CA Paris, Pôle 5 - ch. 8, 30 septembre 2025, n° 25/06357
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 8
ARRÊT DU 30 SEPTEMBRE 2025
(n° / 2025 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 25/06357 - N° Portalis 35L7-V-B7J-CLEFY
Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 mars 2025 -Tribunal des activités économiques de PARIS - RG n° 2025000393
APPELANTE
S.A.S. ABIRAJ, société par actions simplifiée, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 850 996 208,
Dont le siège social est situé [Adresse 5]
[Localité 6]
Représentée par Me Sandra OHANA de l'AARPI OHANA ZERHAT, avocate au barreau de PARIS, toque : C1050,
Assistée de Me Florie VINCENT, avocate au barreau de PARIS, toque : D2109,
INTIMÉES
S.A. ETABLISSEMENTS TAFANEL, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 562 072 397,
Dont le siège social est situé [Adresse 1]
[Localité 8]
Représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP CAROLINE REGNIER AUBERT - BRUNO REGNIER, AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050,
Assistée de Me Valérie MENARD, avocate au barreau de PARIS, toque : E1354,
S.E.L.A.R.L. ASTEREN, prise en la personne de Maître [S] [C], en qualité de liquidateur judiciaire de la société ABIRAJ, désignée à ces fonctions par jugement du tribunal dse activités économiques de PARIS du 21 mars 2025,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de DIJON sous le numéro 808 344 071,
Dont l'étude est située [Adresse 3]
[Localité 7]
Représentée et assistée de Me Valérie DUTREUILH, avocate au barreau de PARIS, toque : C0479,
LE PROCUREUR GÉNÉRAL
SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL
[Adresse 2]
[Localité 9]
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 906 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 9 septembre 2025, en audience publique, devant la cour, composée de : Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,
Madame Constance LACHEZE, conseillère,
Madame Isabelle ROHART, conseillère,
Qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT dans le respect des conditions prévues à l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL
ARRÊT :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
FAITS ET PROCÉDURE:
La SAS Abiraj exploite un fonds de commerce de café, bar, brasserie au [Adresse 4] à [Localité 11].
Sur assignation du 15 octobre 2024 de la société Etablissements Tafanel invoquant une créance de 17.937,33 euros et par jugement du 21 mars 2025, le tribunal des activités économiques de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Abiraj, désigné la SELARL Asteren en la personne de Me [C] en qualité de liquidateur, fixé au 21 septembre 2023 la date de cessation des paiements compte tenu de l'ancienneté de la première inscription de privilège et dit que les dépens seront portés en frais privilégiés de procédure collective.
Le 28 mars 2025, la société Abiraj a relevé appel de cette décision, en intimant la société Etablissements Tafanel, créancier poursuivant, et la SELARL Asteren, ès qualités.
Par ordonnance du 12 juin 2025, le délégataire du premier président a arrêté l'exécution provisoire du jugement dont appel.
Par ordonnance du 3 juillet 2025, le conseiller de la mise en état a débouté la SELARL Asteren de sa demande de caducité de la déclaration d'appel formée le 28 mars 2025 par la société Abiraj, et dit que les dépens de l'incident seront employés en frais privilégiés de procédure collective.
Par conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 30 mai 2025, la société Abiraj demande à la cour de la recevoir en sa demande et l'y déclarer bien fondée, prendre acte de ses perspectives de redressement avec un plan de redressement de 10 ans, infirmer le jugement en ce qu'il a : « ouvert une procédure de liquidation judiciaire de la société Abiraj, fixé à 2 ans le délai au terme duquel la clôture de cette procédure devra être examinée en application de l'article L. 643-9 du code de commerce et invité les parties à se présenter à l'audience du 18/03/2027 à 14 heures », ordonner 'la conversion' de la procédure de liquidation judiciaire en redressement judiciaire, désigner un administrateur judiciaire pour l'accompagner dans la mise en 'uvre de son plan de redressement, réserver les dépens qui seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 16 juin 2025, la SELARL Asteren, ès qualités, demande à la cour de la recevoir en ses conclusions, et la disant bien fondée, confirmer en toutes ses dispositions le jugement, débouter la société Abiraj de l'ensemble de ses demandes, et réserver les dépens en frais de procédure.
