CA Paris, Pôle 5 - ch. 9, 1 octobre 2025, n° 24/10738
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 9
ARRÊT DU 1ER OCTOBRE 2025
(n° , 12 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/10738 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJSVQ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Mai 2024 - Tribunal de Commerce de CRÉTEIL - RG n° 2023L00363
APPELANT
M. [Z], [O] [E]
Né le [Date naissance 3] 1959 à [Localité 21] (75)
[Adresse 1]
[Localité 27]
Représenté par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480
INTIMÉE
S.E.L.A.R.L. [26] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [17]
[Adresse 5]
[Localité 7]
Immatriculée au RCS de CRETEIL sous le n° [N° SIREN/SIRET 4]
Représentée par Me Karim BENT-MOHAMED de la SELEURL KARIM BENT-MOHAMED, avocat au barreau de PARIS
Assistée par Me Antonin FRAGNE, avocat au barreau de PARIS, K006
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 05 Juin 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
Sophie MOLLAT, Présidente
Caroline TABOUROT, Conseillère
Isabelle ROHART, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Yvonne TRINCA
MINISTERE PUBLIC :
L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par M. COUDERC, qui a fait connaître son avis.
ARRÊT :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Caroline TABOUROT, Conseillère pour la présidente empêchée, et par Yvonne TRINCA, greffier présent lors de la mise à disposition.
Exposé des faits et de la procédure
La société [17] exerçait une activité de construction et principalement de maisons individuelles.
Son président était Monsieur [Z] [E] depuis le 28.10.2011 date de son début d'activité. Monsieur [E] était également l'actionnaire majoritaire de la société pour détenir 9000 actions sur 10.000, les 1000 autres actions étant détenues par Monsieur [Y] [E].
Par jugement en date du 26.02.2020 le tribunal de commerce de Créteil, saisi sur déclaration de cessation des paiements du débiteur en date du 7.02.2020 a ouvert une procédure de liquidation judiciaire au bénéfice de la société et a désigné la SELARL [26] prise en la personne de Me [H] en qualité de mandataire judiciaire.
La date de cessation des paiements a été fixée au 1.09.2019.
Le liquidateur judiciaire a fait assigner Monsieur [E] devant le tribunal de commerce de Créteil pour le voir condamner au titre de sa responsabilité pour l'insuffisance d'actif à payer une somme de 731.992,26 euros et en sanction personnelle.
Par jugement en date du 22.05.2024 le tribunal de commerce de Créteil a:
Condamné M. [Z] [O] [M] [E] à payer la somme de 100.000,00 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 23 février 2023, à la SELARL [26] prise en la personne de Me [G] [H], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [17], au titre de sa contribution a l'insuffisance d'actif et débouté la demanderesse pour le surplus de sa demande,
Ordonné la capitalisation des intérêts à compter du 23 février 2023, pourvu que ceux-ci soient dus au moins pour une année entière.
Condamné M. [Z] [O] [M] [E], à une mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci à l'exception de la société [23] (RCS CRETEIL [N° SIREN/SIRET 6]), et en a fixé la durée à 5 ans,
Condamné M. [Z] [O] [M] [E] à payer à la SELARL [26] prise en la personne de Me [G] [H], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [17], une somme de 4.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et débouté la demanderesse pour le surplus.
Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,
Dit qu'en application des articles L128-1 et suivants et R128-1 et suivants du code de commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au fichier national des interdits de gérer, dont la tenue est assurée par le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce,
Condamné M. [Z] [O] [M] [E] aux entiers dépens de l'instance.
Le tribunal a d'abord établi le montant de l'insuffisance d'actif en statuant sur un certain nombre de créances contestées par Monsieur [E] pour en écarter certaines et a retenu une insuffisance d'actif de 638.127,91 euros.
Puis le tribunal a retenu:
- s'agissant de la responsabilité pour insuffisance d'actif les fautes suivantes
- d'avoir omis de déclarer la cessation des paiements dans le délai légal de 45 jours, ce qui est à l'origine d'une aggravation du passif de 134.705,79 euros sur la période du 15.10.2019 au 26.02.2020
- d'avoir réglé avec retard le paiement des cotisations sociales
- d'avoir fait des biens ou du crédit de la société un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles
- d'avoir tenu une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière
- s'agissant de la sanction d'interdiction de gérer les griefs suivants:
- d'avoir fait des biens ou du crédit de la société un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles
- l'absence de comptabilité régulière
- d'avoir sciemment omis de demander l'ouverture d'une procédure collective
Monsieur [E] a formé appel le 11.06.2024 intimant la SELARL [26] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [17].
Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 8.03.2025 Monsieur [E] demande à la cour de :
INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Créteil du 22 mai 2024 à l'encontre de Monsieur [Z] [E] en ce qu'il a :
- Condamné Monsieur [E] à payer la somme de 100 000 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 23 février 2023 à la SELARL [26] prise en la personne de Maître [H] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [17], au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif;
- ordonné la capitalisation des intérêts à compter du 23 février 2023, pourvu que ceux-ci soient dus au moins pour une année entière;
- Condamné Monsieur [E] à payer la somme de 4 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile à la SELARL [26] prise en la personne de Maître [H] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [17];
- Ordonné l'exécution provisoire;
- Condamné Monsieur [E] aux dépens
STATUANT A NOUVEAU :
- PRENDRE ACTE des règlements d'ores et déjà effectués par Monsieur [E] dans le cadre de ses engagements de caution
- PRENDRE ACTE que l'insuffisance d'actif est inférieure à celle invoquée par le mandataire judiciaire compte tenu :
o Des paiements réalisés par M. [E] auprès des établissements bancaire
o Des factures de sous-traitance indues
o De la surestimation de la créance de l'URSSAF du fait que M. [Z] [E] n'a pas perçu sa rémunération depuis le mois de septembre 2019
- JUGER que Monsieur [Z] [E] n'a tiré aucun intérêt personnel à la poursuite de l'activité de la société [17] compte tenu de la baisse de rémunération, voir la non perception et de ses engagements de caution
- JUGER que Monsieur [Z] [E] disposait d'une comptabilité régulière sincère et véritable et que l'administration fiscale n'a pas rejeté la comptabilité
EN CONSÉQUENCE :
- DÉBOUTER Maître [H] de sa demande de condamnation à hauteur de 731.992,26 €
- DIRE qu'il n'y a pas lieu de condamner Monsieur [E] à une contribution à l'insuffisance d'actif eu égard à ses nombreux règlements en qualité notamment de caution et DÉBOUTER en conséquence Maître [H]
- DÉBOUTER Maître [H] de sa demande en condamnation de faillite personnelle
- DIRE qu'il n'y a lieu à article 700 du code de procédure civile
Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 10.12.2024 la SELARL [26] ès qualités demande à la cour de :
- CONFIRMER le jugement du 22 mai 2024 rendu par le Tribunal de commerce de Créteil en ce qu'il a :
' Ordonné la capitalisation des intérêts à compter du 23 février 2023, pourvu que ceux-ci soient dus au moins pour une année entière.
' Condamné Monsieur [Z] [O] [M] [E], né le [Date naissance 3] 1959 à [Localité 22], de nationalité française, demeurant [Adresse 2] à [Localité 27], à une mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci à l'exception de la société [23] (RCS CRETEIL 914 26 77), et fixé la durée à 5 ans. ' Condamné Monsieur [Z] [O] [M] [E] à payer à la SELARL [26], prise en la personne de Maître [G] [H], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [17], une somme de 4.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et débouté la demanderesse pour le surplus.
' Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.
' Condamné Monsieur [Z] [O] [M] [E] aux entiers dépens de l'instance.
- INFIRMER le jugement du 22 mai 2024 rendu par le Tribunal de commerce de Créteil en ce qu'il a :
' Condamné Monsieur [Z] [O] [M] [E] à payer la somme de 100.000,00 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 23 février 2023, à la SELARL [26] prise en la personne de Maître [G] [H], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [17], au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif et déboute la demanderesse pour le surplus de sa demande.
