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Décisions

CA Lyon, 3e ch. a, 2 octobre 2025, n° 21/01668

LYON

Arrêt

Autre

CA Lyon n° 21/01668

2 octobre 2025

N° RG 21/01668 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NOE7

Décision du

Tribunal de Commerce de LYON

Au fond

du 26 octobre 2020

RG : 2020j212

ch n°

S.A.R.L. B.A.T.I.

C/

Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL CENTRE EST

SELARL AJ UP

SELARL ALLIANCE MJ

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRET DU 02 Octobre 2025

APPELANTE :

La Société BATI,

SARL immatriculée au RCS de Lyon sous le numéro 317 097 954, au capital social de 121.000 €, prise en la personne de son représentant légal en exercice domiciliée ès qualités audit siège, société en redressement judiciaire.

Sis [Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475, avocat postulant et Me Cécile FLANDROIS, avocate au barreau de LYON, avocat plaidant.

INTIMEES :

La CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL CENTRE EST,

Caisse de crédit agricole Mutuel immatriculée au RCS de Lyon sous le numéro 399 973 825, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié ès qualités audit siège.

Sis [Adresse 2]

([Localité 7]

Représentée par Me Hugues MARTIN de la SELAS FIDUCIAL LEGAL BY LAMY, avocat au barreau de LYON, toque : 656, avocat postulant et Me Aude MANTEROLA, avocate au barreau de PARIS, avocat plaidant.

Et

La SELARL AJ UP,

société immatriculée au RCS de CHAMBERY sous le numéro 820 120 657, au capital social de 778.526 €, prise en son établissement secondaire sis [Adresse 3], représentée par Maître [K] [U] ou Maître [R] [X], administrateurs judiciaires, ès qualités de Commissaire à l'Exécution du plan.

Sis [Adresse 6],

([Localité 8]

Représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475, avocat postulant et Me Cécile FLANDROIS, avocate au barreau de LYON, avocat plaidant.

INTERVENANTE :

La SELARL [H] [E],

société immatriculée au RCS de Lyon sous le numéro 901 604 736,

dont le siège social est [Adresse 5], représentée par Maître [H] [E], mandataire judiciaire, ès qualités de liquidateur judiciaire de la Société BATI, SARL immatriculée au RCS de Lyon sous le numéro 317 097 954, au capital social de 121.000 €, désignée à cette fonction par Jugement en date du 1 er février 2024.

Sis [Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475, avocat postulant et Me Cécile FLANDROIS, avocate au barreau de LYON, avocat plaidant.

******

Date de clôture de l'instruction : 28 Février 2023

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 25 Juin 2025

Date de mise à disposition : 02 Octobre 2025

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Sophie DUMURGIER, présidente

- Aurore JULLIEN, conseillère

- Viviane LE GALL, conseillère

assistées pendant les débats de Céline DESPLANCHES, greffière

A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport,

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Sophie DUMURGIER, présidente, et par Céline DESPLANCHES, greffiere, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

****

EXPOSÉ DU LITIGE

La SARL B.A.T.I avait pour activité l'isolation thermique de façades d'immeuble.

Le 30 novembre 2009, elle a régularisé avec la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Centre Est, ci-après dénommée le Crédit Agricole Centre-Est, une convention-cadre de cession de créances et a ouvert un compte-courant n°62222398824.

Plusieurs créances détenues par la société B.A.T.I ont été cédées à la banque suivant des bordereaux de créances professionnelles, mobilisées sur le compte courant de la société.

Par jugement du 7 novembre 2019, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société B.A.T.I. La SELARL AJ UP, représentée par Me [U], a été désignée en qualité d'administrateur judiciaire et la SELARL Alliance MJ, représentée par Me [E], a été désignée en qualité de mandataire judiciaire.

Par courrier du 19 novembre 2019, le Crédit Agricole Centre Est a procédé à la déclaration de ses créances au passif du redressement judiciaire de la société.

Postérieurement au jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, le Crédit Agricole Centre Est a prélevé sur le compte courant de la société B.A.T.I la somme de 138 504,18 euros dont le montant correspondant a été réglé par les débiteurs cédés avant ou après le 7 novembre 2019.

Considérant que ces créances de remboursement ne remplissaient pas les dispositions des articles L.622-7 et L.622-17 du code de commerce, la société B.A.T.I et les organes de la procédure ont fait assigner le Crédit Agricole Centre Est devant le tribunal de commerce de Lyon.

