CA Basse-Terre, 2e ch., 30 septembre 2025, n° 24/00997
BASSE-TERRE
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
2ème CHAMBRE CIVILE
ARRET N° 475 DU 30 SEPTEMBRE 2025
N° RG 24/00997 -
N° Portalis DBV7-V-B7I-DXVC
Décision déférée à la cour : ordonnance de référé du président du tribunal judiciaire de Basse-Terre en date du 8 octobre 2024, dans une instance enregistrée sous le n° 24/00045
APPELANT :
Monsieur [U] [E]
[Adresse 7]
[Localité 2]
Représenté par Me Michaël SARDA, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
INTIMEE :
S.A. Société Immobilière de la Guadeloupe (SIG)
[Adresse 6]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Olivier PAYEN de la SELARL PAYEN, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 906-5 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 mai 2025, en audience publique, devant Madame Annabelle Clédat et Madame Aurélia Bryl , conseillères, chargées du rapport, les avocats ne s'y étant pas opposé,
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Frank Robail, président de chambre,
Madame Annabelle Clédat, conseillère,
Mme Aurélia Bryl, conseillère.
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 18 septembre 2025. Elles ont ensuite été informées de la prorogation du délibéré à ce jour en raison de la surcharge du greffe.
GREFFIER
Lors des débats et lors du prononcé : Mme Sonia Vicino, greffière.
ARRET :
- contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
- signé par M. Frank Robail, président de chambre et par Mme Sonia Vicino, greffière, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
Par acte sous seing privé du 9 mars 2009, la société immobilière de la Guadeloupe, ci-après la SIG, a conclu avec 'Le monde des cristaux, représentée par son gérant M. [U] [E]', un contrat de bail commercial portant sur un local de 55 m² situé [Adresse 1] à [Localité 4], moyennant un loyer mensuel de 772,31 euros, charges comprises, le contrat prévoyant une clause d'indexation ainsi qu'une clause résolutoire.
Le 28 décembre 2021, la SIG a fait délivrer au Monde des cristaux un commandement de payer la somme de 5.598,86 euros au titre d'un arriéré locatif arrêté au 1er octobre 2021, qui visait la clause résolutoire.
Par acte du 16 mai 2024, la SIG a fait assigner M. [U] [E], commerçant exploitant à l'enseigne Le monde des cristaux, devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Basse-Terre afin de voir constater l'acquisition de la clause résolutoire, voir ordonner l'expulsion du preneur et obtenir sa condamnation à lui payer une indemnité d'occupation de 793,51 euros par mois, outre une provision de 5.444,13 euros au titre de l'arriéré locatif arrêté au 2 mai 2024.
Par ordonnance réputée contradictoire du 8 octobre 2024, le juge des référés a principalement :
- constaté la résiliation du bail du 9 mars 2009,
- ordonné, à défaut de libération volontaire des lieux, l'expulsion de M. [E] et de tous occupants de son chef, au besoin avec le concours de la force publique et d'un serrurier,
- condamné M. [E] à payer à la SIG, jusqu'à libération des lieux, 'une indemnité d'occupation provisionnelle s'élevant, chaque mois, au montant du loyer contractuellement prévu, soit 793,51 euros, et ce à compter de la résiliation du bail',
- condamné M. [E] à payer à la SIG 'une provision de 5.598,66 euros, arrêtée au 1er octobre 2021, date du commandement de quitter les lieux, au titre des loyers impayés', avec intérêts au taux légal à compter de l'ordonnance,
- rejeté le surplus des demandes,
- condamné M. [E] à payer à la SIG la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
M. [E] a interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 4 novembre 2024, en indiquant que son appel portait expressément sur chacun des chefs de jugement.
La procédure a fait l'objet d'une orientation à bref délai avec fixation de l'affaire à l'audience du 12 mai 2025.