Et statuant à nouveau :
- JUGER que l'insuffisance d'actif de la SAS [17] s'élève à la somme de 731 992,26 euros sauf à parfaire ;
- JUGER qu'il apparaît avec évidence que l'actif de la SAS [17] sera insuffisant pour payer le passif ;
- JUGER que Monsieur [E] a commis plusieurs fautes de gestion à savoir notamment :
(i). L'omission de déclarer la cessation des paiements dans le délai légal de quarante-cinq (45) jours ; et
(ii). Le retard du paiement des cotisations sociales et en la commission d'une infraction pénale. (iii). La poursuite abusive, dans un intérêt personnel, d'une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la SAS [17];
(iv). Le fait d'avoir fait des biens ou du crédit de la SAS [17] un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ;
(v). Le défaut de tenue d'une comptabilité régulière, sincère et véritable.
- JUGER que les fautes commises par Monsieur [E] ont contribué directement à l'insuffisance d'actif ;
En conséquence :
- CONDAMNER Monsieur [E] à payer à Maître [G] [H], ès qualités, la somme de 731 992,26 euros sauf à parfaire, en application des dispositions de l'article L. 651-2 du Code de commerce, avec intérêts au taux légal de droit, conformément à l'article 1344-1 du Code civil ;
Par avis du 19.02.2025, le ministère public invite la cour à confirmer la décision du 22.05.2024 en ce qu'elle a condamné Monsieur [E] à une interdiction de gérer de 5 ans à l'exclusion de la société [23] et à contribuer à l'insuffisance d'actif à hauteur de 100.000 euros.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif
Sur le montant de l'insuffisance d'actif :
Monsieur [E] fait valoir que le passif n'a pas été vérifié, qu'il ne peut lui être fait le reproche de n'avoir pas fourni tous les éléments lors du premier rendez vous fixé à l'étude du liquidateur dans la mesure où il ignorait alors les déclarations de créance qui seraient ultérieurement reçues et ne pouvait donc de façon anticipée y répondre, qu'en raison certainement du contexte sanitaire lié à la crise du Covid 10 il n'y a jamais eu de demandes du liquidateur judiciaire au titre des créances déclarées, jusqu'à réception de l'assignation.
Il indique que, bien que le passif n'ait pas été contesté, de très nombreuses sommes ont été admises au passif de façon injustifiée.
Il conteste ainsi les déclarations de créance de la société [9], de la société [8], de Monsieur [S], d'[13] concernant le chantier [S], de la société [18], de la société [32], de la société [31], de l'URSSAF, de la société [25].
Concernant les créances de [10] et de [11] il fait valoir qu'il s'est porté caution personnelle de ces deux dettes et les rembourse actuellement, ce dont il justifie.
Il conclut que le montant de l'insuffisance d'actif doit être limité aux créances qui ont été justifiées par le liquidateur déduction faite de toutes les contestations.
Le liquidateur judiciaire expose qu'aucun passif n'a été contesté et que le jugement ne peut revenir sur la vérification du passif, créance par créance, avec les éléments de contestation fournis par Monsieur [E], pour tenter de couvrir sa carence dans la transmission des éléments en temps voulu.
Le ministère public expose que le passif n'ayant pas été contesté durant la liquidation il ne peut plus être remis en cause dans le cadre de cette instance, qu'aucun actif n'a été réalisé, que l'insuffisance d'actif est certaine et s'élève à la somme de 731.992,96 euros.
Sur ce
Aucun élément n'est produit aux débats établissant que les créances déclarées au passif de la société [17] ont fait l'objet d'une vérification conformément aux dispositions de l'article L.624-1 du code de commerce et en particulier que le liquidateur judiciaire a sollicité les observations du débiteur sur les créances déclarées.
Ainsi aucune contestation de Monsieur [E] n'a pu être prise en compte.
Il en résulte que le passif présenté n'est pas établi de façon certaine pour les créances contestées par l'appelant dans la présente procédure.
Il n'appartient pas au juge de la sanction de statuer sur le bien fondé des contestations dans la mesure où cet examen ne peut avoir lieu qu'en présence du créancier. Il convient par contre de constater que des créances déclarées sont contestées à hauteur de 65.633,41 euros et de les déduire du montant du passif déclaré.
Par ailleurs Monsieur [E] fait valoir qu'il est en cours de règlement de la créance de [10] s'agissant du solde du compte courant au titre de son cautionnement et il produit aux débats un relevé établissant que sur la créance initialement déclarée de 62.819,81 euros il était redevable au 11.09.2024 de la somme de 24.763,15 euros. Depuis les versements se sont poursuivis faisant encore baisser le montant du passif de la société liquidée sans cependant que le montant soit actualisé. Il est de ce fait retenu au titre de la créance de la [10] la somme de 24.763,15 euros. Il est donc déduit la somme de 38.056,66 euros du passif déclaré.
Monsieur [E] rapporte également la preuve qu'il règle chaque mois une mensualité en paiement de la somme due à la [11] déclarée à hauteur de 76.325,91 euros. Il y a lieu de souligner que l'huissier de justice indique dans un relevé de compte en date du 22.06.2022 que le principal du était de 25.106,25 euros. Depuis des versements ont été effectués à hauteur de 170 euros par mois depuis juin 2022. La créance n'ayant pas été actualisée il est retenu la somme de 25.106,25 euros. Il est donc déduit la somme de 51.219,66 euros du passif déclaré.
Le passif s'établit donc à la somme de 577.083,23 euros.
Aucun actif n'ayant été réalisé, l'insuffisance d'actif s'élève au montant du passif.
Sur le retard dans la déclaration de l'état de cessation des paiements :
Monsieur [E] expose que le jugement d'ouverture a fixé la date de cessation des paiements au 01.09.2019, qu'il avait donc jusqu'au 15.10.2019 pour procéder à la déclaration de cessation des paiements, qu'il a déclaré celle-ci le 9.02.2020, date à retenir en lieu et place de la date du jugement.
Il fait valoir que pendant cette période il n'a perçu aucune rémunération.
Le liquidateur judiciaire soutient que l'appréciation de l'état de cessation des paiements se faisant au jour où la juridiction statue et non pas au jour de l'assignation il ne saurait être retenu la date du 9.02.2020 mais la date du 26.02.2020 pour déterminer l'aggravation du passif.
Le ministère public fait valoir que Monsieur [E] avait jusqu'au 15.10.2019 pour déclarer l'état de cessation des paiements et n'a déposé celui-ci que le 7.02.2020 (sic), que le dirigeant avait nécessairement connaissance des difficultés de l'entreprise et que c'est de manière intentionnelle qu'il n'a pas déposé le bilan plus tôt, que cette faute de gestion est caractérisée et que le ministère public s'en rapporte sur le montant de l'aggravation du passif.
Sur ce
Il n'est pas contesté que contrairement aux dispositions de l'article L.631-4 du code de commerce Monsieur [E] a déclaré tardivement son état de cessation des paiements auprès du tribunal de commerce puisqu'il a effectué cette déclaration le 9.02.2020 alors qu'il aurait du effectuer cette déclaration au plus tard le 15.10.2019, au regard de la date de cessation des paiements retenue par le tribunal dans le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire qui est le 1.09.2019.
Monsieur [E] connaissait la situation de son entreprise comme il le reconnaît lui-même dans ses conclusions indiquant qu'il espérait décrocher un contrat suite à un appel d'offre qui lui aurait permis de préserver l'activité.
La faute est donc établie.
S'agissant de l'insuffisance d'actif qui correspond à ce retard dans la déclaration de cessation des paiements elle doit être évaluée entre le 15.10.2019 et la date de déclaration de cessation des paiements le 9.02.2020, et non le jour du jugement, le 26.02.2020 dans la mesure où la faute réside dans la déclaration tardive et que le délai qui s'est écoulé entre le 9.02.2020 et le 26.02.2020 n'est pas de la responsabilité du débiteur.
Au regard des déclarations de créance effectuées et des créances contestées qui ne peuvent être incluses dans ce calcul, sont retenues au titre de l'aggravation du passif pendant cette période:
Agirc Arrco: 18.467 euros,
[10]: 23.420 euros au titre de la retenue de garantie mobilisée le 8.02.2020. S'agissant du solde débiteur il n'est pas établi que celui-ci a été créé ou a augmenté entre le 15.10.2019 et le 9.02.2020 de telle sorte qu'il ne convient pas de le retenir au titre de l'aggravation du passif.