Par jugement contradictoire du 26 octobre 2020, le tribunal de commerce de Lyon a :

débouté la société B.A.T.I, la SELARL AJ UP représentée par Me [K] [U] ou Me [R] [C], en qualité d'administrateur judiciaire de la société B.A.T.I, la SELARL Alliance MJ représentée par Me [H] [E], en qualité de mandataire judiciaire de la société B.A.T.I , de l'ensemble de leurs demandes,

condamné la société B.A.T.I, la SELARL AJ UP représentée par Me [K] [U] ou Me [R] [C], ès qualités, la SELARL Alliance MJ représentée par Me [H] [E], ès qualités, à payer au Crédit Agricole Centre Est la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné la société B.A.T.I, la SELARL AJ UP représentée par Me [K] [U] ou Me [R] [C], ès qualités, la SELARL Alliance MJ représentée Me [H] [E], ès qualités, aux entiers dépens,

rejeté l'exécution provisoire du présent jugement.

Par déclaration reçue au greffe le 5 mars 2021, la SARL B.A.T.I a interjeté appel de ce jugement portant sur l'ensemble des chefs de la décision expressément critiqués, sauf en ce qu'il a rejeté l'exécution provisoire du présent jugement.

***

Par jugement du 1er février 2024, le tribunal de commerce de Lyon a prononcé la résolution du plan de continuation de la société B.A.T.I et sa liquidation judiciaire. La SELARL [H] [E] a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

Par conclusions aux fins de reprise d'instance notifiées le 13 janvier 2025, la SELARL [H] [E], en qualité de liquidateur judiciaire de la société B.A.T.I, est intervenue volontairement à l'instance.

Suivant conclusions notifiées par voie dématérialisée le 19 mai 2025, la SELARL [H] [E], ès qualités, demande à la cour, au visa des articles L. 622-7, L. 622-17, L. 622-21 et L. 622-24 et suivants du code de commerce, de :

dire la société B.A.T.I, la SELARL AJ UP représentée par Me [K] [U] ou Me [R] [C], en qualité d'administrateur judiciaire puis commissaire à l'exécution du plan de la société B.A.T.I, la SELARL [H] [E] représentée par Me [H] [E], en qualité de mandataire judiciaire de la société B.A.T.I recevables et fondés en leurs demandes,

prendre acte de la reprise d'instance par la SELARL [H] [E] ès qualités et la dire recevable et bien fondée en ses conclusions,

réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions et en ce qu'il a :

débouté la société B.A.T.I, la SELARL AJ UP représentée par Me [K] [U] ou Me [R] [C], en qualité d'administrateur judiciaire de la société B.A.T.I, la SELARL Alliance MJ représentée par Me [H] [E], en qualité d'administrateur judiciaire de la société B.A.T.I de l'ensemble de leurs demandes,

condamné la société B.A.T.I, la SELARL AJ UP représentée par Me [K] [U] ou Me [R] [C], ès qualités, la SELARL Alliance MJ représentée par Me [H] [E], ès qualités, à payer au Crédit Agricole Centre Est la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné la société B.A.T.I, la SELARL AJ UP représentée par Me [K] [U] ou Me [R] [C], ès qualités, la SELARL Alliance MJ représentée Me [H] [E], ès qualités, aux entiers dépens,

rejeté l'exécution provisoire du présent jugement.

statuant à nouveau :

juger que les paiements/remboursements effectués par la société B.A.T.I au bénéfice du Crédit Agricole Centre Est :

le 12 novembre 2019 pour un montant de 7 079, 39 euros,

le 12 novembre 2019 pour un montant de 12 051,21 euros,

le 19 novembre 2019 pour un montant de 22 602,77 euros,

le 21 novembre 2019 pour un montant de 23 367,75 euros,

le 19 novembre 2019 pour un montant de 21 461,74 euros,

le 15 novembre 2019 pour un montant de 38 726,12 euros,

le 12 novembre 2019 pour un montant de 13 215,21 euros,

ont été effectués en violation des dispositions de l'article L. 622-7 du code de commerce, ces créances de remboursement ne remplissant pas les conditions de l'article L. 622-17 du code de commerce,

