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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 9, 1 octobre 2025, n° 23/19472

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 23/19472

1 octobre 2025

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 9

ARRÊT DU 1er OCTOBRE 2025

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/19472 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIUBK

Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Juin 2023 - Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2022053588

APPELANTE

Mme [Z] [F]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Manuel MENEGHINI de la SELARL LINCOLN AVOCATS CONSEIL, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE

S.A.S. [8]. agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Immatriculée au RCS de [Localité 6] sous le n° [N° SIREN/SIRET 5]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 Juin 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

Sophie MOLLAT, Présidente

Alexandra PELIER-TETREAU, Conseillère

Caroline TABOUROT, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Yvonne TRINCA

ARRÊT :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Alexandra PELIER-TETREAU, Conseillère pour la présidente empêchée, et par Yvonne TRINCA, greffier présent lors de la mise à disposition.

Exposé des faits et de la procédure

La société par actions simplifiée [8], constituée le 29 janvier 2019 et dirigée par Mme [V] en qualité de présidente et par Mme [F] en qualité de directrice générale, a pour activité la fourniture d'un accès virtuel à un dressing à travers une application mobile dénommée « Vera ».

Le capital de la société était détenu initialement à hauteur de 65% par Mme . [V] et à hauteur de 35% par Mme [F].

Un pacte extrastatutaire a été signé le 11 février 2022 entre les actionnaires, à l'occasion de l'entrée au capital d'un nouvel investisseur, la société [7], également signataire du pacte, qui a apporté environ la somme de 750 000 euros, pour détenir 60% du capital de la société [8].

Le 28 juillet 2022, l'assemblée générale de la société [8] a voté la révocation de Mme [F] de ses fonctions de directrice générale.

Par acte du 28 octobre 2022, Mme [F] a assigné la société [8] et demandé la réparation de préjudices subis du fait de sa révocation qu'elle juge injustifiée, abusive et brutale.

Par jugement du 30 juin 2023, le tribunal de commerce de Paris a notamment dit que la révocation de Mme [F] n'est ni abusive, ni brutale et l'a débouté de ses demandes de dommages intérêts ; condamné la société [8] à payer à Mme [F] pendant dix-huit mois à compter du 1er août 2022 la somme de 1 625,28 euros (65 000 * 0,3/12) chaque mois outre les intérêts légaux avec anatocisme au titre de la clause de non-concurrence ; condamné la société [8] à payer la somme de 5 000 euros à Mme [F] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; rejeté les demande plus amples ou contraires ; condamné la société [8] aux dépens de l'instance.

Par déclaration du 5 décembre 2023, Mme [F] a interjeté appel de ce jugement, intimant la société [8]. Cette dernière a relevé appel incident.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 11 juillet 2024, Mme [F] demande à la cour d'appel de Paris de :

- Confirmer le jugement du 30 juin 2023 en ce qu'il a condamné la société [8], exerçant sous l'enseigne commerciale « [10] », à lui verser la somme de 1 625,28 euros par mois pendant 18 mois outre les intérêts légaux avec anatocisme au titre de l'indemnité de non-concurrence ;

- Infirmer le jugement du 30 juin 2023 en ce qu'il a considéré que sa révocation en qualité de directrice générale de la société [8], exerçant sous l'enseigne commerciale « Vera », n'était ni brutale ni abusive ;

- Infirmer le jugement du 30 juin 2023 en ce qu'il a débouté Mme . [F] de ses demandes de dommages et intérêts pour révocation abusive et brutale comprenant sa perte de chance de percevoir une rémunération ainsi qu'un préjudice moral.

Statuant à nouveau,

- Condamner la société [8], exerçant sous l'enseigne commerciale « [10] », à verser à Mme [F] la somme de 360 750,07 euros brut au titre de sa perte de chance de percevoir sa rémunération en raison de sa révocation brutale, abusive et non fondée sur un juste motif de sa fonction de directrice générale ;

- Condamner la société [8], exerçant sous l'enseigne commerciale « [10] », à verser à Mme [F] la somme de 20 000 euros au titre du préjudice moral subi en raison de sa révocation abusive de sa fonction de directrice générale.

