CA Bordeaux, 4e ch. com., 1 octobre 2025, n° 21/03596
BORDEAUX
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
--------------------------
ARRÊT DU : 01 OCTOBRE 2025
N° RG 21/03596 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MFRT
S.A.R.L. COMPAGNIE DE TOURISME ET REALISATION
c/
G.F.A. [Y]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 21 mai 2021 (R.G. 18/00720) par le Tribunal Judiciaire de LIBOURNE suivant déclaration d'appel du 24 juin 2021
APPELANTE :
S.A.R.L. COMPAGNIE DE TOURISME ET REALISATION (COTOREL), immatriculée au RCS de Toulouse sous le numéro 412 521 767, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 1] - [Localité 11]
Représentée par Maître Clémence LEROY-MAUBARET de la SCP SCP D'AVOCATS INTER - BARREAUX MAUBARET, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Patrick MAUBARET, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉ :
G.F.A. [Y], immatriculée au RCS de Libourne sous le numéro 339 240 889, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 5] - [Localité 3]
Représentée par Maître Raphaël MONROUX de la SCP HARFANG AVOCATS, avocat au barreau de LIBOURNE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 21 mai 2025 en audience publique en double rapporteur, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame MASSON chargé du rapport et devant Monsieur FRANCO
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Madame Anne-Sophie JARNEVIC,Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
* * *
EXPOSÉ DU LITIGE :
1. Par deux actes sous seing privé en date du 1er avril 2006, la société anonyme Palais Cardinal, présidée par M. [Y], a donné à bail saisonnier à la société Compagnie de Tourisme et de Réalisation (ci-après Cotorel) deux locaux contigus situés [Adresse 2] à [Localité 10] pour l'exploitation d'un fonds de commerce de 'cadeaux souvenirs' sous l'enseigne 'Anne-Marie Boutique'.
Par décision du 21 octobre 2010, le tribunal de grande instance de Libourne a jugé que le Groupement foncier agricole [Y] (ci-après GFA [Y]) avait donné les lieux à la société Cotorel selon un bail commercial, soumis aux dispositions statutaires, à compter du 1er avril 1998.
À son expiration contractuelle intervenue le 31 mars 2007, ce bail s'est poursuivi par tacite prolongation.
2. Par acte du 23 décembre 2015, le GFA [Y] a donné congé à sa locataire avec effet au 30 juin 2016, en lui refusant le renouvellement du bail et en lui offrant une indemnité d'éviction.
Par ordonnance du 21 juillet 2016, le juge des référés du tribunal judiciaire de Libourne a ordonné une expertise pour le calcul de l'indemnité d'éviction et de l'indemnité d'occupation, en désignant pour y procéder M. [U] [D] qui a déposé son rapport le 26 mai 2017.
Par acte du 21 juin 2018, la société Cotorel a fait assigner le GFA [Y] devant le tribunal judiciaire de Libourne en fixation des indemnités lui revenant et de l'indemnité d'occupation à sa charge.
Par jugement du 21 mai 2021, le tribunal judiciaire de Libourne a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, statué ainsi qu'il suit :
- rejette les conclusions d'expertise de Monsieur [U] [D] ;
- déboute la société Compagnie de Tourisme et Réalisation de toutes ses demandes ;
- condamne la société Compagnie de Tourisme et Réalisation à payer au GFA [Y] une indemnité d'occupation annuelle d'un montant de 20 575 euros ;
- condamne la société Compagnie de Tourisme et Réalisation à payer au GFA [Y] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamne la société Compagnie de Tourisme et Réalisation aux dépens, en ce compris les frais d'expertise.
Par déclaration du 24 juin 2021, la société Cotorel a relevé appel de ce jugement en ses chefs expressément critiqués intimant le GFA [Y].
Par ordonnance du 31 octobre 2024, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande d'expertise formée par la Compagnie de Tourisme et Réalisation, dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et réservé les dépens.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
3. Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 28 avril 2025, la société Cotorel demande à la cour de :
Vu notamment les articles L 145-14 et L 145-28 du code de commerce,
- réformer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,
- fixer l'indemnité d'éviction globale revenant à la société Compagnie de Tourisme et de Réalisation à la somme de 499 171 euros (frais de licenciement du personnel en sus sur justificatifs) et condamner le GFA [Y] à son paiement.
- fixer l'indemnité d'occupation dont. est redevable la société Compagnie de Tourisme et de Réalisation depuis le 1er juillet 2016 à la somme annuelle de 13 761,60 euros et subsidiairement à celle de 14 400 euros.
Subsidiairement, et dans l'hypothèse ou la Cour considérerait être insuffisamment informée par les pièces versées aux débats,
- ordonner une expertise confiée à tel expert qu'il appartiendra pour donner tout élément permettant à la juridiction de fixer l'indemnité d'éviction actualisée revenant à la société Compagnie de Tourisme et de Réalisation en prenant en considération des derniers chiffres réalisés, soit ceux des années 2022, 2023 et 2024 et surseoir à statuer dans l'attente du dépôt du rapport.
- débouter en toutes hypothèses le GFA [Y] de ses demandes fins et prétentions.
- condamner en toutes hypothèses le GFA [Y] au paiement d'une indemnité de 5 000 euros sur le fondement des dispositions prévues par l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens qui comprendront notamment le coût de l'expertise judiciaire.
***
4. Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 12 mai 2025, le GFA [Y] demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris.
- en conséquence, débouter la société Compagnie de Tourisme et de Réalisation de toutes ses demandes.
- à titre subsidiaire sur l'indemnité principale, la minorer de 50 % par rapport au quantum déterminé par l'expert au regard des moyens développées ci-dessus.
- à titre subsidiaire, ordonner la consignation des indemnités allouées au titre du remploi des frais licenciements et des frais de réinstallation pendant une période de 6 mois afin de permettre au locataire d'en justifier.