prononcer en conséquence la nullité de ces règlements pour un montant de 138 504,19 euros,

juger en toute hypothèse que le Crédit Agricole Centre Est n'a pas procédé via ces remboursements à une compensation pour créance connexe, faute de créance opposable au moment du paiement effectué et en toute hypothèse faute de connexité concernant ces créances de remboursement entre la convention cadre [F] et le compte courant de la société B.A.T.I,

prononcer en conséquence la nullité des paiements litigieux,

condamner en conséquence le Crédit Agricole Centre Est à payer à la SELARL [H] [E], représentée par Me [H] [E], ès qualités, la somme de 138 504,19 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 10 décembre 2019, date de la mise en demeure jusqu'à parfait paiement,

condamner le Crédit Agricole Centre Est à payer à la SELARL [H] [E] ès qualités la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts,

débouter le Crédit Agricole Centre Est de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,

condamner le Crédit Agricole Centre Est à payer à la SELARL [H] [E] ès qualités, la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

***

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 23 mai 2025, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Centre Est demande à la cour, au visa des articles L. 622-7 et L. 622-17 du code de commerce, de :

déclarer mal fondé l'appel formé par la société B.A.T.I ainsi que par la SELARL AJ UP, en qualité de commissaire à l'exécution du plan et la SELARL [H] [E] (désignée à cette fonction en lieu et place de la SELARL Alliance MJ), en qualité de mandataire judiciaire de la société B.A.T.I, à l'encontre du jugement rendu par le tribunal de commerce de Lyon, le 26 octobre 2020 (RG n°2020J212),

prendre acte de la reprise d'instance par la SELARL [H] [E] en qualité de liquidateur judiciaire de la société B.A.T.I,

confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lyon, le 26 octobre 2020 en ce qu'il a :

débouté la société B.A.T.I, la SELARL AJ UP représentée par Me [K] [U] ou Me [R] [C], en qualité d'administrateur judiciaire de la société B.A.T.I, la SELARL Alliance MJ représentée par Me [H] [E], en qualité d'administrateur judiciaire de la société B.A.T.I de l'ensemble de leurs demandes,

condamné la société B.A.T.I, la SELARL AJ UP représentée par Me [K] [U] ou Me [R] [C], ès qualités, la SELARL Alliance MJ représentée par Me [H] [E], ès qualités, à payer au Crédit Agricole Centre Est la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné la société B.A.T.I, la SELARL AJ UP représentée par Me [K] [U] ou Me [R] [C], ès qualités, la SELARL Alliance MJ représentée Me [H] [E], ès qualités, aux entiers dépens,

et, statuant à nouveau,

juger mal fondées les demandes et prétentions formulées par la SELARL [H] [E] ès qualités,

en conséquence les rejeter,

débouter la SELARL [H] [E] ès qualités de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

rejeter la demande de dommages et intérêts présentée par la SELARL [H] [E] en qualité de liquidateur judiciaire de la société B.A.T.I,

condamner la SELARL [H] [E] ès qualités à payer au Crédit Agricole Centre Est la somme de 7 000 euros, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure ainsi qu'aux dépens de l'instance, ceux d'appel étant distraits au profit de Me Hugues Martin avocat sur son affirmation de droit.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 27 mai 2025, les débats étant fixés au 25 juin 2025.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, renvoi sera effectué à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de nullité des remboursements effectués par le Crédit Agricole Centre-Est

La SELARL [H] [E], ès qualités, fait valoir que :

l'intimé n'a pas respecté les dispositions de l'article L.622-7 du code de commerce qui interdisent tout paiement de créance née antérieurement au jugement d'ouverture à l'exception des paiements par compensation de créances connexes, ni celles de l'article L.622-17 puisque les paiements ne concernaient pas la poursuite de l'activité de la société B.A.T.I dans le cadre du redressement judiciaire,

l'établissement financier est en droit de notifier la cession [F] au débiteur cédé postérieurement au jugement d'ouverture et de percevoir de celui-ci les sommes dues, mais s'agissant de sommes perçues par le débiteur en phase de liquidation de la part du débiteur cédé, le créancier ne peut que déclarer sa créance au passif et ne peut exiger d'être destinataire en priorité des sommes perçues,

