CA Angers, ch. a - civ., 30 septembre 2025, n° 23/00879
ANGERS
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
D'[Localité 7]
CHAMBRE A - CIVILE
IG/ILAF
ARRET N°:
AFFAIRE N° RG 23/00879 - N° Portalis DBVP-V-B7H-FFFE
ordonnance du 11 mai 2023
Juge de la mise en état du MANS
n° d'inscription au RG de première instance 21/02772
ARRET DU 30 SEPTEMBRE 2025
APPELANT :
Monsieur [S] [M]
né le 9 juillet 1955 à [Localité 9]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représenté par Me Emmanuel BRUNEAU, avocat postulant au barreau du MANS et par Me Clémentine PARROT, susbtituant Me'Philippe JULIEN, avocats plaidant au barreau de PARIS,
INTIMES :
Monsieur [W] [C], agissant sous la dénomination FINANCIERE 3L
[Adresse 3]
[Localité 4]
S.A. MMA IARD, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentés par Me Audrey PAPIN substituant Me Etienne DE MASCUREAU de la SCP ACR AVOCATS, avocat au barreau d'ANGERS
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue publiquement à l'audience du 19 mai 2025 à 14'H'00, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme GANDAIS, conseillère, qui a été préalablement entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame MULLER, conseillère faisant fonction de présidente
Madame GANDAIS, conseillère
Madame REUFLET, conseillère
Greffier : M. DA CUNHA
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 30 septembre 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Isabelle GANDAIS, conseillère pour la présidente empêchée et par Tony DA CUNHA, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
En 2012, la société Marne et Finance, actionnaire de référence du groupe Bio C' Bon, a conçu la gamme de produits 'BCBB'. Ces produits permettaient à des investisseurs privés de souscrire au capital d'une société support détenue majoritairement, directement ou indirectement, par Bio C' Bon SAS et ayant pour objet de financer le développement de la chaîne de distribution alimentaire Bio C' Bon. Les sociétés supports prenaient ensuite des participations dans les sociétés opérationnelles de la chaîne Bio C'Bon. Afin d'assurer la rentabilité et la liquidité de l'investissement, le pacte d'actionnaires signé lors de la souscription prévoyait une promesse de rachat des parts par Bio C' Bon SAS selon deux types de rachat :
- à l'issue de la 1ère année suivant la souscription au capital d'une des sociétés supports, un rachat annuel d'actions pour un prix égal à 7% du montant de la souscription (ou 6% dans les promesses les plus récentes) du montant de la souscription, avec possibilité pour l'actionnaire investisseur de signer un avenant au pacte d'actionnaires s'il souhaitait renoncer au rachat annuel
- au terme de la 5ème année de détention, un rachat du solde des actions détenues par l'actionnaire investisseur égal au prix de la souscription augmenté d'un éventuel bonus de sortie défini en fonction du nombre de nouveaux magasins Bio C' Bon en activité au terme des 5 ans.
Le 5 septembre 2014, M. [S] [M] et Mme [Z] [M] (ci-après les investisseurs) ont, par l'intermédiaire de M. [W] [C] exerçant sous l'enseigne Financière 3L, conseiller en investissements financiers (ci-après le conseiller) et assuré auprès de la SA MMA Iard (ci-après l'assureur), chacun'acquis 1 000 parts sociales du capital de la SAS Essor Biologique (produit BCBB) pour un montant de 20.000 euros. Pour cette acquisition, ils ont signé chacun un bulletin de souscription, un pacte d'actionnaires et un avenant au pacte d'actionnaires indiquant qu'ils renonçaient au rachat annuel de leurs actions.
Le 19 octobre 2016, les investisseurs ont par l'intermédiaire du même conseiller, chacun acquis 500 parts sociales du capital de la SAS Bio Stratégie (produit BCBB rendement 2) pour un montant de 10 000 euros. Pour cette acquisition, ils ont également signé chacun un bulletin de souscription, un pacte d'actionnaires et un avenant au pacte d'actionnaires indiquant qu'ils renonçaient au rachat annuel de leurs actions.
Le 15 décembre 2017, les investisseurs ont par l'intermédiaire du conseiller, acquis chacun 750 parts sociales du capital de la SAS Bio Vitalité (produit BCBB rendement 2) pour un montant de 15 000 euros. Pour cette acquisition, ils ont également signé chacun un bulletin de souscription, un pacte d'actionnaires et un avenant au pacte d'actionnaires indiquant qu'ils renonçaient au rachat annuel de leurs actions.
Par jugements du tribunal de commerce de Paris en date du 2 septembre 2020, la SAS Bio C' Bon, holding de tête, ainsi que les principales sociétés d'exploitation du groupe Bio C' Bon ont été placées en redressement judiciaire.
Les investisseurs ont déclaré leurs créances de rachat auprès du mandataire judiciaire le 16 octobre 2020.
Par jugements en date du 2 novembre 2020, le tribunal de commerce a arrêté le plan de cession des sociétés du groupe Bio C' Bon en faveur du groupe de [Adresse 8] pour un montant de 60 millions d'euros et a prononcé la liquidation judiciaire de Bio C' Bon SAS.
Par actes d'huissier en date du 29 octobre 2021, les investisseurs ont fait assigner le conseiller et son assureur devant le tribunal judiciaire du Mans afin d'obtenir la réparation des préjudices subis, considérant avoir été trompés sur la nature, les caractéristiques et les risques des produits BCBB.
Par conclusions d'incident, les défendeurs ont sollicité que soit admise leur fin de non-recevoir tirée de la prescription quinquennale, que l'action des demandeurs soit déclarée irrecevable pour ne pas avoir été engagée dans le délai légal des cinq ans des souscriptions du 5 septembre 2014 et du 19 octobre 2016 et qu'ils soient condamnés aux dépens et à leur payer une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les demandeurs ont conclu à la recevabilité de leur action non prescrite, au rejet des demandes adverses et à la condamnation des défendeurs in solidum à leur verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance en date du 11 mai 2023, le juge de la mise en état a :
- déclaré irrecevable la présente action comme étant atteinte par la prescription au titre des investissements des 5 septembre 2014 et 19 octobre 2016 ;
- condamné M. [S] [M] et Mme [Z] [M] à payer à M.'[W] [C] (Financière 3L) et la SA MMA Iard, chacune, une indemnité de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [S] [M] et Mme [Z] [M] aux dépens.
Pour statuer ainsi, il a considéré que la prescription quinquennale a commencé à courir à la signature du bulletin de souscription du 5 septembre 2014 et du 19'octobre 2016, jour du dommage invoqué consistant non pas en la perte du capital qui constitue un risque inhérent aux opérations d'investissements financiers mais en la perte d'une chance de contracter ou ne pas contracter dans des conditions plus avantageuses (sic).
