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CA Paris, Pôle 5 - ch. 8, 30 septembre 2025, n° 23/00254

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 23/00254

30 septembre 2025

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 8

ARRÊT DU 30 SEPTEMBRE 2025

(n° / 2025, 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/00254 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CG3Z5

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 6 octobre 2022 - Juge commissaire du Tribunal de commerce de BOBIGNY - RG n° 2022M02889

APPELANTE

S.C.I. AÉROVILLE, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 483 594 545,

Dont le siège social est situé [Adresse 4]

[Localité 5]

Représentée et assistée de Me Antoine PINEAU-BRAUDEL de la SASU CABINET PINEAU-BRAUDEL, avocat au barreau de PARIS, toque : C0260,

INTIMÉS

Maître [K] [J], en qualité de mandataire judiciaire de la SARL SLIGHEUL, nommée par jugement du Tribunal de commerce de Bobigny du 16 mars 2021,

De nationalité française

Dont l'étude est située [Adresse 1]

[Localité 6]

S.A.R.L. SLIGHEUL, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de BOBIGNY sous le numéro 505 104 620,

Dont le siège social est situé [Adresse 3]

[Adresse 8]

[Localité 7]

S.E.L.A.R.L. [B] ET ASSOCIES, prise en la personne de Maître [L] [B], en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société SLIGHEUL, nommée en cette qualité par jugement du Tribunal de Commerce de Bobigny du 17 mai 2022,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de BOBIGNY sous le numéro 842 491 029,

Dont le siège social est situé [Adresse 2]

[Localité 6]

Représentés par Me Jean-Laurent EMOD, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, toque : PN 242,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 8 octobre 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,

Madame constance LACHEZE, conseillère,

Monsieur François VARICHON, conseiller.

Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL

ARRÊT :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

FAITS ET PROCÉDURE:

Par acte sous seing privé du 11 mars 2013, modifié par avenant du 22 février 2018, la SCI Aeroville a conclu avec la société Sligheul un bail commercial portant sur des locaux implantés dans le centre commercial ' Aeroville' situé sur les communes de Tremblay en France et Roissy en France pour y exercer à titre principal l'activité de vente de chaussures homme, chemises et pull-overs sous l'enseigne 'Loding'.

Le bail a été consenti pour une durée de dix années entières et consécutives à compter de la livraison, intervenue le 26 août 2013. Le montant du loyer annuel en principal a été fixé à l'origine à 95.000,00 euros hors taxes et hors charges, TVA en sus, complété par un loyer additionnel variable correspondant à la différence positive entre un pourcentage de 8% du chiffre d'affaires HT réalisé par le preneur et le loyer de base annuel HT.

Le 16 mars 2021, le tribunal de commerce de Bobigny a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Sligheul, et désigné la Selarl [B] et Associés, prise en la personne de Maître [B], en qualité d'administrateur judiciaire, et Maître [J] en qualité de mandataire judiciaire.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 21 avril 2021, la société Aeroville a déclaré sa créance au passif de la société Sligheul pour un montant de 251.395,00 euros à titre privilégié, la créance se décomposant comme suit:

- en principal: 228 540,91 euros

- indemnité forfaitaire et irrévocable au taux de 10% : 22.854,09 euros

- intérêts contractuels: mémoire,

et précisé qu'elle sollicitait la compensation de plein droit de sa créance avec le dépôt de garantie de 24.733,42 euros, tant sur le fondement des dispositions de l'article L.622-7 du code de commerce que des stipulations contractuelles (article 5.4 du Titre II du bail), sa créance se trouvant alors réduite à 226.661,58 euros.

Par courrier du 30 septembre 2021, le mandataire judiciaire a indiqué à la société bailleresse que la débitrice contestait sa créance à hauteur de 22.854,09 euros au motif qu'elle représentait une indemnité forfaitaire et irrévocable de 10% assimilée à une clause pénale, qui pouvait en conséquence être modérée par le juge commissaire, le taux de 10% étant manifestement excessif.

Par courrier du 4 octobre 2021, la société Aeroville a maintenu l'intégralité de sa déclaration de créance en précisant que la clause contractuelle ne souffrait aucune interprétation, était pleinement justifiée et que le juge-commissaire ne pouvait qu'y faire droit en totalité.

Par ordonnance du 6 octobre 2022, le juge commissaire a rejeté la créance pour le montant de 22. 854,09 euros aux motifs que la créance contestée représentait une indemnité forfaitaire et irrévocable due en vertu de l'article 26.2.1 du contrat de bail à défaut de paiement de toutes sommes dues par le preneur et que faute d'avoir été notifiée dans les conditions stipulées à l'article précité, l'indemnité forfaitaire de 10% résultant de l'application de la clause ne saurait être intégrée au montant dû par le débiteur.

Le 16 décembre 2022, la société Aeroville a relevé appel de cette ordonnance.

Par ordonnance en date du 28 novembre 2023, le conseiller de la mise en état a déclaré l'appel recevable .