En tout état de cause,

- Condamner la société [8], exerçant sous l'enseigne commerciale « [10] », à verser à Mme [F] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société [8], exerçant sous l'enseigne commerciale « [10] », à verser à Mme [F] les entiers dépens de l'instance qui seront directement recouvrés par Me Meneghini, avocat barreau de Paris, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 17 mai 2024, la société [8] demande à la cour d'appel de Paris de :

- Déclarer recevable mais mal fondé l'appel formé par Mme [F] ;

- Déclarer recevable et bien fondé l'appel incident formé par la société [8] ;

- Confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que la révocation de Mme [F] est intervenue pour justes motifs ;

- Confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que la révocation n'était ni brutale, ni vexatoire ;

- Confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que Mme [F] ne pouvait revendiquer une perte de chance de percevoir sa rémunération ;

- Confirmer le jugement en ce qu'il a considéré qu'elle ne justifie d'aucun préjudice moral.

En conséquence,

- Confirmer le jugement en ce qu'il a « dit que la révocation de Mme [F] ni abusive ni brutale et l'a débouté de ses demandes de dommages intérêts » ;

- Infirmer le jugement en ce qu'il :

Condamne la société [8] à payer à Mme [F] pendant dix-huit mois à compter du 1er août 2022 (65 000 * 0,3/12) = 1 625,28 euros chaque mois outre les intérêts légaux avec anatocisme au titre de la clause de non-concurrence,

Condamne la société [8] à payer la somme de 5 000 euros à Mme [F] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette les demande plus amples ou contraires (mais uniquement lorsqu'il rejette les demandes de la société [8]),

Condamne la société [8] aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 70,86 euros dont 11,60 euros de TVA.

Et statuant à nouveau de ces seuls chefs et y ajoutant,

- Juger à titre principal que Mme [F] n'était soumise à aucune clause de non-concurrence ;

- Juger à titre subsidiaire que Mme [F] ne pouvait prétendre percevoir que la somme de 135,42 euros par mois pendant dix-huit mois au titre de sa clause de non-concurrence ;

- Condamner Mme [F] à rembourser toute somme excédentaire qu'elle aurait perçu avec intérêts au taux légal ;

- La débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- La condamner à verser à la société [8] 30 000 euros au titre de l'abus de procédure ;

- La condamner à verser à la société [8] 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens (y compris la totalité des frais et honoraires d'huissier en cas d'exécution forcée de la décision à intervenir, en ce compris tout droit proportionnel, en application des dispositions des articles A. 444-31 et A. 444-32 du code de commerce et L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution) avec le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 7 mai 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'absence de justes motifs de révocation

Mme [F], rappelant les dispositions des articles L. 227-1 du code de commerce et 14.2 paragraphe 6 des statuts, soutient que la révocation du directeur général de la société [10] doit intervenir pour justes motifs, et que, selon la jurisprudence, cette révocation doit être justifiée et exacte ; qu'en l'espèce, la société [10] n'a soulevé que des motifs fantaisistes sans ramener aucun élément de preuve pour justifier la révocation de Mme [F] de ses fonctions de directrice générale ; qu'avant la révocation de Mme . [F], la société [10] a, à compter du mois de février 2022, écarté Mme . [F] de toute décision et l'a empêchée de mener à bien ses fonctions de directrice générale, étant précisé qu'elle n'avait plus d'informations sur les avancées dans les dossiers de la société [10] depuis avril 2022, qu'elle ne disposait plus de moyen pour exercer son mandat, qu'elle ne disposait plus des accès lui permettant d'exercer correctement ses fonctions depuis mai 2022, et qu'elle n'avait plus de délégation de signature ; que ces faits ont été reprochés à la société [8] par courriers et par échanges téléphoniques mais que celle-ci n'a apporté aucun changement ; que les agissements de la présidente ont créé une atmosphère de travail délétère, dans laquelle Mme [F] devait travailler, poussant alors cette dernière à s'interroger sur les intentions de la présidente à son égard ; qu'ainsi, la révocation ne repose sur aucun motif relatif à la bonne exécution des fonctions de directrice générale mais uniquement sur des motifs purement personnels, comme en atteste sa réponse aux griefs adressés en vue de sa révocation ; que l'intimée tente de détourner ses propos en les sortant de leur contexte, alors qu'il est démontré par les pièces versées aux débats qu'elle n'avait aucune volonté de quitter l'entreprise ; qu'en conséquence, sa révocation n'est fondée sur aucun juste motif et que les motifs allégués sont incontestablement fallacieux.

