CA Saint-Denis de la Réunion, ch. com., 30 septembre 2025, n° 24/00935
SAINT-DENIS DE LA RÉUNION
Arrêt
Autre
Arrêt N°25/
CB
N° RG 24/00935 - N° Portalis DBWB-V-B7I-GDBM
[Y]
C/
S.E.L.A.R.L. [11]
COUR D'APPEL DE SAINT-DENIS
ARRÊT DU 30 SEPTEMBRE 2025
Chambre commerciale
Appel d'un jugement rendu par le TRIBUNAL MIXTE DE COMMERCE DE SAINT-DENIS en date du 26 JUIN 2024 suivant déclaration d'appel en date du 18 JUILLET 2024 rg n°: 2023F515
APPELANT :
Monsieur [K] [Y] à l'enseigne [16]
[Adresse 1]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentant : Me Normane OMARJEE de la SELARL KER AVOCATS, Postulant - Me Gabriel ODIER, Plaidant, avocats au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION
INTIMEE :
S.E.L.A.R.L. [10] Agisssant es-qualités de mandataire liquidateur de la Société [13].
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentant : Me Eric LEBIHAN de la SAS LEGALYS OI, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
DÉBATS : en application des dispositions des articles 778, 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 18 Juin 2025 devant la cour composée de :
Président : Madame Séverine LEGER, Conseillère
Conseiller : Madame Claire BERAUD, Conseillère
La présidente a indiqué que l'audience sera tenue en double rapporteur. Les parties ne s'y sont pas opposées.
A l'issue des débats, la présidente a indiqué que l'arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition le 30 Septembre 2025.
Il a été rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Président : Madame Séverine LEGER, Conseillère
Conseiller : Madame Claire BERAUD, Conseillère
Conseiller : Madame Anne-Charlotte LEGROIS, Vice-présidente placée à la cour d'appel de Saint-Denis par ordonnance de Madame la Première Présidente
Arrêt : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 30 Septembre 2025.
Greffiere lors des débats et de la mise à disposition : Madame Nathalie BEBEAU, Greffière.
* * *
LA COUR
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
La SARL [12] (ci-après société [14]) a été créée le 5 février 2015 avec pour activité la surveillance, le gardiennage, les rondes, la télésurveillance et toutes prestations associées et complémentaires. Elle avait pour gérante Mme [V] [S] depuis le 4 septembre 2017 puis, aux termes du procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire du 14 février 2019, M. [K] [Y] a été nommé co-gérant.
Le 16 juillet 2020, Mme [Z] [S], en sa qualité de gérante, a déclaré l'état de cessation des paiements de la société.
Par jugement du 29 juillet 2020, le tribunal mixte de commerce de Saint-Denis de La Réunion a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société [14] et a désigné la SELARL [P] [U] en qualité d'administrateur judiciaire et la SELARL [N] [D] prise en la personne de Maître [N] [D] en qualité de mandataire judiciaire. La date de cessation des paiements a été provisoirement fixée au 27 février 2020.
Par jugement du 16 septembre 2020, le tribunal a ordonné la poursuite de la période d'observation. Par jugement du 27 janvier 2021, le tribunal mixte de commerce a arrêté un plan de cession en faveur de la société [6] et a prononcé la liquidation judiciaire de la société [14] en désignant la SELARL [N] [D] en qualité de liquidateur judiciaire.
Par assignations en date des 9 et 12 mai 2023, la SELARL [N] [D], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société [14], a fait citer devant le tribunal mixte de commerce de Saint-Denis à l'audience du 21 juin 2023 Mme [S] et M. [Y] aux fins de les voir, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, condamnés au titre du comblement de passif et prononcée leur faillite personnelle.
