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Décisions

CA Lyon, 3e ch. A, 2 octobre 2025, n° 21/08149

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Pharmacie De Morance (SELARL)

Défendeur :

Pharmacie De Morance (SELARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dumurgier

Conseillers :

Mme Jullien, Mme Le Gall

Avocats :

Me Laffly, Me Dumoulin, Me Habozit, Me Roulet

T. com. Villefranche-Tarare, du 7 oct. 2…

7 octobre 2021

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 1er décembre 2009 consenti sous condition suspensive et réitéré le 26 février 2010, Mme [N] épouse [D] a vendu à la société Pharmacie de Morancé son fonds de commerce d'officine de pharmacie, moyennant un prix de 1 875 000 euros. Le montant de la vente a été déterminé en fonction du chiffre d'affaires.

En sus du prix, l'acquéreur s'est engagé à racheter les stocks inventoriés de façon contradictoire, trois mois après la prise de possession.

Considérant que les chiffres d'affaires déclarés ne correspondaient pas à la réalité et que par conséquent le prix de vente devait être révisé à la baisse, la société Pharmacie de Morancé a assigné Mme [N], le 2 juillet 2010, devant le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare, afin d'obtenir la désignation d'un expert pour déterminer le montant de la réduction du prix de vente.

Le 5 août 2010, Mme [N] a assigné la société Pharmacie de Morancé devant le juge des référés, au motif que les stocks ne lui ont pas été payés conformément au protocole de vente, sollicitant une provision de 130.726,21 euros en principal. Compte tenu des contestations émises, cette affaire a été renvoyée au fond, à la même date que celle introduite par la société Pharmacie de Morancé.

Par jugement du 10 février 2011, le tribunal de commerce a tranché une partie du litige en condamnant la société Pharmacie de Morancé à payer à Mme [N] la somme de 130.726,21 euros au titre du paiement des stocks et en condamnant Mme [N] à payer à la société Pharmacie de Morancé la somme de 20.951,80 euros au titre des congés payés. Le tribunal a sursis à statuer sur la demande en réduction du prix de vente du fonds de commerce et sur la désignation d'un expert, ainsi que sur les demandes de dommages-intérêts, dans l'attente de l'issue d'une action pénale engagée contre Mme [N].

Cette dernière a été condamnée à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis, par un arrêt définitif du 14 mars 2019 de la cour d'appel de Lyon rendu sur renvoi après cassation, pour des faits d'escroquerie au préjudice de la CPAM du Rhône, la CPAM de Saône et Loire, la CPAM de l'Isère, le RSI et la MSA, par l'emploi de manoeuvres frauduleuses destinées à les déterminer à lui rembourser des sommes correspondant aux montants de produits médicamenteux non réellement commandés et achetés.

L'affaire pendante devant le tribunal de commerce a été réinscrite au rôle.

Par jugement avant dire droit contradictoire du 7 octobre 2021, le tribunal de commerce Villefranche-Tarare a :

- rejeté la demande de désignation d'un conciliateur,

- déclaré la société Pharmacie de Morancé recevable et fondée en ses prétentions,

- nommé en qualité de seul expert, avec dispense de prêter serment, M. [T] [W], demeurant en cette qualité à [Adresse 6], avec pour mission de :

' convoquer et entendre les parties,

' se faire communiquer et remettre tous documents utiles,

' prendre connaissance et procéder à l'analyse de la comptabilité de la Pharmacie [D] au titre des exercices 2008, 2009 et 2010,

' rechercher si les chiffres d'affaires déclarés dans l'acte de cession du 1er décembre 2009, réitéré le 26 février 2010, ont été réalisés dans le respect des lois, des normes professionnelles des pharmaciens et des recommandations ordinales,

' relever les irrégularités, notamment dans la gestion et l'exploitation de la Pharmacie [D], les lister et les décrire,

' relever les incohérences des chiffres d'affaires et de ses marges susceptibles d'avoir conduit à un gonflement artificiel du chiffre d'affaires, les lister et les décrire,

