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Décisions

CEDH, gr. ch., 15 novembre 2016, n° 24130/11

COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

A..., B...

Défendeur :

Norvège

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Guido Raimondi

Juges :

Işıl Karakaş, Luis López Guerra, Mirjana Lazarova Trajkovska, Angelika Nußberger, Boštjan M. Zupančič, Khanlar Hajiyev, Kristina Pardalos, Julia Laffranque, Paulo Pinto de Albuquerque, Linos-Alexandre Sicilianos, Paul Lemmens, Paul Mahoney, Yonko Grozev, Armen Harutyunyan, Gabriele Kucsko-Stadlmayer

Juge ad hoc :

Dag Bugge Nordén

Jurisconsulte :

Lawrence Early

CEDH n° 24130/11

14 novembre 2016

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

11.  Le premier requérant, A, est né en 1960 et habite en Norvège. Le second requérant, B, est né en 1965 et habite en Floride (États-Unis d’Amérique).

12.  Les requérants et M. E.K. détenaient la société Estora Investment Ltd. (« Estora »), immatriculée à Gibraltar. M. T.F. et M. G.A. détenaient la société Strategic Investment AS (« Strategic »), immatriculée à Samoa et au Luxembourg. En juin 2001, Estora acquit 24 % des actions de la société Wnet AS et Strategic 46 % des actions de Wnet AS. En août 2001, toutes les actions de Wnet AS furent vendues à Software Innovation AS, à un prix nettement plus élevé. Le montant du produit de la vente qui revenait au premier requérant s’élevait à 3 259 341 couronnes norvégiennes (NOK – soit environ 360 000 euros (EUR)). Ce dernier le transféra à la société Banista Holding Ltd., immatriculée à Gibraltar, dont il était l’actionnaire unique. Le montant du produit de la vente qui revenait au second requérant s’élevait à 4 651 881 NOK (soit environ 500 000 EUR). Ce dernier le transféra à la société Fardan Investment Ltd., dont il était l’actionnaire unique.

M. E.K., M. G.A. et M. T.F. réalisèrent des profits à l’occasion de transactions similaires, tandis que M. B.L., M. K.B. et M. G.N. participèrent par le biais de Software Innovation AS à d’autres transactions imposables non déclarées.

Les revenus tirés de ces transactions, qui s’élevaient à environ 114 500 000 NOK (soit environ 12 600 000 EUR), ne furent pas déclarés aux autorités fiscales norvégiennes (« le fisc »), ce qui représentait au total environ 32 500 000 NOK (soit environ 3 600 000 EUR) d’impôts impayés.

13.  En 2005, le fisc entama le contrôle fiscal de Software Innovation AS et s’intéressa aux actionnaires de Wnet AS. Le 25 octobre 2007, il déposa une plainte pénale contre T.F. auprès d’Økokrim (acronyme de l’Autorité nationale norvégienne d’enquêtes et de poursuites pour les délits économiques et écologiques) au sujet d’éléments qui ultérieurement conduisirent à l’inculpation du premier requérant, ainsi que des autres personnes susmentionnées et du second requérant, pour fraude fiscale aggravée.

Les personnes citées au paragraphe 12 ci-dessus furent par la suite poursuivies, reconnues coupables et condamnées à des peines de prison pour fraude fiscale en matière pénale. Signalons aussi ceci :

  la peine de prison infligée à M. E.K. en première instance fut confirmée en deuxième instance, bien que la juridiction de deuxième instance eût jugé cette peine légère ; parallèlement, une majoration d’impôt de 30 % lui fut infligée ;

  la durée de la peine de prison infligée à M. B.L. fut fixée compte tenu de ce qu’une majoration d’impôt de 30 % lui avait déjà été imposée ;

  M. G.A. n’a été condamné à aucune amende ni à aucune majoration d’impôt ;

  M. T.F. a été condamné en outre à une amende correspondant à une majoration d’impôt de 30 % ;

  M. K.B. et M. G.N. furent chacun condamnés à une amende conformément au raisonnement exposé par la Cour suprême dans sa décision publiée au Norsk Retstidende (« Rt. ») 2011, p. 1509, qui renvoyait au Rt. 2005, p. 129 et a été résumée au paragraphe 50 ci-dessous.

Les circonstances particulières relatives au premier et au second requérant sont exposées ci-dessous.

A.  Le premier requérant

14.  Le premier requérant fut tout d’abord interrogé en qualité de témoin le 6 décembre 2007 puis, le 14 décembre 2007, il fut arrêté et déposa en qualité d’accusé (siktet). Il reconnut les faits mais nia toute responsabilité pénale. Il fut élargi quatre jours plus tard.

15.  Le 14 octobre 2008, le premier requérant fut inculpé de violations de l’article 12-1 1) a), voire de l’article 12-2, de la loi fiscale de 1980 (ligningsloven ; voir au paragraphe 43 ci-dessous le texte de ces dispositions).

16.  Le 24 novembre 2008, le bureau des impôts (skattekontoret) redressa le premier requérant pour les années fiscales 2002 à 2007, après lui avoir communiqué à cette fin, le 26 août 2008, un avis qui renvoyait notamment au contrôle fiscal, à l’enquête pénale et à la déposition faite par lui, évoqués au paragraphe 14 ci-dessus, ainsi qu’aux documents saisis par Økokrim lors de l’enquête. Pour l’année 2002, le redressement était fondé sur le défaut de déclaration par l’intéressé de 3 259 341 NOK (soit environ 360 000 EUR) de revenus généraux, ce dernier ayant au lieu de cela déclaré 65 655 NOK de pertes. De plus, sur la base des articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale (voir au paragraphe 42 ci-dessous le texte de ces dispositions), le bureau des impôts lui appliqua une majoration d’impôt de 30 %, calculée sur la base des impôts dont il était redevable au titre des montants non déclarés. Cette décision tenait compte notamment des dépositions faites par le premier et le second requérant pendant leurs interrogatoires conduits lors de l’enquête pénale. Le premier requérant ne la contesta pas et s’acquitta des sommes dues ainsi que de la majoration d’impôt avant l’expiration du délai de recours, d’une durée de trois semaines.

17.  Le 2 mars 2009, le tribunal (tingrett) de Follo reconnut le premier requérant coupable de fraude fiscale aggravée et le condamna à un an d’emprisonnement pour avoir omis de mentionner, dans sa déclaration fiscale pour l’année 2002, 3 259 341 NOK de revenus perçus à l’étranger. Il fixa la peine en tenant compte de ce que l’intéressé avait déjà été lourdement sanctionné par l’application de la majoration d’impôt.

18.  Le premier requérant fit appel, estimant avoir été jugé et puni deux fois, en violation de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention. Il soutenait que, pour la même infraction relevant de l’article 12-1, il avait d’abord été accusé et inculpé par le parquet puis frappé par le fisc d’une majoration d’impôt, qu’il aurait payée, après quoi il avait été reconnu coupable et sanctionné.

19.  Par un arrêt rendu le 12 avril 2010 à l’unanimité, la cour d’appel (lagmannsrett) Borgarting (« la cour d’appel ») le débouta et, par un arrêt du 27 septembre 2010, la Cour suprême (Høyesterett) fit de même en se fondant sur un raisonnement similaire, résumé ci-dessous.

20.  Dans son arrêt du 27 septembre 2010, la Cour suprême rechercha tout d’abord si les deux procédures en question se rapportaient aux mêmes circonstances factuelles (samme forhold). À cet égard, elle prit note des développements de la jurisprudence relative à la Convention exposés dans l’arrêt de Grande Chambre Sergueï Zolotoukhine c. Russie ([GC], no 14939/03, §§ 52, 53, 80-82 et 84, CEDH 2009) et de la tentative d’harmonisation y opérée par le constat suivant :

« (...) l’article 4 du Protocole no 7 doit être compris comme interdisant de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde « infraction » pour autant que celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes. (...) La Cour doit donc faire porter son examen sur ces faits qui constituent un ensemble de circonstances factuelles concrètes impliquant le même contrevenant et indissociablement liées entre elles dans le temps et l’espace (...) »

21.  En l’espèce, la Cour suprême observa qu’il ne faisait aucun doute que les circonstances factuelles à l’origine de la décision d’infliger une majoration d’impôt et des poursuites pénales avaient suffisamment de points communs pour satisfaire à ces critères. Elle releva que, dans le cadre des deux procédures, la base factuelle était l’omission de revenus dans la déclaration fiscale du premier requérant. Selon elle, les procédures portaient sur les mêmes faits et satisfaisaient donc à la condition requise à cet égard.

22.  La Cour suprême rechercha ensuite si les deux procédures avaient pour objet une « infraction » au sens de l’article 4 du Protocole no 7. À cet égard, elle rappela son arrêt publié au Rt. 2002, p. 509 (paragraphe 45 ci-dessous) qualifiant une majoration d’impôt au taux ordinaire (30 %) de compatible avec la notion d’« accusation en matière pénale » au sens de l’article 6 § 1. Cette conclusion antérieure à l’espèce s’appuyait sur ce qu’il est convenu d’appeler les trois « critères Engel » (la qualification juridique de l’infraction en droit interne, la nature de celle-ci et le degré de sévérité de la sanction encourue), énoncés dans l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire Engel et autres c. Pays-Bas (8 juin 1976, § 82, série A no 22). La Cour suprême jugea importantes dans son analyse la finalité générale de prévention poursuivie par la majoration d’impôt et la possibilité que, 30 % étant un taux élevé, des sommes considérables fussent en jeu. Elle rappela en outre son arrêt publié au Rt. 2004, p. 645, dans lequel elle avait jugé, à la lumière de la jurisprudence de la Cour (selon laquelle la notion de « peine » ne doit pas revêtir des sens différents selon la disposition de la Convention en cause), qu’une majoration d’impôt de 30 % revêtait aussi un caractère pénal sur le terrain de l’article 4 du Protocole no 7, ce qu’elle confirma sans autre débat dans une décision publiée au Rt. 2006, p. 1409.

23.  La Cour suprême constata par ailleurs que la Direction des impôts (Skattedirektoratet) comme le Procureur général (Riksadvokaten) estimaient peu probable qu’une majoration d’impôt au taux ordinaire ne fût pas qualifiée de sanction pénale au sens de l’article 4 du Protocole no 7.

24.  La Cour suprême considéra également la jurisprudence plus récente de la Cour (Mjelde c. Norvège (déc.), no 11143/04, 1er février 2007, Storbråten c. Norvège (déc.), no 12277/04, 1er février 2007, Haarvig c. Norvège (déc.), no 11187/05, 11 décembre 2007, avec des références à Malige c. France, 23 septembre 1998, § 35, Recueil des arrêts et décisions 1998VII, et Nilsson c. Suède (déc.), no 73661/01, CEDH 2005XIII), dont il ressortait selon elle qu’un groupe plus large de critères que ceux retenus dans la jurisprudence Engel s’appliquaient pour effectuer une analyse sous l’angle de l’article 4 du Protocole no 7. Elle trouva dans l’arrêt Sergueï Zolotoukhine (précité, §§ 52-57), suivi par l’arrêt Ruotsalainen c. Finlande (no 13079/03, §§ 4147, 16 juin 2009), la confirmation que les trois critères Engel, sur la base desquels devait être établie l’existence d’une « accusation en matière pénale » sur le terrain de l’article 6, s’appliquaient tout autant à la notion de sanction pénale figurant à l’article 4 du Protocole no 7.

25.  La Cour suprême en conclut qu’il n’y avait pas lieu pour elle de s’écarter de ses décisions précitées rendues en 2004 et 2006, selon lesquelles une majoration d’impôt au taux ordinaire s’analysait en une sanction pénale (straff) pour les besoins de l’article 4 du Protocole no 7.

26.  Elle observa ensuite que l’une des conditions pour bénéficier de la protection offerte par cette disposition était que la décision faisant obstacle à d’autres poursuites – en l’espèce la décision du 24 novembre 2008 portant application d’une majoration d’impôt au taux ordinaire – fût définitive. Elle constata que, n’ayant pas fait l’objet d’un recours auprès de la plus haute juridiction administrative dans le délai prescrit de trois semaines, lequel avait pris fin le 15 décembre 2008, ladite décision était à cet égard devenue définitive. Elle estima que si, en revanche, il fallait prendre en compte le délai de recours en justice de six mois fixé par l’article 11-1 4) de la loi fiscale, la décision n’était pas encore devenue définitive à la date du prononcé du jugement du tribunal de Follo, à savoir le 2 mars 2009.

27.  La Cour suprême dit que l’expression « acquitté ou condamné par un jugement définitif » employée à l’article 4 du Protocole no 7 avait été conçue pour viser les situations où la décision faisant obstacle à d’autres poursuites était un jugement au pénal. Elle constata que la Cour avait établi qu’une décision était définitive une fois passée en force de chose jugée, c’est-à-dire lorsqu’aucun autre recours ordinaire n’était ouvert, et que, en cela, la date à partir de laquelle, en droit interne, la décision passait en force de chose jugée était déterminante. Elle considéra que ni le texte de la disposition elle-même, ni les travaux préparatoires de celle-ci, ni la jurisprudence ne donnaient la moindre indication pour le cas où la décision faisant obstacle à d’autres poursuites était de nature administrative. Elle rappela que, dans son arrêt de principe publié au Rt. 2002, p. 557, elle avait dit qu’il fallait regarder comme définitive une décision finale de redressement fiscal, y compris assortie d’une majoration d’impôt, dès lors que le contribuable en question ne pouvait plus la contester (p. 570), sans toutefois préciser si c’était le délai de recours administratif ou le délai de recours judiciaire qui était déterminant. En l’espèce, elle dit que la meilleure solution était de considérer que c’était le délai de recours administratif, d’une durée de trois semaines, qui était déterminant au regard de l’article 4 du Protocole no 7 car, sinon, la situation ne serait éclaircie qu’au bout de six mois dans l’hypothèse où le contribuable ne saisirait pas les tribunaux, ou qu’une fois rendu un jugement légalement exécutoire dans l’hypothèse inverse, au bout d’un laps de temps dont la durée pouvait varier et être longue. Il fallait donc selon elle considérer que la décision du 24 novembre 2008 était définitive au sens de l’article 4 du Protocole no 7.

28.  La Cour suprême constata que le premier requérant avait acquis la qualité d’accusé le 14 décembre 2007 et que l’avis de redressement lui avait été signifié le 26 août 2008. Elle releva que, par la suite, la procédure fiscale et la procédure pénale s’étaient déroulées en parallèle jusqu’à ce qu’une décision du 24 novembre 2008 et un jugement du 2 mars 2009, respectivement, y mettent un terme. Elle estima que l’une des questions essentielles dans cette affaire était de savoir si les poursuites avaient été consécutives, ce qui aurait été contraire à l’article 4 du Protocole no 7, ou parallèles, ce qui aurait été permis dans une certaine mesure. À cet égard, elle prit en considération deux décisions d’irrecevabilité, R.T. c. Suisse ((déc.), no 31982/96, 30 mai 2000) et Nilsson (décision précitée), et en particulier le passage suivant de cette dernière décision :

« Toutefois, la Cour ne saurait accueillir la thèse du requérant selon laquelle les autorités ont déclenché contre lui de nouvelles poursuites pénales en mettant en œuvre la procédure de retrait litigieuse. Si les diverses sanctions infligées à l’intéressé ont été prononcées par deux autorités différentes à l’issue de procédures distinctes, il existait entre elles un lien matériel et temporel suffisamment étroit pour que l’on puisse considérer le retrait de permis comme l’une des mesures prévues par le droit suédois pour la répression des délits de conduite en état d’ébriété avancé et de conduite sans permis (voir R.T. c. Suisse, décision précitée, et, mutatis mutandisPhillips c. Royaume-Uni, no 41087/98, § 34, CEDH 2001-VII). En d’autres termes, on ne saurait déduire du retrait litigieux que l’intéressé a été « poursuivi ou puni (...) en raison d’une infraction pour laquelle il a[vait] déjà été (...) condamné par un jugement définitif » au mépris de l’article 4 § 1 du Protocole no 7. »

29.  La Cour suprême jugea que, en l’espèce, l’existence d’un lien matériel et temporel suffisant ne pouvait faire de doute. Elle estima que les deux affaires reposaient sur les mêmes circonstances factuelles, à savoir une omission d’informations dans la déclaration fiscale qui avait causé une erreur dans l’assiette de l’impôt. Elle conclut que la procédure pénale et la procédure administrative avaient été conduites en parallèle. Elle releva que, après que le premier requérant eut déposé en qualité d’accusé le 14 décembre 2007, un avis de redressement avait suivi le 26 août 2008, puis une inculpation le 14 octobre 2008, la décision de redressement prise par le fisc le 24 novembre 2008 et le jugement du tribunal de Follo le 2 mars 2009. Selon elle, la procédure administrative et la procédure pénale étaient ainsi dans une large mesure imbriquées.

30.  La Cour suprême estima que la finalité de l’article 4 du Protocole no 7, qui était d’offrir une protection contre le fardeau que représente un nouveau procès, était moins pertinente en l’espèce dans la mesure où le premier requérant n’avait aucune espérance légitime de n’être l’objet que d’une seule procédure. Dans ces conditions, selon elle, l’effectivité de la répression revêtait un caractère prépondérant.

B.  Le second requérant

31.  À l’automne 2007, à la suite du contrôle fiscal conduit en 2005 évoqué au paragraphe 13 ci-dessus, le fisc signala à Økokrim que, dans sa déclaration fiscale pour l’année fiscale 2002, le second requérant avait omis de mentionner 4 561 881 NOK (soit environ 500 000 EUR) de revenus tirés de la vente par lui de certaines actions.

32.  Le 16 octobre 2008, le bureau des impôts avisa le second requérant qu’il envisageait de le redresser fiscalement et de lui appliquer une majoration d’impôt. Il s’appuyait notamment sur le contrôle fiscal, sur l’enquête pénale et sur la déposition faite par l’intéressé, ainsi que sur des documents saisis par Økokrim lors de l’enquête. Le 5 décembre 2008, il effectua le redressement, précisant que le second requérant devait 1 302 526 NOK (soit environ 143 400 EUR) d’impôts au titre des revenus non déclarés. De plus, se fondant sur les articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale, il décida d’appliquer une majoration d’impôt de 30 %, en tenant notamment compte des dépositions faites par le premier et le second requérant à l’occasion de leurs interrogatoires conduits lors de l’enquête pénale. Le second requérant s’acquitta des impôts dus et de la majoration d’impôt et ne contesta pas ladite décision, qui devint définitive le 26 décembre 2008.

