements commis, tant en ce qui concerne le diagnostic et le choix des soins, que leur exécution ou le suivi post-opératoire ;
10/ Donner son avis sur l'existence d'un lien de causalité entre les éventuels manquements relevés et l'évolution ultérieure de l'état de santé [du patient] ou les complications ultérieures qu'il a subies;
11/ Dans l'hypothèse de manquements et d'un lien de causalité entre ceux-ci et l'évolution ultérieure de la santé [du patient], apprécier les conséquences dommageables, notamment concernant les éléments suivants :
Pertes de gains professionnels actuels
(...)'
- enjoint aux parties de remettre à l'expert :
'- le demandeur, immédiatement, toutes pièces médicales ou para-médicales utiles à l'accomplissement de la mission, en particulier les certificats médicaux, certificats de consolidation, documents d'imagerie médicale, compte-rendus opératoires et d'examen, expertises ;
- les défendeurs, aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, à l'exclusion de documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à l'intéressé sauf établir leur origine et sous réserve de l'accord de celui-ci sur leur divulgation ;
- dit qu'à défaut d'obtenir la remise des pièces qui lui sont nécessaires, l'expert pourra être autorisé par le juge chargé du contrôle des expertises à déposer son rapport en l'état, mais qu'il pourra également se faire communiquer directement, avec l'accord [du patient] ou de ses ayants-droit, par tout tiers (médecins, personnels para-médicaux, établissements hospitaliers et de soins) toutes pièces médicales qui ne lui auraient pas été transmises par les parties et dont la production lui paraîtra nécessaire ;
(...)'
- rappelé que la décision est exécutoire par provision,
- dit que le patient sera tenu provisoirement aux dépens de l'instance.
Pour statuer ainsi, le juge a constaté que le patient indique avoir souffert de vives douleurs au niveau de la langue gauche après l'extraction de dent réalisée par le dentiste le 17 décembre 2019, que ce dernier, impuissant face à la douleur persistante a orienté le patient vers un spécialiste pour en comprendre l'origine, rédigeant en ce sens un courrier le 21 janvier 2020 à un confrère spécialiste. Il a ensuite estimé que les éléments produits démontrent l'existence d'un motif légitime pour le patient à solliciter une expertise pour identifier l'origine des douleurs ressenties après les soins prodigués par le praticien.
Suivant déclaration reçue au greffe de la cour le 19 décembre 2023, le dentiste a interjeté appel de cette ordonnance en ses dispositions énonçant les points suivants de la mission de l'expert : '- Prendre connaissance du dossier et se faire communiquer le cas échéant le dossier médical complet [du patient], avec l'accord de celui-ci ou de ses ayants-droit ; en tant que de besoin, se faire communiquer par tout tiers détenteur les pièces médicales nécessaires à l'expertise, avec l'accord susvisé ; - Enjoint aux parties de remettre à l'expert : - les défendeurs, aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, à l'exclusion de documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à l'intéressé sauf établir leur origine et sous réserve de l'accord de celui-ci sur leur divulgation ; - Dit qu'à défaut d'obtenir la remise des pièces qui lui sont nécessaires, l'expert pourra être autorisé par le juge chargé du contrôle des expertises à déposer son rapport en l'état, mais qu'il pourra également se faire communiquer directement, avec l'accord [du patient] ou de ses ayants-droit, par tous tiers (médecins, personnels para-médicaux, établissements hospitaliers et de soins) toutes pièces médicales qui ne lui auraient pas été transmises par les parties et dont la production lui paraîtra nécessaire ', intimant M. [C] et la CPAM de la [Localité 12].
Suivant acte de commissaire de justice remis à personne habilitée le 28 mars 2024, le dentiste a fait signifier sa déclaration d'appel et ses conclusions à la CPAM de la [Localité 12].
La CPAM de la [Localité 12] n'ayant pas constitué avocat, l'arrêt rendu sera réputé contradictoire, conformément à l'article 474 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 avril 2025 et conformément à l'avis délivré par le greffe aux parties le 1er octobre 2024, l'affaire a été appelée à l'audience du 19 mai 2025 au cours de laquelle elle a été retenue.
PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Aux termes de ses dernières écritures reçues le 4 décembre 2024, le dentiste demande à la cour de :
- réformer l'ordonnance rendue par le Président du Tribunal judiciaire de Laval du 22 novembre 2023 en ce qu'elle limite la production de pièces par la partie défenderesse à l'accord exprès du patient,
En conséquence,
- l'autoriser à communiquer à l'expert toutes pièces y compris les pièces médicales en lien avec les faits litigieux, indispensables au bon déroulement des opérations d'expertise sans que puisse lui être opposé le secret médical,
- statuer de droit sur les dépens.
Aux termes de ses uniques écritures reçues le 20 mars 2024, le patient demande à la cour de lui décerner acte de ce qu'il s'en rapporte à justice.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, à leurs conclusions ci-dessus mentionnées.
MOTIFS DE LA DECISION :
I - Sur la mission confiée à l'expert
Le dentiste sollicite la réformation partielle de l'ordonnance déférée s'agissant des modalités prévues pour le déroulé des opérations d'expertise, en ce que la mission mentionne qu'il appartient à l'expert de se faire communiquer les pièces médicales par le patient, ses ayants-droit ou encore tout tiers détenteur, avec l'accord du patient ou de ses ayants-droit et en ce qu'elle subordonne également la production par ses soins, de pièces médicales à ce même accord. Il fait valoir que :
- la cour de cassation, dans un arrêt n°06-10.606 du 15 mai 2007, a considéré que constitue une atteinte au principe de l'égalité des armes résultant du droit au procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme le fait d'interdire à une partie de faire la preuve d'un élément de fait essentiel pour le succès de ses prétentions ; que par ailleurs, toute atteinte à la vie privée n'est pas interdite, et qu'une telle atteinte peut être justifiée par l'exigence de la protection d'autres intérêts, dont celle des droits de la défense, si elle reste proportionnée au regard des intérêts antinomiques en présence ; que dans plusieurs arrêts récents, les cours d'appel de [Localité 14], [Localité 10], [Localité 9], [Localité 13], [Localité 15] ont considéré que l'ordonnance qui soumet la production de pièces médicales par la partie défenderesse, dont la responsabilité est susceptible d'être recherchée, à l'accord préalable de l'autre partie au litige, alors que ces pièces peuvent s'avérer utiles voire même essentielles à la réalisation de la mesure d'instruction et par suite à la manifestation de la vérité, porter atteinte aux droits de la défense ;
- la mission confiée par le premier juge à l'expert judiciaire qui subordonne la communication des éléments du dossier médical nécessaires à l'exercice effectif de sa défense à l'autorisation du patient, compromet le principe de l'égalité des armes et du droit au procès équitable ;
- l'atteinte à ses droits de la défense est d'autant plus excessive et disproportionnée que dans son acte introductif d'instance, le patient n'a jamais sollicité une telle mesure attentatoire aux droits de la défense ;
- peu importe que le rapport d'expertise ait été déposé, il appartient à la cour de se prononcer sur sa demande de réformation.
Le patient indique qu'il s'en rapporte à justice, précisant que la mission d'expertise a eu lieu et qu'un rapport définitif a été déposé. Il souligne qu'il ne conteste pas ledit rapport qui met hors de cause le dentiste et qu'il ne donnera dès lors pas de suite à la procédure.
Sur ce, la cour
La cour rappelle que selon l'article L 1110-4 du code de la santé publique, toute personne prise en charge par un professionnel de santé, un établissement ou service, a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. Excepté dans les cas de dérogations expressément prévues par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations venues à la connaissance du professionnel et s'impose à tous les professionnels intervenants dans le système de santé.
La personne est dûment informée de son droit d'exercer une opposition à l'échange et au partage d'informations la concernant. Elle peut exercer ce droit à tout moment.
L'article R 4127-4 du même code précise que le secret professionnel institué dans l'intérêt des patients s'impose à tout médecin et couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris.
Il découle de ces dispositions que le secret médical est un droit propre du patient, instauré dans le but de protéger sa vie privée et le secret des informations le concernant. Ce droit présente un caractère absolu et s'impose dans les conditions établies par la loi à tout médecin ou établissement de santé, auxquels il est fait obligation de protéger contre toute indiscrétion les documents médicaux concernant les personnes qu'il a soignées ou examinées.
Il est par ailleurs protégé par de nombreux textes nationaux (article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, articles 9 du code civil et 226-13 du code pénal), et internationaux (article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme).
Il ne peut y être dérogé qu'en vertu d'une autorisation de la loi.