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 16 juin 2025, la société Etablissements Tafanel demande à la cour de la déclarer recevable et bien fondée en sa demande, et y faisant droit, constater qu'elle s'en rapporte à justice sur la demande d'infirmation du jugement et de conversion de la procédure de liquidation judiciaire en redressement judiciaire, condamner la société Abiraj, prise en la personne de son représentant légal, à lui régler la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et réserver les dépens qui seront employés en frais privilégiés de procédure collective.
La procédure a été communiquée au ministère public le 22 avril 2025, lequel n'a pas fait valoir d'avis.
L'instruction a été clôturée le 2 septembre 2025.
SUR CE,
Aux termes de l'article L.631-1 du code de commerce, il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L.631-2 ou L.631-3 qui, dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements et le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements. (')
Il résulte de l'article L.640-1 du code de commerce que la procédure de liquidation judiciaire n'est ouverte qu'au débiteur en cessation des paiements dont le redressement est manifestement impossible.
En cas d'appel, l'état de cessation des paiements s'apprécie au jour où la cour statue.
La société Abiraj ne conteste pas se trouver en cessation des paiements, mais fait valoir que son redressement n'est pas manifestement impossible. S'agissant du passif, elle expose que le montant de ses dettes au 31 décembre 2024 s'élève à 1.247.868 euros, dont une partie est à échoir, précisant qu'une partie de ses dettes fournisseurs pour 521. 952,61 euros est contestée et fait l'objet de procédures à l'encontre des sociétés Sébastobol Etienne Marcel et Mafinvest. Elle souligne que le compte courant d'associé pour 8.602,42 euros ne fera l'objet d'un remboursement qu'en cas de retour à meilleure fortune.
Au soutien de sa demande d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, elle explique que ses difficultés tiennent à une succession d'événements extérieurs et indépendants de la volonté de son dirigeant (mouvement des gilets jaunes, fermetures et mesures sanitaires covid, mesures de sécurité mises en place pour les Jeux Olympiques), qu'elle est en mesure de proposer un plan de redressement sur 10 ans permettant d'apurer ses dettes, sauvegarder des emplois et pérenniser son activité, dans la mesure où son restaurant bénéficie d'un bel emplacement, situé à l'angle du [Adresse 10] et de la [Adresse 12], avec une capacité de 115 couverts en salle et de 20 couverts en terrasse, qu'elle entend poursuivre son activité de petit-déjeuner de début juin à mi-juillet, mais n'ouvrir qu'à partir de midi le reste de l'année afin de diminuer ses charges, rendre plus attractive son offre de déjeuner, mettre en place une « Dark Kitchen », cuisine de restaurant disponible à la livraison, réduire ses charges externes à hauteur de 33.000 euros HT en renégociant des contrats, en réduisant les horaires comptables d'un tiers pour les postes significatifs, en réduisant les frais de publicité de moitié, et de même pour ceux de blanchisserie, réduire ses charges de personnel à hauteur de 113.605 euros, en réduisant la masse salariale ( le nombre de salariés étant passé de 10 à 7). Elle ajoute qu'elle compte obtenir une baisse de son loyer, soit amiablement, soit sur décision de justice, au regard de son montant excessif, se réservant la possibilité d'agir en justice à partir du 1er juillet 2025 ( le bail commercial ayant été consenti le 1er juillet 2016 jusqu'au 30 juin 2025) pour solliciter la baisse du loyer dans le cadre du renouvellement du bail.
Elle en déduit qu'avec l'ensemble de ces actions elle pourra dégager un résultat net de 130.811 euros sur un exercice de 12 mois, pour un chiffre d'affaires de 700.000 euros au 31 décembre 2025, s'appuyant en cela sur ses chiffres d'exploitation les mois où elle n'a subi aucune incidence en raison d'événements extérieurs et sur le prévisionnel établi par son expert-comptable.