Mme . [F] soutient en outre que, concernant l'utilisation des fonds de la société, ceux-ci étaient d'un faible montant et étaient pleinement justifiés par l'exercice de ses fonctions ; qu'il n'est pas démontré que les cinq règlements litigieux évoqués pour une somme de 2 142 000 euros ont été directement effectués par elle ; que, conformément au pacte d'associés, elle n'exerçait initialement pas ses fonctions à temps plein dans l'entreprise [8] et avait un autre emploi ; qu'en tout état de cause, il ressort des courriers du 21 février 2022, du 3 mai 2022, et des choix de prestataires faits par Mme [F] qu'elle était entièrement impliquée dans l'exercice de ses fonctions ; que la société [12], prestataire, n'avait aucun lien d'amitié avec elle contrairement à ce que soutient l'intimée, et que ce prestataire a été choisi pour ses compétences, étant précisé que la présidente de la société [10] avait validé ce choix ; qu'enfin, l'intimée échoue à rapporter la preuve de ce qu'elle n'aurait pas correctement exécuté ses fonctions de directrice générale.

La société [8] réplique que des justes motifs de révocation sont caractérisés en cas de mésentente entre dirigeants de nature à compromettre l'intérêt social, en cas de divergence de vues entre associés majoritaires et dirigeant sur la politique à mener, ou encore lorsqu'un dirigeant s'attribue sans autorisation des remboursements de frais de déplacement ; qu'il appartient au dirigeant révoqué de prouver le défaut de juste motif ; qu'en l'espèce, la révocation du dirigeant de la société [8] intervient, suivant l'article 14.2 des statuts, sur juste motif, et que Mme [F] a été révoquée pour les cinq motifs indiqués dans le courrier du 20 juillet 2022 portant convocation à l'assemblée générale du 28 juillet 2022, à laquelle elle a été révoquée. La société [8] en conclut que la révocation de Mme [F] est intervenue sur de justes motifs et qu'en conséquence, aucune indemnité au titre d'une révocation intervenue sans juste motif n'est due à Mme [F].

Sur ce,

Aux termes de l'article L. 227-5 du code de commerce, dans les SAS « Les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée. »

Aux termes de l'article 14.2 des statuts de la société [8], il est stipulé que « Le directeur général (et le directeur général délégué) est révocable uniquement pour justes motifs par décision des associés ».

Il est admis que le juste motif de révocation peut résulter d'une faute de gestion commise par le dirigeant mais qu'il peut se définir également en fonction des conséquences que le comportement du dirigeant peut avoir pour la société. Ainsi, il a été jugé que l'attitude du dirigeant, même si elle n'est pas fautive, constitue un juste motif de révocation lorsqu'elle est de nature à compromettre l'intérêt social ou le fonctionnement de la société.

En l'espèce, Mme [F] a été révoquée de ses fonctions de directrice générale de la société [8] suivant assemblée générale du 28 juillet 2022 pour les motifs suivants :

- Volonté exprimée à plusieurs reprises de se retirer de la société ;

- Absence d'exercice des fonctions ;

- Manquements concernant la sélection des prestataires en charge du développement et de l'application et du site internet de « Vera » et le suivi de ces chantiers.

- L'utilisation de fonds de la société inexpliqués.