Par jugement contradictoire du 26 juin 2024, le tribunal mixte de commerce de Saint-Denis a :
- condamné Mme [Z] [S] à payer la somme de 10 000 euros à la SELARL [N] [D] prise en la personne de Maître [N] [D], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [14] au titre de la responsabilité pour insuffisance d'actif avec exécution provisoire à hauteur de 50 % de ce montant,
- condamné M. [Y] à payer la somme de 5 000 euros à la SELARL [N] [D] prise en la personne de Maître [N] [D], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [14] au titre de la responsabilité pour insuffisance d'actif avec exécution provisoire à hauteur de 50 % de ce montant,
- prononcé à l'encontre de Mme [Z] [S] une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de cinq ans,
- prononcé à l'encontre de M. [K] [Y] une mesure d'interdiction de gérer d'une durée d'un an,
- dit qu'en application de l'article 768-5° du Code de procédure pénale, la présente décision sera mentionnée au casier judiciaire, qu'elle fera l'objet à la diligence du greffier des publicités prévues à l'article R. 621-8 du code de commerce et qu'elle sera adressée aux autorités mentionnées à l'article R. 621-7 du même code,
- dit qu'en application de l'article R. 651-3 du Code de commerce, le présent jugement sera communiqué par le greffe à Mme la procureure de la République,
- condamné Mme [Z] [S] et M. [K] [Y] au paiement des entiers dépens,
- débouté la SELARL [N] [D] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il a retenu, concernant M. [Y], que l'insuffisance d'actif était certaine en son principe et devait être chiffrée à la somme de 734 096,68 euros ; qu'il était gérant de droit, nonobstant le défaut de publication de sa nomination ; qu'il avait commis deux fautes de gestion en ne déclarant pas l'état de cessation des paiements dans le délai légal de 45 jours et en poursuivant l'activité déficitaire de la société par une impasse sur le paiement des cotisations sociales et des impôts ; que dans l'évaluation de la sanction pécuniaire, la durée pendant laquelle il avait été gérant de la société devait être prise en compte ; que s'il n'était pas établi qu'il n'avait pas tiré profit de la poursuite de l'activité déficitaire de la société, l'absence de dépôt de la déclaration de cessation des paiements dans les délais légaux justifiait le prononcé d'une interdiction de gérer.
Par déclaration du 18 juillet 2024, M. [Y] a interjeté appel des dispositions de cette décision le concernant intimant la SELARL [N] [D] prise en la personne de Maître [N] [D] en qualité de mandataire judiciaire de la société [14].
Par ordonnance du 20 août 2024 l'affaire a été fixée à bref délai et renvoyée à l'audience du 20 novembre 2024 en vue de la fixation des dates envisagées pour l'ordonnance de clôture et l'audience de plaidoirie. L'appelant a signifié la déclaration d'appel à l'intimée par acte d'huissier du 21 août 2024.
L'appelant a notifié ses conclusions par voie électronique le 18 septembre 2024 et l'intimée le 18 octobre 2024, laquelle a formé appel incident.
Par déclaration transmise par voie électronique le 16 octobre 2024, la SELARL [15] s'est constituée en lieu et place du précédent conseil de l'appelant.
Par ordonnance du 20 novembre 2024, la procédure a été clôturée avec effet différé au 2 juin 2025 et l'affaire fixée à l'audience du 16 juin 2025 renvoyée ensuite au 18 juin 2025.
Le dossier a été communiqué au ministère public qui, selon son avis du 12 juin 2025, communiqué aux parties par voie électronique le 13 juin 2025, a requis la confirmation du jugement.
A l'issue de l'audience du 18 juin 2025 la décision mise en délibéré par mise à disposition au greffe le 30 septembre 2025.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET DES MOYENS
Dans ses seules et uniques conclusions notifiées par voie électronique le 18 septembre 2024 M. [Y] demande à la cour d'appel d'infirmer en toutes ses dispositions le concernant le jugement dont appel et, statuant à nouveau, de :
- juger qu'il ne peut être lui reproché l'absence de dépôt dans les délais de l'état de cessation des paiements, compte tenu du court délai entre sa nomination aux fonctions de co-gérant et le dépôt de la déclaration,
- juger en conséquence, que ce grief ne peut justifier le prononcé d'une mesure d'interdiction de gérer et une mise en cause au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actifs,
- juger qu'il ne peut être lui reproché la poursuite abusive d'une exploitation déficitaire financée par une impasse sur le paiement des cotisations sociales et des impôts, puisque cette situation était déjà bien antérieure à sa nomination aux fonctions de gérant, en témoignent les bilans clos en 2017 et 2018,
- juger de surcroît qu'il n'a retiré aucun intérêt personnel de cette situation eu égard à la rémunération modique qu'il en retiré,
- juger en conséquence que ce grief ne peut justifier le prononcé d'une mesure d'interdiction de gérer et une mise en cause au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actifs,
- juger enfin, qu'il n'est nullement caractérisé dans cette affaire une intention frauduleuse ou une quelconque mauvaise foi de sa part, de sorte que la SELARL [N] [D] n'est pas fondée à solliciter le prononcé d'une mesure d'interdiction de gérer à son encontre ou une condamnation pécuniaire au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif, lesquelles mesure apparaissent disproportionnées,
- débouter la SELARL [N] [D] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
En tout état de cause :
- condamner la SELARL [N] [D] à lui payer la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens.
