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CA Lyon, 3e ch. a, 2 octobre 2025, n° 25/00617

LYON

Arrêt

Autre

CA Lyon n° 25/00617

2 octobre 2025

N° RG 25/00617 - N° Portalis DBVX-V-B7J-QELR

Décision du

Tribunal de Commerce de LYON

Au fond

du 21 janvier 2025

RG : 2025f00265

ch n°

S.A.R.L. ALT'ANCRE

C/

S.A.S. LAFARGE BETONS

S.E.L.A.R.L. MJ ALPES

LA PROCUREURE GENERALE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRET DU 02 Octobre 2025

APPELANTE :

La société ALT'ANCRE,

Société à responsabilité limitée au capital de 90.000 €, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de LYON sous le numéro 790 746 523, représentée par son Gérant

Sis [Adresse 5]

[Localité 1]

Représentée par Me Thomas COURADE de la SELARL TC AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 1109

INTIMEES :

La société LAFARGE BETONS,

Société par Actions Simplifiée au capital de 38.465.394 €, immatriculée au RCS de NANTERRE sous le numéro 414 815 043,

domiciliée [Adresse 4]

[Localité 2],

Représentée par Me Vincent DURAND de la SELARL ACTIVE AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 896

ET

La SELARL MJ ALPES,

société d'exercice libéral à responsabilité limitée au capital de 2.117 €, immatriculée au RCS de VIENNE sous le numéro [Numéro identifiant 9], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société ALT'ANCRE, désignée à ces fonctions par jugement du Tribunal des Activités Economiques en date du 21 janvier 2025, représentée par Maîtres [Z] [K] et [Z] [G]

Sis [Adresse 10]

[Localité 11]

Représentée par Me Charles CROZE de la SELARL AVOCANCE, avocat au barreau de LYON, toque : 2886

ET

Mme LA PROCUREURE GENERALE

[Adresse 3]

[Localité 8]

Prise en la personne de Monsieur Olivier NAGABBO, avocat général près la Cour d'appel de LYON

******

Date de clôture de l'instruction : 02 Septembre 2025

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 18 Septembre 2025

Date de mise à disposition : 02 Octobre 2025

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Sophie DUMURGIER, présidente

- Aurore JULLIEN, conseillère

- Viviane LE GALL, conseillère

assistés pendant les débats de Céline DESPLANCHES, greffier

A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Sophie DUMURGIER, présidente, et par Céline DESPLANCHES, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

FAITS PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

La SARL Alt'ancre a été constituée en 2013 et a pour activité les travaux de fondation et d'ancrages innovants.

Elle dispose d'un bureau d'étude, de recherche et de développement et d'équipes de construction.

Sur assignation délivrée le 27 décembre 2024 par la SAS Lafarge Bétons, se prévalant d'une créance de 25 913,34 euros en vertu d'une ordonnance d'injonction de payer rendue le 24 février 2022, le tribunal des activités économiques de Lyon, par jugement réputé contradictoire du 21 janvier 2025, a :

- constaté l'état de cessation des paiements, l'impossibilité d'un redressement et prononcé l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire de la société Alt'ancre ' [Adresse 5] ' entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée ' entreprise générale du bâtiment ' inscrit au RCS sous le numéro 790 746 523 RCS Lyon,

- fixé provisoirement au 21 juillet 2023 la date de cessation des paiements,

- désigné en qualité de juge-commissaire M. Hervé Oumedian et de juge-commissaire suppléant M. Olivier Picard,

- nommé en qualité de liquidateur judiciaire la SELARL MJ Alpes représentée par Me [Z] [G] ou Me [Z] [K] ' [Adresse 7],

- nommé en qualité de commissaire de justice la société Actaura Rhône, commissaire-priseur -[Adresse 6], aux fins de réaliser l'inventaire et la prisée prévus à l'article L.622-6 du code de commerce,

- invité les salariés de l'entreprise à élire leur représentant dans les dix jours du présent jugement,

- fixé au 21 juillet 2025 le délai au terme duquel la clôture devra être examinée,

- fixé à cinq mois à compter du présent jugement le délai dans lequel le liquidateur devra établir la liste prévue à l'article L.624-1 du code de commerce,

- dit applicable la procédure de liquidation judiciaire simplifiée prévue à l'article L.641-2 et D.641-10 du code de commerce,

- dit que dans l'hypothèse où les critères d'application de cette procédure ne seraient pas réunis, le liquidateur fera rapport au tribunal afin qu'il soit statué dans les conditions visées à l'article R.644-4 du code de commerce,

- dit que les dépens seront passés en frais privilégiés de procédure.