- condamner la société Compagnie de Tourisme et de Réalisation au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile d'un montant de 5 000 euros ainsi qu'aux entiers dépens qui comprendront notamment le coût de l'expertise judiciaire.
***
L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 mai 2025.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
5. Il y lieu tout d'abord de révoquer l'ordonnance de clôture et de prononcer la clôture à la date du 21 mai 2025, avant les plaidoiries.
Sur l'indemnité d'éviction
6. Au visa de l'article L.145-14 du code de commerce, la société Compagnie du Tourisme et Réalisation (ci-après Cotorel) fait grief au jugement déféré de l'avoir déboutée de sa demande en fixation d'une indemnité d'éviction.
L'appelante fait valoir que la loi fixe le principe du droit du locataire évincé à une indemnité réparant le préjudice causé par le défaut de renouvellement du bail ; que cette indemnité est constituée notamment de la valeur marchande du fond outre accessoires ; qu'il incombe au bailleur de rapporter la preuve d'un préjudice moindre ; que l'indemnité d'éviction doit être appréciée à la date à laquelle le juge statue, de sorte que doit être prise en compte l'évolution du chiffre d'affaires et les exercices postérieurs à l'échéance du bail.
La société Cotorel rappelle que trois experts ont proposé une indemnisation en l'espèce, l'expert judiciaire ainsi que deux experts amiables agréés par la cour d'appel de Bordeaux. Elle indique qu'elle a demandé à son expert, M. [X], d'actualiser ses propositions, fondées notamment sur le rapport amiable de M. [O], expert comptable agréé par la cour d'appel de Bordeaux.
L'appelante approuve les deux méthodes des barèmes professionnels et de la rentabilité utilisées par l'expert pour la recherche de la valeur du fonds de commerce, qui ont également été appliquées par son propre expert.
7. Le Groupement foncier agricole (ci-après GFA) [Y] répond que l'indemnité principale dépend du préjudice subi en cas de transfert de l'exploitation à la suite du défaut de renouvellement du bail commercial ; qu'il s'agit de savoir si l'éviction va entraîner pour la société locataire la perte totale de son fonds de commerce ou si ce fonds est transférable ; qu'en effet, si le transfert entraîne une perte totale de clientèle, c'est la valeur du fonds de commerce qui est indemnisée alors que si le transfert ne menace pas la survie du fonds de commerce exclusivement concerné, c'est uniquement la valeur du droit au bail qui est indemnisée ; que, dans ce dernier cas, l'indemnité d'éviction ne doit porter alors que sur la valeur vénale du droit au bail.
L'intimé relève que la société Cotorel exploite plusieurs magasins de même type mais ne produit pas une comptabilité analytique permettant d'isoler et d'autonomiser l'établissement de [Localité 10] ; qu'il appartenait à l'appelante de produire les éléments pertinents, par exemple son journal de caisse ou l'inventaire annuel des produits vendus dans cet établissement ; qu'elle ne l'a pas fait, échouant dans la charge de la preuve qui lui incombe d'éléments objectifs et officiels de nature à permettre l'évaluation fiable du fonds de commerce exclusivement concerné.
Sur ce,
8. L'article L.145-14 du code de commerce dispose :
« Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.
Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.»
a.] Sur l'indemnité principale
9. Le bail commercial conclu entre le GFA [Y] et la société Cotorel portait sur l'occupation d'un local en rez-de-chaussée de deux immeubles contigus situés [Adresse 2] à [Localité 10], pour une surface totale de 85,30 m². La société locataire y exploite un fonds de commerce de vente de souvenirs, cadeaux, décoration, arts de la table, librairie sous l'enseigne 'Anne Marie Boutique'.
10. M. [D], expert judiciaire, rappelle dans son rapport déposé le 26 mai 2017 que [Localité 10] est une cité historique et touristique majeure, inscrite au patrimoine de l'Unesco, renommée pour son patrimoine architectural et agricole fortement marqué par l'activité viticole.
Il indique que l'accès au fonds de commerce étudié se situe sur une place dont la commercialité est tournée principalement vers l'hôtellerie de luxe et la restauration gastronomique, la restauration tradictionnelle, la vente de produits régionaux et de souvenirs, visant principalement une clientèle de touristes ; que la [Adresse 9] constitue un pôle central qui génère un flux circulaire de passage important du secteur piétonnier sauvegardé, en raison de sa configuration dominante avec un point de vue panoramique sur une partie de la cité et de la place du marché et l'attrait du clocher de l'église monolithe.
Après avoir étudié les données comptables de la société Cotorel, M. [D] a travaillé selon les deux méthodes classiques en matière d'évaluation d'un fonds de commerce : la méthode des barèmes professionnels compte tenu de la classification de l'activité exercée et la méthode par résultat brut d'exploitation, fondée sur la prise en compte du résultat auquel est appliqué un coefficient qui dépend des éléments strictement économiques propres au fonds considéré.
L'expert judiciaire a ainsi dégagé une proposition de valeur marchande du fonds de commerce de [Localité 10] de 158.000 euros.
11. M. [D] a expressément répondu au dire du GFA [Y] selon lequel il n'a travaillé que sur le principe d'une perte totale du fonds de commerce et donc la recherche d'une indemnité de remplacement, alors, selon le bailleur, que l'expert aurait du également rechercher la valeur du droit au bail dans l'hypothèse où la juridiction ne retiendrait qu'une valeur de déplacement fondée sur la valeur du droit au bail.
L'expert rappelle à ce titre les termes de l'article L.145-14 du code de commerce, qui déterminent avec précision les composantes de l'indemnité revenant au locataire commercial évincé et motive sa proposition par les caractéristiques propres du fonds étudié, qui ne pourront être retrouvées à l'occasion d'un transfert dans un local de remplacement aux caractéristiques similaires : emplacement de premier ordre dans le coeur historique de [Localité 10].