l'intimée a effectivement consenti à la société B.A.T.I des avances par trois cessions [F] avant le jugement d'ouverture de la procédure collective de celle-ci prononcée le 7 novembre 2019, mais n'a pas tenu compte du fait que les paiements relatifs à ces cessions ont été faits sur le compte de la débitrice liquidée avant la notification de la cession aux débiteurs cédés,

l'intimée détient au titre des cinq cessions [F] réalisées, des créances de clients dont les paiements ont été réalisés les 1er, 25, 30 et 31 octobre et 5 novembre 2019 entre les mains de la société B.A.T.I,

les créances étant antérieures au jugement d'ouverture, la banque ne peut en obtenir le paiement en application du principe de suspension des poursuites pour celles-ci à hauteur de 76.410,32 euros,

concernant les cessions [F] notifiées aux débiteurs le 14 novembre 2019 suite à des avances des 9 octobre et 4 novembre 2019, avec des paiements de clients notamment les 12 et 21 novembre 2019, la banque ne pouvait non plus recevoir le paiement de ces sommes pour un total de 62.093,87 euros puisque la créance de remboursement ne remplit pas les conditions de l'article L.622-17 du code de commerce,

la poursuite de l'usage du compte-courant de la société B.A.T.I sur lequel les sommes querellées ont été affectées puis prélevées par l'intimée, postérieurement au jugement d'ouverture, ne lui permettait pas de procéder au prélèvement, qui est fautif car la banque a refusé de clôturer ce compte et de transférer les sommes au crédit vers un compte ouvert au titre du redressement judiciaire, malgré la demande de l'administrateur judiciaire,

l'intimée ne pouvait pas non plus procéder par compensation entre créances connexes comme retenu par les premiers juges, puisqu'aucune connexité n'était prévue entre la convention-cadre de cessions de créance et le compte-courant dont la convention n'est pas produite,

la banque a abandonné les créances litigieuses lorsqu'elle a procédé à l'actualisation de sa déclaration de créances,

elle a prélevé les sommes dont elle dit être créancière avant même de procéder à la déclaration de sa créance pour une somme de 219.999,02 euros, ce qui ne lui permettait pas d'être reconnue comme créancière,

la banque raisonne de manière erronée en indiquant que les sommes portées au compte-courant par les paiements clients et qui correspondent aux créances cédées ne sont pas issues du fonctionnement du compte mais résultent de la convention cadre de cession,

les sommes portées au crédit du compte-courant de la société débitrice entraient dans le patrimoine de cette dernière et ne pouvaient être retenues à titre de paiement,

la convention-cadre ne prévoit de prélèvement par la banque que si le cessionnaire a payé le cédant qui refuse de remettre les sommes reçues,

en refusant de procéder à la clôture du compte-courant et en prélevant des sommes indues, l'intimée a fait en sorte d'être payée en priorité par rapport aux autres créanciers.

Le Crédit Agricole Centre-Est fait valoir que :

la cession [F] est une cession de créances spécifique par laquelle le cédant transfère à un établissement de crédit, appelé le cessionnaire, la propriété de la créance cédée en garantie d'un crédit consenti par la banque sous la forme d'avance en compte-courant/crédit d'escompte,

l'article L.313-24 du code monétaire et financier prévoit que dans ce cas, la cession de créance transfère au cessionnaire la propriété de la créance cédée, celle-ci prenant effet à la date apposée sur le bordereau de cession de créances, sachant que le débiteur cédé doit payer les sommes dues entre les mains du cessionnaire et, qu'à défaut, le cédant doit procéder aux opérations de recouvrement pour le compte du cessionnaire,

il a consenti à la société B.A.T.I un crédit d'escompte par le biais d'inscription des sommes correspondantes aux créances cédées et mobilisées au crédit du compte-courant de l'intéressée, laquelle s'est engagée, en application de l'article 2 de la convention-cadre, à reverser le montant des créances à la banque si les débiteurs cédés la payaient directement,

il a procédé aux prélèvements querellés puisque la société B.A.T.I a reçu sur son compte-courant les sommes qui auraient dû lui être versées directement, sur le fondement du mandat existant entre les parties, afin de procéder au remboursement des crédits d'escompte consentis,

les remboursements effectués sont valables dans la mesure où il s'agit d'une compensation entre créances connexes issues de la convention-cadre de cession de créances professionnelles,

il pouvait procéder aux prélèvements avant même la déclaration de sa créance du fait de la connexité,