'

La SARL Alt'ancre a relevé appel de ce jugement, par déclaration reçue au greffe le 24 janvier 2025, portant sur l'ensemble des chefs de la décision expressément critiqués, en intimant la société Lafarge Bétons, la SELARL MJ Alpes, ès qualités, et la procureure générale.

Les parties ont été avisées de la fixation de plein droit de l'affaire à bref délai à l'audience du 18 septembre 2025, par avis du 4 février 2025.

Par ordonnance du 28 janvier 2025, la juridiction du premier président a ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire attachée au jugement de liquidation judiciaire.

Au terme de conclusions n°2 notifiées par voie dématérialisée le 1er septembre 2025, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens au soutien de ses prétentions, l'appelante demande à la cour, au visa des articles 114, 655, 656 et 693 du code de procédure civile et L.631-1 et L.640-1 du code de commerce, de :

- juger bien fondé l'appel interjeté à l'encontre du jugement rendu le 21 janvier 2025 par le tribunal des activités économiques de Lyon et,

A titre principal :

- prononcer la nullité de l'assignation du 27 décembre 2024,

en conséquence,

- prononcer la nullité du jugement rendu par le tribunal des activités économiques de Lyon le 21 janvier 2025,

A titre subsidiaire :

- réformer le jugement déféré en ce qu'il a :

' constaté l'état de cessation des paiements, l'impossibilité d'un redressement et prononcé l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire de la société Alt'ancre ' [Adresse 5] ' entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée ' entreprise générale du bâtiment ' inscrite au RCS sous le numéro 790 746 523 RCS Lyon,

' fixé provisoirement au 21 juillet 2023 la date de cessation des paiements,

' désigné en qualité de juge-commissaire M. Hervé Oumedian et de juge-commissaire suppléant M. Olivier Picard,

' nommé en qualité de liquidateur judiciaire la SELARL MJ Alpes représentée par Me [Z] [G] ou Me [Z] [K] ' [Adresse 7],

' nommé en qualité de commissaire de justice la société Actaura Rhône, commissaire-priseur -[Adresse 6] aux fins de réaliser l'inventaire et la prisée prévus à l'article L. 622-6 du code de commerce,

' invité les salariés de l'entreprise à élire leur représentant dans les dix jours du présent jugement,

' fixé au 21 juillet 2025 le délai au terme duquel la clôture devra être examinée,

' fixé à cinq mois à compter du présent jugement le délai dans lequel le liquidateur devra établir la liste prévue à l'article L.624-1 du code de commerce,

' dit applicable la procédure de liquidation judiciaire simplifiée prévue à l'article L.641-2 et D.641-10 du code de commerce,

' dit que dans l'hypothèse où les critères d'application de cette procédure ne seraient pas réunis, le liquidateur fera rapport au tribunal afin qu'il soit statué dans les conditions visées à l'article R.644-4 du code de commerce,

' dit que les dépens seront passés en frais privilégiés de procédure,

Statuant à nouveau :

- juger qu'elle n'est pas en état de cessation des paiements,

- rejeter la demande d'ouverture d'une procédure collective à son encontre,

A titre très subsidiaire,

- juger qu'elle justifie de perspectives de redressement et prononcer l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à son bénéfice,

En tout état de cause,

- rejeter toutes fins, moyens ou prétentions contraires,

- juger ce que de droit sur les dépens.

Au terme de conclusions d'intimée notifiées par voie dématérialisée le 15 mai 2025, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens au soutien de ses prétentions, la SELARL MJ Alpes, ès qualités, demande à la cour, au visa des articles L.631-1 et L.640-1 du code de commerce, de :

- juger recevables et fondées ses demandes, ès qualités,

- apprécier la demande de nullité afférente au jugement ayant prononcé l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire de la société Alt'ancre,

- sur le fond, réformer le jugement entrepris,

- statuant à nouveau, ouvrir une procédure de redressement judiciaire,

- employer les dépens en frais privilégiés de la procédure.