' chiffrer l'incidence des différentes irrégularités découvertes et leurs conséquences sur la détermination du prix de vente,

' déterminer le montant de la diminution du prix de vente en résultant selon la méthodologie arrêtée par les parties et par l'acte de cession du 1er décembre 2009 réitéré le 26 février 2010,

' fournir au tribunal tous les éléments lui permettant d'apprécier les préjudices annexes subis à raison des vices éventuellement découverts en termes de marge et d'incidences financières sur l'exploitation,

- dit que :

' l'expert pourra s'entourer de tout sapiteur de son choix, toutefois, il devra informer le juge chargé du contrôle et du suivi des expertises du coût supplémentaire, s'il existe, et donc fournir les devis nécessaires,

' il devra également informer le juge si la nomination dudit sapiteur entraîne une consignation complémentaire,

' le présent jugement sera notifié par M. le greffier à l'expert qui devra faire connaître sans délai au tribunal son acceptation, en cas de refus ou d'empêchement légitime, il sera pourvu aussitôt à son remplacement,

' l'expert devra informer le juge de l'avancement de ses opérations et des diligences par lui accomplies visées à l'article 273 du code de procédure civile, dans le délai d'un mois maximum ; ce délai d'un mois débute à réception de l'information par le greffe de la consignation,

' l'expert devra établir un pré rapport ou des notes de synthèses, un mois avant la date de remise du rapport définitif,

' l'expert dressera du tout un rapport écrit qu'il déposera au greffe de ce tribunal dans un délai de cinq mois à compter de la notification par le greffe de la consignation de la provision,

' l'expert devra se conformer aux dispositions du dernier alinéa de l'article 282 du code de procédure civile, et particulièrement devra dans un délai d'un mois de la réception par le tribunal de sa demande de rémunération, justifier par tous moyens de la réception de celle-ci par les parties,

' l'expertise est ordonnée aux frais avancés de la société Pharmacie de Morancé qui devra consigner au greffe une provision de 5.000 euros à valoir sur la rémunération définitive de l'expert, dans le délai de 15 jours à compter de la demande de consignation faite par le greffe,

' le greffe invitera la société Pharmacie de Morancé à effectuer cette consignation dans les conditions prévues aux articles 270 et 271 du code de procédure civile,

' l'expert commencera ses opérations dès qu'il sera averti par le greffe que la société Pharmacie de Morancé a consigné la provision mise à sa charge,

' en cas de difficultés, le dossier pourra être rappelé à l'initiative de l'une des parties devant le juge chargé du contrôle et du suivi des expertises ou à défaut devant le président du tribunal de commerce,

' M. [G] [H], juge au tribunal, sera chargé des relations entre l'expert et le tribunal,

- dit que conformément à l'article 284 du code de procédure civile, sur justification de l'accomplissement de sa mission par l'expert et après dépôt de son rapport, M. le président taxera les frais et vacations de l'expert et l'autorisera à se faire remettre, jusqu'à due concurrence, les sommes consignées au greffe,

- dit qu'en l'état de la procédure les frais irrépétibles seront laissés à la charge respective des parties,

- dit que l'avance des dépens, liquidés en ce qui concerne la présente décision à la somme de 93,60 euros TTC, est réservée et laissée à la charge du demandeur à l'instance,

- dit que l'affaire sera réinscrite d'office au rôle du tribunal à réception du rapport d'expertise.

Par déclaration reçue au greffe le 12 novembre 2021, Mme [N] a interjeté appel portant sur l'ensemble des chefs de la décision critiquée.

