CA Saint-Denis de la Réunion, ch. soc., 30 septembre 2025, n° 23/01505
SAINT-DENIS DE LA RÉUNION
Arrêt
Autre
AFFAIRE : N° RG 23/01505 - N° Portalis DBWB-V-B7H-F7BI
Code Aff. :CJ
ARRÊT N°
ORIGINE :JUGEMENT du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT-DENIS en date du 03 Octobre 2023, rg n° F 22/00229
COUR D'APPEL DE SAINT-DENIS
DE [Localité 6]
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 30 SEPTEMBRE 2025
.
APPELANTE :
ASSOCIATION SAINT FRANCOIS D'ASSISES (ASFA)
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Christine CHANE-KANE, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION et Me Wilfried MOULAY de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de CHARTRES
INTIMÉ :
Monsieur [S] [O]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Alexandre ALQUIER de la SELARL ALQUIER & ASSOCIÉS, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
Clôture : 7 avril 2025
DÉBATS : En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 juin 2025 en audience publique, devant Corinne JACQUEMIN, présidente de chambre et Agathe ALIAMUS, conseillère, assistées de Delphine SCHUFT, greffière.
La présidente a précisé que l'audience se tiendrait en double rapporteur, les parties ne s'y sont pas opposées.
Ce magistrat a indiqué à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition au greffe le 30 septembre 2025.
Il a été rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Corinne JACQUEMIN
Conseiller : Agathe ALIAMUS
Conseiller : Anne-Charlotte LEGROIS
Qui en ont délibéré
ARRÊT : mis à disposition des parties le 30 SEPTEMBRE 2025
Greffier lors de la mise à disposition de l'arrêt : Monique LEBRUN
* *
* LA COUR :
EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [S] [O] a été embauché le 2 mai 2001 selon contrat de travail à durée déterminée (CDD) par l'association [Localité 7] d'Assises (ASFA) en tant qu'éducateur physique à mi-temps, puis selon contrat à durée indéterminée et à temps complet à compter du 25 juillet suivant.
Le 1er février 2014, il a été nommé directeur adjoint de la MAS Franche Terre, située à [Localité 8] et, à compter du 1er janvier 2018, la direction adjointe du Centre d'Education Motrice, situé sur le même site lui a été confiée.
À partir du 20 mai 2019, M. [O] a été nommé directeur adjoint du [Adresse 5] (CAMSP) et de la plateforme services comprenant le SESSAD DI, le SESSAD Moteur et SAMSAH, au sein du pôle médico-social handicap.
Le salarié bénéficiait d'un salaire brut mensuel de 8.240,30 € pour 151,57 heures de travail.
La convention collective nationale IDCC 29 s'appliquait à la relation de travail.
M. [O] a été convoqué le 16 mars 2022, à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 25 mars 2022 et une mise à pied conservatoire lui a été notifiée le 24 mars 2022, avant son licenciement prononcé le 29 mars 2022 pour faute grave.
M. [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Denis le 30 juin 2022 aux fins de contester ces mesures et faire valoir ses droits.
Par jugement du 3 octobre 2023, le conseil de prud'hommes de Saint-Denis a :
dit et jugé que le licenciement pour faute grave de M. [O] qui a été notifié le 29 mars 2022 est sans cause réelle et sérieuse ;
dit que le salaire de référence de M. [O], sur la base de la moyenne des 12 derniers mois, est de 8.046,15 € bruts ;
condamné l'ASFA à payer à M. [O] :
96.553,80 € nets au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
48.068,73 € nets au titre de l'indemnité légale de licenciement,
48.276,90 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
4.827,69 € bruts au titre des congés payés afférents,
1.648,07 € bruts au titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire injustifiée,
15.000 € au titre du préjudice distinct,
1.000 € à verser sur le compte personnel de formation de M. [O],
2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
ordonné la délivrance des documents de rupture et bulletins de paie rectifiés sous astreinte de 50 € par jour de retard, avec faculté de liquidation par le conseil de prud'hommes de Saint-Denis ;
ordonné la régularisation de toute incidence auprès des organismes de retraite et de prévoyance ;
dit que les condamnations prononcées porteront intérêts de droit à compter de la saisine ;
condamné l'ASFA aux dépens.
Par déclaration du 26 octobre 2023, l'ASFA a interjeté appel de cette décision.
Par conclusions remises par voie électronique le 21 mars 2025, l'ASFA requiert de la cour de :
dire et juger bien fondé le licenciement pour faute grave notifié à M. [O] ;
réformer par infirmation, en toutes ses dispositions, le jugement entrepris ;
ordonner que les sommes payées à M. [O] dans le cadre de l'exécution provisoire de droit du jugement entrepris lui soit restituées ;
condamner M. [O] à lui verser une somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de la procédure d'appel ;
condamner M. [O] aux entiers dépens de la procédure d'appel.
Par conclusions remises par voie électronique le 26 mars 2024, M. [O] requiert de la cour :
confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
dit et jugé que son licenciement pour faute grave qui a été notifié le 29 mars 2022 est sans cause réelle et sérieuse ;
ordonné la délivrance des documents de rupture et bulletins de paie rectifiés sous astreinte de 50 € par jour de retard, avec faculté de liquidation par le conseil de prud'hommes de Saint-Denis ;
ordonné la régularisation de toute incidence auprès des organismes de retraite et de prévoyance ;
dit que les condamnations prononcées porteront intérêts de droit à compter de la saisine ;
condamné l'ASFA aux dépens ;
infirmer le jugement en ce qu'il a :
dit que son salaire de référence sur la base de la moyenne des 12 derniers mois est de 8.046,15 € bruts ;
condamné l'ASFA à lui payer :
96.553,80 € nets au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
48.068,73 € nets au titre de l'indemnité légale de licenciement,
48.276,90 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
4.827,69 € bruts au titre des congés payés afférents,
1.648,07 € bruts au titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire injustifiée,
15.000 € au titre du préjudice distinct,
1.000 € à verser sur son compte personnel de formation,
2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
statuant à nouveau :
condamner l'ASFA à lui payer :
127.725,45 € au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
48.068,73 € au titre de l'indemnité légale de licenciement,
49.442,10 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
4.944,21 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
1.648,07 € à titre de rappel de salaires sur mise à pied conservatoire (six jours),
30.000 € au titre du préjudice distinct,
5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile correspondant à la procédure de première instance ;
condamner l'ASFA à lui verser 3.000 € d'abondement correctif sur son compte personnel de formation ;
condamner l'ASFA à verser 3.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile correspondant à la présente procédure d'appel ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions susvisées ainsi qu'aux développements ci-dessous.
SUR QUOI
Sur la rupture du contrat de travail
L'article L.1232-1 du code du travail prévoit que tout licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. Celle-ci s'entend d'une cause objective, reposant sur des griefs suffisamment précis, vérifiables et établis, qui constituent la véritable raison du licenciement.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits, imputable au salarié, constituant une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'il rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, même pendant la durée du préavis.
La charge de la preuve d'une faute repose exclusivement sur l'employeur qui l'invoque.
De plus, l'article L. 1232-6 du code du travail prévoit que la lettre de licenciement comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur.