Le dispositif de ses conclusions reprenant ses moyens, ils ne seront pas développés à nouveau.
Dans ses seules et uniques conclusions notifiées par voie électronique le 18 octobre 2024, la SELARL [N] [D] demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris par le tribunal mixte de commerce de Saint Pierre le 26 juin 2024 en ce qu'il a retenu à l'encontre de Mme [V] [S] ainsi que de M. [K] [Y] en leur qualité de dirigeants de droit, à titre de fautes de gestion, la poursuite d'une activité déficitaire plusieurs années de suite sans reconstituer les capitaux propres de la société, financée par une impasse sur le paiement des cotisations sociales et des impôts, ainsi que l'absence de déclaration de l'état de cessation des paiements dans les 45 jours,
Réformant pour le surplus et statuant à nouveau :
- dire et juger que ces fautes de gestion ont eu pour conséquence de constituer la totalité du passif de la société [14],
En conséquence,
- condamner solidairement Mme [V] [S] ainsi que M. [K] [Y] à lui verser en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [14], la somme de 250 000 euros au titre du comblement d'une partie de l'insuffisance d'actif,
- prononcer à l'encontre de Mme [V] [S] ainsi que M. [K] [Y] la faillite personnelle, emportant interdiction de gérer dont les modalités et l'étendue sont laissées à l'appréciation de la cour de céans, le ministère public entendu en ses réquisitions et à titre subsidiaire la seule interdiction de gérer dans les mêmes conditions,
- condamner solidairement Mme [V] [S] ainsi que M. [K] [Y] à lui verser chacun en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [14] la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles,
- condamner aux dépens, comprenant les frais de greffe restant à liquider.
L'intimée fait valoir que :
- le montant de l'insuffisance d'actif s'élève à la somme de 653 694, 05 euros, - Mme [V] [S] ainsi que M. [K] [Y] ont commis des fautes de gestion ayant constitué le passif de la société et ainsi créé l'insuffisance d'actif :
en omettant de déclarer l'état de cessation des paiements dans le délai légal alors qu'ils n'étaient pas en capacité de payer les dettes sociales et fiscales de l'entreprise,
en poursuivant sciemment l'exploitation déficitaire de la société pendant plusieurs années par l'impasse sur le paiement des cotisations sociales et des impôts alors qu'ils ne pouvaient ignorer son état de cessation des paiements, en n'ayant pas reconstitué les capitaux propres devenus négatifs, comme l'article L.222-42 du code de commerce le leur imposait,
- s'il convient d'appliquer le principe de proportionnalité, l'ordre public économique justifie que le montant de la condamnation pécuniaire soit dissuasif et que la condamnation prononcée par le premier juge soit majorée, - les co-gérants ont, tous deux, perçu des rémunérations de gérance de la société et ont ainsi retiré un intérêt personnel de la poursuite abusive de l'activité déficitaire de la société permise par le défaut de paiement des cotisations sociales et des impôts.
Il est fait renvoi aux écritures susvisées pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les demandes formées à l'encontre de Mme [S]
Les articles 550 et 551 du code de procédure civile disposent que sous réserve des articles 906-2, 909 et 910, l'appel incident ou l'appel provoqué peut être formé, en tout état de cause, alors même que celui qui l'interjetterait serait forclos pour agir à titre principal. Dans ce dernier cas, il ne sera toutefois pas reçu si l'appel principal n'est pas lui-même recevable ou s'il est caduc. L'appel incident ou l'appel provoqué est formé de la même manière que le sont les demandes incidentes.
La SELARL [N] [D] forme un appel provoqué à l'encontre de Mme [S] qui n'est ni appelante, ni intimée par l'acte d'appel ni partie intervenante. Elle ne justifie cependant pas lui avoir fait signifier ses conclusions par acte extra-judiciaire.
Par conséquent les demandes formulées par l'intimée à l'encontre de Mme [S] seront déclarées irrecevables.
Sur la qualité de gérant de droit de l'appelant
Il sera seulement précisé à ce titre qu'en cause d'appel l'appelant ne conteste plus sa qualité de co-gérant.
Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif
Aux termes de l'article L651-2 du code de commerce, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou partie, par le dirigeant de droit ou de fait ayant contribué à la faute de gestion Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.