Le 28 novembre 2024, en réponse à l'avis du 20 novembre 2024 donné par le greffe, M. [E] a fait signifier la déclaration d'appel et l'avis de fixation à bref délai à la SIG, qui a remis au greffe sa constitution d'intimée par voie électronique le 24 janvier 2025.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 29 avril 2025 et l'affaire a été retenue à l'audience du 12 mai 2025, date à laquelle la décision a été mise en délibéré au 18 septembre 2025. Les parties ont ensuite été informées de la prorogation du délibéré à ce jour en raison de la surcharge du greffe.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
1/ M. [U] [E], appelant :
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 2 avril 2025, par lesquelles l'appelant demande à la cour :
- d'infirmer l'ordonnance dont appel en toutes ses dispositions,
- statuant à nouveau :
- de dire que ses demandes ne sont pas des demandes nouvelles au sens de l'article 564 du code de procédure civile et les déclarer recevables,
- de dire qu'il est à jour du paiement de ses loyers et des retards de loyer,
- de lui octroyer rétroactivement des délais de paiement pour s'acquitter de la dette de loyer, dans la mesure où il se serait totalement acquitté de sa dette de loyer au moment de l'arrêt à intervenir,
- s'il n'était pas à jour du paiement de la dette de loyer d'ici à la date à laquelle la cour statuera :
- de fixer la dette de loyer à la somme de 3.040,02 euros, les sommes versées pour apurer cette dette en cour d'instance et jusqu'au prononcé de l'arrêt de la cour devant être déduites de cette somme,
- de lui octroyer des délais de paiement pour s'acquitter de la dette de loyer, pour le cas où la cour estimerait qu'il est toujours redevable de sommes à ce titre,
- de suspendre dans tous les cas les effets de la clause résolutoire et de dire que la clause résolutoire du bail commercial ne jouera pas, dans la mesure où il se serait acquitté de la dette de loyer en totalité, ou encore qu'elle ne jouerait pas s'il s'en libérait dans les conditions fixées par la cour, au cas où cette dernière estimerait que des sommes sont encore dues au titre des loyers,
- de débouter la SIG de l'ensemble de ses autres demandes, fins et conclusions, notamment celle tendant à son expulsion,
- à titre subsidiaire, si la cour estimait devoir faire droit à la demande d'expulsion :
- de lui octroyer un délai de six mois afin de lui permettre de quitter les lieux,
- de fixer une indemnité d'occupation égale à un mois de loyer, à hauteur de 793,51 euros par mois, 'selon la jurisprudence en vigueur',
- de débouter la SIG de l'ensemble de ses autres demandes, fins et conclusions,
- dans tous les cas, de dire qu'il ne sera pas condamné au paiement de la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance.
2/ La SIG, intimée :
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 14 février 2025, par lesquelles l'intimée demande à la cour :
- de statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel,
- de juger irrecevables les demandes formulées en appel par M. [E],
- en tout état de cause, de débouter M. [E] de l'ensemble de ses demandes,
- en conséquence, de confirmer l'ordonnance de référé en toutes ses dispositions,
- de condamner M. [E] aux entiers dépens,
- de condamner M. [E] au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions des parties pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur la recevabilité de l'appel :
Conformément aux dispositions de l'article 490 du code de procédure civile, les ordonnances de référé sont susceptibles d'appel dans le délai de quinze jours, qui court à compter de leur notification.
En l'espèce, M. [E] a interjeté appel le lundi 4 novembre 2024 de l'ordonnance de référé qui lui avait été signifiée le 18 octobre 2024.
Le délai d'appel, qui devait expirer le samedi 2 novembre 2024, a été reporté au lundi 4 novembre 2024 en vertu des dispositions de l'article 642 du code de procédure civile.
En conséquence, son appel doit être déclaré recevable.
Sur la recevabilité des demandes de délais et de suspension des effets de la clause résolutoire :
L'article 564 du code de procédure civile dispose qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
Sur le fondement de ce texte, la SIG demande à la cour de déclarer irrecevables les demandes de délais de paiement et de suspension des effets de la clause résolutoire formées pour la première fois en appel par M. [E], qui n'avait pas comparu en première instance.
Cependant, il est constant que ces demandes, même présentées pour la première fois en appel, ne se heurtent à aucune irrecevabilité puisqu'elles tendent à faire écarter les prétentions adverses en constatation de la résiliation du bail et en expulsion.
En conséquence, les demandes de M. [E] tendant à l'obtention de délais de paiement et à la suspension des effets de la clause résolutoire seront déclarées recevables.
Sur l'acquisition de la clause résolutoire et ses conséquences :
L'article L.145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
En l'espèce, la SIG a demandé au juge des référés de constater la résiliation du bail commercial par suite de l'inexécution des causes du commandement de payer délivré le 28 décembre 2021, qui visait la clause résolutoire insérée dans le bail du 9 mars 2009.