En l'espèce, la lettre de licenciement qui circonscrit les limites du litige et qui lie le juge, comporte deux séries de griefs :
- des manquements relatifs à l'information préoccupante concernant l'enfant [E] [V] ;
- le manquement relatif au projet de clarification des fiches de poste.
En premier lieu, sur le fondement des dispositions des articles L 226- 2- 1 du code de l'action sociale et des familles et suivants et de l'article 434- 3 du code pénal, l'ASFA expose, s'agissant du grief principal, que le salarié n'a pas respecté le cadre de référence de l'information préoccupante et le protocole du 18 septembre 2019 concernant la conduite à tenir en cas de situation préoccupante d'un enfant, la jeune [E] [V] et qu'il n'a pas :
pris contact avec les parents de [E], contrairement aux termes du protocole qu'il avait lui-même édicté en date du 18 septembre 2019, laissant à la psychologue seule le soin de gérer la relation avec ceux-ci ;
demandé à la psychologue la rédaction d'un écrit de cet événement ;
organisé de réunion en interne ;
mis au courant la directrice du Pôle et la direction générale de l'ASFA ;
déposé plainte ou effectué de signalement auprès du parquet alors que le cadre de référence indique que « dès sa révélation, l'enfant doit être protégé » ; « chaque fois qu'un enfant révèle un abus sexuel intrafamilial, le professionnel saisi doit immédiatement informer le procureur de la République » ;
encadré Mme [G]
Le salarié réfute l'argumentation de l'employeur et soutient que :
il n'existe pas de procédure légale ni de délai à respecter dans le cadre d'un établissement privé, en outre l'enfant a été mis en sécurité comme en atteste le compte-rendu de la psychologue ;
le cadre de référence de l'information préoccupante de 2015 n'a qu'une valeur informative et non coercitive comme l'indique le préambule ;
il ne s'agit pas d'abus intrafamilial dès lors que l'enfant ne vit pas dans le même foyer que celui de l'auteur présumé d'abus ;
il a averti le procureur de la République moins de deux mois après avoir été avisé des propos tenus par l'enfant et après avoir favorisé la participation des parents non abuseurs;
l'enfant est à ce jour toujours prise en charge par le SESSAD DI de l'ASFA, ce qui témoigne de la confiance constante de la famille.
M. [O] affirme que l'ASFA l'a licencié pour des raisons extérieures à celles invoquées dans la lettre de licenciement et indique que sa supérieure hiérarchique, Mme [I], souhaitait mettre en place une nouvelle organisation de l'association, à savoir un directeur adjoint par établissement. Il précise que son maintien à son poste en tant que directeur adjoint de deux établissements rendait impossible la mise en place d'une nouvelle organisation, notamment en raison du fait qu'aucun établissement n'aurait pu assumer seul sa rémunération.
L'article L 226- 2- 1 du code de l'action sociale et des familles fait obligation aux personnes qui apportent leur concours à la politique de la protection de l'enfance de transmettre sans délai au président du conseil départemental toutes les informations préoccupantes sur un mineur en danger ou susceptible de l'être.
A cet égard, l'article L 226- 2- 2 du même code précise que pour les personnes soumises au secret professionnel, il est fait exception à l'interdiction de violation du secret professionnel édictée et sanctionnée par l'article 226- 13 du code pénal, les personnes apportant leur concours à la politique de protection de l'enfance étant autorisées à partager des informations à caractère secret afin d'évaluer une situation individuelle, de déterminer et de mettre en 'uvre les actions de protection et d'aide dont les mineurs ont besoin.
Dans ce cadre, aux termes du code de l'Action Sociale et des Famille, lorsque la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation mentionnée à l'article L.223-3 fait apparaitre qu'une information est préoccupante, l'article D226-2-4 dispose « (') L'évaluation est réalisée sous l'autorité du président du conseil départemental dans un délai de trois mois à compter de la réception de l'information préoccupante ».
De plus, le « Cadre de référence de l'information préoccupante », édité à l'attention de l'ensemble des professionnels de l'île de la Réunion qui recueillent ou évaluent des informations relatives à des mineurs en danger ou en risque de l'être, définit une méthodologie à mettre en 'uvre pour les professionnels recueillant des révélations d'enfants sur des abus sexuels intra familiaux dont ils auraient été victimes.
Il est indiqué au professionnel dépositaire de ces informations de déclencher une procédure d'urgence concertée qui implique notamment :
- de s'assurer de la protection de l'enfant,
- d'informer immédiatement le procureur de la République, le cas échéant sous couvert de sa hiérarchie,
- de ne pas interpeller le mis en cause présumé, ni de lui faire part des soupçons pesant sur lui,
- de ne pas ré-entendre l'enfant, de la part des professionnels ayant recueilli les faits, et d'éviter les interrogatoires à répétition (pages 23 et 24 du Cadre de référence de l'information préoccupante ' pièce n°7/l'employeur).
Ces principes ont été déclinés au sein du Pôle médico-social handicap de l'ASFA par M. [S] [O] lui-même, dans le cadre d'un protocole qu'il a édicté le 18 septembre 2019 relativement à la conduite à tenir en cas de situation préoccupante ( pièce n°13/l'employeur).
Ce protocole définit ainsi la conduite à tenir en cas de recueil d'informations sur une éventuelle mise en danger de l'intégrité physique des bénéficiaires accueillis par l'ASFA. Il rappelle que tout citoyen a le devoir de signaler une situation de maltraitance et de ne pas se rendre coupable de non-assistance à personne en danger.
En l'espèce, il résulte du dossier que le 10 janvier 2022, la mère d'une enfant en situation de handicap, âgée de 15 ans et suivie au S.E.S.S.A.D., confiait à Madame [G], psychologue de ses doutes sur la relation entre l'enfant et son oncle et sur des comportements inadaptés avec l'enfant, les limites n'étant pas posées comme elles doivent l'être au vu de la pathologie de [E] et de ses difficultés à garder des distances sociales. La mère a demandé à la psychologue d'éclaircir la situation et d'avoir plus d'informations et de précisions.
Mme [G] a reçu [E] le 14 janvier 2022 qui lui a confié que durant les vacances de Noël, son oncle lui aurait touché les parties intimes et qu'il y aurait eu un ou deux « bisous sur la bouche».
Sur demande de M. [O], la psychologue a indiqué le 21 janvier 2022 à la famille de [E],
qui en avait exprimé le souhait, de déposer plainte directement auprès du Parquet, rapidement et qu'à défaut le S.E.S.S.A.D. devrait s'en charger ; les parents affirmant qu'ils allaient s'en occuper.
Le 23 février 2022, la mère de [E] a indiqué à la psychologue qu'elle avait pris du retard dans la démarche à cause de la crise COVID du début d'année 2022 et le 9 mars 2022, la psychologue a revu l'enfant et la mère et constaté que les démarches judiciaires n'avaient toujours pas été effectuées.
Le 10 mars 2022, un rapport d'événement préoccupant a été adressé par Monsieur [O] pour signalement au procureur de la République avec copie au Conseil Départemental de la Réunion ' Direction Famille Enfance et à Madame [I], directrice du P.M.S.[I].