Suivant déclaration en date du 25 mai 2023 (enregistrée sous le numéro RG'23/00879), M. [M] a relevé appel de cette ordonnance en son entier dispositif, intimant le conseiller et son assureur.
Suivant déclaration en date du 6 juin 2023 (enregistrée sous le numéro RG'23/00935), Mme [M] a relevé appel de cette même ordonnance en son entier dispositif, intimant le conseiller et son assureur.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 avril 2025 et l'audience de plaidoirie fixée au 19 mai de la même année conformément aux prévisions d'un avis du 28 octobre 2024.
EXPOSE DES PRETENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions d'appelant n°2 en date du 11 avril 2025, M.'[M] demande à la cour au visa de l'article 2224 du code civil de :
- infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire du Mans du 11 mai 2023 en ce qu'elle l'a déclaré irrecevable en son action comme étant atteinte par la prescription et l'a condamné à payer au conseiller et à son assureur, chacun, une indemnité de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
- le déclarer recevable en son action ;
- débouter le conseiller et son assureur de leur demande tendant à le voir déclarer irrecevable en son action au titre des investissements des 5 septembre 2014 et 19 octobre 2016;
- le déclarer recevable en son action au titre des investissements des 5'septembre 2014 et 19 octobre 2016 ;
- débouter le conseiller et son assureur de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner le conseiller et son assureur à lui payer la somme de 5 000'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Dans ses dernières conclusions d'appelante n°2 en date du 11 avril 2025, Mme'[M] demande à la cour au visa de l'article 2224 du code civil de :
- infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire du Mans du 11 mai 2023 en ce qu'elle l'a déclarée irrecevable en son action comme étant atteinte par la prescription et l'a condamnée à payer au conseiller et à son assureur, chacun, une indemnité de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
- la déclarer recevable en son action ;
- débouter le conseiller et son assureur de leur demande tendant à la voir déclarer irrecevable en son action au titre des investissements des 5 septembre 2014 et 19 octobre 2016 ;
- la déclarer recevable en son action au titre des investissements des 5'septembre 2014 et 19 octobre 2016 ;
- débouter le conseiller et son assureur de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner le conseiller et son assureur à lui payer la somme de 5 000'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Dans leurs dernières conclusions en date du 25 août 2023 prises dans la procédure enregistrée sous le numéro RG 23/00879, le conseiller et son assureur demandent à la cour, au visa des articles 122 du code de procédure civile, 789 du code de procédure civile et 2224 et suivants du code civil, de :
- juger l'investisseur non fondé en son appel, en tout cas non recevable et non fondé en ses demandes, fins et conclusions ;
- l'en débouter ;
- confirmer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire du Mans le 11 mai 2023 en ce qu'elle a déclaré l'investisseur irrecevable en son action dirigée à leur encontre à raison de la prescription et l'a condamné à leur payer, chacun, une indemnité de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens ;
- y ajoutant, condamner l'investisseur à leur payer à chacun la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans leurs dernières conclusions en date du 25 août 2023 prises dans la procédure enregistrée sous le numéro RG 23/00935, le conseiller et son assureur ont formé strictement les mêmes demandes sauf à les diriger contre l'investisseuse.
Pour un plus ample exposé, il est renvoyé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, aux dernières conclusions susvisées des parties.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la jonction
L'article 367 alinéa 1 du code de procédure civile dispose que le juge peut, à la demande des parties ou d'office, ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant lui s'il existe entre les litiges un lien tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble.
En application de ce texte, il convient, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de joindre les instances suivies sous les numéros RG 23/00879 et 23/00935 sur les appels interjetés, respectivement par M. [M] et par Mme'[M] à l'encontre de la même ordonnance, de manière à ce qu'elles soient jugées ensemble.
Sur la prescription de l'action des investisseurs
Moyens des parties
Les investisseurs soutiennent que :
- le créancier d'une obligation d'information ne peut par principe avoir connaissance du manquement dont il a été victime et de la perte de chance qui en résulte au moment de son engagement contractuel, mais seulement une fois que le risque justifiant l'existence de cette obligation se réalise de façon définitive ; en effet, un investisseur ne peut avoir conscience qu'il a été mal informé ou conseillé car cela suppose une analyse comparative entre l'information reçue et celle qu'il aurait dû recevoir, qui n'est possible que s'il s'est renseigné auparavant, ce qui est contraire à l'esprit de l'obligation d'information et de conseil pesant sur le seul CIF et vide cette obligation de sa substance en ce que les conséquences de sa violation peuvent prendre plus de cinq ans pour se manifester ;
- retenir la date de souscription comme point de départ du délai de prescription méconnaîtrait un principe du droit qui a pourtant bénéficié d'une pérennité attestant de sa pertinence, à savoir pas de prescription de l'action avant sa naissance, et constituerait une violation de l'article 6 §1 de la CEDH ; ce raisonnement est d'autant plus absurde qu'appliqué au cas particulier d'un investissement dans le produit financier BCBB dont le fonctionnement prévoit un rachat au bout de 5 ans après la souscription et qui ne peut donc générer aucun dommage avant 5 ans, il revient à affirmer que l'investisseur ne pourrait jamais rechercher la responsabilité du conseiller ;
- de nombreuses décisions ont ainsi fixé le point de départ de la prescription de l'action d'investisseurs dans des produits BCBB à l'ouverture du redressement judiciaire de la société Bio C' Bon le 2 septembre 2020, date à laquelle s'est réalisé le risque objet du défaut d'information par l'impossibilité pour celle-ci de procéder au rachat des parts souscrites auquel elle s'était contractuellement engagée ;
- en l'espèce, ils n'avaient pas connaissance au moment de la souscription des contrats, en 2014 et 2016, du dommage dont ils demandent réparation et c'est seulement en 2020, lorsque Bio C' Bon SAS a été placée en redressement puis en liquidation judiciaire, qu'ils ont été confrontés à l'impossibilité pour celle-ci d'honorer son engagement contractuel de rachat de parts ; cette incapacité étant devenue définitive au jour du prononcé de la liquidation judiciaire le 2 novembre 2020, le dommage a été définitivement réalisé au sens de l'article 2224 du code civil à cette date qui constitue donc le point de départ du délai de prescription ; le conseiller ne les a informés que de manière générale des risques de perte en capital et de liquidité, communs à tout investissement en fonds propres dans une société non côtée, mais pas des risques spécifiques liés au montage BCBB ; notamment, ils n'ont jamais reçu les statuts des sociétés Essor Biologique et Bio Stratégie qui seuls permettaient d'apprendre que les investisseurs renonçaient à 85 % du boni de liquidation et que Bio C'Bon disposait d'un droit de vote double rendant illusoire toute distribution de dividendes dans l'hypothèse où la holding ne serait pas en mesure d'honorer ses promesses de rachat dont la réalisation était donc, non'pas une simple garantie, mais le seul moyen d'obtenir un retour sur investissement alors que les investisseurs ont tous supporté une prime d'émission équivalente à 99,5 % de leur investissement ; de l'aveu de son fondateur, la cause première des difficultés financières du groupe Bio C' Bon réside dans le ralentissement brutal des souscriptions aux produits BCBB à la suite de l'enquête de l'AMF dénonçant l'insuffisance de l'information communiquée aux investisseurs pour apprécier le risque de non-respect de la promesse de rachat ; le conseiller leur a donc sciemment, sans avoir procédé à une analyse exhaustive du montage, fait souscrire à un produit financier dont ils n'étaient pas en capacité de mesurer le niveau réel de risque de perte en capital encouru ;
- l'action indemnitaire qu'ils ont engagée contre le conseiller et son assureur n'était donc pas prescrite à la date de l'assignation.