Il est parfaitement constant que M. [E], qui n'a jamais contesté la validité de ce commandement, ni sa qualité de preneur, malgré la rédaction du bail, ne s'est pas acquitté intégralement du montant de l'arriéré qui lui était réclamé dans le mois suivant la délivrance du commandement.
Le bail s'est donc trouvé résilié de plein droit à la date du 28 janvier 2022.
L'ordonnance sera dès lors confirmée en ce qu'elle a constaté la résiliation du bail, mais complétée par la précision de la date de cette résiliation.
Elle sera également confirmée en ce qu'elle a ordonné l'expulsion du preneur et sa condamnation au paiement d'une indemnité d'occupation de 793,51 euros par mois à compter de la résiliation du bail et jusqu'à la libération des lieux.
Sur l'octroi de délais de paiement et la suspension des effets de la clause résolutoire :
Aux termes de l'article L.145-11 du code de commerce, les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.
L'article 1343-5 du code civil dispose quant à lui que le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues
En cause d'appel, M. [E] se prévaut de sa bonne foi afin de solliciter l'octroi de délais de paiement et la suspension des effets de la clause résolutoire.
L'examen des décomptes de créance produits par les parties démontre que les premiers défauts de paiement du loyer sont intervenus à l'occasion des confinements liés à la crise sanitaire du Covid 19, entre avril et juin 2020, puis en septembre et octobre 2021. Par la suite, même si M. [E] a régulièrement procédé à des versements d'un montant supérieur au loyer courant, il n'est pas parvenu à solder l'arriéré, qui a atteint 5.598,86 euros en décembre 2021.
Grâce aux paiements réalisés, il a réussi à ramener son arriéré à 713,22 euros au 20 juin 2023, mais a cumulé ensuite cinq mois d'impayés, qui ont à nouveau porté l'arriéré à 5.475,58 euros au 1er décembre 2023.
Après quelques versements conséquents en décembre 2023 et janvier 2024, il n'a pas réglé l'intégralité du loyer courant de mars 2024 à septembre 2024, ne réglant que 750 euros par mois au lieu de 793.71 euros, outre quelques défauts de paiement. L'arriéré a ainsi été porté à 8.013,56 euros au 1er novembre 2024.
Cependant, depuis novembre 2024, il règle chaque mois des sommes largement supérieures au loyer courant, oscillant entre 1.000 et 2.500 euros par mois.
A la date du 29 avril 2025, son arriéré avait ainsi été ramené à 3.128,96 euros. L'ordonnance déférée sera donc infirmée en ce qu'elle l'a condamné à payer une provision de 5.598,66 euros à ce titre.
Si M. [E] indiquait, dans ses conclusions, qu'il serait en mesure de s'acquitter de l'intégralité de l'arriéré locatif avant la décision de la cour, force est de constater qu'à la date de l'ordonnance de clôture il n'avait produit aucun nouveau décompte permettant de constater l'apurement de la dette et de lui accorder des délais de paiement rétroactifs qui auraient pu conduire la cour à constater que la clause résolutoire n'avait pas produit ses effets.
Il sera donc condamné à payer à la SIG la somme provisionnelle de 3.128,96 euros au titre de l'arriéré arrêté au 29 avril 2025, augmentée des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Néanmoins, les efforts de paiement réalisés par M. [E] depuis plusieurs années, malgré des difficultés récurrentes, caractérisent sa bonne foi et permettent de lui accorder des délais afin qu'il s'acquitte du paiement de la somme de 3.128,86 euros en dix versements de 300 euros chacun, en plus du loyer courant, outre un onzième versement devant solder l'arriéré. Les versements devront intervenir conformément aux modalités prévues dans le dispositif du présent arrêt.
Les effets de la clause résolutoire seront suspendus durant ce moratoire, sous réserve de son respect scrupuleux, mais ils s'appliqueront à nouveau en cas de défaut de paiement, sans qu'il y ait lieu à mise en demeure préalable.
L'ordonnance déférée sera complétée en ce sens.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
M. [E], qui succombe essentiellement à l'action engagée par la SIG, même s'il bénéficie de délais de paiement, sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel.