S'agissant du premier motif de révocation avancé, à savoir la volonté de Mme [F] de quitter la société, il résulte des différentes pièces versées aux débats, et notamment du courriel du 31 mai 2022 que Mme [F] souhaitait effectivement s'engager dans un protocole actant sa sortie de la société. Cependant, dans un contexte de mésentente entre dirigeantes associées, cette volonté de sortir de la société ne justifie pas à lui seul un juste motif de révocation.

S'agissant du deuxième motif de révocation avancé, à savoir l'absence d'exercice effectif de ses fonctions de directrice générale à compter du 5 avril 2022, ce motif s'apparente à une faute de gestion.

Pour se défendre, Mme [F] produit, à l'appui de ses conclusions, plusieurs courriels aux fins de démontrer l'inexactitude et le caractère infondé de ce motif de révocation. Cependant, la cour relève que si ces courriels attestent de l'existence d'une mésentente entre l'appelante et la présidente de la société [8], ils ne permettent toutefois pas d'établir la réalité du travail prétendument réalisé par Mme [F] en qualité de directrice générale ni à compter du 5 avril 2022, ni avant cette date.

Si l'appelante fait valoir qu'elle aurait été privée des accès informatiques lui permettant d'exercer ses fonctions à compter du mois de mai 2022, il n'est ni prouvé la réalité de ces allégations, ni que Mme [F] aurait exercé effectivement ses fonctions avant cette date. À l'inverse, il ressort des pièces versées aux débats, et notamment des courriels du 10 novembre 2021, du 18 février 2022, du 5 avril 2022, et du 31 mai 2022, que, dans un contexte de mésentente entre dirigeantes associées où la sortie de Mme [F] avait été évoquée plusieurs mois avant sa révocation, il était déjà reproché à l'appelante par la présidente de la société [8] de ne pas exercer effectivement ses fonctions.

S'il est constant que, suivant l'article 16.1 du pacte d'associés signé le 11 février 2022, « Madame [Z] [F] pourra consacrer, jusqu'au mois de mars 2022, une partie raisonnable de son temps à une autre activité, sans que cela ne porte préjudice au développement de la Société et à son implication au sein de la société », d'une part, cette disposition ne s'appliquait plus à la date de sa révocation et d'autre part il n'est pas rapporté la preuve que Mme [F] avant ou après le mois de mars 2022 aurait eu une autre activité conformément à cette clause.

Ce motif de révocation sera par conséquent retenu.

S'agissant du troisième motif de révocation avancé, à savoir les manquements dans les choix opérés par Mme [F] quant aux prestataires de la société, il ressort des pièces versées aux débats que les chantiers dont Mme [F] avait la charge et qui avaient été confiées par elle à la société [12] et à Mme [P] n'ont pas pu être assurés à temps. Outre le retard qui en a résulté quant au développement de la société [8], il ressort du courriel du 7 janvier 2019 que Mme [F] avait déjà des liens avec la société [12] avant la création de la société [8], créée le 29 janvier 2019. De plus, il ressort d'autres pièces que la présidente de la société [8] a dû choisir un nouveau prestataire qui, reparti de zéro, a accompli les tâches qui avaient été précédemment confiées à la société [12] dans les délais et pour un prix inférieur.

Il s'en infère que Mme [F], avait contracté avec la société [11] à un prix qui s'est révélé surévalué et qui a été de nature à freiner le développement de la société [8], en sus du retard quant à l'accomplissement des prestations commandées. Il en résulte que ce motif révocation sera considéré comme un juste motif de révocation.

S'agissant du quatrième motif de révocation avancé, à savoir l'utilisation des fonds de la société par Mme . [F], il ressort de l'historique des virements de la société [8] et du courriel du 25 juillet 2022 que Mme [F] a effectué plusieurs virements vers son compte bancaire depuis le compte de ladite société, le 30 mars 2022 pour un montant de 693 euros et le 6 avril 2022 pour un montant de 348 euros, lesquels correspondraient, selon Mme [F], respectivement à un remboursement de facture dont le paiement aurait été avancé par Mme [F] du fait du blocage du compte de la société pour des due diligences, et à des déplacements pour des réunions de la société. Il n'est cependant pas établi que ces dépenses aient été faites dans le cadre de l'activité et conformément à l'intérêt de la société puisque Mme [F] échoue à rapporter la preuve qu'elle aurait payé en lieu et place de la société [8], ni la réalité des déplacements allégués, étant précisé qu'aucun justificatif n'a été fourni par Mme [F] pour opérer le remboursement de ses dépenses. Il en résulte que ce quatrième motif sera retenu comme un juste motif de révocation.