Il s'agit d'une action en responsabilité délictuelle qui suppose l'existence d'un préjudice pour la société, une insuffisance d'actif, la caractérisation de la commission de fautes de gestion excédant la simple négligence à la charge de la personne dont la responsabilité est recherchée et la démonstration d'un lien de causalité entre la ou les fautes commises et l'insuffisance d'actif constatée.
- Sur l'insuffisance d'actif
L'insuffisance d'actif s'établit à la différence entre le montant du passif admis et correspondant à des créances antérieures au jugement d'ouverture et le montant de l'actif de la personne morale débitrice tel qu'il résulte des réalisations effectuées en liquidation judiciaire. Le passif postérieur non éligible au privilège de l'article L. 622-17 et le passif social postérieur ainsi que les frais liés à la procédure collective sont exclus du calcul, de même que ceux engendrés par une poursuite d'activité provisoire.
Le liquidateur peut exercer une action en responsabilité pour insuffisance d'actif dès lors que celle-ci, même non chiffrée, est certaine en son principe et certaine pour un montant incontestable.
En l'espèce, le liquidateur judiciaire chiffre le passif total antérieur déclaré non contesté non provisionnel non rejeté de la société à la somme de 734 096,88 euros, l'actif à celle de 80 402,63 euros et évalue donc l'insuffisance d'actif à 653 694,05 euros, somme qui n'est pas remise en cause par l'appelant.
En conséquence, l'insuffisance d'actif est certaine et se chiffre à la somme de 653 694,05 euros au jour où la cour d'appel statue.
- Sur les fautes de gestions excédant une simple négligence et le lien de causalité
La faute de gestion susceptible d'engager la responsabilité pour insuffisance d'actif doit avoir été commise dans l'administration de la société et prouvée par le demandeur. Elle peut également résulter d'une abstention. Elle doit être imputable au dirigeant poursuivi, pour des faits commis durant l'exercice de ses fonctions et ne peut résulter d'une simple négligence. Un intérêt personnel n'est pas exigé.
En vertu du principe de proportionnalité, si plusieurs fautes de gestion sont retenues, il importe que chacune d'elles soit également justifiée.
Un lien de causalité doit être établi entre la faute de gestion et l'insuffisance d'actif. Si plusieurs fautes de gestion sont reprochées, le lien de causalité doit être établi pour chacune d'elles. La faute doit avoir seulement contribué à l'insuffisance d'actif. Il n'est pas nécessaire que la faute soit la cause directe et exclusive du dommage.
En l'espèce, en application de l'article L653-4 du code de commerce le tribunal a retenu que l'appelant avait commis des fautes de gestion en ne déclarant pas l'état de cessation des paiements dans le délai légal de 45 jours et en poursuivant l'activité déficitaire de la société par une impasse sur le paiement des cotisations sociales et des impôts.
L'appelant conteste avoir commis un quelconque manquement qui engage sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif.
L'intimée estime que les fautes retenues par le jugement sont constituées, outre celle de l'absence de reconstitution légale des capitaux propres, et qu'elles ont contribué à l'insuffisance d'actif de la société. Elles seront examinées successivement.
Concernant le défaut de déclaration de cessation des créances dans le délai légal
L'article L.631-4 du code de commerce prévoit que l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les quarante-cinq jours qui suivent la cessation des paiements s'il n'a pas, dans ce délai, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.
Le jugement d'ouverture du 29 juillet 2020 a fixé la date de cessation des paiements au 27 février 2020. En application du texte susvisé, la déclaration de cessation des paiements aurait dû être faite au plus tard le 13 avril 2020 alors que la co-gérante ne l'a déclarée que le 31 mai 2020, date figurant dans sa saisine du tribunal mixte de commerce aux fins d'ouverture d'une procédure collective déposée le 16 juillet 2020. La faute de gestion susvisée est dès lors constituée.
L'appelant excipe qu'il était en réalité employé en tant qu'agent de sécurité et que sa mission en tant que gérant n'était que purement technique, outre le fait qu'étant co-gérant depuis seulement un peu plus d'un an il ne disposait pas du recul nécessaire pour se prononcer sur l'état de cessation des paiements.
Il ne peut cependant se retrancher derrière ces circonstances dans la mesure où, le 14 février 2019, il a non seulement accepté le poste de gérant, mais il a également obtenu la qualité d'associé de la société, détenant la moitié des parts sociales. Sa situation vis-à-vis de la personne morale n'était donc pas, comme il l'affirme, celle d'un salarié qui se serait impliqué dans son fonctionnement technique uniquement, mais celle d'un associé-gérant qui était tenu de connaître la situation de la société pour avoir accès aux documents comptables et avait le devoir de se mettre en situation de pouvoir prendre les bonnes décisions pour la survie économique de cette dernière dont il était responsable.
