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Décisions

CA Bastia, ch. civ. sect. 2, 1 octobre 2025, n° 25/00299

BASTIA

Arrêt

Autre

CA Bastia n° 25/00299

1 octobre 2025

Chambre civile

Section 2

ARRÊT N°

du 1er OCTOBRE 2025

N° RG 25/299

N° Portalis DBVE-V-B7J-CK77 GD-C

Décision déférée à la cour : jugement du tribunal judiciaire d'Ajaccio, décision attaquée du 7 avril 2025, enregistrée sous le n° 24/944

ADAPEI DE

CORSE-DU-SUD

C/

CONSORTS

[E]

S.A.R.L. CORSE TOURISME & IMMOBILIER (CTI)

Copies exécutoires délivrées aux avocats le

COUR D'APPEL DE BASTIA

CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU

PREMIER OCTOBRE

DEUX-MILLE-VINGT-CINQ

APPELANTE :

ADAPEI DE CORSE-DU-SUD

prise en la personne de sa Présidente Madame [N] en exercice, domiciliée ès qualités audit siège

[Adresse 10]

[Adresse 11]

[Localité 1]

Représentée par Me Liria PRIETTO de la SCP MORELLI MAUREL ET ASSOCIÉS, avocate au barreau d'AJACCIO plaidant en visioconférence

INTIMÉS :

M. [K] [E]

né le 1er avril 1956 à [Localité 8] (Corse))

[Adresse 6]

[Localité 2]

Défaillant

M. [P] [E]

né le 18 mars 1964 à [Localité 8] (Corse)

[Adresse 6]

[Localité 2]

Défaillant

S.A.R.L. CORSE TOURISME & IMMOBILIER (CTI)

[Adresse 9]

[Adresse 7]

[Localité 3]

Représentée par Me Florian PALMIERI de la S.E.L.A.R.L. PALMIERI AVOCAT, avocat au barreau de BASTIA

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 19 juin 2025, devant Guillaume DESGENS, conseiller, chargé du rapport, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Jean-Jacques GILLAND, président de chambre

Guillaume DESGENS, conseiller

François DELEGOVE, vice-président placé

En présence de [L] [Y], attachée de justice

GREFFIER LORS DES DÉBATS :

Graziella TEDESCO

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 1er octobre 2025

ARRÊT :

Réputé contradictoire,

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Jean-Jacques GILLAND, président de chambre, et Mathieu ASSIOMA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DES FAITS

L'association départementale de parents et d'amis des personnes handicapées mentales (ADAPEI) de Corse-du-Sud a par actes des 29 et 30 juillet 2024 assigné la S.A.R.L. Corse Tourisme Immobilier (CTI), M. [P] [E] et M. et [K] [E], devant le tribunal judiciaire d'Ajaccio aux fins de faire constater une occupation illégale par la société CTI de la partie de terrain lui ayant été attribuée, dans la cadre d'un bail commercial en date du 24 janvier 2018, qui lui a été consenti par Messieurs [E].

Par jugement du 7 avril 2025, le tribunal judiciaire d'Ajaccio a statué dans les termes suivants :

« - SE DÉCLARE incompétent ;

- DÉSIGNE comme juridiction de renvoi compétente le tribunal judiciaire de Bastia ;

- PRÉCISE que le dossier de l'affaire lui sera transmis par le greffe, avec une copie de la décision de renvoi, à défaut d'appel dans le délai et que dès réception du dossier, les parties seront invitées par tout moyen par le greffe de la juridiction désignée à poursuivre l'instance conformément à l'article 82 du code de procédure civile ;

- PRÉCISE que le délai d'appel est de quinze jours à compter de la notification du jugement conformément à l'article 84 du Code de procédure civile ;

- RÉSERVE les droits des parties et les dépens ».

Par ordonnance du 22 mai 2025, et conformément à l'article 84 du code de procédure civile le premier président de la cour d'appel a été saisi et a autorisé l'ADAPEI à assigner à jour fixe pour l'audience du 19 juin 2025.

Par déclaration du 23 mai 2025, l'ADAPEI a interjeté appel à l'encontre du jugement selon les termes suivants :

'Appel total L'association ADAPEI interjette appel du jugement rendu par le Tribunal judiciaire d'Ajaccio qui a statué exclusivement sur la compétence. Elle sollicite son infirmation en ce qu'il s'est déclaré incompétent, a désigné comme juridiction de renvoi compétente le tribunal judiciaire de Bastia et a réservé les droits des parties et les dépens.

Conformément à l'article 85 du code de procédure civile l'appel est motivé par les conclusions jointes à la présente déclaration.Conformément à l'article 84 du code de procédure civile le premier président de la Cour d'appel a été saisi et a autorisé l'ADAPEI à assigner à jour fixe par ordonnance en date du 22 mai 2025 et pour l'audience du 19 juin 2025 à 08h30.'