33.  Parallèlement, le 11 novembre 2008, le parquet avait inculpé le second requérant d’une violation de l’article 12-1 1) a), voire de l’article 122, de la loi fiscale, au motif que, pour les années fiscales 2001 et/ou 2002, celui-ci avait omis dans sa déclaration fiscale 4 651 881 NOK de revenus, ce qui représentait 1 302 526 NOK d’impôts à verser. Il pria le tribunal (tingrett) d’Oslo de rendre un jugement sommaire fondé sur les aveux (tilståelsesdom) de l’intéressé. De plus, M. E.K., M. B.L. et M. G.A. plaidèrent coupable et acceptèrent de passer en jugement sommaire sur la base de la reconnaissance par eux de leur culpabilité.

34.  Le 10 février 2009, le second requérant (à l’inverse de M. E.K., M. B.L. et M. G.A.) revint sur ses aveux, à la suite de quoi le procureur délivra le 29 mai 2009 un acte d’inculpation révisé qui reprenait les mêmes chefs.

35.  Le 30 septembre 2009, à l’issue d’un procès contradictoire, le tribunal d’Oslo déclara le second requérant coupable des chefs de fraude fiscale aggravée et le condamna à un an d’emprisonnement, peine qui tenait compte de ce qu’une majoration d’impôt lui avait déjà été appliquée.

36.  Le second requérant contesta devant la cour d’appel la procédure conduite devant le tribunal d’Oslo, soutenant en particulier que, en vertu du principe non bis in idem consacré à l’article 4 du Protocole no 7, l’application dans son cas d’une majoration d’impôt faisait obstacle à sa condamnation pénale. Il demanda donc à la cour d’appel l’annulation (opphevet) du jugement dudit tribunal et le rejet (avvist) de l’action dirigée contre lui.

37.  Par un arrêt rendu le 8 juillet 2010 qui reprenait pour l’essentiel le raisonnement suivi par elle dans son arrêt concernant le premier requérant, lequel raisonnement était similaire à celui de la Cour suprême résumé plus haut (paragraphes 20-30 cidessus), la cour d’appel débouta le second requérant. Elle jugea ainsi que la décision du 5 décembre 2008 par laquelle le fisc avait ordonné au second requérant de payer une majoration d’impôt de 30 % s’analysait bien en une sanction pénale (straff), que cette décision était devenue « définitive » à la date d’expiration du délai de recours, soit le 26 décembre 2008, et que ladite décision et la condamnation pénale postérieure portaient sur les mêmes faits.

38.  Par ailleurs, comme dans le cas du premier requérant, la cour d’appel jugea que l’article 4 du Protocole no 7 permettait dans une certaine mesure la conduite de procédures parallèles – l’une administrative et l’autre pénale –, pourvu que la seconde commence avant que la première ne se conclue par une décision définitive. Elle estima que, une fois satisfaite cette exigence minimale, il fallait apprécier l’état d’avancement de la seconde procédure et, surtout, rechercher s’il existait ou non un lien matériel et temporel suffisant entre la première décision et la seconde.

39.  Quant à l’examen concret des circonstances propres à l’affaire du second requérant, la cour d’appel constata que la procédure pénale et la procédure fiscale avaient en réalité été conduites en parallèle, et ce depuis la plainte dont le fisc avait saisi la police à l’automne 2007 jusqu’à la décision de majoration d’impôt prise en décembre 2008. Elle jugea la situation similaire à celle du premier requérant. Elle releva que le second requérant avait été inculpé et que le dossier avait été transmis au tribunal d’Oslo, assorti d’une demande de jugement sommaire sur la base des aveux auxquels l’intéressé s’était livré le 11 novembre 2008, antérieurement à la décision de majoration d’impôt. Elle estima donc que, à la date de cette décision, la procédure pénale avait déjà atteint un stade relativement avancé. Elle admit que la période de neuf mois – courant de la date à laquelle la décision du fisc du 5 décembre 2008 était devenue définitive au 30 septembre 2009, date de la condamnation du second requérant par le tribunal d’Oslo – était un peu plus longue que la période de deux mois et demi écoulée dans le cas du premier requérant. Elle considéra néanmoins que cet écart pouvait s’expliquer par la rétractation du second requérant en février 2009, en conséquence de laquelle il avait fallu l’inculper de nouveau le 29 mai 2009 et le juger dans le cadre d’un procès ordinaire. Elle en conclut, à l’instar du tribunal d’Oslo, qu’il existait manifestement un lien matériel et temporel suffisant entre la décision de majoration d’impôt et la condamnation pénale ultérieure.

40.  Le 29 octobre 2010, le Comité de sélection des recours de la Cour suprême refusa au second requérant l’autorisation de former un pourvoi auprès de celle-ci au motif que cela ne se justifiait ni par l’importance générale de l’affaire ni par aucune autre raison.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

41.  Aux termes de l’article 10-2 1) de la loi fiscale de 1980, qui figure dans le chapitre 10 consacré aux majorations d’impôt (Tilleggsskatt), est passible d’une majoration d’impôt tout contribuable qui aura fourni au fisc des informations inexactes ou incomplètes ayant ou risquant d’avoir pour conséquence une erreur dans l’assiette de l’impôt. Conformément à l’article 10-4 1), les majorations d’impôt s’élèvent en principe à 30 % des impôts qui ont été ou risquaient d’être soustraits.

42.  À l’époque où les requérants ont commis leurs infractions, les articles 10-2, 10-3 et 10-4 de cette loi disposaient :

Article 10-2 (majorations d’impôt)

« 1.  Si le fisc s’aperçoit qu’un contribuable lui a communiqué, dans une déclaration de revenus, une déclaration d’actifs, une écriture ou toute autre déclaration verbale ou écrite, des informations inexactes ou incomplètes qui conduisent ou risquent de conduire à une erreur dans l’assiette de l’impôt, il lui est infligé une majoration d’impôt correspondant à un pourcentage des impôts qui ont été ou risquaient d’être soustraits.

Les cotisations à la sécurité sociale sont assimilables à des impôts à cet égard.

2.  Si le contribuable n’a pas produit la déclaration de revenus ou la déclaration d’actifs requise, la majoration d’impôt est calculée à partir de l’impôt fixé dans le redressement.

3.  Un supplément d’actifs ou de revenus justifiant l’imposition d’une majoration d’impôt est réputé représenter la partie supérieure des actifs ou revenus du contribuable. Si le contribuable doit s’acquitter d’une majoration d’impôt fixée sur la base de taux différents pour la même année, les impôts sur la base desquels cette majoration est calculée seront répartis proportionnellement en fonction des actifs ou des revenus auxquels les divers taux s’appliquent.

4.  Les obligations que le présent article fait peser sur le contribuable s’appliquent également à sa succession et à ses ayants droit.

5.  Le contribuable pour lequel une majoration d’impôt est envisagée en est avisé au préalable et un délai lui est fixé de manière à lui permettre de s’exprimer à ce sujet.

6.  Les majorations d’impôt peuvent être fixées dans les délais prévus à l’article 9-6 de la présente loi, en même temps que l’établissement des impôts sur la base desquels elles doivent être calculées, ou ultérieurement, dans le cadre d’une démarche spéciale. »

Article 10-3 (exemption de majoration d’impôt)

« Nulle majoration d’impôt ne peut être imposée :

a)  lorsque les déclarations fiscales du contribuable contiennent une erreur manifeste de calcul ou de typographie,

b)  lorsque l’infraction commise par le contribuable peut être regardée comme excusable pour des raisons tenant à sa santé, à son âge, à son inexpérience ou pour toute autre raison qui ne peut lui être reprochée, ou

c)  lorsque son montant est inférieur à 400 NOK au total. »

Article 10-4 (taux de la majoration d’impôt)

« 1.  Le taux de la majoration d’impôt est en principe de 30 %. Si les actes visés à l’article 10-2 1) sont commis intentionnellement ou par négligence grave, le taux peut aller jusqu’à 60 %. Le taux est fixé à 15 % si les informations inexactes ou incomplètes concernent des éléments déclarés de leur côté par un employeur ou un tiers conformément au chapitre 6 ou si les circonstances peuvent être aisément vérifiées au moyen des informations dont le fisc dispose par ailleurs.

2.  Les majorations d’impôt sont fixées à des taux équivalant à la moitié de ceux indiqués dans les première et troisième phrases du paragraphe 1 du présent article si sont présentes les circonstances prévues à l’article 10-3 b), étant entendu que cela ne justifie pas d’éliminer toute majoration.

3.  Les majorations d’impôt peuvent être calculées avec un taux inférieur à celui indiqué au paragraphe 2 du présent article, voire écartées, si le contribuable, sa succession ou ses ayants droit rectifient ou complètent volontairement les informations précédemment communiquées de sorte que le montant exact des impôts puisse être fixé. Cette disposition ne s’applique pas si le rectificatif peut passer pour la conséquence de mesures de contrôle qui ont été ou seront adoptées, ou d’informations que les autorités fiscales ont obtenues ou pouvaient obtenir de tiers. »

43.  Le chapitre 12, consacré aux sanctions pénales (straff), comporte les dispositions suivantes pertinentes en l’espèce :

Article 12-1 (fraude fiscale)

« 1.  Doit être sanctionnée pour fraude fiscale toute personne qui, intentionnellement ou par négligence grave,

a)  communique aux autorités fiscales des informations inexactes ou incomplètes tout en sachant ou tout en étant censée savoir qu’elle peut en tirer des avantages fiscaux (...) »

Article 12-2 (fraude fiscale aggravée)

« 1.  La fraude fiscale aggravée est punie d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à six ans. La complicité est punissable des mêmes peines.

2.  Pour déterminer si la fraude fiscale est aggravée, on accordera un poids particulier au point de savoir si elle risque d’entraîner la soustraction de montants très importants en impôts, si elle est exécutée d’une manière qui en rend la découverte particulièrement difficile, si elle est le fruit d’un abus d’autorité ou de confiance ou si elle résulte d’une complicité dans l’exercice de fonctions professionnelles.

3.  En application des critères énumérés au paragraphe 2 ci-dessus, plusieurs infractions peuvent être prises en compte conjointement.

4.  Le présent article est applicable même en cas d’ignorance des circonstances aggravantes si celle-ci est le fruit d’une négligence grave. »

44.  Selon la jurisprudence de la Cour suprême, l’imposition d’une majoration d’impôt de 60 % doit être qualifiée d’« accusation en matière pénale » au sens de l’article 6 de la Convention (Rt. 2000, p. 996). Dès lors que des poursuites pénales ont été ensuite engagées pour le même comportement, la juridiction de jugement doit prononcer leur abandon, faute de quoi il y aurait violation de l’article 4 du Protocole no 7 (deux arrêts en formation plénière rendus le 3 mai 2002 et publiés au Rt. 2002, p. 557, et au Rt. 2002, p. 497).

45.  La Cour suprême a également conclu que l’application d’une majoration d’impôt de 30 % était constitutive d’une « accusation en matière pénale » au sens de l’article 6 de la Convention (troisième arrêt, rendu le 3 mai 2002, Rt. 2002, p. 509). Dans des arrêts ultérieurs publiés au Rt. 2004, p. 645, et au Rt. 2006, p. 1409, elle a dit qu’une majoration d’impôt de 30 % revêtait également un caractère pénal sur le terrain de l’article 4 du Protocole no 7.

46.  Il faut encore signaler que, pour ce qui est de la nature des majorations d’impôt ordinaires de 30 %, la Cour suprême s’est appuyée sur des travaux préparatoires de la loi (Ot.prp.nr 29 (1978-1979), pp. 44-45). Elle a jugé que le ministère attachait beaucoup d’importance à des considérations de prévention générale. Un risque élevé de sanction sous forme de majoration d’impôt aurait été jugé plus dissuasif que des sanctions (pénales) moins nombreuses et plus lourdes. La majoration d’impôt serait censée être avant tout une réaction à la communication au fisc par le contribuable de déclarations ou d’informations inexactes ou incomplètes, et une compensation des ressources humaines et financières considérables consacrées par la collectivité aux contrôles et enquêtes. Il aurait été estimé que les coûts ainsi entraînés devaient dans une certaine mesure être supportés par ceux qui fournissaient les informations inexactes ou incomplètes (Rt. 2002, pp. 509, 520). Les buts poursuivis par le régime des majorations d’impôt ordinaires se caractériseraient avant tout par la nécessité de garantir le respect effectif par le contribuable de son devoir de fournir des informations et par des considérations de prévention générale (Rt. 2006, p. 1409). Le contribuable aurait le devoir de communiquer les informations et éléments nécessaires à l’établissement de son assiette fiscale. Essentiel à l’ensemble du système fiscal national, ce devoir serait étayé par un mécanisme de contrôles et de sanctions efficaces en cas de manquement. Le calcul de l’impôt serait une opération massive faisant intervenir des millions de citoyens. La majoration d’impôt aurait pour finalité de renforcer les fondations du système fiscal national. Il serait admis qu’un système fiscal en bon état de marche est indispensable au fonctionnement de l’État et donc de la société (Rt. 2002, pp. 509, 525).

47.  Par un arrêt adopté par la formation plénière de la Cour suprême le 14 septembre 2006 à la suite de la décision d’irrecevabilité rendue le 14 septembre 2004 par la Cour en l’affaire Rosenquist c. Suède ((déc.) no 60619/00, 14 septembre 2004), la haute juridiction a dit que l’imposition d’une majoration d’impôt de 30 % et une procédure pénale pour fraude fiscale ne correspondaient pas à la même infraction au sens de l’article 4 du Protocole no 7 (Rt. 2006, p.1409). Dans son arrêt rendu en septembre 2010 concernant le premier requérant, elle a opéré un revirement de cette jurisprudence, jugeant que la procédure administrative et la procédure pénale concernaient la même infraction pour les besoins de l’article 4 du Protocole no 7 (paragraphe 20 ci-dessus).

48.  Parallèlement, à la suite de l’arrêt rendu par la Cour le 10 février 2009 dans l’affaire précitée Sergueï Zolotoukhine, le procureur général (Riksadvokaten) publia le 3 avril 2009 des instructions (RA-2009-187) avec prise d’effet immédiate. D’après celles-ci, l’arrêt de la Cour suprême de 2006 ne pouvait plus être suivi. Le texte se lisait notamment comme suit :

« 4.  La même infraction – la notion d’identité

Il est communément admis que la notion d’identité d’infractions (idem) contenue à l’article 4 du Protocole no 7 comporte deux aspects : l’un relatif aux circonstances factuelles et l’autre relatif au droit. Selon cette interprétation, la seconde procédure (en pratique, le procès pénal) ne porte sur la même infraction que la procédure antérieure (en pratique, la majoration d’impôt) que si elles concernent toutes deux les mêmes faits – le « même comportement » – et si la teneur des dispositions pertinentes est dans une large mesure identique (c’est-à-dire si elles renferment les « mêmes éléments essentiels »).

Dans son arrêt rendu en formation plénière (Rt. 2006, p. 1409), la Cour suprême – se référant en particulier à la décision d’irrecevabilité rendue par la Cour le 14 septembre 2004 en l’affaire Rosenquist c. Suède (déc.), no 60619/00 – a jugé qu’une décision infligeant une majoration d’impôt au taux ordinaire ne faisait pas obstacle à l’ouverture ultérieure d’un procès pénal, l’une et l’autre des procédures ayant pour objet des infractions différentes au sens de l’article 4 du Protocole no 7. La majorité (14 voix) a estimé que les dispositions régissant la majoration d’impôt ordinaire, énoncées à l’article 10-2, voire à l’article 10-4 1), première phrase, de la loi fiscale, ne renfermaient pas les mêmes éléments essentiels que la disposition pénale énoncée à l’article 12-1 de cette même loi. Pour la Cour suprême, la différence décisive tenait à ce que, si la disposition pénale n’était applicable que lorsqu’il y a intention ou négligence grave, les majorations d’impôt ordinaires l’étaient sur la base de critères plus ou moins objectifs. La haute juridiction a également évoqué la différence de finalité de ces sanctions.

Dans son arrêt de Grande Chambre Sergueï Zolotoukhine, la Cour s’est livrée à une analyse minutieuse de la notion d’identité d’infractions (idem) tirée de l’article 4 du Protocole no 7, à l’issue de laquelle elle s’est écartée de l’interprétation qui avait cours auparavant. Depuis cet arrêt, il est clair que la question de savoir si l’une et l’autre des procédures concernaient la même infraction doit être analysée sur la base des seuls faits (voir en particulier les paragraphes 82 et 84 de l’arrêt). Les deux procédures auront pour objet la même infraction si elles ont pour origine « des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes » (paragraphe 82). Il faut donc faire porter l’« examen sur ces faits qui constituent un ensemble de circonstances factuelles concrètes impliquant le même contrevenant et indissociablement liées entre elles dans le temps et l’espace » (paragraphe 84).

De l’avis du procureur général, le jugement porté par la Cour suprême dans son arrêt publié au Rt. 2006, p. 1409, qui se fondait principalement sur des différences dans les critères de culpabilité, ne tient plus depuis l’arrêt Sergueï Zolotoukhine. Dès lors que l’application de la majoration d’impôt et le procès pénal ultérieur reposent sur la même action ou omission, comme c’est normalement le cas, il faut supposer que, en application de l’article 4 du Protocole no 7, la majoration d’impôt ordinaire fait également obstacle à des poursuites pénales ultérieures. Le procureur général a déduit de ses entretiens avec la direction des impôts que telle est la position de celle-ci.

La nouvelle conception de la notion d’identité d’infractions sur le terrain de l’article 4 du Protocole no 7 soulèvera incontestablement de nouvelles questions sur l’ampleur des différences que devront avoir les circonstances factuelles pour qu’il puisse être conclu à l’absence d’identité. Cependant, il s’agit de questions qui devront être tranchées en pratique au cas par cas. Il faut noter que le raisonnement de l’arrêt Sergueï Zolotoukhine montre que la Cour est moins disposée que le droit interne norvégien à considérer une séquence d’événements comme un tout pour ce qui est de rechercher s’il y a infraction continuée ou non.

5.  Nouvelle procédure

Comme on le sait, les instructions antérieures (voir en particulier la section 3 de la lettre du 26 mars 2007 (RA-2007-120) adressée par le procureur général aux bureaux régionaux des procureurs et aux directeurs de la police) reposaient sur la possibilité d’appliquer aux majorations d’impôt ordinaires le système à deux niveaux instauré par la loi fiscale. Depuis le revirement opéré dans la jurisprudence de la Cour, il faut appliquer un système « à un niveau » également pour les majorations d’impôt ordinaires.

Ainsi qu’il a déjà été dit, le procureur général et la direction des impôts n’estiment pas justifiable d’ouvrir un nouveau procès en supposant que les tribunaux ne concluront plus que l’application d’une majoration d’impôt ordinaire constitue une sanction pénale au sens de la Convention. On pourrait peut-être défendre cette thèse, mais elle comporte trop d’incertitudes. Il faut aussi tenir compte du nombre relativement important d’affaires en jeu.