A cet égard, il ne peut être discuté le fait que les possibilités de transfert d'un fonds de vente de produits touristiques dans une petite cité historique sont nécessairement plus réduites que celle d'un commerce plus classique dont la clientèle est élargie, tel qu'un commerce de vente d'aliments, par exemple. Il convient en conséquence et par application du deuxième alinéa de l'article L.145-14 du code de commerce, de rechercher la valeur du fonds de commerce litigieux.
Au demeurant, ainsi que le souligne M. [D], l'expert de la locataire mais également celui du bailleur ont présenté des propositions fondées sur la perte du fonds de commerce.
12. Ainsi, Mme [M] [B], présente lors de la visite du local commercial le 3 novembre 2016 et des opérations d'expertise, a appliqué les mêmes taux de 60 % pour la méthode des barèmes professionnels et de 4 pour celle dite de la rentabilité et propose une valeur marchande du fonds de 154.950 euros.
13. La société Cotorel indique qu'elle ne procède pas à une comptabilité analytique et n'isole donc pas les éléments propres à chacun des fonds qu'elle exploite dans différentes cités touristiques.
L'appelante a cependant produit, dans le cadre des opérations d'expertise, une attesttion de son expert comptable en date du 14 octobre 2016 qui indique que le chiffre d'affaires de la boutique de [Localité 10] représente environ un tiers du chiffre d'affaires de la société. La même société d'expertise comptable a attesté le 3 février 2017 que le chiffre d'affaires réalisé par 'Anne Marie Boutique' pour l'exercice 2016 s'élevait à 210.739 euros, soit 40 % du chiffre d'affaires réalisé par la société.
Egalement, la société Cotorel verse à son dossier deux notes de M. [O], expert-comptable, en date du 7 décembre 2023 et du 26 avril 2025.
Cet expert amiable indique qu'il a pu étudier les plaquettes comptables, balances et grands livres de la société pour les exercices 2018, 2019, 2022, 2023 et 2024 et qu'il a vérifié les données énoncées par l'expert comptable de la société dans ses différentes attestations.
M. [O] mentionne qu'il a été en mesure d'isoler le code de la boutique de [Localité 10] comme étant le code VE5, ce qui lui a permis d'extraire les écritures relatives aux ventes de ce fonds de commerce.
Pour l'exercice 2024, soit la date la plus proche de celle à laquelle la cour statue, M. [O] a mis en évidence un chiffre d'affaires de 340.252,63 euros, légèrement supérieur (69,63 euros) à celui qui est attesté par l'expert comptable, ce en raison du fait que ce dernier n'a pas pris en compte certaines opérations transitant par un journal 'opération diverses'.
L'appelante produit de plus une expertise amiable réalisée par M. [X], expert foncier, le 12 mai 2023 et actualisée le 9 avril 2025.
Celui-ci a également retenu un coefficient de 4 pour la méthode par rentabilité et, en ce qui concerne la méthode par les barèmes professionnels, a retenu un pourcentage de 95 % en expliquant qu'il s'agissait d'un commerce en forte progression d'année en année, qui réalise ainsi une excellente performance économique qui représente 44 % du chiffre d'affaires de la société qui exploite pourtant trois autres boutiques du même type à [Localité 7], [Localité 4] et [Localité 6].
M. [X], au pied de son rapport actualisé avec les données de l'exercice 2024, propose donc une valeur marchande du fonds de 340.000 euros.
14. Il appartient à la cour de statuer sur les éléments comptables les plus proches de sa décision, soit celles de l'exercice 2024. Toutefois, compte tenu des éléments propres à la boutique de [Localité 10], si le coefficient 4 peut être retenu dans le cadre de la méthode par les barèmes professionnels, il apparaît que celui de 95 % est excessif, bien que la progression de l'activité de 'Anne Marie Boutique' soit en effet indéniable puisque son excédent brut d'exploitation est passé de 87.086 euros en 2022 à 92.248 euros en 2023 et 115.038 euros en 2024, éléments dont M. [O] indique qu'ils ne présentent pas d'anomalies.
Il est admis que les barèmes professionnels appliquent un pourcentage de 45 % à 75 % (65 % pour l'administration fiscale) du chiffre d'affaires TTC pour la vente de cadeaux, arts de la table et liste de mariage et de 30 % à 70 % (40 % à 60 % pour l'administration fiscale) pour les cadeaux - articles de [Localité 8].
Le pourcentage de 60 % appliqué par M. [D], expert judiciaire, n'est pas sérieusement discuté par la locataire et il est validé par le bailleur. Il y a donc lieu de l'appliquer à la moyenne des trois dernières années d'exploitation.
En conséquence, puisque la moyenne arrondie des chiffres d'affaires TTC des exercices 2022 à 2024 attestés par un professionnel du chiffre (l'expert comptable de l'appelante) et vérifiés par un autre professionnel du chiffre (M. [O]), qui a procédé lui-même à l'extraction des données idoines et à leur addition, est de 307.525 euros selon les chiffres retenus par M. [X], la valeur du fonds par la méthode des barèmes à la date la plus proche de celle à laquelle la cour statue est de (307.525 x 60 % =) 184.515 euros.
Pour la méthode par la rentabilité, il convient d'appliquer le coefficient 4 retenu par l'expert judiciaire et les deux experts amiables à la moyenne des EBE pour les mêmes exercices, soit 98.124 euros, de sorte que la valeur est ici de (98.124 x 4 =) 392.496 euros.
15. La valeur du fonds de commerce exploité sous l'enseigne 'Anne Marie Boutique' est donc la moyenne de la valeur par la méthode des barèmes et de la valeur par la rentabilité, soit :
(184.515 + 392.496) /2 = 288.505,50 euros, qui sera en conséquence, en vertu des dispositions de l'article L.145-14 du code de commerce, le montant de l'indemnité principale.
b.] Sur les indemnités accessoires
16. L'indemnité de remploi est, selon les usages, fixée à 10 % de la somme principale. Elle est donc en l'espèce de 28.850,55 euros.