Le conseiller et son assureur soutiennent que :
- le préjudice né du manquement d'un intermédiaire à son obligation d'information et/ou de conseil dans le cadre d'un investissement s'analyse en une perte de chance de ne pas souscrire à l'investissement litigieux ou de mieux investir ses capitaux, de sorte que, si dommage il y a, il se manifeste au jour de la conclusion du contrat qui constitue donc, comme l'ont admis de nombreuses décisions, le point de départ du délai de prescription, sauf report justifié ;
- cette position est notamment justifiée par les impératifs de sécurité juridique garantis par la prescription dont le point de départ ne peut être laissé à la discrétion du demandeur et par la nature des obligations incombant au CGP/CIF, qui s'analysent en une obligation de moyens compte tenu du caractère intellectuel de la prestation et de l'aléa inhérent à tout investissement, le'CGP/CIF n'étant pas garant de la rentabilité du produit financier conseillé qu'il n'a pas mission de valoriser à la différence d'un prestataire de services d'investissement, ni de la stratégie patrimoniale adoptée ;
- le point de départ de la prescription peut exceptionnellement être reporté au jour où le dommage s'est révélé à l'investisseur si ce dernier apporte la preuve qu'il pouvait légitimement ignorer l'existence du dommage consistant en la perte de chance de ne pas contracter lors de la souscription de son investissement, cette règle n'étant pas remise en cause par les arrêts cités par les appelants qui ne sont transposables à l'affaire ;
- en l'espèce, la perte de chance de ne pas contracter du fait du manquement allégué à l'obligation d'information et de conseil du conseiller s'est manifestée au plus tard le jour de la signature des bulletins de souscription, de sorte que le délai de prescription a commencé à courir le 10 septembre 2014 pour expirer le 10 septembre 2019 pour l'investissement Essor Biologique et le 19 octobre 2016 pour expirer le 19 octobre 2021 pour l'investissement Bio Stratégie ; les investisseurs ne font pas la preuve de motifs légitimes justifiant le report du point de départ du délai de prescription dès lors qu'ils ont déclaré lors de la souscription avoir reçu tous les documents utiles décrivant BCBB rendement et être informés des risques de liquidité et de perte en capital qu'ils avaient d'ailleurs préalablement acceptés, qu'ils ont ainsi été informés de la prime d'émission de 19,90 euros par action d'une valeur nominale de 0,10 euro, du fonctionnement du produit et de son objet économique de soutien au développement de la chaîne de magasins Bio C'Bon, qu'ils ne pouvaient donc légitimement ignorer que leurs investissements dépendaient de la capacité financière de la SAS Bio C' Bon, seule débitrice de la promesse de rachat, qu'ayant renoncé aux rachats annuels de leurs titres pour chacun de leurs placements, ils savaient pertinemment que ceux-ci ne génèreraient des rendements que lors du rachat à l'expiration d'une période de 5 ans et qu'ils étaient par ailleurs informés du risque de défaillance de la SAS Bio C' Bon ; l'argument selon lequel ils n'auraient pas été informés de la non-distribution de dividendes est inopérant car la distribution de dividendes n'est jamais entrée dans le champ contractuel ; il en va de même concernant la renonciation au boni de liquidation car cette information mentionnée dans les statuts des sociétés supports, au demeurant disponibles pour le public sur Infogreffe, n'était pas déterminante pour des investissements dépendant exclusivement de la capacité de la SAS Bio C' Bon à honorer la promesse de rachat, outre que l'absence de renonciation des investisseurs n'aurait rien changé à leur situation puisque les sociétés supports dans lesquelles ils ont investi ne font pas l'objet d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire à ce jour (sic) et qu'en cas de liquidation judiciaire, l'existence d'un boni liquidation serait illusoire ; le point de départ de la prescription ne peut être reporté à la date d'ouverture de la procédure collective de Bio C' Bon SAS, c'est-à-dire à la découverture de la perte en capital résultant de la défaillance de celle-ci, puisque ce préjudice financier n'est pas celui né des manquements invoqués ; surabondamment, la'mise en liquidation judiciaire de Bio C' Bon SAS plus de 5 ans après la souscription des investissements ne pouvait être anticipée par le conseiller car, à la date de souscription à laquelle s'apprécie son obligation d'information et de renseignement, il n'existait aucune incertitude sur la capacité de la société à rembourser ses dettes financières ;
- l'action engagée le 29 octobre 2021 est donc prescrite.
Réponse de la cour
Les parties s'opposent uniquement sur le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité civile contractuelle intentée contre le conseiller pour manquement à son obligation d'information précontractuelle et de conseil au regard de l'article 2224 du code civil qui dispose que 'Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer'.
Il est constant que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.
L'article 2224 du code civil confère ainsi au point de départ de la prescription un caractère glissant lorsque le dommage ne s'est révélé à la victime que postérieurement à sa réalisation.
La date de réalisation du dommage dépend de la nature du dommage, tandis'que la date à laquelle la victime en a eu connaissance est appréciée souverainement par les juges du fond au regard des éléments de l'affaire.
Lorsque le fait dommageable empêche la victime d'éviter un risque, événement malheureux, le préjudice de perte de chance correspondant n'acquiert un'caractère certain, et ne devient donc indemnisable, que lorsque le risque s'est réalisé.