Par conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 15 mars 2023, la société Aeroville demande à la cour de déclarer recevable et fondé son appel, confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a ordonné que sa créance doit être admise à titre privilégié, infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a admis sa créance à hauteur de 228.540,91 euros et rejeté pour le surplus, statuant à nouveau de ce chef, fixer au passif de la société Sligheul, à titre privilégié, sa créance correspondant, au jour du jugement d'ouverture, aux sommes exigibles suivantes :

- loyers, charges et accessoires impayés en principal: 251.395,00 euros,

- indemnité forfaitaire et irrévocable de 10%: 22.854,09 euros

- compensation du dépôt de garantie: - 24.733,42 euros

Total de la créance déclarée : 226.661,58 euros

condamner la société Sligheul à lui payer 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, subsidiairement admettre au passif de la société Sligheul sa créance additionnelle d'un montant de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et dire que les dépens seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.

La SARL Sligheul, Maître [J], prise en sa qualité de mandataire judiciaire de la société Sligheul, la SELARL [B] et associés, prise en la personne de Maître [B], en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Sligheul, ont constitué avocat et conclu sur l'incident devant le conseiller de la mise en état, mais n'ont pas conclu au fond.

SUR CE,

La SCI Aeroville a déclaré une créance de 251.395,00 euros à titre privilégié, la créance se composant d'un principal de 228 540,91 euros, d'une indemnité forfaitaire de 10%, 22.854,09 euros, et des intérêts contractuels pour mémoire.

Le courrier accompagnant la déclaration de créance sollicitait la compensation de cette créance avec le dépôt de garantie de 24.733,42 euros détenu par le bailleur, en concluant qu'après compensation la créance se trouvait réduite à 226.661,58 euros, ce dernier montant étant celui sollicité à hauteur d'appel.

La contestation de la société Sligheul ne portait que sur le montant de l'indemnité forfaitaire de 22.854,09 euros et l'ordonnance du juge commissaire ne se prononce que sur ce chef de créance qu'il rejette, ce dont il faut déduire, comme le fait la SCI Aeroville, dans le dispositif de ses conclusions, qu'il a entendu admettre la créance de la SCI Aeroville pour le surplus soit à hauteur de 228.540,91 euros, en omettant toutefois de le préciser dans son ordonnance et de s'expliquer sur la compensation avec le dépôt de garantie.

La société Aeroville soutient que les conditions d'application de la clause d'indemnité forfaitaire sont remplies, que son application ne souffre aucune interprétation et est pleinement justifiée, de sorte que ce chef de créance doit être admis pour le montant déclaré de 22. 854,09 euros.

Elle fait valoir qu'aux termes de l'article L.622-25-1 du code de commerce, la déclaration de créance dispense de toute mise en demeure et vaut a fortiori acte de poursuites, que sa déclaration de créance l'a donc dispensée de tout envoi de mise en demeure complémentaire à sa locataire et que dès lors en déclarant le montant de l'indemnité forfaitaire dans le corps de sa déclaration de créance les conditions de la clause du bail prévoyant l'envoi d'une simple lettre ont été respectées.

Elle prétend qu'il appartient au juge-commissaire de statuer à l'aune de l'évidence, qu'il ne peut modifier la loi des parties, mais simplement l'appliquer et qu'il ne relève pas de l'office juridictionnel du juge-commissaire, à l'instar du juge des référés, de statuer sur le caractère manifestement excessif ou non de l'indemnité forfaitaire de 10 %, seul le juge du fond disposant de ce pouvoir d'appréciation.

Elle ajoute qu'il ne lui incombe pas d'avoir à prouver un quelconque préjudice afin d'obtenir réparation du tort qui lui a été causé par le preneur en ne réglant pas sa dette locative, que c'est la raison d'être d'une telle clause qui permet aux parties d'organiser à l'avance l'indemnisation de l'une d'entre elles en cas de manquement de son cocontractant. Elle précise néanmoins, que si la cour, investie des pouvoirs du juge-commissaire, devait contre toute attente estimer que cette clause méritait interprétation, celle-ci ne pourrait pas pour autant être modérée eu égard à ses préjudices qui sont à la fois financiers et administratifs, puisqu'elle est privée de la trésorerie attendue pour faire face à ses propres charges, dont elle a fait l'avance pour le compte du preneur, et doit en outre exposer des frais de procédure et de traitement internes pour un montant dépassant l'indemnité forfaitaire conventionnelle (frais de tenue de rendez-vous, de négociation et de rédaction d'un avenant, d'établissement de décomptes ; frais de gestion de la trésorerie déficitaire, frais et honoraires d'avocat pour la déclaration de sa créance, sa contestation').

Sur ce, la cour,

Le dispositif des écritures de la société Aeroville comporte manifestement une erreur en qu'il demande de fixer la créance au titre des 'Loyers, charges et accessoires impayés en principal: 251 395,00 €', alors que la somme de 251.395 euros représente, aux termes sa déclaration de créance, le cumul de la somme de 228.540,91 euros (déclarée à titre principal) et de la somme de 22.854,09 euros (indemnité forfaitaire).