En outre, étant devenu gérant depuis un an et demi, il avait nécessairement pris connaissance de la situation de cette dernière avant d'accepter cette mission et lors de son entrée en fonction. Il indique, qui plus est dans ses écritures, que « s'il a accepté les responsabilités de gérant, c'est certainement parce qu'il croyait fermement dans le redressement de la société ». Il ne justifie pourtant pas des démarches réalisées et changements apportés pour apporter une solution aux difficultés financières qui préexistaient depuis deux ans. La faute de gestion commise dépasse ainsi la simple négligence.
Cette faute a, enfin, contribué à l'augmentation du passif dans la mesure où entre la date à laquelle la déclaration de l'état de cessation des paiements aurait dû être déposée et celle à laquelle elle l'a réellement été la société n'a cessé d'accumuler un passif, en particulier un passif social et fiscal.
Concernant la poursuite abusive de l'exploitation manifestement déficitaire de la société
L'appelant ne conteste pas les dettes déclarées par la [7] (385 285,82 euros), les [8] (221 146,85 euros) et la [9] (106 796 euros). Il déclare lui-même dans ses écritures que les chiffres et résultats dégagés par la société étaient catastrophiques depuis au moins l'exercice comptable 2017.
Il est ainsi établi que les gérants ont poursuivi une exploitation déficitaire permise notamment par l'impasse faite sur le paiement des cotisations sociales et des impôts dus aux organismes sociaux et fiscaux, les sommes non versées permettant momentanément de ne pas grever l'actif. Le rapport de l'administratrice judiciaire et les documents comptables produits par l'intimée mettent également en lumière que les capitaux propres étaient négatifs et les résultats d'exploitation largement déficitaires. L'ampleur des créances déclarées par ces organismes suffit à démontrer le caractère abusif du choix fait par les gérants, de poursuivre l'activité. L'appelant, co-gérant pendant une période d'un an et cinq mois avant l'ouverture de la procédure collective a ainsi commis une faute de gestion.
Si cette situation consistait, au regard de l'analyse de l'administratrice judiciaire, en un fonctionnement structurel ancien qui préexistait à la date à laquelle l'appelant est devenu co-gérant, il n'en demeure pas moins, comme cela a été développé précédemment, que lorsqu'il a pris ses fonctions il n'ignorait pas cet état de fait et que la société nécessitait d'être redressée. Il ne justifie pourtant d'aucune démarche réalisée pour y remédier ou solliciter l'ouverture d'une procédure collective. Au regard de ces éléments et de l'ampleur des dettes susvisées, la poursuite de l'activité déficitaire ne pouvait consister en une simple négligence.
Il en résulte que l'appelant a ainsi commis une faute de gestion excédant la simple négligence qui a eu pour résultat de contribuer à l'insuffisance d'actif en ce que notamment les créances des organismes sociaux et fiscaux ont considérablement augmentées, aggravant le passif.
Concernant l'absence de reconstitution légale des capitaux propres dans le délai légal
Au titre de l'article L223-42 du code de commerce si, du fait de pertes constatées dans les documents comptables, les capitaux propres de la société deviennent inférieurs à la moitié du capital social, les associés décident, dans les quatre mois qui suivent l'approbation des comptes ayant fait apparaître cette perte s'il y a lieu à dissolution anticipée de la société.
Si la dissolution n'est pas prononcée à la majorité exigée pour la modification des statuts, la société est tenue, au plus tard à la clôture du deuxième exercice suivant celui au cours duquel la constatation des pertes est intervenue, de reconstituer ses capitaux propres à concurrence d'une valeur au moins égale à la moitié du capital social ou de réduire son capital social du montant nécessaire pour que la valeur des capitaux propres soit au moins égale à la moitié de son montant.
L'intimée soutient, comme devant le premier juge, que l'appelant a commis une faute de gestion en n'ayant pas reconstitué les capitaux propres de la société, négatifs depuis l'année 2017 et étaient donc devenus, de fait, inférieurs à la moitié du capital social.
Le jugement de première instance n'a pas retenu de faute spécifique à ce titre son égard mais a mentionné ce point comme ayant participé à la faute de poursuite abusive de l'exploitation déficitaire de la société.