D'une part, contrairement à ce qu'affirme l'ASFA, ce n'est pas de façon erronée que les premiers juges ont indiqué que le cadre de référence de l'information préoccupante ne faisait état d'aucun délai pour saisir le procureur de la République alors que ce document, qui est un outil informatif ne disposant d'aucune valeur légale ni impérative, rappelle en son préambule que ses recommandations doivent être adaptées au cas par cas.
Or, en l'espèce, il ne peut être fait grief à M. [O] d'avoir laissé un délai aux parents pour déposer la plainte dès lors que l'intimé s'était assuré que l'enfant ne se trouvait ni dans une situation de danger ni dans une situation de risque puisque ses parents étaient informés des faits, la psychologue les rencontrait régulièrement et l'oncle était tenu à l'écart.
Le seul fait que le père de [E] ait indiqué à Mme [G] qu'il souhaitait discuter avec cet oncle mis en cause ne constitue pas une mise en danger de la jeune fille protégée.
Il convient de retenir également que les parents ont eux-même réagi dès l'information donnée par leur fille en saisissant le S.E.S.S.A.D. le 10 janvier 2022 et ont répondu aux convocations du service.
D'autre part, le signalement a bien été fait moins de deux mois après les révélations d'un comportement déplacé envers une enfant de la part de son oncle et la CRIP (Cellule de Recueil des Informations Préoccupantes) n'est intervenue que fin avril 2022 (entretien avec les parents de l'enfant), c'est-à-dire plus d'un mois après le signalement de M. [O], compte tenu de l'absence de caractère urgent dans cette situation.
Enfin, l'employeur n'est pas fondé à se prévaloir d'une atteinte à son préjudice d'image alors qu'il n'est pas contesté que la jeune [E] est toujours prise en charge par le SESSAD DI de l'ASFA, ce qui témoigne de la confiance constante de la famille et de sa coopération avec le service dans l'intérêt de la mineure.
En l'état de ces énonciations, le conseil de prud'hommes a fait une juste appréciation des faits de la cause en jugeant que M. [O] avait eu une attitude accompagnante pour l'enfant, non précipitée mais dans un timing juste, afin de respecter tous les paramètres de l'affaire portée à sa connaissance.
S'agissant du deuxième grief , il est reproché au salarié d'avoir manqué à ses obligations relatives au projet de clarification des fiches de postes qu'il devait présenter mises à jour à échéance au 15 janvier 2022 dernier délai.
L'employeur se fonde sur le compte-rendu d'entretien du 9 novembre 2021et les échanges de courriels entre Mme H.et M. [O] du 17 février 2022.
L'intimé soulève la prescription du fait invoqué et, à titre subsidiaire, fait valoir qu'il ne s'agirait que d'un retard de deux mois sur la transmission de trois fiches de fonctions qui n'ont au demeurant jamais existé et dont il n'est pas démontré qu'elles existeraient désormais et depuis quand.
Il ajoute qu'en tout état de cause, ce retard ne peut justifier un licenciement après 20 ans d'ancienneté sans aucun reproche.
Aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail , aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.
La connaissance des faits par l'employeur suppose son information précise et complète des faits. Ainsi, lorsque des vérifications et investigations sont nécessaires, leur réalisation interrompt la prescription et le délai de deux mois ne court alors qu'à compter du jour où l'employeur a une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés.
En l'espèce, si un délai avait été prescrit à M. [O] au 15 janvier 2022 pour effectuer la clarification des fiches de fonction, ce n'est que par email du 17 février 2022 que le salarié a informé la direction de ce que les réunions de planification n'étaient pas encore réalisées et étaient seulement prévues pour le mois de mars suivant.
Dans ces circonstances, la lettre de licenciement ayant été postée le 17 mars 2022, soit un mois après le point de départ du délai de prescription, le fait n'est donc pas prescrit et la fin de non-recevoir est rejetée .
Sur le fond, il résulte de la pièce n° 11 de l'employeur qu'à la relance de la direction pour faire le point d'étape concernant le groupe de travail demandé portant sur la classification des fiches de fonctions, M. [O] a immédiatement répondu en précisant que les réunions de travail étaient prévues en mars et que s'il avait été difficile d'organiser ces réunions plus tôt, il avait quand même pris le temps de recevoir en entretien deux salariées et qu'un retour des réunions serait adressé.
L'employeur ne caractérise ainsi aucune faute du salarié au vu du délai initial qui lui avait été imparti et de sa charge de travail, ni d'aucune relance après la réponse circonstanciée apportée par M. [O] dès le 17 février 2022.
Ainsi, l'employeur n'établit pas l'existence d'une faute grave rendant impossible le maintien du contrat de travail, ni par ailleurs une faute de nature à conférer une cause réelle et sérieuse au licenciement prononcé.
Le jugement déféré est en conséquence confirmé de ce chef sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen du salarié développé quant à ce qu'il qualifie de véritable motif de licenciement, s'agissant de l'opportunité de modifier l'organisation de l'ASFA avec la nomination d'un directeur adjoint par établissement.
Sur les conséquences financières du licenciement
Concernant le rappel de salaires sur mise à pied conservatoire :
En l'absence de faute grave, le salaire retenu pendant la période de mise à pied, soit six jours, est due au salarié et l'ASFA est condamnée par confirmation du jugement au paiement de la somme de 1.648,07 euros brut.
Concernant l'indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents ainsi l'indemnité de licenciement
Conformément à l'article 15.02.2.1 de la convention collective applicable, le préavis de M. [O] était d'une durée de six mois.
Engagé le 2 mai 2001 et licencié le 25 mars 2022, M. [O] justifiait d'une ancienneté de 21 ans, 4 mois et 23 jours, préavis inclus.
L'indemnité compensatrice y afférente s'élève donc sur la base de 8.240,35 euros à 49.442,10 euros brut et les congés payés afférents à 4.944,21 euros brut.
Le jugement déféré est infirmé sur le quantum alloué de 48.276,90 euros brut.
Aux termes du code du travail en son article R1234-2, « L'indemnité de licenciement ne peut être inférieure aux montants suivants :
1° Un quart de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années jusqu'à dix ans ;
2° Un tiers de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années à partir de dix ans ».
L'indemnité légale de licenciement qui doit être perçue par M. [O] s'élève donc, sur la base de 21 ans d'ancienneté intégrant la durée du préavis à 50.815,52 euros.
Il convient en conséquence de faire droit à la demande limitée à 48.068,73 euros.
Le jugement est confirmé sur ce point.
Concernant l'indemnité licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse
M. [O], âgé de 59 ans au moment de son licenciement, indique qu'il bénéficiait de plus de 20 ans d'ancienneté et d'un salaire mensuel de 8.240,35 € brut ; qu'il n'a pas retrouvé de poste à un niveau de rémunération, de mutuelle et de statut équivalent.
En outre, il soutient qu'il a subi un préjudice de perte de chance de partir à la retraite avec une allocation de départ à la retraite égale à cinq mois de salaire, due à partir de 22 ans d'ancienneté.