17. M. [D] a pu examiner des devis de déménagement et a fixé à la somme de 2.115 euros le montant de l'indemnité qui y est relative.
18. En ce qui concerne l'indemnité propre à réparer le trouble commercial subi par la société Cotorel, il est d'usage de retenir une indemnité équivalente à trois mois du bénéfice moyen des trois dernières années. En l'espèce, la cour dispose de l'excédent brut d'exploitation des trois derniers exercices du fonds exploité à [Localité 10] mais non de son bénéfice, compte tenu du fait que la société ne dispose pas d'une comptabilité analytique.
La proposition de M. [X] ne peut être prise en considération puisqu'elle repose sur les EBE, donc avant déduction des amortissements, provisions, impôts et charges financières.
Au demeurant, il doit être observé que la société Cotorel n'exploite pas d'établissement à [Localité 11], lieu de son siège social et de la résidence de son gérant M. [C], mais dans les départements du Tarn et de l'Aveyron, outre la Gironde, où le magasin de [Localité 10] est géré par des salariés. Le trouble résultant du temps nécessaire à rechercher un autre emplacement, pris sur le temps de gestion du fonds évincé, n'est donc pas ici démontré.
La cour rejettera donc la demande au titre de ce poste de préjudice.
19. Il en sera de même en ce qui concerne la perte sur stock faute de justificatifs précis, mettant en évidence les marchandises estampillées [Localité 10], fournis à l'expert et à la cour, M. [X] n'évoquant dans son rapport amiable qu'une éventualité.
20. Il a été présenté à M. [X] les justificatifs de l'évaluation des frais de licenciement des deux salariés de la boutique de [Localité 10]. Il convient donc de retenir ce poste de préjudice à hauteur de 12.700 euros.
21. Enfin, l'expert judiciaire a retenu un préjudice relatif aux frais divers générés par la perte du fonds de commerce qui n'est pas discuté par l'expert du bailleur et dont l'indemnisation proposée par l'expert de la locataire est faiblement supérieure.
La cour retiendra l'estimation de l'expert judiciaire pour la somme de 4.400 euros.
22. L'indemnité d'éviction revenant à la société Cotorel pour l'éviction du fonds de commerce exploité à [Localité 10] est donc de 336.571,05 euros.
23. Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé en ce qu'il a débouté la société Cotorel de toute demande au titre de l'indemnité d'éviction lui revenant.
Sur l'indemnité d'occupation
24. L'article L.145-28 alinéa 1er du code de commerce dispose :
« Aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l'avoir reçue. Jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Toutefois, l'indemnité d'occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections 6 et 7, compte tenu de tous éléments d'appréciation.»
25. Les facteurs locaux de commercialité ont été évoqués supra, en ce qui concerne l'emplacement privilégié du commerce étudié au centre piétonnier de la cité historique et touristique de [Localité 10]. Il doit être ajouté que les plans et les photographies produites aux débats mettent en évidence le fait que la devanture du local commercial est en partie gênée par la présence des tables, chaises et parasols d'un restaurant également implanté [Adresse 9].
Les critères définis par l'article L.145-33 du code de commerce et les trois termes de comparaison retenus par M. [D] (deux commerces de vente de vin et un commerce de vente de linge de maison) lui ont permis de proposer une valeur locative annuelle de 15.840 euros HT et HC compte tenu de la précarité liée à l'éviction.
M. [X], expert de la locataire commerciale, a mentionné un prix moyen au mètre carré dans le secteur géographique considéré et a proposé une indemnité de 14.400 euros HT et HC, en raison du fait notamment qu'il applique un pourcentage de précarité de 20 %, supérieur à celui de l'expert judiciaire (qui est de 10 %).
Mme [M] [B], expert du bailleur, a observé que le local était traversant et bénéficiait d'un linéaire de près de 12 mètres sur la [Adresse 9] ; que l'activité de ce commerce était favorable à sa situation.
Le GFA [Y] souligne que les conditions contractuelles sont favorables au preneur puisque, en particulier, le bailleur a conservé à sa charge la taxe foncière.
26. Il doit être relevé que Mme [M] [B] s'est appuyée sur six termes de comparaison, portant sur l'exploitation de locaux à proximité du fonds étudié, pour des commerces de prêt à porter, vente d'objets artisanaux et restaurant.
La proposition de cet expert, qui s'appuie sur des éléments précis et nombreux et sur les conditions contractuelles favorables au preneur, outre les facteurs locaux de commercialité rappelés plus haut, et qui applique un abattement de 10 % pour précarité, est la plus pertinente et a d'ailleurs été entérinée par le premier juge, dont la décision sera confirmée de ce chef.
27. Il y a lieu enfin d'infirmer le jugement déféré en ce qui concerne ses chefs de dispositif relatifs aux frais irrépétibles des parties et à la charge des dépens de première instance.
Statuant à nouveau, la cour dira n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en appel et, faisant masse des dépens de première instance et d'appel, condamnera chaque partie à en payer la moitié.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort,
Révoque l'ordonnance de clôture et prononce la clôture des débats au 21 mai 2025.
Confirme le jugement prononcé le 21 mai 2021 par le tribunal judiciaire de Libourne en ce qu'il a condamné la société Compagnie de Tourisme et Réalisation à payer au Groupement foncier agricole [Y] une indemnité annuelle d'occupation de 20.575 euros HT et HC.
Infirme pour le surplus le jugement prononcé le 21 mai 2021 par le tribunal judiciaire de Libourne.
Statuant des chefs infirmés,
Fixe à la somme de 336.571,05 euros l'indemnité d'éviction revenant à la société Compagnie de Tourisme et Réalisation pour son éviction du local commercial situé [Adresse 2] à [Localité 10].