Ainsi en est-il du manquement d'un conseiller en investissements financiers (CIF) ou d'un conseiller en gestion de patrimoine (CGP) à son obligation d'informer son client, lors de la souscription à un produit d'investissement, sur'le risque de perte en capital présenté par ce produit, ou à son obligation de le conseiller au regard d'un tel risque, qui prive le souscripteur d'une chance d'éviter la réalisation de ces pertes : la réalisation du risque supposant que l'investisseuse ait subi des pertes, le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage ne peut commencer à courir avant la date à laquelle l'investissement a enregistré une perte effective en capital (voir'notamment en ce sens les arrêts rendus par la chambre commerciale de la Cour de Cassation le 26 mars 2025, pourvoi n°23-18.048 relatif à un investissement proposé par la société Aristophil, le 5 mars 2025, pourvoi n°23-21.910 relatif à un investissement dans plusieurs sociétés du groupe Maranatha, et le 15 janvier 2025, pourvoi n°23-19.691 relatif à un investissement dans une société civile de placement immobilier).
En l'espèce, suite aux analyses effectuées par le conseiller dans le cadre de deux lettres de mission en date des 28 juillet 2014 et 19 octobre 2016, les'investisseurs ont souscrit à deux reprises à des produits de type BCBB en faisant l'acquisition chacun le 10 septembre 2014 de 1 000 actions de la société support Société Essor Biologique émises au prix unitaire de 0,10 euro assorti d'une prime d'émission de 19,90 euros, puis le 19 octobre 2016 de 500 actions de la société support Bio Stratégies émises au même prix.
Pour chacun de ces investissements, ils ont fait choix de renoncer, par la signature d'un avenant en ce sens, au rachat annuel par Bio C' Bon SAS d'une partie des actions qu'ils détenaient à l'issue de la 1ère année suivant la souscription dans les conditions prévues au pacte d'actionnaires, de sorte que la rentabilité et la liquidité de leurs investissements étaient exclusivement assurées par la promesse de rachat de leurs actions par Bio C' Bon SAS au terme de la 5ème année de détention, sauf la faculté, qui leur était également reconnue mais qu'ils n'ont pas mise en oeuvre, de demander le rachat anticipé de leurs actions après 2 années de détention en supportant une décote de sortie anticipée.
Du fait de son placement en redressement judiciaire le 2 septembre 2020, puis'en liquidation judiciaire le 2 novembre 2020, Bio C' Bon SAS a été dans l'incapacité d'honorer sa promesse de rachat des actions Société Essor Biologique et Bio Stratégies.
Le préjudice susceptible de résulter du défaut d'information et de conseil que les investisseurs imputent au conseiller consiste en la perte d'une chance d'éviter, non pas seulement l'exposition théorique au risque de perte en capital présenté par les produits BCBB, mais la réalisation concrète de ce risque, laquelle suppose que les investisseurs aient subi des pertes.
Or seule l'ouverture de la procédure collective de Bio C' Bon SAS a révélé aux investisseurs, quelle que soit leur connaissance du fonctionnement des sociétés civiles ou commerciales, l'impossibilité de récupérer, par le biais de la promesse de rachat consentie par celle-ci, le capital investi à 99,5 % en primes d'émission des actions détenues dans les sociétés supports.
Il n'est pas soutenu que les investisseurs auraient été alertés avant cette ouverture précisément sur le fait que la promesse de rachat ne serait pas honorée, même si, s'agissant des actions Essor Biologique, le délai dans lequel il était contractuellement prévu que Bio C' Bon SAS procéderait au rachat, soit'dans les 3 mois suivant le 5ème anniversaire de la date d'effet du contrat, était'déjà dépassé.
Le délai de prescription de l'action en indemnisation du dommage résultant de cette perte de chance n'a donc pu commencer à courir avant le 2 septembre 2020.
La fixation d'un tel point de départ, qui ne dépend pas de la seule volonté des investisseurs ayant contractuellement renoncé au rachat annuel de leurs actions avant le terme des 5 ans de détention, n'est aucunement laissée à la discrétion de ceux-ci et ne porte pas atteinte aux impératifs de sécurité juridique garantis par la prescription.
Au contraire, retenir comme point de départ du délai de prescription quinquennale la date de souscription de chaque opération d'investissement retirerait aux investisseurs toute possibilité de rechercher la responsabilité du conseiller pour une faute contemporaine de la souscription mais insusceptible de produire des conséquences dommageables qui ne soient pas simplement hypothétiques avant le terme des 5 ans de détention, date d'exigibilité normale de la promesse de rachat.
Enfin, dans le cadre de l'examen de la fin de non-recevoir tirée de la prescription dont est exclusivement saisie la cour en appel d'une ordonnance du juge de la mise en état, il n'y a pas lieu de se prononcer sur la nature et la qualité de l'information et/ou du conseil dont ont bénéficié les investisseurs de la part du conseiller, en amont et lors de chaque souscription, concernant le risque de perte en capital présenté par les produits BCBB et BCBB rendement 2.
Du tout, il résulte que le délai de prescription n'était pas expiré lorsque les investisseurs ont fait assigner le conseiller et son assureur devant le tribunal judiciaire le 29 octobre 2021.
Par conséquent, il convient d'écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée à l'action des investisseurs au titre des investissements des 10'septembre 2014 et 19 octobre 2016 et d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a déclaré cette action irrecevable comme étant atteinte par la prescription.
Sur les demandes annexes
Parties perdantes, le conseiller et son assureur supporteront in solidum les dépens exposés en première instance dans le cadre de l'incident et les dépens de la présente instance d'appel.
En outre, en considération de l'équité et de la situation respective des parties, ils seront tenus de verser à chacun des investisseurs la somme de 1 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens sur le fondement de l'article 700 1° du code de procédure civile, sans pouvoir bénéficier du même texte.
L'ordonnance entreprise sera donc également infirmée en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe,
Ordonne la jonction sous le n° 23/00879, des affaires inscrites au répertoire général sous les n° 23/00879 et 23/00935 ;
Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge de la mise état du tribunal judiciaire du Mans en date du 11 mai 2023 ;
Statuant de nouveau et y ajoutant :
Écarte la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée à l'action de M.'[S] [M] et Mme [Z] [M] à l'encontre de M. [W] [C] et de son assureur la SA MMA Iard au titre des investissements des 10'septembre 2014 et 19 octobre 2016 ;
Condamne M. [W] [C] et la SA MMA Iard à régler à M. [S] [M] la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [W] [C] et la SA MMA Iard à régler à Mme [Z] [M] la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute M. [W] [C] et la SA MMA Iard de leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum M. [W] [C] et la SA MMA Iard aux dépens exposés en première instance dans le cadre de l'incident et aux dépens de la présente instance d'appel.