La SELARL Asteren, ès qualités, réplique qu'à ce jour, le passif déclaré est de 1.574 229 euros, se décomposant comme suit :
332.074, dont 170 .309 euros de passif définitif échu déclaré par le PRS au titre de la TVA d'avril à décembre 2022, d'avril à décembre 2023, d'octobre à décembre 2024 et de janvier 2025, du prélèvement à la source de septembre 2022, novembre et décembre 2023, janvier à décembre 2024, et janvier 2025,
de la CFE sur les exercices 2023 et 2024, et de la CVAE sur l'exercice 2023 ;
229.395 euros, dont 173.343 euros de passif définitif échu, déclaré par l'Urssaf, correspondant à des cotisations sociales impayées depuis septembre 2019, ainsi que le non-versement des parts salariales pour 63.197 euros ;
21.845 euros par Klesia Agirc Arrco au titre de cotisations sociales impayées depuis le 1er trimestre 2020 ;
Une créance déclarée à titre privilégié par les bailleurs pour un montant cumulé de 460.295 euros, dont 371.559 euros au titre de loyers et charges impayés depuis le 3e trimestre 2022 et 88.736 euros, au titre de loyers et charges impayés depuis le 1er trimestre 2020.
Le liquidateur en déduit que ce passif démontre que, depuis l'acquisition du fonds de commerce le 4 septembre 2019, la société Abiraj s'est abstenue de procéder au paiement de ses charges courantes d'exploitation, dont ses cotisations sociales, ses impôts et ses loyers, qu'ainsi son activité est structurellement déficitaire.
Au titre de l'actif, il fait état d'un solde bancaire créditeur de 46.822,98 euros auprès de la Société Générale.
S'agissant des capacités de redressement alléguées, le liquidateur relève qu'il n'est produit aucun projet de plan de redressement permettant d'apurer un passif de 1.574.229 euros, que les résultats de l'exercice 2023 étaient déficitaires de 139.059 euros, avec des pertes cumulées pour un montant de 158.524 euros, que la situation a continué de se dégrader sur l'exercice 2024 avec des pertes cumulées pour un montant de 171.065 euros, que les capitaux propres se sont également fortement dégradés (- 252 073 euros au 31 décembre 2033, - 423 138 euros au 31 décembre 2024), qu'aucun élément comptable permettant de connaître les résultats réalisés sur les 5 premiers mois d'exploitation de l'année 2025 n'a été communiqué, de sorte qu'il n'est pas possible d'analyser la fiabilité du prévisionnel transmis, qu'il n'est pas justifié d'une réduction des charges de personnel et qu'en tout état de cause la société devra prendre en compte le coût des licenciements qui constitueront une augmentation de charges, qu'elle ne démontre pas ses capacités à payer ses charges courantes d'exploitation pendant une période d'observation en cas de redressement judiciaire, ni d'apurer son passif au regard de son chiffre d'affaires et des résultats qu'elle entend réaliser. Il souligne que la préservation du droit au bail, principal actif de la société, qui a acquis le fonds de commerce en 2019 pour 500.000 euros, et sa commercialisation dans le cadre de la liquidation judiciaire permettrait au contraire de préserver son principal actif, dans l'intérêt de la collectivité des créanciers, dont le bailleur, lequel sera désintéressé par le cessionnaire conformément à la clause de solidarité inversée prévue au bail. Elle souligne que deux offres ont été déposées et seront prochainement examinées par le juge-commissaire.
La société Etablissements Tafanel reprend les différents éléments avancés par les deux parties, et rappelle sa qualité de créancière, qui lui permettait d'agir à l'encontre de la société Abiraj, et s'en rapporte à justice quant à l'infirmation du jugement et à l'ouverture d'un redressement judiciaire.
Sur ce la cour,
L'état de cessation des paiements n'est pas contesté, seul est en débat le point de savoir si un redressement est ou non manifestement impossible.