[11]: 24.775,20 euros au titre d'une facture affacturée le 22.10.2019 ayant pour échéance le 15.11.2019
Caisse nationale des entrepreneurs de travaux publics: 233,26 euros
[12]: 201 euros
DGFIP: la taxe sur les voitures particulières étant pour l'année entière seules les mois de novembre et décembre ont participé au passif né entre le 15.10.2019 et le 31.12.2019 soit la somme de 325,16,
prélèvements à la source: 3281 euros
La CFE 2019 n'est pas en lien avec la poursuite de l'activité en novembre et décembre s'agissant d'une taxe annuelle.
[16]: il y a lieu de déduire le kilométrage supplémentaire calculé lors de la restitution du véhicule Kangoo qui a concerné l'intégralité de la période de location et non seulement les mois de novembre à février et aurait été dû quand bien même la déclaration de cessation des paiements aurait été faite le 15.10.2019. Il est retenu au titre de la créance [16] 5154,13 euros
[19]: après vérification le montant des loyers ayant couru depuis le 15.10 s'élève à 992,86 euros
[20]: 338,56 euros
[24]: 48,96 euros
[28]: 1003, 57 euros
[29]: 4120,31 euros
Urssaf: la contestation sur février implique de limiter le montant de l'insuffisance d'actif découlant de l'absence de déclaration de cessation des paiements le 15.10.2019 à la somme de 9.259 euros.
Le montant total de l'insuffisance d'actif créée par le retard dans la déclaration de cessation des paiements s'élève donc à 91.620,01 euros.
Sur la poursuite abusive d'une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements :
Monsieur [E] conteste toute intention délibérée et il fait valoir que s'il a tardé à déclarer cet état de cessation des paiements il ne l'a pas fait sciemment mais parce qu'il était dans l'attente d'un nouveau contrat qui aurait permis de préserver son entreprise.
Il rappelle qu'il a procédé à une augmentation de capital d'un montant de 100.000 euros en 2016 trois ans avant la déclaration de l'état de cessation des paiements.
Le liquidateur judiciaire expose que la cessation des paiements était acquise bien avant la date retenue par le tribunal au vu de l'ancienneté des créances telles que la TVA de 2017, l'absence de paiement de l'impôt sur les sociétés du depuis septembre 2016, l'absence de paiement de cotisations sociales dues depuis le 31.10.2017 et que le débiteur en avait parfaitement connaissance, de telle sorte qu'il a commis une faute en omettant sciemment de procéder à la déclaration de cessation des paiements.
Le ministère public expose que le tribunal de commerce n'a pas retenu cette faute alors que celle-ci est caractérisée et doit être retenue au regard du fait que les difficultés de l'entreprise étaient bien antérieures à la date de cessation des paiements retenue par le tribunal et que le dirigeant a poursuivi l'activité alors que la société, ce qu'il ne pouvait ignorer, ne payait plus la TVA depuis 2017 pour un montant de 129.524 euros ni l'impôt sur les sociétés pour un montant de 35.926 € à compter de septembre 2016 ni les cotisations sociales depuis le 31 octobre 2017 auprès de l'Agirc pour un montant de 53.481 euros.
sur ce
Comme retenu par le tribunal, malgré le fait que certaines créances sont anciennes, s'agissant de créances fiscales et sociales, la preuve n'est pas rapportée par le liquidateur judiciaire qu'avant la date retenue par le tribunal, un état de cessation des paiements existait dont le débiteur aurait eu parfaitement conscience, puisqu'aucun élément sur la situation de la société aux dates des premiers impayés n'est produite aux débats.
Il n'est pas plus rapporté la preuve que connaissant les impayés de la société, Monsieur [E] était conscient que la situation de la société ne pouvait pas s'améliorer, le seul fait que celle-ci soit redevable de créances ne rapportant pas cette preuve.
Il n'est donc pas établi que Monsieur [E] a poursuivi l'activité de la société alors qu'il savait que celle-ci était irrémédiablement compromise.
Au contraire il ressort des éléments du dossier que Monsieur [E] a cru que son entreprise pouvait être sauvée par la signature de nouveaux marchés de travaux, et a pris des mesures pour alléger les charges dont la décision de ne plus percevoir de rémunération à compter de septembre 2019 et que le dépôt tardif de la déclaration de cessation des paiements relève d'abord de la difficulté qu'il a rencontré à prendre la mesure de la réalité de la situation.
Sur le retard dans le paiement des cotisations Urssaf et commission d'une infraction pénale :
Le liquidateur judiciaire expose que le défaut de précompte salarial par l'employeur constitue une faute pénale et partant une faute de gestion.
Le ministère public expose que des cotisations Urssaf n'ont pas été réglées pour un montant de 17.617,26 euros dont 1270,26 euros de parts salariales, ce qui constitue une infraction pénale et partant une faute de gestion, qu'également des cotisations Agirc Arcco n'ont pas été réglées pour la somme de 53.481 euros.
Monsieur [E] ne conclut pas sur ce point.
sur ce
La société était débitrice au jour de l'ouverture de la procédure collective d'une dette auprès de l'Urssaf dont une partie, 1270 euros, consistait dans la part salariale des cotisations sociales dues.
L'absence de reversement à l'Urssaf de la part salariale des cotisations sociales constitue une infraction pénale dont est responsable son dirigeant contre lequel une faute de gestion peut ainsi être retenue.
La faute est retenue.
Sur la faute d'avoir fait des biens ou du crédit de la SAS [17] un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles :
Le liquidateur judiciaire expose qu'il ressort de la proposition de rectification fiscale que des charges concernent des factures relatives à des travaux d'électricité et de plomberie réalisés dans un manoir à [Localité 14] appartenant au dirigeant, que Monsieur [E] se serait justifié auprès de l'administration fiscale en indiquant avoir payé l'ensemble de ses travaux à la société sans lui remettre le moindre justificatif, qu'en outre la société [17] ne détient aucun compte client au nom de Monsieur [E], que dans le cadre des interrogations du liquidateur Monsieur [E] a remis des factures mais que ces factures sont établies au nom de Monsieur [E] et que celui-ci ne rapporte pas la preuve qu'il a payé à la société lesdites prestations.
Le liquidateur judiciaire indique que la proposition de rectification fiscale retient également le paiement des loyers de l'appartement loué par Monsieur [E] par la société.
Le ministère public expose que la proposition de rectification fiscale fait état de charges de sous-traitance non engagées dans l'intérêt de l'entreprise concernant des factures relatives à des travaux d'électricité et de plomberie réalisées dans un manoir près de [Localité 15] appartenant au dirigeant selon ses propres déclarations, que M. [E] ne conteste pas les faits mais oppose qu'il a été redressé à titre personnel, que par ailleurs il est apparu que des charges de loyers avaient été réglées par la société concernant un appartement situé à [Localité 27] adresse actuelle du dirigeant.
Monsieur [E] ne réplique pas sur les travaux qui ont été effectués dans la maison lui appartenant en Normandie, sauf pour indiquer que depuis il a vendu la maison pour procéder au règlement de ses dettes et acquérir avec l'aide de son fils un bien plus petit.
Il explique concernant le loyer de son appartement meublé qu'il n'a pas adressé de contestation de la proposition fiscale dans la mesure où il était en burn-out alors que ce redressement était injustifié, qu'en effet d'une part la société ne disposait pas de local professionnel mais d'une simple adresse de domiciliation et que d'autre part la prise à bail de ce petit meublé lui permettait de travailler en région parisienne au lieu de faire des allers-retours vers sa résidence principale située en Normandie et ce pour un loyer modique de 950 euros par mois. Il souligne que sa rémunération était plus faible que celle de ses chefs de chantier. Il conclut que cette charge n'était donc pas contraire à l'intérêt social mais visait à permettre au dirigeant de préserver l'intérêt social de la société en facilitant sa disponibilité sur la région parisienne où se trouvent les chantiers. Il ajoute qu'il s'est vu notifier un redressement fiscal personnel qu'il a réglé.
Sur ce
La proposition de rectification fiscale a retenu l'existence de travaux réalisés pour le compte personnel de Monsieur [E] car effectué dans son domicile en Normandie mais réglés par l'entreprise pour un montant de 22.448 euros sur l'exercice 2017 et de 4533 euros sur l'exercice 2018 et en conséquence a réintégré ces sommes dans les résultats de l'entreprise.
Monsieur [E] ne conteste pas le paiement de travaux personnels par l'entreprise et ne rapporte pas la preuve qu'il a remboursé à la société lesdits travaux.
