CA Paris, Pôle 5 - ch. 8, 30 septembre 2025, n° 24/03818
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 8
ARRÊT DU 30 SEPTEMBRE 2025
(n° / 2025, 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/03818 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CI7KV
Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 janvier 2024 -Tribunal de commerce de MEAUX - RG n° 2021005191
APPELANT
Monsieur [Y] [E]
Né le [Date naissance 1] 1983 à [Localité 12] (TURQUIE)
De nationalité turque
Demeurant [Adresse 2]
[Localité 7]
Représenté par Me Sandra OHANA de l'AARPI OHANA ZERHAT, avocate au barreau de PARIS, toque : C1050,
Assisté de Me Ornella FITOUSSI de la SELAS CS AVOCATS ASSOCIES, avocate au barreau de PARIS, toque : D2149,
INTIMÉS
S.E.L.A.R.L. [10], prise en la personne de Maître [T] [H], en qualité de mandataire liquidateur de la SARL [8],
Dont l'étude est située [Adresse 4]
[Localité 6]
Non constituée
LE PROCUREUR GÉNÉRAL
SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL
[Adresse 3]
[Localité 5]
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Juin 2025, en audience publique, devant la cour, composée de :
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,
Madame Constance LACHEZE, conseillère,
Monsieur François VARICHON, conseiller,
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur François VARICHON dans le respect des conditions pévues à l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL
MINISTERE PUBLIC : L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Madame Valérie DE SAINT FELIX, avocate générale, confirmant son avis écrit du 30 juillet 2024.
ARRÊT :
- Réputé contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
FAITS ET PROCÉDURE
La société à responsabilité limitée [8] a été créée en 2009 en vue d'exercer une activité de travaux de bâtiment et travaux publics. Elle était dirigée depuis l'origine par M.[W], lequel était par ailleurs associé à hauteur de 50 % du capital social.
Par jugement du 4 novembre 2019, le tribunal de commerce de Meaux, statuant sur requête du ministère public, a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société [8],
fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 30 décembre 2018 et désigné en qualité de liquidateur judiciaire la société [10] en la personne de Maître [H].
Selon l'état des créances versé aux débats daté du 22 septembre 2020, le montant du passif admis s'élevait à cette date à la somme de 24.279.900,14 euros.
Le 25 mai 2021, la société [10] ès qualités a fait assigner M. [E] devant le tribunal de commerce de Meaux auquel elle demandait, d'une part, de condamner le défendeur au paiement de la somme de 4.000.000 euros au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif de la société [8], d'autre, part, de prononcer à son encontre une mesure de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer pour une durée de 10 ans.
Pendant le cours de l'instance, la société [10] ès qualités et M. [E] ont conclu une transaction portant sur le montant de la contribution de ce dernier à l'insuffisance d'actif, que les parties ont fixée d'un commun accord à la somme de 245.000 euros.
A la suite de cette décision, la société [10] ès qualités s'est désistée de sa demande fondée sur l'article L. 651-2 du code de commerce, le tribunal demeurant saisi de sa demande de sanction personnelle. S'agissant de cette dernière, le liquidateur, aux termes de ses dernières conclusions(n°4) visées par le jugement, faisait grief au dirigeant d'avoir:
- accompli des actes dans un intérêt contraire à celui des créanciers sociaux;
- fait des biens de la société [8] un usage contraire à l'intérêt de celle-ci ou à des fins personnelles;
- détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif;
- employé des moyens ruineux pour éviter ou retarder l'ouverture de la procédure collective;
- augmenté frauduleusement le passif.
Par jugement contradictoire du 29 janvier 2024 revêtu de l'exécution provisoire, le tribunal a:
- dit recevable et bien fondée la demande de la société [10] ès qualités;
- débouté M. [E] de l'ensemble de ses demandes;
- pris acte du désistement de la société [10] ès qualités de sa demande de condamnation de M. [E] au titre de l'article L. 651-2 du code de commerce;
- condamné M. [E] à une mesure de faillite personnelle d'une durée de dix ans;
- dit qu'en application des articles L. 128-1 et suivants et R. 128-1 du code de commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au fichier national des interdits de gérer;
- condamné M. [E] à payer à la société [10] ès qualités la somme de 2.500 euros ainsi qu'aux dépens.
Pour statuer comme il l'a fait, le tribunal, aux termes du paragraphe de son jugement intitulé 'Sur la sanction personnelle', a retenu les faits suivants:
- le défaut de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal de 45 jours ayant conduit à l'augmentation du passif;
- l'utilisation des fonds de l'entreprise à des fins personnelles;
- le paiement privilégié de deux créanciers, la société [16] et la société [11];
- le fait d'avoir intégralement vidé un compte ouvert dans les livres de la banque [14] 'à des fins personnelles et au profit d'entreprises dont l'ancienneté en qualité de fournisseurs reste à prouver';
- le recours à des moyens ruineux pour continuer à exercer pendant la période suspecte en recourant notamment au travail intérimaire de façon disproportionnée.
