CA Rennes, 5e ch., 1 octobre 2025, n° 22/03781
RENNES
Arrêt
Autre
5ème Chambre
ARRÊT N°-197
N° RG 22/03781 - N° Portalis DBVL-V-B7G-S3OF
(Réf 1ère instance : 19/06243)
S.C.I. [Localité 8] III
C/
S.A.S. SYGMATEL ELECTRONIQUE
S.A.S. SYGMATEL
Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 01 OCTOBRE 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Virginie PARENT, Présidente,
Assesseur : Madame Virginie HAUET, Conseiller,
Assesseur : Madame Marie-France DAUPS, Conseiller
GREFFIER :
Madame Catherine VILLENEUVE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 25 Juin 2025
devant Madame Virginie PARENT et Madame Virginie HAUET, magistrats rapporteurs, tenant seules l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui ont rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 01 Octobre 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
S.C.I. [Localité 8] III
[Adresse 2]
[Localité 8]
Représentée par Me Antoine FEREZOU, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉES :
S.A.S. SYGMATEL ELECTRONIQUE immatriculée au RCS de [Localité 9] sous le numéro 350 970 679, prise en la personne de son représentant légal,
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentée par Me Florent LUCAS de la SELARL CVS, Plaidant, avocat au barreau de NANTES
Représentée par Me Benoît BOMMELAER de la SELARL CVS, Postulant, avocat au barreau de RENNES
S.A.S. SYGMATEL immatriculée au RCS de [Localité 9] sous le numéro 451 345 433, prise en la personne de son représentant légal,
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentée par Me Florent LUCAS de la SELARL CVS, Plaidant, avocat au barreau de NANTES
Représentée par Me Benoît BOMMELAER de la SELARL CVS, Postulant, avocat au barreau de RENNES
La société [Localité 8] III a donné à bail le 13 janvier 1986 à la société Instant Electronique des locaux commerciaux sis [Adresse 3] à [Localité 8].
Suivant acte sous seing privé du 28 septembre 2016, la société [Localité 8] III a donné à bail commercial à la société Sygmatel Electronique, avec la caution de la société Sygmatel, l'ensemble immobilier situé [Adresse 3] cadastré parcelle [Cadastre 6] feuille [Cadastre 7] [Cadastre 1] à [Localité 8] pour une durée de 9 ans à compter du 1er juillet 2016 pour s'achever le 30 juin 2025, et ce, à destination d'une activité de conception, fabrication, installation, maintenance et négoce de tout matériel électrique, électronique, informatique, de communication, la vente en gros ou au détail de tout appareil électrique en général, moyennant un loyer annuel de 72 000 euros hors taxes et hors charges payable trimestriellement d'avance, les 1er janvier, 1er avril, 1er juillet, et 1er octobre, par virement de 18 000 euros.
Il est rappelé dans cet acte que la société Instant Electronique a cédé son fonds de commerce à la société Horelec Système devenue Sygmatel Electronique le 28 juin 2016, que le bailleur a accepté cette cession ainsi qu'une réduction de loyer, de sorte que l'acte du 28 septembre 2016 de nouveau bail est également un acte de résiliation à effet au 30 juin 2016 du bail commercial consenti initialement à la société Instant Electronique.
Selon un acte d'huissier du 16 janvier 2019, la société Sygmatel Electronique a donné son congé à la SCI Carquefou III pour le 30 juin 2019.
Soutenant que le congé ne peut prendre effet qu'au 30 juin 2022, que les locaux ont été abandonnés et que le loyer reste exigible, la société Carquefou III a fait assigner la société Sygmatel Electronique et la société Sygmatel devant le tribunal de grande instance de Nantes, par acte d'huissier en date du 18 décembre 2019.
Par jugement en date du 9 juin 2022, le tribunal judiciaire de Nantes a :
- constaté l'acceptation du congé donné pour le 30 juin 2019 à minuit et la résiliation du bail à cette date,
- condamné solidairement la société Sygmatel Electronique et la société Sygmatel à payer à la société [Localité 8] III la somme de 18 268,37 euros au titre des réparations locatives avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision et celle de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire,
- rejeté toutes autres prétentions plus amples ou contraires,
- condamné la société Sygmatel Electronique et la société Sygmatel aux dépens, y compris les frais d'expertise.
Le 17 juin 2022, la société [Localité 8] III a interjeté appel de cette décision et aux termes de ses dernières écritures notifiées le 28 novembre 2024, elle demande à la cour de :
- la déclarer recevable et fondée en son appel,
- y faire droit.
- débouter les intimés de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
Statuant à nouveau sur les éléments du jugement déférés à la cour d'appel,
- infirmer et réformer le jugement du 9 juin 2022 en ce qu'il a retenu que le congé délivré le 16 janvier 2019 serait efficace pour l'échéance triennale du 30 juin 2019,
- déclarer que le congé du 16 janvier 2019 n'a pu avoir d'effet que pour l'échéance du 30 juin 2022, et non pour le 30 juin 2019,
- déclarer que le bail commercial était en cours jusqu'au 30 juin 2022 et qu'il a été résilié à cette date par l'effet du congé,
- déclarer que la société Sygmatel Electronique n'a pas payé les loyers et accessoires contractuels et a abandonné les locaux dès juin 2019, créant ainsi par sa faute les conditions des intrusions répétées dans les locaux de juin 2019 à juin 2022, situations qui ont dû être gérées, matériellement et judiciairement, par la société [Localité 8] III à ses frais avancés,
- en conséquence, condamner solidairement les sociétés Sygmatel ès-qualités de caution et la société Sygmatel Electronique à lui payer les sommes suivantes à titre de dommages et intérêts sur le fondement contractuel :
* 321 681,76 euros au titre des loyers, taxe foncière et frais de relance dus pour la période du 1er juillet 2019 au 30 juin 2022 et les intérêts de retard au taux contractuel de 1% par mois depuis le 1er juillet 2019,
* la somme de 11 233 euros, sauf à parfaire, à titre de dommages et intérêts pour les frais et honoraires engagés par elle pour faire face aux intrusions de tiers ans ses locaux depuis l'abandon de ceux-ci par le preneur, entre juin 2019 et juin 2022,
- la somme de 17 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- les entiers dépens en ce compris les frais d'expertise dont elle a été contrainte de faire l'avance, dont le détail est annexé au rapport, pour 8 093 euros en application des articles 695 et 696 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées le 19 septembre 2022, les sociétés Sygmatel et Sygmatel Electronique demandent à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a constaté l'acceptation du congé donné pour le 30 juin 2019 à minuit et la résiliation du bail à cette date,
En conséquence,