En faisant régler par l'entreprise des travaux qui lui étaient personnels Monsieur [E] a fait des biens de l'entreprise un usage contraire à l'intérêt de celle-ci et dans son intérêt propre. La faute de gestion est donc caractérisée.
S'agissant des loyers de l'appartement meublé c'est par une juste motivation que la cour adopte que le tribunal a retenu que les loyers étaient des charges engagées dans l'intérêt de l'entreprise pour permettre au dirigeant d'être présent en région parisienne au plus près des chantiers, alors que sa résidence principale était en Normandie.
Il en résulte que l'insuffisance d'actif relevant de la faute de gestion retenu correspond à un montant de 26.981 euros.
Sur le défaut d'une comptabilité régulière, sincère et véritable :
Monsieur [E] expose que le liquidateur judiciaire indique que le fichier serait illisible, qu'il ignore la raison pour laquelle le fichier serait illisible mais fait valoir que le liquidateur ne peut soutenir que les comptes de l'exercice 2018 ne lui auraient pas été transmis.
Il souligne qu'il ressort des comptes 2018 un résultat d'exploitation positif contrairement aux exercices 2016 et 2017.
Le liquidateur judiciaire indique qu'il n'a pas pu obtenir que les bilans comptables de la société pour les exercices 2017 et 2018, que les comptes annuels de l'exercice 2018 étaient inexploitables jusqu'à la transmission d'une nouvelle version dans le cadre de la présente instance, que les bilans de l'année 2019 n'ont pas été communiqués pas plus que les grands livres et balances de l'ensemble de l'exercice ce qui laisse entendre que la comptabilité est incomplète.
Il fait valoir par ailleurs les mentions de la rectification fiscale concernant les comptes de TVA pour soutenir que l'absence de comptabilité a conduit à une proposition de rectification fiscale d'un montant de 37.049 euros.
Le ministère public indique que la comptabilité n'était pas complète puisque le bilan de l'année 2019 n'a pas été communiqué ni les grands livres balances de l'ensemble des exercices et que les éléments de l'année 2018 sont inexploitables, qu'en outre la comptabilité n'était pas sincère dès lors que la société a fait l'objet d'une proposition de rectification pour la période du 1er septembre 2016 au 31 août 2019 et il considère ainsi que la faute de gestion est caractérisée.
Sur ce
Les exercices de la société [17] vont du 1er septembre au 31 août.
La comptabilité 2017-2018 a été remise sur format dématérialisé et le fait que le support soit inexploitable ne permet pas de retenir ni qu'elle n'existe pas, ni qu'elle n'a pas été remise par le dirigeant. En outre une nouvelle version exploitable a été transmise dans le cadre de la présente instance.
Contrairement à ce que soutiennent le ministère public et le liquidateur judiciaire, la comptabilité n'était pas in-sincère puisque c'est à l'examen de celle-ci que l'administration fiscale a effectué des rectifications concernant la TVA démontrant par la même que la comptabilité était probante et fidèle. En réalité c'est la façon dont ont été traitées certaines opérations en ce que leur traitement n'était pas conformes à la réglementation fiscale, qui a donné lieu à la rectification fiscale.
Celle-ci démontre par ailleurs que la comptabilité pour l'exercice 2016-2017 existait bien qu'elle n'ait pas été remise au liquidateur judiciaire.
S'agissant des comptes 2018-2019 ils n'ont pas été remis, ni aucun élément comptable (grands livres, journal) et Monsieur [E] n'apporte aucune explication et ne précise pas en particulier s'ils étaient en cours de réalisation par son expert-comptable.
La faute est donc constituée en ce que Monsieur [E] n'a pas produit les éléments comptables, même inachevés pour l'exercice 2018-2019.
Le fait pour le dirigeant de ne pouvoir verser aucune pièce comptable relevant de l'exercice venant de s'écouler constitue une faute. Le défaut de comptabilité a un lien direct avec l'insuffisance d'actif dans la mesure où son absence prive le dirigeant d'un outil essentiel au pilotage de son entreprise.
Sur le montant
Monsieur [E] fait valoir sa situation personnelle professionnelle et ses revenus. Il indique qu'il a procédé à divers remboursements suite à la liquidation judiciaire de l'entreprise pour un montant de 166.630 euros. Il précise qu'il a cédé sa résidence à [Localité 15] pour procéder au règlement de ses dettes et acquérir avec l'aide de son fils un bien plus petit. Il fait valoir son âge, et la nécessité de ne pas obérer son avenir de façon disproportionné indiquant que la contribution au passif est déjà de plus de 100.000 euros et qu'il ne pourra assumer une condamnation à hauteur de 100.000 euros alors qu'il a déjà de très nombreux échéanciers en cours auprès des banques.
Le liquidateur judiciaire expose que la gravité des fautes reprochées doivent conduire la cour à infirmer le jugement et à condamner Monsieur [E] au paiement de l'insuffisance d'actif d'un montant de 731.992,26 euros.
Le ministère public expose qu'au regard du nombre important de fautes de gestion caractérisées dont certaines dans un intérêt personnel, du montant de l'insuffisance d'actif et du patrimoine de Monsieur [E] une condamnation au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif à hauteur de 100.000 euros n'apparaît pas disproportionnée.
Sur ce
Quatre fautes ont été retenues à l'encontre de Monsieur [E]. Trois fautes démontrent surtout que Monsieur [E] a commis des erreurs dans la gestion de son entreprise, après que des difficultés soient survenues liées à l'augmentation des dépenses d'un marché de construction de maison individuelle. Monsieur [E] explique que le contrat a été passé alors que le marché était très agressif et qu'en raison de l'augmentation du coût des matières premières et compte tenu du prix fixe du contrat la perte sur cette construction a été de plus de 200.000 euros. Monsieur [E] a cru qu'il pouvait rétablir la situation financière de son entreprise.
S'agissant de la faute consistant dans le fait d'avoir fait des biens de l'entreprise un usage contraire à son intérêt et dans son intérêt personnel, cette faute est constitutive d'un comportement répréhensible susceptible d'une qualification pénale et est de ce fait plus grave. Elle a participé à l'insuffisance d'actif pour une somme de 26.981 euros.
Si Monsieur [E] règle aujourd'hui certaines dettes de la société c'est en raison du fait qu'il est caution du prêt bancaire souscrit par la société comme du contrat d'affacturage.
Il est également souligné que le fait que Monsieur [E] ait réglé l'imposition personnelle issue de la rectification fiscale ne constitue pas par ailleurs une participation au paiement du passif de la société.
Pour autant quand bien même le règlement des créances [10] s'expliquent par les engagements de caution Monsieur [E] participe ainsi au paiement des dettes de la société et aura réglé s'il poursuit son effort une somme de plus de 100.000 euros.
Lorsque la société a rencontré des difficultés il a renoncé pendant plusieurs mois à son salaire pour réduire les charges.
Monsieur [E] est âgé de 66 ans, il continue à travailler au regard des dettes dont il doit assurer le paiement, son revenu est de 2000 euros par mois.
Au regard de l'ensemble de ces éléments il convient de le condamner à contribuer à l'insuffisance d'actif pour une somme de 30.000 euros.
Cette somme portera intérêt mais il ne convient pas de prévoir la capitalisation des intérêts qui est de nature à augmenter de façon disproportionnée la sanction prononcée alors que par ailleurs l'intérêt qui est calculé sur la condamnation suffit à réparer le préjudice né du retard de paiement.
Sur la sanction personnelle
Monsieur [E] ne demande pas l'infirmation du jugement sur la sanction prononcée d'interdiction de gérer de telle sorte que la cour n'est pas saisie d'un appel concernant ladite sanction.
Sur les autres demandes
Il est inéquitable de laisser le liquidateur supporter les frais irrépétibles engagés pour sa défense et il convient à ce titre de confirmer la décision de première instance en ce qu'elle lui a accordé la somme de 4000 euros.
Les dépens sont mis à la charge de Monsieur [E].
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement rendu le 22.05.2024 par le tribunal de commerce de Créteil sauf s'agissant du montant de la contribution à l'insuffisance d'actif mise à la charge de Monsieur [E] et de la capitalisation des intérêts
et statuant à nouveau et y ajoutant
condamne Monsieur [E] à payer à la Selarl [30] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [17] la somme de 30.000 euros en contribution à l'insuffisance d'actif
rejette la demande de capitalisation des intérêts
condamne Monsieur [E] aux dépens.