Quand bien même la jurisprudence de la Cour en matière de procédures parallèles n’aurait pas changé, nous estimons – comme auparavant – que, si un grand nombre d’actions en justice sont formées – ce qui risque d’être le cas –, il sera trop compliqué d’intenter un procès sur la base de procédures parallèles, c’est-à-dire devant l’administration et devant le juge. Il faut signaler aussi que, dans tel ou tel cas, si les circonstances le permettent, des transactions peuvent être conclues en tenant compte de l’éventualité de procédures parallèles.

À l’issue des discussions, le procureur général et la direction des impôts conviennent de la procédure suivante : (...) »

49.  Les instructions fixent ensuite les modalités de la « nouvelle procédure ».

a)  S’agissant des affaires nouvelles, c’est-à-dire celles sur lesquelles le fisc n’a pas encore statué, celui-ci doit examiner de manière indépendante si le fait punissable est d’une gravité telle qu’il mérite d’être signalé à la police. Si le fisc décide d’en saisir la police, aucune majoration d’impôt ne peut être appliquée. S’il faut appliquer une majoration d’impôt, la police ne peut être saisie.

S’agissant des affaires dont la police a été saisie, il est souligné que l’imposition d’une amende (par le biais d’une notification de peine ou d’un jugement au pénal) fait obstacle à l’application ultérieure d’une majoration d’impôt. Si le parquet estime qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir des poursuites pénales, l’affaire doit être renvoyée au fisc pour que celui-ci en reprenne l’examen, et l’intéressé doit en être avisé.

Dans les affaires où le fisc applique une majoration d’impôt ordinaire tout en signalant l’affaire à la police mais où l’ouverture de poursuites n’est pas encore décidée (« en instance de décision »), il faut renoncer à celles-ci.

b)  Dans les affaires où une notification de peine a été délivrée mais n’a pas été acceptée et où le fisc a appliqué une majoration d’impôt avant de signaler l’affaire à la police, il faut clore la procédure. Les notifications de peine qui ont été acceptées doivent être annulées par les hautes instances du parquet. En revanche, en vertu du pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 392 1) du code de procédure pénale, reconnu par la Cour suprême en formation plénière dans son arrêt publié au Rt. 2003, p. 359, il n’est pas nécessaire d’annuler les notifications de peine acceptées avant le 10 février 2009, date du prononcé de l’arrêt Sergueï Zolotoukhine.

c)  S’agissant des affaires passant en jugement devant les tribunaux de première instance – sur la base d’un acte d’inculpation, d’une notification de peine non acceptée ou d’une demande de jugement sur la base d’une reconnaissance de culpabilité dans le cadre d’une procédure sommaire –, le parquet doit clore la procédure et abandonner les poursuites si l’audience n’a pas encore eu lieu ou, si celle-ci a eu lieu, demander le rejet de l’affaire. Le parquet doit faire appel de toute condamnation non encore définitive et exécutoire en faveur de la personne visée et, quelle que soit l’issue en première instance, demander l’annulation du jugement de première instance et le rejet de l’affaire par les tribunaux.

d)  Il n’est pas question de rouvrir le procès lorsque le jugement est devenu définitif et exécutoire antérieurement à la date du prononcé de l’arrêt Sergueï Zolotoukhine, c’est-à-dire avant le 10 février 2009. Pour ce qui est des jugements postérieurs à cette date, la réouverture pourrait être envisagée dans des cas exceptionnels mais l’intéressé doit être informé que le parquet ne demandera pas d’office la réouverture.

50.  Pour ce qui est de l’imposition de plusieurs sanctions pénales pour le même comportement, l’article 29 du code pénal (Straffeloven) de 2005 dispose que la peine globale en résultant doit raisonnablement correspondre à l’infraction commise. Cette disposition reflète à l’évidence le principe général de proportionnalité, applicable aussi à la fixation des sanctions pénales en droit norvégien sous l’empire de l’ancien code pénal de 1902. Dans un arrêt publié au Rt. 2009, p. 14, qui concernait une procédure pénale pour fraude fiscale, la Cour suprême a déduit des principes énoncés dans le code pénal de 1902 qu’il fallait tenir compte de toute sanction déjà infligée à l’accusé – en l’occurrence une majoration d’impôt de nature administrative – pour la fraude fiscale dont il était l’auteur, et en a conclu qu’il ne devait pas être traité plus sévèrement que si l’infraction pénale de fraude fiscale avait été jugée en même temps que le comportement sanctionné dans le cadre de la procédure administrative. Dans un arrêt publié au Rt. 2011, p. 1509, elle a confirmé ce qu’elle avait dit dans une décision antérieure, publiée au Rt. 2005, p. 129, à savoir que le principe (énoncé dans un arrêt publié au Rt. 2004, p. 645) selon lequel un montant correspondant à la majoration d’impôt administrative ordinaire de 30 % pouvait être englobé dans l’amende, n’était pas applicable aux affaires de fraude fiscale à caractère pénal, où il y avait lieu de prononcer des peines d’emprisonnement en plus des amendes. Elle a également confirmé que, comme elle l’avait dit dans sa décision de 2005, si une majoration d’impôt administrative ne pouvait plus être imposée, l’amende de nature pénale devait être plus lourde.

III.  L’AFFAIRE ÅKERBERG FRANSSON DEVANT LA COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE

51.  Dans ses conclusions présentées le 12 juin 2012 en l’affaire Åkerberg Fransson de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), C617/10, EU:C:2012:340, l’avocat général Cruz Villalón a dit ceci :

« 2.  Analyse des deuxième, troisième et quatrième questions préjudicielles

70.  La question posée par le [tribunal de] Haparanda (...) est particulièrement complexe et s’avère tout aussi délicate que la question qui vient d’être traitée. D’un côté, la double sanction administrative et pénale est une pratique très répandue dans les États membres, surtout dans des domaines tels que ceux de la fiscalité, des politiques environnementales ou de la sécurité publique. Toutefois, les modalités relatives au cumul des sanctions varient énormément entre les ordres juridiques et revêtent des caractéristiques spécifiques et propres à chaque État membre. Dans la plupart des cas, ces spécificités visent à atténuer les effets d’une double réaction punitive de la part des pouvoirs publics. D’un autre côté, comme nous le verrons par la suite, la Cour de Strasbourg s’est prononcée récemment à ce sujet et a confirmé que, contrairement à ce qu’il semblait au début, ces pratiques étaient contraires au droit fondamental ne bis in idem figurant à l’article 4 du Protocole no 7 de la CEDH. Cependant, il s’avère que tous les États membres n’ont pas ratifié cette disposition, puisqu’ils ont introduit, dans certains cas, des réserves ou des déclarations interprétatives à ce sujet. Il s’ensuit que l’obligation d’interpréter la charte à la lumière de la CEDH et de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg (article 52, paragraphe 3, de la charte) devient en quelque sorte asymétrique en ce qu’elle pose de gros problèmes dans son application au cas particulier.

a)  L’article 4 du Protocole no 7 de la CEDH et la jurisprudence de la Cour de Strasbourg y afférente

i)  Signature et ratification de l’article 4 du Protocole no 7 de la CEDH

71.  Le principe ne bis in idem ne fait pas expressément partie de la CEDH depuis le début. Son incorporation à la convention a eu lieu, comme on le sait, par le biais de son Protocole no 7, ouvert à la signature le 22 novembre 1984 et entré en vigueur le 1er novembre 1988. Entre autres droits, l’article 4 énonce la garantie du ne bis in idem dans le but, selon les explications sur le protocole fournies par le Conseil de l’Europe, de concrétiser le principe en vertu duquel nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif.

72.  À la différence d’autres droits contenus dans la CEDH, le droit prévu à l’article 4 du Protocole no 7 de la CEDH n’a pas été unanimement accepté par les États signataires de la convention, dont différents États membres de l’Union. Au jour de la lecture des présentes conclusions, le Protocole no 7 n’est pas encore ratifié par la République fédérale d’Allemagne, le Royaume de Belgique, le Royaume des PaysBas et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. Parmi les États qui l’ont ratifiée, la République française a formulé une réserve à l’article 4 dudit protocole, en limitant son application aux seules infractions de nature pénale (...). De même, à l’occasion de la signature, la République fédérale d’Allemagne, la République d’Autriche, la République italienne et la République portugaise ont formulé différentes déclarations contenant la même indication : la portée limitée de l’article 4 du Protocole no 7, dont la protection ne concerne que la double sanction « pénale » au sens où l’entend l’ordre juridique interne (...)

73.  Les éléments qui précèdent montrent clairement et sans équivoque que les problèmes que pose la double sanction administrative et pénale sont marqués par un grave défaut de consensus entre les États membres de l’Union. Le caractère problématique du contexte est patent à en juger par les négociations sur la future adhésion de l’Union à la CEDH, au cours desquelles les États et l’Union ont décidé d’exclure, pour le moment, les protocoles de la CEDH, y compris celui en cause dans cette affaire (...)

74.  Ce défaut de consensus peut s’expliquer par l’importance que revêtent les instruments de répression administrative dans bon nombre d’États membres, ainsi que par l’accent particulier qui est mis, dans ces États membres, à la fois sur la procédure et sur la sanction pénales. D’un côté, les États ne veulent pas renoncer à l’efficacité qui caractérise la sanction administrative, en particulier dans des domaines où les pouvoirs publics tiennent à s’assurer du strict respect de la légalité, tels que le droit fiscal ou le droit de la sécurité publique. D’un autre côté, le caractère exceptionnel de l’intervention pénale ainsi que les garanties dont l’accusé bénéficie pendant le procès incitent les États à se réserver une marge d’appréciation pour déterminer les comportements qui doivent faire l’objet de poursuites pénales. Ce double intérêt à conserver un pouvoir de sanction à la fois administrative et pénale explique pourquoi un grand nombre d’États membres refusent actuellement, d’une manière ou d’une autre, de se soumettre à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, laquelle, comme nous allons le voir maintenant, a évolué dans un sens qui exclut pratiquement cette dualité. »

52.  Dans son arrêt du 26 février 2013 C-617/10, EU:C:2013:105, la CJUE (Grande Chambre) a notamment dit ceci :

« Sur les questions préjudicielles

Sur les deuxième, troisième et quatrième questions

32.  Par ces questions, auxquelles il convient de répondre de manière conjointe, le [tribunal de] Haparanda (...) demande, en substance, à la Cour s’il convient d’interpréter le principe ne bis in idem énoncé à l’article 50 de la Charte en ce sens qu’il s’oppose à ce que des poursuites pénales pour fraude fiscale soient diligentées contre un prévenu, dès lors que ce dernier a déjà fait l’objet d’une sanction fiscale pour les mêmes faits de fausse déclaration.

33.  S’agissant de l’application du principe ne bis in idem énoncé à l’article 50 de la Charte à des poursuites pénales pour fraude fiscale telles que celles qui sont l’objet du litige au principal, elle suppose que les mesures qui ont déjà été adoptées à l’encontre du prévenu au moyen d’une décision devenue définitive revêtent un caractère pénal.

34.  À cet égard, il convient de relever, tout d’abord, que l’article 50 de la Charte ne s’oppose pas à ce qu’un État membre impose, pour les mêmes faits de non-respect d’obligations déclaratives dans le domaine de la TVA, une combinaison de sanctions fiscales et pénales. En effet, afin de garantir la perception de l’intégralité des recettes provenant de la TVA et, ce faisant, la protection des intérêts financiers de l’Union, les États membres disposent d’une liberté de choix des sanctions applicables (voir, en ce sens, arrêts du 21 septembre 1989, Commission/Grèce, 68/88, Rec. p. 2965, point 24 ; du 7 décembre 2000, de Andrade, C213/99, Rec. p. I11083, point 19, et du 16 octobre 2003, Hannl-Hofstetter, C91/02, Rec. p. I12077, point 17). Celles-ci peuvent donc prendre la forme de sanctions administratives, de sanctions pénales ou d’une combinaison des deux. Ce n’est que lorsque la sanction fiscale revêt un caractère pénal, au sens de l’article 50 de la Charte, et est devenue définitive que ladite disposition s’oppose à ce que des poursuites pénales pour les mêmes faits soient diligentées contre une même personne.

35.  Ensuite, il y a lieu de rappeler que, aux fins de l’appréciation de la nature pénale de sanctions fiscales, trois critères sont pertinents. Le premier est la qualification juridique de l’infraction en droit interne, le deuxième la nature même de l’infraction et le troisième la nature ainsi que le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé (arrêt du 5 juin 2012, Bonda, C489/10, point 37).

36.  Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier, à la lumière de ces critères, s’il y a lieu de procéder à un examen du cumul de sanctions fiscales et pénales prévu par la législation nationale par rapport aux standards nationaux au sens du point 29 du présent arrêt, ce qui pourrait l’amener, le cas échéant, à considérer ce cumul comme contraire auxdits standards, à condition que les sanctions restantes soient effectives, proportionnées et dissuasives (voir en ce sens, notamment, arrêts Commission/Grèce, précité, point 24 ; du 10 juillet 1990, Hansen, C326/88, Rec. p. I2911, point 17 ; du 30 septembre 2003, Inspire Art, C167/01, Rec. p. I10155, point 62 ; du 15 janvier 2004, Penycoed, C230/01, Rec. p. I937, point 36, ainsi que du 3 mai 2005, Berlusconi e.a., C387/02, C391/02 et C403/02, Rec. p. I3565, point 65).

37.  Il découle des considérations qui précèdent qu’il convient de répondre aux deuxième, troisième et quatrième questions que le principe ne bis in idem énoncé à l’article 50 de la Charte ne s’oppose pas à ce qu’un État membre impose, pour les mêmes faits de non-respect d’obligations déclaratives dans le domaine de la TVA, successivement une sanction fiscale et une sanction pénale dans la mesure où la première sanction ne revêt pas un caractère pénal, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier. »

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 4 DU PROTOCOLE No 7 À LA CONVENTION

53.  Les requérants soutiennent tous deux avoir été poursuivis et sanctionnés deux fois pour la même infraction relevant de l’article 12-1 (chapitre 12) de la loi fiscale, en violation de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention : ils allèguent avoir été interrogés en tant qu’accusés et inculpés par le parquet, frappés de majorations d’impôt par le fisc, payées par eux, puis reconnus coupables et sanctionnés au pénal. L’article 4 du Protocole no 7 est ainsi libellé :

« 1.  Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État.

2.  Les dispositions du paragraphe précédent n’empêchent pas la réouverture du procès, conformément à la loi et à la procédure pénale de l’État concerné, si des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental dans la procédure précédente sont de nature à affecter le jugement intervenu.

3.  Aucune dérogation n’est autorisée au présent article au titre de l’article 15 de la Convention. »

54.  Le Gouvernement récuse cette thèse.

A.  Sur la recevabilité

55.  La Cour estime que les requêtes soulèvent des questions complexes du point de vue des faits et du droit de la Convention, de sorte qu’elle ne saurait les rejeter pour défaut manifeste de fondement au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Constatant par ailleurs qu’elles ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité, elle les déclare recevables.

B.  Sur le fond

1.  Les requérants

56.  Les requérants soutiennent que, au mépris de l’article 4 du Protocole no 7, ils ont fait l’objet d’une double incrimination pour le même motif, à savoir une infraction relevant de l’article 12-1 1) de la loi fiscale. Ils disent en effet avoir été d’abord interrogés comme accusés et inculpés par le parquet et frappés de majorations d’impôt par le fisc, acceptées et payées par chacun d’eux, puis condamnés pénalement. Se référant à la chronologie des procédures dénoncées, le premier requérant ajoute qu’il a fait l’objet de doubles poursuites pendant un laps de temps important, ce qui aurait fait peser sur lui un fardeau excessivement lourd, tant physiquement que psychologiquement, en conséquence de quoi il aurait été victime d’un infarctus et aurait dû être hospitalisé.

a)  Les premières procédures revêtaient-elles un caractère pénal ?

57.  Partageant l’analyse de la Cour suprême fondée sur les critères Engel énoncés dans l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire Engel et autres c. Pays-Bas (8 juin 1976, § 82, série A no 22) et sur d’autres éléments pertinents de jurisprudence interne concernant la majoration d’impôt au taux ordinaire de 30 %, les requérants jugent manifeste que non seulement la procédure pour fraude fiscale mais aussi la procédure de majoration d’impôt étaient de nature « pénale » et que ces deux procédures doivent donc être qualifiées de « pénales » pour les besoins de l’article 4 du Protocole no 7.

b)  Les infractions étaient-elles les mêmes (in idem) ?

58.  Les requérants souscrivent également à l’avis de la Cour suprême lorsqu’elle a dit qu’il ne faisait aucun doute que les circonstances factuelles à l’origine des majorations d’impôt et des poursuites pénales avaient suffisamment de points communs pour être considérées comme constitutives de la même infraction. Ils estiment en effet que, dans un cas comme dans l’autre, la base factuelle était l’omission de revenus dans leur déclaration fiscale.

c)  Les procédures fiscales ont-elles fait l’objet de décisions définitives et, dans l’affirmative, à quel moment ?

59.  Les requérants soutiennent que les décisions par lesquelles le fisc leur a appliqué des majorations d’impôt étaient devenues définitives et passées en force de chose jugée le 15 décembre 2008 s’agissant du premier requérant et le 26 décembre 2008 s’agissant du second requérant, soit antérieurement à leur condamnation pour les mêmes comportements, intervenue le 2 mars 2009 pour le premier requérant et le 30 septembre 2009 pour le second requérant. Qu’il faille regarder ou non ces sanctions comme issues de procédures dites parallèles, les décisions de majoration d’impôt prises contre eux seraient devenues définitives et exécutoires avant qu’ils ne fussent reconnus coupables à raison d’un comportement strictement identique respectivement par le tribunal de Follo et par le tribunal d’Oslo. Les sanctionner pénalement aurait donc emporté violation du principe non bis in idem consacré à l’article 4 du Protocole no 7.

d)  Y a-t-il eu répétition des poursuites (bis) ?

60.  Les requérants se disent victimes d’une répétition des poursuites proscrite par l’article 4 du Protocole no 7. Les procédures administratives de majoration d’impôt revêtant effectivement selon eux un caractère pénal, le parquet aurait été tenu par cette disposition de mettre fin aux poursuites pénales dès que l’issue de ces procédures administratives était devenue définitive. Or il ne l’aurait pas fait.

61.  Pour les requérants, si le droit norvégien autorise la conduite de procédures parallèles, le recours à ce procédé par les autorités internes a permis à ces dernières de coordonner leurs démarches de manière à contourner l’interdiction posée à l’article 4 du Protocole no 7 et à rendre ainsi illusoire la protection offerte par cette disposition. Dans le cas du premier requérant, en particulier, l’ouverture de procédures parallèles semblerait avoir été une manœuvre organisée de concert par le parquet et le fisc.

