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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-9, 2 octobre 2025, n° 24/12389

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 24/12389

2 octobre 2025

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-9

ARRÊT AU FOND

DU 02 OCTOBRE 2025

N° 2025/384

Rôle N° RG 24/12389 N° Portalis DBVB-V-B7I-BNZ6T

[T] [Y]

C/

S.A.R.L. AGENCE PROVENCALE

SELARL ML ASSOCIES

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Franck BENALLOUL

Me Roselyne SIMON-THIBAUD

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Juge de l'exécution de [Localité 9] en date du 24 Septembre 2024 enregistré au répertoire général sous le n° 21/01045.

APPELANT

Monsieur [T] [Y]

né le [Date naissance 2] 1959 à [Localité 7]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 1]

représenté et assisté par Me Franck BENALLOUL, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMÉES

S.A.R.L. AGENCE PROVENÇALE

prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 4]

Signification DA le 28 Novembre 2024 déposée à l'étude

défaillante

SELARL ML ASSOCIES en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la SARL AGENCE PROVENÇALE

prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 3]

représentée par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

assistée de Me Corinne BONVINO-ORDIONI de l'ASSOCIATION C.BONVINO ORDIONI V.ORDIONI, avocat au barreau de TOULON,

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 25 Juin 2025 en audience publique devant la cour composée de :

Madame Cécile YOUL-PAILHES, Président

Madame Pascale POCHIC, Conseiller

Monsieur Ambroise CATTEAU, Conseiller (rédacteur)

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Josiane BOMEA.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 02 Octobre 2025.

ARRÊT

Défaut,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 02 Octobre 2025,

Signé par Madame Cécile YOUL-PAILHES, Président et Mme Josiane BOMEA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS :

Selon mandat de gérance du 2 mars 2011, monsieur [Y] confiait à la société Agence Provençale la gestion locative de l'appartement dont il est propriétaire à [Localité 6]. Il résiliait ledit mandat, le 2 mars 2013.

Un jugement du 7 juillet 2015 du tribunal de commerce de Toulon prononçait l'ouverture du redressement judiciaire de la société Agence Provençale. Un jugement du 29 septembre 2016 homologuait son plan de redressement par voie de continuation.

Une ordonnance de référé du 20 novembre 2018, signifiée le 20 mars 2020, condamnait la société Agence Provençale à payer à monsieur [Y] une somme provisionnelle de 35 000 € à valoir sur la créance de loyers.

Le 19 janvier 2021, monsieur [Y] faisait délivrer à la Banque BPCA de [Localité 8], une saisie-attribution des sommes détenues pour le compte de la société Agence Provençale aux fins de paiement de la somme de 43 689,21 € dont 35 000 € en principal. La saisie produisait son effet à hauteur de 2 086,16 €. Elle était dénoncée, le 22 janvier 2021, à la société Agence Provençale.

Le 19 février 2021, la société Agence Provençale faisait assigner monsieur [Y] devant le juge de l'exécution de [Localité 9] aux fins de nullité et de mainlevée de saisie-attribution

Un jugement du 25 octobre 2022 prononçait un sursis à statuer dans l'attente de la décision du juge du fond saisi par l'Agence Provençale.

Une ordonnance d'incident du 7 février 2023 du juge de la mise en état déclarait le tribunal judiciaire de Toulon incompétent au profit du tribunal du commerce de ladite ville chargé de la procédure collective.

Un jugement du 24 septembre 2024 du juge de l'exécution précité :

- ordonnait la mainlevée de la saisie-attribution du 19 janvier 2021,

- condamnait monsieur [Y] à payer à la Sarl Agence Provençale et à la Selarl ML Associés prise en la personne de maître [D] en qualité de commissaire à l'exécution du plan, chacune, une indemnité de 1 000 € au titre de l'article 700 CPC et aux dépens.

Le jugement précité était notifié à monsieur [Y] par lettre recommandée dont l'accusé de réception n'était pas retournée au greffe.