LA GREFFIERE LA CONSEILLERE POUR LA PRESIDENTE EMPECHEE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 9
ARRÊT DU 1ER OCTOBRE 2025
(n° , 12 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/10738 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJSVQ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Mai 2024 - Tribunal de Commerce de CRÉTEIL - RG n° 2023L00363
APPELANT
M. [Z], [O] [E]
Né le [Date naissance 3] 1959 à [Localité 21] (75)
[Adresse 1]
[Localité 27]
Représenté par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480
INTIMÉE
S.E.L.A.R.L. [26] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [17]
[Adresse 5]
[Localité 7]
Immatriculée au RCS de CRETEIL sous le n° [N° SIREN/SIRET 4]
Représentée par Me Karim BENT-MOHAMED de la SELEURL KARIM BENT-MOHAMED, avocat au barreau de PARIS
Assistée par Me Antonin FRAGNE, avocat au barreau de PARIS, K006
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 05 Juin 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
Sophie MOLLAT, Présidente
Caroline TABOUROT, Conseillère
Isabelle ROHART, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Yvonne TRINCA
MINISTERE PUBLIC :
L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par M. COUDERC, qui a fait connaître son avis.
ARRÊT :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Caroline TABOUROT, Conseillère pour la présidente empêchée, et par Yvonne TRINCA, greffier présent lors de la mise à disposition.
Exposé des faits et de la procédure
La société [17] exerçait une activité de construction et principalement de maisons individuelles.
Son président était Monsieur [Z] [E] depuis le 28.10.2011 date de son début d'activité. Monsieur [E] était également l'actionnaire majoritaire de la société pour détenir 9000 actions sur 10.000, les 1000 autres actions étant détenues par Monsieur [Y] [E].
Par jugement en date du 26.02.2020 le tribunal de commerce de Créteil, saisi sur déclaration de cessation des paiements du débiteur en date du 7.02.2020 a ouvert une procédure de liquidation judiciaire au bénéfice de la société et a désigné la SELARL [26] prise en la personne de Me [H] en qualité de mandataire judiciaire.
La date de cessation des paiements a été fixée au 1.09.2019.
Le liquidateur judiciaire a fait assigner Monsieur [E] devant le tribunal de commerce de Créteil pour le voir condamner au titre de sa responsabilité pour l'insuffisance d'actif à payer une somme de 731.992,26 euros et en sanction personnelle.
Par jugement en date du 22.05.2024 le tribunal de commerce de Créteil a:
Condamné M. [Z] [O] [M] [E] à payer la somme de 100.000,00 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 23 février 2023, à la SELARL [26] prise en la personne de Me [G] [H], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [17], au titre de sa contribution a l'insuffisance d'actif et débouté la demanderesse pour le surplus de sa demande,
Ordonné la capitalisation des intérêts à compter du 23 février 2023, pourvu que ceux-ci soient dus au moins pour une année entière.
Condamné M. [Z] [O] [M] [E], à une mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci à l'exception de la société [23] (RCS CRETEIL [N° SIREN/SIRET 6]), et en a fixé la durée à 5 ans,
Condamné M. [Z] [O] [M] [E] à payer à la SELARL [26] prise en la personne de Me [G] [H], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [17], une somme de 4.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et débouté la demanderesse pour le surplus.
Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,
Dit qu'en application des articles L128-1 et suivants et R128-1 et suivants du code de commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au fichier national des interdits de gérer, dont la tenue est assurée par le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce,
Condamné M. [Z] [O] [M] [E] aux entiers dépens de l'instance.
Le tribunal a d'abord établi le montant de l'insuffisance d'actif en statuant sur un certain nombre de créances contestées par Monsieur [E] pour en écarter certaines et a retenu une insuffisance d'actif de 638.127,91 euros.
Puis le tribunal a retenu:
- s'agissant de la responsabilité pour insuffisance d'actif les fautes suivantes
- d'avoir omis de déclarer la cessation des paiements dans le délai légal de 45 jours, ce qui est à l'origine d'une aggravation du passif de 134.705,79 euros sur la période du 15.10.2019 au 26.02.2020
- d'avoir réglé avec retard le paiement des cotisations sociales
- d'avoir fait des biens ou du crédit de la société un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles
- d'avoir tenu une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière
- s'agissant de la sanction d'interdiction de gérer les griefs suivants:
- d'avoir fait des biens ou du crédit de la société un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles
- l'absence de comptabilité régulière
- d'avoir sciemment omis de demander l'ouverture d'une procédure collective
Monsieur [E] a formé appel le 11.06.2024 intimant la SELARL [26] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [17].
Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 8.03.2025 Monsieur [E] demande à la cour de :
INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Créteil du 22 mai 2024 à l'encontre de Monsieur [Z] [E] en ce qu'il a :
- Condamné Monsieur [E] à payer la somme de 100 000 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 23 février 2023 à la SELARL [26] prise en la personne de Maître [H] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [17], au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif;
- ordonné la capitalisation des intérêts à compter du 23 février 2023, pourvu que ceux-ci soient dus au moins pour une année entière;
- Condamné Monsieur [E] à payer la somme de 4 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile à la SELARL [26] prise en la personne de Maître [H] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [17];
- Ordonné l'exécution provisoire;
- Condamné Monsieur [E] aux dépens
STATUANT A NOUVEAU :
- PRENDRE ACTE des règlements d'ores et déjà effectués par Monsieur [E] dans le cadre de ses engagements de caution
- PRENDRE ACTE que l'insuffisance d'actif est inférieure à celle invoquée par le mandataire judiciaire compte tenu :
o Des paiements réalisés par M. [E] auprès des établissements bancaire
o Des factures de sous-traitance indues
o De la surestimation de la créance de l'URSSAF du fait que M. [Z] [E] n'a pas perçu sa rémunération depuis le mois de septembre 2019
- JUGER que Monsieur [Z] [E] n'a tiré aucun intérêt personnel à la poursuite de l'activité de la société [17] compte tenu de la baisse de rémunération, voir la non perception et de ses engagements de caution
- JUGER que Monsieur [Z] [E] disposait d'une comptabilité régulière sincère et véritable et que l'administration fiscale n'a pas rejeté la comptabilité
EN CONSÉQUENCE :
- DÉBOUTER Maître [H] de sa demande de condamnation à hauteur de 731.992,26 €
- DIRE qu'il n'y a pas lieu de condamner Monsieur [E] à une contribution à l'insuffisance d'actif eu égard à ses nombreux règlements en qualité notamment de caution et DÉBOUTER en conséquence Maître [H]
- DÉBOUTER Maître [H] de sa demande en condamnation de faillite personnelle
- DIRE qu'il n'y a lieu à article 700 du code de procédure civile
Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 10.12.2024 la SELARL [26] ès qualités demande à la cour de :
- CONFIRMER le jugement du 22 mai 2024 rendu par le Tribunal de commerce de Créteil en ce qu'il a :
' Ordonné la capitalisation des intérêts à compter du 23 février 2023, pourvu que ceux-ci soient dus au moins pour une année entière.
' Condamné Monsieur [Z] [O] [M] [E], né le [Date naissance 3] 1959 à [Localité 22], de nationalité française, demeurant [Adresse 2] à [Localité 27], à une mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci à l'exception de la société [23] (RCS CRETEIL 914 26 77), et fixé la durée à 5 ans. ' Condamné Monsieur [Z] [O] [M] [E] à payer à la SELARL [26], prise en la personne de Maître [G] [H], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [17], une somme de 4.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et débouté la demanderesse pour le surplus.
' Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.
' Condamné Monsieur [Z] [O] [M] [E] aux entiers dépens de l'instance.
- INFIRMER le jugement du 22 mai 2024 rendu par le Tribunal de commerce de Créteil en ce qu'il a :
' Condamné Monsieur [Z] [O] [M] [E] à payer la somme de 100.000,00 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 23 février 2023, à la SELARL [26] prise en la personne de Maître [G] [H], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [17], au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif et déboute la demanderesse pour le surplus de sa demande.