***

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 15 avril 2022, Mme [N] demande à la cour, de (le dispositif des conclusions est reproduit à l'identique) :

'- infirmant le jugement dans les conditions de la déclaration d'appel en ce qu'il a :

* « rejeté la demande de désignation d'un conciliateur,

* déclaré la société Pharmacie de Morancé recevable et fondée en ses prétentions,

* nommé en qualité de seul expert, avec dispense de prêter serment, M. [T] [W], demeurant en cette qualité à [Adresse 6], avec pour mission de :

' convoquer et entendre les parties,

' se faire communiquer et remettre tous documents utiles,

' prendre connaissance et procéder à l'analyse de la comptabilité de la Pharmacie [D] au titre des exercices 2008, 2009 et 2010,

' rechercher si les chiffres d'affaires déclarés dans l'acte de cession du 1er décembre 2009, réitéré le 26 février 2010, ont été réalisés dans le respect des lois, des normes professionnelles des pharmaciens et des recommandations ordinales,

' relever les irrégularités, notamment dans la gestion et l'exploitation de la Pharmacie [D], les lister et les décrire,

' relever les incohérences des chiffres d'affaires et de ses marges susceptibles d'avoir conduit à un gonflement artificiel du chiffre d'affaires, les lister et les décrire,

' chiffrer l'incidence des différentes irrégularités découvertes et leurs conséquences sur la détermination du prix de vente,

' déterminer le montant de la diminution du prix de vente en résultant selon la méthodologie arrêtée par les parties et par l'acte de cession du 1er décembre 2009 réitéré le 26 février 2010,

' fournir au tribunal tous les éléments lui permettant d'apprécier les préjudices annexes subis à raison des vices éventuellement découverts en termes de marge et d'incidences financières sur l'exploitation,

- dit que :

' l'expert pourra s'entourer de tout sapiteur de son choix, toutefois, il devra informer le juge chargé du contrôle et du suivi des expertises du coût supplémentaire, s'il existe, et donc fournir les devis nécessaires,

' il devra également informer le juge si la nomination dudit sapiteur entraîne une consignation complémentaire,

' le présent jugement sera notifié par M. le greffier à l'expert qui devra faire connaître sans délai au tribunal son acceptation, en cas de refus ou d'empêchement légitime, il sera pourvu aussitôt à son remplacement,

' l'expert devra informer le juge de l'avancement de ses opérations et des diligences par lui accomplies visées à l'article 273 du code de procédure civile, dans le délai d'un mois maximum ; ce délai d'un mois débute à réception de l'information par le greffe de la consignation,

' l'expert devra établir un pré rapport ou des notes de synthèses, un mois avant la date de remise du rapport définitif,

' l'expert dressera du tout un rapport écrit qu'il déposera au greffe de ce tribunal dans un délai de cinq mois à compter de la notification par le greffe de la consignation de la provision,

' l'expert devra se conformer aux dispositions du dernier alinéa de l'article 282 du code de procédure civile, et particulièrement devra dans un délai d'un mois de la réception par le tribunal de sa demande de rémunération, justifier par tous moyens de la réception de celle-ci par les parties,

' l'expertise est ordonnée aux frais avancés de la société Pharmacie de Morancé qui devra consigner au greffe une provision de 5 000 euros à valoir sur la rémunération définitive de l'expert, dans le délai de 15 jours à compter de la demande de consignation faite par le greffe,

En raison des limitations techniques inhérentes à l'utilisation du RPVA (4.080 caractères maximum), les autres chefs de la décision expressément critiqués sont contenus dans une annexe jointe à la présente déclaration d'appel avec laquelle elle fait corps. »

Statuant à nouveau,

- juger irrecevable comme prescrites et infondées les prétentions et demandes de la société Pharmacie de Morancé,

- débouter la société Pharmacie de Morancé de toutes ses demandes,

- condamner la société Pharmacie de Morancé à payer à Mme [N] 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamner la société Pharmacie de Morancé aux entiers dépens de l'instance.'