Par déclaration du 11 octobre 2024 au greffe de la cour, monsieur [Y] formait appel du jugement précité.

Le 28 novembre 2024, monsieur [Y] faisait signifier à la société Agence Provençale la déclaration d'appel avec copie de l'avis de fixation à bref délai du 20 novembre 2024.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 20 janvier 2025, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, monsieur [Y] demande à la cour de :

- infirmer le jugement déféré dans toutes ses dispositions,

- statuant à nouveau, rejeter les contestations de la société Agence Provençale et valider la saisie-attribution du 19 janvier 2021,

- condamner in solidum l'Agence Provençale et la société ML Associés prise en la personne de maître [D] à lui payer une indemnité de 3 000 € pour frais irrépétibles et les dépens.

A titre principal, il soutient au visa des articles L 213-6 COJ et R 121-1 CPCE, que le juge de l'exécution ne peut remettre en cause une décision exécutoire. Il rappelle que la saisie contestée est fondée sur une ordonnance de référé du 10 décembre 2018 dont l'appel a été jugé irrecevable. L'éventuel non-respect des règles de la procédure collective ne peut remettre en cause la saisie dès lors que l'ordonnance est devenue définitive.

A titre subsidiaire, il soutient que la créance de restitution du mandant d'un agent immobilier qui a retenu indûment des loyers échappe par nature aux limites imposées par la procédure collective. Il n'est pas tenu de déclarer sa créance et n'est pas soumis à l'interdiction des poursuites.

Les fonds détenus par l'Agence Provençale lui appartiennent et il n'est pas créancier des sommes se rattachant au patrimoine affecté à la procédure collective.

De plus, l'exécution de l'ordonnance de référé ne se heurte pas à l'interdiction des poursuites individuelles dès lors qu'elle est postérieure au jugement d'adoption du plan et les créances nouvelles nées après le plan de redressement sont soumises au droit commun et non au critère de l'article L 622-17 de l'utilité de la créance pour la procédure collective.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 18 mars 2025, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la société ML Associés es qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la société Agence Provençale demande à la cour de :

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté sa demande de sursis à statuer,

- statuant à nouveau, surseoir à statuer jusqu'à la décision du tribunal de commerce sur la nature, l'opposabilité, et le montant de la créance,

- subsidiairement, juger qu'elle s'en rapporte à justice sur les mérites de l'appel,

- en tout état de cause, juger irrecevable la demande de condamnation contre la société ML Associés prise en la personne de maître [D].

Elle soutient qu'il existe une procédure pendante devant le tribunal de commerce, juridiction de la procédure collective, seule compétente pour statuer au fond sur la nature, le quantum de la créance et les règles auxquelles elle est soumise. En effet, l'ordonnance de référé qui fonde la saisie est susceptible d'être remise en cause par le juge du fond au motif qu'elle n'est pas une créance utile à la procédure collective de sorte qu'elle serait soumise à déclaration de créance et à l'interdiction des poursuites.

A titre subsidiaire, elle s'en rapporte à justice sur les mérites de l'appel.

En tout état de cause, elle soulève l'irrecevabilité de la condamnation formée contre elle à titre personnel et non en qualité de commissaire à l'exécution du plan.

La société Agence Provençale, à qui la déclaration d'appel avec l'avis de fixation à bref délai ont été signifiés par dépôt à l'étude, n'a pas constitué avocat devant la cour.

L'instruction de la procédure était close par ordonnance du 27 mai 2025.

MOTIVATION DE LA DÉCISION :

- Sur la demande de sursis à statuer dans l'attente de la décision du juge du fond,

Selon les dispositions de l'article 378 du code de procédure civile, la décision de sursis à statuer suspend le cours de l'instance jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle détermine.

Hors les cas où cette mesure est prévue par la loi, les juges du fond apprécient discrétionnairement l'opportunité d'un sursis à statuer dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice.