Parallèlement, le médecin ou établissement soumis à ce secret, bénéficie, lorsque sa responsabilité professionnelle est susceptible d'être recherchée par le patient, de droits attachés à sa défense prévus et protégés tant dans l'ordre juridique interne (article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen) dans lequel ils sont à valeur constitutionnelle, qu'en droit international (articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques signé le 16 décembre 1966).
Il est admis que l'exercice des droits attachés à la défense comprend la production de pièces.
Aucune disposition légale interne ne prévoit de dérogation au droit au secret médical bénéficiant au patient au profit de l'exercice des droits attachés à leur défense par le médecin ou établissement dont la responsabilité est mise en cause.
Le juge est néanmoins tenu, en toutes circonstances, de faire respecter les droits de la défense et de veiller à l'égalité des armes entre les parties. À cette fin, ne doit être considérée comme justifiée la production en justice de documents couverts par le secret médical que lorsqu'elle est indispensable à l'exercice des droits de la défense et proportionnée au but poursuivi.
En l'espèce, le patient qui a nécessairement accès à son dossier médical en application de l'article L 1111-7 du code de la santé publique, doit, afin de permettre que la mesure d'instruction qu'il a lui-même sollicitée, se réalise, communiquer ledit dossier à l'expert, sans qu'il soit nécessaire de soumettre cette communication à son accord préalable.
En outre, la partie initialement défenderesse à l'expertise, en l'occurence le dentiste, doit pouvoir produire sans autorisation préalable du patient les pièces couvertes par le secret médical strictement nécessaires à sa défense qui sont celles qui présentent un lien avec les soins dentaires litigieux dispensés au patient le 17 décembre 2019.
En soumettant la production de pièces médicales par la partie défenderesse, dont la responsabilité est susceptible d'être ultérieurement recherchée, à l'accord préalable du patient, alors que ces pièces peuvent s'avérer utiles voire même essentielles à la réalisation de la mesure d'instruction et, par suite, à la manifestation de la vérité, l'ordonnance entreprise a porté atteinte aux droits de la défense du dentiste.
Cette atteinte est excessive et disproportionnée, au regard des intérêts protégés par le secret médical, en ce que l'une des parties au litige se trouve empêchée, par l'autre, de produire spontanément les pièces qu'elle estime utiles au bon déroulement des opérations d'expertise et nécessaires à sa défense.
Elle l'est d'autant plus que le patient n'avait présenté aucune demande en ce sens, n'ayant fait part d'aucune opposition à la production de l'ensemble des pièces médicales relatives aux faits litigieux.
Il convient dès lors de réformer l'ordonnance déférée en ce sens que l'expert aura pour mission de prendre connaissance du dossier et se faire communiquer le cas échéant le dossier médical complet du patient sans nécessité pour ce faire de l'accord du patient ou de ses ayants-droit.
En outre, la cour enjoindra aux défendeurs à l'expertise, de fournir aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion et sans que le secret professionnel puisse leur être opposé, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, en ce compris les documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs au demandeur à l'expertise, strictement nécessaires à leur défense et qui sont en lien avec les faits dénoncés par le patient et des soins ultérieurs à l'intervention litigieuse.
S'agissant de la demande visant à voir autoriser l'expert à se faire librement communiquer par tout tiers détenteur l'ensemble des documents médicaux nécessaires sans que puisse lui être opposé le secret médical ou professionnel, l'article 11 alinéa 2 du code de procédure civile dispose que si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l'autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d'astreinte. Il peut, à la requête de l'une des parties, demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la production de tous documents détenus par des tiers s'il n'existe pas d'empêchement légitime.
Le secret médical auquel sont nécessairement tenus les tiers détenant des pièces médicales relatives à l'état de santé du patient et aux soins qu'il a reçus s'impose à eux et constitue un empêchement légitime au sens des dispositions sus-visées.
Il s'impose également au juge qui ne peut impartir à l'expert une mission portant atteinte au secret médical sans subordonner l'exécution de cette mission à l'autorisation préalable du patient concerné, sauf à tirer les conséquences d'un refus illégitime du patient.