il a déclaré sa créance dans le délai légal, ce qui est toutefois sans incidence sur le paiement puisque aucun texte ne vise la déclaration de créance comme préalable obligatoire au paiement, la situation étant la même que pour le droit de rétention,

il n'a jamais renoncé à sa créance, y compris lors de son actualisation, la procédure de vérification de créances étant en cours, dans laquelle il réclame l'admission de celle-ci pour le montant de 219.999,02 euros,

il n'est pas exigé que la connexité ressorte d'une clause contractuelle, la connexité étant établie entre des créances réciproques, ce qui est le cas lorsqu'elles sont issues du même contrat ou du même ensemble contractuel,

la convention-cadre signée avec la société B.A.T.I rappelle dans son article 1, que la créance de la banque est à l'encontre de la société liquidée au titre des crédits d'escompte et que la dette de cette dernière est constituée au profit de la banque au titre des sommes reçues au crédit de son compte par les débiteurs cédés,

l'article 2 de la convention-cadre prévoit que le client procède en tant que mandataire de la banque à l'encaissement des créances cédées et s'oblige à en reverser le montant à la banque ou à lui remettre les instruments de paiements (chèques, billet à ordre),

il n'a jamais invoqué une connexité entre la convention-cadre et le compte-courant, et a toujours insisté sur le fait que la connexité résulte du fait que les créances réciproques sont toutes deux issues de la convention-cadre de cession [F],

les pièces versées aux débats démontrent la connexité des créances s'agissant des bordereaux de cession et des sommes versées sur le compte de la société B.A.T.I,

la connexité prévue à la convention de cession de créances implique que dès l'encaissement de l'escompte par la société liquidée et la remise du bordereaux de créances, seule la banque est propriétaire de ces dernières ce qui empêchait la société B.A.T.I de revendiquer le moindre paiement à ce titre.

Sur ce,

L'article 1103 du code civil dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

L'article L.313-23 du code monétaire et financier, dans sa version applicable au litige, dispose notamment que : « Tout crédit qu'un établissement de crédit consent à une personne morale de droit privé ou de droit public, ou à une personne physique dans l'exercice par celle-ci de son activité professionnelle, peut donner lieu au profit de cet établissement, par la seule remise d'un bordereau, à la cession ou au nantissement par le bénéficiaire du crédit, de toute créance que celui-ci peut détenir sur un tiers, personne morale de droit public ou de droit privé ou personne physique dans l'exercice par celle-ci de son activité professionnelle.

Peuvent être cédées ou données en nantissement les créances liquides et exigibles, même à terme. Peuvent également être cédées ou données en nantissement les créances résultant d'un acte déjà intervenu ou à intervenir mais dont le montant et l'exigibilité ne sont pas encore déterminés. »

L'article L.622-7 I du code de commerce dispose que : « I. Le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception du paiement par compensation de créances connexes. Il emporte également, de plein droit, interdiction de payer toute créance née après le jugement d'ouverture, non mentionnée au I de l'article L. 622-17. Ces interdictions ne sont pas applicables au paiement des créances alimentaires. »

L'article L.622-17 I du même code dispose que : « I. Les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance. »

Il est constant que le Crédit Agricole Centre-Est et la société B.A.T.I ont conclu, le 30 novembre 2009, une convention-cadre de cession de créances soumise aux dispositions des articles L.313-23 à L.313-34 du code monétaire et financier, c'est-à-dire aux règles applicables à la cession de créances dite « [F] ».

La convention stipule dans son article 2.1 que par cession-escompte, les parties entendent la mobilisation directe des créances cédées par inscription des sommes correspondantes au crédit du compte-courant du client, et dans son article 2.2 que le crédit porte sur les seules créances dont la banque a accepté l'escompte, notamment sur la totalité des créances cédées.

Enfin, l'article 2.3 stipule que la banque peut, à sa convenance, soit créditer le compte-courant du client du montant nominal des créances cédées soit créditer le compte-courant du montant net de l'opération.

S'agissant de la gestion du recouvrement des sommes escomptées, les parties ont prévu à la convention, notamment à l'article 1.1, la cession des créances par bordereaux avec identification précise des créances, sachant que la remise du bordereau entraîne de plein-droit, le transfert de la propriété des créances cédées ainsi que des sûretés les garantissant et leurs accessoires.