En application de l'article L 111-10 du code précité, l'exécution d'une décision de justice telle qu'un jugement revêtu de l'exécution provisoire, objet d'un appel, n'a lieu qu'aux risques et périls de celui qui la poursuit à charge pour lui d'en réparer les conséquences dommageables. Le droit à réparation n'est dès lors pas subordonné à une faute dans l'exécution de la décision.

En l'espèce, monsieur [Y] dispose d'un titre exécutoire à titre provisoire constitué par l'ordonnance de référé du 20 novembre 2018 signifiée le 20 mars 2020 (laquelle condamne la société Agence Provençale à lui payer une provision de 35 000 € à valoir sur la créance de loyers) de nature à fonder la saisie-attribution du 19 janvier 2021. Si la société Agence Provençale a formé appel de l'ordonnance précitée, il a été déclaré irrecevable par ordonnance du 10 octobre 2019 du Conseiller de la mise en état.

Si monsieur [Y] s'expose à un risque de restitution en cas de remise en cause par le juge du fond de la condamnation par nature provisoire prononcée par le juge des référés, il disposait, au jour de la délivrance de la saisie contestée, d'un titre exécutoire à titre provisoire de sorte qu'il n'y a pas lieu de surseoir à statuer sur la contestation.

Par conséquent, la demande de sursis à statuer sera rejetée.

- Sur l'incidence de la procédure collective de la société Agence Provençale sur la validité de la saisie-attribution du 19 janvier 2021,

Selon les dispositions de l'article L 211-1 du code des procédures civiles d'exécution, tout créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut, pour en obtenir le paiement, saisir entre les mains d'un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d'argent.

L'article L 622-7 du code de commerce dispose que le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception du paiement par compensation de créances connexes.

Il emporte également, de plein droit, interdiction de payer toute créance née après le jugement d'ouverture, non mentionnée au I de l'article L. 622-17. Ces interdictions ne sont pas applicables au paiement des créances alimentaires.

Cependant le droit positif considère que la créance de restitution directe, organisée spécifiquement par la loi de 1970 en faveur du mandant, ne constitue pas pour ce dernier une créance de somme d'argent à l'encontre du mandataire et ne doit donc pas donner lieu à déclaration de créance au passif du mandataire soumis à une procédure collective (Assemblée Plénière 4 juin 1999 Bull n°4).

Dans un second temps, il a considéré que le mandant d'une agence immobilière en liquidation judiciaire n'a pas à déclarer sa créance de restitution résultant des dispositions de la loi du 2 janvier 1970 au passif de la procédure, celle-ci échappant par sa nature aux dispositions de la procédure collective obligeant les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture à déclarer leurs créances au liquidateur (Com 15 février 2011 n°10-10.056).

Enfin, il a considéré que le mandant d'un administrateur de biens a la faculté d'agir en justice contre son mandataire, sans préjudice de la mise en oeuvre de la garantie financière. Lorsque l'administrateur de biens est en procédure collective, le mandant, auquel les versements effectués entre les mains de celui-ci pour son compte à l'occasion d'une opération mentionnée à l'article 1er de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 n'ont pas été restitués, peut déclarer sa créance de restitution au passif de l'administrateur de biens et en demander l'admission, l'exercice de cette faculté ne remettant pas en cause l'affectation spéciale au remboursement des fonds, effets ou valeurs déposés de la garantie financière prévue par l'article 3, alinéa 2, 2°, de la loi précitée. (Com 18 janvier 2017 n°15-16.531)

L'article 1er de la loi n°70-9 du 2 janvier 1970 dispose qu'elle s'applique aux personnes physiques ou morales qui, d'une manière habituelle, se livrent ou prêtent leur concours, même à titre accessoire, aux opérations sur les biens d'autrui et relatives notamment à la location ou sous-location saisonnière ou non, en nu ou en meublé d'immeubles bâtis ou non bâtis.