Le 16 février 2024, M. [E] a relevé appel de cette décision en intimant la société [10] ès qualités et le ministère public.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 15 mai 2024, M. [E] demande à la cour de:
- à titre principal, annuler le jugement,
- à titre subsidiaire, infirmer le jugement en toutes ses dispositions hormis en ce qu'il a pris acte du désistement de la société [10] ès qualités de sa demande de condamnation de M. [E] au titre de l'article L. 651-2 du code de commerce;
- statuant à nouveau, constater l'absence de faute de gestion justifiant une condamnation à une mesure de faillite personnelle d'une durée de dix ans;
- condamner la société [10] ès qualités à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Aux termes de son avis déposé au greffe et notifié par voie électronique le 30 juillet 2024, le ministère public invite la cour à rejeter la demande d'annulation du jugement formée par M. [E] et à confirmer la décision du tribunal.
La société [10] ès qualités, à laquelle la déclaration d'appel et les conclusions de l'appelant ont été signifiées par acte de commissaire de justice du 20 mai 2024, n'a pas constitué avocat.
L'instruction de l'affaire a été clôturée par ordonnance du 6 mai 2025.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions précitées des parties pour un plus ample exposé des faits de l'espèce et des moyens invoqués à l'appui de leurs prétentions.
SUR CE,
Sur la demande d'annulation du jugement
A l'appui de sa demande fondée sur les articles 455 et 458 du code de procédure civile et sur l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, M. [E] fait valoir que la motivation du jugement dont appel est empreinte de partialité au motif qu'elle se fonde exclusivement sur les arguments non prouvés et non circonstanciés du liquidateur sans jamais les confronter aux moyens et pièces qu'il opposait en défense; qu'en outre, le tribunal a omis de justifier sa décision par un exposé des pièces sur lesquelles il s'est fondé.
Le ministère public relève pour sa part que le jugement comporte six pages et prend en compte l'ensemble des moyens des parties.
Il résulte de la combinaison des articles 455 et 458 du code de procédure civile que jugement doit être motivé à peine de nullité.
Par ailleurs, l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales dispose que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial.
En l'espèce, il ressort des termes du jugement dont appel que le tribunal, par une motivation propre ne constituant pas la reproduction pure et simple des conclusions du liquidateur, a caractérisé les griefs retenus à l'encontre de M. [E] en les appuyant sur différents faits cités dans la décision. Par ailleurs, il ressort des développements du jugement consacrés à la créance de la société [8] à l'égard de la société [17] invoquée en défense par M. [E] que le tribunal a pris en considération les moyens opposés par ce dernier. Enfin, la détermination des pièces sur lesquelles le tribunal s'est fondé peut se déduire de la motivation adoptée. Il en est ainsi, par exemple, de l'évocation des mouvements de fonds sur le compte bancaire ouvert dans les livres de la banque [14], qui se fonde implicitement sur les relevés de compte bancaire communiqués en première instance par le liquidateur.
Au vu de ces éléments, la demande d'annulation du jugement sera rejetée.
Sur les griefs allégués à l'encontre de M. [E]
M. [E] fait valoir:
- qu'il n'a commis aucune faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société [8];
- que s'agissant de la mesure de faillite personnelle, le défaut de déclaration de cessation des paiements dans le délai de 45 jours ne peut lui être reproché s'agissant d'une simple négligence non fautive; qu'en outre, il était en attente du recouvrement de sommes importantes, dues notamment par la société [17];
- qu'il n'a pas commis d'actes dans un intérêt contraire aux créanciers sociaux et pour favoriser ses intérêts personnels ou ceux de sociétés liées; que les dépenses invoquées par le liquidateur sont en fait en lien avec l'activité de la société puisqu'elles correspondent au paiement d'acomptes sur salaires effectués en espèces, à des frais de voyage pour rencontrer un sous-traitant en Turquie, à des cadeaux destinés à des clients et à des dépenses exposées lors d'un barbecue organisé pour motiver ses salariés; que les versements effectués au profit des sociétés [16] et [11] ne sont pas occultes et sont justifiés s'agissant de paiements effectués au profit de deux entreprises sous-traitantes qui sont intervenues dans le cadre de chantiers pour lesquels la société [8] a été payée;
- qu'elle n'a pas recouru à des moyens ruineux pour poursuivre son activité; qu'en effet, elle a recouru à la sous-traitance dans un contexte où le chiffre d'affaires de la société [8] augmentait fortement et où le nombre de ses salariés était insuffisant; qu'elle a toujours eu recours à la sous-traitance depuis sa création en 2009; que ce n'est que du fait des manquements de certains sous-traitants, qu'il ne pouvait pas prévoir et anticiper, que certains marchés ont finalement été déficitaires;
- que le grief d'augmentation frauduleuse du passif de la société [8] en recourant à des découverts bancaires, invoqué par le liquidateur, ne peut prospérer à défaut de démonstration de sa connaissance de l'état de cessation des paiements de l'entreprise; qu'en tout état de cause, la lecture des grands-livres détaillés permet de constater que les éléments compris dans le poste 'découverts' sur les bilans comprennent également les factors, qui ne sont pas des découverts;
- que la sanction de faillite personnelle prononcée à son encontre a des conséquences manifestement excessives car elle l'empêche de diriger toute société, donc de dégager des revenus pour assurer sa subsistance.