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Fait masse des dépens, en ce compris les frais de l'expertise judiciaire, et condamne chacune des parties à en payer la moitié.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
--------------------------
ARRÊT DU : 01 OCTOBRE 2025
N° RG 21/03596 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MFRT
S.A.R.L. COMPAGNIE DE TOURISME ET REALISATION
c/
G.F.A. [Y]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 21 mai 2021 (R.G. 18/00720) par le Tribunal Judiciaire de LIBOURNE suivant déclaration d'appel du 24 juin 2021
APPELANTE :
S.A.R.L. COMPAGNIE DE TOURISME ET REALISATION (COTOREL), immatriculée au RCS de Toulouse sous le numéro 412 521 767, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 1] - [Localité 11]
Représentée par Maître Clémence LEROY-MAUBARET de la SCP SCP D'AVOCATS INTER - BARREAUX MAUBARET, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Patrick MAUBARET, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉ :
G.F.A. [Y], immatriculée au RCS de Libourne sous le numéro 339 240 889, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 5] - [Localité 3]
Représentée par Maître Raphaël MONROUX de la SCP HARFANG AVOCATS, avocat au barreau de LIBOURNE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 21 mai 2025 en audience publique en double rapporteur, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame MASSON chargé du rapport et devant Monsieur FRANCO
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Madame Anne-Sophie JARNEVIC,Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
* * *
EXPOSÉ DU LITIGE :
1. Par deux actes sous seing privé en date du 1er avril 2006, la société anonyme Palais Cardinal, présidée par M. [Y], a donné à bail saisonnier à la société Compagnie de Tourisme et de Réalisation (ci-après Cotorel) deux locaux contigus situés [Adresse 2] à [Localité 10] pour l'exploitation d'un fonds de commerce de 'cadeaux souvenirs' sous l'enseigne 'Anne-Marie Boutique'.
Par décision du 21 octobre 2010, le tribunal de grande instance de Libourne a jugé que le Groupement foncier agricole [Y] (ci-après GFA [Y]) avait donné les lieux à la société Cotorel selon un bail commercial, soumis aux dispositions statutaires, à compter du 1er avril 1998.
À son expiration contractuelle intervenue le 31 mars 2007, ce bail s'est poursuivi par tacite prolongation.
2. Par acte du 23 décembre 2015, le GFA [Y] a donné congé à sa locataire avec effet au 30 juin 2016, en lui refusant le renouvellement du bail et en lui offrant une indemnité d'éviction.
Par ordonnance du 21 juillet 2016, le juge des référés du tribunal judiciaire de Libourne a ordonné une expertise pour le calcul de l'indemnité d'éviction et de l'indemnité d'occupation, en désignant pour y procéder M. [U] [D] qui a déposé son rapport le 26 mai 2017.
Par acte du 21 juin 2018, la société Cotorel a fait assigner le GFA [Y] devant le tribunal judiciaire de Libourne en fixation des indemnités lui revenant et de l'indemnité d'occupation à sa charge.
Par jugement du 21 mai 2021, le tribunal judiciaire de Libourne a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, statué ainsi qu'il suit :
- rejette les conclusions d'expertise de Monsieur [U] [D] ;
- déboute la société Compagnie de Tourisme et Réalisation de toutes ses demandes ;
- condamne la société Compagnie de Tourisme et Réalisation à payer au GFA [Y] une indemnité d'occupation annuelle d'un montant de 20 575 euros ;
- condamne la société Compagnie de Tourisme et Réalisation à payer au GFA [Y] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamne la société Compagnie de Tourisme et Réalisation aux dépens, en ce compris les frais d'expertise.
Par déclaration du 24 juin 2021, la société Cotorel a relevé appel de ce jugement en ses chefs expressément critiqués intimant le GFA [Y].
Par ordonnance du 31 octobre 2024, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande d'expertise formée par la Compagnie de Tourisme et Réalisation, dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et réservé les dépens.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
3. Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 28 avril 2025, la société Cotorel demande à la cour de :
Vu notamment les articles L 145-14 et L 145-28 du code de commerce,
- réformer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,
- fixer l'indemnité d'éviction globale revenant à la société Compagnie de Tourisme et de Réalisation à la somme de 499 171 euros (frais de licenciement du personnel en sus sur justificatifs) et condamner le GFA [Y] à son paiement.
- fixer l'indemnité d'occupation dont. est redevable la société Compagnie de Tourisme et de Réalisation depuis le 1er juillet 2016 à la somme annuelle de 13 761,60 euros et subsidiairement à celle de 14 400 euros.
Subsidiairement, et dans l'hypothèse ou la Cour considérerait être insuffisamment informée par les pièces versées aux débats,
- ordonner une expertise confiée à tel expert qu'il appartiendra pour donner tout élément permettant à la juridiction de fixer l'indemnité d'éviction actualisée revenant à la société Compagnie de Tourisme et de Réalisation en prenant en considération des derniers chiffres réalisés, soit ceux des années 2022, 2023 et 2024 et surseoir à statuer dans l'attente du dépôt du rapport.
- débouter en toutes hypothèses le GFA [Y] de ses demandes fins et prétentions.
- condamner en toutes hypothèses le GFA [Y] au paiement d'une indemnité de 5 000 euros sur le fondement des dispositions prévues par l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens qui comprendront notamment le coût de l'expertise judiciaire.
***
4. Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 12 mai 2025, le GFA [Y] demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris.
- en conséquence, débouter la société Compagnie de Tourisme et de Réalisation de toutes ses demandes.
- à titre subsidiaire sur l'indemnité principale, la minorer de 50 % par rapport au quantum déterminé par l'expert au regard des moyens développées ci-dessus.
- à titre subsidiaire, ordonner la consignation des indemnités allouées au titre du remploi des frais licenciements et des frais de réinstallation pendant une période de 6 mois afin de permettre au locataire d'en justifier.