Le greffier La présidente empêchée,
D'[Localité 7]
CHAMBRE A - CIVILE
IG/ILAF
ARRET N°:
AFFAIRE N° RG 23/00879 - N° Portalis DBVP-V-B7H-FFFE
ordonnance du 11 mai 2023
Juge de la mise en état du MANS
n° d'inscription au RG de première instance 21/02772
ARRET DU 30 SEPTEMBRE 2025
APPELANT :
Monsieur [S] [M]
né le 9 juillet 1955 à [Localité 9]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représenté par Me Emmanuel BRUNEAU, avocat postulant au barreau du MANS et par Me Clémentine PARROT, susbtituant Me'Philippe JULIEN, avocats plaidant au barreau de PARIS,
INTIMES :
Monsieur [W] [C], agissant sous la dénomination FINANCIERE 3L
[Adresse 3]
[Localité 4]
S.A. MMA IARD, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentés par Me Audrey PAPIN substituant Me Etienne DE MASCUREAU de la SCP ACR AVOCATS, avocat au barreau d'ANGERS
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue publiquement à l'audience du 19 mai 2025 à 14'H'00, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme GANDAIS, conseillère, qui a été préalablement entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame MULLER, conseillère faisant fonction de présidente
Madame GANDAIS, conseillère
Madame REUFLET, conseillère
Greffier : M. DA CUNHA
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 30 septembre 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Isabelle GANDAIS, conseillère pour la présidente empêchée et par Tony DA CUNHA, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
En 2012, la société Marne et Finance, actionnaire de référence du groupe Bio C' Bon, a conçu la gamme de produits 'BCBB'. Ces produits permettaient à des investisseurs privés de souscrire au capital d'une société support détenue majoritairement, directement ou indirectement, par Bio C' Bon SAS et ayant pour objet de financer le développement de la chaîne de distribution alimentaire Bio C' Bon. Les sociétés supports prenaient ensuite des participations dans les sociétés opérationnelles de la chaîne Bio C'Bon. Afin d'assurer la rentabilité et la liquidité de l'investissement, le pacte d'actionnaires signé lors de la souscription prévoyait une promesse de rachat des parts par Bio C' Bon SAS selon deux types de rachat :
- à l'issue de la 1ère année suivant la souscription au capital d'une des sociétés supports, un rachat annuel d'actions pour un prix égal à 7% du montant de la souscription (ou 6% dans les promesses les plus récentes) du montant de la souscription, avec possibilité pour l'actionnaire investisseur de signer un avenant au pacte d'actionnaires s'il souhaitait renoncer au rachat annuel
- au terme de la 5ème année de détention, un rachat du solde des actions détenues par l'actionnaire investisseur égal au prix de la souscription augmenté d'un éventuel bonus de sortie défini en fonction du nombre de nouveaux magasins Bio C' Bon en activité au terme des 5 ans.
Le 5 septembre 2014, M. [S] [M] et Mme [Z] [M] (ci-après les investisseurs) ont, par l'intermédiaire de M. [W] [C] exerçant sous l'enseigne Financière 3L, conseiller en investissements financiers (ci-après le conseiller) et assuré auprès de la SA MMA Iard (ci-après l'assureur), chacun'acquis 1 000 parts sociales du capital de la SAS Essor Biologique (produit BCBB) pour un montant de 20.000 euros. Pour cette acquisition, ils ont signé chacun un bulletin de souscription, un pacte d'actionnaires et un avenant au pacte d'actionnaires indiquant qu'ils renonçaient au rachat annuel de leurs actions.
Le 19 octobre 2016, les investisseurs ont par l'intermédiaire du même conseiller, chacun acquis 500 parts sociales du capital de la SAS Bio Stratégie (produit BCBB rendement 2) pour un montant de 10 000 euros. Pour cette acquisition, ils ont également signé chacun un bulletin de souscription, un pacte d'actionnaires et un avenant au pacte d'actionnaires indiquant qu'ils renonçaient au rachat annuel de leurs actions.
Le 15 décembre 2017, les investisseurs ont par l'intermédiaire du conseiller, acquis chacun 750 parts sociales du capital de la SAS Bio Vitalité (produit BCBB rendement 2) pour un montant de 15 000 euros. Pour cette acquisition, ils ont également signé chacun un bulletin de souscription, un pacte d'actionnaires et un avenant au pacte d'actionnaires indiquant qu'ils renonçaient au rachat annuel de leurs actions.
Par jugements du tribunal de commerce de Paris en date du 2 septembre 2020, la SAS Bio C' Bon, holding de tête, ainsi que les principales sociétés d'exploitation du groupe Bio C' Bon ont été placées en redressement judiciaire.
Les investisseurs ont déclaré leurs créances de rachat auprès du mandataire judiciaire le 16 octobre 2020.
Par jugements en date du 2 novembre 2020, le tribunal de commerce a arrêté le plan de cession des sociétés du groupe Bio C' Bon en faveur du groupe de [Adresse 8] pour un montant de 60 millions d'euros et a prononcé la liquidation judiciaire de Bio C' Bon SAS.
Par actes d'huissier en date du 29 octobre 2021, les investisseurs ont fait assigner le conseiller et son assureur devant le tribunal judiciaire du Mans afin d'obtenir la réparation des préjudices subis, considérant avoir été trompés sur la nature, les caractéristiques et les risques des produits BCBB.
Par conclusions d'incident, les défendeurs ont sollicité que soit admise leur fin de non-recevoir tirée de la prescription quinquennale, que l'action des demandeurs soit déclarée irrecevable pour ne pas avoir été engagée dans le délai légal des cinq ans des souscriptions du 5 septembre 2014 et du 19 octobre 2016 et qu'ils soient condamnés aux dépens et à leur payer une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les demandeurs ont conclu à la recevabilité de leur action non prescrite, au rejet des demandes adverses et à la condamnation des défendeurs in solidum à leur verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance en date du 11 mai 2023, le juge de la mise en état a :
- déclaré irrecevable la présente action comme étant atteinte par la prescription au titre des investissements des 5 septembre 2014 et 19 octobre 2016 ;
- condamné M. [S] [M] et Mme [Z] [M] à payer à M.'[W] [C] (Financière 3L) et la SA MMA Iard, chacune, une indemnité de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [S] [M] et Mme [Z] [M] aux dépens.
Pour statuer ainsi, il a considéré que la prescription quinquennale a commencé à courir à la signature du bulletin de souscription du 5 septembre 2014 et du 19'octobre 2016, jour du dommage invoqué consistant non pas en la perte du capital qui constitue un risque inhérent aux opérations d'investissements financiers mais en la perte d'une chance de contracter ou ne pas contracter dans des conditions plus avantageuses (sic).