La société Abiraj produit un prévisionnel d'activité établi par son expert-comptable prenant pour hypothèse, hors perturbations extérieures majeures, un chiffre d'affaires en 2025 de 700.000 euros HT et un résultat d'exploitation de 84.334 euros, tenant compte d'un ajustement des horaires d'ouverture, d'un élargissement de l'offre, d'une réduction des charges de personnel découlant de plusieurs départs volontaires et de l'engagement du président de travailler sans rémunération, ainsi que d'une réduction des charges externes.
Cependant, ce prévisonnel n'est pas en adéquation avec les résultats des deux précédents exercices qui étaient largement déficitaires, la société ayant en 2023 réalisé un chiffre d'affaires de 645.019 euros et un résultat d'exploitation négatif de -139.059 euros et en 2024 un chiffre d'affaires de 528.670 euros avec un résultat d'exploitation déficitaire de -168.805 euros. Ainsi que le relève le liquidateur judiciaire, la société Abiraj n'a communiqué aucun élément comptable relatif à l'exercice 2025 permettant de connaitre les résultats de l'activité avant l'ouverture de la liquidation le 21 mars 2025, ou depuis l'arrêt de l'exécution provisoire, qui a dû s'accompagner d'une reprise d'activité.
Il n'est dès lors pas possible de considérer comme probable la réalisation d'ici la fin de l'exercice 2025 d'un résultat d'exploitation de plus de 80.000 euros.
Les mauvais résultats passés ne se résument d'ailleurs pas à l'incidence négative des jeux olympiques au cours de l'été 2024, même si ceux-ci ont pu contribuer à la dégradation de l'activité. En effet, dès 2021, le bailleur avait fait délivrer à la société Abiraj un commandement de payer la somme de 81.505 euros visant la clause résolutoire, commandement que la société Abiraj a contesté par assignation du bailleur devant le tribunal judiciaire de Paris. Le tribunal a, le 22 mai 2025, constaté l'interruption de l'instance du fait de l'ouverture de la liquidation judiciaire et renvoyé l'affaire au 23 septembre 2025.
L'activité apparaissant structurellement déficitaire, ses perspectives d'un retour à une exploitation positive sont très compromises.
Si la société Abiraj entend réduire ses charges notamment de personnel, il n'en demeure pas moins qu'elle a accumulé un passif très important, déclaré pour un montant, hors provisionnel, de 1.356.409,63 euros, un tel montant compromet les perspectives d'un projet de plan réaliste. Si elle conteste la créance du bailleur, déclarée pour un montant de de 371.559, 46 euros au titre des loyers impayés et charges accessoires arrêtés au 21 mars 2025, aucun élément ne permet de considérer qu'elle sera déchargée de tout réglement, alors que les relevés produits par le bailleur à l'appui de sa déclaration de créance montrent que l'arriéré locatif n'a cessé de s'aggraver depuis l'année 2022, la société Abiraj étant manifestement dans l'impossibilité de faire face au paiement du loyer tel que prévu au bail signé par son prédécesseur. La société entend renégocier le montant du loyer qu'elle juge particulièrement excessif, mais d'une part aucune action n'a été engagée devant le juge des loyers commerciaux, d'autre part, aucune évaluation de la valeur locative actuelle n'est communiquée.Une réduction de la charge locative est donc incertaine et, à la supposer fondée, n'est pas susceptible d'aboutir à court terme.La société est exposée à la perte du droit au bail et partant de son fonds de commerce de restaurant.
La trésorerie dont dispose le liquidateur s'élève à 46.822,98 euros, représentant un disponible de 38.961,48 euros après déduction des frais de greffe, du droit fixe et des honoraires d'avocat liés à la procédure.
Il ressort de cet ensemble d'éléments qu'un redressement est manifestement impossible.
Il s'ensuit que le jugement sera confirmé en ce qu'il a ouvert une procédure de liquidation judiciaire et en ses plus amples dispositions, la société Abiraj étant déboutée de ses demandes.
Les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective.
Il sera alloué à la société Etablissements Tafanel une indemnité procédurale de 1.000 euros.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Dit que les dépens d'appel seront employés en frais privilégiés de procédure collective,
Condamne la société Abiraj à payer à la société Etablissements Tafanel une indemnité procédurale de 1.000 euros.