Bien qu'ayant constitué avocat, la société Lafarge Bétons n'a pas notifié de conclusions et n'a pas réglé le droit fixe de procédure.

Par message RPVA du 20 mai 2025, elle a fait savoir que la créance qu'elle détenait à l'encontre de la société Alt'Ancre, qui avait motivé sa demande d'ouverture d'une procédure collective, ayant conduit à l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire l'encontre de celle-ci, a été intégralement réglée.

Le ministère public, par observations notifiées par RPVA le 7 mai 2025, sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il a prononcé la liquidation judiciaire de la société Alt'Ancre et, selon les éléments produits permettant d'apprécier l'état de cessation des paiements au jour de l'arrêt, sollicite le prononcé d'un redressement judiciaire ou d'un non-lieu à procédure collective.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 2 septembre 2025, les débats étant fixés au 18 septembre 2025.

SUR CE

Sur la nullité de l'exploit introductif d'instance

Se fondant sur les articles 655 et 656 du code de procédure civile, la société appelante conclut à la nullité de l'assignation que lui a délivrée la société Lafarge Bétons au motif que l'avis de passage du commissaire de justice n'a pas été déposé dans sa boîte aux lettres, en violation de l'article 656 du code de procédure civile.

Elle fait valoir, qu'aux termes du procès-verbal de signification de l'assignation, le commissaire de justice a indiqué que, dans l'impossibilité de signifier l'acte à personne, il a laissé un avis de passage au domicile, conformément à l'article 656 du code de procédure civile, mais qu'elle n'a jamais retrouvé de courrier dans sa boîte aux lettres et a constaté qu'une boîte aux lettres sans nom, présente devant l'entrée de l'immeuble, comportait de nombreux courriers.

Elle précise que la régie lui a confirmé que cette boîte n'était pas attribuée, ce qu'a pu constater Me [T], commissaire de justice, le 11 mars 2025, qui a procédé à l'ouverture de cette boîte aux lettres dans laquelle il a retrouvé l'avis de passage prétendument laissé dans sa boîte par la SELARL Huissiers Réunis, et qui a également constaté que sa boîte aux lettres se trouvait dans le hall de l'immeuble et qu'un pass Vigik était nécessaire pour ouvrir la porte.

Elle considère qu'en déposant l'avis de passage prescrit par l'article 656 du code de procédure civile dans une boîte aux lettres ne lui appartenant pas, l'huissier a méconnu ces dispositions légales prescrites à peine de nullité, en lui reprochant de ne pas avoir effectué les vérifications suffisantes pour s'assurer qu'elle était bien la propriétaire de la boîte aux lettres dans laquelle il a laissé l'avis de passage.

Elle prétend que cette violation des dispositions légales lui a causé un grief évident, n'ayant pas pu comparaître à l'audience du tribunal des activités économiques du 21 janvier 2025, ni présenter ses moyens de défense.

Elle conclut en conséquence à la nullité du jugement, l'annulation de l'acte introductif d'instance ne permettant pas à l'effet dévolutif de l'appel d'opérer.

La SELARL MJ Alpes, ès qualités, s'en rapporte à l'appréciation de la cour sur la demande de nullité du jugement, connaissance prise des conclusions et pièces produites par l'appelante.

L'article 654 du code de procédure civile énonce que la signification doit être faite à personne et que la signification à une personne morale est faite à personne lorsque l'acte est délivré à son représentant légal, à un fondé de pouvoir de ce dernier ou à toute autre personne habilitée à cet effet.

L'article 690 du même code précise que la notification destinée à une personne morale de droit privé est faite au lieu de son établissement qui s'entend comme le lieu de son siège social.

Enfin, selon l'article 656 du code de procédure civile, si personne ne peut ou ne veut recevoir la copie de l'acte et s'il résulte des vérifications faites par le commissaire de justice, dont il sera fait mention dans l'acte de signification, que le destinataire demeure bien à l'adresse indiquée, la signification est faite à domicile.

Dans ce cas, le commissaire de justice laisse au domicile ou à la résidence de celui-ci un avis de passage conforme aux prescriptions du dernier alinéa de l'article 655. Cet avis mentionne, en outre, que la copie de l'acte doit être retirée dans le plus bref délai à l'étude du commissaire de justice, contre récepissé ou émargement, par l'intéressé ou par toute personne spécialement mandatée.