62.  Les requérants affirment que, en l’espèce, le parquet a simplement attendu que le fisc décide d’appliquer des majorations d’impôt pour renvoyer les affaires en jugement. Les procédures pénale et administrative auraient ainsi été coordonnées de façon à les piéger au moyen de deux corps différents de règles pénales et ainsi à leur faire payer des impôts supplémentaires et des majorations d’impôt et à les faire condamner pour le même comportement, autrement dit à les soumettre à une double incrimination. Du point de vue de la sécurité juridique, la possibilité de conduire des procédures parallèles poserait problème. L’importante finalité de l’article 4 du Protocole no 7, à savoir empêcher que le justiciable soit contraint de supporter un fardeau excessif, militerait en faveur d’une limitation de la faculté pour les autorités de mener des procédures parallèles.

63.  Les requérants considèrent que, sous l’angle des garanties procédurales, cette faculté pour le fisc et le parquet d’organiser de concert la conduite de procédures parallèles est contraire à l’interdiction de la double incrimination posée à l’article 4 du Protocole no 7 et à la jurisprudence récente de la Cour, ainsi qu’à certains jugements nationaux. Ils estiment dès lors que ce procédé, qui a permis en l’espèce à des autorités différentes de mettre sur pied des procédures parallèles, semble assez contestable et ne tient pas dûment compte des pressions ainsi exercées sur le justiciable pas plus que des principaux intérêts protégés par l’article 4 du Protocole no 7.

64.  Au cours du cauchemar qu’ils disent avoir vécu en l’espèce, les requérants auraient été rassurés lorsque le premier d’entre eux aurait appris par l’agent des impôts qu’il pouvait désormais « pousser un soupir de soulagement » en raison de l’adoption de nouvelles instructions écrites par le service du procureur général le 3 avril 2009, lesquelles auraient interdit la répétition des poursuites et les doubles incriminations dans les cas comme le sien. S’appuyant sur l’arrêt Sergueï Zolotoukhine, ces nouvelles instructions auraient notamment disposé que, en appel – qu’il y ait eu condamnation ou acquittement en première instance –, le parquet devait requérir l’annulation du jugement et la clôture de la procédure. Les requérants précisent que, en conséquence de ces nouvelles instructions et de la qualification de sanction pénale donnée aux majorations d’impôt, et puisque les décisions appliquant celles-ci étaient devenues définitives et passées en force de chose jugée à leur égard, il était raisonnable qu’ils s’attendent à l’abandon des poursuites pénales dirigées contre eux par l’effet de l’interdiction de la double incrimination posée par l’article 4 du Protocole no 7. De plus, en vertu de ces instructions, d’autres personnes accusées des mêmes infractions dans le même groupe d’affaires ne se seraient pas vu appliquer de majorations d’impôt parce qu’elles avaient déjà été reconnues coupables et condamnées à une peine d’emprisonnement pour violation de l’article 122 de la loi fiscale. Or, à l’inverse de ces autres personnes, les requérants auraient été reconnus coupables et frappés de peines d’emprisonnement alors qu’ils avaient dû verser un supplément d’impôt et une majoration d’impôt à raison du même comportement. La thèse du Gouvernement soulignant la nécessité d’assurer une égalité de traitement avec les autres personnes inculpées de la même infraction de fraude fiscale ne serait donc pas convaincante.

65.  Les requérants se disent d’autant plus gravement affectés sur le plan psychologique que, malgré les instructions susmentionnées, le parquet a poursuivi leur procès en invoquant la légalité des procédures parallèles et a rejeté leurs demandes tendant à l’annulation de leur condamnation en première instance et au rejet par les tribunaux des procédures pénales. À cet effet, le premier requérant produit divers certificats médicaux, dont un délivré par une clinique pour une intervention de chirurgie cardiaque.

2.  Le Gouvernement

a)  Les premières procédures revêtaient-elles un caractère pénal ?

66.  Le Gouvernement invite la Grande Chambre à confirmer l’approche suivie dans une série d’affaires antérieures à l’arrêt Sergueï Zolotoukhine, selon laquelle le caractère « pénal » d’une sanction, pour les besoins de l’article 4 du Protocole no 7, s’apprécie sur la base d’un groupe plus large de facteurs que les critères Engel (formulés sur le terrain de l’article 6). Selon lui, il faut tenir compte de la qualification juridique de l’infraction en droit interne, de la nature de celle-ci, de la qualification de la sanction en droit interne, et de son but, de sa nature et de son degré de sévérité, ainsi que de la question de savoir si elle a été imposée à la suite d’une condamnation pour une infraction pénale, et des procédures associées à son adoption et à son exécution (le Gouvernement cite les affaires Malige c. France, 23 septembre 1998, § 35, Recueil des arrêts et décisions 1998VII, et Nilsson c. Suède (déc.), no 73661/01, CEDH 2005XIII, Haarvig c. Norvège (déc.), no 11187/05, 11 décembre 2007, Storbråten c. Norvège (déc.), no 12277/04, 1er février 2007, et Mjelde c. Norvège (déc.), no 11143/04, 1er février 2007).

67.  Le Gouvernement soutient entre autres que les différences dans le libellé et l’objet de ces dispositions montrent clairement que le mot « pénalement » employé à l’article 4 du Protocole no 7 s’entend en un sens plus étroit que l’expression « en matière pénale » figurant à l’article 6. Il ressortirait du rapport explicatif du Protocole no 7 que le libellé de l’article 4 a été conçu pour viser les procédures pénales stricto sensu. Ce rapport indiquerait en son paragraphe 28 qu’il n’était pas apparu nécessaire de qualifier l’infraction de « pénale » car le libellé de l’article 4, « qui contient déjà les termes « pénalement » et « procédure pénale », rendait cette précision inutile dans le texte même de l’article ». Il soulignerait en son paragraphe 32 que l’article 4 du Protocole no 7 n’interdit pas les procédures « d’un caractère différent (par exemple une procédure disciplinaire, dans le cas d’un fonctionnaire) ». De plus, l’article 6 et l’article 4 du Protocole no 7 poursuivraient des fins différentes, voire parfois opposées, le premier ayant pour but de renforcer les garanties procédurales en matière pénale.

68.  Le Gouvernement met également en avant un certain nombre de différences supplémentaires dans la manière dont ces deux dispositions ont été interprétées et appliquées dans la jurisprudence de la Cour, notamment le caractère absolu de l’article 4 du Protocole no 7 (non susceptible de dérogation au titre de l’article 15), par opposition à l’approche nuancée suivie par la Cour sur le terrain de l’article 6. Il cite l’arrêt Jussila c. Finlande ([GC], no 73053/01, § 43, CEDH 2006XIV), où la Grande Chambre de la Cour a dit : « il va de soi que (...) les « accusations en matière pénale » n’ont pas toutes le même poids » et que « [l]es majorations d’impôt ne faisant pas partie du noyau dur du droit pénal, les garanties offertes par le volet pénal de l’article 6 ne doivent pas nécessairement s’appliquer dans toute leur rigueur ».

69.  Se fondant sur le groupe plus large de critères susmentionné, le Gouvernement prie la Cour de dire que les majorations d’impôt au taux ordinaire ne revêtent pas un caractère « pénal » au sens de l’article 4 du Protocole no 7.

70.  Le Gouvernement avance toutefois les arguments exposés cidessous pour le cas où la Grande Chambre viendrait à adopter l’autre approche, fondée sur les seuls critères Engel, et à conclure que la décision de majoration d’impôt au taux ordinaire était « pénale » au sens autonome donné à ce terme sur le terrain de l’article 4 du Protocole no 7.

b)  Les infractions étaient-elles les mêmes (in idem) ?

71.  Partageant le raisonnement et les conclusions adoptés par la Cour suprême dans le procès du premier requérant (paragraphes 20-30 cidessus) et repris par la cour d’appel dans le procès du second requérant (paragraphe 37 ci-dessus), le Gouvernement admet que les circonstances factuelles à l’origine des procédures de majoration d’impôt et des procès pour fraude fiscale visaient les mêmes contrevenants et étaient indissociablement liées entre elles dans le temps et dans l’espace.

c)  Les procédures fiscales ont-elles fait l’objet de décisions définitives ?

72.  Le Gouvernement rappelle que, dans un souci de protection effective et de clarté de la jurisprudence, la Cour suprême a conclu que la décision de redressement était devenue définitive à l’expiration du délai de recours administratif de trois semaines (soit le 15 décembre 2008 pour le premier requérant et le 26 décembre 2008 pour le second), alors même que le délai de recours en justice de six mois prévu à l’article 11-1 4) du chapitre 11 de la loi fiscale n’avait pas encore expiré. S’il estime que ce point n’est guère déterminant en l’espèce (le délai de recours en justice ayant lui aussi pris fin antérieurement à la date de clôture de la procédure pénale alors pendante, à savoir le 24 mai 2009 pour le premier requérant et le 5 juin 2009 pour le second), il ne s’interroge pas moins sur la nécessité d’une interprétation aussi stricte de l’article 4 du Protocole no 7. S’appuyant sur l’arrêt Sergueï Zolotoukhine (précité, § 108), il soutient que la jurisprudence de la Cour semble confirmer que « [l]es décisions susceptibles d’un recours ordinaire ne bénéficient pas de la garantie que renferme l’article 4 du Protocole no 7 tant que le délai d’appel n’est pas expiré ». À son avis, les requérants avaient toujours la faculté de former des recours ordinaires sous la forme d’un recours judiciaire dans les six mois à compter de la date des décisions en cause.

d)  Y a-t-il eu répétition des poursuites (bis) ?

73.  En revanche, s’appuyant là encore sur l’analyse de la Cour suprême, le Gouvernement souligne que l’article 4 du Protocole no 7 permet, dans certaines conditions, ce qu’il est convenu d’appeler des « procédures parallèles ». Le libellé de cette disposition indiquerait clairement qu’elle interdit la répétition des poursuites une fois passée en force de chose jugée la décision rendue à l’issue de la première procédure (« poursuivi ou puni pénalement (...) en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif »). Le rapport explicatif du Protocole no 7 confirmerait que le principe non bis in idem est d’interprétation relativement étroite. C’est ce qui ressortirait de l’arrêt Sergueï Zolotoukhine (précité, § 83), dans lequel la Grande Chambre a défini plus précisément la portée de la disposition en cause en la limitant à la situation suivante :

« La garantie consacrée à l’article 4 du Protocole no 7 entre en jeu lorsque de nouvelles poursuites sont engagées et que la décision antérieure d’acquittement ou de condamnation est déjà passée en force de chose jugée. »

74.  Le Gouvernement en déduit a contrario que les procédures parallèles – c’est-à-dire des sanctions différentes imposées par deux autorités différentes dans des procédures différentes étroitement liées sur les plans matériel et temporel – sortent du champ d’application de cette disposition. Le lancement d’une procédure parallèle ne s’analyserait pas en l’ouverture de nouvelles poursuites dès lors que l’acquittement ou la condamnation antérieurs seraient déjà passés en force de chose jugée. Les affaires R.T. c. Suisse ((déc.), no 31982/96, 30 mai 2000) et Nilsson, décision précitée, préciseraient les conditions dans lesquelles des procédures peuvent passer pour parallèles et donc être permises au regard de l’article 4 du Protocole no 7.

75.  Or, selon le Gouvernement, la Cour s’est écartée de l’approche suivie dans l’arrêt Sergueï Zolotoukhine dans un certain nombre d’arrêts plus récents, dont quatre concernant la Finlande (en particulier Nykänen c. Finlande, no 11828/11, § 48, 20 mai 2014, et Glantz c. Finlande, no 37394/11, § 57, 20 mai 2014), dans lesquels le paragraphe 83 de l’arrêt Sergueï Zolotoukhine n’aurait servi que de point de départ et qui auraient dit que l’article 4 du Protocole no 7 « interdisait clairement les procédures consécutives si la première avait déjà débouché sur une décision définitive à la date de l’ouverture de la seconde (voir, par exemple, Sergueï Zolotoukhine, précité) ».

76.  Pour le Gouvernement, cette interprétation extensive de l’article 4 du Protocole no 7 livrée notamment dans l’arrêt Nykänen, et qui semble incompatible avec l’arrêt Sergueï Zolotoukhine, apparaît présupposer que l’article 4 du Protocole no 7 impose l’extinction de toute procédure pénale si une autre procédure, de nature administrative et conduite en parallèle, s’est soldée par une décision définitive, ou vice versa. Elle reposerait sur une décision sur la recevabilité (Zigarella c. Italie (déc.), no 48154/99, CEDH 2002IX) et sur deux arrêts de chambre (Tomasović c. Croatie, no 53785/09, 18 octobre 2011, et Muslija c. BosnieHerzégovine, no 32042/11, 14 janvier 2014). Or aucune de ces affaires ne permettrait de fonder solidement un tel revirement.

La première affaire, Zigarella, aurait concerné des procédures non pas parallèles mais consécutives, contrairement à ce qu’aurait supposé la chambre. La clôture de la procédure pénale ultérieure, ouverte alors que les autorités ignoraient l’existence d’une procédure (pénale elle aussi) objet d’une décision définitive, aurait été prononcée une fois le juge avisé de l’acquittement définitif dans le premier procès. La Cour n’aurait alors fait qu’appliquer le volet matériel négatif du principe non bis in idem, qui relève de la règle de l’autorité de la chose jugée, puisqu’il s’agissait de deux procédures pénales ordinaires consécutives concernant la même infraction.

Les deux autres affaires, Tomasović et Muslija, auraient eu pour objet des procédures se rapportant à des infractions relevant du « noyau dur » du droit pénal, à savoir, respectivement, possession de drogues dures et violences domestiques (le Gouvernement invoque l’arrêt Jussila, précité, § 43). Il y aurait clairement eu dans ces affaires deux procédures pénales visant un même acte. Chacune des deux procédures aurait été ouverte sur la base du même rapport de police. De telles situations ne se produiraient a priori pas en droit pénal norvégien et elles seraient en tout état de cause bien éloignées du système traditionnel, bien ancré dans ce pays, de mixité des poursuites administratives et pénales pour les majorations d’impôt et fraudes fiscales du type ici en cause.

77.  Exiger la clôture de toute procédure parallèle en cours à la date où l’autre procédure relative aux mêmes faits a donné lieu à une décision définitive s’analyserait en une exception procédurale de litispendance de facto. Il n’aurait en effet guère de sens d’ouvrir une procédure parallèle s’il faut clore l’une au seul motif que l’autre a fait l’objet d’une décision définitive avant la première.

78.  Dans ce contexte d’incohérences répétées de la jurisprudence relative à l’article 4 du Protocole no 7, le Gouvernement estime qu’il est particulièrement important que la Grande Chambre réaffirme l’approche suivie par elle dans l’arrêt Sergueï Zolotoukhine, qui considère cette disposition comme un aspect du principe de l’autorité de la chose jugée, et rejette l’approche divergente retenue dans l’arrêt précité Nykänen.

79.  Le Gouvernement ne voit pas quelles considérations d’opportunité sous-tendent l’arrêt Nykänen. Le principe non bis in idem repose sur l’idée d’offrir une protection contre le risque d’être exposé à des poursuites répétitives (il mentionne l’arrêt Sergueï Zolotoukhine, précité § 107). Le justiciable devrait avoir la certitude que, une fois son acquittement ou sa condamnation passés en force de chose jugée, il sera protégé contre l’ouverture de toute nouvelle procédure fondée sur les mêmes faits. Cela ne vaudrait pas si la personne est passible de procédures pénales et administratives prévisibles conduites parallèlement, comme prévu par la loi, et encore moins si la première sanction (la majoration d’impôt) a été prise en compte de manière prévisible dans la décision imposant la seconde sanction (l’emprisonnement).

80.  Par ailleurs, le Gouvernement n’estime guère conciliables l’idée que des procédures parallèles ne posent pas le moindre problème sous l’angle du Protocole no 7 quand elles sont en cours, et l’idée que, dès que l’une a atteint sa conclusion définitive, l’existence de l’autre emporte violation, et ce que ce soit la procédure administrative, passible de sanctions plus douces, ou la procédure pénale, passible de sanctions plus sévères, qui ait pris fin la première, et quelle que soit celle entamée en premier.

81.  Le Gouvernement ajoute que l’arrêt Nykänen méconnaît également les principes fondamentaux de la prévisibilité et de l’égalité de traitement. Il expose que, si c’est la procédure pénale qui fait l’objet d’une décision passée en force de chose jugée avant la fin de la procédure administrative, une personne peut se retrouver incarcérée tandis que, dans l’hypothèse inverse, un individu ayant commis la même infraction aurait simplement à payer une amende administrative modérée. Le point de savoir quelle procédure prend fin la première dépendrait de la manière dont le fisc, la police, le parquet ou les tribunaux progressent et de l’ouverture ou non par le contribuable d’un recours administratif et/ou d’un recours judiciaire. L’arrêt Nykänen commanderait donc à l’État de traiter inégalement des personnes dans la même situation en fonction de simples coïncidences. Comme cet arrêt le reconnaîtrait, « savoir laquelle des procédures parallèles se clôt la première par une décision définitive relève parfois de la coïncidence, ce qui pourrait poser problème au regard de l’égalité de traitement ».

82.  Le Gouvernement dit que l’impératif d’efficacité dans le traitement des affaires milite souvent en faveur de la conduite de procédures parallèles. D’une part, grâce à leurs connaissances spécialisées et à leurs moyens, les autorités administratives seraient souvent à même d’imposer des sanctions plus rapidement que le parquet et les tribunaux dans le cadre d’une procédure pénale. Vu que leur action englobe l’ensemble des administrés, elles seraient en outre mieux placées pour veiller à l’égalité dans la sanction des infractions. La prévention des infractions graves, en revanche, imposerait de ne pas interdire à l’État d’en poursuivre et punir les auteurs dans le cadre traditionnel et formel d’un procès pénal dès lors que les procédures administratives et pénales mettent au jour des infractions plus graves et plus complexes que celles qui ont motivé à l’origine la procédure et la sanction administratives. Les cas des requérants en seraient d’excellents exemples.

83.  Le Gouvernement constate que plusieurs États européens sont dotés d’un système mixte de sanctions dans des domaines tels que le droit fiscal et la sûreté publique. Sur ce point, il se réfère aux conclusions du 12 juin 2012 produites par l’avocat général près la CJUE dans l’affaire précitée Åkerberg Fransson (paragraphe 51 ci-dessus).