L'article 5 dispose que les personnes visées à l'article 1er qui reçoivent ou détiennent des sommes d'argent, des biens, des effets ou des valeurs ou en disposent, à quelque titre et de quelque manière que ce soit, à l'occasion des opérations spécifiées audit article, doivent respecter dans les conditions prévues en Conseil d'Etat, notamment les formalités de tenue des registres et de délivrances de reçus ainsi que les autres obligations découlant du mandat.

En l'espèce, la saisie-attribution contestée du 19 janvier 2021, fructueuse pour un montant de 2 086,16 €, est fondée sur l'ordonnance de référé du 20 novembre 2018 signifiée le 20 mars 2020 qui condamne la société Agence Provençale à payer à monsieur [Y] une provision de 35 000 € à valoir sur sa créance de loyers.

Si le juge de l'exécution ne peut remettre en cause le dispositif de l'ordonnance de référé du 20 novembre 2018 au prétendu motif qu'elle aurait été prononcée en violation de l'interdiction des poursuites, effet du jugement d'ouverture du 7 juillet 2015, il doit statuer sur l'incidence de la procédure collective sur la validité de la saisie du 19 janvier 2021.

Monsieur [Y] et la société Agence Provençale étaient liés par un mandat de gérance du 2 mars 2011 ayant pour objet la gestion locative d'un appartement situé [Adresse 5] à [Localité 6].

Il stipule notamment que le mandataire a le pouvoir de recevoir sans limitation toutes sommes représentant les loyers, charges, indemnité d'occupation...que la reddition des comptes sera mensuelle par virement et annuelle sous la forme d'un compte-rendu de gestion.

A titre liminaire, il sera relevé que la société Agence Provençale n'a pas opposé à monsieur [Y] devant le juge des référés de [Localité 9] ayant prononcé l'ordonnance du 20 novembre 2018 qui fonde la saisie contestée, l'interdiction des poursuites à titre d'effet légal du jugement d'ouverture du 7 juillet 2015 ayant donné lieu à un jugement de continuation d'activité du 29 septembre 2016.

En tout état de cause, il résulte de la convention du 2 mars 2011 liant les parties que monsieur [Y] a donné mandat à la société Agence Provençale de percevoir pour son compte les loyers dus par le locataire du bien immobilier dont la gestion a été déléguée à l'intimée.

Ainsi, les loyers à rétrocéder à monsieur [Y] sont restés sa propriété et n'ont pas intégré le patrimoine du mandataire. Ils ont transité, non pas dans le patrimoine de la société Agence Provençale, mais entre ses mains en tant que mandataire-dépositaire avant leur rétrocession à son mandant. Ils ne constituent donc pas une créance contre le débiteur en procédure collective et ne sont donc pas soumis aux effets de cette dernière relatifs notamment à l'obligation de déclaration et à l'interdiction des poursuites.

Par conséquent, contrairement à l'appréciation du premier juge, l'interdiction des poursuites, effet légal du jugement d'ouverture du 7 juillet 2015, ne pouvait fonder la mainlevée de la saisie-attribution du 19 janvier 2021. Le jugement déféré sera donc infirmé et la saisie sera validée.

- Sur les demandes accessoires,

La demande d'indemnité pour frais irrépétibles formée à l'égard de la société ML Associés prise en la personne de Maître [D], à titre personnel, et non en qualité de commissaire à l'exécution du plan, est irrecevable.

L'équité commande de faire application de l'article 700 CPC à l'égard de la société Agence Provençale et de la condamner au paiement d'une indemnité de 2 000 € à ce titre ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant après débats en audience publique et après en avoir délibéré, conformément à la loi, par arrêt de défaut, prononcé par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement déféré dans toutes ses dispositions,

STATUANT à nouveau,

REJETTE l'exception de sursis à statuer,

VALIDE la saisie-attribution du 19 janvier 2021,

Y AJOUTANT,

DÉCLARE irrecevable la demande d'indemnité pour frais irrépétibles formée contre la société ML Associés prise en la personne de Maître [D],

CONDAMNE la société Agence Provençale au paiement d'une indemnité de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Agence Provençale aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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