Le ministère public indique:
- que le grief de défaut de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal est caractérisé;
- que par ailleurs, M. [E] a accompli des actes dans un intérêt personnel, fait visé par l'article L. 653-4 du code de commerce; qu'ainsi, courant 2019, il a effectué des retraits en espèces; que dans le même temps, il a utilisé le compte bancaire de la société [8] pour des dépenses à caractère personnel, notamment des frais de restaurant, de boucherie, de billet d'avion, de bijouterie et cosmétique; que l'ensemble de ces dépenses a représenté la somme de 15.000 euros pour le seul mois d'octobre 2019; qu'en outre, dans les semaines précédant la liquidation judiciaire, M. [E] aurait versé la somme de 24.043 euros à la société [16] et la somme de 219.227,75 euros à la société [11];
- qu'en outre, le grief tiré du détournement de l'actif et de l'augmentation frauduleuse du passif de la société [8], visé par l'article L. 653-4 du code de commerce, est également caractérisé; qu'en effet, M. [E] a procédé à plusieurs paiements sans lien avec l'activité de la société débitrice, à son profit ou au profit de tiers, après la cessation des paiements de l'entreprise et ce même après l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire; qu'enfin, M. [E] a permis l'augmentation frauduleuse du passif de la société [8] en employant des moyens ruineux pour cette dernière; qu'il a ainsi eu recours de manière disproportionnée à l'intérim pour un montant de 737.084,69 euros, au découvert dans plusieurs établissements bancaires pour un montant total de 436.107,40 euros et à plusieurs factors pour la somme de 363.113,73 euros.
1) Sur les griefs
Les développements des conclusions de M. [E] sur son absence de faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société [8] sont sans objet dès lors que le jugement a pris acte du désistement du liquidateur de ses demandes à ce titre, compte tenu la transaction conclue par les parties, et que ce chef du jugement n'est pas contesté par l'appelant, de sorte que la question de la responsabilité pour insuffisance d'actif de M. [E] n'est pas comprise dans le périmètre de l'appel.
Sur le défaut de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal de 45 jours
Il ressort des conclusions de la société [10] ès qualités en première instance que le liquidateur n'a pas visé ce grief à l'appui de sa demande de sanction personnelle mais de sa demande de condamnation de M. [E] à contribuer à l'insuffisance d'actif. Il s'ensuit que la cour, saisie d'un appel visant le chef du jugement ayant condamné M. [E] à la faillite personnelle, n'a pas à se prononcer sur l'existence de ce grief.
Sur le grief d'avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement
Il ressort de l'article L. 653-4, 3°, du code de commerce que le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé le fait d'avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement.
En l'espèce, s'agissant des dépenses personnelles qui lui sont reprochées, M. [E] ne conteste pas l'existence de frais de boucherie d'un montant de 1.822 euros supportés par la société [8] en octobre 2019. Il ne rapporte pas la preuve que cette dépense a été engagée pour l'organisation d'un barbecue offert au personnel de l'entreprise, ainsi qu'il le soutient. En effet, la convocation adressée au personnel de la société [8] qu'il verse aux débats évoque une réunion prévue le 11 octobre 2019 dans les locaux de la société afin d'informer le personnel des difficultés de l'entreprise, et non un barbecue, manifestation festive qui apparaît au demeurant peu compatible avec la situation de la société [8], qui était alors en proie à d'importantes difficultés et ne payait plus les salaires de son personnel.
En ce qui concerne les frais de voyage, dont un billet d'avion de la compagnie [15] d'un montant de 2.821,80 euros acheté en novembre 2019, M. [E] ne justifie par aucune pièce du caractère professionnel de ce déplacement. Par ailleurs, l'appelant ne conteste pas l'existence de dépenses supportées par l'entreprise pour des achats de bijoux et de billets de cinéma. Aucune pièce, notamment attestation, ne vient corroborer son affirmation selon laquelle ces biens auraient été offerts à des clients de la société [8].