- débouter la société [Localité 8] III de sa demande de paiement de 321 681,76 euros au titre des loyers pour la période du 1er juillet 2019 au 30 juin 2022 et des intérêts de retard,
- débouter la société [Localité 8] III de sa demande de paiement de 11 233 euros au titre de dommages et intérêts,
Subsidiairement,
- réduire le montant de la condamnation à une somme correspondant à quatre mois de loyers hors taxes soit 25 381,32 euros,
En tout état de cause,
- juger que les frais de relance ne sont pas dus par elles,
- déduire la somme de 17 251,56 euros déjà payée par la société Sygmatel Electronique,
- infirmer le jugement en ce qu'il les a condamnées aux dépens dont les frais d'expertise,
- débouter la société [Localité 8] III de sa demande de condamnation aux dépens en ce compris les frais d'expertise formée contre elles,
- condamner la société [Localité 8] III à leur restituer la somme de 8 093 euros au titre des frais d'expertise,
- débouter la société [Localité 8] III de sa demande de paiement de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société [Localité 8] III à leur verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société [Localité 8] III aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 5 juin 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- sur la date de fin de bail
La SCI Carquefou III entend invoquer :
- les dispositions des articles 1103 et 1760 du code civil,
- les articles L 145-4 alinéas 1 et 2 et L 145-9 du code de commerce,
- la jurisprudence de la Cour de cassation applicable à la date d'effet du congé, et notamment les arrêts Cass. 3ème Civ 8 mars 2018 n° 17-11.312, Cass. 3ème Civ. 26 septembre 2001 n° 00-13.053, Cass. 3ème Civ. n° 19-16.184,
- les jurisprudences des cours d'appel visant les cas insuffisants à caractériser une volonté non équivoque de renoncer à l'inefficacité du congé délivré par le preneur.
Elle soutient n'avoir jamais accepté la date de départ du locataire au 30 juin 2019 annoncée dans le congé litigieux et que la preuve d'un accord de sa part en ce sens, non équivoque n'est pas rapportée.
Elle déclare que le tribunal ne pouvait tirer des conséquences juridiques de la réponse de M. [M] [C], son dirigeant, âgé et non juriste, à la société Sygmatel Electronique, faite le 11 février 2019 selon laquelle il prenait acte de la réception du congé. Elle affirme que la 'prise d'acte' est totalement informelle et très équivoque. Pas davantage, selon elle, le tribunal ne pouvait tirer l'absence d'équivoque de ce que cette réponse n'est assortie d'aucune réserve, expresse ou tacite ou de l'initiative d'organiser un état des lieux de sortie au premier jour suivant l'effet du congé.
Elle souligne aussi que le premier juge a apprécié subjectivement le terme ' suivi' du dossier par son avocat, employé par le bailleur, comme signifiant une volonté d'exécution et non d'analyse.
Elle soutient n'avoir jamais renoncer à invoquer l'inefficacité du congé pour cette date, rappelant qu'une telle renonciation ne se présume jamais, et doit être dépourvue de tout équivoque.
Elle note l'absence d'écrit dépourvu d'équivoque de sa part acceptant une résiliation amiable du bail, et que l'inverse est d'ailleurs caractérisé depuis 2019, le bailleur répétant contester expressément le congé irrégulier pour le 30 juin 2019. (cf lettre de son conseil du 18 mars 2019, indiquant que le congé tardif ne peut être efficace que pour le 30 juin 2022). Elle rappelle son assignation en référé en provision, l'envoi régulier de factures de loyers de 2019 à 2022, son assignation en référé expertise, les correspondances officielles de son conseil, la délivrance d'un commandement visant la clause résolutoire, les refus successifs de se voir imposer 'de force' une restitution des clés et de participer à un prétendu 'état des lieux de sortie' en juin 2019. Sur ce dernier point, elle considère que le procès-verbal d'huissier du 10 septembre 2019 n'est pas un état des lieux de sortie, mais un constat unilatéral de l'étendue des dégradations imputables au preneur pour les besoins de la preuve dans le cadre de la procédure en référé expertise. Elle précise que si le bailleur est passé le 10 septembre 2019 chez l'huissier pour obtenir quelques heures les clés du local qui y avaient été abandonnées par le preneur, il les a restituées à l'huissier en fin de journée, de sorte qu'il ne peut être dit qu'il a accepté de reprendre les clés du local. Elle indique les avoir récupérées début juillet 2022.
Elle fait également observer que le fait de faire chiffrer contradictoirement les travaux de remise en état dans le cadre d'un référé-expertise, alors que les locaux étaient abandonnés par le preneur, ne lui était pas interdit, et qu'elle a expressément rappelé dans cette procédure que le bail était actuellement en cours jusqu'au 30 juin 2022.
Elle ajoute encore que si elle a engagé des démarches d'expulsion en raison d'une occupation des lieux par des gens du voyage, ce n'est que suppléer la carence du preneur, en accord avec ce dernier, et ce pour préserver les locaux d'une altération plus importante.
Elle signale que la relocation des locaux après le 1er juillet 2022 est hors sujet.
La SCI Carquefou III sollicite en conséquence l'infirmation du jugement qui retient que le congé délivré le 16 janvier 2019 est efficace pour l'échéance triennale du 30 juin 2019, de constater que ce congé n'a pu avoir d'effet que pour l'échéance du 30 juin 2022 et que le bail commercial était en cours jusqu'à cette dernière date.
En réponse, les sociétés Sygmatel et Sygmatel Electronique considèrent que le premier juge a justement admis que son congé délivré pour le 30 juin 2019 avait été accepté par le bailleur.
Elles rappellent que la notification d'un congé irrégulier peut être couverte par la manifestation de volonté du bailleur d'accepter ce congé.
S'appuyant sur diverses jurisprudences, elles estiment que plusieurs actes du bailleur caractérisent son acceptation d'une résiliation du bail au 30 juin 2019:
- courrier du bailleur du 11 février 2019 dans lequel le bailleur indique 'prendre acte' de la fin du bail au 30 juin 2019 et immédiatement après 'prendre toutes dispositions pour faire un état des lieux' dont il fixe lui-même la date et l'heure soit le 1er juillet 2019 à 15h00, faisant en outre référence à l'état des lieux d'entrée du 28 septembre 2016, et dans lequel il affirme transmettre les éléments du dossier et notamment le congé à son avocat pour qu'il assure le 'suivi du dossier' ; sur ce point, elles soutiennent que M. [C], homme d'affaires aguerri, gestionnaire d'un patrimoine immobilier et parfaitement au fait des pratiques en la matière ne peut sérieusement soutenir que ce 'suivi ' ne traduisait pas manifestement la restitution des lieux à bonne date.