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 9 mars 2022, la société Pharmacie de Morancé demande à la cour, au visa des articles L. 141-1 à L. 141-4 du code de commerce, dans leurs rédactions applicables au litige, 1116, 1134, 1135, 1644 et 1645 du code civil, dans leurs rédactions applicables au litige et 143 et suivants du code de procédure civile, de :

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

- condamner Mme [N] à payer à la société Pharmacie de Morancé une somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [N] aux entiers dépens d'appel,

A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour infirmerait le jugement déféré en ce qu'il a ordonné une expertise judiciaire,

- confirmer le jugement déféré en ce que le tribunal a :

* rejeté la demande de désignation d'un conciliateur,

* déclaré la société Pharmacie de Morancé recevable et bien fondée en ses prétentions,

- condamner Mme [N] à payer à la société Pharmacie de Morancé la somme de 380.000 euros à titre de dommages et intérêt, outre intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2010,

- condamner Mme [N] à payer à la société Pharmacie de Morancé la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subséquents, outre intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2010,

- condamner Mme [N] à payer à la société Pharmacie de Morancé une somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [N] aux entiers dépens d'appel.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 2 juin 2022, les débats étant fixés au 26 juin 2025.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de désignation d'un conciliateur

Selon l'article 954, alinéa 3, du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

En, l'espèce, dans la motivation de ses conclusions, Mme [N] sollicite la désignation d'un conciliateur. Toutefois, cette demande n'est pas reprise dans le dispositif de ses écritures, de sorte que la cour n'en est pas saisie. Le jugement sera confirmé en ce qu'il rejette la demande de désignation d'un conciliateur.

Sur la prescription de l'action de la société Pharmacie de Morancé

Mme [N] fait valoir que :

- le tribunal a rejeté à tort la fin de non-recevoir tirée de la prescription en retenant que l'ensemble des demandes tendaient vers un seul but ; selon la jurisprudence, aucune interruption de la prescription ne se produit à défaut de demande en justice explicite ; la prescription n'est interrompue que relativement au droit allégué à l'appui de la demande et ne s'étend pas d'une action à l'autre ; l'assignation n'est interruptive de prescription qu'en ce qui concerne les prétentions énoncées dans son dispositif ; l'assignation avait pour unique objet de demander une expertise ; les demandes n'ont été expressément formalisées que le 18 mars 2021, après l'expiration du délai de prescription,

- l'assignation du 2 juillet 2010 demandait de dire que les chiffres d'affaires énoncés dans l'acte de vente sont inexacts, de désigner un expert pour déterminer le montant de la réduction du prix de vente, et de condamner au paiement de ladite somme et de dommages-intérêts qui seront arrêtés selon mémoire ; la demande de condamnation au paiement de la dite somme n'est pas une prétention et ne constitue pas une demande en justice ; la demande de dommages-intérêts qui seront arrêtés selon mémoire n'est pas une demande en justice puisqu'elle n'émet aucune prétention chiffrée ; les réclamations qui ne sont pas des prétentions n'interrompent pas la prescription,

- selon les articles L. 141-3 et L. 141-4 du code de commerce, l'action résultant de la garantie pour inexactitude des énonciations doit être intentée dans le délai d'une année à compter de la prise de possession ; ce délai est un délai préfixe insusceptible d'être interrompu ou suspendu ;

- alors qu'elle soutenait l'inexactitude des chiffres de l'acte de vente, la société Pharmacie de Morancé a fait preuve d'incurie manifeste en se gardant de lui demander de mettre à sa disposition tous les livres de comptabilité des trois dernières années ; toute mesure d'expertise est aujourd'hui impossible,

- selon l'article 1648 du code civil, l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice ; la demande en restitution du prix et en dommages-intérêts n'a pas été introduite dans ce délai de sorte que l'action est prescrite sur ce fondement ; l'assignation ne contient aucune demande chiffrée,

- selon l'article 1304 du code civil dans sa rédaction antérieure, l'action sur le fondement du dol se prescrit par cinq ans ; aucune demande sur le fondement du dol n'a été faite dans ce délai, de sorte que l'action est prescrite sur ce fondement ; la société Pharmacie de Morancé a fait preuve d'incurie en ne demandant jamais à Mme [N] la présentation des livres comptables dans les trois années à compter de son entrée en jouissance et en ne demandant jamais de mesure d'expertise avant dire droit.