84.  Le Gouvernement dit que, en Norvège, la question de la poursuite de procédures parallèles ne se limite pas à la fiscalité. Il soutient qu’une interprétation de l’article 4 du Protocole no 7 qui interdirait à une procédure parallèle en cours d’aller jusqu’à son terme dès lors que l’autre procédure, administrative ou pénale, a été clôturée par une décision définitive, aurait des conséquences lourdes, négatives et imprévisibles dans un certain nombre de domaines relevant du droit administratif. La prudence serait donc de mise. Des questions similaires se poseraient au sein de certains États européens connaissant depuis longtemps des systèmes de procédures administratives et pénales parallèles dans des domaines essentiels du droit, dont celui de la fiscalité.

85.  Le Gouvernement estime que les considérations qui sont à l’origine de l’article 4 du Protocole no 7 sont moins pertinentes lorsque les procédures en cause sont parallèles et simultanées. Un accusé sachant pertinemment que des autorités différentes ont ouvert contre lui deux procédures différentes étroitement liées sur les plans matériel et temporel risquerait moins de s’attendre à ce que la première sanction imposée soit définitive et exclue toute autre sanction. Enfin, la logique du principe non bis in idem s’appliquerait dans une moindre mesure aux sanctions ne relevant pas du « noyau dur » du droit pénal, comme les majorations d’impôt (voir le raisonnement exposé dans l’arrêt Jussila (précité, § 43), relatif à l’article 6 et transposable à l’article 4 du Protocole no 7).

86.  Pour ce qui est des circonstances propres au cas d’espèce, le Gouvernement fait sien sur tous les points le raisonnement exposé par la Cour suprême dans l’arrêt concernant le premier requérant (paragraphe 29 cidessus) et celui suivi par la cour d’appel dans l’arrêt concernant le second requérant (paragraphe 39 ci-dessus), à savoir qu’il existait un lien temporel et matériel suffisamment étroit entre les procédures. Il dit que ni l’un ni l’autre des requérants ne pouvaient légitimement s’attendre à ne faire l’objet que d’une procédure et d’une sanction administratives. Il explique que, de manière à ne pas aboutir à un résultat qui aurait heurté le principe fondamental de l’égalité de traitement, les requérants, « sur un pied d’égalité avec » E.K. et B.L., coaccusés dans le même groupe d’affaires (paragraphes 12 et 13 cidessus), ont chacun été condamnés à des peines d’emprisonnement à l’issue de procès pénaux après s’être vu appliquer des majorations d’impôt administratives de 30 %.

3.  Les tiers intervenants

87.  Les tierces interventions sont principalement axées sur deux points : premièrement, l’interprétation du mot « pénalement » employé à l’article 4 du Protocole no 7 et l’articulation entre cette disposition et les articles 6 (volet pénal) et 7 de la Convention et, deuxièmement, la mesure dans laquelle le Protocole no 7 permet les procédures parallèles (ces deux points sont examinés respectivement dans les parties a) et b) ci-dessous).

a)  Les premières procédures revêtaient-elles un caractère « pénal » ?

88.  Les gouvernements tchèque et français pensent comme le Gouvernement que l’arrêt Sergueï Zolotoukhine n’a pas explicitement rejeté l’idée de recourir à un groupe plus large de critères pour déterminer la nature de la procédure à examiner sur le terrain de l’article 4 du Protocole no 7, et que la Cour a elle-même jugé notamment que les procédures de majoration d’impôt ne relevaient pas du noyau dur du droit pénal et n’a donc pas appliqué dans toute leur rigueur les garanties de l’article 6 (Jussila, précité, § 43 in fine). Le gouvernement tchèque invite la Cour à préciser principalement si et, dans l’affirmative, sous quelles conditions, c’est-à-dire dans quel type d’affaires, il convient d’appliquer un plus grand éventail de critères.

89.  S’appuyant sur le libellé et le but de l’article 4 du Protocole no 7, le gouvernement bulgare soutient que seules les infractions pénales classiques relèvent du champ d’application de cette disposition. Il estime que, si étendre la portée de l’article 6 est essentiel à la protection du droit à un procès équitable, l’article 4 du Protocole no 7 a une autre finalité. Se référant à l’arrêt rendu par la Cour suprême des États-Unis d’Amérique dans l’affaire Green v. United States (355 US 184 (1957)), il souligne que l’interdiction de la double incrimination protège le justiciable du risque de faire l’objet d’une multiplicité de procès et de condamnations éventuelles pour une même infraction. La logique de cette interdiction est selon lui qu’il ne faut pas que l’État, avec toutes ses ressources et tout son pouvoir, puisse se livrer à des tentatives répétées tendant à faire condamner un individu pour la même infraction, ce qui pour ce dernier serait source d’embarras, de frais et d’épreuves et le forcerait à vivre dans un état permanent d’anxiété et d’insécurité tout en aggravant le risque que, même innocent, il soit reconnu coupable. Un second impératif vital serait de préserver le caractère définitif des décisions de justice.

90.  Le gouvernement français consacre d’amples développements (paragraphes 10 à 26 de ses observations) à l’interprétation des articles 6 et 7 de la Convention et de l’article 4 du Protocole no 7. S’appuyant sur l’arrêt Perinçek c. Suisse ([GC], no 27510/08, § 146, CEDH 2015), il soutient que les termes employés à l’article 4 du Protocole no 7, différents de ceux figurant à l’article 6 § 1 de la Convention, doivent conduire à retenir des critères plus étroits répondant aux objectifs du principe non bis in idem garanti par l’article 4 du Protocole no 7. L’article 7 de la Convention utiliserait les termes de condamnation (« condamné » en français et « held guilty » en anglais), d’infraction (« criminal offence » en anglais) et de peine (« penalty » en anglais), qui seraient présents aussi dans l’article 4 du Protocole no 7. De plus, les garanties offertes par l’article 7 de la Convention, comme celles de l’article 4 du Protocole no 7, seraient des éléments essentiels de la procédure pénale, entendue strictement, comme l’attesterait le fait que l’article 15 de la Convention n’y autorise aucune dérogation, alors qu’il autoriserait une dérogation à l’article 6 de la Convention.

91.  Aussi, et dans un souci de cohérence, la Cour, pour l’application de l’article 4 du Protocole no 7, devrait-elle se référer aux seuls critères qu’elle a pu développer dans le cadre de l’article 7 de la Convention, tout en les précisant afin de donner au terme « pénalement », au sens de l’article 4 du Protocole no 7, le sens strict qui devrait être le sien. Pour déterminer si une mesure relève du champ de cette disposition, elle devrait se référer à la qualification juridique de l’infraction litigieuse en droit interne, à la nature et au but de la mesure en cause, à la question de savoir si la mesure a été imposée à la suite d’une condamnation pour une infraction pénale, à la gravité de la sanction – cet élément n’étant pas déterminant –, et aux procédures associées à l’adoption de celle-ci, et plus précisément à la question de savoir si la mesure a été adoptée par un organe que l’on peut qualifier de juridiction et qui s’est prononcé sur les éléments d’une infraction regardée comme pénale au sens de l’article 6 de la Convention. Le dernier de ces critères revêtirait une importance prépondérante au regard des termes mêmes de l’article 4 du Protocole no 7 et de l’objectif poursuivi par cette disposition.

92.  Le gouvernement français conclut que, au regard de ces critères, des pénalités fiscales qui ne seraient pas qualifiées de pénales en droit interne, qui auraient une nature administrative et viseraient seulement à sanctionner le non-respect par le contribuable de ses obligations fiscales, qui ne seraient pas imposées à la suite d’une condamnation pénale et qui ne seraient pas prononcées par un organe juridictionnel, ne pourraient être regardées comme relevant du champ de l’article 4 du Protocole no 7.

93.  Le gouvernement suisse soutient que la seule exception admise – le paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole no 7 – est la réouverture du procès « conformément à la loi et à la procédure pénale de l’État concerné ». Il relève que, au moment de l’adoption du Protocole, en 1984, d’autres exceptions, telles qu’admises par la suite par la jurisprudence pertinente, n’étaient pas prévues – et n’avaient pas besoin de l’être, vu la conception intrinsèquement pénale de la garantie. Le concept étroit qui serait à l’origine de la garantie trouverait une confirmation solide au paragraphe 3 de l’article 4 du Protocole no 7, qui exclurait toute dérogation, au titre de l’article 15 de la Convention, à la protection offerte au paragraphe 1. Ainsi, la garantie non bis in idem serait mise sur un pied d’égalité avec le droit à la vie (article 2, article 3 du Protocole no 6 et article 2 du Protocole no 13), l’interdiction de la torture (article 3), l’interdiction de l’esclavage (article 4) et le principe « pas de peine sans loi » (article 7). Ces éléments militeraient en faveur d’une interprétation restrictive de la garantie. Une telle approche s’imposerait d’autant plus si la Grande Chambre devait maintenir la pratique selon laquelle toute « accusation en matière pénale », au sens autonome de l’article 6 § 1, est susceptible de faire également entrer en jeu l’article 4 du Protocole no 7 (paragraphe 100 cidessous).

b)  Y a-t-il eu répétition des poursuites (bis) ?

94.  Le gouvernement bulgare ne voit aucune raison de s’écarter de l’approche suivie dans les décisions précitées R.T. c. Suisse et Nilsson dans le contexte des infractions routières et dans d’importants domaines se rattachant au fonctionnement de l’État tels que la fiscalité. Une procédure fiscale aboutissant à l’application d’une majoration d’impôt et une procédure pénale portant sur une fraude fiscale, conduites parallèlement, seraient étroitement liées sur les plans matériel et temporel. De plus, la Cour reconnaîtrait que les États contractants jouissent d’une marge d’appréciation étendue dans l’élaboration et la mise en œuvre de leurs politiques en matière fiscale et elle respecterait les choix du législateur dans ces domaines sauf s’ils se révèlent manifestement dépourvus de base raisonnable. Un système qui permettrait la conduite de procédures parallèles en matière fiscale semblerait relever de la marge d’appréciation de l’État et n’apparaîtrait pas contraire en soi à l’un quelconque des principes énoncés dans la Convention, y compris la garantie contre les doubles incriminations.

95.  Le gouvernement tchèque avance quatre arguments en faveur du maintien de systèmes mixtes de sanctions : 1) chaque type de sanction poursuit des buts différents ; 2) alors que la procédure pénale stricto sensu doit respecter des garanties rigoureuses en matière d’équité du procès, dont l’application est souvent synonyme de lenteurs, les sanctions administratives doivent répondre à des exigences de célérité et permettre d’assurer l’efficacité et la pérennité du système fiscal et du budget de l’État ; 3) la stricte application du principe non bis in idem à des procédures fiscales et pénales menées en parallèle pourrait faire échouer la lutte contre la criminalité organisée à grande échelle si la première décision, en général administrative, devait empêcher la tenue d’une enquête pénale de nature à conduire à la découverte de réseaux de fraude organisée, de blanchiment d’argent et de détournement de fonds, ainsi que d’autres infractions graves ; 4) l’ordre dans lequel les autorités statuent dans tel ou tel cas. Enfin, il signale qu’il y a des cas où plusieurs procédures administratives sont conduites en même temps.

96.  Le gouvernement français estime que le raisonnement adopté dans les décisions précitées R.T. c. Suisse et Nilsson peut être transposé en matière fiscale au regard des objectifs poursuivis par les États en ce domaine, objectifs qui, d’après lui, diffèrent selon qu’il s’agit de poursuites pénales ou de l’application de pénalités fiscales (i)) et dès lors qu’il existe un lien suffisant entre les procédures fiscale et pénale (ii)).

i)  Les poursuites pénales pour fraude fiscale devraient constituer une réponse adaptée et homogène à des comportements répréhensibles. Elles auraient comme objectif principal de sanctionner les comportements les plus graves. Dans sa décision Rosenquist c. Suède (déc.), n60619/00, 14 septembre 2004, la Cour aurait relevé que l’objectif poursuivi par l’infraction criminelle de fraude fiscale était différent de celui de l’imposition d’une pénalité fiscale qui, elle, aurait pour but de renforcer les fondations du système fiscal national.

Les poursuites pour fraude fiscale auraient également une finalité d’exemplarité, en particulier lorsque de nouvelles typologies de fraudes sont mises au jour, afin de dissuader les fraudeurs potentiels d’y recourir. Ne plus poursuivre pénalement les fraudes les plus graves dès lors qu’une pénalité fiscale a été appliquée priverait l’État de l’exemplarité et de la publicité recherchées à travers les condamnations pénales prononcées dans les plus grandes affaires de fraude fiscale.

Dans l’hypothèse où une procédure judiciaire d’enquête en matière fiscale précéderait le contrôle fiscal mené par l’administration fiscale, l’obligation d’abandonner la seconde procédure dès lors que la première est devenue définitive conduirait le contribuable à laisser la procédure pénale se terminer rapidement, en ne la contestant pas, afin que cette dernière s’achève avant la procédure fiscale et, ainsi, à échapper aux sanctions administratives généralement beaucoup plus significatives en termes pécuniaires.

Dans une telle hypothèse, le contribuable mis en cause serait en position d’arbitrer en faveur de la procédure qui lui serait la plus favorable, ce qui porterait indéniablement atteinte au caractère dissuasif de l’action menée par l’État pour réprimer les actes les plus répréhensibles dans ce domaine. Il serait ainsi paradoxal que les contribuables ayant commis les fraudes les plus graves, et poursuivis pénalement pour cela, soient sanctionnés moins sévèrement.

En conclusion, selon le gouvernement français, la complémentarité entre les procédures pénales et les procédures fiscales est essentielle pour la répression des fraudes les plus graves, et il serait artificiel de considérer qu’en raison de l’intervention de deux procédures et de deux autorités, ces sanctions ne forment pas un tout cohérent destiné à répondre à ce type d’infraction. En effet, ces procédures seraient étroitement liées et devraient dès lors pouvoir être cumulées.

ii)  Dans les arrêts rendus contre la Finlande le 20 mai 2014, le critère principal retenu par la Cour pour ne pas accepter la répétition des procédures aurait été l’indépendance totale des procédures fiscale et pénale l’une par rapport à l’autre. Or ces deux types de procédures devraient être regardés comme ayant un lien matériel et temporel dès lors qu’il existe un échange d’informations entre les deux autorités et que les procédures sont conduites simultanément. Les éléments factuels devraient démontrer une complémentarité entre ces procédures.

À titre d’illustration, le gouvernement français analyse de façon détaillée comment, dans le système national, les procédures pénale et fiscale sont imbriquées, se chevauchent en droit et en pratique et sont conduites simultanément. Le principe de proportionnalité impliquerait que le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé encouru au titre de l’une ou l’autre des sanctions.

Pour déterminer si les procédures pénales et fiscales peuvent passer pour suffisamment liées dans le temps, seules devraient être considérées les phases de contrôle par l’administration fiscale et d’enquête judiciaire. Ces deux phases devraient être menées simultanément ou dans un délai très rapproché. En revanche, il n’apparaîtrait pas pertinent, pour apprécier si le lien temporel entre les procédures est suffisamment étroit, de prendre en compte la durée de la procédure judiciaire devant les tribunaux appelés à statuer sur l’action pénale et sur le bien-fondé des pénalités fiscales. En effet, la durée de réponse des différentes juridictions dépendrait d’éléments extérieurs et parfois propres au contribuable. Ainsi, ce dernier pourrait choisir de ralentir délibérément la durée de la procédure devant l’une des juridictions par la multiplication de demandes ou la production d’écritures nombreuses qui devraient être soumises au contradictoire, ou encore par l’exercice de recours.

L’État devrait disposer d’une marge d’appréciation pour définir les sanctions appropriées à certains comportements qui peuvent causer des préjudices distincts. Ainsi, il devrait pouvoir faire face à une telle situation, tout en apportant une réponse unique, en confiant à plusieurs autorités – judiciaires et administratives – le soin d’apporter une réponse adaptée.

97.  Le gouvernement grec soutient que l’existence de procédures séparées et consécutives au cours desquelles des mesures d’ordre pénal, identiques ou non, sont imposées à un requérant est l’élément déterminant et crucial pour qu’il y ait « répétition » (bis). Pour lui, le principe non bis in idem n’est pas méconnu si diverses mesures d’ordre « pénal », même distinctes les unes des autres, venaient à être imposées par différentes juridictions, pénales et administratives, dès lors que les sanctions sont toutes considérées dans leur globalité pour fixer le quantum de la peine (R.T. c. Suisse, décision précitée).

98.  Cependant, le gouvernement grec signale l’arrêt Kapetanios et autres c. Grèce (nos 3453/12 et 2 autres, § 72, 30 avril 2015), dans lequel la Cour a jugé que la règle non bis in idem ne serait pas enfreinte en principe si les deux sanctions, à savoir une privation de liberté et une condamnation pécuniaire, étaient imposées dans le cadre d’une seule et même procédure judiciaire. Selon lui, nonobstant cet exemple, il est évident que la Cour attache une grande importance à ce que l’imposition de sanctions pénales et administratives ait été l’objet d’un examen judiciaire global.

99.  Le gouvernement grec ne se dissocie pas pour autant de l’avis de la Cour suprême norvégienne, qui a dit en l’espèce que l’article 4 du Protocole no 7 permettait, au moins dans une certaine mesure, la conduite de procédures parallèles. C’est ce que confirmerait sans ambiguïté l’arrêt rendu par la CJUE dans l’affaire Åkerberg Fransson (paragraphe 34 de cet arrêt, reproduit au paragraphe 52 ci-dessus).

La CJUE aurait précisé que c’est à la juridiction de renvoi qu’il appartient d’apprécier, à la lumière des critères énoncés, s’il y a lieu de procéder à un examen du cumul de sanctions fiscales et pénales prévu par la législation nationale par rapport aux standards nationaux, c’est-à-dire ceux applicables aux violations du droit national de nature et d’importance similaires, dès lors que le choix des sanctions relève de la marge d’appréciation de l’État membre ; elle aurait ainsi estimé que c’était au juge national de dire si le cumul des sanctions était contraire à ces standards, pourvu que les sanctions restantes fussent effectives, proportionnées et dissuasives (paragraphe 37 de cet arrêt, reproduit au paragraphe 52 cidessus).

Le gouvernement grec juge pertinent en l’espèce cet arrêt de la CJUE. Plus précisément, on pourrait déduire mutatis mutandis de l’interprétation qui y est livrée que le juge national avait conclu à bon droit, en vertu de sa marge d’appréciation, comme constaté par la CJUE, que le cumul des sanctions en cause, imposées à l’issue de procédures dites « parallèles » dans le cadre d’une collaboration étroite entre deux autorités distinctes, n’avait pas enfreint les standards nationaux alors même qu’il avait estimé pour l’essentiel que les sanctions fiscales étaient « de nature pénale ». Au vu des arguments exposés au paragraphe 97 ci-dessus, on pourrait raisonnablement conclure que des procédures parallèles qui conduiraient à l’imposition de sanctions différentes par des autorités différentes, nettement distinctes en droit, ne seraient pas interdites par l’article 4 du Protocole no 7 dès lors que ces procédures satisferaient au critère du lien temporel et matériel étroit. Ce critère permettrait de répondre à la question fondamentale de l’existence ou non d’une répétition.