- si le preneur a, compte tenu du changement d'avis du bailleur, pris l'initiative d'un procès-verbal de constat des lieux le 28 juin 2019, le bailleur a, quant à lui, fait réaliser le 10 septembre 2019 son propre état des lieux, sans y inviter la société Sygmatel Electronique, de sorte qu'elle disposait des clés et a donc pénétré dans les locaux, tout en affirmant qu'ils étaient toujours loués, et ce, alors qu'elle n'en a pas informé le preneur.
- la mission de l'expert donnée sur son initiative d'un référé-expertise, porte sans doute possible sur la remise en état des locaux en fin d'occupation, l'expert étant chargé de comparer l'état des locaux avec celui consigné dans l'état des lieux d'entrée, ce qui ne peut se faire qu'à l'expiration du bail, au regard des termes mêmes des conclusions de l'appelante qui rappelle que le bail stipule clairement qu'à l'expiration du bail, la société Sygmatel Electronique est tenue de rendre les locaux en parfait état de réparations, d'entretien et de fonctionnement ; si la société Sygmatel Electronique avait toujours été locataire, comme prétendu, la demande en ce sens formée par le bailleur était infondée, car il appartenait au preneur d'entretenir les locaux. Elles estiment que la bailleresse joue sur les mots en utilisant le terme d'abandon des locaux.
- la bailleresse a encore manifesté sa reprise de possession des lieux puisqu'elle a mis en oeuvre les procédures nécessaires pour obtenir la libération du site qui avait été envahi par les gens du voyage, ce qu'elle n'aurait pas fait si elle avait réellement considéré que la société Sygmatel Electronique avait toujours la jouissance du site.
- la société [Localité 8] III savait pertinemment que son locataire allait déménager vers le nouveau siège qu'elle s'était fait édifier, ce qui lui a été confirmé par signification du congé au mois de janvier 2019.
Aux termes des dispositions de l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
L'acte du 28 septembre 2016 portant bail commercial prévoit en sa clause relative à la durée du bail que :
'Le présent bail est consenti et accepté pour une durée de 9 années à compter du 1er juillet 2016 pour se terminer le 30 juin 2025.
Le preneur pourra seul faire cesser le bail à l'expiration de chaque période triennale, en prévenant le bailleur par congé régulier, au moins six mois à l'avance, et ce par acte extrajudiciaire avec demande d'avis de réception, conformément aux dispositions de l'article L 145-4 alinéa 2 du code de commerce'.
L'article L 145-4 du code de commerce énonce en effet :
La durée du contrat de location ne peut être inférieure à neuf ans.
Toutefois, à défaut de convention contraire, le preneur a la faculté de donner congé à l'expiration d'une période triennale, au moins six mois à l'avance, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par acte extrajudiciaire....
L'article L 145-9 du code de commerce dispose :
Par dérogation aux articles 1736 et 1737 du code civil, les baux de locaux soumis au présent chapitre ne cessent que par l'effet d'un congé donné six mois à l'avance ou d'une demande de renouvellement.
À défaut de congé ou de demande de renouvellement, le bail fait par écrit se prolonge tacitement au-delà du terme fixé par le contrat. Au cours de la tacite prolongation, le congé doit être donné au moins six mois à l'avance et pour le dernier jour du trimestre civil....
Un congé a été délivré en l'espèce par le preneur le 16 janvier 2019 pour le 30 juin 2019, fin de la première période triennale. Il est constant que la société Sygmatel Electronique n'a ainsi pas délivré de congé dans les formes prescrites par le bail.
Il convient d'examiner s'il y a eu néanmoins une rencontre des volontés pour une résiliation amiable du bail au 30 juin 2019.
Il appartient au preneur de démontrer l'existence d'acte positif du bailleur, dépourvu d'équivoque, susceptible de caractériser l'existence d'une résiliation amiable à cette date.
Il est constant que par courrier du 18 mars 2019 de son conseil, la SCI Carquefou III a entendu relever le caractère tardif du congé et soutenu que le bail se poursuivait en conséquence jusqu'à l'échéance triennale suivante soit le 30 juin 2022.
Une telle position apparaît soutenue d'ailleurs dans l'ensemble des courriers et démarches judiciaires entreprises par elle à compter de cette date, de sorte que les arguments des intimées tenant aux constats dressés à l'initiative du bailleur ou aux actions judiciaires engagées par lui après mars 2019 sont inopérantes à démontrer l'existence d'un tel accord, tant il est constant que l'ensemble de ses démarches manifestent ses réserves sur la date de fin de bail, en ce compris la prise de possession temporaire des clés en juillet 2019 (cf mails échangés entre les avocats des parties à ce sujet).
La preuve attendue du preneur ne peut donc être mise en évidence qu'avant cette date, de sorte que serait ainsi caractérisée une remise en cause à compter du 18 mars 2019 d'un accord préalablement donné.
Suite au congé délivré le 16 janvier 2019, la SCI Carquefou III, en la personne de M. [M] [C] son gérant, a adressé un courrier recommandé avec accusé de réception en date du 11 février 2019 à la société Sygmatel Electronique en ces termes :
'Suite aux modalités de l'acte remis le 16 janvier 2019 par huissier, Maître [X] [Z], de mettre fin au bail avec congé pour le 30 juin 2019, j'en prends acte.
Par ailleurs, je prends toutes dispositions pour faire un état des lieux (en référence au constat des lieux du 28 septembre 2016) par le cabinet Hulaud-Brossard pour le 1er juillet 2019 à 15h00.'
En bas de page est précisé :
copie de la présente à :
- Maître Loïs Dagault, pour suivi de ce dossier,
- M. [D] [C], directeur de Instant Electronique.
Le premier juge souligne pertinemment que cette réponse du bailleur est intervenue près d'un mois après la délivrance du congé, de sorte que ce dernier a eu le temps de l'analyser.
La SCI Carquefou, connaissant l'obligation pour le preneur de respecter un préavis d'au moins six mois avant l'échéance triennale du bail, ce qui est rappelé dans les stipulations contractuelles du 28 septembre 2016 signées par M. [M] [C], ne pouvait ignorer le caractère tardif de ce congé puisque donné le 16 janvier 2019 pour le 30 juin 2019.