Il n'est pas contesté que la signification de l'assignation destinée à la société Alt'ancre a bien été faite au lieu de son siège social situé [Adresse 5], dont la certitude était caractérisée, selon les vérifications faites par la SELARL Huissiers Réunis, par la présence du nom du destinataire de l'acte sur la porte de l'appartement et l'enseigne.

A cette adresse, la signification à la personne même du destinataire s'est toutefois avérée impossible car les locaux étaient fermés lors du passage du commissaire de justice le 27 décembre 2024.

Maître [Y] [B], commissaire de justice à [Localité 12], a mentionné sur le procès-verbal de signification, avoir déposé la copie de l'acte en son étude sous enveloppe fermée ne portant d'autre indication que d'un côté, les nom et adresse du destinataire de l'acte et de l'autre côté, le cachet du commissaire de justice apposé sur la fermeture du pli, et avoir laissé un avis de passage au domicile conformément à l'article 656 du code de procédure civile.

Cependant, il résulte des pièces produites par l'appelante, et notamment du procès-verbal de constat établi le 11 mars 2025 par Me [T], commissaire de justice à [Localité 11], que la boîte aux lettres encastrée dans le mur de l'immeuble situé [Adresse 5] ne comporte aucun nom, ce qui ressort clairement des photographies n°1 et 2 annexées à l'acte, alors que l'immeuble est un immeuble collectif, ce qui est confirmé par l'ensemble des boîtes aux lettres situé dans le hall d'accueil et que l'huissier ne pouvait pas manquer de constater au vu de son aspect extérieur.

Me [T] a également constaté que la boîte aux lettres sans nom était pleine et, après avoir procédé à son ouverture à l'aide d'un passe, qu'il y avait beaucoup de courriers, dont un colis qui n'était pas destiné à la société Alt'ancre, et il en a extrait l'avis de passage émanant de la SELARL Huissiers Réunis, daté du 27 décembre 2024, mentionnant que l'acte concerné par cet avis est une assignation.

Il a enfin constaté que la boîte aux lettres de la société Alt'ancre est située dans le hall d'accueil de l'immeuble et qu'un pass Vigik est nécessaire pour ouvrir la porte.

En laissant l'avis de passage dans une boîte aux lettres qui ne comportait aucun nom alors que le lieu du siège social de la société destinataire de l'assignation se trouvait dans un immeuble collectif, ce qu'il ne pouvait ignorer, le commissaire de justice instrumentaire n'a pas satisfait aux exigences de l'article 656 du code de procédure civile qui lui imposaient de laisser l'avis au domicile de la société Alt'ancre.

Les prescriptions de l'article 656 doivent être observées à peine de nullité en application de l'article 693 du code de procédure civile.

La nullité des notifications est régie par les dispositions qui gouvernent la nullité des actes de procédure, soit les articles 112 et suivants du code de procédure civile, et il est admis en jurisprudence que l'inobservation des règles prescrites par l'article 656 est constitutive d'un vice de forme.

En l'espèce, la société Alt'ancre justifie d'un grief puisque l'irrégularité entachant la délivrance de l'acte introductif d'instance ne lui a pas permis d'être présente ni de se défendre à l'audience de procédure collective à l'issue de laquelle a été ouverte sa liquidation judiciaire, par un jugement réputé contradictoire.

La nullité de l'assignation du 27 décembre 2024 doit ainsi être prononcée tout comme celle du jugement rendu le 21 janvier 2025, qui en résulte.

Si, en application de l'article 562 du code de procédure civile, la dévolution s'opère pour le tout lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement, la dévolution pour le tout ne peut s'opérer si le premier juge n'a pas été valablement saisi et que l'appelant n'a pas conclu au fond à titre principal, comme en l'espèce, et la cour n'a pas le pouvoir de statuer sur le fond.

Sur les dépens

Chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens exposés en première instance et en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Annule l'acte introductif d'instance délivré le 27 décembre 2024 par la SAS Lafarge Bétons à la SARL Alt'ancre,

Annule le jugement rendu le 21 janvier 2025 par le tribunal des activités économiques de Lyon,

En l'absence de dévolution pour le tout, dit que la cour n'a pas le pouvoir de statuer sur le fond,

Laisse à chacune des parties ses propres dépens de première instance et d'appel.

La greffière La présidente

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