En revanche, l'équité commande de laisser à chaque partie la charge de ses propres frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en appel. L'ordonnance déférée sera donc réformée de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare recevable l'appel interjeté par M. [U] [E],
Déclare recevables les demandes de délais de paiement et de suspension des effets de la clause résolutoire formées par M. [U] [E],
Confirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a :
- constaté la résiliation du bail du 9 mars 2009,
- ordonné, à défaut de libération volontaire des lieux, l'expulsion de M. [U] [E] et de tous occupants de son chef, au besoin avec le concours de la force publique et d'un serrurier,
- condamné M. [U] [E] à payer à la SA Société Immobilière de Guadeloupe, jusqu'à libération des lieux, une indemnité d'occupation de 793,51 euros par mois, à compter de la résiliation du bail,
- condamné M. [U] [E] aux entiers dépens de première instance,
Précise que la date de la résiliation du bail est fixée au 28 janvier 2022,
Infirme l'ordonnance déférée pour le surplus et, statuant à nouveau,
Condamne M. [U] [E] à payer à la SA Société Immobilière de Guadeloupe une somme provisionnelle de 3.128,96 euros à valoir sur les loyers impayés arrêtés à la date du 29 avril 2025, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Déboute la SA Société Immobilière de Guadeloupe de sa demande au titre des frais irrépétibles de première instance,
Y ajoutant,
Accorde à M. [U] [E] un délai de 11 mois pour se libérer du paiement des arrérages de loyers et charges,
Dit qu'il devra régler sa dette de 3.128,96 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 28 janvier 2022, en 10 versements mensuels de 300 euros chacun et un onzième devant solder cette dette, en sus du loyer et des charges courants,
Dit que les paiements devront intervenir entre le 1er et le 5 de chaque mois, à compter du premier mois suivant la signification du présent arrêt,
Suspend les effets de la clause résolutoire pendant le délai ainsi accordé et dit que la clause résolutoire sera réputée n'avoir jamais joué si M. [U] [E] se libère selon les modalités ainsi fixées,
Dit que le défaut de paiement d'une seule échéance ou d'un seul loyer à son terme entraînera la déchéance immédiate du terme, que le solde restant dû deviendra immédiatement exigible et que la clause résolutoire reprendra immédiatement tous ses effets,
Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
Condamne M. [U] [E] aux entiers dépens de l'instance d'appel.
Et ont signé,
La greffière, Le président
2ème CHAMBRE CIVILE
ARRET N° 475 DU 30 SEPTEMBRE 2025
N° RG 24/00997 -
N° Portalis DBV7-V-B7I-DXVC
Décision déférée à la cour : ordonnance de référé du président du tribunal judiciaire de Basse-Terre en date du 8 octobre 2024, dans une instance enregistrée sous le n° 24/00045
APPELANT :
Monsieur [U] [E]
[Adresse 7]
[Localité 2]
Représenté par Me Michaël SARDA, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
INTIMEE :
S.A. Société Immobilière de la Guadeloupe (SIG)
[Adresse 6]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Olivier PAYEN de la SELARL PAYEN, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 906-5 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 mai 2025, en audience publique, devant Madame Annabelle Clédat et Madame Aurélia Bryl , conseillères, chargées du rapport, les avocats ne s'y étant pas opposé,
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Frank Robail, président de chambre,
Madame Annabelle Clédat, conseillère,
Mme Aurélia Bryl, conseillère.
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 18 septembre 2025. Elles ont ensuite été informées de la prorogation du délibéré à ce jour en raison de la surcharge du greffe.
GREFFIER
Lors des débats et lors du prononcé : Mme Sonia Vicino, greffière.
ARRET :
- contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
- signé par M. Frank Robail, président de chambre et par Mme Sonia Vicino, greffière, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
Par acte sous seing privé du 9 mars 2009, la société immobilière de la Guadeloupe, ci-après la SIG, a conclu avec 'Le monde des cristaux, représentée par son gérant M. [U] [E]', un contrat de bail commercial portant sur un local de 55 m² situé [Adresse 1] à [Localité 4], moyennant un loyer mensuel de 772,31 euros, charges comprises, le contrat prévoyant une clause d'indexation ainsi qu'une clause résolutoire.
Le 28 décembre 2021, la SIG a fait délivrer au Monde des cristaux un commandement de payer la somme de 5.598,86 euros au titre d'un arriéré locatif arrêté au 1er octobre 2021, qui visait la clause résolutoire.