Dans ses dernières conclusions, la société [8] avance un cinquième motif de révocation, qui serait la contestation systématique du mode de gestion de la présidente par Mme [F], ce motif ne figure pas dans le courrier joint à la convocation à l'assemblée générale, et Mme [F] n'a pu par conséquent préparer sa défense à ce sujet. Il ne sera par conséquent pas retenu.

Il s'ensuit qu'au vu des différents éléments retenus, le caractère injustifié de la révocation de Mme [F] n'est pas établi. Il y a lieu de confirmer le jugement, par substitution de motifs.

Sur les caractères brutal et abusif de la révocation

Mme [F] soutient qu'elle a été mise à l'écart de la société en l'espace de trois mois en ce qu'elle ne disposait plus d'aucun moyen d'exercer ses fonctions, alors qu'elle a exercé ses fonctions de directrice générale pendant trois ans sans qu'aucune difficulté ne survienne, et qu'elle a in fine été révoquée ; qu'ainsi, sa révocation est brutale.

Elle soutient en outre que sa révocation est vexatoire compte tenu des dénigrements répétés de la part de la présidente qui a tenté de l'accuser sans aucun fondement de détournements de fonds et d'une non-implication dans la vie de l'entreprise ; que la présidente de la société [10] a tout mis en 'uvre pendant de nombreux mois pour la discréditer quant à la qualité de son travail et de ses compétences, également auprès des investisseurs ; qu'ainsi, sa révocation est vexatoire.

La société [8] soutient qu'une révocation n'est abusive que lorsqu'elle a été accompagnée de circonstances ou a été prise dans des conditions qui portent atteinte à l'honneur ou à la réputation du dirigeant révoqué ou si elle a été décidée brutalement sans respecter le principe de la contradiction ; qu'en tout état de cause, selon la jurisprudence, en matière de révocation abusive, seules les conditions dans lesquelles la révocation est intervenue doivent être examinées, à l'exclusion des motifs prétendument fallacieux de révocation avancés par la société ; qu'en l'espèce, concernant le prétendu caractère brutal de la révocation, Mme [F] fait grief à la société d'avoir été mise à l'écart en l'espace de trois mois, alors que, d'une part, la notion de brutalité s'entend d'une soudaineté qui ne peut s'étaler sur plusieurs mois et que, d'autre part, Mme [F] s'est vue notifier les raisons de l'examen de sa révocation potentielle et a ainsi eu le temps de préparer sa défense, ce qu'elle a fait de même qu'elle reconnaissait s'attendre à sa révocation ; qu'en outre, aucun dénigrement ou publicité n'a accompagné la révocation de Mme [F] ; qu'en conséquence, la révocation de Mme [F] n'a été ni brutale, ni vexatoire.

Sur ce,

La révocation est abusive lorsqu'elle est accompagnée de circonstances portant atteinte à la réputation ou à l'honneur du dirigeant révoqué ou lorsqu'elle est décidée brutalement, sans respecter l'obligation de loyauté dans l'exercice du droit de révocation.

Seules les circonstances entourant la révocation permettent d'en apprécier le caractère abusif.

Le dirigeant victime d'une révocation abusive peut réclamer des dommages-intérêts à la société.

En l'espèce, il est constant que, suivant procès-verbal de l'assemblée générale du 28 juillet 2022, la société [8] a révoqué Mme [F] de ses fonctions de directrice générale.