M. [M] [C] n'a pas fait, dans ce courrier du 11 février 2019, que 'prendre acte' de la date du 30 juin 2019, comme 'fin de bail', mais a de surcroît indiqué qu'il s'occupait de faire dresser un état des lieux par huissier, en précisant d'ores et déjà la date et l'heure au preneur, lendemain du 30 juin 2019, et ajoutant qu'il sera dressé par référence à l'état des lieux d'entrée du 28 septembre 2016, ce qui ne peut s'entendre que comme un état des lieux de sortie.
Cette initiative traduit à elle seule que le bailleur a agi en personne avisée, anticipant les démarches essentielles pour préserver les droits des parties en fin de bail, ce qui contredit les allégations de l'appelante, selon lesquelles l'âge avancé de l'intéressé et le fait qu'il ne soit pas un juriste, ne permettent pas de conférer de quelconques effets à cet écrit.
L'absence d'état des lieux tel qu'annoncé par la SCI Carquefou III le 1er juillet 2019 ne se comprend, à défaut de toute autre explication plausible, que comme un changement de position du bailleur.
De la même façon, si postérieurement au courrier du 11 février 2019, soit un mois plus tard, par courrier du 18 mars 2019 de son conseil, la SCI Carquefou III a entendu se prévaloir du caractère tardif du congé et considérer que le bail se poursuivait jusqu'au 30 juin 2022, fin de la prochaine période triennale, cette position ne traduit qu'une remise en cause de la manifestation de volonté dépourvue d'équivoque, manifestée le 11 février 2019 d'accepter la résiliation du bail au 30 juin 2019, et de renoncer à se prévaloir de son caractère à l'évidence tardif.
C'est donc vainement que la SCI Carquefou III a prétendu ensuite que les lieux avaient été abandonnés sans son accord.
La cour confirme le jugement qui constate que le bail s'est trouvé résilié au 30 juin 2019 par l'acceptation non équivoque du bailleur du congé donné par la locataire, matérialisée par le courrier du 11 février 2019 et déboute la SCI Carquefou III de ses demandes contraires.
- sur les demandes en paiement de la SCI Carquefou III
Devant le premier juge les demandes de la SCI Carquefou III portaient sur des loyers (274 120,70 euros), des frais de remise en état (19 587,60 euros) et des dommages et intérêts (11 233 euros).
La SCI Carquefou III sollicite, devant la cour paiement :
- d'une somme de 321 681,76 euros au titre des loyers, taxe foncière et frais de relance actualisés pour la période du 1er juillet 2019 au 30 juin 2022, outre intérêts de retard,
- d'une somme de 11 233 euros de dommages et intérêts pour les frais et honoraires qu'elle a engagés pour faire face aux intrusions par des tiers dans les locaux entre juin 2019 et juin 2022,
ses prétentions de ces chefs ayant été rejetées en première instance.
Les intimées considèrent que toute demande en paiement au titre de loyers est infondée pour la période postérieure au 30 juin 2019, date de résiliation du bail. À titre subsidiaire, elles soutiennent que les frais de relance ne peuvent leur être imputés.
S'agissant de la demande indemnitaire, elles estiment qu'il appartient au seul bailleur d'assumer les frais allégués, dans la mesure où la société Sygmatel Electronique, preneur, n'avait plus la responsabilité de la garde des locaux et qu'elle ne peut supporter la charge des frais d'expulsion des gens du voyage installés dans les lieux après son départ en juillet 2019 ou en juillet 2021.
En ce qui concerne la condamnation prononcée contre elle en première instance, elle expose avoir réglé la somme de 21 768,37 euros comprenant celle de l8 268,37 euros au titre des réparations locatives.
La cour observe qu'aucune partie ne remet pas en cause la condamnation prononcée par le tribunal à l'encontre des intimées à hauteur de 18 268,37 euros au titre des réparations locatives.
La cour retenant comme en première instance une fin de bail au 30 juin 2019, toute demande en paiement de loyers, taxes et frais de relance postérieurs à cette date n'est en tout état de cause pas fondée. Le jugement est confirmé sur ce point et la SCI Carquefou III est déboutée du surplus de sa demande formée à ce titre en cause d'appel.
S'agissant de l'occupation des lieux par des gens du voyage, le président du tribunal judiciaire de Nantes a, sur requête de la SCI Carquefou III, ordonné l'expulsion de tous occupants sans droit ni titre sur le terrain sis [Adresse 2] à Carquefou parcelle [Cadastre 7] [Cadastre 6], à deux reprises :
- par ordonnance du 10 décembre 2019 au vu d'un procès-verbal d'huissier du 5 décembre 2019,
- par ordonnance du 30 juillet 2021 au vu d'un procès-verbal d'huissier du 29 juillet 2021.
Ces occupations illicites sont postérieures à la résiliation du bail, de sorte que la société [Localité 8] III doit assumer seule les conséquences de celles-ci. Elle a été déboutée à bon droit de sa demande indemnitaire, aucune faute des intimées n'étant démontrée. La cour confirme le rejet de cette demande.
- sur les autres demandes
La cour constate que la demande formée par les intimées 'en tout état de cause' de déduire la somme de 17 251,56 euros payée par la société Sygmatel Electronique n'est ni explicitée ni justifiée par de quelconques pièces par ces dernières. Elle sera rejetée.
Les intimées demandent, d'infirmer le jugement qui met à leur charge les dépens dont les frais d'expertise, sollicitant ainsi la condamnation de la société [Localité 8] III à leur restituer une somme de 8 093 euros au titre de ces frais d'expertise.
La cour confirme la condamnation prononcée en première instance au titre des dépens, en ce compris les frais d'expertise, ladite mesure d'instruction ayant permis de mettre en évidence les réparations locatives auxquelles le preneur restait tenu (condamnation à ce titre au demeurant non discutée). La condamnation prononcée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile est également confirmée.
La SCI Carquefou III succombant en son appel sera condamnée aux dépens d'appel et à payer aux sociétés Sygmatel Electronique et Sygmatel une somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles que les intimées ont exposés.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe :
Statuant dans les limites de l'appel,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne la SCI Carquefou III à payer aux sociétés Sygmatel Electronique et Sygmatel la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette le surplus des demandes formées par les parties ;
Condamne la SCI Carquefou III aux dépens d'appel.
