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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch. civ., 2 octobre 2025, n° 22/01695

BORDEAUX

Arrêt

Autre

CA Bordeaux n° 22/01695

2 octobre 2025

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

2ème CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 02 OCTOBRE 2025

N° RG 22/01695 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-MUPJ

[L] [C]

c/

[B] [X]

[F] [K] épouse [X]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 08 mars 2022 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 3] (chambre : 7, RG : 20/08235) suivant déclaration d'appel du 06 avril 2022

APPELANT :

[L] [C]

né le 14 Février 1982 à [Localité 3]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 1]

Représenté par Me Charlotte MOUSSEAU de la SELARL LAYDEKER - SAMMARCELLI - MOUSSEAU, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉ S :

[B] [X]

né le 17 Décembre 1985 à [Localité 5]

de nationalité Française

Profession : Commercial

demeurant [Adresse 2]

[F] [K] épouse [X]

née le 25 Janvier 1983 à [Localité 7] (ESPAGNE)

de nationalité Française

Profession : Gérant d'entreprise,

demeurant [Adresse 2]

Représentés par Me Sylvie MICHON de la SELARL CABINET FORZY - BOCHE-ANNIC - MICHON, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 juin 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Rémi FIGEROU, Conseiller, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Jacques BOUDY, Président

Monsieur Rémi FIGEROU, Conseiller

Madame Bénédicte DE VIVIE, Conseillère

Greffier lors des débats : Madame Chantal BUREAU

Greffier lors du prononcé : Madame Audrey COLLIN

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

* * *

FAITS ET PROCÉDURE :

1. Par acte de vente du 31 octobre 2018, Monsieur [B] [M] et Madame [F] [K] épouse [X] (les époux [X]) ont vendu un appartement et une place de stationnement situés à [Localité 8] au sein de la résidence [Adresse 6], à M. [L] [C] au prix de 182 000 euros.

Afin de prévenir un risque d'effondrement, des travaux de l'intégralité des loggias/balcons ont été effectués à partir du 9 janvier 2019 sur décision de l'assurance dommage ouvrage, saisie par la copropriété le 2 novembre 2018 sur la base de questionnaires destinés à recenser les fissures en balcons/ loggias remplis par les copropriétaires, dont les époux [X], début octobre 2018.

2. Dès lors, considérant que son consentement avait été vicié au moment de la vente et que les époux [X] lui avaient dissimulé de tels vices, M. [C] les a, par acte du 27 octobre 2020, assigné devant le tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins d'annulation du contrat pour dol ou résolution pour vices cachés de la vente avec remboursement du prix de vente et de diverses sommes qu'il avait exposées pour cette acquisition.

3. Par jugement du 8 mars 2022, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

- ordonné le report de l'ordonnance de clôture au 18 janvier 2022,

- débouté M. [C] de l'intégralité de ses prétentions,

- rappelé que la présente décision était assortie de l'exécution provisoire,

- dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [C] aux entiers dépens de l'instance,

- dit que les dépens seront recouvrés ainsi qu'il est dit à l'article 699 du code de procédure civile.

4. M. [C] a relevé appel de ce jugement, le 6 avril 2022.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 10 juin 2025, il demande à la cour, sur le fondement de l'article 1112-1 du code civil :

- d'infirmer le jugement rendu le 8 mars 2022 en toutes ses dispositions,

- de débouter les époux [X] de l'ensemble de leurs demandes,

statuant à nouveau,

- de condamner in solidum les époux [X] à lui verser :

- une somme de 27 027 euros au titre de la perte de chance d'avoir pu acquérir l'immeuble à de meilleures conditions, laquelle est évaluée à 99%,

- une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- d'ordonner que les sommes soient assorties de l'intérêt au taux légal et la capitalisation des dits intérêts à compter du 27 octobre 2020, date de l'assignation,

- de condamner in solidum les époux [X] à lui verser une somme de 7 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner in solidum les époux [X] aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la Scp Laydeker, Sammarceli, Mousseau, avocats, sous ses affirmations de droit.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 5 juin 2025, les époux [X] demandent à la cour, sur le fondement des articles 1103 et suivants, 1130 et suivants

1641 et suivants, 1303, 1112-1 er 1240 du code civil :

- de juger M. [C] mal fondé en son appel,

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [C] de ses demandes tendant à voir reconnaître l'existence d'un vice caché et de man'uvres dolosives commises par eux,

- de juger que M. [C] ne rapporte pas la preuve de sa qualité de créancier d'une information pré contractuelle au sens des dispositions de l'article 1112-1 du code civil, ni d'un manquement à leurs obligations,

- de juger que M. [C] ne rapporte pas la preuve d'un quelconque préjudice indemnisable,

en conséquence,

- de débouter M. [C] de l'intégralité de ses demandes,

- d'infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 8 mars 2022 en ce qu'il les a déboutés de leur demande d'indemnisation sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

statuant à nouveau,

- de condamner M. [C] à leur verser une somme de 5 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 juin 2025.

