CA Lyon, 1re ch. civ. A, 2 octobre 2025, n° 21/06883
LYON
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Wyon
Conseiller :
M. Seitz
Avocats :
Me Redon, SELARL LX Lyon, SELARL FCP Avocat
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES:
Le [Date décès 2] 2016, Mme [N] [G] épouse [M] est décédée laissant pour lui succéder trois enfants dont Mr [T] [M] et Mme [E] [M] ,mariée à Mr [V] [J]
Alléguant avoir reçu du site 'Youtube' des notifications l'informant que Mr [U] avait inscrit des commentaires sous une de ses vidéos relative à son activité artistique, et arguant d'un comportement dénigrant, Mr [T] [M] a suivant exploit d'huissier du 26 octobre 2019, fait assigner Mr [D] [U] devant le tribunal de grande instance de Lyon en indemnisation de son préjudice, action qu'il a fondée sur les dispositions de l'article 1240 du code civil.
Par jugement du 24 août 2021, le tribunal judiciaire de Lyon a :
- rejeté l'exception de nullité de l'assignation,
- rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription,
- débouté Mr [T] [M] de ses demandes,
- condamné Mr [T] [M] aux dépens,
- condamné Mr [T] [M] à payer à Mr [D] [U] la somme de 1.500 € au titre des frais irrépétibles,
- rejeté toutes les autres demandes plus amples ou contraires formées par les parties.
Par déclaration du 6 septembre 2021, Mr [M] a interjeté appel de ce jugement.
Au terme de ses dernières conclusions notifiées le 15 septembre 2022, Mr [M] demande à la cour de :
- infirmer les chefs du jugement suivants :
- le débouté de ses demandes,
- sa condamnation aux dépens,
- sa condamnation à payer à Mr [D] [U] la somme de 1.500 € au titre des frais non répétibles de l'instance,
- réformer le jugement dont appel
et statuant à nouveau,
- juger que Mr [V] [U] est responsable à titre personnel du préjudice et des dommages (au titre de l'article 1240 du code civil) qui lui sont causés,
en conséquence,
- condamner Mr [V] [U] au paiement d'une somme de 10.000 € au titre du préjudice commercial,
- condamner Mr [V] [U] au paiement d'une somme de 15.000 € au titre du préjudice moral,
- condamner Mr [V] [U] à lui payer une somme de 7.550 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mr [V] [U] aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Laffly, avocat au barreau de Lyon, dans les conditions prévues à l'article 699 du code de procédure civile.
Au terme de ses dernières conclusions notifiées le 17 juin 2022, Mr [U] demande à la cour de :
in limine litis,
- déclarer l'assignation du 29 octobre 2018 nulle et de nul effet pour défaut des mentions obligatoires prévues par la loi du 29 juillet 1881,
à titre principal,
- prononcer l'irrecevabilité des demandes de Mr [M] comme prescrites,
à titre subsidiaire,
- recevoir son appel incident et le dire fondé,
- prononcer la nullité du constat de la SCP [I] [K] du 31 août 2018 14h55 et la nullité du constat de la SCP [I] [K] du 31 août 2018 14h08,
- débouter Mr [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
en tout état de cause,
- condamner Mr [M] à lui payer la somme de 5.000 € de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamner Mr [U] à lui payer la somme de 6.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner le même aux entiers dépens de l'instance.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 22 novembre 2022.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1° sur la nullité de l'assignation :
Mr [M] fait valoir sur la nullité de l'assignation alléguée par Mr [U] qu'il ne l'a pas assigné en diffamation, les propos tenus étant seulement constitutifs d'un dénigrement sanctionné sur les fondements des articles 1240 et 1241 du code civil et qu'il avait au surplus, la possibilité de se prévaloir de ces dispositions quant bien même on serait en présence de faits correspondant à l'élément matériel d'une infraction de presse.
Mr [U] déclare que :
- l'assignation du 26 octobre 2018 doit être déclarée nulle car elle ne respecte pas les dispositions d'ordre public de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881,
- les faits allégués ne peuvent en effet être qualifiés de dénigrement car il n'est pas un peintre concurrent de Mr [M], l'objectif des messages n'était pas de détourner sa clientèle à son profit et les messages postés s'apparentent davantage à l'allégation ou à l'imputation d'un fait qui porterait atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne désignée relevant des dispositions sur la loi de 1881,
- dés lors que l'assignation ne précise pas le texte applicable et qu'elle n'a pas été dénoncée au Ministère Public, elle encourt de ce fait la nullité.
Sur ce :
L'article 29 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 dispose que :
'Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.
Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure.'
Il est constant que les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1240 du code civil.
Par ailleurs, le dénigrement, qui relève de la catégorie des actes de concurrence déloyale consiste à jeter publiquement le discrédit sur les produits, l'entreprise ou la personnalité d'un concurrent pour en tirer un profit.