100.  S’appuyant sur le paragraphe 83 de l’arrêt Sergueï Zolotoukhine, précité, le gouvernement suisse soutient que la garantie énoncée à l’article 4 du Protocole no 7 entre en jeu à l’ouverture de nouvelles poursuites, lorsque la décision antérieure d’acquittement ou de condamnation est déjà passée en force de chose jugée. Le fait qu’une procédure pénale n’était pas encore achevée à l’ouverture d’une procédure administrative ne serait donc, en soi, pas problématique à l’égard du principe non bis in idem (il mentionne, mutatis mutandis, Kapetanios et autres, précité, § 72). Par conséquent, des procédures parallèles seraient admissibles au titre de l’article 4 du Protocole no 7. La présente affaire donnerait à la Grande Chambre l’occasion de confirmer cette jurisprudence.

La justification d’un système mixte résiderait principalement dans le fait que le droit administratif et le droit pénal sont de nature différente et visent des buts distincts : fonction préventive et éducative pour le premier et fonction répressive pour le second.

Le gouvernement suisse estime que si, à la lumière des critères Engel, la notion d’« accusation en matière pénale » a été élargie, au-delà des catégories traditionnelles du droit pénal (malum in se), à d’autres domaines (malum quia prohibitum), les accusations en matière pénale n’ont pas toutes le même poids. S’agissant par exemple des majorations d’impôt – qui ne feraient pas partie du noyau dur du droit pénal –, les garanties offertes par le volet pénal de l’article 6 ne devraient pas nécessairement s’appliquer dans toute leur rigueur (il mentionne l’arrêt Jussila, précité, § 43). Il ne faudrait pas l’oublier lorsqu’il s’agit de déterminer le champ d’application de l’article 4 du Protocole no 7.

La prévisibilité du cumul de sanctions administratives et de sanctions pénales constituerait un autre facteur à prendre en compte dans l’appréciation du système mixte en cause (il évoque l’arrêt Maszni c. Roumanie, no 59892/00, § 68, 21 septembre 2006).

Selon le gouvernement suisse, la jurisprudence Sergueï Zolotoukhine ne doit pas être interprétée ou développée de manière à couvrir l’ensemble des systèmes prévoyant de sanctionner par les voies administrative et pénale les infractions pénales indépendamment du fait que des autorités distinctes, disposant de compétences distinctes et poursuivant des buts distincts, rendent des décisions sur le même ensemble de faits. Cette conclusion s’imposerait en tout cas dans les affaires présentant un lien matériel et temporel suffisamment étroit entre les procédures pénale et administrative tel que requis par la Cour (il s’appuie sur les affaires suivantes, où la Cour a conclu que cette condition avait été satisfaite Boman c. Finlande, no 41604/11, § 41, 17 février 2015, avec une référence aux décisions précitées R.T. c. Suisse et Nilsson et à l’arrêt précité Maszni). Le gouvernement suisse invite la Grande Chambre à saisir l’occasion de la présente affaire pour confirmer cette approche, qui n’est pas selon lui proscrite en ellemême en l’état de la jurisprudence.

4.  Appréciation de la Cour

101.  La Cour passera tout d’abord en revue sa jurisprudence pertinente pour l’interprétation et l’application du principe non bis in idem énoncé à l’article 4 du Protocole no 7 (parties a) à c) ci-dessous). Elle s’attachera à en tirer les conclusions et critères utiles et à apporter les éclaircissements nécessaires à l’analyse de la présente affaire (partie d) ci-dessous). Enfin, elle appliquera ce principe, dans l’interprétation qu’elle aura dégagée, aux faits dénoncés par les requérants (partie e) ci-dessous).

a)  Questions générales d’interprétation

102.  La Cour constate que, dans les observations des parties et des tiers intervenants, il n’y a guère de désaccord quant à la principale contribution qu’apporte l’arrêt de Grande Chambre Sergueï Zolotoukhine, à savoir la clarification des critères à l’aune desquels il faut évaluer si l’infraction pour laquelle un requérant a été jugé ou puni au cours de la seconde procédure était la même (idem) que celle pour laquelle une décision avait été rendue au cours de la première procédure (voir les paragraphes 70 à 84 de cet arrêt). Il n’y a pas non plus de désaccord majeur quant aux critères permettant de déterminer quand une décision « définitive » a été rendue qui sont énoncés dans cet arrêt.

103.  En revanche, les avis divergent quant à la méthode à employer afin de déterminer si la procédure se rapportant à l’application de majorations d’impôt était « pénale » aux fins de l’article 4 du Protocole no 7, sachant que cette question est susceptible d’avoir une incidence sur l’applicabilité de l’interdiction, posée par cette disposition, de la double incrimination.

104.  En outre, il y a des divergences d’approche (notamment entre, d’une part, les requérants et, d’autre part, le Gouvernement et les gouvernements intervenants) sur la question de la répétition des poursuites, en particulier sur la mesure dans laquelle les procédures parallèles ou mixtes sont permises au titre de l’article 4 du Protocole no 7.

b)  Critères pertinents pour déterminer si la première procédure est « pénale » : divergences d’approche dans la jurisprudence

105.  Dans l’arrêt Sergueï Zolotoukhine, précité, la Cour a appliqué, afin de déterminer si les procédures en question pouvaient être regardées comme « pénales » sur le terrain de l’article 4 du Protocole no 7, les trois critères Engel précédemment élaborés pour les besoins de l’article 6 de la Convention, à savoir 1) « la qualification juridique de l’infraction en droit interne », 2) « la nature même de l’infraction », et 3) le degré de sévérité de la sanction dont l’intéressé est passible, les deuxième et troisième critères étant alternatifs et pas nécessairement cumulatifs, mais sans exclure une approche cumulative. L’arrêt Sergueï Zolotoukhine n’a donc pas repris – alors qu’il aurait pu le faire – le raisonnement suivi dans une série d’affaires antérieures (voir, par exemple, la décision précitée Storbråten), où avait été retenue une liste plus large et non exhaustive de facteurs, sans que la Cour ait précisé quel était leur poids respectif ni s’il fallait les appliquer alternativement ou cumulativement. Les gouvernements français et norvégien invitent à présent la Cour à saisir cette occasion pour dire si ce sont ces derniers critères, plus nombreux, qui s’appliquent (paragraphes 6668 et 90-91 ci-dessus).

106.  Il existe un certain nombre d’arguments en faveur d’une telle interprétation, en particulier le fait que l’article 4 du Protocole no 7 a apparemment été conçu par ses auteurs pour viser les procédures pénales au sens strict et la circonstance que – à l’inverse de l’article 6 mais à l’instar de l’article 7 – il n’est pas susceptible de dérogation au titre de l’article 15. Si l’article 6 se contente d’énoncer des garanties d’équité procédurales notamment en matière pénale, l’interdiction de la double incrimination posée à l’article 4 du Protocole no 7 a certaines conséquences – qui peuvent être importantes – sur les modalités d’application des règles de droit national régissant les sanctions pénales et administratives dans de nombreux domaines. Cette dernière disposition implique une analyse plus poussée du droit pénal matériel puisqu’il s’agit d’établir si les infractions respectives visent le même comportement (idem). Ces différences, ainsi que l’absence de convergence entre les systèmes nationaux des États contractants, le degré variable de volonté de la part desdits États d’être tenus par le Protocole no 7 et la marge d’appréciation étendue dont ils jouissent généralement dans le choix de leurs systèmes et politiques en matière pénale (Nykänen, précité, § 48, et, mutatis mutandisAchour c. France [GC], no 67335/01, § 44, CEDH 2006IV), sont tout à fait propres à justifier un groupe plus vaste de critères d’applicabilité, davantage axés sur le droit national, sur le modèle de ceux retenus pour les besoins de l’article 7 et auparavant de l’article 4 du Protocole no 7 (c’est-à-dire avant l’arrêt Sergueï Zolotoukhine), et donc un champ d’application plus étroit que sous l’empire de l’article 6.

107.  Cependant, si, ainsi qu’il a été souligné, l’arrêt Sergueï Zolotoukhine n’est pas explicite sur ce point, il faut supposer que la Cour a délibérément choisi dans cet arrêt de retenir les critères Engel comme le modèle à suivre pour déterminer si la procédure en cause est « pénale » pour les besoins de l’article 4 du Protocole no 7. Aux yeux de la Cour, il ne paraît pas justifié qu’elle s’écarte de cette analyse en l’espèce, car des considérations de poids militent vraiment en faveur d’un tel choix. Le principe non bis in idem vise principalement l’équité procédurale, qui est l’objet de l’article 6, et s’intéresse moins au droit pénal matériel que l’article 7. La Cour estime préférable, dans un souci de cohérence de l’interprétation de la Convention considérée globalement, que l’applicabilité de ce principe soit régie par les critères, plus précis, définis dans l’arrêt Engel. Cela étant dit, ainsi qu’il a déjà été admis ci-dessus, dès lors que le principe non bis in idem est jugé applicable, une approche modulée s’impose à l’évidence pour évaluer la manière dont il est mis en œuvre s’agissant de procédures mêlant sanctions administratives et sanctions pénales.

c)  Jurisprudence de la Convention en matière de procédures mixtes

i.  L’apport de l’arrêt Sergueï Zolotoukhine

108.  L’affaire Sergueï Zolotoukhine concernait deux procédures qui avaient chacune pour objet des actes perturbateurs à l’égard d’un agent public et dans le cadre desquelles l’issue de la procédure administrative était devenue définitive avant même le début de la procédure pénale (Sergueï Zolotoukhine, précité, §§ 18-20 et 109). L’apport le plus notable de l’arrêt Sergueï Zolotoukhine est d’avoir dit que le point de savoir si les infractions en question étaient les mêmes (idem) dépendait d’une analyse axée sur les faits (ibidem, § 84) plutôt que par exemple d’un examen formel consistant à comparer les « éléments essentiels » des infractions. L’interdiction vise l’inculpation ou le jugement pour une seconde « infraction » pour autant que celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes (ibidem, § 82).

109.  De plus, en rappelant que le but de l’article 4 du Protocole no 7 était d’interdire la répétition de procédures pénales tranchées par une décision « définitive », c’est-à-dire « passée en force de chose jugée », l’arrêt Sergueï Zolotoukhine a précisé que les décisions susceptibles d’un recours ordinaire ne bénéficiaient pas de la garantie que renfermait cette disposition tant que le délai de recours n’était pas expiré.

110.  En outre, la Cour a dit sans ambiguïté que l’article 4 du Protocole no 7 visait non pas seulement le cas d’une double condamnation, mais aussi celui des doubles poursuites et que, dans le cas contraire, il n’aurait pas été nécessaire de mettre le terme « poursuivi » avant le terme « puni », car il ne pourrait qu’en constituer un doublon. La Cour a ajouté que cette disposition s’appliquait même si l’individu concerné n’avait fait l’objet que de simples poursuites n’ayant pas abouti à une condamnation. Elle a souligné que l’article 4 du Protocole no 7 renfermait trois garanties distinctes et disposait que nul i. ne pouvait être poursuivi, ii. jugé ou iii. puni deux fois pour les mêmes faits (ibidem, § 110).

111.  Il faut toutefois souligner que l’arrêt Sergueï Zolotoukhine ne donne guère d’indications lorsque les procédures, en réalité, ne se répètent pas mais sont plutôt combinées et intégrées de manière à former un tout cohérent.

ii.  La jurisprudence sur les procédures mixtes antérieurement et postérieurement à l’arrêt Sergueï Zolotoukhine

112.  Depuis l’arrêt Sergueï Zolotoukhine, et comme c’était déjà le cas auparavant, il est admis par la Cour que l’imposition par des autorités différentes de sanctions différentes pour le même comportement est permise dans une certaine mesure au titre de l’article 4 du Protocole no 7, nonobstant l’existence d’une décision définitive. Cette conclusion peut se comprendre comme étant fondée sur l’idée que le cumul de sanctions dans les affaires de ce genre doit s’analyser comme un tout, en conséquence de quoi il serait artificiel d’y voir une répétition de procédures impliquant que l’intéressé a été « poursuivi ou puni pénalement (...) en raison d’une infraction pour laquelle il a[vait] déjà été (...) condamné par un jugement définitif », au mépris de l’article 4 du Protocole no 7. La question s’est posée dans quatre types de situations.

113.  À l’origine de cette analyse interprétative de l’article 4 du Protocole no 7 se trouve une première catégorie d’affaires, qui remonte à la décision R.T. c. Suisse (décision précitée). Dans cette affaire, l’Office fédéral suisse des routes avait retiré son permis de conduire au requérant, en mai 1993, pour une durée de quatre mois pour conduite en état d’ébriété. Cette mesure avait finalement été confirmée par la Commission des recours administratifs puis par le Tribunal fédéral (en décembre 1995). Parallèlement, en juin 1993, les autorités cantonales de Gossau avaient délivré au requérant une ordonnance pénale qui le condamnait à une peine d’emprisonnement avec sursis et à une amende de 1 100 francs suisses. N’ayant pas fait l’objet de recours, cette ordonnance passa en force de chose jugée.

La Cour a conclu que les autorités suisses n’avaient fait que retenir les trois types de sanctions cumulables, prévues par la loi, pour une telle infraction, à savoir une peine d’emprisonnement, une amende et le retrait du permis de conduire. Elle a constaté que ces sanctions avaient été prononcées parallèlement par deux autorités différentes, l’une administrative et l’autre pénale. Selon elle, on ne pouvait donc pas y voir, eu égard à sa jurisprudence, une répétition de poursuites pénales contraire à l’article 4 du Protocole no 7.

De la même manière, si la décision précitée Nilsson concernait elle aussi une sanction pénale (50 heures de travail d’intérêt général) et le retrait du permis de conduire (pour une durée de dix-huit mois) à raison d’une infraction routière, le grief a été rejeté sur la base d’un raisonnement plus élaboré, qui a introduit pour la première fois le critère du « lien matériel et temporel suffisamment étroit ».

La Cour a jugé que le retrait du permis de conduire était une conséquence directe et prévisible de la condamnation antérieure du requérant pour les mêmes délits de conduite en état d’ébriété avancé et de conduite sans permis et que, faisant suite à une condamnation pénale, il relevait de la matière « pénale » pour les besoins de l’article 4 du Protocole no 7. Elle a ajouté que, indépendamment de la condamnation pénale antérieure, un retrait de permis d’une durée de dix-huit mois constituait en soi, par sa sévérité, une mesure pouvant ordinairement passer pour une sanction pénale. Elle a conclu que, quand bien même les différentes sanctions avaient été prononcées par deux autorités différentes à l’issue de procédures différentes, il existait entre ces sanctions un lien matériel et temporel suffisamment étroit pour que l’on pût considérer le retrait de permis comme l’une des mesures prévues par le droit suédois pour la répression des délits de conduite en état d’ébriété avancé et de conduite sans permis. On ne pouvait donc pas selon elle déduire du retrait litigieux que le requérant avait été « poursuivi ou puni pénalement (...) en raison d’une infraction pour laquelle il a[vait] déjà été (...) condamné par un jugement définitif », au mépris de l’article 4 § 1 du Protocole no 7.

De même, dans l’arrêt Boman, précité, la Cour a jugé qu’il existait un lien matériel et temporel suffisant entre, d’une part, la procédure pénale à l’issue de laquelle le requérant avait été reconnu coupable et condamné à 75 jours-amende (soit 450 EUR) ainsi qu’à une interdiction de conduire (d’une durée de quatre mois et trois semaines) et, d’autre part, la procédure administrative ultérieure, qui s’était soldée par la prolongation de l’interdiction de conduire (d’une durée de un mois).

114.  Dans une deuxième série d’affaires, la Cour a confirmé que les procédures parallèles ne sont pas exclues dans les affaires combinant majorations d’impôt dans une procédure administrative, et poursuites, condamnations et sanctions pour fraude fiscale dans une procédure pénale, tout en concluant qu’il n’avait pas été satisfait au critère du « lien matériel et temporel suffisamment étroit » au vu des circonstances particulières propres à chaque cas. Il s’agit d’affaires concernant la Finlande (notamment Glantz, précité, § 57, et Nykänen, précité, § 47) et la Suède (Lucky Dev c. Suède, no 7356/10, § 58, 27 novembre 2014). Dans l’arrêt Nykänen, où est exposée l’approche suivie dans les autres affaires dirigées contre la Finlande et la Suède, la Cour a conclu au vu du dossier que, dans le système finlandais, les sanctions pénales et administratives avaient été infligées par des autorités différentes sans que les procédures aient le moindre lien entre elles : elles avaient chacune suivi leur propre cheminement et avaient pris fin indépendamment l’une de l’autre. De plus, chaque juridiction ou autorité avait fixé le quantum de la peine sans tenir compte de la sanction prononcée par l’autre et elles n’avaient eu aucun échange entre elles. Surtout, dans le système finlandais, les majorations d’impôt étaient appliquées à l’issue d’un examen du comportement du contrevenant et de l’applicabilité à son égard de la législation fiscale pertinente, indépendamment de l’appréciation au pénal. La Cour a donc conclu à la violation de l’article 4 du Protocole no 7 au motif que le requérant avait été condamné deux fois pour les mêmes faits dans le cadre de deux procédures distinctes.

On peut trouver un raisonnement et des conclusions identiques (ou quasiment identiques) à propos de faits analogues dans les arrêts Rinas c. Finlande (no 17039/13, 27 janvier 2015), et Österlund c. Finlande (no 53197/13, 10 février 2015).

Il faut noter que si, dans certaines de ces affaires (NykänenGlantzLucky DevRinasÖsterlund, tous précités), les deux procédures avaient été conduites dans une large mesure simultanément, le lien temporel a été manifestement jugé insuffisant à lui seul pour exclure l’application de la règle non bis in idem. Il ne semble pas déraisonnable de déduire de ces arrêts concernant la Finlande et la Suède que, les deux procédures ayant à chaque fois été menées dans une large mesure simultanément, c’est l’absence de lien matériel qui, au vu des circonstances propres à chaque affaire, a provoqué la violation de l’article 4 du Protocole no 7.

115.  Dans une troisième série d’affaires, où les procédures avaient été conduites en parallèle pendant un certain temps, la Cour a conclu à la violation mais sans se référer au critère, tiré de la décision précitée Nilsson, du « lien matériel et temporel suffisamment étroit ».