MOTIFS

Sur le manquement des vendeurs à leur obligation pré contractuelle d'information de l'acheteur

5. Le tribunal a jugé que les vendeurs ne disposaient pas lors de la vente d'information relative aux conséquences des fissures apparentes dont la gravité n'était apparue que postérieurement lors du dépôt du rapport de l'expertise dommages ouvrage. En conséquence, il a jugé que la clause élusive de la responsabilité du vendeur relative aux vices cachés devait par voie de conséquence s'appliquer.

M. [C] expose qu'en raison de la garantie fournie par l'assureur dommages ouvrage et les travaux qui ont pu être entrepris, il a renoncé à solliciter l'annulation de la vente mais souhaite obtenir l'indemnisation de ses préjudices. A ce titre, il considère que les époux [X] ont manqué à leur obligation pré-contractuelle d'information à son égard en ne lui faisant pas connaître que des fissures affectaient le mur extérieur du balcon loggia de l'appartement vendu. Il précise que lorsqu'il avait visité l'appartement, la loggia était encombrée de meubles divers si bien qu'il n'avait pu voir lesdites fissures. Il ajoute que le procès-verbal de réception qui contenait des réserves sur ces fissures ni le procès-verbal de livraison n'avaient pas été portés à sa connaissance et les époux [X] ne l'avait pas informé de la saisine de l'assureur dommages ouvrage. Il précise que les informations qui ne lui ont pas été transmises étaient de nature à influencer son comportement et que notamment il n'aurait pas acquis cet appartement ou il aurait sollicité la prorogation du délai pour passer l'acte authentique ou il aurait encore sollicité une baisse du prix de vente.

Les époux [X] font valoir que M. [C] ne critique pas le jugement en ce qu'il a jugé mal fondées ses demandes sur la garantie des vices cachés et sur le dol. Ils exposent que l'obligation d'information du vendeur doit présenter un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat. Ils affirment que l'information que n'aurait pas reçu leur acheteur ne porterait pas sur l'existence de fissures mais sur leur gravité. Ils exposent que la décision d'étaiement des balcons a été prise par le syndic non pas deux jours après la signature de l'acte de vente mais plusieurs mois plus tard. Ils précisent que le balcon de l'appartement vendu ne fait pas partie de ceux qui ont été jugés instables par l'expertise dommages ouvrage. En toute hypothèse, au jour de la vente, il n'existait aucune crainte de la copropriété sur les conséquences des fissures généralisées affectant l'immeuble et le syndic n'a entrepris une déclaration de sinistre à l'assureur dommages ouvrage qu'à titre préventif et en toute hypothèse après la vente. Ils considèrent qu'au jour de la vente, ils n'ont retenu aucune information qu'ils auraient du transmettre à M. [C] alors que celui-ci avait été informé de l'existence de fissures qui étaient apparentes. Ceci est si vrai que ce dernier a attendu deux ans pour se plaindre de sa situation après la pose d'étais de confortement des loggias alors que s'il n'avait pas été informé, il aurait réagi dès la pose de ces éléments.

Sur ce

6. L'article 1112-1 du code civil dispose : «' [Localité 4] des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.

Néanmoins, ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation.

Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.

Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie.

Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.

Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants»

Les qualités essentielles du contrat sont celles en considération desquelles les parties ont contracté.

On considère qu'une qualité du contrat est essentielle lorsque, en l'absence de cette qualité, la partie concernée n'aurait jamais contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes.

7. En l'espèce, les époux [X] affirment mais ne démontrent pas qu'ils ont attiré l'attention de leur acheteur sur l'existence de fissures sur leur loggia, lequel déclare qu'il ne les aurait pas remarquées lors de ses différentes visites.

8. Le fait que M. [C] se soit manifesté tardivement auprès d'eux après l'étaiement des balcons ne constitue pas la preuve qu'il aurait été oralement informé de la situation de l'immeuble.

9. En outre, le fait que l'immeuble acheté par l'appelant bénéficiait de la garantie décennale ne fait pas perdre à l'information qui lui est due par son acheteur son caractère déterminant, alors que nul acheteur ne se satisfait d'une expertise à entreprendre sur l'immeuble récent qu'il vient d'acheter et de travaux qu'il devra subir.

10. En toute hypothèse, faute pour les intimés de prouver qu'ils auraient informé M. [I] de l'existence de fissures dont le caractère apparent n'est pas démontré et pour lesquelles le syndic de copropriété demandait aux copropriétaires, par lettre du 1 er octobre 2018, de dresser la liste de celles les affectant dans la perspective d'entreprendre une déclaration de sinistre à l'assureur dommages ouvrage ; si bien qu'à cette date on ignorait la cause et les conséquences de tels désordres ; ils ont manqué à leur obligation loyale d'information qui, si elle avait été délivrée, aurait permis à leur acheteur de contracter en toute connaissance de cause, de contracter à d'autres conditions ou de ne pas contracter.