Par conclusions déposées au greffe le 17 juin 2025, l'association ADAPEI de Corse-du -sud a demandé à la cour de :

« - Juger l'appel interjeté par l'ADAPEI comme recevable et bienfondé ;

- Débouter la société CTI de sa demande tendant à déclarer irrecevable l'appel interjeté par l'ADAPEI et ce alors qu'il a été formé dans les délais impartis à l'ADAPEI ;

- Infirmer le jugement rendu par le Tribunal judiciaire d'Ajaccio le 7 avril 2025 en toutes ses dispositions ;

- Infirmer le jugement rendu par le Tribunal judiciaire d'Ajaccio le 7avril 2025 aux motifs qu'il s'est déclaré incompétent ;

- Infirmer le jugement rendu par le Tribunal judiciaire d'Ajaccio le 7 avril 2025 en ce qu'il a désigné comme juridiction de renvoi compétente le Tribunal judiciaire de Bastia ;

- Infirmer le jugement rendu par le Tribunal judiciaire d'Ajaccio le 7 avril 2025 en ce qu'il a réservé les droits des parties et les dépens ;

Statuant à nouveau :

- Juger que l'ADAPEI ne bénéficie pas de la qualité de commerçant ;

- Rejeter l'exception d'incompétence soulevée par la société CTI ;

- Renvoyer l'affaire devant le Tribunal judiciaire d'Ajaccio, seule juridiction compétente pour trancher le fond du litige ;

- Débouter la société CTI de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

- Condamner la société CTI au paiement de la somme de 5.000euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ».

Par conclusions déposées au greffe le 17 juin 2025, la S.A.R.L. Corse tourisme & Immobilier (CTI) a demandé à la cour de :

« - RECEVOIR la Société CORSE TOURISME ET IMMOBILIER en son action et l'y déclarer bien fondée,

A TITRE PRINCIPAL

- DÉCLARER IRRECEVABLE l'appel interjeté par l'ADAPEI comme tardif ;

A TITRE SUBSIDIAIRE

- DÉBOUTER l'ADAPEI de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- CONFIRMER en toutes ses dispositions le Jugement dont appel ;

EN TOUT ÉTAT DE CAUSE

- CONDAMNER l'ADAPEI à verser à la Société CORSE TOURISME ET IMMOBILIER une somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER l'ADAPEI aux entiers dépens».

M. [P] [E] et M. [K] [E], régulièrement dans la cause, n'ont pas constitué avocat.

Le 19 juin 2025, la présente procédure a été mise en délibéré pour être rendue par mise à disposition au greffe le 1er octobre 2025.

La cour, pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, fait, en application de l'article 455 du code de procédure civile, expressément référence à la décision entreprise ainsi qu'aux dernières conclusions notifiées par les parties.

SUR CE,

Pour statuer comme il l'a fait le premier juge expose que l'article 27 du contrat de bail commercial du 24 janvier 2018 signé entre l'ADAPEI, MM. [E] et la S.A.R.L. CTI, dénommé « attribution de compétence territoriale », stipule que « pour tout litige survenant dans l'interprétation ou l'exécution du présent bail, les parties conviennent de porter leur différend devant les tribunaux de [Localité 5] » et que l'appelante soutient, à tort, que cette clause n'aurait pas fait l'objet de négociation avec les autres parties contractantes, et qu'elle n'aurait pas été portée à sa connaissance, dès lors qu'elle constitue un article à part entière du contrat de bail qui a été accepté par toutes les parties dans son ensemble ; que l'ADAPEI ne conteste pas l'existence d'une activité commerciale mais sa qualité de commerçant ; que l'association a développé depuis plusieurs années une activité habituelle de camping ayant dégagé des recettes, ainsi qu'il ressort de ses écritures ; qu'il ne s'agit pas d'une activité strictement ponctuelle et que la finalité désintéressée de l'association ne l'empêche pas de générer des revenus dans le cadre de l'activité commerciale qu'elle exerce pour atteindre ce but ; qu'ayant contracté en qualité de commerçant, la clause attributive de compétence s'impose à l'association.

La cour relève à titre liminaire qu'au cours de l'audience sur plaidoiries du 19 juin 2025, la S.A.R.L. CTI a déclaré renoncer à sa demande tendant à constater l'irrecevabilité de l'appel interjeté par l'appelante. Ce point a été confirmé par message du réseau privé virtuel des avocats le 4 août 2025. Il n'y a dès lors plus lieu à statuer sur cette demande.

L'appelante rappelle qu'elle est une association loi 1901 dont le siège social est à [Localité 4] et dont l'objet est l'accueil et l'accompagnement d'enfants et d'adultes handicapés (ESAT - établissement et service d'accompagnement par le travail). Elle précise qu'elle exploite un camping dénommé les « jardins du golfe » à [Localité 8] aux fins de permettre à des personnes handicapées d'être réinsérées professionnellement. Elle soutient que la clause attributive de compétence ne peut lui être opposable car elle n'a pas contracté en qualité de commerçant. Elle argue que bien que faisant des actes de commerce, ceux-ci ne sont réalisés qu'à titre accessoire de son activité médico-sociale ; que son budget de fonctionnement est principalement composé de subventions et que les bénéfices qu'elle tire de ses activités commerciales ne représentent qu'une faible partie de celui-ci.