Liselotte FENOUIL
Greffière
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT
Présidente
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 8
ARRÊT DU 30 SEPTEMBRE 2025
(n° / 2025 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 25/06357 - N° Portalis 35L7-V-B7J-CLEFY
Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 mars 2025 -Tribunal des activités économiques de PARIS - RG n° 2025000393
APPELANTE
S.A.S. ABIRAJ, société par actions simplifiée, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 850 996 208,
Dont le siège social est situé [Adresse 5]
[Localité 6]
Représentée par Me Sandra OHANA de l'AARPI OHANA ZERHAT, avocate au barreau de PARIS, toque : C1050,
Assistée de Me Florie VINCENT, avocate au barreau de PARIS, toque : D2109,
INTIMÉES
S.A. ETABLISSEMENTS TAFANEL, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 562 072 397,
Dont le siège social est situé [Adresse 1]
[Localité 8]
Représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP CAROLINE REGNIER AUBERT - BRUNO REGNIER, AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050,
Assistée de Me Valérie MENARD, avocate au barreau de PARIS, toque : E1354,
S.E.L.A.R.L. ASTEREN, prise en la personne de Maître [S] [C], en qualité de liquidateur judiciaire de la société ABIRAJ, désignée à ces fonctions par jugement du tribunal dse activités économiques de PARIS du 21 mars 2025,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de DIJON sous le numéro 808 344 071,
Dont l'étude est située [Adresse 3]
[Localité 7]
Représentée et assistée de Me Valérie DUTREUILH, avocate au barreau de PARIS, toque : C0479,
LE PROCUREUR GÉNÉRAL
SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL
[Adresse 2]
[Localité 9]
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 906 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 9 septembre 2025, en audience publique, devant la cour, composée de : Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,
Madame Constance LACHEZE, conseillère,
Madame Isabelle ROHART, conseillère,
Qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT dans le respect des conditions prévues à l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL
ARRÊT :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
FAITS ET PROCÉDURE:
La SAS Abiraj exploite un fonds de commerce de café, bar, brasserie au [Adresse 4] à [Localité 11].
Sur assignation du 15 octobre 2024 de la société Etablissements Tafanel invoquant une créance de 17.937,33 euros et par jugement du 21 mars 2025, le tribunal des activités économiques de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Abiraj, désigné la SELARL Asteren en la personne de Me [C] en qualité de liquidateur, fixé au 21 septembre 2023 la date de cessation des paiements compte tenu de l'ancienneté de la première inscription de privilège et dit que les dépens seront portés en frais privilégiés de procédure collective.
Le 28 mars 2025, la société Abiraj a relevé appel de cette décision, en intimant la société Etablissements Tafanel, créancier poursuivant, et la SELARL Asteren, ès qualités.
Par ordonnance du 12 juin 2025, le délégataire du premier président a arrêté l'exécution provisoire du jugement dont appel.
Par ordonnance du 3 juillet 2025, le conseiller de la mise en état a débouté la SELARL Asteren de sa demande de caducité de la déclaration d'appel formée le 28 mars 2025 par la société Abiraj, et dit que les dépens de l'incident seront employés en frais privilégiés de procédure collective.
Par conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 30 mai 2025, la société Abiraj demande à la cour de la recevoir en sa demande et l'y déclarer bien fondée, prendre acte de ses perspectives de redressement avec un plan de redressement de 10 ans, infirmer le jugement en ce qu'il a : « ouvert une procédure de liquidation judiciaire de la société Abiraj, fixé à 2 ans le délai au terme duquel la clôture de cette procédure devra être examinée en application de l'article L. 643-9 du code de commerce et invité les parties à se présenter à l'audience du 18/03/2027 à 14 heures », ordonner 'la conversion' de la procédure de liquidation judiciaire en redressement judiciaire, désigner un administrateur judiciaire pour l'accompagner dans la mise en 'uvre de son plan de redressement, réserver les dépens qui seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 16 juin 2025, la SELARL Asteren, ès qualités, demande à la cour de la recevoir en ses conclusions, et la disant bien fondée, confirmer en toutes ses dispositions le jugement, débouter la société Abiraj de l'ensemble de ses demandes, et réserver les dépens en frais de procédure.