Par acte du 16 mai 2024, la SIG a fait assigner M. [U] [E], commerçant exploitant à l'enseigne Le monde des cristaux, devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Basse-Terre afin de voir constater l'acquisition de la clause résolutoire, voir ordonner l'expulsion du preneur et obtenir sa condamnation à lui payer une indemnité d'occupation de 793,51 euros par mois, outre une provision de 5.444,13 euros au titre de l'arriéré locatif arrêté au 2 mai 2024.
Par ordonnance réputée contradictoire du 8 octobre 2024, le juge des référés a principalement :
- constaté la résiliation du bail du 9 mars 2009,
- ordonné, à défaut de libération volontaire des lieux, l'expulsion de M. [E] et de tous occupants de son chef, au besoin avec le concours de la force publique et d'un serrurier,
- condamné M. [E] à payer à la SIG, jusqu'à libération des lieux, 'une indemnité d'occupation provisionnelle s'élevant, chaque mois, au montant du loyer contractuellement prévu, soit 793,51 euros, et ce à compter de la résiliation du bail',
- condamné M. [E] à payer à la SIG 'une provision de 5.598,66 euros, arrêtée au 1er octobre 2021, date du commandement de quitter les lieux, au titre des loyers impayés', avec intérêts au taux légal à compter de l'ordonnance,
- rejeté le surplus des demandes,
- condamné M. [E] à payer à la SIG la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
M. [E] a interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 4 novembre 2024, en indiquant que son appel portait expressément sur chacun des chefs de jugement.
La procédure a fait l'objet d'une orientation à bref délai avec fixation de l'affaire à l'audience du 12 mai 2025.
Le 28 novembre 2024, en réponse à l'avis du 20 novembre 2024 donné par le greffe, M. [E] a fait signifier la déclaration d'appel et l'avis de fixation à bref délai à la SIG, qui a remis au greffe sa constitution d'intimée par voie électronique le 24 janvier 2025.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 29 avril 2025 et l'affaire a été retenue à l'audience du 12 mai 2025, date à laquelle la décision a été mise en délibéré au 18 septembre 2025. Les parties ont ensuite été informées de la prorogation du délibéré à ce jour en raison de la surcharge du greffe.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
1/ M. [U] [E], appelant :
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 2 avril 2025, par lesquelles l'appelant demande à la cour :
- d'infirmer l'ordonnance dont appel en toutes ses dispositions,
- statuant à nouveau :
- de dire que ses demandes ne sont pas des demandes nouvelles au sens de l'article 564 du code de procédure civile et les déclarer recevables,
- de dire qu'il est à jour du paiement de ses loyers et des retards de loyer,
- de lui octroyer rétroactivement des délais de paiement pour s'acquitter de la dette de loyer, dans la mesure où il se serait totalement acquitté de sa dette de loyer au moment de l'arrêt à intervenir,
- s'il n'était pas à jour du paiement de la dette de loyer d'ici à la date à laquelle la cour statuera :
- de fixer la dette de loyer à la somme de 3.040,02 euros, les sommes versées pour apurer cette dette en cour d'instance et jusqu'au prononcé de l'arrêt de la cour devant être déduites de cette somme,
- de lui octroyer des délais de paiement pour s'acquitter de la dette de loyer, pour le cas où la cour estimerait qu'il est toujours redevable de sommes à ce titre,
- de suspendre dans tous les cas les effets de la clause résolutoire et de dire que la clause résolutoire du bail commercial ne jouera pas, dans la mesure où il se serait acquitté de la dette de loyer en totalité, ou encore qu'elle ne jouerait pas s'il s'en libérait dans les conditions fixées par la cour, au cas où cette dernière estimerait que des sommes sont encore dues au titre des loyers,
- de débouter la SIG de l'ensemble de ses autres demandes, fins et conclusions, notamment celle tendant à son expulsion,
- à titre subsidiaire, si la cour estimait devoir faire droit à la demande d'expulsion :
- de lui octroyer un délai de six mois afin de lui permettre de quitter les lieux,
- de fixer une indemnité d'occupation égale à un mois de loyer, à hauteur de 793,51 euros par mois, 'selon la jurisprudence en vigueur',
- de débouter la SIG de l'ensemble de ses autres demandes, fins et conclusions,
- dans tous les cas, de dire qu'il ne sera pas condamné au paiement de la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance.