Il résulte de ces éléments qu'il ne peut être dérogé à l'accord de la victime ou de ses ayants-droit lorsque l'expert entend se faire communiquer par un tiers une pièce médicale qui ne lui aurait pas déjà été communiquée par les parties auxquelles il appartient en premier lieu de pourvoir à la défense de leurs intérêts. En l'absence d'un tel accord, toute partie qui y aurait intérêt resterait admise soit à saisir le juge du contrôle pour qu'il ordonne la production de la pièce litigieuse, soit à faire constater le caractère illégitime du refus par le juge du fond auquel il pourrait être demandé d'en tirer toutes conséquences.
Dans ces conditions, c'est de façon justifiée que le premier juge a soumis la production de pièces médicales à l'expert par des tiers à l'accord de la victime ou de ses ayants-droit. La décision sera confirmée de ce chef.
II- Sur les dépens
Les dépens d'appel exposés par les parties resteront à leur charge.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, par mise à disposition au greffe,
Confirme, dans les limites de sa saisine, l'ordonnance du 22 novembre 2023 du juge des référés du tribunal judiciaire de Laval sauf en ce qu'elle prévoit que l'expert prenne connaissance du dossier et se fasse communiquer le cas échéant le dossier médical de M. [B] [C] avec l'accord de celui-ci ou de ses ayants-droit, en ce qu'elle enjoint aux défendeurs de fournir à l'expert aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, à l'exclusion de documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à l'intéressé sauf à établir leur origine et sous réserve de l'accord de celui-ci sur leur divulgation,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Dit que l'expert aura pour mission de prendre connaissance du dossier et de se faire communiquer le dossier médical complet de M. [B] [C] sans l'accord de celui-ci ou de ses ayants-droit,
Enjoint au Dr [S] [P] [E] de fournir aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion et sans que le secret professionnel puisse lui être opposé, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, en ce compris les documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à M. [B] [C], strictement nécessaires à sa défense et qui sont en lien avec les faits dénoncés par le patient et des soins ultérieurs à l'intervention litigieuse,
Dit que chaque partie conservera la charge des dépens d'appel par elle exposés.
LE GREFFIER, P/LA PRESIDENTE, empêchée,
D'[Localité 8]
CHAMBRE A - CIVILE
IG/AJ
ARRET N°:
AFFAIRE N° RG 23/01980 - N° Portalis DBVP-V-B7H-FH4N
Ordonnance du 22 novembre 2023
TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 11]
n° d'inscription au RG de première instance 23/00111
ARRET DU 30 SEPTEMBRE 2025
APPELANT :
Monsieur [S] [P] [E]
[Adresse 7]
[Localité 4]
Représenté par Me Camille ROBERT, avocat au barreau de LAVAL
INTIMES :
Monsieur [B] [C]
né le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 16]
[Adresse 3]
[Localité 6]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2024-000341 du 23/01/2024 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de [Localité 8])
Représenté par Me Emmanuel-François DOREAU de la SELARL DOREAU-GOUEDO ET ASSOCIES, avocat au barreau de LAVAL - N° du dossier [C]
CPAM DE LA [Localité 12]
[Adresse 2]
[Localité 5]
N'ayant pas constitué d'avocat
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue publiquement à l'audience du 19 mai 2025 à 14 H 00, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme GANDAIS, conseillère, qui a été préalablement entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame MULLER, conseillère faisant fonction de présidente
Madame GANDAIS, conseillère
Madame REUFLET, conseillère
Greffier : Monsieur DA CUNHA
ARRET : réputé contradictoire
Prononcé publiquement le 30 septembre 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Isabelle GANDAIS, conseillère, pour la présidente empêchée et par Tony DA CUNHA, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE :
Le 17 décembre 2019, M. [B] [C] (ci-après le patient) consultait le Dr [S] [P] [E] (ci-après le dentiste) qui procédait à l'extraction d'une dent.
À la suite de ces soins dentaires, le patient se plaignait de vives douleurs au niveau gauche de la langue.
Suivant courrier du 21 janvier 2020, le dentiste orientait le patient vers un autre spécialiste en raison de 'douleurs continues suite à l'extraction de la dent 37".
Suivant acte d'huissier en date des 29 août 2023 et 23 octobre 2023, le patient a fait assigner le dentiste et son organisme social, la CPAM de la [Localité 12], devant le juge des référés de [Localité 11] aux fins d'obtenir la désignation d'un expert pour rechercher les causes et l'étendue des dommages dont il aurait été victime à la suite des soins dentaires prodigués par le praticien.