Le Greffier La Présidente
ARRÊT N°-197
N° RG 22/03781 - N° Portalis DBVL-V-B7G-S3OF
(Réf 1ère instance : 19/06243)
S.C.I. [Localité 8] III
C/
S.A.S. SYGMATEL ELECTRONIQUE
S.A.S. SYGMATEL
Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 01 OCTOBRE 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Virginie PARENT, Présidente,
Assesseur : Madame Virginie HAUET, Conseiller,
Assesseur : Madame Marie-France DAUPS, Conseiller
GREFFIER :
Madame Catherine VILLENEUVE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 25 Juin 2025
devant Madame Virginie PARENT et Madame Virginie HAUET, magistrats rapporteurs, tenant seules l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui ont rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 01 Octobre 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
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APPELANTE :
S.C.I. [Localité 8] III
[Adresse 2]
[Localité 8]
Représentée par Me Antoine FEREZOU, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉES :
S.A.S. SYGMATEL ELECTRONIQUE immatriculée au RCS de [Localité 9] sous le numéro 350 970 679, prise en la personne de son représentant légal,
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentée par Me Florent LUCAS de la SELARL CVS, Plaidant, avocat au barreau de NANTES
Représentée par Me Benoît BOMMELAER de la SELARL CVS, Postulant, avocat au barreau de RENNES
S.A.S. SYGMATEL immatriculée au RCS de [Localité 9] sous le numéro 451 345 433, prise en la personne de son représentant légal,
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentée par Me Florent LUCAS de la SELARL CVS, Plaidant, avocat au barreau de NANTES
Représentée par Me Benoît BOMMELAER de la SELARL CVS, Postulant, avocat au barreau de RENNES
La société [Localité 8] III a donné à bail le 13 janvier 1986 à la société Instant Electronique des locaux commerciaux sis [Adresse 3] à [Localité 8].
Suivant acte sous seing privé du 28 septembre 2016, la société [Localité 8] III a donné à bail commercial à la société Sygmatel Electronique, avec la caution de la société Sygmatel, l'ensemble immobilier situé [Adresse 3] cadastré parcelle [Cadastre 6] feuille [Cadastre 7] [Cadastre 1] à [Localité 8] pour une durée de 9 ans à compter du 1er juillet 2016 pour s'achever le 30 juin 2025, et ce, à destination d'une activité de conception, fabrication, installation, maintenance et négoce de tout matériel électrique, électronique, informatique, de communication, la vente en gros ou au détail de tout appareil électrique en général, moyennant un loyer annuel de 72 000 euros hors taxes et hors charges payable trimestriellement d'avance, les 1er janvier, 1er avril, 1er juillet, et 1er octobre, par virement de 18 000 euros.
Il est rappelé dans cet acte que la société Instant Electronique a cédé son fonds de commerce à la société Horelec Système devenue Sygmatel Electronique le 28 juin 2016, que le bailleur a accepté cette cession ainsi qu'une réduction de loyer, de sorte que l'acte du 28 septembre 2016 de nouveau bail est également un acte de résiliation à effet au 30 juin 2016 du bail commercial consenti initialement à la société Instant Electronique.
Selon un acte d'huissier du 16 janvier 2019, la société Sygmatel Electronique a donné son congé à la SCI Carquefou III pour le 30 juin 2019.
Soutenant que le congé ne peut prendre effet qu'au 30 juin 2022, que les locaux ont été abandonnés et que le loyer reste exigible, la société Carquefou III a fait assigner la société Sygmatel Electronique et la société Sygmatel devant le tribunal de grande instance de Nantes, par acte d'huissier en date du 18 décembre 2019.
Par jugement en date du 9 juin 2022, le tribunal judiciaire de Nantes a :
- constaté l'acceptation du congé donné pour le 30 juin 2019 à minuit et la résiliation du bail à cette date,
- condamné solidairement la société Sygmatel Electronique et la société Sygmatel à payer à la société [Localité 8] III la somme de 18 268,37 euros au titre des réparations locatives avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision et celle de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire,
- rejeté toutes autres prétentions plus amples ou contraires,
- condamné la société Sygmatel Electronique et la société Sygmatel aux dépens, y compris les frais d'expertise.
Le 17 juin 2022, la société [Localité 8] III a interjeté appel de cette décision et aux termes de ses dernières écritures notifiées le 28 novembre 2024, elle demande à la cour de :
- la déclarer recevable et fondée en son appel,
- y faire droit.
- débouter les intimés de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
Statuant à nouveau sur les éléments du jugement déférés à la cour d'appel,
- infirmer et réformer le jugement du 9 juin 2022 en ce qu'il a retenu que le congé délivré le 16 janvier 2019 serait efficace pour l'échéance triennale du 30 juin 2019,
- déclarer que le congé du 16 janvier 2019 n'a pu avoir d'effet que pour l'échéance du 30 juin 2022, et non pour le 30 juin 2019,
- déclarer que le bail commercial était en cours jusqu'au 30 juin 2022 et qu'il a été résilié à cette date par l'effet du congé,
- déclarer que la société Sygmatel Electronique n'a pas payé les loyers et accessoires contractuels et a abandonné les locaux dès juin 2019, créant ainsi par sa faute les conditions des intrusions répétées dans les locaux de juin 2019 à juin 2022, situations qui ont dû être gérées, matériellement et judiciairement, par la société [Localité 8] III à ses frais avancés,
- en conséquence, condamner solidairement les sociétés Sygmatel ès-qualités de caution et la société Sygmatel Electronique à lui payer les sommes suivantes à titre de dommages et intérêts sur le fondement contractuel :
* 321 681,76 euros au titre des loyers, taxe foncière et frais de relance dus pour la période du 1er juillet 2019 au 30 juin 2022 et les intérêts de retard au taux contractuel de 1% par mois depuis le 1er juillet 2019,
* la somme de 11 233 euros, sauf à parfaire, à titre de dommages et intérêts pour les frais et honoraires engagés par elle pour faire face aux intrusions de tiers ans ses locaux depuis l'abandon de ceux-ci par le preneur, entre juin 2019 et juin 2022,
- la somme de 17 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- les entiers dépens en ce compris les frais d'expertise dont elle a été contrainte de faire l'avance, dont le détail est annexé au rapport, pour 8 093 euros en application des articles 695 et 696 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées le 19 septembre 2022, les sociétés Sygmatel et Sygmatel Electronique demandent à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a constaté l'acceptation du congé donné pour le 30 juin 2019 à minuit et la résiliation du bail à cette date,
En conséquence,
- débouter la société [Localité 8] III de sa demande de paiement de 321 681,76 euros au titre des loyers pour la période du 1er juillet 2019 au 30 juin 2022 et des intérêts de retard,
- débouter la société [Localité 8] III de sa demande de paiement de 11 233 euros au titre de dommages et intérêts,
Subsidiairement,
- réduire le montant de la condamnation à une somme correspondant à quatre mois de loyers hors taxes soit 25 381,32 euros,
En tout état de cause,
- juger que les frais de relance ne sont pas dus par elles,
- déduire la somme de 17 251,56 euros déjà payée par la société Sygmatel Electronique,
- infirmer le jugement en ce qu'il les a condamnées aux dépens dont les frais d'expertise,
- débouter la société [Localité 8] III de sa demande de condamnation aux dépens en ce compris les frais d'expertise formée contre elles,
- condamner la société [Localité 8] III à leur restituer la somme de 8 093 euros au titre des frais d'expertise,
- débouter la société [Localité 8] III de sa demande de paiement de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société [Localité 8] III à leur verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société [Localité 8] III aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 5 juin 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- sur la date de fin de bail
La SCI Carquefou III entend invoquer :
- les dispositions des articles 1103 et 1760 du code civil,
- les articles L 145-4 alinéas 1 et 2 et L 145-9 du code de commerce,
- la jurisprudence de la Cour de cassation applicable à la date d'effet du congé, et notamment les arrêts Cass. 3ème Civ 8 mars 2018 n° 17-11.312, Cass. 3ème Civ. 26 septembre 2001 n° 00-13.053, Cass. 3ème Civ. n° 19-16.184,
- les jurisprudences des cours d'appel visant les cas insuffisants à caractériser une volonté non équivoque de renoncer à l'inefficacité du congé délivré par le preneur.