Bien que constituant un abus spécifique de la liberté d'expression, le dénigrement est sanctionné sur le fondement de l'article 1240 du code civil, une jurisprudence constante affirmant que les appréciations, même excessives, touchant les produits, les services ou les prestations d'une entreprise industrielle ou commerciale n'entrent pas dans les prévisions de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881.
Enfin, même si le dénigrement peut émaner d'un non-concurrent, la notion de dénigrement relève du domaine des affaires et vise les appréciations portant sur des produits, services ou prestations d'une entreprise industrielle ou commerciale et non pas celles qui ont pour but de porter atteinte à l'honneur ou à la considération d'une personne.
En l'espèce, les propos reprochés par Mr [M] à l'intimé sont mis en évidence par un constat d'huissier établi le 31 août 2018 et reproduisant des emails attribués à Mr [U] dans la boîte de réception de son compte You Tube, portant le titre suivant 'nouveau commentaire sur Balade Polynésienne', correspondant à une vidéo postée par Mr [M] sur You Tube.
Ils sont les suivants :
* Ce 'barbouilleur' n'a aucune valeur artistique . Sa peinture n'est qu'une superposition de couleurs sans aucune luminosité ni perspective...Des à plats de couleur, tout au plus...On ne se prétend pas 'peintre' avec ce 'barbouillage' puérile et son prétendu référencement 'akoun' n'est qu'une vaste fumisterie, il suffit de payer une cotisation (coût de la cotisation : 103 euros TTC) pour y être inscrit. Cette association n'a aucune reconnaissance légitime.'
Et encore
* (...)On ne se prétend pas 'peintre' et encore moins s'auto-proclamer 'artiste peintre '[M]' (un peu d'humilité...) avec ce 'barbouillage 'puérile' et son prétendu référencement a****, est bien naïf... il suffit de payer une cotisation pour y être inscrit. La vrai valeur d'une oeuvre, c'est en salle des ventes qu'elle s'évalue, quant on sait ce qu'un commissaire priseur en a estimé la 'valeur'...y a pas de quoi pavoiser...à part flatter son ego!!!'
Ou encore,
- (....)'La musique, c'est comme la peinture, on ne s'improvise pas 'musicien' ou 'peintre' quant on n'en a aucune capacité...pauvre BACH. Quel gâchis ! Encore une histoire d'ego(...)'
A l'évidence, les propos incriminés qui ne s'inscrivent pas dans une relation commerciale entre les parties et ne visent pas à jeter le discrédit sur des produits ou services en vue d'en tirer un quelconque profit, ne peuvent être qualifiés de dénigrement.
Alors que les propos allégués relèvent en fait d'une appréciation de la qualité artistique des oeuvres de Mr [M], ils pourraient constituer, sinon une diffamation en l'absence de faits précis qui seraient susceptibles d'être vérifiés, à tout le moins une injure s'il était considéré sur le fond qu'ils ont un caractère outrageant ou méprisant et qu'ils ont été tenus dans le but de porter atteinte à son honneur ou à sa considération.
Ils relèvent ainsi de la loi du 29 juillet 1881 dont il convient de rappeler que l'application des règles de procédure qu'elle instaure sont d'ordre public.
L'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 dispose que :
'La citation précisera et qualifiera le fait incriminé, elle indiquera le texte de loi applicable à la poursuite.
Si la citation est à la requête du plaignant, elle contiendra élection de domicile dans la ville où siège la juridiction saisie et sera notifiée tant au prévenu qu'au ministère public.
Toutes ces formalités seront observées à peine de nullité de la poursuite'.
En l'espèce, l'assignation délivrée à Mr [U] ne comporte aucune mention des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 et n'a pas été notifiée au ministère public.
Il convient par voie de conséquence, infirmant le jugement, de déclarer nulle l'assignation du 29 octobre 2018 et de constater en conséquence que le tribunal n'a pas été valablement saisi.
2° sur les autres demandes, les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
Ni les circonstances du litige, ni les éléments de la procédure, ne permettent de caractériser à l'encontre de l'appelant une faute de nature à faire dégénérer en abus son droit de se défendre en justice.
II convient dés lors de débouter Mr [U] de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive.
Le jugement est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens d'appel sont mis à la charge de Mr [M] qui succombe en ses prétentions.
La cour estime que l'équité implique de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de Mr [U] en cause d'appel et lui alloue la somme de 1.500 €.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Infirme le jugement déféré sauf en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens
statuant de nouveau et y ajoutant,
Déclare nulle l'assignation du 29 octobre 2018 délivrée par Mr [M] à Mr [U] et constate en conséquence que le tribunal n'a pas été valablement saisi ;
Déboute Mr [V] [U] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Condamne Mr [T] [M] à payer à Mr [V] [U] en cause d'appel la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mr [T] [M] aux dépens d'appel.