- condamner la société Compagnie de Tourisme et de Réalisation au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile d'un montant de 5 000 euros ainsi qu'aux entiers dépens qui comprendront notamment le coût de l'expertise judiciaire.
***
L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 mai 2025.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
5. Il y lieu tout d'abord de révoquer l'ordonnance de clôture et de prononcer la clôture à la date du 21 mai 2025, avant les plaidoiries.
Sur l'indemnité d'éviction
6. Au visa de l'article L.145-14 du code de commerce, la société Compagnie du Tourisme et Réalisation (ci-après Cotorel) fait grief au jugement déféré de l'avoir déboutée de sa demande en fixation d'une indemnité d'éviction.
L'appelante fait valoir que la loi fixe le principe du droit du locataire évincé à une indemnité réparant le préjudice causé par le défaut de renouvellement du bail ; que cette indemnité est constituée notamment de la valeur marchande du fond outre accessoires ; qu'il incombe au bailleur de rapporter la preuve d'un préjudice moindre ; que l'indemnité d'éviction doit être appréciée à la date à laquelle le juge statue, de sorte que doit être prise en compte l'évolution du chiffre d'affaires et les exercices postérieurs à l'échéance du bail.
La société Cotorel rappelle que trois experts ont proposé une indemnisation en l'espèce, l'expert judiciaire ainsi que deux experts amiables agréés par la cour d'appel de Bordeaux. Elle indique qu'elle a demandé à son expert, M. [X], d'actualiser ses propositions, fondées notamment sur le rapport amiable de M. [O], expert comptable agréé par la cour d'appel de Bordeaux.
L'appelante approuve les deux méthodes des barèmes professionnels et de la rentabilité utilisées par l'expert pour la recherche de la valeur du fonds de commerce, qui ont également été appliquées par son propre expert.
7. Le Groupement foncier agricole (ci-après GFA) [Y] répond que l'indemnité principale dépend du préjudice subi en cas de transfert de l'exploitation à la suite du défaut de renouvellement du bail commercial ; qu'il s'agit de savoir si l'éviction va entraîner pour la société locataire la perte totale de son fonds de commerce ou si ce fonds est transférable ; qu'en effet, si le transfert entraîne une perte totale de clientèle, c'est la valeur du fonds de commerce qui est indemnisée alors que si le transfert ne menace pas la survie du fonds de commerce exclusivement concerné, c'est uniquement la valeur du droit au bail qui est indemnisée ; que, dans ce dernier cas, l'indemnité d'éviction ne doit porter alors que sur la valeur vénale du droit au bail.
L'intimé relève que la société Cotorel exploite plusieurs magasins de même type mais ne produit pas une comptabilité analytique permettant d'isoler et d'autonomiser l'établissement de [Localité 10] ; qu'il appartenait à l'appelante de produire les éléments pertinents, par exemple son journal de caisse ou l'inventaire annuel des produits vendus dans cet établissement ; qu'elle ne l'a pas fait, échouant dans la charge de la preuve qui lui incombe d'éléments objectifs et officiels de nature à permettre l'évaluation fiable du fonds de commerce exclusivement concerné.
Sur ce,
8. L'article L.145-14 du code de commerce dispose :
« Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.
Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.»
a.] Sur l'indemnité principale
9. Le bail commercial conclu entre le GFA [Y] et la société Cotorel portait sur l'occupation d'un local en rez-de-chaussée de deux immeubles contigus situés [Adresse 2] à [Localité 10], pour une surface totale de 85,30 m². La société locataire y exploite un fonds de commerce de vente de souvenirs, cadeaux, décoration, arts de la table, librairie sous l'enseigne 'Anne Marie Boutique'.
10. M. [D], expert judiciaire, rappelle dans son rapport déposé le 26 mai 2017 que [Localité 10] est une cité historique et touristique majeure, inscrite au patrimoine de l'Unesco, renommée pour son patrimoine architectural et agricole fortement marqué par l'activité viticole.
Il indique que l'accès au fonds de commerce étudié se situe sur une place dont la commercialité est tournée principalement vers l'hôtellerie de luxe et la restauration gastronomique, la restauration tradictionnelle, la vente de produits régionaux et de souvenirs, visant principalement une clientèle de touristes ; que la [Adresse 9] constitue un pôle central qui génère un flux circulaire de passage important du secteur piétonnier sauvegardé, en raison de sa configuration dominante avec un point de vue panoramique sur une partie de la cité et de la place du marché et l'attrait du clocher de l'église monolithe.
Après avoir étudié les données comptables de la société Cotorel, M. [D] a travaillé selon les deux méthodes classiques en matière d'évaluation d'un fonds de commerce : la méthode des barèmes professionnels compte tenu de la classification de l'activité exercée et la méthode par résultat brut d'exploitation, fondée sur la prise en compte du résultat auquel est appliqué un coefficient qui dépend des éléments strictement économiques propres au fonds considéré.
L'expert judiciaire a ainsi dégagé une proposition de valeur marchande du fonds de commerce de [Localité 10] de 158.000 euros.
11. M. [D] a expressément répondu au dire du GFA [Y] selon lequel il n'a travaillé que sur le principe d'une perte totale du fonds de commerce et donc la recherche d'une indemnité de remplacement, alors, selon le bailleur, que l'expert aurait du également rechercher la valeur du droit au bail dans l'hypothèse où la juridiction ne retiendrait qu'une valeur de déplacement fondée sur la valeur du droit au bail.
L'expert rappelle à ce titre les termes de l'article L.145-14 du code de commerce, qui déterminent avec précision les composantes de l'indemnité revenant au locataire commercial évincé et motive sa proposition par les caractéristiques propres du fonds étudié, qui ne pourront être retrouvées à l'occasion d'un transfert dans un local de remplacement aux caractéristiques similaires : emplacement de premier ordre dans le coeur historique de [Localité 10].