Par ailleurs, M. [E] confirme dans ses conclusions avoir procédé à des retraits d'espèces de 7.600 euros entre janvier et mars 2019 sur le compte de la société [8] ouvert auprès du [9], et de 3.630 euros entre le 7 octobre et 8 novembre 2019 sur le compte de l'entreprise ouvert auprès de la banque [13]. L'examen des bulletins de paye versés aux débats ne permet pas de démontrer que ces fonds ont permis de payer les salaires de
M. [Z] et M. [E], ainsi que ce dernier le soutient.
Au vu de ces éléments, il convient de dire que le grief est constitué.
S'agissant des versements opérés en faveur des sociétés [16] et [11], M. [E] ne conteste pas qu'entre le 2 octobre et le 7 novembre 2019, il a effectué des paiements d'un montant total de 243.270,75 euros en leur faveur. Pour justifier ces règlements, il verse aux débats différentes factures émises par ces deux entreprises au cours de l'année 2019. Le mandataire liquidateur, non constitué à hauteur d'appel, et le ministère public ne font état d'aucun élément permettant de remettre en cause le fait que les versements litigieux correspondent au règlement de ces factures. Par ailleurs, il n'est pas démontré que l'appelant avait un intérêt personnel dans ces deux entreprises. Le reproche formulé manque donc en fait.
Sur les grief d'avoir détourné l'actif de la société
Aux termes de l'article L. 653-4, 5°, du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé le fait d'avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.
En l'espèce, les paiements dans l'intérêt personnel de M. [E] visés par le ministère public ont déjà été retenus au titre du grief examiné au précédent paragraphe et n'ont pas lieu de l'être à nouveau à l'appui d'un grief distinct et additionnel. Quant aux versements réalisés au profit des sociétés [16] et [11], il n'est pas établi, pour les motifs exposés ci-dessus tenant à l'existence de factures correspondantes, qu'ils s'apparentent à un détournement de l'actif de la société [8].
Sur le grief d'avoir employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds
Aux termes de l'article L. 653,5, 2°, du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé le fait d'avoir, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, fait des achats en vue d'une revente au-dessous du cours ou employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds.
En l'espèce, ni le liquidateur, qui n'a pas constitué avocat à hauteur d'appel, ni le ministère public n'apportent la démonstration, pièces à l'appui, d'une part, que le recours non-contesté de la société [8] à l'intérim et à la sous-traitance pour la réalisation de ses chantiers constituait un moyen ruineux pour l'entreprise de se procurer des fonds, d'autre part, que M. [E] y ait recouru dans le dessein d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure collective. Il en est de même du reproche concernant le recours par l'entreprise au découvert bancaire et à l'affacturage.
Ce grief sera donc écarté.
Sur le grief d'avoir payé des créanciers au préjudice des autres créanciers
Aux termes de l'article L. 653-5, 4° du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé le fait d'avoir payé ou fait payer, après cessation des paiements et en connaissance de cause de celle-ci, un créancier au préjudice des autres créanciers.
En l'espèce, ainsi qu'il a été exposé ci-dessus, l'existence des versements litigieux en faveur de la société [16] et de la société [11] d'un montant total de 243.270,75 euros n'est pas contestée par M. [E]. Pour autant, la volonté de M. [E] de préjudicier aux autres créanciers de la société [8] au profit des deux entreprises précitées n'est pas établie.
Ce grief sera donc écarté.
2) Sur la sanction
La gravité des faits commis par M. [E] justifie qu'il soit temporairement écarté de la vie des affaires. Toutefois, au regard du nombre de griefs retenus par la cour, inférieur à celui pris en compte par le tribunal, il y a lieu de faire application de l'article L. 653-8 du code de commerce et de prononcer, au lieu et place de la faillite personnelle, une mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, et ce pour une durée de trois ans, étant observé que M. [E], qui évoque la précarité de sa situation, ne produit aucune pièce à cet égard.
Le jugement entreprise sera donc infirmé en ce sens.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. M. [E] sera donc débouté de sa demande de ce chef.
Les dépens de l'instance d'appel seront laissés à la charge de M. [E].
PAR CES MOTIFS,
Déboute M. [E] de sa demande d'annulation du jugement dont appel,
Infirme le jugement en ses dispositions frappées d'appel, sauf en ce qu'il a dit recevable la demande de la société [10] ès qualités, débouté M. [E] de ses demandes et condamné ce dernier au paiement des frais irrépétibles et des dépens de première instance,
Statuant des chef infirmés et y ajoutant,
Condamne M. [E] à une mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, pour une durée de trois ans,
Dit qu'en application des articles L. 128-1 et suivants et R. 128-1 du code de commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au fichier national des interdits de gérer, dont la tenue est assurée par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce,
Déboute M. [E] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [E] aux dépens de l'instance d'appel.
