CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 3 octobre 2025, n° 24/14716
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Charpente (SARLU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard
Conseillers :
Mme Salord, M. Buffet
Avocats :
Me Bortolotti, Me Fevre, Me Pauck, SCPA Malpel & Associes
ARRET :
Contradictoire
Par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile
Signé par Mme Véronique RENARD, Présidente de chambre, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
Vu le jugement rendu le 24 juin 2024 par le tribunal de commerce de Melun,
Vu l'appel interjeté le 5 août 2024 par la société [C] Charpente,
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 31 octobre 2024 par la société [C] Charpente, appelante,
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 29 janvier 2025 par M. [K] [T] et la société [T] Charpente, intimés,
Vu l'ordonnance de clôture du 13 mars 2025.
SUR CE, LA COUR
La société [C] Charpente est spécialisée dans les travaux de charpenterie.
Par contrat de travail à durée indéterminée du 5 septembre 2016, la société [C] Charpente a embauché M. [K] [T] en qualité de responsable charpentier.
M. [T] a présenté sa démission à son employeur le 30 juin 2022, sollicitant une dispense de préavis qui a été acceptée par la société [C] Charpente.
M. [T] a par la suite créé la société [T] Charpente, ayant pour activité les travaux de charpente traditionnelle bois, la restauration et modification de bâtiments anciens, des charpentes classées et la construction neuve, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Melun le 24 août 2022.
Par le biais de son conseil, la société [C] Charpente a adressé une lettre recommandée le 8 février 2023 à la société [T] Charpente, dénonçant ce qu'elle estime être des actes de parasitisme commis par cette dernière.
La société [T] Charpente a contesté les actes reprochés, par lettre du 3 mars 2023.
Par acte de commissaire de justice en date du 15 juin 2023, la société [C] Charpente a fait assigner M. [T] et la société [T] Charpente devant le tribunal de commerce de Melun.
Par jugement du 24 juin 2024, le tribunal de commerce de Melun a :
- débouté l'EURL [C] Charpente de l'ensemble de ses prétentions,
- condamné l'EURL [C] Charpente à payer à la SARL [T] Charpente et M. [K] [T], la somme de 1 000 euros T.T.C. sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné l'EURL [C] Charpente en tous les dépens, dont frais de greffe liquidés à la somme de 97, 39 euros T.T.C.,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Par ses dernières conclusions, remises au greffe et notifiées par voie électronique le 31 octobre 2024, la société [C] Charpente, demande à la cour de :
- infirmer en totalité le jugement rendu par le tribunal de commerce de Melun le 24 juin 2024 et, statuant à nouveau,
- condamner in solidum la société [T] Charpente et M. [T] à lui verser la somme de 70 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamner in solidum la société [T] Charpente et M. [T] à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société [T] Charpente et M. [T] aux entiers dépens.
Par leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 29 janvier 2025, M. [K] [T] et la société [T] Charpente demandent à la cour de :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
- condamner la société [C] Charpente à payer à M. [K] [T] et à la société [T] Charpente la somme de 4 000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société [C] Charpente aux entiers dépens d'appel.
SUR CE
Sur le parasitisme
La société [C] Charpente soutient que la société [T] Charpente et M. [T] ont commis des actes de parasitisme en captant sa clientèle puisque deux chantiers ont été confiés à la société [T] Charpente alors que M. [T] avait établi des devis pour ces chantiers pour la société [C] Charpente et en débauchant deux de ses salariés. Selon elle, M. [T] a bénéficié de son savoir-faire, s'est placé dans son sillage pour récolter les fruits de son travail au sein de son entité nouvellement créée, a profité des efforts qu'elle a accomplis depuis sa création et de sa notoriété et a agi de manière malveillante pour lui subtiliser ces chantier et récupérer ses propres clients.
La société [T] Charpente et M. [T] répondent qu'ils n'avaient pas besoin d'usurper la notoriété de la société [C] Charpente ou de se placer dans son sillage pour obtenir des clients et que les deux marchés ont été confiés à la société [T] Charpente du fait du professionnalisme et du savoir-faire de M. [T].
Le parasitisme économique est une forme de déloyauté, constitutive d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.
Celui qui se prétend victime d'actes de parasitisme doit, au préalable, démontrer la valeur économique individualisée et identifiée prétendument parasitée au jour des actes invoqués comme étant fautifs.
Or, la société [C] Charpente ne rapporte ni la preuve de sa notoriété, ni celle des investissements réalisés. En effet, la seule longévité de l'entreprise qui existe depuis 2004 et l'existence d'un chiffre d'affaires ne sont pas de nature à en justifier.