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 16 juin 2025, la société Etablissements Tafanel demande à la cour de la déclarer recevable et bien fondée en sa demande, et y faisant droit, constater qu'elle s'en rapporte à justice sur la demande d'infirmation du jugement et de conversion de la procédure de liquidation judiciaire en redressement judiciaire, condamner la société Abiraj, prise en la personne de son représentant légal, à lui régler la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et réserver les dépens qui seront employés en frais privilégiés de procédure collective.
La procédure a été communiquée au ministère public le 22 avril 2025, lequel n'a pas fait valoir d'avis.
L'instruction a été clôturée le 2 septembre 2025.
SUR CE,
Aux termes de l'article L.631-1 du code de commerce, il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L.631-2 ou L.631-3 qui, dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements et le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements. (')
Il résulte de l'article L.640-1 du code de commerce que la procédure de liquidation judiciaire n'est ouverte qu'au débiteur en cessation des paiements dont le redressement est manifestement impossible.
En cas d'appel, l'état de cessation des paiements s'apprécie au jour où la cour statue.
La société Abiraj ne conteste pas se trouver en cessation des paiements, mais fait valoir que son redressement n'est pas manifestement impossible. S'agissant du passif, elle expose que le montant de ses dettes au 31 décembre 2024 s'élève à 1.247.868 euros, dont une partie est à échoir, précisant qu'une partie de ses dettes fournisseurs pour 521. 952,61 euros est contestée et fait l'objet de procédures à l'encontre des sociétés Sébastobol Etienne Marcel et Mafinvest. Elle souligne que le compte courant d'associé pour 8.602,42 euros ne fera l'objet d'un remboursement qu'en cas de retour à meilleure fortune.
Au soutien de sa demande d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, elle explique que ses difficultés tiennent à une succession d'événements extérieurs et indépendants de la volonté de son dirigeant (mouvement des gilets jaunes, fermetures et mesures sanitaires covid, mesures de sécurité mises en place pour les Jeux Olympiques), qu'elle est en mesure de proposer un plan de redressement sur 10 ans permettant d'apurer ses dettes, sauvegarder des emplois et pérenniser son activité, dans la mesure où son restaurant bénéficie d'un bel emplacement, situé à l'angle du [Adresse 10] et de la [Adresse 12], avec une capacité de 115 couverts en salle et de 20 couverts en terrasse, qu'elle entend poursuivre son activité de petit-déjeuner de début juin à mi-juillet, mais n'ouvrir qu'à partir de midi le reste de l'année afin de diminuer ses charges, rendre plus attractive son offre de déjeuner, mettre en place une « Dark Kitchen », cuisine de restaurant disponible à la livraison, réduire ses charges externes à hauteur de 33.000 euros HT en renégociant des contrats, en réduisant les horaires comptables d'un tiers pour les postes significatifs, en réduisant les frais de publicité de moitié, et de même pour ceux de blanchisserie, réduire ses charges de personnel à hauteur de 113.605 euros, en réduisant la masse salariale ( le nombre de salariés étant passé de 10 à 7). Elle ajoute qu'elle compte obtenir une baisse de son loyer, soit amiablement, soit sur décision de justice, au regard de son montant excessif, se réservant la possibilité d'agir en justice à partir du 1er juillet 2025 ( le bail commercial ayant été consenti le 1er juillet 2016 jusqu'au 30 juin 2025) pour solliciter la baisse du loyer dans le cadre du renouvellement du bail.
Elle en déduit qu'avec l'ensemble de ces actions elle pourra dégager un résultat net de 130.811 euros sur un exercice de 12 mois, pour un chiffre d'affaires de 700.000 euros au 31 décembre 2025, s'appuyant en cela sur ses chiffres d'exploitation les mois où elle n'a subi aucune incidence en raison d'événements extérieurs et sur le prévisionnel établi par son expert-comptable.