En application de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, applicable aux faits de l'espèce s'agissant d'un licenciement prononcé après le 23 septembre 2017, eu égard à l'ancienneté dans l'entreprise ( 21 ans et 3 mois et 26 jours), à l'âge du salarié (59 ans ) et à sa rémunération de référence précitée lors de la rupture du contrat de travail (8 240,35 euros euros) et compte tenu du seul élément produit concernant sa situation personnelle et professionnelle postérieurement à ladite rupture (pièce n°36 : attestation Pôle emploi pour la période du 1er février 2022 au 13 janvier 2023), la cour, à qui il appartient seulement d'apprécier la situation concrète du salarié pour déterminer le montant de l'indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par les dispositions précitées du code du travail (soit en l'espèce entre trois mois et 15,5 mois de salaire brut), accorde au salarié la somme de 96.553,80 euros à titre de dommages - intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Ainsi et au regard des éléments du dossier le jugement est confirmé de ce chef.
Sur le préjudice distinct
L'intimé soutient que l'ASFA a porté atteinte à sa réputation en le dénigrant et en affirmant qu'il avait manqué à ses obligations notamment de protection d'un enfant en situation de vulnérabilité ; il verse aux débats l'email de la direction adressé à l'ensemble du personnel le 30 mars 2022.
M. [O] fait valoir qu'il a subi, du fait du comportement de l'employeur à son encontre, une dégradation de son état de santé attestée par des certificats médicaux du docteur [Y] et du docteur [N]( psychiatre).
Il résulte du dossier que la direction de l'ASFA a, le 30 mars 2022, adressé un e-mail à l'ensemble du personnel de la plateforme en ces termes ( pièce n°16 ) :
« (') A l'issue de l'instruction de cette procédure, la direction de pôle et la direction générale ont décidé de procéder au licenciement pour faute grave de Monsieur [S] [O], de ses fonctions de directeur du CAMSP et de la PFS au sein du pôle MSH.
Depuis deux ans, de nombreux manquements professionnels dans le pilotage de la PFS et du CAMPS ont été constatés ou relayés.
Jusqu'à présent, nous avons toujours fait le choix de l'accompagnement de MR [O] sur le plan managérial et dans le déploiement de certains projets complexes. Toutefois, les des fautes non justifiables et excusables pour un cadre dirigeant, et donc un point de non-retour pour notre association, au regard des responsabilités qui sont les nôtres.
Or, au mois de mars 2022, nous avons appris que Monsieur [O] avait gravement manqué de vigilance dans le cadre de la gestion de révélations d'abus sexuels intra-familiaux, sur une mineure placée sous notre responsabilité. Les directives qui ont été transmises par le directeur adjoint aux équipes, et d'une manière générale la gestion de cette
information préoccupante, sont contraires au cadre de référence de la protection de l'enfance.
Elles ont maintenu une enfant doublement vulnérable dans une situation de danger, et elles ont engagé la responsabilité pénale des équipes en charge de l'accompagnement de cette enfant, et l'association toute entière.
Au regard de la gravité du manquement professionnel de Mr [O], cette conclusion a été la seule que nous avons pu retenir.
(').
Notre prise en charge reste humaine, et aucun de nous n'est irréprochable dans ce travail si difficile. Toutefois, dans des situations telles que celle que je vous ai exposée, l'erreur de jugement et la négligence de Mr [O], en particulier en tant que directeur adjoint, n'est malheureusement pas excusable.
Être cadre dirigeant au sein de l'ASFA est un contrat de confiance qui doit reposer sur des compétences avérées, mais aussi sur le sens des responsabilités ; le sens de l'engagement ; le respect de la hiérarchie ; le respect du cadre réglementaire. Autant d'éléments qui ont fait défaut à Mr [O] dans cette situation.
(') ».
Les termes employés par l'ASFA ainsi que la réaction des 29 collègues de M. [O] qui ont adressé un courrier en réponse à la direction générale de l'ASFA (pièce n°34), venant à son soutien et qualifiant son licenciement de 'maltraitance', s'interrogeant en outre sur le qualificatif employé par la direction quant à la 'gravité des faits' reprochés au salarié , démontrent une atteinte à la réputation professionnelle de l'intimé.
De plus, M. [O] justifie de la dégradation de son état de santé (pièces 17 et 18) concommittante à la procédure de licenciement engagée dans les circonstances précitées et du traitement qu'il a dû suivre.
Ainsi le salarié justifie d'un préjudice moral distinct de celui réparé par les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il convient de lui allouer à ce titre la somme de 20.000 euros par infirmation du jugement déféré sur le montant des dommages et intérêts alors fixés à 15.000 euros.
Sur les dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation d'organiser des entretiens professionnels et de formation
M. [O] fait valoir au soutien de sa demande d'abondement correctif sur le compte personnel de formation, qu'il n'a pas bénéficié de son entretien annuel d'évaluation professionnel depuis au moins 2019, ni d'un entretien professionnel de formation.
Il résulte des articles L.6315-1 et L.6323-13 du code du travail, que les conditions de l'abondement correctif sur le compte personnel de formation sont cumulatives : le salarié ne doit avoir bénéficié ni des trois entretiens, ni d'une formation non obligatoire, et il ne suffit pas qu'il n'ait pas bénéficié des trois entretiens, ou bien qu'il n'ait pas bénéficié d'une formation non obligatoire.
En l'espèce, l'employeur ne justifie pas avoir satisfait à son obligation de réaliser des entretiens professionnels, ni que M. [O] a bénéficié d'une formation non obligatoire.
Le préjudice est constitué par l'absence d'abondement sur le compte professionnel de l'intimé qui est fondé à solliciter des dommages et intérêts à ce titre que la cour estime à 1.000 euros par la confirmation du jugement déféré.
Sur le remboursement France Travail
Les conditions d'application de l'article L 1235-4 du code du travail étant réunies, il convient d'ordonner le remboursement par l'employeur à France Travail des indemnités de chômage éventuellement payées au salarié et ce, à concurrence de trois mois.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement est confirmé sur la charge des dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
En cause appel, l'ASFA est condamnée aux dépens et à payer à M. [O] la somme de 4.000 € au titre de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Saint-Denis de la Réunion le 3 octobre 2023 sauf sur le montant :
- des dommages et intérêts pour préjudice distinct ;
- de l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents ;
Statuant du chef infirmé et ajoutant,
Condamne l'association [Localité 7] d'Assises, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. [S] [O] les sommes de :
- 20. 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct,
- 49442,10 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 4944,21 euros bruts au titre des congés payés afférents,
Ordonne le remboursement par l'association [Localité 7] d'Assises, prise en la personne de son représentant légal, à France Travail des indemnités de chômages évaneuellement versées à M. [S] [O] à compter de son licenciement dans la limite de trois mois ;
Dit qu'en application des dispositions de l'article R.1235-2 du code du travail , lorsque le remboursement des allocations chômages est ordonné d'office par la cour d'appel, le greffier de cette juridiction adresse une copie certifiée conforme de l' arrêt à Pôle Emploi devenu France Travail ; cette communciaiton se fera par courrier électronique.