Dès lors, les conditions du parasitisme ne sont pas réunies et le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
Sur les actes de concurrence déloyale
La société [C] Charpente fait valoir que la dénomination de la société [T] Charpente est similaire à la sienne, qu'elle a le même objet social et que les sociétés sont situées dans le même secteur géographique, à 12 km environ l'une de l'autre, ce qui démontre la « volonté de confusion » de M. [T] de façon à pouvoir capter sa clientèle. Elle ajoute que la captation de deux chantiers ainsi que le débauchage des deux salariés constituent un abus de la liberté du commerce et donc un acte de concurrence déloyale.
Les intimés soutiennent que la société [C] Charpente ne démontre ni le caractère massif du départ de ses salariés, ni une désorganisation significative de l'entreprise et que le principe de liberté de commerce et de l'industrie implique que la clientèle ne fait l'objet d'aucun droit privatif et que toute personne est libre de conquérir le marché de son choix et la clientèle s'y rattachant, même si cette clientèle est déjà rattachée à un concurrent.
Fondée sur les dispositions de l'article 1240 du code civil, la concurrence déloyale suppose l'existence d'une faute commise par la personne dont la responsabilité est recherchée, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre les deux. Elle se définit comme la commission de man'uvres déloyales, constitutives de fautes dans l'exercice de l'activité commerciale, à l'origine pour le concurrent d'un préjudice.
La création, par un ancien salarié, d'une entreprise concurrente de celle dans laquelle il était auparavant employé n'est pas constitutive d'actes de concurrence illicite ou déloyale, dès lors que cette création n'était pas interdite par une clause contractuelle.
Il n'existe aucun risque de confusion entre les dénominations [C] Charpente et [T] Charpente même si les entreprises sont situées dans le même périmètre géographique dès lors qu'elles sont toutes deux composées d'un nom patronymique différent et que les seuls mots communs, qui renvoient à leurs domaines d'activité, sont insuffisants à créer un risque de confusion étant relevé qu'il ne peut être interdit à M. [T] de choisir de se référer à l'activité qu'il exerce depuis 2002 dans la dénomination sociale de son entreprise.
Le déplacement de clientèle vers une entreprise concurrente ne constitue pas un acte de concurrence déloyale en l'absence de man'uvres ou procédés déloyaux.
Aucun procédé ou man'uvre déloyale n'est en l'espèce caractérisé. En effet, concernant le chantier portant sur la réfection de l'hôpital [6], il résulte de l'attestation de M. [O] [F], conducteur de travaux de la société Tybraz, que suite à une modification du projet, il a consulté la société [T] Charpente pour avoir une seconde offre sur le lot charpente et que cette société a été choisie car son prix était moins élevé et qu'il connaissait le professionnalisme de M. [T]. Concernant le chantier de [Localité 8], aux termes de l'attestation de Mme [H] [P], architecte, en l'absence de réponse de la société [C] Charpente à une demande de modification de devis, elle est entrée en contact de sa propre initiative avec M. [T]. Par ailleurs, le seul fait que M. [T] contacte par mail en août 2023 M. [D] pour l'informer de l'existence de son entreprise n'est pas fautif.
En l'absence d'une clause de non concurrence, la concurrence d'une société dans laquelle sont employés d'anciens salariés n'est répréhensible qu'en cas de man'uvres déloyales de la part de cette société.
M. [G] [I], salarié de la société [C] Charpente depuis 2019 en qualité d'aide charpentier polyvalent, a démissionné le 29 août 2022 et M. [R] [U], chef d'équipe charpentier au sein de cette société depuis 2016, le 14 janvier 2023. Ils ont rejoint la société [T] Charpente.
Ni M. [I], ni M. [U] n'étaient liés par une clause de non concurrence à l'égard de la société [C] Charpente.
Leur embauche par la société [T] Charpente n'est pas, dans ce contexte, fautive.
La société [C] Charpente avait 16 salariés et elle ne démontre pas que la démission de deux d'entre eux, entre fin août 2022 et mi-janvier 2023, a créé un désorganisation profonde et structurelle de son activité. Ainsi, elle ne produit aucune pièce justifiant que les salariés démissionnaires n'ont pas pu être remplacés ou que leur remplacement a occasionné des coûts anormaux, le seul élément versé au débat portant sur la rémunération d'un « chasseur de tête » pour remplacer M. [T].
En conséquence, l'examen de ces griefs, même appréciés globalement, ne permet pas de retenir l'existence d'agissements fautifs commis par M. [T] et la société [T] Charpente.
Le jugement sera aussi confirmé en ce qu'il a rejeté la demande au titre de la concurrence déloyale.
Sur les autres demandes
La solution du litige commande de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société [C] Charpente aux dépens et à payer à la société [T] Charpente et M. [K] [T] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société [C] Charpente sera condamnée aux dépens d'appel et à indemniser les intimés des frais irrépétibles qu'ils ont été contraints d'engager à hauteur de 3 000 euros.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement dans son intégralité,
Y ajoutant,
Condamne la société [C] Charpente aux dépens d'appel,
Condamne la société [C] Charpente à payer à la société [T] Charpente et à M. [K] [T] ensemble la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.