La SELARL Asteren, ès qualités, réplique qu'à ce jour, le passif déclaré est de 1.574 229 euros, se décomposant comme suit :
332.074, dont 170 .309 euros de passif définitif échu déclaré par le PRS au titre de la TVA d'avril à décembre 2022, d'avril à décembre 2023, d'octobre à décembre 2024 et de janvier 2025, du prélèvement à la source de septembre 2022, novembre et décembre 2023, janvier à décembre 2024, et janvier 2025,
de la CFE sur les exercices 2023 et 2024, et de la CVAE sur l'exercice 2023 ;
229.395 euros, dont 173.343 euros de passif définitif échu, déclaré par l'Urssaf, correspondant à des cotisations sociales impayées depuis septembre 2019, ainsi que le non-versement des parts salariales pour 63.197 euros ;
21.845 euros par Klesia Agirc Arrco au titre de cotisations sociales impayées depuis le 1er trimestre 2020 ;
Une créance déclarée à titre privilégié par les bailleurs pour un montant cumulé de 460.295 euros, dont 371.559 euros au titre de loyers et charges impayés depuis le 3e trimestre 2022 et 88.736 euros, au titre de loyers et charges impayés depuis le 1er trimestre 2020.
Le liquidateur en déduit que ce passif démontre que, depuis l'acquisition du fonds de commerce le 4 septembre 2019, la société Abiraj s'est abstenue de procéder au paiement de ses charges courantes d'exploitation, dont ses cotisations sociales, ses impôts et ses loyers, qu'ainsi son activité est structurellement déficitaire.
Au titre de l'actif, il fait état d'un solde bancaire créditeur de 46.822,98 euros auprès de la Société Générale.
S'agissant des capacités de redressement alléguées, le liquidateur relève qu'il n'est produit aucun projet de plan de redressement permettant d'apurer un passif de 1.574.229 euros, que les résultats de l'exercice 2023 étaient déficitaires de 139.059 euros, avec des pertes cumulées pour un montant de 158.524 euros, que la situation a continué de se dégrader sur l'exercice 2024 avec des pertes cumulées pour un montant de 171.065 euros, que les capitaux propres se sont également fortement dégradés (- 252 073 euros au 31 décembre 2033, - 423 138 euros au 31 décembre 2024), qu'aucun élément comptable permettant de connaître les résultats réalisés sur les 5 premiers mois d'exploitation de l'année 2025 n'a été communiqué, de sorte qu'il n'est pas possible d'analyser la fiabilité du prévisionnel transmis, qu'il n'est pas justifié d'une réduction des charges de personnel et qu'en tout état de cause la société devra prendre en compte le coût des licenciements qui constitueront une augmentation de charges, qu'elle ne démontre pas ses capacités à payer ses charges courantes d'exploitation pendant une période d'observation en cas de redressement judiciaire, ni d'apurer son passif au regard de son chiffre d'affaires et des résultats qu'elle entend réaliser. Il souligne que la préservation du droit au bail, principal actif de la société, qui a acquis le fonds de commerce en 2019 pour 500.000 euros, et sa commercialisation dans le cadre de la liquidation judiciaire permettrait au contraire de préserver son principal actif, dans l'intérêt de la collectivité des créanciers, dont le bailleur, lequel sera désintéressé par le cessionnaire conformément à la clause de solidarité inversée prévue au bail. Elle souligne que deux offres ont été déposées et seront prochainement examinées par le juge-commissaire.
La société Etablissements Tafanel reprend les différents éléments avancés par les deux parties, et rappelle sa qualité de créancière, qui lui permettait d'agir à l'encontre de la société Abiraj, et s'en rapporte à justice quant à l'infirmation du jugement et à l'ouverture d'un redressement judiciaire.
Sur ce la cour,
L'état de cessation des paiements n'est pas contesté, seul est en débat le point de savoir si un redressement est ou non manifestement impossible.
La société Abiraj produit un prévisionnel d'activité établi par son expert-comptable prenant pour hypothèse, hors perturbations extérieures majeures, un chiffre d'affaires en 2025 de 700.000 euros HT et un résultat d'exploitation de 84.334 euros, tenant compte d'un ajustement des horaires d'ouverture, d'un élargissement de l'offre, d'une réduction des charges de personnel découlant de plusieurs départs volontaires et de l'engagement du président de travailler sans rémunération, ainsi que d'une réduction des charges externes.