Condamne l'association [Localité 7] d'Assises, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. [S] [O] la somme de 3500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute l'association [Localité 7] d'Assises, prise en la personne de son représentant légal, de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne l'association [Localité 7] d'Assises, prise en la personne de son représentant légal, aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Madame Corinne JACQUEMIN, présidente de chambre, et par Mme Monique LEBRUN, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
Code Aff. :CJ
ARRÊT N°
ORIGINE :JUGEMENT du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT-DENIS en date du 03 Octobre 2023, rg n° F 22/00229
COUR D'APPEL DE SAINT-DENIS
DE [Localité 6]
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 30 SEPTEMBRE 2025
.
APPELANTE :
ASSOCIATION SAINT FRANCOIS D'ASSISES (ASFA)
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Christine CHANE-KANE, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION et Me Wilfried MOULAY de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de CHARTRES
INTIMÉ :
Monsieur [S] [O]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Alexandre ALQUIER de la SELARL ALQUIER & ASSOCIÉS, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
Clôture : 7 avril 2025
DÉBATS : En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 juin 2025 en audience publique, devant Corinne JACQUEMIN, présidente de chambre et Agathe ALIAMUS, conseillère, assistées de Delphine SCHUFT, greffière.
La présidente a précisé que l'audience se tiendrait en double rapporteur, les parties ne s'y sont pas opposées.
Ce magistrat a indiqué à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition au greffe le 30 septembre 2025.
Il a été rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Corinne JACQUEMIN
Conseiller : Agathe ALIAMUS
Conseiller : Anne-Charlotte LEGROIS
Qui en ont délibéré
ARRÊT : mis à disposition des parties le 30 SEPTEMBRE 2025
Greffier lors de la mise à disposition de l'arrêt : Monique LEBRUN
* *
* LA COUR :
EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [S] [O] a été embauché le 2 mai 2001 selon contrat de travail à durée déterminée (CDD) par l'association [Localité 7] d'Assises (ASFA) en tant qu'éducateur physique à mi-temps, puis selon contrat à durée indéterminée et à temps complet à compter du 25 juillet suivant.
Le 1er février 2014, il a été nommé directeur adjoint de la MAS Franche Terre, située à [Localité 8] et, à compter du 1er janvier 2018, la direction adjointe du Centre d'Education Motrice, situé sur le même site lui a été confiée.
À partir du 20 mai 2019, M. [O] a été nommé directeur adjoint du [Adresse 5] (CAMSP) et de la plateforme services comprenant le SESSAD DI, le SESSAD Moteur et SAMSAH, au sein du pôle médico-social handicap.
Le salarié bénéficiait d'un salaire brut mensuel de 8.240,30 € pour 151,57 heures de travail.
La convention collective nationale IDCC 29 s'appliquait à la relation de travail.
M. [O] a été convoqué le 16 mars 2022, à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 25 mars 2022 et une mise à pied conservatoire lui a été notifiée le 24 mars 2022, avant son licenciement prononcé le 29 mars 2022 pour faute grave.
M. [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Denis le 30 juin 2022 aux fins de contester ces mesures et faire valoir ses droits.
Par jugement du 3 octobre 2023, le conseil de prud'hommes de Saint-Denis a :
dit et jugé que le licenciement pour faute grave de M. [O] qui a été notifié le 29 mars 2022 est sans cause réelle et sérieuse ;
dit que le salaire de référence de M. [O], sur la base de la moyenne des 12 derniers mois, est de 8.046,15 € bruts ;
condamné l'ASFA à payer à M. [O] :
96.553,80 € nets au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
48.068,73 € nets au titre de l'indemnité légale de licenciement,
48.276,90 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
4.827,69 € bruts au titre des congés payés afférents,
1.648,07 € bruts au titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire injustifiée,
15.000 € au titre du préjudice distinct,
1.000 € à verser sur le compte personnel de formation de M. [O],
2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
ordonné la délivrance des documents de rupture et bulletins de paie rectifiés sous astreinte de 50 € par jour de retard, avec faculté de liquidation par le conseil de prud'hommes de Saint-Denis ;
ordonné la régularisation de toute incidence auprès des organismes de retraite et de prévoyance ;
dit que les condamnations prononcées porteront intérêts de droit à compter de la saisine ;
condamné l'ASFA aux dépens.
Par déclaration du 26 octobre 2023, l'ASFA a interjeté appel de cette décision.
Par conclusions remises par voie électronique le 21 mars 2025, l'ASFA requiert de la cour de :
dire et juger bien fondé le licenciement pour faute grave notifié à M. [O] ;
réformer par infirmation, en toutes ses dispositions, le jugement entrepris ;
ordonner que les sommes payées à M. [O] dans le cadre de l'exécution provisoire de droit du jugement entrepris lui soit restituées ;
condamner M. [O] à lui verser une somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de la procédure d'appel ;
condamner M. [O] aux entiers dépens de la procédure d'appel.
Par conclusions remises par voie électronique le 26 mars 2024, M. [O] requiert de la cour :
confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
dit et jugé que son licenciement pour faute grave qui a été notifié le 29 mars 2022 est sans cause réelle et sérieuse ;
ordonné la délivrance des documents de rupture et bulletins de paie rectifiés sous astreinte de 50 € par jour de retard, avec faculté de liquidation par le conseil de prud'hommes de Saint-Denis ;
ordonné la régularisation de toute incidence auprès des organismes de retraite et de prévoyance ;
dit que les condamnations prononcées porteront intérêts de droit à compter de la saisine ;
condamné l'ASFA aux dépens ;
infirmer le jugement en ce qu'il a :
dit que son salaire de référence sur la base de la moyenne des 12 derniers mois est de 8.046,15 € bruts ;
condamné l'ASFA à lui payer :
96.553,80 € nets au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
48.068,73 € nets au titre de l'indemnité légale de licenciement,
48.276,90 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
4.827,69 € bruts au titre des congés payés afférents,
1.648,07 € bruts au titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire injustifiée,
15.000 € au titre du préjudice distinct,
1.000 € à verser sur son compte personnel de formation,
2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
statuant à nouveau :
condamner l'ASFA à lui payer :
127.725,45 € au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
48.068,73 € au titre de l'indemnité légale de licenciement,
49.442,10 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
4.944,21 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
1.648,07 € à titre de rappel de salaires sur mise à pied conservatoire (six jours),
30.000 € au titre du préjudice distinct,
5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile correspondant à la procédure de première instance ;
condamner l'ASFA à lui verser 3.000 € d'abondement correctif sur son compte personnel de formation ;
condamner l'ASFA à verser 3.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile correspondant à la présente procédure d'appel ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions susvisées ainsi qu'aux développements ci-dessous.
SUR QUOI
Sur la rupture du contrat de travail
L'article L.1232-1 du code du travail prévoit que tout licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. Celle-ci s'entend d'une cause objective, reposant sur des griefs suffisamment précis, vérifiables et établis, qui constituent la véritable raison du licenciement.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits, imputable au salarié, constituant une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'il rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, même pendant la durée du préavis.
La charge de la preuve d'une faute repose exclusivement sur l'employeur qui l'invoque.
De plus, l'article L. 1232-6 du code du travail prévoit que la lettre de licenciement comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur.