Enfin, l'article 1.2 stipule que la banque peut subordonner l'octroi ou le maintien des concours au recouvrement par elle-même des créances cédées, et dans le cas contraire, le client procède en qualité de mandataire de la banque à l'encaissement des créances cédées et s'oblige à en reverser le montant à celle-ci ou à lui en remettre les instruments de paiement (chèques, billets à ordre) accompagnés des éléments d'identifications des créances.

Il est constant que le Crédit Agricole Centre-Est a déclaré au passif de la société B.A.T.I la somme de 219.999,02 euros au titre des cessions de créances.

Le litige porte sur la validité des prélèvements aux fins de paiement, réalisés par l'intimé sur le compte-courant de la société B.A.T.I, avant et après le jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, au motif des différentes cessions de créances consenties, le liquidateur judiciaire estimant que la banque ne pouvait en aucun cas les réaliser faute de connexité entre les créances revendiquées, et en application du principe de cessation des poursuites attaché à tout jugement d'ouverture d'une procédure collective.

S'agissant de la connexité des créances entre les deux parties ainsi que de leur propriété, il convient d'en revenir à la convention-cadre de cession de créances qui a prévu que le Crédit Agricole Centre-Est devenait propriétaire des créances cédées dès la remise des bordereaux [F] et l'octroi de l'escompte équivalent sur le compte-courant de la société B.A.T.I.

Ainsi, l'intimé consentait un prêt dans des conditions spécifiques à la société débitrice via l'escompte, qui était garanti par un transfert de propriété de créances détenues par la société débitrice sur ses clients.

Ainsi, et contrairement à ce que la SELARL [H] [E], ès qualités, affirme dans ses écritures, la connexité est établie uniquement par la convention-cadre et la simultanéité entre l'escompte et la cession de créances entre les deux parties concernées par celle-ci.

Ses développements concernant l'absence de connexité entre la convention-cadre et le compte-courant sont inopérants et sans lien avec la réalité du fonctionnement de la cession [F] qui était établie contractuellement entre les parties.

Par ailleurs, l'appelante ne peut ajouter aux textes en présentant la déclaration de créances comme un préalable nécessaire à toute action de recouvrement. Elle ne démontre pas non plus que la banque a renoncé à ses droits.

De plus, la cession de créances signifie que dès que la remise du bordereau de créances est réalisée au profit du Crédit Agricole Centre-Est, la société B.A.T.I n'en est plus propriétaire et ne peut à aucun moment réclamer les sommes versées au titre de celles-ci sur son propre compte, puisque de fait, elle a déjà perçu la somme qui y est associée pour son fonctionnement.

Par ailleurs, la société B.A.T.I s'est engagée contractuellement à agir en qualité de mandataire au profit de la banque puisqu'elle doit assurer le recouvrement des créances et remettre toute somme qui serait portée à son compte au titre des factures cédées à la banque.

Concernant les cessions de créances querellées, il convient de distinguer celles intervenant avant et après le jugement d'ouverture qui date du 7 novembre 2019.

S'agissant des cessions de créances associées à un escompte, intervenues avant l'ouverture de la procédure collective et avec des règlements également antérieurs à cette date, les éléments sont les suivants :

Date de Cession

Date d'escompte

Date de paiement client

Date de prélèvement par la banque

Montant recouvré

17/09/2019

17/09/2019

01/10/2019

12/11/2019

13.215, 21 euros

20/09/2019

20/09/2019

30/10/2019

12/11/2019

12.051,21 euros

30/09/2019

20/09/2019

31/10/2019

12/11/2019

7.079,39 euros

08/10/2019

09/10/2019

25/10/2019

19/11/2019

22.602,77 euros

08/10/2019

09/10/2019

05/11/2019

19/11/2019

21.461,74 euros

Total

76.410,32 euros

Même si le Crédit Agricole Centre-Est a procédé au prélèvement postérieurement au jugement d'ouverture, il ne peut qu'être rappelé que les paiements par les clients sont intervenus avant le jugement d'ouverture, et qu'à compter de cette date, et conformément à la convention-cadre de cessions de créances entre les parties, le seul titulaire de ces sommes était l'intimé puisqu'il était propriétaire des créances qui y était relatives.