Elle soutient n'avoir jamais accepté la date de départ du locataire au 30 juin 2019 annoncée dans le congé litigieux et que la preuve d'un accord de sa part en ce sens, non équivoque n'est pas rapportée.
Elle déclare que le tribunal ne pouvait tirer des conséquences juridiques de la réponse de M. [M] [C], son dirigeant, âgé et non juriste, à la société Sygmatel Electronique, faite le 11 février 2019 selon laquelle il prenait acte de la réception du congé. Elle affirme que la 'prise d'acte' est totalement informelle et très équivoque. Pas davantage, selon elle, le tribunal ne pouvait tirer l'absence d'équivoque de ce que cette réponse n'est assortie d'aucune réserve, expresse ou tacite ou de l'initiative d'organiser un état des lieux de sortie au premier jour suivant l'effet du congé.
Elle souligne aussi que le premier juge a apprécié subjectivement le terme ' suivi' du dossier par son avocat, employé par le bailleur, comme signifiant une volonté d'exécution et non d'analyse.
Elle soutient n'avoir jamais renoncer à invoquer l'inefficacité du congé pour cette date, rappelant qu'une telle renonciation ne se présume jamais, et doit être dépourvue de tout équivoque.
Elle note l'absence d'écrit dépourvu d'équivoque de sa part acceptant une résiliation amiable du bail, et que l'inverse est d'ailleurs caractérisé depuis 2019, le bailleur répétant contester expressément le congé irrégulier pour le 30 juin 2019. (cf lettre de son conseil du 18 mars 2019, indiquant que le congé tardif ne peut être efficace que pour le 30 juin 2022). Elle rappelle son assignation en référé en provision, l'envoi régulier de factures de loyers de 2019 à 2022, son assignation en référé expertise, les correspondances officielles de son conseil, la délivrance d'un commandement visant la clause résolutoire, les refus successifs de se voir imposer 'de force' une restitution des clés et de participer à un prétendu 'état des lieux de sortie' en juin 2019. Sur ce dernier point, elle considère que le procès-verbal d'huissier du 10 septembre 2019 n'est pas un état des lieux de sortie, mais un constat unilatéral de l'étendue des dégradations imputables au preneur pour les besoins de la preuve dans le cadre de la procédure en référé expertise. Elle précise que si le bailleur est passé le 10 septembre 2019 chez l'huissier pour obtenir quelques heures les clés du local qui y avaient été abandonnées par le preneur, il les a restituées à l'huissier en fin de journée, de sorte qu'il ne peut être dit qu'il a accepté de reprendre les clés du local. Elle indique les avoir récupérées début juillet 2022.
Elle fait également observer que le fait de faire chiffrer contradictoirement les travaux de remise en état dans le cadre d'un référé-expertise, alors que les locaux étaient abandonnés par le preneur, ne lui était pas interdit, et qu'elle a expressément rappelé dans cette procédure que le bail était actuellement en cours jusqu'au 30 juin 2022.
Elle ajoute encore que si elle a engagé des démarches d'expulsion en raison d'une occupation des lieux par des gens du voyage, ce n'est que suppléer la carence du preneur, en accord avec ce dernier, et ce pour préserver les locaux d'une altération plus importante.
Elle signale que la relocation des locaux après le 1er juillet 2022 est hors sujet.
La SCI Carquefou III sollicite en conséquence l'infirmation du jugement qui retient que le congé délivré le 16 janvier 2019 est efficace pour l'échéance triennale du 30 juin 2019, de constater que ce congé n'a pu avoir d'effet que pour l'échéance du 30 juin 2022 et que le bail commercial était en cours jusqu'à cette dernière date.
En réponse, les sociétés Sygmatel et Sygmatel Electronique considèrent que le premier juge a justement admis que son congé délivré pour le 30 juin 2019 avait été accepté par le bailleur.
Elles rappellent que la notification d'un congé irrégulier peut être couverte par la manifestation de volonté du bailleur d'accepter ce congé.
S'appuyant sur diverses jurisprudences, elles estiment que plusieurs actes du bailleur caractérisent son acceptation d'une résiliation du bail au 30 juin 2019:
- courrier du bailleur du 11 février 2019 dans lequel le bailleur indique 'prendre acte' de la fin du bail au 30 juin 2019 et immédiatement après 'prendre toutes dispositions pour faire un état des lieux' dont il fixe lui-même la date et l'heure soit le 1er juillet 2019 à 15h00, faisant en outre référence à l'état des lieux d'entrée du 28 septembre 2016, et dans lequel il affirme transmettre les éléments du dossier et notamment le congé à son avocat pour qu'il assure le 'suivi du dossier' ; sur ce point, elles soutiennent que M. [C], homme d'affaires aguerri, gestionnaire d'un patrimoine immobilier et parfaitement au fait des pratiques en la matière ne peut sérieusement soutenir que ce 'suivi ' ne traduisait pas manifestement la restitution des lieux à bonne date.