Concernant le caractère brutal de la révocation, Mme . [F] a été informée des griefs qui lui étaient reprochés par la présidente de la société [8] par courrier du 20 juillet 2022. En outre, il apert, vu les courriels versés aux débats, qu'il existait avant cette date de fortes dissensions entre les dirigeantes de la société [8] et que la sortie du capital de la société de Mme [F] avait déjà été évoquée plusieurs mois auparavant.

Il en résulte que Mme [F], régulièrement convoquée, a pu organiser sa défense et s'opposer aux griefs qui lui étaient faits devant l'assemblée générale de la société [8] le 28 juillet 2022, de sorte que le caractère brutal de sa révocation n'est pas établi.

Concernant le caractère vexatoire de la révocation, il ressort des courriels versés aux débats que la présidente de la société et sa directrice générale ne s'entendaient plus et se reprochaient mutuellement leurs agissements respectifs, que les propos prétendument dénigrants tenus par la présidente de la société sont restés privés.

Il en résulte qu'il n'est pas établi que la révocation de Mme [F] de ses fonctions de directrice générale aurait porté atteinte à son honneur ou à sa réputation.

Il s'ensuit que la révocation de Mme [F] n'étant pas intervenue dans des circonstances brutales ou abusives, ou vexatoires sa demande de dommages-intérêts pour révocation abusive doit être rejetée.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les préjudices

Aucune faute n'ayant été établie au titre d'une révocation injustifiée, brutale, ou vexatoire, il n'y a pas lieu d'examiner la demande d'indemnisation de Mme [F]. Les moyens soulevés à ce titre sont inopérants.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur l'indemnité de non-concurrence

Mme . [F] soutient que l'article 16.2 du pacte d'associés prévoyait une indemnité de non-concurrence à hauteur de 30% du dernier salaire annuel ou de la date de la dernière rémunération perçue pendant une durée de dix-huit mois à compter de la date à laquelle la partie ne sera plus détentrice de titres ou de la date à laquelle la partie n'exercera plus ses fonctions ; qu'en l'espèce, Mme [F] percevait une rémunération annuelle brute de 65 000 euros et n'exerce plus ses fonctions de directrice générale dans la société en raison de sa révocation ; qu'en conséquence, l'indemnité de non-concurrence qui lui est due s'élève à la somme de 1 628,28 euros par mois pendant dix-huit mois, outre les intérêts légaux avec anatocisme.

La société [8] réplique que Mme [F] n'est plus dirigeante au sein de la société mais qu'elle en est toujours associée, de sorte qu'aucune obligation de non-concurrence n'a commencé à courir à son égard et, partant, aucune indemnité ne lui est due ; qu'en tout état de cause, la clause de non-concurrence, à supposer qu'elle soit active, n'a qu'un champ d'application très restreint, de sorte qu'au vu de sa rédaction, Mme [F] n'aurait été empêchée que de rejoindre une entreprise commercialisant un accès à un dressing virtuel via une application, soit un secteur économique très limité ; qu'en conséquence, aucune indemnité au titre de l'obligation de non-concurrence ne lui est due.

A titre subsidiaire, l'intimée soutient que le montant demandé par Mme [F] au titre de l'indemnité de non-concurrence est injustifié dès lors que le pacte d'associés fixait ce montant à hauteur de 30% du dernier salaire annuel ou de la dernière rémunération perçue ; que le pacte prévoit que l'indemnité de non-concurrence serait versée sous forme de mensualités ; qu'en l'espèce, la rémunération perçue par Mme [F] en 2021, soit la dernière année complète avant sa révocation, était nulle, et que la rémunération de Mme [F] en 2022, soit sa dernière rémunération perçue, était de 11 333,28 euros ; qu'ainsi, le critère du « dernier salaire annuel » fixé par le pacte conduit à une indemnité de 0 euro et, en tout état de cause, si le « dernier salaire annuel » était apprécié sur douze mois glissants et donc sur la base de la somme de 11 333,28 euros, il conviendrait de retenir une indemnité de 283,32 euros par mois ; que, si le critère alternatif de la « dernière rémunération perçue » prévu par le pacte trouvait à s'appliquer, l'indemnité serait calculée sur la somme de 5 416,67 euros, ce dont il se déduirait qu'elle s'élève à la somme de 135,42 euros par mois.