A cet égard, il ne peut être discuté le fait que les possibilités de transfert d'un fonds de vente de produits touristiques dans une petite cité historique sont nécessairement plus réduites que celle d'un commerce plus classique dont la clientèle est élargie, tel qu'un commerce de vente d'aliments, par exemple. Il convient en conséquence et par application du deuxième alinéa de l'article L.145-14 du code de commerce, de rechercher la valeur du fonds de commerce litigieux.
Au demeurant, ainsi que le souligne M. [D], l'expert de la locataire mais également celui du bailleur ont présenté des propositions fondées sur la perte du fonds de commerce.
12. Ainsi, Mme [M] [B], présente lors de la visite du local commercial le 3 novembre 2016 et des opérations d'expertise, a appliqué les mêmes taux de 60 % pour la méthode des barèmes professionnels et de 4 pour celle dite de la rentabilité et propose une valeur marchande du fonds de 154.950 euros.
13. La société Cotorel indique qu'elle ne procède pas à une comptabilité analytique et n'isole donc pas les éléments propres à chacun des fonds qu'elle exploite dans différentes cités touristiques.
L'appelante a cependant produit, dans le cadre des opérations d'expertise, une attesttion de son expert comptable en date du 14 octobre 2016 qui indique que le chiffre d'affaires de la boutique de [Localité 10] représente environ un tiers du chiffre d'affaires de la société. La même société d'expertise comptable a attesté le 3 février 2017 que le chiffre d'affaires réalisé par 'Anne Marie Boutique' pour l'exercice 2016 s'élevait à 210.739 euros, soit 40 % du chiffre d'affaires réalisé par la société.
Egalement, la société Cotorel verse à son dossier deux notes de M. [O], expert-comptable, en date du 7 décembre 2023 et du 26 avril 2025.
Cet expert amiable indique qu'il a pu étudier les plaquettes comptables, balances et grands livres de la société pour les exercices 2018, 2019, 2022, 2023 et 2024 et qu'il a vérifié les données énoncées par l'expert comptable de la société dans ses différentes attestations.
M. [O] mentionne qu'il a été en mesure d'isoler le code de la boutique de [Localité 10] comme étant le code VE5, ce qui lui a permis d'extraire les écritures relatives aux ventes de ce fonds de commerce.
Pour l'exercice 2024, soit la date la plus proche de celle à laquelle la cour statue, M. [O] a mis en évidence un chiffre d'affaires de 340.252,63 euros, légèrement supérieur (69,63 euros) à celui qui est attesté par l'expert comptable, ce en raison du fait que ce dernier n'a pas pris en compte certaines opérations transitant par un journal 'opération diverses'.
L'appelante produit de plus une expertise amiable réalisée par M. [X], expert foncier, le 12 mai 2023 et actualisée le 9 avril 2025.
Celui-ci a également retenu un coefficient de 4 pour la méthode par rentabilité et, en ce qui concerne la méthode par les barèmes professionnels, a retenu un pourcentage de 95 % en expliquant qu'il s'agissait d'un commerce en forte progression d'année en année, qui réalise ainsi une excellente performance économique qui représente 44 % du chiffre d'affaires de la société qui exploite pourtant trois autres boutiques du même type à [Localité 7], [Localité 4] et [Localité 6].
M. [X], au pied de son rapport actualisé avec les données de l'exercice 2024, propose donc une valeur marchande du fonds de 340.000 euros.
14. Il appartient à la cour de statuer sur les éléments comptables les plus proches de sa décision, soit celles de l'exercice 2024. Toutefois, compte tenu des éléments propres à la boutique de [Localité 10], si le coefficient 4 peut être retenu dans le cadre de la méthode par les barèmes professionnels, il apparaît que celui de 95 % est excessif, bien que la progression de l'activité de 'Anne Marie Boutique' soit en effet indéniable puisque son excédent brut d'exploitation est passé de 87.086 euros en 2022 à 92.248 euros en 2023 et 115.038 euros en 2024, éléments dont M. [O] indique qu'ils ne présentent pas d'anomalies.
Il est admis que les barèmes professionnels appliquent un pourcentage de 45 % à 75 % (65 % pour l'administration fiscale) du chiffre d'affaires TTC pour la vente de cadeaux, arts de la table et liste de mariage et de 30 % à 70 % (40 % à 60 % pour l'administration fiscale) pour les cadeaux - articles de [Localité 8].
Le pourcentage de 60 % appliqué par M. [D], expert judiciaire, n'est pas sérieusement discuté par la locataire et il est validé par le bailleur. Il y a donc lieu de l'appliquer à la moyenne des trois dernières années d'exploitation.
En conséquence, puisque la moyenne arrondie des chiffres d'affaires TTC des exercices 2022 à 2024 attestés par un professionnel du chiffre (l'expert comptable de l'appelante) et vérifiés par un autre professionnel du chiffre (M. [O]), qui a procédé lui-même à l'extraction des données idoines et à leur addition, est de 307.525 euros selon les chiffres retenus par M. [X], la valeur du fonds par la méthode des barèmes à la date la plus proche de celle à laquelle la cour statue est de (307.525 x 60 % =) 184.515 euros.
Pour la méthode par la rentabilité, il convient d'appliquer le coefficient 4 retenu par l'expert judiciaire et les deux experts amiables à la moyenne des EBE pour les mêmes exercices, soit 98.124 euros, de sorte que la valeur est ici de (98.124 x 4 =) 392.496 euros.
15. La valeur du fonds de commerce exploité sous l'enseigne 'Anne Marie Boutique' est donc la moyenne de la valeur par la méthode des barèmes et de la valeur par la rentabilité, soit :
(184.515 + 392.496) /2 = 288.505,50 euros, qui sera en conséquence, en vertu des dispositions de l'article L.145-14 du code de commerce, le montant de l'indemnité principale.
b.] Sur les indemnités accessoires
16. L'indemnité de remploi est, selon les usages, fixée à 10 % de la somme principale. Elle est donc en l'espèce de 28.850,55 euros.