En l'espèce, la lettre de licenciement qui circonscrit les limites du litige et qui lie le juge, comporte deux séries de griefs :
- des manquements relatifs à l'information préoccupante concernant l'enfant [E] [V] ;
- le manquement relatif au projet de clarification des fiches de poste.
En premier lieu, sur le fondement des dispositions des articles L 226- 2- 1 du code de l'action sociale et des familles et suivants et de l'article 434- 3 du code pénal, l'ASFA expose, s'agissant du grief principal, que le salarié n'a pas respecté le cadre de référence de l'information préoccupante et le protocole du 18 septembre 2019 concernant la conduite à tenir en cas de situation préoccupante d'un enfant, la jeune [E] [V] et qu'il n'a pas :
pris contact avec les parents de [E], contrairement aux termes du protocole qu'il avait lui-même édicté en date du 18 septembre 2019, laissant à la psychologue seule le soin de gérer la relation avec ceux-ci ;
demandé à la psychologue la rédaction d'un écrit de cet événement ;
organisé de réunion en interne ;
mis au courant la directrice du Pôle et la direction générale de l'ASFA ;
déposé plainte ou effectué de signalement auprès du parquet alors que le cadre de référence indique que « dès sa révélation, l'enfant doit être protégé » ; « chaque fois qu'un enfant révèle un abus sexuel intrafamilial, le professionnel saisi doit immédiatement informer le procureur de la République » ;
encadré Mme [G]
Le salarié réfute l'argumentation de l'employeur et soutient que :
il n'existe pas de procédure légale ni de délai à respecter dans le cadre d'un établissement privé, en outre l'enfant a été mis en sécurité comme en atteste le compte-rendu de la psychologue ;
le cadre de référence de l'information préoccupante de 2015 n'a qu'une valeur informative et non coercitive comme l'indique le préambule ;
il ne s'agit pas d'abus intrafamilial dès lors que l'enfant ne vit pas dans le même foyer que celui de l'auteur présumé d'abus ;
il a averti le procureur de la République moins de deux mois après avoir été avisé des propos tenus par l'enfant et après avoir favorisé la participation des parents non abuseurs;
l'enfant est à ce jour toujours prise en charge par le SESSAD DI de l'ASFA, ce qui témoigne de la confiance constante de la famille.
M. [O] affirme que l'ASFA l'a licencié pour des raisons extérieures à celles invoquées dans la lettre de licenciement et indique que sa supérieure hiérarchique, Mme [I], souhaitait mettre en place une nouvelle organisation de l'association, à savoir un directeur adjoint par établissement. Il précise que son maintien à son poste en tant que directeur adjoint de deux établissements rendait impossible la mise en place d'une nouvelle organisation, notamment en raison du fait qu'aucun établissement n'aurait pu assumer seul sa rémunération.
L'article L 226- 2- 1 du code de l'action sociale et des familles fait obligation aux personnes qui apportent leur concours à la politique de la protection de l'enfance de transmettre sans délai au président du conseil départemental toutes les informations préoccupantes sur un mineur en danger ou susceptible de l'être.
A cet égard, l'article L 226- 2- 2 du même code précise que pour les personnes soumises au secret professionnel, il est fait exception à l'interdiction de violation du secret professionnel édictée et sanctionnée par l'article 226- 13 du code pénal, les personnes apportant leur concours à la politique de protection de l'enfance étant autorisées à partager des informations à caractère secret afin d'évaluer une situation individuelle, de déterminer et de mettre en 'uvre les actions de protection et d'aide dont les mineurs ont besoin.
Dans ce cadre, aux termes du code de l'Action Sociale et des Famille, lorsque la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation mentionnée à l'article L.223-3 fait apparaitre qu'une information est préoccupante, l'article D226-2-4 dispose « (') L'évaluation est réalisée sous l'autorité du président du conseil départemental dans un délai de trois mois à compter de la réception de l'information préoccupante ».
De plus, le « Cadre de référence de l'information préoccupante », édité à l'attention de l'ensemble des professionnels de l'île de la Réunion qui recueillent ou évaluent des informations relatives à des mineurs en danger ou en risque de l'être, définit une méthodologie à mettre en 'uvre pour les professionnels recueillant des révélations d'enfants sur des abus sexuels intra familiaux dont ils auraient été victimes.
Il est indiqué au professionnel dépositaire de ces informations de déclencher une procédure d'urgence concertée qui implique notamment :
- de s'assurer de la protection de l'enfant,
- d'informer immédiatement le procureur de la République, le cas échéant sous couvert de sa hiérarchie,
- de ne pas interpeller le mis en cause présumé, ni de lui faire part des soupçons pesant sur lui,
- de ne pas ré-entendre l'enfant, de la part des professionnels ayant recueilli les faits, et d'éviter les interrogatoires à répétition (pages 23 et 24 du Cadre de référence de l'information préoccupante ' pièce n°7/l'employeur).
Ces principes ont été déclinés au sein du Pôle médico-social handicap de l'ASFA par M. [S] [O] lui-même, dans le cadre d'un protocole qu'il a édicté le 18 septembre 2019 relativement à la conduite à tenir en cas de situation préoccupante ( pièce n°13/l'employeur).
Ce protocole définit ainsi la conduite à tenir en cas de recueil d'informations sur une éventuelle mise en danger de l'intégrité physique des bénéficiaires accueillis par l'ASFA. Il rappelle que tout citoyen a le devoir de signaler une situation de maltraitance et de ne pas se rendre coupable de non-assistance à personne en danger.
En l'espèce, il résulte du dossier que le 10 janvier 2022, la mère d'une enfant en situation de handicap, âgée de 15 ans et suivie au S.E.S.S.A.D., confiait à Madame [G], psychologue de ses doutes sur la relation entre l'enfant et son oncle et sur des comportements inadaptés avec l'enfant, les limites n'étant pas posées comme elles doivent l'être au vu de la pathologie de [E] et de ses difficultés à garder des distances sociales. La mère a demandé à la psychologue d'éclaircir la situation et d'avoir plus d'informations et de précisions.
Mme [G] a reçu [E] le 14 janvier 2022 qui lui a confié que durant les vacances de Noël, son oncle lui aurait touché les parties intimes et qu'il y aurait eu un ou deux « bisous sur la bouche».
Sur demande de M. [O], la psychologue a indiqué le 21 janvier 2022 à la famille de [E],
qui en avait exprimé le souhait, de déposer plainte directement auprès du Parquet, rapidement et qu'à défaut le S.E.S.S.A.D. devrait s'en charger ; les parents affirmant qu'ils allaient s'en occuper.
Le 23 février 2022, la mère de [E] a indiqué à la psychologue qu'elle avait pris du retard dans la démarche à cause de la crise COVID du début d'année 2022 et le 9 mars 2022, la psychologue a revu l'enfant et la mère et constaté que les démarches judiciaires n'avaient toujours pas été effectuées.
Le 10 mars 2022, un rapport d'événement préoccupant a été adressé par Monsieur [O] pour signalement au procureur de la République avec copie au Conseil Départemental de la Réunion ' Direction Famille Enfance et à Madame [I], directrice du P.M.S.[I].