Suivant ordonnance rendue le 22 novembre 2023, le juge des référés a :
- ordonné une expertise médicale confiée au Dr [W] [J], lequel s'adjoindra, si nécessaire, tout sapiteur dans une spécialité distincte de la sienne, avec pour mission de :
'1/ Prendre connaissance du dossier et se faire communiquer le cas échéant le dossier medical complet [du patient], avec l'accord de celui-ci ou de ses ayants-droit ; en tant que de besoin, se faire communiquer par tout tiers détenteur les pièces médicales nécessaires à l'expertise, avec l'accord susvisé;
2/ Procéder à l'examen clinique [du patient], en assurant la protection de l'intimité de la vie privée de la personne examinée et le secret medical pour des constatations étrangères à l'expertise ; à l'issue de cet examen, en application du principe du contradictoire, informer les parties et leurs conseils de façon circonstanciée de ses constatations et de leurs conséquences ;
3/ Noter les doléances de M. [C] et recueillir les observations des défendeurs;
4/ Déterminer l'état [du patient] avant sa prise en charge le 17 décembre 2019 par le [dentiste] (anomalies, maladies, séquelles d'accidents antérieurs) ;
5/ Décrire comment [le patient] a été pris en charge le 17 décembre 2019 par le cabinet du [dentiste] et préciser l'ensemble des soins médicaux et paramédicaux reçus lors de cette prise en charge ainsi que les prescriptions assurées par le chirurgien-dentiste ;
6/ Décrire comment l'état de santé [du patient] a par la suite évolué, au cours des semaines et mois suivants, dire quels sont les soins médicaux et paramédicaux mis en oeuvre par les autres professionnels de santé ; décrire en particulier les complications qu'il a rencontrées et leur origine ;
7/ Fournir, au vu des pièces respectivement produites et des informations recueillies auprès des parties, tous les éléments permettant au juge d'apprécier si les praticiens ont rempli leur devoir d'information, préalablement aux soins critiqués ;
8/ Dire si les soins prodigués par les différents professionnels de santé ont été conformes aux données acquises de la science médicale à l'époque où ces soins ont été prodigués ;
9/ Dire en particulier si les actes et traitements médicaux décidés par le [dentiste] étaient justifiés, s'ils ont été réalisés ou prescrits avec attention et diligence et s'ils sont conformes aux données acquises de la science médicale à l'époque où ces soins ont été prodigués ; dans la négative, décrire et analyser de façon précise et motivée la nature des erreurs, des imprudences, des maladresses, des défaillances ou des manquements commis, tant en ce qui concerne le diagnostic et le choix des soins, que leur exécution ou le suivi post-opératoire ;
10/ Donner son avis sur l'existence d'un lien de causalité entre les éventuels manquements relevés et l'évolution ultérieure de l'état de santé [du patient] ou les complications ultérieures qu'il a subies;
11/ Dans l'hypothèse de manquements et d'un lien de causalité entre ceux-ci et l'évolution ultérieure de la santé [du patient], apprécier les conséquences dommageables, notamment concernant les éléments suivants :
Pertes de gains professionnels actuels
(...)'
- enjoint aux parties de remettre à l'expert :
'- le demandeur, immédiatement, toutes pièces médicales ou para-médicales utiles à l'accomplissement de la mission, en particulier les certificats médicaux, certificats de consolidation, documents d'imagerie médicale, compte-rendus opératoires et d'examen, expertises ;
- les défendeurs, aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, à l'exclusion de documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à l'intéressé sauf établir leur origine et sous réserve de l'accord de celui-ci sur leur divulgation ;
- dit qu'à défaut d'obtenir la remise des pièces qui lui sont nécessaires, l'expert pourra être autorisé par le juge chargé du contrôle des expertises à déposer son rapport en l'état, mais qu'il pourra également se faire communiquer directement, avec l'accord [du patient] ou de ses ayants-droit, par tout tiers (médecins, personnels para-médicaux, établissements hospitaliers et de soins) toutes pièces médicales qui ne lui auraient pas été transmises par les parties et dont la production lui paraîtra nécessaire ;
(...)'
- rappelé que la décision est exécutoire par provision,
- dit que le patient sera tenu provisoirement aux dépens de l'instance.