Liselotte FENOUIL
Greffière
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT
Présidente
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 8
ARRÊT DU 30 SEPTEMBRE 2025
(n° / 2025, 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/03818 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CI7KV
Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 janvier 2024 -Tribunal de commerce de MEAUX - RG n° 2021005191
APPELANT
Monsieur [Y] [E]
Né le [Date naissance 1] 1983 à [Localité 12] (TURQUIE)
De nationalité turque
Demeurant [Adresse 2]
[Localité 7]
Représenté par Me Sandra OHANA de l'AARPI OHANA ZERHAT, avocate au barreau de PARIS, toque : C1050,
Assisté de Me Ornella FITOUSSI de la SELAS CS AVOCATS ASSOCIES, avocate au barreau de PARIS, toque : D2149,
INTIMÉS
S.E.L.A.R.L. [10], prise en la personne de Maître [T] [H], en qualité de mandataire liquidateur de la SARL [8],
Dont l'étude est située [Adresse 4]
[Localité 6]
Non constituée
LE PROCUREUR GÉNÉRAL
SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL
[Adresse 3]
[Localité 5]
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Juin 2025, en audience publique, devant la cour, composée de :
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,
Madame Constance LACHEZE, conseillère,
Monsieur François VARICHON, conseiller,
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur François VARICHON dans le respect des conditions pévues à l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL
MINISTERE PUBLIC : L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Madame Valérie DE SAINT FELIX, avocate générale, confirmant son avis écrit du 30 juillet 2024.
ARRÊT :
- Réputé contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
FAITS ET PROCÉDURE
La société à responsabilité limitée [8] a été créée en 2009 en vue d'exercer une activité de travaux de bâtiment et travaux publics. Elle était dirigée depuis l'origine par M.[W], lequel était par ailleurs associé à hauteur de 50 % du capital social.
Par jugement du 4 novembre 2019, le tribunal de commerce de Meaux, statuant sur requête du ministère public, a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société [8],
fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 30 décembre 2018 et désigné en qualité de liquidateur judiciaire la société [10] en la personne de Maître [H].
Selon l'état des créances versé aux débats daté du 22 septembre 2020, le montant du passif admis s'élevait à cette date à la somme de 24.279.900,14 euros.
Le 25 mai 2021, la société [10] ès qualités a fait assigner M. [E] devant le tribunal de commerce de Meaux auquel elle demandait, d'une part, de condamner le défendeur au paiement de la somme de 4.000.000 euros au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif de la société [8], d'autre, part, de prononcer à son encontre une mesure de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer pour une durée de 10 ans.
Pendant le cours de l'instance, la société [10] ès qualités et M. [E] ont conclu une transaction portant sur le montant de la contribution de ce dernier à l'insuffisance d'actif, que les parties ont fixée d'un commun accord à la somme de 245.000 euros.
A la suite de cette décision, la société [10] ès qualités s'est désistée de sa demande fondée sur l'article L. 651-2 du code de commerce, le tribunal demeurant saisi de sa demande de sanction personnelle. S'agissant de cette dernière, le liquidateur, aux termes de ses dernières conclusions(n°4) visées par le jugement, faisait grief au dirigeant d'avoir:
- accompli des actes dans un intérêt contraire à celui des créanciers sociaux;
- fait des biens de la société [8] un usage contraire à l'intérêt de celle-ci ou à des fins personnelles;
- détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif;
- employé des moyens ruineux pour éviter ou retarder l'ouverture de la procédure collective;
- augmenté frauduleusement le passif.
Par jugement contradictoire du 29 janvier 2024 revêtu de l'exécution provisoire, le tribunal a:
- dit recevable et bien fondée la demande de la société [10] ès qualités;
- débouté M. [E] de l'ensemble de ses demandes;
- pris acte du désistement de la société [10] ès qualités de sa demande de condamnation de M. [E] au titre de l'article L. 651-2 du code de commerce;
- condamné M. [E] à une mesure de faillite personnelle d'une durée de dix ans;
- dit qu'en application des articles L. 128-1 et suivants et R. 128-1 du code de commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au fichier national des interdits de gérer;
- condamné M. [E] à payer à la société [10] ès qualités la somme de 2.500 euros ainsi qu'aux dépens.
Pour statuer comme il l'a fait, le tribunal, aux termes du paragraphe de son jugement intitulé 'Sur la sanction personnelle', a retenu les faits suivants:
- le défaut de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal de 45 jours ayant conduit à l'augmentation du passif;
- l'utilisation des fonds de l'entreprise à des fins personnelles;
- le paiement privilégié de deux créanciers, la société [16] et la société [11];
- le fait d'avoir intégralement vidé un compte ouvert dans les livres de la banque [14] 'à des fins personnelles et au profit d'entreprises dont l'ancienneté en qualité de fournisseurs reste à prouver';
- le recours à des moyens ruineux pour continuer à exercer pendant la période suspecte en recourant notamment au travail intérimaire de façon disproportionnée.