Cependant, ce prévisonnel n'est pas en adéquation avec les résultats des deux précédents exercices qui étaient largement déficitaires, la société ayant en 2023 réalisé un chiffre d'affaires de 645.019 euros et un résultat d'exploitation négatif de -139.059 euros et en 2024 un chiffre d'affaires de 528.670 euros avec un résultat d'exploitation déficitaire de -168.805 euros. Ainsi que le relève le liquidateur judiciaire, la société Abiraj n'a communiqué aucun élément comptable relatif à l'exercice 2025 permettant de connaitre les résultats de l'activité avant l'ouverture de la liquidation le 21 mars 2025, ou depuis l'arrêt de l'exécution provisoire, qui a dû s'accompagner d'une reprise d'activité.
Il n'est dès lors pas possible de considérer comme probable la réalisation d'ici la fin de l'exercice 2025 d'un résultat d'exploitation de plus de 80.000 euros.
Les mauvais résultats passés ne se résument d'ailleurs pas à l'incidence négative des jeux olympiques au cours de l'été 2024, même si ceux-ci ont pu contribuer à la dégradation de l'activité. En effet, dès 2021, le bailleur avait fait délivrer à la société Abiraj un commandement de payer la somme de 81.505 euros visant la clause résolutoire, commandement que la société Abiraj a contesté par assignation du bailleur devant le tribunal judiciaire de Paris. Le tribunal a, le 22 mai 2025, constaté l'interruption de l'instance du fait de l'ouverture de la liquidation judiciaire et renvoyé l'affaire au 23 septembre 2025.
L'activité apparaissant structurellement déficitaire, ses perspectives d'un retour à une exploitation positive sont très compromises.
Si la société Abiraj entend réduire ses charges notamment de personnel, il n'en demeure pas moins qu'elle a accumulé un passif très important, déclaré pour un montant, hors provisionnel, de 1.356.409,63 euros, un tel montant compromet les perspectives d'un projet de plan réaliste. Si elle conteste la créance du bailleur, déclarée pour un montant de de 371.559, 46 euros au titre des loyers impayés et charges accessoires arrêtés au 21 mars 2025, aucun élément ne permet de considérer qu'elle sera déchargée de tout réglement, alors que les relevés produits par le bailleur à l'appui de sa déclaration de créance montrent que l'arriéré locatif n'a cessé de s'aggraver depuis l'année 2022, la société Abiraj étant manifestement dans l'impossibilité de faire face au paiement du loyer tel que prévu au bail signé par son prédécesseur. La société entend renégocier le montant du loyer qu'elle juge particulièrement excessif, mais d'une part aucune action n'a été engagée devant le juge des loyers commerciaux, d'autre part, aucune évaluation de la valeur locative actuelle n'est communiquée.Une réduction de la charge locative est donc incertaine et, à la supposer fondée, n'est pas susceptible d'aboutir à court terme.La société est exposée à la perte du droit au bail et partant de son fonds de commerce de restaurant.
La trésorerie dont dispose le liquidateur s'élève à 46.822,98 euros, représentant un disponible de 38.961,48 euros après déduction des frais de greffe, du droit fixe et des honoraires d'avocat liés à la procédure.
Il ressort de cet ensemble d'éléments qu'un redressement est manifestement impossible.
Il s'ensuit que le jugement sera confirmé en ce qu'il a ouvert une procédure de liquidation judiciaire et en ses plus amples dispositions, la société Abiraj étant déboutée de ses demandes.
Les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective.
Il sera alloué à la société Etablissements Tafanel une indemnité procédurale de 1.000 euros.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Dit que les dépens d'appel seront employés en frais privilégiés de procédure collective,
Condamne la société Abiraj à payer à la société Etablissements Tafanel une indemnité procédurale de 1.000 euros.
Liselotte FENOUIL
Greffière
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT
Présidente