Dans l’affaire précitée Tomasović (§§ 5-10 et 30-32), le requérant avait été poursuivi et condamné deux fois pour la même infraction de possession de stupéfiants, d’abord en tant qu’« infraction mineure » (jugée « pénale » au vu des deuxième et troisième critères Engel – ibidem, §§ 22-25) puis en tant qu’« infraction pénale ». Faute pour la seconde procédure d’avoir été abandonnée à la conclusion de la première, la Cour a estimé évident qu’il y avait eu une répétition de procédures pénales contraire à l’article 4 du Protocole no 7 (voir, de la même manière, Muslija, précité, §§ 28-32 et 37, s’agissant de coups et blessures aggravés).

De même, dans l’affaire Grande Stevens et autres c. Italie (nos 18640/10 et 4 autres, 4 mars 2014), la Cour a constaté qu’il y avait eu une double procédure relative au même comportement frauduleux, en l’occurrence une manipulation du marché par la diffusion de fausses informations : d’une part, une procédure administrative (du 9 février 2007 au 23 juin 2009), qualifiée de « pénale » à l’aune des critères Engel, conduite devant la Commission nationale des sociétés et de la bourse (Commissione nazionale per le società e la borsa) puis devant la cour d’appel et la Cour de cassation, conclue par l’imposition d’une amende de 3 000 000 d’EUR assortie d’une interdiction d’exercer certaines activités professionnelles et, d’autre part, une procédure pénale (du 7 novembre 2008 au 28 février 2013 et au-delà, toujours en cours à la date de l’arrêt) conduite devant le tribunal de première instance, la Cour de cassation et la cour d’appel. Son constat que la nouvelle instance concernait une seconde « infraction » née de faits identiques à ceux qui avaient donné lieu à la première condamnation, devenue définitive, lui a suffi à conclure à la violation de l’article 4 du Protocole no 7.

116.  Quatrièmement, l’arrêt Kapetanios et autres, précité, confirmé par l’arrêt Sismanidis et Sitaridis c. Grèce (nos 66602/09 et 71879/12, 9 juin 2016), constitue un autre exemple distinct d’absence de lien matériel ne faisant pas explicitement référence à ce critère tiré de la décision précitée Nilsson. Dans ces affaires, les requérants furent tout d’abord acquittés d’infractions douanières à l’issue de procédures pénales. Par la suite, malgré les acquittements, les juridictions administratives leur infligèrent de lourdes amendes administratives pour le même comportement. Convaincue que ces dernières procédures étaient « pénales » pour les besoins de l’article 4 du Protocole no 7, la Cour a conclu à la violation de cette disposition (voir les paragraphes 73 et 47 de ces arrêts, respectivement).

d)  Conclusions à tirer de la jurisprudence

117.  Si les États contractants ont le devoir particulier de protéger les intérêts spécifiques du justiciable que l’article 4 du Protocole no 7 entend sauvegarder, il est aussi nécessaire, ainsi que cela a déjà été indiqué au paragraphe 106 cidessus, de laisser aux autorités nationales le choix des moyens à utiliser pour y parvenir. Il ne faut pas oublier à cet égard que le droit de ne pas être jugé ou puni deux fois n’était pas inscrit dans la Convention adoptée en 1950 mais qu’il a été ajouté dans un septième protocole, adopté en 1984 et entré en vigueur en 1988, soit près de 40 années plus tard. Quatre États (l’Allemagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Turquie) n’ont pas ratifié le Protocole no 7 et l’un d’entre eux (l’Allemagne) ainsi que quatre États qui l’ont ratifié (l’Autriche, la France, l’Italie et le Portugal) ont émis des réserves ou des déclarations interprétatives précisant que le mot « pénalement » devait leur être appliqué selon le sens donné à cette notion dans leurs lois nationales respectives. (Signalons que les réserves formulées par l’Autriche et l’Italie ont été jugées non valables parce qu’elles n’étaient pas accompagnées d’un bref exposé de la loi en cause comme le veut l’article 57 § 2 (voir, respectivement, Gradinger c. Autriche, 23 octobre 1995, § 51, série A no 328C, et Grande Stevens et autres, précité, §§ 204-211), contrairement à la réserve émise par la France (Göktan c. France, no 33402/96, § 51, CEDH 2002V).)

118.  La Cour souligne également l’observation formulée par l’avocat général près la CJUE dans l’affaire Åkerberg Fransson (paragraphe 51 cidessus), selon laquelle l’imposition de sanctions sur la base tant du droit administratif que du droit pénal pour la même infraction est une pratique très répandue dans les États membres de l’Union européenne, surtout dans des domaines tels que la fiscalité, les politiques environnementales ou la sécurité publique. L’avocat général a ajouté que les modalités relatives au cumul des sanctions variaient énormément selon les ordres juridiques et revêtaient des caractéristiques spécifiques propres à chaque État membre et que, dans la plupart des cas, ces spécificités visaient à atténuer les effets d’une double réaction punitive de la part des pouvoirs publics.

119.  Par ailleurs, pas moins de six États parties au Protocole no 7 sont intervenus en la présente instance, exprimant surtout des opinions et des préoccupations sur des points d’interprétation que partage aussi, dans une large mesure, le Gouvernement.

120.  Dans ces conditions, il faut souligner à titre liminaire que, comme la Cour le reconnaît dans une jurisprudence constante, c’est aux États contractants qu’il revient au premier chef de décider de l’organisation de leur système juridique, y compris de leurs procédures pénales (voir, par exemple, Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 83, CEDH 2010). Par exemple, rien dans la Convention n’interdit dans tel ou tel cas de séparer en différentes phases ou parties le processus de fixation de la peine, de sorte que différentes peines peuvent être prononcées, successivement ou parallèlement, pour une infraction qu’il convient de qualifier de « pénale » au sens autonome que revêt ce mot sur le terrain de la Convention (voir, par exemple, Phillips c. Royaume-Uni, no 41087/98, § 34, CEDH 2001VII, affaire qui concernait des griefs tirés, sur le terrain de l’article 6, d’une procédure de confiscation des recettes issues d’infractions à la législation sur les stupéfiants dirigée contre un individu et intervenant à la suite d’une condamnation du même individu pour ces mêmes infractions).

121.  Aux yeux de la Cour, les États devraient pouvoir légitimement opter pour des réponses juridiques complémentaires face à certains comportements socialement inacceptables (par exemple le non-respect du code de la route, le non-paiement des impôts ou l’évasion fiscale) au moyen de différentes procédures formant un tout cohérent de manière à traiter sous ses différents aspects le problème social en question, pourvu que ces réponses juridiques combinées ne représentent pas une charge excessive pour la personne en cause.

122.  Dans les affaires où l’article 4 du Protocole no 7 entre en jeu, la Cour a pour tâche de déterminer si la mesure nationale spécifique dénoncée constitue, dans sa substance ou dans ses effets, une double incrimination portant préjudice au justiciable ou si, au contraire, elle est le fruit d’un système intégré permettant de réprimer un méfait sous ses différents aspects de manière prévisible et proportionnée et formant un tout cohérent, en sorte de ne causer aucune injustice à l’intéressé.

123.  L’article 4 du Protocole no 7 ne saurait avoir pour effet d’interdire aux États contractants d’organiser leur système juridique de manière à permettre la majoration à un taux standard d’impôts illégalement impayés – quand bien même une telle mesure serait qualifiée en elle-même de « pénale » pour les besoins des garanties d’équité du procès prévues dans la Convention – aussi dans les cas plus graves où il y aurait peut-être lieu de poursuivre l’auteur du méfait parce qu’un élément non retenu dans la procédure « administrative » en recouvrement des impôts, par exemple un comportement frauduleux, s’ajouterait au défaut de paiement. L’article 4 du Protocole no 7 a pour objet d’empêcher l’injustice que représenterait pour une personne le fait d’être poursuivie ou punie deux fois pour le même comportement délictueux. Il ne bannit toutefois pas les systèmes juridiques qui traitent de manière « intégrée » le méfait néfaste pour la société en question, notamment en réprimant celui-ci dans le cadre de phases parallèles menées par des autorités différentes à des fins différentes.

124.  La Cour estime que la jurisprudence précitée portant sur les procédures parallèles ou mixtes, créée avec les décisions précitées R.T. c. Suisse et Nilsson puis reprise dans l’arrêt précité Nykänen et une série d’autres affaires, donne des indications utiles qui aident à définir où se trouve le juste équilibre entre la préservation nécessaire des intérêts de l’individu protégés par le principe non bis in idem, d’une part, et la prise en compte de l’intérêt particulier pour la société de pouvoir réglementer de manière calibrée le domaine en question, d’autre part. Cela dit, avant de se pencher plus avant sur les critères pertinents à l’aune desquels l’équilibre voulu peut être ménagé, la Cour juge souhaitable de préciser les conclusions à tirer de la jurisprudence existante.

125.  Premièrement, il faut conclure de l’application du critère du « lien matériel et temporel suffisamment étroit » dans les affaires finlandaises et suédoises récentes qu’il ne sera pas satisfait à ce critère si l’un ou l’autre des deux éléments – matériel ou temporel – fait défaut (paragraphe 114 cidessus).

126.  Deuxièmement, dans certaines affaires, la Cour a d’abord recherché si et, dans l’affirmative, à quel moment l’une des procédures avait fait l’objet d’une décision « définitive » (faisant potentiellement obstacle à la poursuite de l’autre procédure), avant d’appliquer le critère du « lien suffisamment étroit » et de répondre par la négative à la question du respect de la condition de « bis », c’est-à-dire de conclure à l’absence de répétition (Boman, précité, §§ 36-38). Pour la Cour, cependant, la question du caractère « définitif » ou non d’une décision ne se pose pas dès lors qu’il y a non pas une répétition des poursuites à proprement parler mais plutôt une combinaison de procédures dont on peut considérer qu’elles forment un tout intégré.

127.  Troisièmement, le point précédent a aussi une incidence sur les préoccupations exprimées par certains des gouvernements intervenants, à savoir qu’il ne faudrait pas exiger que les procédures connexes deviennent « définitives » au même moment, faute de quoi la personne concernée pourrait utiliser le principe non bis in idem à des fins de manipulation et d’impunité. Sur ce point, la conclusion figurant au paragraphe 51 de l’arrêt Nykänen, précité, et dans un certain nombre d’arrêts postérieurs, à savoir que « l’une et l’autre des procédures suivent leur propre cheminement et prennent fin indépendamment l’une de l’autre », doit être considérée comme un constat de fait : dans le régime finlandais examiné, il n’existait pas de lien suffisant d’un point de vue matériel entre la procédure administrative et la procédure pénale, alors qu’elles avaient été conduites de manière plus ou moins simultanée. L’arrêt Nykänen est un exemple de cas où l’application du critère du « lien matériel et temporel suffisant » va dans une certaine direction en fonction des faits.

128.  Quatrièmement, pour des raisons similaires à celles exposées cidessus, l’ordre dans lequel les procédures sont conduites ne saurait être un élément décisif pour se prononcer sur le point de savoir si l’article 4 du Protocole no 7 permet des procédures mixtes ou multiples (comparer avec les décisions précitées R.T. c. Suisse, où un permis de conduire avait été retiré avant l’ouverture du procès pénal, et Nilsson, où le retrait était intervenu après).

129.  Enfin, il ressort de certaines des affaires susmentionnées (Sergueï ZolotoukhineTomasović et Muslija, évoquées au paragraphes 108 et 115 ci-dessus), pour autant que celles-ci concernaient une répétition de procédures dans lesquelles les objectifs et moyens employés n’étaient pas complémentaires (paragraphe 130 ci-dessous), que la Cour n’était pas disposée à les examiner comme si elles avaient concerné des procédures parallèles ou mixtes susceptibles d’être compatibles avec le principe ne bis in idem, comme dans les affaires R.T. c. SuisseNilsson et Boman (paragraphe 113 ci-dessus).

130.  Il ressort à l’évidence de cette analyse de la jurisprudence de la Cour que, s’agissant de faits punissables aussi bien sur le terrain du droit pénal que sur celui du droit administratif, la manière la plus sûre de veiller au respect de l’article 4 du Protocole no 7 consiste à prévoir, à un stade opportun, une procédure à un seul niveau permettant la réunion des branches parallèles du régime légal régissant l’activité en cause, de façon à satisfaire dans le cadre d’un seul et même processus aux différents impératifs poursuivis par la société dans sa réaction face à l’infraction. Toutefois, ainsi qu’il a été expliqué cidessus (notamment aux paragraphes 111 et 117 à 120), l’article 4 du Protocole no 7 n’exclut pas la conduite de procédures mixtes, même jusqu’à leur terme, pourvu que certaines conditions soient remplies. En particulier, pour convaincre la Cour de l’absence de répétition de procès ou de peines (bis) proscrite par l’article 4 du Protocole no 7, l’État défendeur doit établir de manière probante que les procédures mixtes en question étaient unies par un « lien matériel et temporel suffisamment étroit ». Autrement dit, il doit être démontré que celles-ci se combinaient de manière à être intégrées dans un tout cohérent. Cela signifie non seulement que les buts poursuivis et les moyens utilisés pour y parvenir doivent être en substance complémentaires et présenter un lien temporel, mais aussi que les éventuelles conséquences découlant d’une telle organisation du traitement juridique du comportement en question doivent être proportionnées et prévisibles pour le justiciable.

131.  S’agissant des conditions à satisfaire pour que des procédures mixtes, administratives et pénales, puissent être regardées comme présentant un lien matériel et temporel suffisant et donc comme compatibles avec le critère de « bis » découlant de l’article 4 du Protocole no 7, la Cour résume de la manière suivante les considérations pertinentes tirées de sa jurisprudence telle qu’examinée cidessus.

132.  Les éléments pertinents pour statuer sur l’existence d’un lien suffisamment étroit du point de vue matériel sont notamment les suivants :

– le point de savoir si les différentes procédures visent des buts complémentaires et concernent ainsi, non seulement in abstracto mais aussi in concreto, des aspects différents de l’acte préjudiciable à la société en cause ;

– le point de savoir si la mixité des procédures en question est une conséquence prévisible, aussi bien en droit qu’en pratique, du même comportement réprimé (idem) ;

– le point de savoir si les procédures en question ont été conduites d’une manière qui évite autant que possible toute répétition dans le recueil et dans l’appréciation des éléments de preuve, notamment grâce à une interaction adéquate entre les diverses autorités compétentes, faisant apparaître que l’établissement des faits effectué dans l’une des procédures a été repris dans l’autre ;

– et, surtout, le point de savoir si la sanction imposée à l’issue de la procédure arrivée à son terme en premier a été prise en compte dans la procédure qui a pris fin en dernier, de manière à ne pas faire porter pour finir à l’intéressé un fardeau excessif, ce dernier risque étant moins susceptible de se présenter s’il existe un mécanisme compensatoire conçu pour assurer que le montant global de toutes les peines prononcées est proportionné.

133.  À cet égard, il est également instructif de tenir compte de la manière dont l’article 6 de la Convention est appliqué dans le type d’affaire aujourd’hui examinée (Jussila, précité, § 43) :

« (...) il va de soi que certaines [procédures pénales] ne comportent aucun caractère infamant pour ceux qu’elles visent et que les « accusations en matière pénale » n’ont pas toutes le même poids. De surcroît, en adoptant une interprétation autonome de la notion d’« accusation en matière pénale » par application des critères Engel, les organes de la Convention ont jeté les bases d’une extension progressive de l’application du volet pénal de l’article 6 à des domaines qui ne relèvent pas formellement des catégories traditionnelles du droit pénal, telles que les contraventions administratives (...), les punitions pour manquement à la discipline pénitentiaire (...), les infractions douanières (...), les sanctions pécuniaires infligées pour violation du droit de la concurrence (...) et les amendes infligées par des juridictions financières (...) Les majorations d’impôt ne faisant pas partie du noyau dur du droit pénal, les garanties offertes par le volet pénal de l’article 6 ne doivent pas nécessairement s’appliquer dans toute leur rigueur (...) »

Le raisonnement ci-dessus permet de dégager les éléments pertinents lorsqu’il faut déterminer si l’article 4 du Protocole no 7 a été respecté dans les affaires de procédures mixtes (administratives et pénales). De plus, comme la Cour l’a déjà dit à de nombreuses reprises, la Convention doit se lire comme un tout et s’interpréter de manière à promouvoir sa cohérence interne et l’harmonie entre ses diverses dispositions (Klass et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978, § 68, série A no 28 ; voir aussi Maaouia c. France [GC], no 39652/98, § 36, CEDH 2000-X, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000-XI, et Stec et autres c. Royaume-Uni (déc.) [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 48, CEDH 2005X).

La mesure dans laquelle la procédure administrative présente les caractéristiques d’une procédure pénale ordinaire est un élément important. Des procédures mixtes satisferont plus vraisemblablement aux critères de complémentarité et de cohérence si les sanctions imposables dans la procédure non formellement qualifiée de « pénale » sont spécifiques au comportement en question et ne font donc pas partie du « noyau dur du droit pénal » (pour reprendre les termes de l’arrêt Jussila précité). Si, à titre additionnel, cette procédure n’a pas de caractère véritablement infamant, il y a moins de chances qu’elle fasse peser une charge disproportionnée sur l’accusé. À l’inverse, plus la procédure administrative présente de caractéristiques infamantes la rapprochant dans une large mesure d’une procédure pénale ordinaire, plus les finalités sociales poursuivies par la punition du comportement fautif dans des procédures différentes risquent de se répéter (bis) au lieu de se compléter. L’issue des affaires mentionnées au paragraphe 129 ci-dessus peut passer pour des illustrations de la concrétisation d’un tel risque.