D'une part, contrairement à ce qu'affirme l'ASFA, ce n'est pas de façon erronée que les premiers juges ont indiqué que le cadre de référence de l'information préoccupante ne faisait état d'aucun délai pour saisir le procureur de la République alors que ce document, qui est un outil informatif ne disposant d'aucune valeur légale ni impérative, rappelle en son préambule que ses recommandations doivent être adaptées au cas par cas.
Or, en l'espèce, il ne peut être fait grief à M. [O] d'avoir laissé un délai aux parents pour déposer la plainte dès lors que l'intimé s'était assuré que l'enfant ne se trouvait ni dans une situation de danger ni dans une situation de risque puisque ses parents étaient informés des faits, la psychologue les rencontrait régulièrement et l'oncle était tenu à l'écart.
Le seul fait que le père de [E] ait indiqué à Mme [G] qu'il souhaitait discuter avec cet oncle mis en cause ne constitue pas une mise en danger de la jeune fille protégée.
Il convient de retenir également que les parents ont eux-même réagi dès l'information donnée par leur fille en saisissant le S.E.S.S.A.D. le 10 janvier 2022 et ont répondu aux convocations du service.
D'autre part, le signalement a bien été fait moins de deux mois après les révélations d'un comportement déplacé envers une enfant de la part de son oncle et la CRIP (Cellule de Recueil des Informations Préoccupantes) n'est intervenue que fin avril 2022 (entretien avec les parents de l'enfant), c'est-à-dire plus d'un mois après le signalement de M. [O], compte tenu de l'absence de caractère urgent dans cette situation.
Enfin, l'employeur n'est pas fondé à se prévaloir d'une atteinte à son préjudice d'image alors qu'il n'est pas contesté que la jeune [E] est toujours prise en charge par le SESSAD DI de l'ASFA, ce qui témoigne de la confiance constante de la famille et de sa coopération avec le service dans l'intérêt de la mineure.
En l'état de ces énonciations, le conseil de prud'hommes a fait une juste appréciation des faits de la cause en jugeant que M. [O] avait eu une attitude accompagnante pour l'enfant, non précipitée mais dans un timing juste, afin de respecter tous les paramètres de l'affaire portée à sa connaissance.
S'agissant du deuxième grief , il est reproché au salarié d'avoir manqué à ses obligations relatives au projet de clarification des fiches de postes qu'il devait présenter mises à jour à échéance au 15 janvier 2022 dernier délai.
L'employeur se fonde sur le compte-rendu d'entretien du 9 novembre 2021et les échanges de courriels entre Mme H.et M. [O] du 17 février 2022.
L'intimé soulève la prescription du fait invoqué et, à titre subsidiaire, fait valoir qu'il ne s'agirait que d'un retard de deux mois sur la transmission de trois fiches de fonctions qui n'ont au demeurant jamais existé et dont il n'est pas démontré qu'elles existeraient désormais et depuis quand.
Il ajoute qu'en tout état de cause, ce retard ne peut justifier un licenciement après 20 ans d'ancienneté sans aucun reproche.
Aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail , aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.
La connaissance des faits par l'employeur suppose son information précise et complète des faits. Ainsi, lorsque des vérifications et investigations sont nécessaires, leur réalisation interrompt la prescription et le délai de deux mois ne court alors qu'à compter du jour où l'employeur a une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés.
En l'espèce, si un délai avait été prescrit à M. [O] au 15 janvier 2022 pour effectuer la clarification des fiches de fonction, ce n'est que par email du 17 février 2022 que le salarié a informé la direction de ce que les réunions de planification n'étaient pas encore réalisées et étaient seulement prévues pour le mois de mars suivant.
Dans ces circonstances, la lettre de licenciement ayant été postée le 17 mars 2022, soit un mois après le point de départ du délai de prescription, le fait n'est donc pas prescrit et la fin de non-recevoir est rejetée .
Sur le fond, il résulte de la pièce n° 11 de l'employeur qu'à la relance de la direction pour faire le point d'étape concernant le groupe de travail demandé portant sur la classification des fiches de fonctions, M. [O] a immédiatement répondu en précisant que les réunions de travail étaient prévues en mars et que s'il avait été difficile d'organiser ces réunions plus tôt, il avait quand même pris le temps de recevoir en entretien deux salariées et qu'un retour des réunions serait adressé.
L'employeur ne caractérise ainsi aucune faute du salarié au vu du délai initial qui lui avait été imparti et de sa charge de travail, ni d'aucune relance après la réponse circonstanciée apportée par M. [O] dès le 17 février 2022.
Ainsi, l'employeur n'établit pas l'existence d'une faute grave rendant impossible le maintien du contrat de travail, ni par ailleurs une faute de nature à conférer une cause réelle et sérieuse au licenciement prononcé.
Le jugement déféré est en conséquence confirmé de ce chef sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen du salarié développé quant à ce qu'il qualifie de véritable motif de licenciement, s'agissant de l'opportunité de modifier l'organisation de l'ASFA avec la nomination d'un directeur adjoint par établissement.
Sur les conséquences financières du licenciement
Concernant le rappel de salaires sur mise à pied conservatoire :
En l'absence de faute grave, le salaire retenu pendant la période de mise à pied, soit six jours, est due au salarié et l'ASFA est condamnée par confirmation du jugement au paiement de la somme de 1.648,07 euros brut.
Concernant l'indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents ainsi l'indemnité de licenciement
Conformément à l'article 15.02.2.1 de la convention collective applicable, le préavis de M. [O] était d'une durée de six mois.
Engagé le 2 mai 2001 et licencié le 25 mars 2022, M. [O] justifiait d'une ancienneté de 21 ans, 4 mois et 23 jours, préavis inclus.
L'indemnité compensatrice y afférente s'élève donc sur la base de 8.240,35 euros à 49.442,10 euros brut et les congés payés afférents à 4.944,21 euros brut.
Le jugement déféré est infirmé sur le quantum alloué de 48.276,90 euros brut.
Aux termes du code du travail en son article R1234-2, « L'indemnité de licenciement ne peut être inférieure aux montants suivants :
1° Un quart de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années jusqu'à dix ans ;
2° Un tiers de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années à partir de dix ans ».
L'indemnité légale de licenciement qui doit être perçue par M. [O] s'élève donc, sur la base de 21 ans d'ancienneté intégrant la durée du préavis à 50.815,52 euros.
Il convient en conséquence de faire droit à la demande limitée à 48.068,73 euros.
Le jugement est confirmé sur ce point.
Concernant l'indemnité licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse
M. [O], âgé de 59 ans au moment de son licenciement, indique qu'il bénéficiait de plus de 20 ans d'ancienneté et d'un salaire mensuel de 8.240,35 € brut ; qu'il n'a pas retrouvé de poste à un niveau de rémunération, de mutuelle et de statut équivalent.
En outre, il soutient qu'il a subi un préjudice de perte de chance de partir à la retraite avec une allocation de départ à la retraite égale à cinq mois de salaire, due à partir de 22 ans d'ancienneté.