La société Pharmacie de Morancé réplique que :

- selon l'article L.141-4 du code de commerce, l'action doit être intentée dans le délai d'une année à compter de la prise de possession ; selon l'article 1648 du code civil, l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice ; la présente action a été intentée le 2 juillet 2010, soit moins d'un an après la prise de possession du fonds le 1er mars 2010,

- selon la jurisprudence constante, si l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions tendent à un seul et même but ; toutes les demandes tendent vers un seul but consistant à obtenir l'indemnisation du préjudice lié à la surévaluation du fonds de commerce ; il est indifférent que les demandes soient formées au titre d'une réduction de prix ou de dommages-intérêts puisque les deux se confondent,

- l'assignation mentionnait expressément l'estimation de la réduction de prix et sollicitait la condamnation au paiement de ladite somme ainsi que des dommages-intérêts ; à cette date, la société n'était pas en mesure de chiffrer avec exactitude l'étendue de son préjudice et sollicitait la désignation d'un expert judiciaire ; il s'agit bien d'une demande en justice qui a valablement interrompu le délai de prescription,

- l'instance n'a jamais été interrompue depuis le 2 juillet 2010, le tribunal ayant sursis à statuer par jugements successifs dans l'attente de l'issue de l'action pénale ; Mme [N] n'a jamais soulevé cette fin de non-recevoir tirée de la prescription et a sollicité à plusieurs reprises le sursis à statuer.

Sur ce,

L'article L. 141-3 du code de commerce prévoit que le vendeur d'un fonds de commerce est, nonobstant toute stipulation contraire, tenu de la garantie à raison de l'inexactitude de ses énonciations dans les conditions édictées par les articles 1644 et 1645 du code civil.

Et l'article L. 141-4 précise que l'action résultant de l'article L. 141-3 doit être intentée par l'acquéreur dans le délai d'une année, à compter de la date de sa prise de possession.

En l'espèce, la cession du fonds de commerce de Mme [N] à la société Pharmacie de Morancé a été consentie sous condition suspensive le 1er décembre 2009 puis réitérée par acte du 26 février 2010, ces actes prévoyant une entrée en jouissance et un transfert de propriété au 1er mars 2010.

Or, la société Pharmacie de Morancé a assigné Mme [N] (épouse [D]) le 2 juillet 2010, soit dans le délai d'un an de la prise de possession du fonds de commerce. L'instance introduite par cette assignation a fait l'objet de décisions successives de sursis à statuer, dans l'attente de l'issue de la procédure pénale engagée contre Mme [N], pour trouver son terme dans le jugement du 7 octobre 2021 présentement soumis à la cour.

De plus, aux termes de l'assignation, les demandes de la société Pharmacie de Morancé étaient formées comme suit :

'- Dire et juger que les chiffres d'affaires énoncés dans l'acte de vente au 1er décembre 2009 sont inexacts,

- Désigner tel expert qu'il appartiendra à l'effet de déterminer le montant de la réduction du prix de vente qui doit en résulter,

- Condamner Madame [D] au paiement de ladite somme,

- Condamner Madame [D] au paiement de dommages et intérêts qui seront arrêtés selon mémoire,

- Condamner Madame [D] au paiement d'une somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.'

Il résulte clairement de cette assignation, que la société Pharmacie de Morancé a agi aux fins d'obtenir la réduction du prix de cession et des dommages-intérêts. Le fait que ses demandes ne soient alors pas chiffrées, dans l'attente de l'expertise également sollicitée, ne prive pas cette assignation de son effet interruptif de prescription sur l'action en garantie contre le cédant.

Devant la cour d'appel, la société Pharmacie de Morancé sollicite la confirmation du jugement et, subsidiairement, la condamnation de Mme [N] à lui payer la somme de 380.000 euros à titre de dommages-intérêts correspondant à son évaluation de la diminution du prix de vente, et la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts au titre des préjudices subséquents. Ces demandes subsidiaires ne sont que la version chiffrée des demandes formées dans l'assignation du 2 juillet 2010.