Suivant déclaration en date du 25 mai 2023 (enregistrée sous le numéro RG'23/00879), M. [M] a relevé appel de cette ordonnance en son entier dispositif, intimant le conseiller et son assureur.
Suivant déclaration en date du 6 juin 2023 (enregistrée sous le numéro RG'23/00935), Mme [M] a relevé appel de cette même ordonnance en son entier dispositif, intimant le conseiller et son assureur.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 avril 2025 et l'audience de plaidoirie fixée au 19 mai de la même année conformément aux prévisions d'un avis du 28 octobre 2024.
EXPOSE DES PRETENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions d'appelant n°2 en date du 11 avril 2025, M.'[M] demande à la cour au visa de l'article 2224 du code civil de :
- infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire du Mans du 11 mai 2023 en ce qu'elle l'a déclaré irrecevable en son action comme étant atteinte par la prescription et l'a condamné à payer au conseiller et à son assureur, chacun, une indemnité de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
- le déclarer recevable en son action ;
- débouter le conseiller et son assureur de leur demande tendant à le voir déclarer irrecevable en son action au titre des investissements des 5 septembre 2014 et 19 octobre 2016;
- le déclarer recevable en son action au titre des investissements des 5'septembre 2014 et 19 octobre 2016 ;
- débouter le conseiller et son assureur de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner le conseiller et son assureur à lui payer la somme de 5 000'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Dans ses dernières conclusions d'appelante n°2 en date du 11 avril 2025, Mme'[M] demande à la cour au visa de l'article 2224 du code civil de :
- infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire du Mans du 11 mai 2023 en ce qu'elle l'a déclarée irrecevable en son action comme étant atteinte par la prescription et l'a condamnée à payer au conseiller et à son assureur, chacun, une indemnité de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
- la déclarer recevable en son action ;
- débouter le conseiller et son assureur de leur demande tendant à la voir déclarer irrecevable en son action au titre des investissements des 5 septembre 2014 et 19 octobre 2016 ;
- la déclarer recevable en son action au titre des investissements des 5'septembre 2014 et 19 octobre 2016 ;
- débouter le conseiller et son assureur de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner le conseiller et son assureur à lui payer la somme de 5 000'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Dans leurs dernières conclusions en date du 25 août 2023 prises dans la procédure enregistrée sous le numéro RG 23/00879, le conseiller et son assureur demandent à la cour, au visa des articles 122 du code de procédure civile, 789 du code de procédure civile et 2224 et suivants du code civil, de :
- juger l'investisseur non fondé en son appel, en tout cas non recevable et non fondé en ses demandes, fins et conclusions ;
- l'en débouter ;
- confirmer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire du Mans le 11 mai 2023 en ce qu'elle a déclaré l'investisseur irrecevable en son action dirigée à leur encontre à raison de la prescription et l'a condamné à leur payer, chacun, une indemnité de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens ;
- y ajoutant, condamner l'investisseur à leur payer à chacun la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans leurs dernières conclusions en date du 25 août 2023 prises dans la procédure enregistrée sous le numéro RG 23/00935, le conseiller et son assureur ont formé strictement les mêmes demandes sauf à les diriger contre l'investisseuse.
Pour un plus ample exposé, il est renvoyé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, aux dernières conclusions susvisées des parties.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la jonction
L'article 367 alinéa 1 du code de procédure civile dispose que le juge peut, à la demande des parties ou d'office, ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant lui s'il existe entre les litiges un lien tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble.
En application de ce texte, il convient, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de joindre les instances suivies sous les numéros RG 23/00879 et 23/00935 sur les appels interjetés, respectivement par M. [M] et par Mme'[M] à l'encontre de la même ordonnance, de manière à ce qu'elles soient jugées ensemble.
Sur la prescription de l'action des investisseurs
Moyens des parties
Les investisseurs soutiennent que :
- le créancier d'une obligation d'information ne peut par principe avoir connaissance du manquement dont il a été victime et de la perte de chance qui en résulte au moment de son engagement contractuel, mais seulement une fois que le risque justifiant l'existence de cette obligation se réalise de façon définitive ; en effet, un investisseur ne peut avoir conscience qu'il a été mal informé ou conseillé car cela suppose une analyse comparative entre l'information reçue et celle qu'il aurait dû recevoir, qui n'est possible que s'il s'est renseigné auparavant, ce qui est contraire à l'esprit de l'obligation d'information et de conseil pesant sur le seul CIF et vide cette obligation de sa substance en ce que les conséquences de sa violation peuvent prendre plus de cinq ans pour se manifester ;
- retenir la date de souscription comme point de départ du délai de prescription méconnaîtrait un principe du droit qui a pourtant bénéficié d'une pérennité attestant de sa pertinence, à savoir pas de prescription de l'action avant sa naissance, et constituerait une violation de l'article 6 §1 de la CEDH ; ce raisonnement est d'autant plus absurde qu'appliqué au cas particulier d'un investissement dans le produit financier BCBB dont le fonctionnement prévoit un rachat au bout de 5 ans après la souscription et qui ne peut donc générer aucun dommage avant 5 ans, il revient à affirmer que l'investisseur ne pourrait jamais rechercher la responsabilité du conseiller ;
- de nombreuses décisions ont ainsi fixé le point de départ de la prescription de l'action d'investisseurs dans des produits BCBB à l'ouverture du redressement judiciaire de la société Bio C' Bon le 2 septembre 2020, date à laquelle s'est réalisé le risque objet du défaut d'information par l'impossibilité pour celle-ci de procéder au rachat des parts souscrites auquel elle s'était contractuellement engagée ;
- en l'espèce, ils n'avaient pas connaissance au moment de la souscription des contrats, en 2014 et 2016, du dommage dont ils demandent réparation et c'est seulement en 2020, lorsque Bio C' Bon SAS a été placée en redressement puis en liquidation judiciaire, qu'ils ont été confrontés à l'impossibilité pour celle-ci d'honorer son engagement contractuel de rachat de parts ; cette incapacité étant devenue définitive au jour du prononcé de la liquidation judiciaire le 2 novembre 2020, le dommage a été définitivement réalisé au sens de l'article 2224 du code civil à cette date qui constitue donc le point de départ du délai de prescription ; le conseiller ne les a informés que de manière générale des risques de perte en capital et de liquidité, communs à tout investissement en fonds propres dans une société non côtée, mais pas des risques spécifiques liés au montage BCBB ; notamment, ils n'ont jamais reçu les statuts des sociétés Essor Biologique et Bio Stratégie qui seuls permettaient d'apprendre que les investisseurs renonçaient à 85 % du boni de liquidation et que Bio C'Bon disposait d'un droit de vote double rendant illusoire toute distribution de dividendes dans l'hypothèse où la holding ne serait pas en mesure d'honorer ses promesses de rachat dont la réalisation était donc, non'pas une simple garantie, mais le seul moyen d'obtenir un retour sur investissement alors que les investisseurs ont tous supporté une prime d'émission équivalente à 99,5 % de leur investissement ; de l'aveu de son fondateur, la cause première des difficultés financières du groupe Bio C' Bon réside dans le ralentissement brutal des souscriptions aux produits BCBB à la suite de l'enquête de l'AMF dénonçant l'insuffisance de l'information communiquée aux investisseurs pour apprécier le risque de non-respect de la promesse de rachat ; le conseiller leur a donc sciemment, sans avoir procédé à une analyse exhaustive du montage, fait souscrire à un produit financier dont ils n'étaient pas en capacité de mesurer le niveau réel de risque de perte en capital encouru ;
- l'action indemnitaire qu'ils ont engagée contre le conseiller et son assureur n'était donc pas prescrite à la date de l'assignation.