Et statuant à nouveau :
- JUGER que l'insuffisance d'actif de la SAS [17] s'élève à la somme de 731 992,26 euros sauf à parfaire ;
- JUGER qu'il apparaît avec évidence que l'actif de la SAS [17] sera insuffisant pour payer le passif ;
- JUGER que Monsieur [E] a commis plusieurs fautes de gestion à savoir notamment :
(i). L'omission de déclarer la cessation des paiements dans le délai légal de quarante-cinq (45) jours ; et
(ii). Le retard du paiement des cotisations sociales et en la commission d'une infraction pénale. (iii). La poursuite abusive, dans un intérêt personnel, d'une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la SAS [17];
(iv). Le fait d'avoir fait des biens ou du crédit de la SAS [17] un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ;
(v). Le défaut de tenue d'une comptabilité régulière, sincère et véritable.
- JUGER que les fautes commises par Monsieur [E] ont contribué directement à l'insuffisance d'actif ;
En conséquence :
- CONDAMNER Monsieur [E] à payer à Maître [G] [H], ès qualités, la somme de 731 992,26 euros sauf à parfaire, en application des dispositions de l'article L. 651-2 du Code de commerce, avec intérêts au taux légal de droit, conformément à l'article 1344-1 du Code civil ;
Par avis du 19.02.2025, le ministère public invite la cour à confirmer la décision du 22.05.2024 en ce qu'elle a condamné Monsieur [E] à une interdiction de gérer de 5 ans à l'exclusion de la société [23] et à contribuer à l'insuffisance d'actif à hauteur de 100.000 euros.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif
Sur le montant de l'insuffisance d'actif :
Monsieur [E] fait valoir que le passif n'a pas été vérifié, qu'il ne peut lui être fait le reproche de n'avoir pas fourni tous les éléments lors du premier rendez vous fixé à l'étude du liquidateur dans la mesure où il ignorait alors les déclarations de créance qui seraient ultérieurement reçues et ne pouvait donc de façon anticipée y répondre, qu'en raison certainement du contexte sanitaire lié à la crise du Covid 10 il n'y a jamais eu de demandes du liquidateur judiciaire au titre des créances déclarées, jusqu'à réception de l'assignation.
Il indique que, bien que le passif n'ait pas été contesté, de très nombreuses sommes ont été admises au passif de façon injustifiée.
Il conteste ainsi les déclarations de créance de la société [9], de la société [8], de Monsieur [S], d'[13] concernant le chantier [S], de la société [18], de la société [32], de la société [31], de l'URSSAF, de la société [25].
Concernant les créances de [10] et de [11] il fait valoir qu'il s'est porté caution personnelle de ces deux dettes et les rembourse actuellement, ce dont il justifie.
Il conclut que le montant de l'insuffisance d'actif doit être limité aux créances qui ont été justifiées par le liquidateur déduction faite de toutes les contestations.
Le liquidateur judiciaire expose qu'aucun passif n'a été contesté et que le jugement ne peut revenir sur la vérification du passif, créance par créance, avec les éléments de contestation fournis par Monsieur [E], pour tenter de couvrir sa carence dans la transmission des éléments en temps voulu.
Le ministère public expose que le passif n'ayant pas été contesté durant la liquidation il ne peut plus être remis en cause dans le cadre de cette instance, qu'aucun actif n'a été réalisé, que l'insuffisance d'actif est certaine et s'élève à la somme de 731.992,96 euros.
Sur ce
Aucun élément n'est produit aux débats établissant que les créances déclarées au passif de la société [17] ont fait l'objet d'une vérification conformément aux dispositions de l'article L.624-1 du code de commerce et en particulier que le liquidateur judiciaire a sollicité les observations du débiteur sur les créances déclarées.
Ainsi aucune contestation de Monsieur [E] n'a pu être prise en compte.
Il en résulte que le passif présenté n'est pas établi de façon certaine pour les créances contestées par l'appelant dans la présente procédure.
Il n'appartient pas au juge de la sanction de statuer sur le bien fondé des contestations dans la mesure où cet examen ne peut avoir lieu qu'en présence du créancier. Il convient par contre de constater que des créances déclarées sont contestées à hauteur de 65.633,41 euros et de les déduire du montant du passif déclaré.
Par ailleurs Monsieur [E] fait valoir qu'il est en cours de règlement de la créance de [10] s'agissant du solde du compte courant au titre de son cautionnement et il produit aux débats un relevé établissant que sur la créance initialement déclarée de 62.819,81 euros il était redevable au 11.09.2024 de la somme de 24.763,15 euros. Depuis les versements se sont poursuivis faisant encore baisser le montant du passif de la société liquidée sans cependant que le montant soit actualisé. Il est de ce fait retenu au titre de la créance de la [10] la somme de 24.763,15 euros. Il est donc déduit la somme de 38.056,66 euros du passif déclaré.
Monsieur [E] rapporte également la preuve qu'il règle chaque mois une mensualité en paiement de la somme due à la [11] déclarée à hauteur de 76.325,91 euros. Il y a lieu de souligner que l'huissier de justice indique dans un relevé de compte en date du 22.06.2022 que le principal du était de 25.106,25 euros. Depuis des versements ont été effectués à hauteur de 170 euros par mois depuis juin 2022. La créance n'ayant pas été actualisée il est retenu la somme de 25.106,25 euros. Il est donc déduit la somme de 51.219,66 euros du passif déclaré.
Le passif s'établit donc à la somme de 577.083,23 euros.
Aucun actif n'ayant été réalisé, l'insuffisance d'actif s'élève au montant du passif.
Sur le retard dans la déclaration de l'état de cessation des paiements :
Monsieur [E] expose que le jugement d'ouverture a fixé la date de cessation des paiements au 01.09.2019, qu'il avait donc jusqu'au 15.10.2019 pour procéder à la déclaration de cessation des paiements, qu'il a déclaré celle-ci le 9.02.2020, date à retenir en lieu et place de la date du jugement.
Il fait valoir que pendant cette période il n'a perçu aucune rémunération.
Le liquidateur judiciaire soutient que l'appréciation de l'état de cessation des paiements se faisant au jour où la juridiction statue et non pas au jour de l'assignation il ne saurait être retenu la date du 9.02.2020 mais la date du 26.02.2020 pour déterminer l'aggravation du passif.
Le ministère public fait valoir que Monsieur [E] avait jusqu'au 15.10.2019 pour déclarer l'état de cessation des paiements et n'a déposé celui-ci que le 7.02.2020 (sic), que le dirigeant avait nécessairement connaissance des difficultés de l'entreprise et que c'est de manière intentionnelle qu'il n'a pas déposé le bilan plus tôt, que cette faute de gestion est caractérisée et que le ministère public s'en rapporte sur le montant de l'aggravation du passif.
Sur ce
Il n'est pas contesté que contrairement aux dispositions de l'article L.631-4 du code de commerce Monsieur [E] a déclaré tardivement son état de cessation des paiements auprès du tribunal de commerce puisqu'il a effectué cette déclaration le 9.02.2020 alors qu'il aurait du effectuer cette déclaration au plus tard le 15.10.2019, au regard de la date de cessation des paiements retenue par le tribunal dans le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire qui est le 1.09.2019.
Monsieur [E] connaissait la situation de son entreprise comme il le reconnaît lui-même dans ses conclusions indiquant qu'il espérait décrocher un contrat suite à un appel d'offre qui lui aurait permis de préserver l'activité.
La faute est donc établie.
S'agissant de l'insuffisance d'actif qui correspond à ce retard dans la déclaration de cessation des paiements elle doit être évaluée entre le 15.10.2019 et la date de déclaration de cessation des paiements le 9.02.2020, et non le jour du jugement, le 26.02.2020 dans la mesure où la faute réside dans la déclaration tardive et que le délai qui s'est écoulé entre le 9.02.2020 et le 26.02.2020 n'est pas de la responsabilité du débiteur.
Au regard des déclarations de créance effectuées et des créances contestées qui ne peuvent être incluses dans ce calcul, sont retenues au titre de l'aggravation du passif pendant cette période:
Agirc Arrco: 18.467 euros,
[10]: 23.420 euros au titre de la retenue de garantie mobilisée le 8.02.2020. S'agissant du solde débiteur il n'est pas établi que celui-ci a été créé ou a augmenté entre le 15.10.2019 et le 9.02.2020 de telle sorte qu'il ne convient pas de le retenir au titre de l'aggravation du passif.
[11]: 24.775,20 euros au titre d'une facture affacturée le 22.10.2019 ayant pour échéance le 15.11.2019
Caisse nationale des entrepreneurs de travaux publics: 233,26 euros
[12]: 201 euros
DGFIP: la taxe sur les voitures particulières étant pour l'année entière seules les mois de novembre et décembre ont participé au passif né entre le 15.10.2019 et le 31.12.2019 soit la somme de 325,16,
prélèvements à la source: 3281 euros
La CFE 2019 n'est pas en lien avec la poursuite de l'activité en novembre et décembre s'agissant d'une taxe annuelle.