Concernant la clause du contrat de bail litigieux, elle soutient enfin que bien que faisant l'objet d'un article à part entière c'est à l'intimée de rapporter la preuve de ce qu'elle a été portée à sa connaissance.

L'intimée soutient pour sa part que la clause litigieuse doit être appliquée au vu de la qualité de commerçante de l'appelante dans le cadre du contrat de bail commercial litigieux ; que c'est cette qualité reconnue qui permet d'apprécier la légalité de la clause attributive de compétence ; que durant les périodes d'affluence (haute saison touristique),certains travailleurs ESAT étant en congés, elle doit procéder à des recrutements externes afin de couvrir l'intégralité des activités proposées, notamment pour la gestion du bar et autres services annexes ; que l'appelante ne saurait nier sa qualité de commerçante au vu de l'exploitation et des bénéfices perçus de l'activité exercée ; que celle-ci revêt un caractère habituel et répétitif qui prouve la qualité de commerçante de l'appelante.

L'article L121-1 du code de commerce dispose que sont commerçants ceux qui exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle.

L'article 48 du code de procédure civile dispose par ailleurs que toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu'elle n'ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle n'ait été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée.

Dans ce cadre la cour relève que l'appelante exploite le camping des « jardins du golfe » dans le cadre d'un ESAT ; que l'article 31 du contrat de bail litigieux conclu entre l'ensemble des parties à l'instance le 24 janvier 2018 intitulé ' destination des lieux ' indique que : ' les lieux présentement loués sont destinés à usage d'établissement commercial touristique, de camping, centre médico-social de travail protégé, centre d'aide par le travail, ainsi que toutes les activités annexes nécessaires au développement de ces activités' (pièce 2) ; que l'exploitation accessoire d'une activité de camping dont le but est la réinsertion de travailleurs handicapés en ESAT au sens de l'article 2 des statuts de l'association (pièce 1), ne suffit pas à conférer la qualité de commerçant, en ce que cette activité accessoire reste au service de l'objet non lucratif de l'association ; qu'en effet l'accomplissement isolé d'actes de commerce ne saurait suffire à conférer la qualité de commerçant, étant observé que l'analyse de la répartition globale du budget de l'ADAPEI démontre que l'activité de camping représente une part très limitée (moins de 10 %) des sources de financement de l'ESAT dont l'activité reste très principalement non lucrative (pièce71) ; qu'aucun enrichissement personnel des dirigeants de l'association ou de ses membres n'est démontré ; que les circonstances selon lesquelles l'ADAPEI est susceptible d'engager ponctuellement du personnel externe pour faire fonctionner le camping ou que cette activité se tienne chaque année sont insuffisantes à conférer à l'ADAPEI la qualité de commerçante ; qu'au visa de l'article L 121-1 précité du code de commerce il y a lieu de considérer que l'ADAPEI n'accomplissant pas de manière habituelle des actes de commerce, elle ne peut avoir la qualité de commerçant ; que la compétence des juridictions civiles n'est d'ailleurs pas discutée entre les parties ; qu'en conséquence, au visa de l'article 48 précité du code de procédure civile, la clause attributive de compétence de l'article 27 du contrat litigieux n'est donc pas opposable

à l'ADAPEI ; qu'en application de l'article 42 du même code la juridiction territorialement compétente est, en cas de pluralité de défendeurs, celle du lieu où demeure l'un des défendeurs au choix du demandeur, de sorte qu'en l'espèce il y a lieu de faire droit à la demande de l'ADAPEI tendant à déclarer le tribunal judiciaire d'Ajaccio compétent -les consorts [E] demeurant à Porto-Vecchio-, outre qu'il s'agit du tribunal territorialement compétent au regard du lieu d'exécution du contrat de bail litigieux ; qu'il y a donc lieu de renvoyer les parties devant le tribunal judiciaire d'Ajaccio pour connaître du litige au fond ; que le jugement dont appel sera intégralement infirmé.

La S.A.R.L. CTI, partie perdante, sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel ainsi qu'à payer à l'ADAPEI la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement entrepris dans l'ensemble de ses dispositions,

Statuant à nouveau,

RELÈVE que l'association ADAPEI de Corse-du-Sud n'a pas la qualité de commerçant et que la clause attributive de compétence figurant à l'article 31 du contrat de bail du 24 janvier 2018 liant l'association à la société Corse Tourisme et Immobilier (CTI) lui est inopposable ;

RETIENT la compétence du tribunal judiciaire d'Ajaccio pour le litige opposant les parties ;

RENVOIE la présente procédure devant le juge de la mise en état du tribunal judiciaire d'Ajaccio pour régularisation des écritures au fond et clôture de l'instruction ;

Y ajoutant,

DÉBOUTE la S.A.R.L. Corse tourisme &t Immobilier (CTI) de l'ensemble de ses demandes,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE la S.A.R.L. Corse tourisme & Immobilier au paiement des entiers dépens de première instance et d'appel,

CONDAMNE la S.A.R.L. Corse tourisme & immobilier à payer à l'association ADAPEI de Corse-du-Sud la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER

LE PRÉSIDENT

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