Le conseiller et son assureur soutiennent que :
- le préjudice né du manquement d'un intermédiaire à son obligation d'information et/ou de conseil dans le cadre d'un investissement s'analyse en une perte de chance de ne pas souscrire à l'investissement litigieux ou de mieux investir ses capitaux, de sorte que, si dommage il y a, il se manifeste au jour de la conclusion du contrat qui constitue donc, comme l'ont admis de nombreuses décisions, le point de départ du délai de prescription, sauf report justifié ;
- cette position est notamment justifiée par les impératifs de sécurité juridique garantis par la prescription dont le point de départ ne peut être laissé à la discrétion du demandeur et par la nature des obligations incombant au CGP/CIF, qui s'analysent en une obligation de moyens compte tenu du caractère intellectuel de la prestation et de l'aléa inhérent à tout investissement, le'CGP/CIF n'étant pas garant de la rentabilité du produit financier conseillé qu'il n'a pas mission de valoriser à la différence d'un prestataire de services d'investissement, ni de la stratégie patrimoniale adoptée ;
- le point de départ de la prescription peut exceptionnellement être reporté au jour où le dommage s'est révélé à l'investisseur si ce dernier apporte la preuve qu'il pouvait légitimement ignorer l'existence du dommage consistant en la perte de chance de ne pas contracter lors de la souscription de son investissement, cette règle n'étant pas remise en cause par les arrêts cités par les appelants qui ne sont transposables à l'affaire ;
- en l'espèce, la perte de chance de ne pas contracter du fait du manquement allégué à l'obligation d'information et de conseil du conseiller s'est manifestée au plus tard le jour de la signature des bulletins de souscription, de sorte que le délai de prescription a commencé à courir le 10 septembre 2014 pour expirer le 10 septembre 2019 pour l'investissement Essor Biologique et le 19 octobre 2016 pour expirer le 19 octobre 2021 pour l'investissement Bio Stratégie ; les investisseurs ne font pas la preuve de motifs légitimes justifiant le report du point de départ du délai de prescription dès lors qu'ils ont déclaré lors de la souscription avoir reçu tous les documents utiles décrivant BCBB rendement et être informés des risques de liquidité et de perte en capital qu'ils avaient d'ailleurs préalablement acceptés, qu'ils ont ainsi été informés de la prime d'émission de 19,90 euros par action d'une valeur nominale de 0,10 euro, du fonctionnement du produit et de son objet économique de soutien au développement de la chaîne de magasins Bio C'Bon, qu'ils ne pouvaient donc légitimement ignorer que leurs investissements dépendaient de la capacité financière de la SAS Bio C' Bon, seule débitrice de la promesse de rachat, qu'ayant renoncé aux rachats annuels de leurs titres pour chacun de leurs placements, ils savaient pertinemment que ceux-ci ne génèreraient des rendements que lors du rachat à l'expiration d'une période de 5 ans et qu'ils étaient par ailleurs informés du risque de défaillance de la SAS Bio C' Bon ; l'argument selon lequel ils n'auraient pas été informés de la non-distribution de dividendes est inopérant car la distribution de dividendes n'est jamais entrée dans le champ contractuel ; il en va de même concernant la renonciation au boni de liquidation car cette information mentionnée dans les statuts des sociétés supports, au demeurant disponibles pour le public sur Infogreffe, n'était pas déterminante pour des investissements dépendant exclusivement de la capacité de la SAS Bio C' Bon à honorer la promesse de rachat, outre que l'absence de renonciation des investisseurs n'aurait rien changé à leur situation puisque les sociétés supports dans lesquelles ils ont investi ne font pas l'objet d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire à ce jour (sic) et qu'en cas de liquidation judiciaire, l'existence d'un boni liquidation serait illusoire ; le point de départ de la prescription ne peut être reporté à la date d'ouverture de la procédure collective de Bio C' Bon SAS, c'est-à-dire à la découverture de la perte en capital résultant de la défaillance de celle-ci, puisque ce préjudice financier n'est pas celui né des manquements invoqués ; surabondamment, la'mise en liquidation judiciaire de Bio C' Bon SAS plus de 5 ans après la souscription des investissements ne pouvait être anticipée par le conseiller car, à la date de souscription à laquelle s'apprécie son obligation d'information et de renseignement, il n'existait aucune incertitude sur la capacité de la société à rembourser ses dettes financières ;
- l'action engagée le 29 octobre 2021 est donc prescrite.
Réponse de la cour
Les parties s'opposent uniquement sur le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité civile contractuelle intentée contre le conseiller pour manquement à son obligation d'information précontractuelle et de conseil au regard de l'article 2224 du code civil qui dispose que 'Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer'.
Il est constant que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.
L'article 2224 du code civil confère ainsi au point de départ de la prescription un caractère glissant lorsque le dommage ne s'est révélé à la victime que postérieurement à sa réalisation.
La date de réalisation du dommage dépend de la nature du dommage, tandis'que la date à laquelle la victime en a eu connaissance est appréciée souverainement par les juges du fond au regard des éléments de l'affaire.
Lorsque le fait dommageable empêche la victime d'éviter un risque, événement malheureux, le préjudice de perte de chance correspondant n'acquiert un'caractère certain, et ne devient donc indemnisable, que lorsque le risque s'est réalisé.