- si le preneur a, compte tenu du changement d'avis du bailleur, pris l'initiative d'un procès-verbal de constat des lieux le 28 juin 2019, le bailleur a, quant à lui, fait réaliser le 10 septembre 2019 son propre état des lieux, sans y inviter la société Sygmatel Electronique, de sorte qu'elle disposait des clés et a donc pénétré dans les locaux, tout en affirmant qu'ils étaient toujours loués, et ce, alors qu'elle n'en a pas informé le preneur.
- la mission de l'expert donnée sur son initiative d'un référé-expertise, porte sans doute possible sur la remise en état des locaux en fin d'occupation, l'expert étant chargé de comparer l'état des locaux avec celui consigné dans l'état des lieux d'entrée, ce qui ne peut se faire qu'à l'expiration du bail, au regard des termes mêmes des conclusions de l'appelante qui rappelle que le bail stipule clairement qu'à l'expiration du bail, la société Sygmatel Electronique est tenue de rendre les locaux en parfait état de réparations, d'entretien et de fonctionnement ; si la société Sygmatel Electronique avait toujours été locataire, comme prétendu, la demande en ce sens formée par le bailleur était infondée, car il appartenait au preneur d'entretenir les locaux. Elles estiment que la bailleresse joue sur les mots en utilisant le terme d'abandon des locaux.
- la bailleresse a encore manifesté sa reprise de possession des lieux puisqu'elle a mis en oeuvre les procédures nécessaires pour obtenir la libération du site qui avait été envahi par les gens du voyage, ce qu'elle n'aurait pas fait si elle avait réellement considéré que la société Sygmatel Electronique avait toujours la jouissance du site.
- la société [Localité 8] III savait pertinemment que son locataire allait déménager vers le nouveau siège qu'elle s'était fait édifier, ce qui lui a été confirmé par signification du congé au mois de janvier 2019.
Aux termes des dispositions de l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
L'acte du 28 septembre 2016 portant bail commercial prévoit en sa clause relative à la durée du bail que :
'Le présent bail est consenti et accepté pour une durée de 9 années à compter du 1er juillet 2016 pour se terminer le 30 juin 2025.
Le preneur pourra seul faire cesser le bail à l'expiration de chaque période triennale, en prévenant le bailleur par congé régulier, au moins six mois à l'avance, et ce par acte extrajudiciaire avec demande d'avis de réception, conformément aux dispositions de l'article L 145-4 alinéa 2 du code de commerce'.
L'article L 145-4 du code de commerce énonce en effet :
La durée du contrat de location ne peut être inférieure à neuf ans.
Toutefois, à défaut de convention contraire, le preneur a la faculté de donner congé à l'expiration d'une période triennale, au moins six mois à l'avance, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par acte extrajudiciaire....
L'article L 145-9 du code de commerce dispose :
Par dérogation aux articles 1736 et 1737 du code civil, les baux de locaux soumis au présent chapitre ne cessent que par l'effet d'un congé donné six mois à l'avance ou d'une demande de renouvellement.
À défaut de congé ou de demande de renouvellement, le bail fait par écrit se prolonge tacitement au-delà du terme fixé par le contrat. Au cours de la tacite prolongation, le congé doit être donné au moins six mois à l'avance et pour le dernier jour du trimestre civil....
Un congé a été délivré en l'espèce par le preneur le 16 janvier 2019 pour le 30 juin 2019, fin de la première période triennale. Il est constant que la société Sygmatel Electronique n'a ainsi pas délivré de congé dans les formes prescrites par le bail.
Il convient d'examiner s'il y a eu néanmoins une rencontre des volontés pour une résiliation amiable du bail au 30 juin 2019.
Il appartient au preneur de démontrer l'existence d'acte positif du bailleur, dépourvu d'équivoque, susceptible de caractériser l'existence d'une résiliation amiable à cette date.
Il est constant que par courrier du 18 mars 2019 de son conseil, la SCI Carquefou III a entendu relever le caractère tardif du congé et soutenu que le bail se poursuivait en conséquence jusqu'à l'échéance triennale suivante soit le 30 juin 2022.
Une telle position apparaît soutenue d'ailleurs dans l'ensemble des courriers et démarches judiciaires entreprises par elle à compter de cette date, de sorte que les arguments des intimées tenant aux constats dressés à l'initiative du bailleur ou aux actions judiciaires engagées par lui après mars 2019 sont inopérantes à démontrer l'existence d'un tel accord, tant il est constant que l'ensemble de ses démarches manifestent ses réserves sur la date de fin de bail, en ce compris la prise de possession temporaire des clés en juillet 2019 (cf mails échangés entre les avocats des parties à ce sujet).
La preuve attendue du preneur ne peut donc être mise en évidence qu'avant cette date, de sorte que serait ainsi caractérisée une remise en cause à compter du 18 mars 2019 d'un accord préalablement donné.
Suite au congé délivré le 16 janvier 2019, la SCI Carquefou III, en la personne de M. [M] [C] son gérant, a adressé un courrier recommandé avec accusé de réception en date du 11 février 2019 à la société Sygmatel Electronique en ces termes :
'Suite aux modalités de l'acte remis le 16 janvier 2019 par huissier, Maître [X] [Z], de mettre fin au bail avec congé pour le 30 juin 2019, j'en prends acte.
Par ailleurs, je prends toutes dispositions pour faire un état des lieux (en référence au constat des lieux du 28 septembre 2016) par le cabinet Hulaud-Brossard pour le 1er juillet 2019 à 15h00.'
En bas de page est précisé :
copie de la présente à :
- Maître Loïs Dagault, pour suivi de ce dossier,
- M. [D] [C], directeur de Instant Electronique.
Le premier juge souligne pertinemment que cette réponse du bailleur est intervenue près d'un mois après la délivrance du congé, de sorte que ce dernier a eu le temps de l'analyser.
La SCI Carquefou, connaissant l'obligation pour le preneur de respecter un préavis d'au moins six mois avant l'échéance triennale du bail, ce qui est rappelé dans les stipulations contractuelles du 28 septembre 2016 signées par M. [M] [C], ne pouvait ignorer le caractère tardif de ce congé puisque donné le 16 janvier 2019 pour le 30 juin 2019.