Dès lors, la prescription d'un an prévue à l'article L. 141-4 précité n'est pas acquise, ni a fortiori la prescription biennale de l'article 1648 du code civil ou encore celle quinquennale des articles 1304 et 1116 du code civil (dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable au litige), invoquées par Mme [N] dans ses conclusions.

En conséquence, les demandes formées par la société Pharmacie de Morancé n'étant nullement prescrites, le jugement sera confirmé en ce que, rejetant la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action, il déclare recevable l'action de la société Pharmacie de Morancé.

Sur le bien fondé de l'action

Mme [N] fait valoir que :

- les surfacturations datent de 2008, 2009 et des premiers mois de 2010, et correspondent à 46.446 euros pour une année ; elles ont conduit à une augmentation artificielle du chiffre d'affaires de 3 %, elles ont donc eu une incidence minime ; elles étaient cantonnées à l'obtention d'entrées d'argent au préjudice des caisses de sécurité sociale mais n'avaient pas pour finalité de gonfler artificiellement un prix de vente et n'avaient pas pour but de tromper un repreneur ;

- la demande de réduction du prix est excessive et arbitraire ;

- la réalité du préjudice n'est pas démontrée et les pièces produites par la société Pharmacie de Morancé sont sans valeur probante ; le net recul du chiffre d'affaires après la cession peut avoir des causes multiples ;

- il appartenait à la société Pharmacie de Morancé de former une demande devant le juge pénal quand elle en avait la possibilité ; l'autorité de la chose jugée au pénal sur le juge civil s'attache à ce qui a été définitivement jugé par le juge pénal ; devant le juge pénal, M. [Z] a agi pour les intérêts de la société Pharmacie de Morancé et dans un tel cas, le préjudice d'un associé se confond avec le préjudice de sa société ;

- le dol n'est pas prouvé ; le supposé manque à gagner a été largement compensé sur le long terme par la vente de masques, de tests et de gel hydroalcoolique induite par la crise sanitaire ;

- la demande d'expertise est faite sans fondement juridique ; cette demande a pour seul objet de suppléer la carence de la société Pharmacie de Morancé dans l'administration de la preuve de son préjudice ;

- elle n'a plus à sa disposition les livres comptables des trois derniers exercices précédant la vente, un expert ne pourrait donc apprécier des inexactitudes comptables ; deux chefs de la mission sont incohérents et invraissemblables.

La société Pharmacie de Morancé réplique que :

- dans l'acte de cession, Mme [N] a déclaré les chiffres d'affaires des précédentes années, le prix de cession étant convenu à concurrence de 100 % du chiffre d'affaires et ainsi arrêté à la somme de 1.875.000 euros ;

- or, l'examen du chiffre d'affaires des six premiers mois après la cession démontre une baisse de 20 à 30 %, malgré une hausse de la fréquentation de l'officine ; ces éléments l'ont amenée à contacter le service anti-fraude de la CPAM qui a dénoncé les manoeuvres frauduleuses commises par Mme [N] ;

- la pratique consistant à falsifier des ordonnances et à émettre des factures irrégulières et permettant d'obtenir des règlements indus de la part des caisses de sécurité sociale, a eu pour effet d'augmenter artificiellement le chiffre d'affaires, et par conséquent de majorer le prix de vente du fonds de commerce ;

- le résultat de l'exercice clos le 31 mars 2011 s'est avéré largement déficitaire, la perte de chiffre d'affaires était exclusivement liée à l'arrêt immédiat des pratiques illicites de Mme [N] ; ainsi son préjudice est en lien direct avec les manoeuvres frauduleuses commises par Mme [N] ;

- une mesure d'expertise devrait permettre de déterminer le quantum du préjudice indemnisable, qui doit correspondre à la différence entre le prix de cession fixé sur la base des déclarations de Mme [N] mentionnées dans l'acte de cession, et le prix de vente qui aurait dû être retenu selon la méthodologie arrêtée par les parties et par l'acte de cession, si ces pratiques illicites lui avaient été révélées ;

- l'expert pourra réaliser sa mission avec les éléments comptables dont elle-même dispose : il appartenait à Mme [N] de conserver les livres comptables dès lors qu'elle a été assignée le 2 juillet 2010 ;

- subsidiairement, le préjudice doit être évalué à la somme de 380.000 euros au titre de la diminution du prix, et à la somme de 50.000 euros pour les préjudices annexes.