Elle ajoute que les juges de première instance ont, à tort, retenu une base de 65 000 euros pour le calcul de l'indemnité de non-concurrence et fixé cette indemnité à 29 255,04 euros, ce qui ne correspond ni au « dernier salaire annuel », y compris en retenant les douze mois glissants, ni à la « dernière rémunération perçue », étant rappelé qu'au titre de l'intégralité de son mandat de trois ans et demi Mme . [F] n'a perçu en tout et pour tout que la somme de 21 666,66 euros.

Sur ce,

Aux termes de l'article 1188 du code civil « Le contrat s'interprète d'après la commune intention des parties plutôt qu'en s'arrêtant au sens littéral de ses termes.

Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s'interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation. »

Aux termes de l'article 1192 du code civil, « On ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation. »

Il résulte de ces textes qu'à défaut de pouvoir déduire la commune interprétation des parties et en l'absence d'une clause claire et précise, le contrat s'interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation.

En l'espèce, l'article 16.2 du pacte d'associés stipule que « Chaque Fondatrice et Associé Historique s'interdit vis-à-vis de la Société et des autres Associés, tant qu'il sera titulaire de Titres et, le cas échéant, exercera ses fonctions au sein de la Société, et jusqu'à l'expiration d'une période de dix-huit (18) mois à compter de la plus tardive des dates suivantes : la date à laquelle il cessera de détenir des Titres ou la date à laquelle il n'exercera plus de fonctions [au] sein de la Société ['].

En contrepartie de l'obligation de non-concurrence visée au présent article et en l'absence de contrepartie financière prévue au titre d'une obligation de non-concurrence dans son contrat de travail ou au titre de son mandat social, la Fondatrice ou l'Associé Historique concerné percevra, à compter de la date à laquelle il cessera d'être salarié ou mandataire social de la Société, et / ou le cas échéant, d'une de ses filiales, et pour toute la durée de l'engagement de non-concurrence, sous forme de mensualité, une indemnité calculée conformément aux dispositions applicables aux salariés (et à la convention collective applicable à la Société) dans le pays dans lequel il exerce. En l'absence de précision de l'indemnité dans la convention collective applicable, l'indemnité annuelle perçue sera de trente pour cent (30%) du dernier salaire annuel ou de la dernière rémunération perçue ».

Il est constant que Mme [F] est désignée comme « Fondatrice » dans le pacte d'associés du 11 février 2022.

Il se déduit de l'article 16.2 du pacte susmentionné que l'obligation de non-concurrence court à l'égard d'une « Fondatrice » associée dès la signature du pacte, et ce, jusqu'à l'expiration d'un délai de dix-huit mois à compter de la date la plus tardive à savoir entre la date à laquelle elle cesse de détenir des titres de la société ou la date à laquelle elle n'exerce plus de fonctions au sein de la société [8].

Mme [F], ayant cessé d'exercer ses fonctions en raison de sa révocation le 28 juillet 2022 mais ayant conservé ses titres dans la société [8], il en résulte que l'engagement de non-concurrence auquel elle a souscrit en signant le pacte d'associés lui est applicable, sans que le délai de dix-huit mois précité n'ait commencé à courir.

Concernant le versement de l'indemnité de non-concurrence, il résulte de l'article 16.2 du pacte d'associés qu'en l'absence de contrepartie financière prévue au titre d'une obligation de non-concurrence dans son contrat de travail ou au titre de son mandat social, en cas de cessation des fonctions, celle-ci percevra une indemnité en contrepartie de son obligation de non-concurrence.

Mme [F], ayant été révoquée de ses fonctions de directrice générale le 28 juillet 2022 et la société [8] n'établissant pas l'existence d'une contrepartie financière prévue au titre d'une obligation de non-concurrence à laquelle Mme [F] aurait souscrit par un contrat de travail ou au titre de son mandat social, il s'ensuit que l'appelante est fondée à se prévaloir de l'article 16.2 du pacte d'associés pour solliciter une indemnité au titre de la contrepartie de son obligation de non-concurrence.