2/ La SIG, intimée :
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 14 février 2025, par lesquelles l'intimée demande à la cour :
- de statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel,
- de juger irrecevables les demandes formulées en appel par M. [E],
- en tout état de cause, de débouter M. [E] de l'ensemble de ses demandes,
- en conséquence, de confirmer l'ordonnance de référé en toutes ses dispositions,
- de condamner M. [E] aux entiers dépens,
- de condamner M. [E] au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions des parties pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur la recevabilité de l'appel :
Conformément aux dispositions de l'article 490 du code de procédure civile, les ordonnances de référé sont susceptibles d'appel dans le délai de quinze jours, qui court à compter de leur notification.
En l'espèce, M. [E] a interjeté appel le lundi 4 novembre 2024 de l'ordonnance de référé qui lui avait été signifiée le 18 octobre 2024.
Le délai d'appel, qui devait expirer le samedi 2 novembre 2024, a été reporté au lundi 4 novembre 2024 en vertu des dispositions de l'article 642 du code de procédure civile.
En conséquence, son appel doit être déclaré recevable.
Sur la recevabilité des demandes de délais et de suspension des effets de la clause résolutoire :
L'article 564 du code de procédure civile dispose qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
Sur le fondement de ce texte, la SIG demande à la cour de déclarer irrecevables les demandes de délais de paiement et de suspension des effets de la clause résolutoire formées pour la première fois en appel par M. [E], qui n'avait pas comparu en première instance.
Cependant, il est constant que ces demandes, même présentées pour la première fois en appel, ne se heurtent à aucune irrecevabilité puisqu'elles tendent à faire écarter les prétentions adverses en constatation de la résiliation du bail et en expulsion.
En conséquence, les demandes de M. [E] tendant à l'obtention de délais de paiement et à la suspension des effets de la clause résolutoire seront déclarées recevables.
Sur l'acquisition de la clause résolutoire et ses conséquences :
L'article L.145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
En l'espèce, la SIG a demandé au juge des référés de constater la résiliation du bail commercial par suite de l'inexécution des causes du commandement de payer délivré le 28 décembre 2021, qui visait la clause résolutoire insérée dans le bail du 9 mars 2009.
Il est parfaitement constant que M. [E], qui n'a jamais contesté la validité de ce commandement, ni sa qualité de preneur, malgré la rédaction du bail, ne s'est pas acquitté intégralement du montant de l'arriéré qui lui était réclamé dans le mois suivant la délivrance du commandement.
Le bail s'est donc trouvé résilié de plein droit à la date du 28 janvier 2022.
L'ordonnance sera dès lors confirmée en ce qu'elle a constaté la résiliation du bail, mais complétée par la précision de la date de cette résiliation.
Elle sera également confirmée en ce qu'elle a ordonné l'expulsion du preneur et sa condamnation au paiement d'une indemnité d'occupation de 793,51 euros par mois à compter de la résiliation du bail et jusqu'à la libération des lieux.
Sur l'octroi de délais de paiement et la suspension des effets de la clause résolutoire :
Aux termes de l'article L.145-11 du code de commerce, les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.
L'article 1343-5 du code civil dispose quant à lui que le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues
En cause d'appel, M. [E] se prévaut de sa bonne foi afin de solliciter l'octroi de délais de paiement et la suspension des effets de la clause résolutoire.
L'examen des décomptes de créance produits par les parties démontre que les premiers défauts de paiement du loyer sont intervenus à l'occasion des confinements liés à la crise sanitaire du Covid 19, entre avril et juin 2020, puis en septembre et octobre 2021. Par la suite, même si M. [E] a régulièrement procédé à des versements d'un montant supérieur au loyer courant, il n'est pas parvenu à solder l'arriéré, qui a atteint 5.598,86 euros en décembre 2021.
Grâce aux paiements réalisés, il a réussi à ramener son arriéré à 713,22 euros au 20 juin 2023, mais a cumulé ensuite cinq mois d'impayés, qui ont à nouveau porté l'arriéré à 5.475,58 euros au 1er décembre 2023.
Après quelques versements conséquents en décembre 2023 et janvier 2024, il n'a pas réglé l'intégralité du loyer courant de mars 2024 à septembre 2024, ne réglant que 750 euros par mois au lieu de 793.71 euros, outre quelques défauts de paiement. L'arriéré a ainsi été porté à 8.013,56 euros au 1er novembre 2024.