Le 16 février 2024, M. [E] a relevé appel de cette décision en intimant la société [10] ès qualités et le ministère public.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 15 mai 2024, M. [E] demande à la cour de:
- à titre principal, annuler le jugement,
- à titre subsidiaire, infirmer le jugement en toutes ses dispositions hormis en ce qu'il a pris acte du désistement de la société [10] ès qualités de sa demande de condamnation de M. [E] au titre de l'article L. 651-2 du code de commerce;
- statuant à nouveau, constater l'absence de faute de gestion justifiant une condamnation à une mesure de faillite personnelle d'une durée de dix ans;
- condamner la société [10] ès qualités à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Aux termes de son avis déposé au greffe et notifié par voie électronique le 30 juillet 2024, le ministère public invite la cour à rejeter la demande d'annulation du jugement formée par M. [E] et à confirmer la décision du tribunal.
La société [10] ès qualités, à laquelle la déclaration d'appel et les conclusions de l'appelant ont été signifiées par acte de commissaire de justice du 20 mai 2024, n'a pas constitué avocat.
L'instruction de l'affaire a été clôturée par ordonnance du 6 mai 2025.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions précitées des parties pour un plus ample exposé des faits de l'espèce et des moyens invoqués à l'appui de leurs prétentions.
SUR CE,
Sur la demande d'annulation du jugement
A l'appui de sa demande fondée sur les articles 455 et 458 du code de procédure civile et sur l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, M. [E] fait valoir que la motivation du jugement dont appel est empreinte de partialité au motif qu'elle se fonde exclusivement sur les arguments non prouvés et non circonstanciés du liquidateur sans jamais les confronter aux moyens et pièces qu'il opposait en défense; qu'en outre, le tribunal a omis de justifier sa décision par un exposé des pièces sur lesquelles il s'est fondé.
Le ministère public relève pour sa part que le jugement comporte six pages et prend en compte l'ensemble des moyens des parties.
Il résulte de la combinaison des articles 455 et 458 du code de procédure civile que jugement doit être motivé à peine de nullité.
Par ailleurs, l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales dispose que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial.
En l'espèce, il ressort des termes du jugement dont appel que le tribunal, par une motivation propre ne constituant pas la reproduction pure et simple des conclusions du liquidateur, a caractérisé les griefs retenus à l'encontre de M. [E] en les appuyant sur différents faits cités dans la décision. Par ailleurs, il ressort des développements du jugement consacrés à la créance de la société [8] à l'égard de la société [17] invoquée en défense par M. [E] que le tribunal a pris en considération les moyens opposés par ce dernier. Enfin, la détermination des pièces sur lesquelles le tribunal s'est fondé peut se déduire de la motivation adoptée. Il en est ainsi, par exemple, de l'évocation des mouvements de fonds sur le compte bancaire ouvert dans les livres de la banque [14], qui se fonde implicitement sur les relevés de compte bancaire communiqués en première instance par le liquidateur.
Au vu de ces éléments, la demande d'annulation du jugement sera rejetée.
Sur les griefs allégués à l'encontre de M. [E]
M. [E] fait valoir:
- qu'il n'a commis aucune faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société [8];
- que s'agissant de la mesure de faillite personnelle, le défaut de déclaration de cessation des paiements dans le délai de 45 jours ne peut lui être reproché s'agissant d'une simple négligence non fautive; qu'en outre, il était en attente du recouvrement de sommes importantes, dues notamment par la société [17];
- qu'il n'a pas commis d'actes dans un intérêt contraire aux créanciers sociaux et pour favoriser ses intérêts personnels ou ceux de sociétés liées; que les dépenses invoquées par le liquidateur sont en fait en lien avec l'activité de la société puisqu'elles correspondent au paiement d'acomptes sur salaires effectués en espèces, à des frais de voyage pour rencontrer un sous-traitant en Turquie, à des cadeaux destinés à des clients et à des dépenses exposées lors d'un barbecue organisé pour motiver ses salariés; que les versements effectués au profit des sociétés [16] et [11] ne sont pas occultes et sont justifiés s'agissant de paiements effectués au profit de deux entreprises sous-traitantes qui sont intervenues dans le cadre de chantiers pour lesquels la société [8] a été payée;
- qu'elle n'a pas recouru à des moyens ruineux pour poursuivre son activité; qu'en effet, elle a recouru à la sous-traitance dans un contexte où le chiffre d'affaires de la société [8] augmentait fortement et où le nombre de ses salariés était insuffisant; qu'elle a toujours eu recours à la sous-traitance depuis sa création en 2009; que ce n'est que du fait des manquements de certains sous-traitants, qu'il ne pouvait pas prévoir et anticiper, que certains marchés ont finalement été déficitaires;
- que le grief d'augmentation frauduleuse du passif de la société [8] en recourant à des découverts bancaires, invoqué par le liquidateur, ne peut prospérer à défaut de démonstration de sa connaissance de l'état de cessation des paiements de l'entreprise; qu'en tout état de cause, la lecture des grands-livres détaillés permet de constater que les éléments compris dans le poste 'découverts' sur les bilans comprennent également les factors, qui ne sont pas des découverts;
- que la sanction de faillite personnelle prononcée à son encontre a des conséquences manifestement excessives car elle l'empêche de diriger toute société, donc de dégager des revenus pour assurer sa subsistance.