Il importe peu que la déclaration de sinistre entreprise par le syndic auprès de l'assureur dommages ouvrage n'ait été réalisée que plusieurs mois après et qu'il s'agissait d'une déclaration à titre conservatoire. En effet, à partir du moment où ledit syndic avait opéré un recensement des fissures affectant les parties privatives de la copropriété et que les époux [X] en avait connaissance et qu'ils étaient concernés par ces fissures, ils se devaient de transmettre une telle information à leur acheteur alors même qu'au jour de la réitération de la vente, on ignorait les causes et les conséquences de ces désordres généralisés.

11. En conséquence, les intimés ne peuvent soutenir qu'ils n'avaient au jour de la vente aucune obligation de transmettre une telle information à leur acheteur.

En conséquence, M. [C] a subi une perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus favorables pour lui.

Sur les préjudices de M. [C]

12. M. [C] fait valoir que la réparation de sa perte de chance doit être mesurée à la chance perdue qu'il estime à 99'% dans la mesure où il existait un doute sur la solidité de l'immeuble, les vendeurs étaient pressés de vendre alors que lui-même avait tout son temps. Il estime qu'il aurait obtenu une diminution de 15'% du prix de vente ce qui représente par l'application du coefficient de minoration la somme de 27 027 euros . Il sollicite en outre l'allocation d'une somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts alors que comme tous les copropriétaires, il a dû déployer son énergie et son temps pour répondre aux sollicitations du syndic, de l'expert et de l'architecte missionné par le collège d'expert pour mettre en 'uvre la solution réparatoire. Il précise qu'il a accepté de l'assureur dommages ouvrage l'indemnisation de son trouble de jouissance à hauteur de 1522 euros et de son préjudice matériel à hauteur de 1913 euros. Il ajoute qu'il a formé un recours aupré de l'assureur dommages ouvrage en indemnisation de la perte de valeur de son bien dans la mesure où deux poteaux ont été ajoutés dans sa loggia, procédure sans lien avec la présente.

Les époux [X] exposent que M. [C] est irrecevable en sa demande de restitution d'une partie du prix de la vente alors qu'il ne peut solliciter que des dommages et intérêts. Il ne justifie en outre d'aucun préjudice indemnisable alors qu'en outre l'immeuble qu'il a acquis a pris de la valeur. Ils précisent qu'ils n'étaient nullement pressés de vendre leur appartement. Ils précisent que le prix de vente de l'immeuble lui-même s'élevait à la somme de 177 000 euros, le solde correspondait à la vente des meubles. Ils ajoutent que l'appelant ne démontre pas le lien de causalité entre la faute qui leur est reprochée et le préjudice qu'il aurait subi.

Sur ce

13. En n'étant pas informé de la situation réelle et actuelle de l'immeuble qu'il achetait, M. [C] a été privé de la possibilité de ne pas acheter l'immeuble ou de tenter de l'acheter à des conditions plus favorables pour lui.

Cette perte de chance doit être évaluée à hauteur de 40'% du préjudice dont il justifie car il ne démontre pas qu'il existait un doute quant à la solidité de l'immeuble, la mobilisation de l'assureur dommages ouvrage ne signifiant pas que la solidité de ce dernier serait compromise et ne prouve pas que ses vendeurs étaient pressés de vendre et que lui avait son temps.

14. Par ailleurs, la cour d'appel estime qu'il aurait pu solliciter une baisse du prix de vente de 6'% alors qu'au jour de la vente l'existence de fissures sur l'appartement litigieux n'était pas inquiétante.

15. En conséquence, sur un prix de vente de l'immeuble de 177 000 euros le préjudice de M. [I] doit être fixé à la somme de 3540 euros (177 000 x 5'% x 40%)

16. Par ailleurs, M. [C] ne justifie pas d'un préjudice autre et notamment du temps qu'il a dû consacrer dans le cadre de la copropriété et à l'occasion de l'expertise dommages ouvrage.

17. Enfin, il n'y a pas lieu d'ordonner que cette somme soit assortie d'intérêts depuis la délivrance de l'acte introductif d'instance alors que la cour a fait droit partiellement à ses demandes sur un fondement juridique nouveau en cause d'appel.

18. De même la capitalisation des intérêts n'apparaît pas justifiée.

Dès lors, il sera débouté de ses autres demandes.

Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

19. Les époux [X] succombait devant la cour seront condamnés aux entiers dépens et à payer à M. [I] une somme de 1800 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement entrepris et statuant à nouveau :

Condamne in solidum M. [B] [X] et Mme [F] [K] épouse [X] à payer à M. [L] [C] la somme de 3540 euros au titre de sa perte de chance d'avoir pu acquérir l'immeuble à de meilleures conditions et celle de 1800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum M. [B] [X] et Mme [F] [K] épouse [X] aux entiers dépens.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jacques BOUDY, président, et par Madame Audrey COLLIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

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