En application de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, applicable aux faits de l'espèce s'agissant d'un licenciement prononcé après le 23 septembre 2017, eu égard à l'ancienneté dans l'entreprise ( 21 ans et 3 mois et 26 jours), à l'âge du salarié (59 ans ) et à sa rémunération de référence précitée lors de la rupture du contrat de travail (8 240,35 euros euros) et compte tenu du seul élément produit concernant sa situation personnelle et professionnelle postérieurement à ladite rupture (pièce n°36 : attestation Pôle emploi pour la période du 1er février 2022 au 13 janvier 2023), la cour, à qui il appartient seulement d'apprécier la situation concrète du salarié pour déterminer le montant de l'indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par les dispositions précitées du code du travail (soit en l'espèce entre trois mois et 15,5 mois de salaire brut), accorde au salarié la somme de 96.553,80 euros à titre de dommages - intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Ainsi et au regard des éléments du dossier le jugement est confirmé de ce chef.
Sur le préjudice distinct
L'intimé soutient que l'ASFA a porté atteinte à sa réputation en le dénigrant et en affirmant qu'il avait manqué à ses obligations notamment de protection d'un enfant en situation de vulnérabilité ; il verse aux débats l'email de la direction adressé à l'ensemble du personnel le 30 mars 2022.
M. [O] fait valoir qu'il a subi, du fait du comportement de l'employeur à son encontre, une dégradation de son état de santé attestée par des certificats médicaux du docteur [Y] et du docteur [N]( psychiatre).
Il résulte du dossier que la direction de l'ASFA a, le 30 mars 2022, adressé un e-mail à l'ensemble du personnel de la plateforme en ces termes ( pièce n°16 ) :
« (') A l'issue de l'instruction de cette procédure, la direction de pôle et la direction générale ont décidé de procéder au licenciement pour faute grave de Monsieur [S] [O], de ses fonctions de directeur du CAMSP et de la PFS au sein du pôle MSH.
Depuis deux ans, de nombreux manquements professionnels dans le pilotage de la PFS et du CAMPS ont été constatés ou relayés.
Jusqu'à présent, nous avons toujours fait le choix de l'accompagnement de MR [O] sur le plan managérial et dans le déploiement de certains projets complexes. Toutefois, les des fautes non justifiables et excusables pour un cadre dirigeant, et donc un point de non-retour pour notre association, au regard des responsabilités qui sont les nôtres.
Or, au mois de mars 2022, nous avons appris que Monsieur [O] avait gravement manqué de vigilance dans le cadre de la gestion de révélations d'abus sexuels intra-familiaux, sur une mineure placée sous notre responsabilité. Les directives qui ont été transmises par le directeur adjoint aux équipes, et d'une manière générale la gestion de cette
information préoccupante, sont contraires au cadre de référence de la protection de l'enfance.
Elles ont maintenu une enfant doublement vulnérable dans une situation de danger, et elles ont engagé la responsabilité pénale des équipes en charge de l'accompagnement de cette enfant, et l'association toute entière.
Au regard de la gravité du manquement professionnel de Mr [O], cette conclusion a été la seule que nous avons pu retenir.
(').
Notre prise en charge reste humaine, et aucun de nous n'est irréprochable dans ce travail si difficile. Toutefois, dans des situations telles que celle que je vous ai exposée, l'erreur de jugement et la négligence de Mr [O], en particulier en tant que directeur adjoint, n'est malheureusement pas excusable.
Être cadre dirigeant au sein de l'ASFA est un contrat de confiance qui doit reposer sur des compétences avérées, mais aussi sur le sens des responsabilités ; le sens de l'engagement ; le respect de la hiérarchie ; le respect du cadre réglementaire. Autant d'éléments qui ont fait défaut à Mr [O] dans cette situation.
(') ».
Les termes employés par l'ASFA ainsi que la réaction des 29 collègues de M. [O] qui ont adressé un courrier en réponse à la direction générale de l'ASFA (pièce n°34), venant à son soutien et qualifiant son licenciement de 'maltraitance', s'interrogeant en outre sur le qualificatif employé par la direction quant à la 'gravité des faits' reprochés au salarié , démontrent une atteinte à la réputation professionnelle de l'intimé.
De plus, M. [O] justifie de la dégradation de son état de santé (pièces 17 et 18) concommittante à la procédure de licenciement engagée dans les circonstances précitées et du traitement qu'il a dû suivre.
Ainsi le salarié justifie d'un préjudice moral distinct de celui réparé par les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il convient de lui allouer à ce titre la somme de 20.000 euros par infirmation du jugement déféré sur le montant des dommages et intérêts alors fixés à 15.000 euros.
Sur les dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation d'organiser des entretiens professionnels et de formation
M. [O] fait valoir au soutien de sa demande d'abondement correctif sur le compte personnel de formation, qu'il n'a pas bénéficié de son entretien annuel d'évaluation professionnel depuis au moins 2019, ni d'un entretien professionnel de formation.
Il résulte des articles L.6315-1 et L.6323-13 du code du travail, que les conditions de l'abondement correctif sur le compte personnel de formation sont cumulatives : le salarié ne doit avoir bénéficié ni des trois entretiens, ni d'une formation non obligatoire, et il ne suffit pas qu'il n'ait pas bénéficié des trois entretiens, ou bien qu'il n'ait pas bénéficié d'une formation non obligatoire.
En l'espèce, l'employeur ne justifie pas avoir satisfait à son obligation de réaliser des entretiens professionnels, ni que M. [O] a bénéficié d'une formation non obligatoire.
Le préjudice est constitué par l'absence d'abondement sur le compte professionnel de l'intimé qui est fondé à solliciter des dommages et intérêts à ce titre que la cour estime à 1.000 euros par la confirmation du jugement déféré.
Sur le remboursement France Travail
Les conditions d'application de l'article L 1235-4 du code du travail étant réunies, il convient d'ordonner le remboursement par l'employeur à France Travail des indemnités de chômage éventuellement payées au salarié et ce, à concurrence de trois mois.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement est confirmé sur la charge des dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
En cause appel, l'ASFA est condamnée aux dépens et à payer à M. [O] la somme de 4.000 € au titre de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Saint-Denis de la Réunion le 3 octobre 2023 sauf sur le montant :
- des dommages et intérêts pour préjudice distinct ;
- de l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents ;
Statuant du chef infirmé et ajoutant,
Condamne l'association [Localité 7] d'Assises, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. [S] [O] les sommes de :
- 20. 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct,
- 49442,10 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 4944,21 euros bruts au titre des congés payés afférents,
Ordonne le remboursement par l'association [Localité 7] d'Assises, prise en la personne de son représentant légal, à France Travail des indemnités de chômages évaneuellement versées à M. [S] [O] à compter de son licenciement dans la limite de trois mois ;
Dit qu'en application des dispositions de l'article R.1235-2 du code du travail , lorsque le remboursement des allocations chômages est ordonné d'office par la cour d'appel, le greffier de cette juridiction adresse une copie certifiée conforme de l' arrêt à Pôle Emploi devenu France Travail ; cette communciaiton se fera par courrier électronique.
Condamne l'association [Localité 7] d'Assises, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. [S] [O] la somme de 3500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute l'association [Localité 7] d'Assises, prise en la personne de son représentant légal, de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne l'association [Localité 7] d'Assises, prise en la personne de son représentant légal, aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Madame Corinne JACQUEMIN, présidente de chambre, et par Mme Monique LEBRUN, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,