17. M. [D] a pu examiner des devis de déménagement et a fixé à la somme de 2.115 euros le montant de l'indemnité qui y est relative.
18. En ce qui concerne l'indemnité propre à réparer le trouble commercial subi par la société Cotorel, il est d'usage de retenir une indemnité équivalente à trois mois du bénéfice moyen des trois dernières années. En l'espèce, la cour dispose de l'excédent brut d'exploitation des trois derniers exercices du fonds exploité à [Localité 10] mais non de son bénéfice, compte tenu du fait que la société ne dispose pas d'une comptabilité analytique.
La proposition de M. [X] ne peut être prise en considération puisqu'elle repose sur les EBE, donc avant déduction des amortissements, provisions, impôts et charges financières.
Au demeurant, il doit être observé que la société Cotorel n'exploite pas d'établissement à [Localité 11], lieu de son siège social et de la résidence de son gérant M. [C], mais dans les départements du Tarn et de l'Aveyron, outre la Gironde, où le magasin de [Localité 10] est géré par des salariés. Le trouble résultant du temps nécessaire à rechercher un autre emplacement, pris sur le temps de gestion du fonds évincé, n'est donc pas ici démontré.
La cour rejettera donc la demande au titre de ce poste de préjudice.
19. Il en sera de même en ce qui concerne la perte sur stock faute de justificatifs précis, mettant en évidence les marchandises estampillées [Localité 10], fournis à l'expert et à la cour, M. [X] n'évoquant dans son rapport amiable qu'une éventualité.
20. Il a été présenté à M. [X] les justificatifs de l'évaluation des frais de licenciement des deux salariés de la boutique de [Localité 10]. Il convient donc de retenir ce poste de préjudice à hauteur de 12.700 euros.
21. Enfin, l'expert judiciaire a retenu un préjudice relatif aux frais divers générés par la perte du fonds de commerce qui n'est pas discuté par l'expert du bailleur et dont l'indemnisation proposée par l'expert de la locataire est faiblement supérieure.
La cour retiendra l'estimation de l'expert judiciaire pour la somme de 4.400 euros.
22. L'indemnité d'éviction revenant à la société Cotorel pour l'éviction du fonds de commerce exploité à [Localité 10] est donc de 336.571,05 euros.
23. Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé en ce qu'il a débouté la société Cotorel de toute demande au titre de l'indemnité d'éviction lui revenant.
Sur l'indemnité d'occupation
24. L'article L.145-28 alinéa 1er du code de commerce dispose :
« Aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l'avoir reçue. Jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Toutefois, l'indemnité d'occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections 6 et 7, compte tenu de tous éléments d'appréciation.»
25. Les facteurs locaux de commercialité ont été évoqués supra, en ce qui concerne l'emplacement privilégié du commerce étudié au centre piétonnier de la cité historique et touristique de [Localité 10]. Il doit être ajouté que les plans et les photographies produites aux débats mettent en évidence le fait que la devanture du local commercial est en partie gênée par la présence des tables, chaises et parasols d'un restaurant également implanté [Adresse 9].
Les critères définis par l'article L.145-33 du code de commerce et les trois termes de comparaison retenus par M. [D] (deux commerces de vente de vin et un commerce de vente de linge de maison) lui ont permis de proposer une valeur locative annuelle de 15.840 euros HT et HC compte tenu de la précarité liée à l'éviction.
M. [X], expert de la locataire commerciale, a mentionné un prix moyen au mètre carré dans le secteur géographique considéré et a proposé une indemnité de 14.400 euros HT et HC, en raison du fait notamment qu'il applique un pourcentage de précarité de 20 %, supérieur à celui de l'expert judiciaire (qui est de 10 %).
Mme [M] [B], expert du bailleur, a observé que le local était traversant et bénéficiait d'un linéaire de près de 12 mètres sur la [Adresse 9] ; que l'activité de ce commerce était favorable à sa situation.
Le GFA [Y] souligne que les conditions contractuelles sont favorables au preneur puisque, en particulier, le bailleur a conservé à sa charge la taxe foncière.
26. Il doit être relevé que Mme [M] [B] s'est appuyée sur six termes de comparaison, portant sur l'exploitation de locaux à proximité du fonds étudié, pour des commerces de prêt à porter, vente d'objets artisanaux et restaurant.
La proposition de cet expert, qui s'appuie sur des éléments précis et nombreux et sur les conditions contractuelles favorables au preneur, outre les facteurs locaux de commercialité rappelés plus haut, et qui applique un abattement de 10 % pour précarité, est la plus pertinente et a d'ailleurs été entérinée par le premier juge, dont la décision sera confirmée de ce chef.
27. Il y a lieu enfin d'infirmer le jugement déféré en ce qui concerne ses chefs de dispositif relatifs aux frais irrépétibles des parties et à la charge des dépens de première instance.
Statuant à nouveau, la cour dira n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en appel et, faisant masse des dépens de première instance et d'appel, condamnera chaque partie à en payer la moitié.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort,
Révoque l'ordonnance de clôture et prononce la clôture des débats au 21 mai 2025.
Confirme le jugement prononcé le 21 mai 2021 par le tribunal judiciaire de Libourne en ce qu'il a condamné la société Compagnie de Tourisme et Réalisation à payer au Groupement foncier agricole [Y] une indemnité annuelle d'occupation de 20.575 euros HT et HC.
Infirme pour le surplus le jugement prononcé le 21 mai 2021 par le tribunal judiciaire de Libourne.
Statuant des chefs infirmés,
Fixe à la somme de 336.571,05 euros l'indemnité d'éviction revenant à la société Compagnie de Tourisme et Réalisation pour son éviction du local commercial situé [Adresse 2] à [Localité 10].
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Fait masse des dépens, en ce compris les frais de l'expertise judiciaire, et condamne chacune des parties à en payer la moitié.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président