Le ministère public indique:
- que le grief de défaut de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal est caractérisé;
- que par ailleurs, M. [E] a accompli des actes dans un intérêt personnel, fait visé par l'article L. 653-4 du code de commerce; qu'ainsi, courant 2019, il a effectué des retraits en espèces; que dans le même temps, il a utilisé le compte bancaire de la société [8] pour des dépenses à caractère personnel, notamment des frais de restaurant, de boucherie, de billet d'avion, de bijouterie et cosmétique; que l'ensemble de ces dépenses a représenté la somme de 15.000 euros pour le seul mois d'octobre 2019; qu'en outre, dans les semaines précédant la liquidation judiciaire, M. [E] aurait versé la somme de 24.043 euros à la société [16] et la somme de 219.227,75 euros à la société [11];
- qu'en outre, le grief tiré du détournement de l'actif et de l'augmentation frauduleuse du passif de la société [8], visé par l'article L. 653-4 du code de commerce, est également caractérisé; qu'en effet, M. [E] a procédé à plusieurs paiements sans lien avec l'activité de la société débitrice, à son profit ou au profit de tiers, après la cessation des paiements de l'entreprise et ce même après l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire; qu'enfin, M. [E] a permis l'augmentation frauduleuse du passif de la société [8] en employant des moyens ruineux pour cette dernière; qu'il a ainsi eu recours de manière disproportionnée à l'intérim pour un montant de 737.084,69 euros, au découvert dans plusieurs établissements bancaires pour un montant total de 436.107,40 euros et à plusieurs factors pour la somme de 363.113,73 euros.
1) Sur les griefs
Les développements des conclusions de M. [E] sur son absence de faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société [8] sont sans objet dès lors que le jugement a pris acte du désistement du liquidateur de ses demandes à ce titre, compte tenu la transaction conclue par les parties, et que ce chef du jugement n'est pas contesté par l'appelant, de sorte que la question de la responsabilité pour insuffisance d'actif de M. [E] n'est pas comprise dans le périmètre de l'appel.
Sur le défaut de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal de 45 jours
Il ressort des conclusions de la société [10] ès qualités en première instance que le liquidateur n'a pas visé ce grief à l'appui de sa demande de sanction personnelle mais de sa demande de condamnation de M. [E] à contribuer à l'insuffisance d'actif. Il s'ensuit que la cour, saisie d'un appel visant le chef du jugement ayant condamné M. [E] à la faillite personnelle, n'a pas à se prononcer sur l'existence de ce grief.
Sur le grief d'avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement
Il ressort de l'article L. 653-4, 3°, du code de commerce que le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé le fait d'avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement.
En l'espèce, s'agissant des dépenses personnelles qui lui sont reprochées, M. [E] ne conteste pas l'existence de frais de boucherie d'un montant de 1.822 euros supportés par la société [8] en octobre 2019. Il ne rapporte pas la preuve que cette dépense a été engagée pour l'organisation d'un barbecue offert au personnel de l'entreprise, ainsi qu'il le soutient. En effet, la convocation adressée au personnel de la société [8] qu'il verse aux débats évoque une réunion prévue le 11 octobre 2019 dans les locaux de la société afin d'informer le personnel des difficultés de l'entreprise, et non un barbecue, manifestation festive qui apparaît au demeurant peu compatible avec la situation de la société [8], qui était alors en proie à d'importantes difficultés et ne payait plus les salaires de son personnel.
En ce qui concerne les frais de voyage, dont un billet d'avion de la compagnie [15] d'un montant de 2.821,80 euros acheté en novembre 2019, M. [E] ne justifie par aucune pièce du caractère professionnel de ce déplacement. Par ailleurs, l'appelant ne conteste pas l'existence de dépenses supportées par l'entreprise pour des achats de bijoux et de billets de cinéma. Aucune pièce, notamment attestation, ne vient corroborer son affirmation selon laquelle ces biens auraient été offerts à des clients de la société [8].