Pour statuer ainsi, le juge a constaté que le patient indique avoir souffert de vives douleurs au niveau de la langue gauche après l'extraction de dent réalisée par le dentiste le 17 décembre 2019, que ce dernier, impuissant face à la douleur persistante a orienté le patient vers un spécialiste pour en comprendre l'origine, rédigeant en ce sens un courrier le 21 janvier 2020 à un confrère spécialiste. Il a ensuite estimé que les éléments produits démontrent l'existence d'un motif légitime pour le patient à solliciter une expertise pour identifier l'origine des douleurs ressenties après les soins prodigués par le praticien.
Suivant déclaration reçue au greffe de la cour le 19 décembre 2023, le dentiste a interjeté appel de cette ordonnance en ses dispositions énonçant les points suivants de la mission de l'expert : '- Prendre connaissance du dossier et se faire communiquer le cas échéant le dossier médical complet [du patient], avec l'accord de celui-ci ou de ses ayants-droit ; en tant que de besoin, se faire communiquer par tout tiers détenteur les pièces médicales nécessaires à l'expertise, avec l'accord susvisé ; - Enjoint aux parties de remettre à l'expert : - les défendeurs, aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, à l'exclusion de documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à l'intéressé sauf établir leur origine et sous réserve de l'accord de celui-ci sur leur divulgation ; - Dit qu'à défaut d'obtenir la remise des pièces qui lui sont nécessaires, l'expert pourra être autorisé par le juge chargé du contrôle des expertises à déposer son rapport en l'état, mais qu'il pourra également se faire communiquer directement, avec l'accord [du patient] ou de ses ayants-droit, par tous tiers (médecins, personnels para-médicaux, établissements hospitaliers et de soins) toutes pièces médicales qui ne lui auraient pas été transmises par les parties et dont la production lui paraîtra nécessaire ', intimant M. [C] et la CPAM de la [Localité 12].
Suivant acte de commissaire de justice remis à personne habilitée le 28 mars 2024, le dentiste a fait signifier sa déclaration d'appel et ses conclusions à la CPAM de la [Localité 12].
La CPAM de la [Localité 12] n'ayant pas constitué avocat, l'arrêt rendu sera réputé contradictoire, conformément à l'article 474 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 avril 2025 et conformément à l'avis délivré par le greffe aux parties le 1er octobre 2024, l'affaire a été appelée à l'audience du 19 mai 2025 au cours de laquelle elle a été retenue.
PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Aux termes de ses dernières écritures reçues le 4 décembre 2024, le dentiste demande à la cour de :
- réformer l'ordonnance rendue par le Président du Tribunal judiciaire de Laval du 22 novembre 2023 en ce qu'elle limite la production de pièces par la partie défenderesse à l'accord exprès du patient,
En conséquence,
- l'autoriser à communiquer à l'expert toutes pièces y compris les pièces médicales en lien avec les faits litigieux, indispensables au bon déroulement des opérations d'expertise sans que puisse lui être opposé le secret médical,
- statuer de droit sur les dépens.
Aux termes de ses uniques écritures reçues le 20 mars 2024, le patient demande à la cour de lui décerner acte de ce qu'il s'en rapporte à justice.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, à leurs conclusions ci-dessus mentionnées.
MOTIFS DE LA DECISION :
I - Sur la mission confiée à l'expert
Le dentiste sollicite la réformation partielle de l'ordonnance déférée s'agissant des modalités prévues pour le déroulé des opérations d'expertise, en ce que la mission mentionne qu'il appartient à l'expert de se faire communiquer les pièces médicales par le patient, ses ayants-droit ou encore tout tiers détenteur, avec l'accord du patient ou de ses ayants-droit et en ce qu'elle subordonne également la production par ses soins, de pièces médicales à ce même accord. Il fait valoir que :
- la cour de cassation, dans un arrêt n°06-10.606 du 15 mai 2007, a considéré que constitue une atteinte au principe de l'égalité des armes résultant du droit au procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme le fait d'interdire à une partie de faire la preuve d'un élément de fait essentiel pour le succès de ses prétentions ; que par ailleurs, toute atteinte à la vie privée n'est pas interdite, et qu'une telle atteinte peut être justifiée par l'exigence de la protection d'autres intérêts, dont celle des droits de la défense, si elle reste proportionnée au regard des intérêts antinomiques en présence ; que dans plusieurs arrêts récents, les cours d'appel de [Localité 14], [Localité 10], [Localité 9], [Localité 13], [Localité 15] ont considéré que l'ordonnance qui soumet la production de pièces médicales par la partie défenderesse, dont la responsabilité est susceptible d'être recherchée, à l'accord préalable de l'autre partie au litige, alors que ces pièces peuvent s'avérer utiles voire même essentielles à la réalisation de la mesure d'instruction et par suite à la manifestation de la vérité, porter atteinte aux droits de la défense ;
- la mission confiée par le premier juge à l'expert judiciaire qui subordonne la communication des éléments du dossier médical nécessaires à l'exercice effectif de sa défense à l'autorisation du patient, compromet le principe de l'égalité des armes et du droit au procès équitable ;
- l'atteinte à ses droits de la défense est d'autant plus excessive et disproportionnée que dans son acte introductif d'instance, le patient n'a jamais sollicité une telle mesure attentatoire aux droits de la défense ;
- peu importe que le rapport d'expertise ait été déposé, il appartient à la cour de se prononcer sur sa demande de réformation.