Il est prévu que par l'article 16.2 du pacte d'associés que « En l'absence de précision de l'indemnité dans la convention collective applicable, l'indemnité annuelle perçue sera de trente pour cent (30%) du dernier salaire annuel ou de la dernière rémunération perçue ».

Il n'est pas rapporté la preuve que Mme [F] était liée par un contrat de travail, de sorte que seule est à retenir « la dernière rémunération perçue ». Or, il ressort des pièces versées aux débats que la dernière rémunération perçue par Mme . [F] est de 11 333,28 euros nets, payée le 31 juillet 2022.

Si Mme [F] fait état d'une rémunération de 65 000 euros bruts à compter du 1er mars 2022 suivant décisions unanimes des associés du 29 mars 2022, il demeure que le procès-verbal consignant ces décisions n'est pas signé et ne permet donc pas d'établir la perception par Mme [F] de telles sommes, à défaut d'autres éléments.

En application de la clause précitée, il convient alors de fixer le montant de l'indemnité de non-concurrence à hauteur de 30% de 11 333,28 euros nets, soit la somme 3 399,98 euros. Conformément au pacte, ce montant devra être versé sous la forme de dix-huit mensualités, outre les intérêts légaux avec anatocisme sollicités par l'appelante.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur l'abus de procédure

La société [8], rappelant les dispositions des articles 32-1 du code de procédure civile et 1240 du code civil, soutient que l'appel formé par Mme [F], qui renouvelle ses demandes parfaitement infondées au titre d'une prétendue révocation abusive et injustifiée, est abusif. La société [8] en conclut que Mme [F] doit être condamnée au paiement d'une somme de 30 000 euros au profit de la société [8].

Sur ce,

L'article 32-1 du code de procédure civile dispose que Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés

L'article 559 du même code pose la même règle s'agissant de la procédure d'appel.

L'accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles que le fait d'agir en justice ou d'exercer une voie de recours légalement ouverte est susceptible de constituer un abus, la faute se caractérisant notamment par l'intention de nuire, étant précisé que la multiplication des procédures n'est pas en elle-même constitutive d'une faute.

En l'espèce, la société [9] fonde sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive sur le fait que Mme [F] renouvelle ses demandes en appel.

Au regard du droit fondamental d'accès au juge l'introduction d'une action en justice ne constitue pas en soi un abus sauf pour le défendeur à démontrer une faute caractérisée de la part du demandeur. Il en est de même en cas d'appel. Or en l'espèce, la société [9] n'établit pas la faute commise par l'appelante qui aurait fait dégénérer en abus son droit d'agir en justice, l'intéressée ayant pu légitimement se méprendre sur l'étendue de ses droits, pas plus qu'elle ne justifie de l'existence d'un préjudice distinct de celui causé par la nécessité de se défendre en justice, qui est réparé, le cas échéant, par l'allocation d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il convient donc de débouter la société [9] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Mme . [F], partie succombante, doit être condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer à l'intimée la somme de 3 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés dans la présente procédure.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

- Déclare recevable l'appel formé par Mme [F] ;

- Déclare recevable l'appel incident formé par la société [8] ;

- Confirme le jugement sauf en ce qui concerne l'application de la clause de non-concurrence ;

Statuant à nouveau de ce chef,

- Condamne la société [8] à payer à Mme [F] la somme de 3 399,98 euros, outre intérêts légaux avec anatocisme, somme qui sera versée en dix-huit mensualités.

Y ajoutant,

- Déboute la société [8] de sa demande de dommages-intérêts au titre d'un prétendu abus de procédure.

- Condamne Mme [F] à verser à la société [8] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamne Mme . [F] aux entiers dépens.

LA GREFFIERE LA CONSEILLERE POUR LA PRESIDENTE EMPECHEE

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