[16]: il y a lieu de déduire le kilométrage supplémentaire calculé lors de la restitution du véhicule Kangoo qui a concerné l'intégralité de la période de location et non seulement les mois de novembre à février et aurait été dû quand bien même la déclaration de cessation des paiements aurait été faite le 15.10.2019. Il est retenu au titre de la créance [16] 5154,13 euros
[19]: après vérification le montant des loyers ayant couru depuis le 15.10 s'élève à 992,86 euros
[20]: 338,56 euros
[24]: 48,96 euros
[28]: 1003, 57 euros
[29]: 4120,31 euros
Urssaf: la contestation sur février implique de limiter le montant de l'insuffisance d'actif découlant de l'absence de déclaration de cessation des paiements le 15.10.2019 à la somme de 9.259 euros.
Le montant total de l'insuffisance d'actif créée par le retard dans la déclaration de cessation des paiements s'élève donc à 91.620,01 euros.
Sur la poursuite abusive d'une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements :
Monsieur [E] conteste toute intention délibérée et il fait valoir que s'il a tardé à déclarer cet état de cessation des paiements il ne l'a pas fait sciemment mais parce qu'il était dans l'attente d'un nouveau contrat qui aurait permis de préserver son entreprise.
Il rappelle qu'il a procédé à une augmentation de capital d'un montant de 100.000 euros en 2016 trois ans avant la déclaration de l'état de cessation des paiements.
Le liquidateur judiciaire expose que la cessation des paiements était acquise bien avant la date retenue par le tribunal au vu de l'ancienneté des créances telles que la TVA de 2017, l'absence de paiement de l'impôt sur les sociétés du depuis septembre 2016, l'absence de paiement de cotisations sociales dues depuis le 31.10.2017 et que le débiteur en avait parfaitement connaissance, de telle sorte qu'il a commis une faute en omettant sciemment de procéder à la déclaration de cessation des paiements.
Le ministère public expose que le tribunal de commerce n'a pas retenu cette faute alors que celle-ci est caractérisée et doit être retenue au regard du fait que les difficultés de l'entreprise étaient bien antérieures à la date de cessation des paiements retenue par le tribunal et que le dirigeant a poursuivi l'activité alors que la société, ce qu'il ne pouvait ignorer, ne payait plus la TVA depuis 2017 pour un montant de 129.524 euros ni l'impôt sur les sociétés pour un montant de 35.926 € à compter de septembre 2016 ni les cotisations sociales depuis le 31 octobre 2017 auprès de l'Agirc pour un montant de 53.481 euros.
sur ce
Comme retenu par le tribunal, malgré le fait que certaines créances sont anciennes, s'agissant de créances fiscales et sociales, la preuve n'est pas rapportée par le liquidateur judiciaire qu'avant la date retenue par le tribunal, un état de cessation des paiements existait dont le débiteur aurait eu parfaitement conscience, puisqu'aucun élément sur la situation de la société aux dates des premiers impayés n'est produite aux débats.
Il n'est pas plus rapporté la preuve que connaissant les impayés de la société, Monsieur [E] était conscient que la situation de la société ne pouvait pas s'améliorer, le seul fait que celle-ci soit redevable de créances ne rapportant pas cette preuve.
Il n'est donc pas établi que Monsieur [E] a poursuivi l'activité de la société alors qu'il savait que celle-ci était irrémédiablement compromise.
Au contraire il ressort des éléments du dossier que Monsieur [E] a cru que son entreprise pouvait être sauvée par la signature de nouveaux marchés de travaux, et a pris des mesures pour alléger les charges dont la décision de ne plus percevoir de rémunération à compter de septembre 2019 et que le dépôt tardif de la déclaration de cessation des paiements relève d'abord de la difficulté qu'il a rencontré à prendre la mesure de la réalité de la situation.
Sur le retard dans le paiement des cotisations Urssaf et commission d'une infraction pénale :
Le liquidateur judiciaire expose que le défaut de précompte salarial par l'employeur constitue une faute pénale et partant une faute de gestion.
Le ministère public expose que des cotisations Urssaf n'ont pas été réglées pour un montant de 17.617,26 euros dont 1270,26 euros de parts salariales, ce qui constitue une infraction pénale et partant une faute de gestion, qu'également des cotisations Agirc Arcco n'ont pas été réglées pour la somme de 53.481 euros.
Monsieur [E] ne conclut pas sur ce point.
sur ce
La société était débitrice au jour de l'ouverture de la procédure collective d'une dette auprès de l'Urssaf dont une partie, 1270 euros, consistait dans la part salariale des cotisations sociales dues.
L'absence de reversement à l'Urssaf de la part salariale des cotisations sociales constitue une infraction pénale dont est responsable son dirigeant contre lequel une faute de gestion peut ainsi être retenue.
La faute est retenue.
Sur la faute d'avoir fait des biens ou du crédit de la SAS [17] un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles :
Le liquidateur judiciaire expose qu'il ressort de la proposition de rectification fiscale que des charges concernent des factures relatives à des travaux d'électricité et de plomberie réalisés dans un manoir à [Localité 14] appartenant au dirigeant, que Monsieur [E] se serait justifié auprès de l'administration fiscale en indiquant avoir payé l'ensemble de ses travaux à la société sans lui remettre le moindre justificatif, qu'en outre la société [17] ne détient aucun compte client au nom de Monsieur [E], que dans le cadre des interrogations du liquidateur Monsieur [E] a remis des factures mais que ces factures sont établies au nom de Monsieur [E] et que celui-ci ne rapporte pas la preuve qu'il a payé à la société lesdites prestations.
Le liquidateur judiciaire indique que la proposition de rectification fiscale retient également le paiement des loyers de l'appartement loué par Monsieur [E] par la société.
Le ministère public expose que la proposition de rectification fiscale fait état de charges de sous-traitance non engagées dans l'intérêt de l'entreprise concernant des factures relatives à des travaux d'électricité et de plomberie réalisées dans un manoir près de [Localité 15] appartenant au dirigeant selon ses propres déclarations, que M. [E] ne conteste pas les faits mais oppose qu'il a été redressé à titre personnel, que par ailleurs il est apparu que des charges de loyers avaient été réglées par la société concernant un appartement situé à [Localité 27] adresse actuelle du dirigeant.
Monsieur [E] ne réplique pas sur les travaux qui ont été effectués dans la maison lui appartenant en Normandie, sauf pour indiquer que depuis il a vendu la maison pour procéder au règlement de ses dettes et acquérir avec l'aide de son fils un bien plus petit.
Il explique concernant le loyer de son appartement meublé qu'il n'a pas adressé de contestation de la proposition fiscale dans la mesure où il était en burn-out alors que ce redressement était injustifié, qu'en effet d'une part la société ne disposait pas de local professionnel mais d'une simple adresse de domiciliation et que d'autre part la prise à bail de ce petit meublé lui permettait de travailler en région parisienne au lieu de faire des allers-retours vers sa résidence principale située en Normandie et ce pour un loyer modique de 950 euros par mois. Il souligne que sa rémunération était plus faible que celle de ses chefs de chantier. Il conclut que cette charge n'était donc pas contraire à l'intérêt social mais visait à permettre au dirigeant de préserver l'intérêt social de la société en facilitant sa disponibilité sur la région parisienne où se trouvent les chantiers. Il ajoute qu'il s'est vu notifier un redressement fiscal personnel qu'il a réglé.
Sur ce
La proposition de rectification fiscale a retenu l'existence de travaux réalisés pour le compte personnel de Monsieur [E] car effectué dans son domicile en Normandie mais réglés par l'entreprise pour un montant de 22.448 euros sur l'exercice 2017 et de 4533 euros sur l'exercice 2018 et en conséquence a réintégré ces sommes dans les résultats de l'entreprise.
Monsieur [E] ne conteste pas le paiement de travaux personnels par l'entreprise et ne rapporte pas la preuve qu'il a remboursé à la société lesdits travaux.
En faisant régler par l'entreprise des travaux qui lui étaient personnels Monsieur [E] a fait des biens de l'entreprise un usage contraire à l'intérêt de celle-ci et dans son intérêt propre. La faute de gestion est donc caractérisée.