Le patient indique qu'il s'en rapporte à justice, précisant que la mission d'expertise a eu lieu et qu'un rapport définitif a été déposé. Il souligne qu'il ne conteste pas ledit rapport qui met hors de cause le dentiste et qu'il ne donnera dès lors pas de suite à la procédure.
Sur ce, la cour
La cour rappelle que selon l'article L 1110-4 du code de la santé publique, toute personne prise en charge par un professionnel de santé, un établissement ou service, a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. Excepté dans les cas de dérogations expressément prévues par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations venues à la connaissance du professionnel et s'impose à tous les professionnels intervenants dans le système de santé.
La personne est dûment informée de son droit d'exercer une opposition à l'échange et au partage d'informations la concernant. Elle peut exercer ce droit à tout moment.
L'article R 4127-4 du même code précise que le secret professionnel institué dans l'intérêt des patients s'impose à tout médecin et couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris.
Il découle de ces dispositions que le secret médical est un droit propre du patient, instauré dans le but de protéger sa vie privée et le secret des informations le concernant. Ce droit présente un caractère absolu et s'impose dans les conditions établies par la loi à tout médecin ou établissement de santé, auxquels il est fait obligation de protéger contre toute indiscrétion les documents médicaux concernant les personnes qu'il a soignées ou examinées.
Il est par ailleurs protégé par de nombreux textes nationaux (article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, articles 9 du code civil et 226-13 du code pénal), et internationaux (article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme).
Il ne peut y être dérogé qu'en vertu d'une autorisation de la loi.
Parallèlement, le médecin ou établissement soumis à ce secret, bénéficie, lorsque sa responsabilité professionnelle est susceptible d'être recherchée par le patient, de droits attachés à sa défense prévus et protégés tant dans l'ordre juridique interne (article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen) dans lequel ils sont à valeur constitutionnelle, qu'en droit international (articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques signé le 16 décembre 1966).
Il est admis que l'exercice des droits attachés à la défense comprend la production de pièces.
Aucune disposition légale interne ne prévoit de dérogation au droit au secret médical bénéficiant au patient au profit de l'exercice des droits attachés à leur défense par le médecin ou établissement dont la responsabilité est mise en cause.
Le juge est néanmoins tenu, en toutes circonstances, de faire respecter les droits de la défense et de veiller à l'égalité des armes entre les parties. À cette fin, ne doit être considérée comme justifiée la production en justice de documents couverts par le secret médical que lorsqu'elle est indispensable à l'exercice des droits de la défense et proportionnée au but poursuivi.
En l'espèce, le patient qui a nécessairement accès à son dossier médical en application de l'article L 1111-7 du code de la santé publique, doit, afin de permettre que la mesure d'instruction qu'il a lui-même sollicitée, se réalise, communiquer ledit dossier à l'expert, sans qu'il soit nécessaire de soumettre cette communication à son accord préalable.
En outre, la partie initialement défenderesse à l'expertise, en l'occurence le dentiste, doit pouvoir produire sans autorisation préalable du patient les pièces couvertes par le secret médical strictement nécessaires à sa défense qui sont celles qui présentent un lien avec les soins dentaires litigieux dispensés au patient le 17 décembre 2019.
En soumettant la production de pièces médicales par la partie défenderesse, dont la responsabilité est susceptible d'être ultérieurement recherchée, à l'accord préalable du patient, alors que ces pièces peuvent s'avérer utiles voire même essentielles à la réalisation de la mesure d'instruction et, par suite, à la manifestation de la vérité, l'ordonnance entreprise a porté atteinte aux droits de la défense du dentiste.