Sur ce,

Selon l'article 955 du code de procédure civile, en cas de confirmation d'un jugement, la cour peut statuer par adoption de ses motifs.

En l'espèce, c'est par des motifs complets et pertinents, que la cour adopte, que le tribunal a retenu que l'action de la société Pharmacie de Morancé en réduction du prix de cession était fondée. En effet, la fraude commise par Mme [N] sur les exercices 2008 à 2010 est caractérisée, au vu de l'arrêt de la cour d'appel de Lyon en date du 14 mars 2019 l'ayant condamnée pour des faits d'escroquerie.

En outre, il peut être ajouté que, dans ses écritures d'appel, Mme [N] invoque l'autorité de la chose jugée en faisant valoir qu'il appartenait à la société Pharmacie de Morancé de faire une demande devant le juge pénal quand elle en avait la possibilité, et que M. [Z] a agi, devant la juridiction pénale, pour les intérêts de la société, le préjudice d'un associé se confondant avec celui de la société. Or, Mme [N] ne conclut pas, dans le dispositif de ses conclusions, à l'irrecevabilité des demandes de la société Pharmacie de Morancé en raison de la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée. Au surplus, comme l'a justement relevé le tribunal, Mme [N] a été relaxée du chef d'escroquerie au préjudice des associés de la société Pharmacie de Morancé, ce qui ne rend pas irrecevable l'action de cette dernière sur le fondement de l'article L. 141-3 du code de commerce.

Quant à la demande d'une mesure d'expertise, l'arrêt du 14 mars 2019 a retenu que les faits d'escroquerie commis par Mme [N] avait conduit à une augmentation artificielle du chiffre d'affaires du fonds de commerce. En outre, la société Pharmacie de Morancé justifie de la baisse de son chiffre d'affaires au cours des mois suivant la cession, en dépit d'une augmentation du nombre des ventes.

Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il ordonne une mesure d'expertise. Toutefois, deux chefs de la mission de l'expert doivent être écartés, consistant à 'rechercher si les chiffres d'affaires déclarés dans l'acte de cession du 1er décembre 2009, réitéré le 26 février 2010, ont été réalisés dans le respect des lois, des normes professionnelles des pharmaciens et des recommandations ordinales' et à 'relever les irrégularités, notamment dans la gestion et l'exploitation de la Pharmacie [D], les lister et les décrire'. En effet, d'une part il est désormais établi que les chiffres d'affaires déclarés dans l'acte de cession sont inexacts et que la gestion du fonds de commerce présentait des irrégularités, et d'autre part ces deux chefs de mission ont trait à la faute du cédant plutôt qu'à l'évaluation de la réduction de prix réclamée par le cessionnaire.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Mme [N] succombant à l'instance, elle sera condamnée aux dépens d'appel.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, Mme [N] sera condamnée à payer à la société Pharmacie de Morancé la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il donne mission à l'expert de :

1 - rechercher si les chiffres d'affaires déclarés dans l'acte de cession du 1er décembre 2009, réitéré le 26 février 2010, ont été réalisés dans le respect des lois, des normes professionnelles des pharmaciens et des recommandations ordinales,

2 - relever les irrégularités, notamment dans la gestion et l'exploitation de la Pharmacie [D], les lister et les décrire.

Y ajoutant,

Condamne Mme [N] aux dépens d'appel ;

Condamne Mme [N] à payer à la société Pharmacie de Morancé la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

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