Ainsi en est-il du manquement d'un conseiller en investissements financiers (CIF) ou d'un conseiller en gestion de patrimoine (CGP) à son obligation d'informer son client, lors de la souscription à un produit d'investissement, sur'le risque de perte en capital présenté par ce produit, ou à son obligation de le conseiller au regard d'un tel risque, qui prive le souscripteur d'une chance d'éviter la réalisation de ces pertes : la réalisation du risque supposant que l'investisseuse ait subi des pertes, le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage ne peut commencer à courir avant la date à laquelle l'investissement a enregistré une perte effective en capital (voir'notamment en ce sens les arrêts rendus par la chambre commerciale de la Cour de Cassation le 26 mars 2025, pourvoi n°23-18.048 relatif à un investissement proposé par la société Aristophil, le 5 mars 2025, pourvoi n°23-21.910 relatif à un investissement dans plusieurs sociétés du groupe Maranatha, et le 15 janvier 2025, pourvoi n°23-19.691 relatif à un investissement dans une société civile de placement immobilier).
En l'espèce, suite aux analyses effectuées par le conseiller dans le cadre de deux lettres de mission en date des 28 juillet 2014 et 19 octobre 2016, les'investisseurs ont souscrit à deux reprises à des produits de type BCBB en faisant l'acquisition chacun le 10 septembre 2014 de 1 000 actions de la société support Société Essor Biologique émises au prix unitaire de 0,10 euro assorti d'une prime d'émission de 19,90 euros, puis le 19 octobre 2016 de 500 actions de la société support Bio Stratégies émises au même prix.
Pour chacun de ces investissements, ils ont fait choix de renoncer, par la signature d'un avenant en ce sens, au rachat annuel par Bio C' Bon SAS d'une partie des actions qu'ils détenaient à l'issue de la 1ère année suivant la souscription dans les conditions prévues au pacte d'actionnaires, de sorte que la rentabilité et la liquidité de leurs investissements étaient exclusivement assurées par la promesse de rachat de leurs actions par Bio C' Bon SAS au terme de la 5ème année de détention, sauf la faculté, qui leur était également reconnue mais qu'ils n'ont pas mise en oeuvre, de demander le rachat anticipé de leurs actions après 2 années de détention en supportant une décote de sortie anticipée.
Du fait de son placement en redressement judiciaire le 2 septembre 2020, puis'en liquidation judiciaire le 2 novembre 2020, Bio C' Bon SAS a été dans l'incapacité d'honorer sa promesse de rachat des actions Société Essor Biologique et Bio Stratégies.
Le préjudice susceptible de résulter du défaut d'information et de conseil que les investisseurs imputent au conseiller consiste en la perte d'une chance d'éviter, non pas seulement l'exposition théorique au risque de perte en capital présenté par les produits BCBB, mais la réalisation concrète de ce risque, laquelle suppose que les investisseurs aient subi des pertes.
Or seule l'ouverture de la procédure collective de Bio C' Bon SAS a révélé aux investisseurs, quelle que soit leur connaissance du fonctionnement des sociétés civiles ou commerciales, l'impossibilité de récupérer, par le biais de la promesse de rachat consentie par celle-ci, le capital investi à 99,5 % en primes d'émission des actions détenues dans les sociétés supports.
Il n'est pas soutenu que les investisseurs auraient été alertés avant cette ouverture précisément sur le fait que la promesse de rachat ne serait pas honorée, même si, s'agissant des actions Essor Biologique, le délai dans lequel il était contractuellement prévu que Bio C' Bon SAS procéderait au rachat, soit'dans les 3 mois suivant le 5ème anniversaire de la date d'effet du contrat, était'déjà dépassé.
Le délai de prescription de l'action en indemnisation du dommage résultant de cette perte de chance n'a donc pu commencer à courir avant le 2 septembre 2020.
La fixation d'un tel point de départ, qui ne dépend pas de la seule volonté des investisseurs ayant contractuellement renoncé au rachat annuel de leurs actions avant le terme des 5 ans de détention, n'est aucunement laissée à la discrétion de ceux-ci et ne porte pas atteinte aux impératifs de sécurité juridique garantis par la prescription.
Au contraire, retenir comme point de départ du délai de prescription quinquennale la date de souscription de chaque opération d'investissement retirerait aux investisseurs toute possibilité de rechercher la responsabilité du conseiller pour une faute contemporaine de la souscription mais insusceptible de produire des conséquences dommageables qui ne soient pas simplement hypothétiques avant le terme des 5 ans de détention, date d'exigibilité normale de la promesse de rachat.
Enfin, dans le cadre de l'examen de la fin de non-recevoir tirée de la prescription dont est exclusivement saisie la cour en appel d'une ordonnance du juge de la mise en état, il n'y a pas lieu de se prononcer sur la nature et la qualité de l'information et/ou du conseil dont ont bénéficié les investisseurs de la part du conseiller, en amont et lors de chaque souscription, concernant le risque de perte en capital présenté par les produits BCBB et BCBB rendement 2.
Du tout, il résulte que le délai de prescription n'était pas expiré lorsque les investisseurs ont fait assigner le conseiller et son assureur devant le tribunal judiciaire le 29 octobre 2021.
Par conséquent, il convient d'écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée à l'action des investisseurs au titre des investissements des 10'septembre 2014 et 19 octobre 2016 et d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a déclaré cette action irrecevable comme étant atteinte par la prescription.
Sur les demandes annexes
Parties perdantes, le conseiller et son assureur supporteront in solidum les dépens exposés en première instance dans le cadre de l'incident et les dépens de la présente instance d'appel.
En outre, en considération de l'équité et de la situation respective des parties, ils seront tenus de verser à chacun des investisseurs la somme de 1 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens sur le fondement de l'article 700 1° du code de procédure civile, sans pouvoir bénéficier du même texte.
L'ordonnance entreprise sera donc également infirmée en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe,
Ordonne la jonction sous le n° 23/00879, des affaires inscrites au répertoire général sous les n° 23/00879 et 23/00935 ;
Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge de la mise état du tribunal judiciaire du Mans en date du 11 mai 2023 ;
Statuant de nouveau et y ajoutant :
Écarte la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée à l'action de M.'[S] [M] et Mme [Z] [M] à l'encontre de M. [W] [C] et de son assureur la SA MMA Iard au titre des investissements des 10'septembre 2014 et 19 octobre 2016 ;
Condamne M. [W] [C] et la SA MMA Iard à régler à M. [S] [M] la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [W] [C] et la SA MMA Iard à régler à Mme [Z] [M] la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute M. [W] [C] et la SA MMA Iard de leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum M. [W] [C] et la SA MMA Iard aux dépens exposés en première instance dans le cadre de l'incident et aux dépens de la présente instance d'appel.
Le greffier La présidente empêchée,