Cependant, depuis novembre 2024, il règle chaque mois des sommes largement supérieures au loyer courant, oscillant entre 1.000 et 2.500 euros par mois.
A la date du 29 avril 2025, son arriéré avait ainsi été ramené à 3.128,96 euros. L'ordonnance déférée sera donc infirmée en ce qu'elle l'a condamné à payer une provision de 5.598,66 euros à ce titre.
Si M. [E] indiquait, dans ses conclusions, qu'il serait en mesure de s'acquitter de l'intégralité de l'arriéré locatif avant la décision de la cour, force est de constater qu'à la date de l'ordonnance de clôture il n'avait produit aucun nouveau décompte permettant de constater l'apurement de la dette et de lui accorder des délais de paiement rétroactifs qui auraient pu conduire la cour à constater que la clause résolutoire n'avait pas produit ses effets.
Il sera donc condamné à payer à la SIG la somme provisionnelle de 3.128,96 euros au titre de l'arriéré arrêté au 29 avril 2025, augmentée des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Néanmoins, les efforts de paiement réalisés par M. [E] depuis plusieurs années, malgré des difficultés récurrentes, caractérisent sa bonne foi et permettent de lui accorder des délais afin qu'il s'acquitte du paiement de la somme de 3.128,86 euros en dix versements de 300 euros chacun, en plus du loyer courant, outre un onzième versement devant solder l'arriéré. Les versements devront intervenir conformément aux modalités prévues dans le dispositif du présent arrêt.
Les effets de la clause résolutoire seront suspendus durant ce moratoire, sous réserve de son respect scrupuleux, mais ils s'appliqueront à nouveau en cas de défaut de paiement, sans qu'il y ait lieu à mise en demeure préalable.
L'ordonnance déférée sera complétée en ce sens.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
M. [E], qui succombe essentiellement à l'action engagée par la SIG, même s'il bénéficie de délais de paiement, sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel.
En revanche, l'équité commande de laisser à chaque partie la charge de ses propres frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en appel. L'ordonnance déférée sera donc réformée de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare recevable l'appel interjeté par M. [U] [E],
Déclare recevables les demandes de délais de paiement et de suspension des effets de la clause résolutoire formées par M. [U] [E],
Confirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a :
- constaté la résiliation du bail du 9 mars 2009,
- ordonné, à défaut de libération volontaire des lieux, l'expulsion de M. [U] [E] et de tous occupants de son chef, au besoin avec le concours de la force publique et d'un serrurier,
- condamné M. [U] [E] à payer à la SA Société Immobilière de Guadeloupe, jusqu'à libération des lieux, une indemnité d'occupation de 793,51 euros par mois, à compter de la résiliation du bail,
- condamné M. [U] [E] aux entiers dépens de première instance,
Précise que la date de la résiliation du bail est fixée au 28 janvier 2022,
Infirme l'ordonnance déférée pour le surplus et, statuant à nouveau,
Condamne M. [U] [E] à payer à la SA Société Immobilière de Guadeloupe une somme provisionnelle de 3.128,96 euros à valoir sur les loyers impayés arrêtés à la date du 29 avril 2025, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Déboute la SA Société Immobilière de Guadeloupe de sa demande au titre des frais irrépétibles de première instance,
Y ajoutant,
Accorde à M. [U] [E] un délai de 11 mois pour se libérer du paiement des arrérages de loyers et charges,
Dit qu'il devra régler sa dette de 3.128,96 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 28 janvier 2022, en 10 versements mensuels de 300 euros chacun et un onzième devant solder cette dette, en sus du loyer et des charges courants,
Dit que les paiements devront intervenir entre le 1er et le 5 de chaque mois, à compter du premier mois suivant la signification du présent arrêt,
Suspend les effets de la clause résolutoire pendant le délai ainsi accordé et dit que la clause résolutoire sera réputée n'avoir jamais joué si M. [U] [E] se libère selon les modalités ainsi fixées,
Dit que le défaut de paiement d'une seule échéance ou d'un seul loyer à son terme entraînera la déchéance immédiate du terme, que le solde restant dû deviendra immédiatement exigible et que la clause résolutoire reprendra immédiatement tous ses effets,
Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
Condamne M. [U] [E] aux entiers dépens de l'instance d'appel.
Et ont signé,
La greffière, Le président