S'agissant des loyers de l'appartement meublé c'est par une juste motivation que la cour adopte que le tribunal a retenu que les loyers étaient des charges engagées dans l'intérêt de l'entreprise pour permettre au dirigeant d'être présent en région parisienne au plus près des chantiers, alors que sa résidence principale était en Normandie.
Il en résulte que l'insuffisance d'actif relevant de la faute de gestion retenu correspond à un montant de 26.981 euros.
Sur le défaut d'une comptabilité régulière, sincère et véritable :
Monsieur [E] expose que le liquidateur judiciaire indique que le fichier serait illisible, qu'il ignore la raison pour laquelle le fichier serait illisible mais fait valoir que le liquidateur ne peut soutenir que les comptes de l'exercice 2018 ne lui auraient pas été transmis.
Il souligne qu'il ressort des comptes 2018 un résultat d'exploitation positif contrairement aux exercices 2016 et 2017.
Le liquidateur judiciaire indique qu'il n'a pas pu obtenir que les bilans comptables de la société pour les exercices 2017 et 2018, que les comptes annuels de l'exercice 2018 étaient inexploitables jusqu'à la transmission d'une nouvelle version dans le cadre de la présente instance, que les bilans de l'année 2019 n'ont pas été communiqués pas plus que les grands livres et balances de l'ensemble de l'exercice ce qui laisse entendre que la comptabilité est incomplète.
Il fait valoir par ailleurs les mentions de la rectification fiscale concernant les comptes de TVA pour soutenir que l'absence de comptabilité a conduit à une proposition de rectification fiscale d'un montant de 37.049 euros.
Le ministère public indique que la comptabilité n'était pas complète puisque le bilan de l'année 2019 n'a pas été communiqué ni les grands livres balances de l'ensemble des exercices et que les éléments de l'année 2018 sont inexploitables, qu'en outre la comptabilité n'était pas sincère dès lors que la société a fait l'objet d'une proposition de rectification pour la période du 1er septembre 2016 au 31 août 2019 et il considère ainsi que la faute de gestion est caractérisée.
Sur ce
Les exercices de la société [17] vont du 1er septembre au 31 août.
La comptabilité 2017-2018 a été remise sur format dématérialisé et le fait que le support soit inexploitable ne permet pas de retenir ni qu'elle n'existe pas, ni qu'elle n'a pas été remise par le dirigeant. En outre une nouvelle version exploitable a été transmise dans le cadre de la présente instance.
Contrairement à ce que soutiennent le ministère public et le liquidateur judiciaire, la comptabilité n'était pas in-sincère puisque c'est à l'examen de celle-ci que l'administration fiscale a effectué des rectifications concernant la TVA démontrant par la même que la comptabilité était probante et fidèle. En réalité c'est la façon dont ont été traitées certaines opérations en ce que leur traitement n'était pas conformes à la réglementation fiscale, qui a donné lieu à la rectification fiscale.
Celle-ci démontre par ailleurs que la comptabilité pour l'exercice 2016-2017 existait bien qu'elle n'ait pas été remise au liquidateur judiciaire.
S'agissant des comptes 2018-2019 ils n'ont pas été remis, ni aucun élément comptable (grands livres, journal) et Monsieur [E] n'apporte aucune explication et ne précise pas en particulier s'ils étaient en cours de réalisation par son expert-comptable.
La faute est donc constituée en ce que Monsieur [E] n'a pas produit les éléments comptables, même inachevés pour l'exercice 2018-2019.
Le fait pour le dirigeant de ne pouvoir verser aucune pièce comptable relevant de l'exercice venant de s'écouler constitue une faute. Le défaut de comptabilité a un lien direct avec l'insuffisance d'actif dans la mesure où son absence prive le dirigeant d'un outil essentiel au pilotage de son entreprise.
Sur le montant
Monsieur [E] fait valoir sa situation personnelle professionnelle et ses revenus. Il indique qu'il a procédé à divers remboursements suite à la liquidation judiciaire de l'entreprise pour un montant de 166.630 euros. Il précise qu'il a cédé sa résidence à [Localité 15] pour procéder au règlement de ses dettes et acquérir avec l'aide de son fils un bien plus petit. Il fait valoir son âge, et la nécessité de ne pas obérer son avenir de façon disproportionné indiquant que la contribution au passif est déjà de plus de 100.000 euros et qu'il ne pourra assumer une condamnation à hauteur de 100.000 euros alors qu'il a déjà de très nombreux échéanciers en cours auprès des banques.
Le liquidateur judiciaire expose que la gravité des fautes reprochées doivent conduire la cour à infirmer le jugement et à condamner Monsieur [E] au paiement de l'insuffisance d'actif d'un montant de 731.992,26 euros.
Le ministère public expose qu'au regard du nombre important de fautes de gestion caractérisées dont certaines dans un intérêt personnel, du montant de l'insuffisance d'actif et du patrimoine de Monsieur [E] une condamnation au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif à hauteur de 100.000 euros n'apparaît pas disproportionnée.
Sur ce
Quatre fautes ont été retenues à l'encontre de Monsieur [E]. Trois fautes démontrent surtout que Monsieur [E] a commis des erreurs dans la gestion de son entreprise, après que des difficultés soient survenues liées à l'augmentation des dépenses d'un marché de construction de maison individuelle. Monsieur [E] explique que le contrat a été passé alors que le marché était très agressif et qu'en raison de l'augmentation du coût des matières premières et compte tenu du prix fixe du contrat la perte sur cette construction a été de plus de 200.000 euros. Monsieur [E] a cru qu'il pouvait rétablir la situation financière de son entreprise.
S'agissant de la faute consistant dans le fait d'avoir fait des biens de l'entreprise un usage contraire à son intérêt et dans son intérêt personnel, cette faute est constitutive d'un comportement répréhensible susceptible d'une qualification pénale et est de ce fait plus grave. Elle a participé à l'insuffisance d'actif pour une somme de 26.981 euros.
Si Monsieur [E] règle aujourd'hui certaines dettes de la société c'est en raison du fait qu'il est caution du prêt bancaire souscrit par la société comme du contrat d'affacturage.
Il est également souligné que le fait que Monsieur [E] ait réglé l'imposition personnelle issue de la rectification fiscale ne constitue pas par ailleurs une participation au paiement du passif de la société.
Pour autant quand bien même le règlement des créances [10] s'expliquent par les engagements de caution Monsieur [E] participe ainsi au paiement des dettes de la société et aura réglé s'il poursuit son effort une somme de plus de 100.000 euros.
Lorsque la société a rencontré des difficultés il a renoncé pendant plusieurs mois à son salaire pour réduire les charges.
Monsieur [E] est âgé de 66 ans, il continue à travailler au regard des dettes dont il doit assurer le paiement, son revenu est de 2000 euros par mois.
Au regard de l'ensemble de ces éléments il convient de le condamner à contribuer à l'insuffisance d'actif pour une somme de 30.000 euros.
Cette somme portera intérêt mais il ne convient pas de prévoir la capitalisation des intérêts qui est de nature à augmenter de façon disproportionnée la sanction prononcée alors que par ailleurs l'intérêt qui est calculé sur la condamnation suffit à réparer le préjudice né du retard de paiement.
Sur la sanction personnelle
Monsieur [E] ne demande pas l'infirmation du jugement sur la sanction prononcée d'interdiction de gérer de telle sorte que la cour n'est pas saisie d'un appel concernant ladite sanction.
Sur les autres demandes
Il est inéquitable de laisser le liquidateur supporter les frais irrépétibles engagés pour sa défense et il convient à ce titre de confirmer la décision de première instance en ce qu'elle lui a accordé la somme de 4000 euros.
Les dépens sont mis à la charge de Monsieur [E].
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement rendu le 22.05.2024 par le tribunal de commerce de Créteil sauf s'agissant du montant de la contribution à l'insuffisance d'actif mise à la charge de Monsieur [E] et de la capitalisation des intérêts
et statuant à nouveau et y ajoutant
condamne Monsieur [E] à payer à la Selarl [30] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [17] la somme de 30.000 euros en contribution à l'insuffisance d'actif
rejette la demande de capitalisation des intérêts
condamne Monsieur [E] aux dépens.
LA GREFFIERE LA CONSEILLERE POUR LA PRESIDENTE EMPECHEE