Le prélèvement postérieurement au jugement d'ouverture est indifférent au regard de la date d'entrée en propriété des créances et de l'escompte consenti à la société liquidée, seule cette date définissant les qualités de chacun.

La société B.A.T.I ne pouvait plus revendiquer, dès la date de cession des créances, et encore moins à compter de la date d'escompte, les sommes qui seraient versées par les clients, étant rappelé qu'elle se reconnaissait comme mandataire au profit du Crédit Agricole Centre-Est du fait de la convention, les créances ne faisant plus partie de son patrimoine.

La connexité ayant été démontrée, c'est à tort que la SELARL [H] [E], ès qualités, prétend que le Crédit Agricole Centre-Est a agi en contradiction avec les dispositions de l'article L.622-7 du code de commerce alors même qu'il était propriétaire des sommes en raison du transfert de propriété des créances et du crédit corrélatif accordé à la société liquidée.

La banque a uniquement, sur la base de la convention la liant à la société débitrice et dans le respect de l'article suscité, procédé au paiement de ses créances par compensation.

L'appelante ne peut donc qu'être déboutée de sa demande de nullité de ces paiements et la décision déférée confirmée à ce titre.

S'agissant des paiements réalisés par les clients cédés intervenus postérieurement au jugement d'ouverture, les éléments sont les suivants.

Date de Cession

Date d'escompte

Date de paiement client

Date de prélèvement par la banque

Montant recouvré

08/10/2019

09/10/2019

21/11/2019

21/11/2019

23.367,75 euros

30/10/2019

04/11/2019

12/11/2019

15/11/2019

38.726,12 euros

Total

62.093,87 euros

Concernant ces deux créances, l'appelante entend faire valoir que le Crédit Agricole Centre-Est n'a pas respecté les dispositions de l'article L.622-17 du code de commerce en pratiquant un paiement prioritaire à son profit, au détriment de la collectivité des créanciers et sur des sommes sans lien avec la poursuite d'activité de la société B.A.T.I dans le cadre du redressement judiciaire.

Or, contrairement à ce que prétend la SELARL [H] [E], ès qualités, les dettes et paiements querellés ne sont pas des créances nées postérieurement à l'ouverture de la procédure collective puisque la dette de la société B.A.T.I date à chaque fois de l'escompte inscrit au crédit de son compte-courant et de la remise du bordereau de cession de créances.

Les dispositions de l'article L.622-17 du code de commerce n'ont pas vocation à s'appliquer puisque le Crédit Agricole Centre-Est a uniquement appliqué la convention qui la rendait propriétaire des créances et donc des sommes réglées à ce titre qui ne pouvaient dès lors être transférées vers le compte du redressement judiciaire puisque la société débitrice n'avait plus aucun droit sur elles.

La banque n'a pas non plus manqué aux dispositions de l'article L.622-7 du code de commerce puisqu'elle a agi par compensation de créances connexes, comme démontré auparavant.

Par conséquent, il convient de confirmer la décision déférée également sur ce point.

Eu égard à ce qui précède, la SELARL [H] [E], ès qualités, ne peut prétendre à l'octroi de dommages-intérêts puisque le Crédit Agricole Centre-Est a agi sur la base des droits dont il disposait et dans le respect des textes législatifs en la matière, la décision déférée étant également confirmée sur ce point.

Sur les demandes accessoires

La société B.A.T.I, représentée par la SELARL [H] [E] ès qualités, échouant en ses prétentions, elle sera condamnée à supporter les entiers dépens de la procédure d'appel qui seront pris en frais privilégiés de procédure.

L'équité ne commande pas d'accorder à l'une ou l'autre des parties une indemnisation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Ainsi, les demandes de la SELARL [H] [E] ès qualités et du Crédit Agricole Centre-Est, seront rejetées.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, dans les limites de l'appel

Constate la reprise d'instance par la SELARL [H] [E] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL B.A.T.I,

Confirme la décision déférée dans son intégralité,

Y ajoutant

Condamne la SARL B.A.T.I, représentée par la SELARL [H] [E] ès qualités, à supporter les entiers dépens de la procédure d'appel qui seront pris en frais privilégiés de procédure collective,

Déboute la SARL B.A.T.I, représentée par la SELARL [H] [E] ès qualités, de sa demande d'indemnisation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Centre Est de sa demande d'indemnisation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière La présidente

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