M. [M] [C] n'a pas fait, dans ce courrier du 11 février 2019, que 'prendre acte' de la date du 30 juin 2019, comme 'fin de bail', mais a de surcroît indiqué qu'il s'occupait de faire dresser un état des lieux par huissier, en précisant d'ores et déjà la date et l'heure au preneur, lendemain du 30 juin 2019, et ajoutant qu'il sera dressé par référence à l'état des lieux d'entrée du 28 septembre 2016, ce qui ne peut s'entendre que comme un état des lieux de sortie.
Cette initiative traduit à elle seule que le bailleur a agi en personne avisée, anticipant les démarches essentielles pour préserver les droits des parties en fin de bail, ce qui contredit les allégations de l'appelante, selon lesquelles l'âge avancé de l'intéressé et le fait qu'il ne soit pas un juriste, ne permettent pas de conférer de quelconques effets à cet écrit.
L'absence d'état des lieux tel qu'annoncé par la SCI Carquefou III le 1er juillet 2019 ne se comprend, à défaut de toute autre explication plausible, que comme un changement de position du bailleur.
De la même façon, si postérieurement au courrier du 11 février 2019, soit un mois plus tard, par courrier du 18 mars 2019 de son conseil, la SCI Carquefou III a entendu se prévaloir du caractère tardif du congé et considérer que le bail se poursuivait jusqu'au 30 juin 2022, fin de la prochaine période triennale, cette position ne traduit qu'une remise en cause de la manifestation de volonté dépourvue d'équivoque, manifestée le 11 février 2019 d'accepter la résiliation du bail au 30 juin 2019, et de renoncer à se prévaloir de son caractère à l'évidence tardif.
C'est donc vainement que la SCI Carquefou III a prétendu ensuite que les lieux avaient été abandonnés sans son accord.
La cour confirme le jugement qui constate que le bail s'est trouvé résilié au 30 juin 2019 par l'acceptation non équivoque du bailleur du congé donné par la locataire, matérialisée par le courrier du 11 février 2019 et déboute la SCI Carquefou III de ses demandes contraires.
- sur les demandes en paiement de la SCI Carquefou III
Devant le premier juge les demandes de la SCI Carquefou III portaient sur des loyers (274 120,70 euros), des frais de remise en état (19 587,60 euros) et des dommages et intérêts (11 233 euros).
La SCI Carquefou III sollicite, devant la cour paiement :
- d'une somme de 321 681,76 euros au titre des loyers, taxe foncière et frais de relance actualisés pour la période du 1er juillet 2019 au 30 juin 2022, outre intérêts de retard,
- d'une somme de 11 233 euros de dommages et intérêts pour les frais et honoraires qu'elle a engagés pour faire face aux intrusions par des tiers dans les locaux entre juin 2019 et juin 2022,
ses prétentions de ces chefs ayant été rejetées en première instance.
Les intimées considèrent que toute demande en paiement au titre de loyers est infondée pour la période postérieure au 30 juin 2019, date de résiliation du bail. À titre subsidiaire, elles soutiennent que les frais de relance ne peuvent leur être imputés.
S'agissant de la demande indemnitaire, elles estiment qu'il appartient au seul bailleur d'assumer les frais allégués, dans la mesure où la société Sygmatel Electronique, preneur, n'avait plus la responsabilité de la garde des locaux et qu'elle ne peut supporter la charge des frais d'expulsion des gens du voyage installés dans les lieux après son départ en juillet 2019 ou en juillet 2021.
En ce qui concerne la condamnation prononcée contre elle en première instance, elle expose avoir réglé la somme de 21 768,37 euros comprenant celle de l8 268,37 euros au titre des réparations locatives.
La cour observe qu'aucune partie ne remet pas en cause la condamnation prononcée par le tribunal à l'encontre des intimées à hauteur de 18 268,37 euros au titre des réparations locatives.
La cour retenant comme en première instance une fin de bail au 30 juin 2019, toute demande en paiement de loyers, taxes et frais de relance postérieurs à cette date n'est en tout état de cause pas fondée. Le jugement est confirmé sur ce point et la SCI Carquefou III est déboutée du surplus de sa demande formée à ce titre en cause d'appel.
S'agissant de l'occupation des lieux par des gens du voyage, le président du tribunal judiciaire de Nantes a, sur requête de la SCI Carquefou III, ordonné l'expulsion de tous occupants sans droit ni titre sur le terrain sis [Adresse 2] à Carquefou parcelle [Cadastre 7] [Cadastre 6], à deux reprises :
- par ordonnance du 10 décembre 2019 au vu d'un procès-verbal d'huissier du 5 décembre 2019,
- par ordonnance du 30 juillet 2021 au vu d'un procès-verbal d'huissier du 29 juillet 2021.
Ces occupations illicites sont postérieures à la résiliation du bail, de sorte que la société [Localité 8] III doit assumer seule les conséquences de celles-ci. Elle a été déboutée à bon droit de sa demande indemnitaire, aucune faute des intimées n'étant démontrée. La cour confirme le rejet de cette demande.
- sur les autres demandes
La cour constate que la demande formée par les intimées 'en tout état de cause' de déduire la somme de 17 251,56 euros payée par la société Sygmatel Electronique n'est ni explicitée ni justifiée par de quelconques pièces par ces dernières. Elle sera rejetée.
Les intimées demandent, d'infirmer le jugement qui met à leur charge les dépens dont les frais d'expertise, sollicitant ainsi la condamnation de la société [Localité 8] III à leur restituer une somme de 8 093 euros au titre de ces frais d'expertise.
La cour confirme la condamnation prononcée en première instance au titre des dépens, en ce compris les frais d'expertise, ladite mesure d'instruction ayant permis de mettre en évidence les réparations locatives auxquelles le preneur restait tenu (condamnation à ce titre au demeurant non discutée). La condamnation prononcée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile est également confirmée.
La SCI Carquefou III succombant en son appel sera condamnée aux dépens d'appel et à payer aux sociétés Sygmatel Electronique et Sygmatel une somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles que les intimées ont exposés.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe :
Statuant dans les limites de l'appel,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne la SCI Carquefou III à payer aux sociétés Sygmatel Electronique et Sygmatel la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette le surplus des demandes formées par les parties ;
Condamne la SCI Carquefou III aux dépens d'appel.
Le Greffier La Présidente