L'article 26.2.1 du contrat de bail stipule sous l'intitulé 'indemnités forfaitaires', qu'à défaut de paiement de toutes sommes dues par le preneur en vertu du bail, et notamment des loyers et accessoires à leur échéance, et du seul fait de l'envoi par le bailleur d'une lettre consécutive à cette défaillance, restée infructueuse 48 heures après sa première présentation, comme en toute hypothèse en cas de notification d'un commandement ou d'une mise en demeure, le montant des sommes dues sera majoré de plein droit de 10 % à titre d'indemnité forfaitaire et irrévocable, et que cette pénalité sera due indépendamment des intérêts de retard dont le règlement est prévu par l'article 8 du Titre II.

Il résulte de ces dispositions que l'indemnité est stipulée à la fois comme un moyen de contraindre le preneur à l'exécution spontanée de son obligation de paiement des loyers et comme l'évaluation conventionnelle et forfaitaire du préjudice futur subi par le bailleur. Une clause par laquelle les parties évaluent forfaitairement et d'avance l'indemnité à laquelle donnera lieu l'inexécution de l'obligation contractée et qui a pour objet de faire assurer par l'une des parties l'exécution de son obligation constitue une clause pénale, susceptible de modération par le juge en cas d'excès, comme l'a soutenu le mandataire judiciaire dans sa contestation.

Contrairement à ce que prétend la SCI Aeroville, le juge-commissaire, puis la cour d'appel statuant à sa suite en matière de vérification des créances, ont le pouvoir, en vertu de l'article 1152 du code civil devenu l'article 1231-5 du même code, de réduire la clause pénale, et ce même d'office .

Le juge qui décide de réduire le montant d'une clause pénale doit préciser en quoi la pénalité convenue est manifestement excessive et donc établir qu'il existe une disproportion manifeste résultant de la comparaison entre l'importance du préjudice effectivement subi par le bénéficiaire de la clause et le montant de la peine conventionnellement fixée, qui en l'espèce consiste dans la majoration de 10 % des sommes dues au titre des loyers impayés .

Il résulte des propres explications de la SCI Aeroville, ainsi que du bail que ce dernier contient deux éléments de majoration du loyer et autres charges ou accessoires en cas de non paiement: le déclenchement de l'indemnité forfaitaire litigieuse et des intérêts de retard sur les sommes dues, prévus à l'article 8, ces intérêts de retard se capitalisant s'ils sont dus pour une année entière au moins, sommes auxquelles s'ajoute le paiement de frais de recouvrement.

En l'espèce, le préjudice subi par la SCI Aeroville résulte du retard avec lequel elle sera payée de l'arriéré de loyer et du caractère fractionné du paiement, la débitrice bénéficiant d'un plan.

Le retard dans le paiement des loyers et charges étant également indemnisé par des intérêts de retard, la majoration de 10% est manifestement excessive et doit être modérée. La cour réduira cette indemnité à 5.000 euros, montant qui apparaît suffisant pour indemniser le préjudice du bailleur.

En conséquence la créance déclarée à hauteur de 251.395 euros doit être admise à hauteur de 233.540,91 euros soit : 228.540,91 euros au titre du principal non contesté et 5.000 euros au titre de l'indemnité forfaitaire.

En ce qui concerne la compensation avec le montant du dépôt de garantie, il y a lieu de relever que l'article L622-7 du code de commerce prévoit comme exception au principe de l'interdiction du paiement des créances nées antérieurement au jugement d'ouverture, le paiement par compensation des créances connexes.

En l'espèce le contrat prévoit à l'article 5-4 que le preneur autorise le bailleur à compenser sans formalité le dépôt de garantie et le montant des loyers échus et non réglés ainsi que toute autre somme exigible à un titre quelconque en vertu du bail et qu'en cas de procédure collective du preneur le dépôt de garantie s'imputera automatiquement sur l'ensemble des créances antérieures.

En conséquence, la créance doit être fixée à la somme de 208.807,49 euros après compensation avec le montant du dépôt de garantie. ( 233.540,91 euros - 24 733,42 euros).

L'équité ne commande pas de condamner la société Sligheul au paiement d'une indemnité procédurale.

PAR CES MOTIFS,

Infirme l'ordonnance déférée,

Statuant du chef infirmé et y ajoutant,

Admet la créance de la SCI Aeroville au passif de la société Sligheul à titre privilégié à hauteur de 208.807,49 euros, se décomposant comme suit:

- 228.540,91 euros à titre principal

- 5.000 euros d'indemnité forfaitaire

- à déduire par compensation le dépôt de garantie de 24.733,42 euros

Déboute la SCI Aeroville de ses plus amples demandes,

Dit que les dépens seront employés en frais de procédure collective.

Liselotte FENOUIL

Greffière

Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT

Présidente

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