Cette atteinte est excessive et disproportionnée, au regard des intérêts protégés par le secret médical, en ce que l'une des parties au litige se trouve empêchée, par l'autre, de produire spontanément les pièces qu'elle estime utiles au bon déroulement des opérations d'expertise et nécessaires à sa défense.
Elle l'est d'autant plus que le patient n'avait présenté aucune demande en ce sens, n'ayant fait part d'aucune opposition à la production de l'ensemble des pièces médicales relatives aux faits litigieux.
Il convient dès lors de réformer l'ordonnance déférée en ce sens que l'expert aura pour mission de prendre connaissance du dossier et se faire communiquer le cas échéant le dossier médical complet du patient sans nécessité pour ce faire de l'accord du patient ou de ses ayants-droit.
En outre, la cour enjoindra aux défendeurs à l'expertise, de fournir aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion et sans que le secret professionnel puisse leur être opposé, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, en ce compris les documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs au demandeur à l'expertise, strictement nécessaires à leur défense et qui sont en lien avec les faits dénoncés par le patient et des soins ultérieurs à l'intervention litigieuse.
S'agissant de la demande visant à voir autoriser l'expert à se faire librement communiquer par tout tiers détenteur l'ensemble des documents médicaux nécessaires sans que puisse lui être opposé le secret médical ou professionnel, l'article 11 alinéa 2 du code de procédure civile dispose que si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l'autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d'astreinte. Il peut, à la requête de l'une des parties, demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la production de tous documents détenus par des tiers s'il n'existe pas d'empêchement légitime.
Le secret médical auquel sont nécessairement tenus les tiers détenant des pièces médicales relatives à l'état de santé du patient et aux soins qu'il a reçus s'impose à eux et constitue un empêchement légitime au sens des dispositions sus-visées.
Il s'impose également au juge qui ne peut impartir à l'expert une mission portant atteinte au secret médical sans subordonner l'exécution de cette mission à l'autorisation préalable du patient concerné, sauf à tirer les conséquences d'un refus illégitime du patient.
Il résulte de ces éléments qu'il ne peut être dérogé à l'accord de la victime ou de ses ayants-droit lorsque l'expert entend se faire communiquer par un tiers une pièce médicale qui ne lui aurait pas déjà été communiquée par les parties auxquelles il appartient en premier lieu de pourvoir à la défense de leurs intérêts. En l'absence d'un tel accord, toute partie qui y aurait intérêt resterait admise soit à saisir le juge du contrôle pour qu'il ordonne la production de la pièce litigieuse, soit à faire constater le caractère illégitime du refus par le juge du fond auquel il pourrait être demandé d'en tirer toutes conséquences.
Dans ces conditions, c'est de façon justifiée que le premier juge a soumis la production de pièces médicales à l'expert par des tiers à l'accord de la victime ou de ses ayants-droit. La décision sera confirmée de ce chef.
II- Sur les dépens
Les dépens d'appel exposés par les parties resteront à leur charge.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, par mise à disposition au greffe,
Confirme, dans les limites de sa saisine, l'ordonnance du 22 novembre 2023 du juge des référés du tribunal judiciaire de Laval sauf en ce qu'elle prévoit que l'expert prenne connaissance du dossier et se fasse communiquer le cas échéant le dossier médical de M. [B] [C] avec l'accord de celui-ci ou de ses ayants-droit, en ce qu'elle enjoint aux défendeurs de fournir à l'expert aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, à l'exclusion de documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à l'intéressé sauf à établir leur origine et sous réserve de l'accord de celui-ci sur leur divulgation,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Dit que l'expert aura pour mission de prendre connaissance du dossier et de se faire communiquer le dossier médical complet de M. [B] [C] sans l'accord de celui-ci ou de ses ayants-droit,
Enjoint au Dr [S] [P] [E] de fournir aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion et sans que le secret professionnel puisse lui être opposé, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, en ce compris les documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à M. [B] [C], strictement nécessaires à sa défense et qui sont en lien avec les faits dénoncés par le patient et des soins ultérieurs à l'intervention litigieuse,
Dit que chaque partie conservera la charge des dépens d'appel par elle exposés.
LE GREFFIER, P/LA PRESIDENTE, empêchée,