Par ailleurs, M. [E] confirme dans ses conclusions avoir procédé à des retraits d'espèces de 7.600 euros entre janvier et mars 2019 sur le compte de la société [8] ouvert auprès du [9], et de 3.630 euros entre le 7 octobre et 8 novembre 2019 sur le compte de l'entreprise ouvert auprès de la banque [13]. L'examen des bulletins de paye versés aux débats ne permet pas de démontrer que ces fonds ont permis de payer les salaires de
M. [Z] et M. [E], ainsi que ce dernier le soutient.
Au vu de ces éléments, il convient de dire que le grief est constitué.
S'agissant des versements opérés en faveur des sociétés [16] et [11], M. [E] ne conteste pas qu'entre le 2 octobre et le 7 novembre 2019, il a effectué des paiements d'un montant total de 243.270,75 euros en leur faveur. Pour justifier ces règlements, il verse aux débats différentes factures émises par ces deux entreprises au cours de l'année 2019. Le mandataire liquidateur, non constitué à hauteur d'appel, et le ministère public ne font état d'aucun élément permettant de remettre en cause le fait que les versements litigieux correspondent au règlement de ces factures. Par ailleurs, il n'est pas démontré que l'appelant avait un intérêt personnel dans ces deux entreprises. Le reproche formulé manque donc en fait.
Sur les grief d'avoir détourné l'actif de la société
Aux termes de l'article L. 653-4, 5°, du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé le fait d'avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.
En l'espèce, les paiements dans l'intérêt personnel de M. [E] visés par le ministère public ont déjà été retenus au titre du grief examiné au précédent paragraphe et n'ont pas lieu de l'être à nouveau à l'appui d'un grief distinct et additionnel. Quant aux versements réalisés au profit des sociétés [16] et [11], il n'est pas établi, pour les motifs exposés ci-dessus tenant à l'existence de factures correspondantes, qu'ils s'apparentent à un détournement de l'actif de la société [8].
Sur le grief d'avoir employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds
Aux termes de l'article L. 653,5, 2°, du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé le fait d'avoir, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, fait des achats en vue d'une revente au-dessous du cours ou employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds.
En l'espèce, ni le liquidateur, qui n'a pas constitué avocat à hauteur d'appel, ni le ministère public n'apportent la démonstration, pièces à l'appui, d'une part, que le recours non-contesté de la société [8] à l'intérim et à la sous-traitance pour la réalisation de ses chantiers constituait un moyen ruineux pour l'entreprise de se procurer des fonds, d'autre part, que M. [E] y ait recouru dans le dessein d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure collective. Il en est de même du reproche concernant le recours par l'entreprise au découvert bancaire et à l'affacturage.
Ce grief sera donc écarté.
Sur le grief d'avoir payé des créanciers au préjudice des autres créanciers
Aux termes de l'article L. 653-5, 4° du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé le fait d'avoir payé ou fait payer, après cessation des paiements et en connaissance de cause de celle-ci, un créancier au préjudice des autres créanciers.
En l'espèce, ainsi qu'il a été exposé ci-dessus, l'existence des versements litigieux en faveur de la société [16] et de la société [11] d'un montant total de 243.270,75 euros n'est pas contestée par M. [E]. Pour autant, la volonté de M. [E] de préjudicier aux autres créanciers de la société [8] au profit des deux entreprises précitées n'est pas établie.
Ce grief sera donc écarté.
2) Sur la sanction
La gravité des faits commis par M. [E] justifie qu'il soit temporairement écarté de la vie des affaires. Toutefois, au regard du nombre de griefs retenus par la cour, inférieur à celui pris en compte par le tribunal, il y a lieu de faire application de l'article L. 653-8 du code de commerce et de prononcer, au lieu et place de la faillite personnelle, une mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, et ce pour une durée de trois ans, étant observé que M. [E], qui évoque la précarité de sa situation, ne produit aucune pièce à cet égard.
Le jugement entreprise sera donc infirmé en ce sens.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. M. [E] sera donc débouté de sa demande de ce chef.
Les dépens de l'instance d'appel seront laissés à la charge de M. [E].
PAR CES MOTIFS,
Déboute M. [E] de sa demande d'annulation du jugement dont appel,
Infirme le jugement en ses dispositions frappées d'appel, sauf en ce qu'il a dit recevable la demande de la société [10] ès qualités, débouté M. [E] de ses demandes et condamné ce dernier au paiement des frais irrépétibles et des dépens de première instance,
Statuant des chef infirmés et y ajoutant,
Condamne M. [E] à une mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, pour une durée de trois ans,
Dit qu'en application des articles L. 128-1 et suivants et R. 128-1 du code de commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au fichier national des interdits de gérer, dont la tenue est assurée par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce,
Déboute M. [E] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [E] aux dépens de l'instance d'appel.
Liselotte FENOUIL
Greffière
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT
Présidente