134.  De plus, ainsi qu’il a déjà été dit implicitement ci-dessus, même lorsque le lien matériel est suffisamment solide, la condition du lien temporel demeure et doit être satisfaite. Il ne faut pas en conclure pour autant que les deux procédures doivent être menées simultanément du début à la fin. L’État doit avoir la faculté d’opter pour la conduite des procédures progressivement si ce procédé se justifie par un souci d’efficacité et de bonne administration de la justice, poursuit des finalités sociales différentes et ne cause pas un préjudice disproportionné à l’intéressé. Toutefois, ainsi qu’il a déjà été précisé, il doit toujours y avoir un lien temporel. Ce lien doit être suffisamment étroit pour que le justiciable ne soit pas en proie à l’incertitude et à des lenteurs, et pour que les procédures ne s’étalent pas trop dans le temps (voir, comme exemple de lacune de ce type, Kapetanios et autres, précité, § 67), même dans l’hypothèse où le régime national pertinent prévoit un mécanisme « intégré » comportant un volet administratif et un volet pénal distincts. Plus le lien temporel est ténu, plus il faudra que l’État explique et justifie les lenteurs dont il pourrait être responsable dans la conduite des procédures.

e)  Sur le respect en l’espèce de l’article 4 du Protocole no 7

i.  Le premier requérant

135.  S’agissant du premier requérant, le bureau des impôts lui appliqua, le 24 novembre 2008, une majoration d’impôt de 30 % en vertu des articles 102 1) et 104 1) de la loi fiscale, au motif qu’il avait omis, dans sa déclaration fiscale pour l’année 2002, 3 259 341 NOK de revenus perçus à l’étranger (paragraphe 16 ci-dessus). Le premier requérant n’ayant pas attaqué cette décision, celle-ci devint définitive au plus tôt au bout de trois semaines, à l’expiration du délai de recours (paragraphe 143 ci-dessous). Il fut aussi poursuivi pénalement pour la même omission dans sa déclaration fiscale pour 2002 : le 14 octobre 2008, il fut inculpé et, le 2 mars 2009, le tribunal de Follo le reconnut coupable de fraude fiscale aggravée et le condamna à un an d’emprisonnement pour violation de l’article 12-1 1) a), voire article 12-2, de la loi fiscale (paragraphes 15 et 17 ci-dessus). La cour d’appel le débouta (paragraphe 19 ci-dessus), de même que, le 27 novembre 2010, la Cour suprême (paragraphes 20-30 ci-dessus).

α)  L’application d’une majoration d’impôt était-elle de nature pénale ?

136.  Dans le droit fil de ce qu’elle a dit au paragraphe 107 ci-dessus, la Cour recherchera si la procédure d’application de la majoration d’impôt de 30 % pouvait, sur la base des critères Engel, être qualifiée de « pénale » pour les besoins de l’article 4 du Protocole no 7.

137.  À cet égard, la Cour note que la Cour suprême a été attentive à l’évolution progressive du droit de la Convention dans ce domaine et s’est efforcée de tenir compte des évolutions de la jurisprudence de la Cour dans ses propres décisions en matière de législation fiscale (paragraphes 44-47 cidessus). Ainsi, en 2002, la Cour suprême a dit pour la première fois qu’une majoration d’impôt de 30 % constituait une « accusation en matière pénale » au sens de l’article 6 de la Convention. Elle a également jugé, contrairement à ses décisions antérieures, qu’une majoration d’impôt de 60 % revêtait un caractère pénal aux fins de l’article 4 du Protocole no 7. En 2004 et en 2006, elle a estimé qu’il en allait de même de la majoration d’impôt de 30 %.

138.  Dans des affaires comparables concernant la Suède (majorations d’impôt à des taux de 40 % et 20 %), la Cour a jugé que les procédures en question étaient « pénales » pour les besoins non seulement de l’article 6 de la Convention (Janosevic cSuède, no 34619/97, §§ 68-71, CEDH 2002VII, et Västberga Taxi Aktiebolag et Vulic c. Suède, no 36985/97, §§ 79-82, 23 juillet 2002) mais aussi de l’article 4 du Protocole no 7 (Manasson c. Suède (déc.), no 41265/98, 8 avril 2003, Rosenquist, décision précitée, Synnelius et Edsbergs Taxi AB c. Suède (déc.), no 44298/02, 17 juin 2008, Carlberg c. Suède (déc.) no 9631/04, 27 janvier 2009, et Lucky Dev, précité, §§ 6 et 51).

139.  Dans ces conditions, la Cour ne voit aucune raison de revenir sur la conclusion de la Cour suprême (paragraphes 22-25 ci-dessus) selon laquelle la procédure qui a conduit à l’imposition au premier requérant d’une majoration d’impôt au taux ordinaire de 30 % revêtait un caractère « pénal » au sens autonome donné à ce terme sur le terrain de l’article 4 du Protocole no 7.

β)  Les infractions pénales pour lesquelles le premier requérant a été poursuivi étaient-elles les mêmes que celles pour lesquelles une majoration d’impôt lui a été appliquée (idem) ?

140.  Ainsi qu’il a été dit ci-dessus (paragraphe 128), la protection qu’offre le principe non bis in idem ne dépend pas de l’ordre dans lequel les procédures sont respectivement conduites : c’est le lien entre les deux infractions qui compte (Franz Fischer c. Autriche, no 37950/97, § 29, 29 mai 2001, et Storbråten, décision précitée, Mjelde, décision précitée ainsi que Haarvig, décision précitée, Ruotsalainen c. Finlande, no 13079/03, 16 juin 2009, et Kapetanios et autres, précité).

141.  Appliquant aux faits de l’espèce l’approche harmonisée exposée dans l’arrêt Sergueï Zolotoukhine (précité, §§ 82-84), la Cour suprême a conclu que les circonstances factuelles sur lesquelles reposaient la majoration d’impôt et la condamnation pénale – c’est-à-dire dans les deux cas l’omission dans la déclaration fiscale de certaines informations concernant des revenus – étaient suffisamment similaires pour satisfaire à la condition susmentionnée (paragraphe 21 ci-dessus). Les parties ne le contestent pas et, malgré l’élément factuel supplémentaire de fraude qui caractérise l’infraction pénale, la Cour ne voit aucune raison de conclure autrement.

γ)  Y a-t-il eu une décision définitive ?

142.  Pour ce qui est de savoir si, au cours de la procédure de majoration d’impôt, une décision « définitive » susceptible de faire obstacle à des poursuites pénales a été prise (Sergueï Zolotoukhine, précité, §§ 107-108), la Cour renvoie à son analyse cidessus. Étant convaincue, à l’issue de son examen ci-dessous, de l’existence d’un lien matériel et temporel suffisant entre la procédure fiscale et la procédure pénale pour que celles-ci puissent être regardées comme formant une solution juridique intégrée répondant au comportement du premier requérant, elle n’estime pas nécessaire d’examiner plus avant la question du caractère définitif de la procédure fiscale en elle-même. À ses yeux, la circonstance que la première procédure a été clôturée de manière « définitive » avant la seconde n’a aucune incidence sur l’examen cidessous de l’articulation entre elles deux (paragraphe 126 ci-dessus).

143.  Point n’est donc besoin pour la Cour de donner son avis sur l’analyse faite par la Cour suprême de la question de savoir si la première décision du 24 novembre 2008 était devenue définitive à l’expiration du délai de recours administratif de trois semaines ou à celle du délai de recours judiciaire de six mois (paragraphe 27 ci-dessus).

δ)  Y a-t-il eu répétition de poursuites (bis) ?

144.  Les autorités nationales compétentes ont jugé que le comportement répréhensible du premier requérant appelait deux réponses : une sanction administrative au titre du chapitre 10 de la loi fiscale, consacré aux majorations d’impôt, et une sanction pénale au titre du chapitre 12 de cette même loi (paragraphes 15, 16 et 41-43 cidessus), chacune ayant une finalité différente. Comme la Cour suprême l’a expliqué dans ses arrêts rendus en mai 2002 (paragraphe 46 cidessus), la sanction administrative que constitue la majoration d’impôt a une finalité générale de dissuasion, en réaction à la communication par le contribuable, peut-être innocemment, de déclarations ou informations inexactes ou incomplètes, et elle vise aussi à compenser les ressources humaines et financières considérables consacrées par les autorités fiscales pour le compte de la collectivité aux contrôles et vérifications destinés à repérer les déclarations erronées. L’objectif est que les personnes ayant communiqué des informations incomplètes ou inexactes supportent ces coûts dans une certaine mesure. Le calcul de l’impôt est une opération massive qui fait intervenir des millions de citoyens. Pour la Cour suprême, la majoration d’impôt ordinaire a avant tout pour but d’inciter le contribuable à respecter son obligation de fournir des informations complètes et exactes et de renforcer les fondations du système fiscal national, condition indispensable au bon fonctionnement de l’État et, partant, de la société. Comme l’a dit la Cour suprême, une condamnation pénale au titre du chapitre 12, en revanche, poursuit des fins non seulement dissuasives mais aussi répressives s’agissant de la même omission préjudiciable pour la société, et comporte un élément additionnel de fraude délictueuse.

145.  C’est ainsi que, à la suite d’un contrôle fiscal conduit en 2005, le fisc porta plainte au pénal contre le premier requérant et d’autres personnes à l’automne 2007 (paragraphe 13 ci-dessus). En décembre 2007, l’intéressé fut interrogé en tant qu’accusé et détenu pendant quatre jours (paragraphe 14 ci-dessus). En août 2008, s’appuyant notamment sur les conclusions de l’enquête pénale, le fisc l’avisa qu’il allait le redresser, notamment pour l’année 2002, au motif qu’il avait omis de déclarer 3 259 341 NOK. Cet avis reposait sur les conclusions du contrôle fiscal de la société Software Innovation AS mené par le fisc, sur l’enquête pénale consécutive et sur la déposition faite par le premier requérant au cours de cette enquête (paragraphe 16 ci-dessus). En octobre 2008, le premier requérant fut inculpé d’infractions fiscales par Økokrim. Par une décision du 24 novembre 2008, le fisc ordonna son redressement et le versement par lui de la majoration d’impôt en question. Cette décision était notamment fondée sur les dépositions faites par le premier et le second requérant lors d’interrogatoires menés au cours de l’enquête pénale. Un peu plus de deux mois plus tard, le 2 mars 2009, le tribunal de Follo condamna l’intéressé pour fraude fiscale au motif qu’il avait omis le montant susmentionné dans sa déclaration fiscale pour l’année 2002. Pour la Cour, il est particulièrement important de constater que, conformément aux principes généraux du droit national en matière de fixation des peines (paragraphe 50 ci-dessus), ledit tribunal a prononcé la peine de un an d’emprisonnement en tenant compte de ce que le premier requérant avait déjà été lourdement sanctionné par l’application de la majoration d’impôt (paragraphe 17 ci-dessus ; comparer avec les arrêts précités Kapetanios et autres, § 66, où les juridictions administratives avaient imposé des amendes administratives sans tenir compte de l’acquittement des requérants à l’issue des procédures pénales antérieures relatives au même comportement, et Nykänen, où la Cour a conclu à l’absence de lien matériel suffisant entre les deux procédures).

146.  Dans ces conditions, la Cour conclut premièrement qu’elle n’a aucune raison de mettre en doute les motifs pour lesquels le législateur norvégien a choisi de réprimer au moyen d’une procédure mixte (administrative et pénale) intégrée le comportement préjudiciable à la société consistant à ne pas payer ses impôts, non plus que ceux pour lesquels les autorités norvégiennes compétentes ont décidé, à l’égard du premier requérant, de traiter séparément l’élément de fraude, plus grave et plus répréhensible socialement, dans le cadre d’une procédure pénale plutôt que dans celui d’une procédure administrative ordinaire.

Deuxièmement, la conduite de procédures mixtes, avec une possibilité de cumul de différentes peines, était prévisible par le premier requérant, qui dès le début n’était pas censé ignorer que des poursuites pénales s’ajoutant à une majoration d’impôt étaient de l’ordre du possible, voire du probable, compte tenu du dossier (paragraphes 13 et 16 ci-dessus).

Troisièmement, il semble clair que, comme l’a dit la Cour suprême, les procédures administrative et pénale ont été conduites en parallèle et étaient imbriquées (paragraphe 29 ci-dessus). Les faits établis dans le cadre de l’une de ces procédures ont été repris dans l’autre et, pour ce qui est de la proportionnalité de la peine globale, la sanction pénale a tenu compte de la majoration d’impôt (paragraphe 17 ci-dessus).

147.  Compte tenu des faits portés à sa connaissance, la Cour conclut que rien n’indique que le premier requérant ait subi un préjudice disproportionné ou une injustice en conséquence de la réponse juridique intégrée, dénoncée par lui, apportée à son absence de déclaration de certains revenus et au nonpaiement de certains de ses impôts. Aussi, eu égard aux considérations exposées ci-dessus (et notamment celles résumées aux paragraphes 132134), la Cour est-elle convaincue que, si des sanctions différentes ont été imposées par deux autorités différentes lors de procédures différentes, il existait néanmoins entre celles-ci un lien, tant matériel que temporel, suffisamment étroit pour les considérer comme s’inscrivant dans le mécanisme intégré de sanctions prévu par le droit norvégien dans le cas où une omission d’informations sur certains revenus dans une déclaration fiscale conduit à une erreur dans l’assiette de l’impôt (paragraphe 21 cidessus).

ii.  Le second requérant

148.  Pour ce qui est du second requérant, reprenant le raisonnement suivi par la Cour suprême dans l’arrêt concernant le premier requérant, la cour d’appel jugea, premièrement, que la décision prise le 5 décembre 2008 par le fisc ordonnant à l’intéressé de payer une majoration d’impôt de 30 % s’analysait bien en l’imposition d’une sanction « pénale » au sens de l’article 4 du Protocole no 7 ; elle dit deuxièmement que la décision était devenue « définitive » le 26 décembre 2008, date d’expiration du délai de recours et, troisièmement, que la décision de majoration d’impôt et la condamnation pénale ultérieure se rapportaient aux mêmes faits (paragraphe 37 ci-dessus). Comme dans le cas du premier requérant, la Cour ne voit aucune raison de conclure autrement sur le premier et troisième point, non plus que la nécessité de se prononcer sur le deuxième.

149.  S’agissant de la question qui se pose ensuite, c’est-à-dire celle de savoir s’il y a eu ou non une répétition des poursuites (bis) incompatible avec le Protocole no 7, la Cour relève que, comme à l’égard du premier requérant (paragraphe 144 ci-dessus), les autorités compétentes ont jugé qu’une procédure mixte se justifiait dans le cas du second requérant.

150.  Quant au déroulement précis des procédures en cause, à la suite du contrôle conduit par lui en 2005, le fisc porta plainte au pénal auprès d’Økokrim à l’automne 2007 contre le second requérant (comme il l’avait fait contre le premier requérant et d’autres personnes) au motif que l’intéressé n’avait pas déclaré 4 561 881 NOK (soit environ 500 000 EUR) de revenus pour l’année fiscale 2002 (paragraphe 31 cidessus). Le 16 octobre 2008, s’appuyant en particulier sur le contrôle fiscal, sur la déposition faite par le second requérant au cours de l’enquête pénale en question ainsi que sur les documents saisis par Økokrim lors de l’enquête, le bureau des impôts avisa l’intéressé qu’il envisageait de le redresser fiscalement au motif que celui-ci avait omis de déclarer lesdits revenus, et d’appliquer à son égard une majoration d’impôt (paragraphe 32 cidessus). Le 11 novembre 2008, le parquet inculpa le second requérant de fraude fiscale pour l’omission par celui-ci du montant susmentionné, ce qui représentait 1 302 526 NOK d’impôts à payer, et pria le tribunal d’Oslo de rendre un jugement sommaire fondé sur ses aveux (paragraphe 33 cidessus). Le 5 décembre 2008, date à laquelle le bureau des impôts ordonna au second requérant, au titre du redressement, de verser ce montant ainsi que la majoration d’impôt en question, la procédure pénale était déjà bien avancée (paragraphe 32 ci-dessus).

Ainsi, il ressort des éléments ci-dessus que, depuis la plainte dont le fisc avait saisi la police à l’automne 2007 et jusqu’à la décision de majoration d’impôt prise le 5 décembre 2008, la procédure pénale et la procédure fiscale ont été conduites en parallèle et étaient imbriquées. Cette situation est similaire à celle du premier requérant.

151.  Il est vrai que, comme l’a relevé la cour d’appel, la période de neuf mois séparant la date à laquelle la décision prise par le fisc le 5 décembre 2008 était devenue définitive et la date de la condamnation du second requérant par le tribunal d’Oslo (le 30 septembre 2009) – était un peu plus longue que la période de deux mois et demi écoulée dans le procès du premier requérant. Toutefois, comme la cour d’appel l’a également indiqué (paragraphe 39 ci-dessus), cela s’expliquait par la rétractation du second requérant en février 2009, en conséquence de laquelle il avait fallu l’inculper de nouveau le 29 mai 2009 et le juger dans le cadre d’un procès contradictoire ordinaire (paragraphes 34 et 35 ci-dessus). Cette circonstance, résultat d’un revirement du second requérant, ne saurait suffire en ellemême à rompre le lien temporel unissant la procédure fiscale et la procédure pénale. En particulier, le laps de temps supplémentaire qui s’était écoulé avant l’audience au pénal ne saurait passer pour disproportionné ou déraisonnable, à en juger par sa cause. Il demeure, et c’est ce qui importe, que, comme dans le cas du premier requérant, la juridiction de jugement a fixé la peine lors du procès pénal en tenant effectivement compte de la majoration d’impôt (paragraphe 35 ci-dessus).

152.  Dès lors, s’agissant du second requérant, la Cour ne voit pas non plus de raison de mettre en doute les motifs pour lesquels les autorités norvégiennes ont choisi de réprimer au moyen d’une procédure mixte (administrative et pénale) intégrée le comportement répréhensible en cause. La possibilité d’un cumul de différentes peines était forcément prévisible au vu des circonstances (paragraphes 13 et 32 ci-dessus). La procédure administrative et la procédure pénale ont été conduites dans une large mesure en parallèle et elles étaient imbriquées (paragraphe 39 ci-dessus). Là encore, les faits établis dans le cadre de l’une de ces procédures ont été repris dans l’autre et, pour ce qui est de la proportionnalité de la peine globale, la sanction pénale a été fixée en tenant compte de la sanction administrative (paragraphes 33 et 35 ci-dessus).

153.  Compte tenu des faits portés à sa connaissance, la Cour conclut que rien n’indique que le second requérant ait subi un préjudice disproportionné ou une injustice en conséquence de la réponse juridique intégrée, dénoncée par lui, apportée à son absence de déclaration de certains revenus et au non-paiement de certains de ses impôts. Aussi, eu égard aux considérations exposées ci-dessus (et notamment celles résumées aux paragraphes 132134), la Cour conclut-elle qu’il existait entre la décision de majoration d’impôt et la condamnation pénale ultérieure un lien, tant matériel que temporel, suffisamment étroit pour considérer que ces mesures s’inscrivaient dans le mécanisme intégré de sanctions prévu par le droit norvégien dans le cas où une omission d’informations dans une déclaration fiscale conduit à une erreur dans l’assiette de l’impôt.

iii.  Conclusion générale

154.  Au vu de ce qui précède, aucun des deux requérants ne peut passer pour avoir été « poursuivi ou puni pénalement (...) en raison d’une infraction pour laquelle il a[vait] déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif », au mépris de l’article 4 du Protocole no 7. La Cour conclut dès lors à la non-violation de cette disposition en l’espèce, et ce à l’égard du premier requérant comme du second.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1.  Déclare, à l’unanimité, les requêtes recevables ;

 

2.  Dit, par seize voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention dans le chef du premier et du second requérant.

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