Il sera rappelé que l'appelant n'a été co-gérant qu'à compter du 14 février 2019. Il ne peut lui être reproché de ne pas avoir reconstitué les capitaux en application de l'alinéa 2 de l'article L.223-42 pendant le temps de sa gérance extrêmement court et alors que les délais susvisés ont commencé à courir alors qu'il n'avait pas cette qualité. Aucune faute de gestion ne sera retenue contre lui à ce titre.
Sur la sanction pécuniaire
Un dirigeant peut être condamné à supporter la totalité de l'insuffisance d'actif même si la faute commise n'en est que l'une des causes. Le tribunal dispose d'un pouvoir souverain, dans la limite de l'insuffisance d'actif, pour fixer le montant de la condamnation. Le montant de la condamnation doit être proportionné au nombre et à la gravite des fautes de gestion que le dirigeant a commises. Il doit également être tenu compte des facteurs économiques qui peuvent conduire à la défaillance des entreprises ainsi que les risques inhérents à leur exploitation et de la situation personnelle du dirigeant et ses facultés contributives en application de ce principe de proportionnalité.
En l'espèce, l'insuffisance d'actif est évaluée à une somme totale de 653 694,05 euros et l'appelant a commis deux fautes de gestion, ce qui justifie qu'il soit condamné à en supporter une partie sous réserve du respect des principes d'individualisation de la sanction et de proportionnalité.
Mme [S], gérante pendant une durée d'environ trois ans et demis a été condamnée au paiement d'une somme de 10 000 euros à ce titre. L'appelant n'a été gérant de la société que pendant un an et cinq mois au cours desquels s'est produit la crise sanitaire avec le confinement entre mars et juin 2020 qui, au regard de son activité, en a forcément impacté les conditions d'exploitation. Il est actuellement gérant d'une société intervenant dans le même secteur d'activité. Il ne justifie pas plus de sa situation personnelle et financière.
Au regard de ces éléments et en l'absence d'autre élément porté à la connaissance de la cour d'appel, les fautes commises qui ont porté une atteinte aux droits des créanciers et l'ampleur du montant retenu au titre de l'insuffisance d'actif, justifient le principe du prononcé d'une sanction pécuniaire. Néanmoins au regard de la brièveté de sa co-gérance, de ce que seules deux fautes ont été commises et des éléments conjoncturels susvisés, sa condamnation à supporter l'insuffisance d'actif à hauteur de 5 000 euros est adaptée et proportionnée.
Le jugement sera confirmé en ce sens.
Sur la sanction personnelle
Le premier juge a prononcé à l'encontre de l'appelant une interdiction de gérer pendant une durée d'un an. Ce dernier en demande l'infirmation au motif qu'il n'a commis aucune faute justifiant le prononcé d'une telle sanction. L'intimée reprend ses prétentions de première instance, sollicitant à titre reconventionnel que soit prononcée la faillite personnelle de l'appelant et, subsidiairement, une interdiction de gérer dans les mêmes conditions.
L'article L. 653-1 I 2° du code de commerce dispose que lorsqu'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les dispositions du présent chapitre sont applicables aux personnes physiques, dirigeants de droit ou de fait de personnes morales. Selon l'article L. 653-2 de ce même code, la faillite personnelle emporte interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale.
Les cas dans lesquels la faillite personnelle de tout dirigeant d'une personne morale peut être prononcée sont limitativement prévus par les articles L. 653-4 à L. 653-6 du code de commerce. Ainsi en application de l'article L.653-4 elle peut être prononcée pour avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale.
L'article L. 653-8 du même code dispose que dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.
Il prévoit également que l'interdiction de gérer peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation
La faillite personnelle, tout comme l'interdiction de gérer, sont des sanctions professionnelles et les juges du fond disposent d'un pouvoir souverain d'option. Du fait de leur nature de sanctions, elles sont soumises aux principes de nécessité et de proportionnalité des peines, ce qui impose qu'elles soient motivées dans leur principe et leur quantum, la motivation devant prendre en compte la gravité des fautes et la situation personnelle de l'intéressé. A l'instar de ce qu'il en est de l'action pour insuffisance d'actif, si plusieurs fautes sont reprochées, chacune d'elle doit être justifiée.
Au regard de tout ce qui précède, si l'appelant a commis une faute en poursuivant de manière abusive l'exploitation déficitaire de la société qui ne pouvant que la conduire à la cessation des paiements, il n'est pas démontré qu'il l'ait fait à des fins personnelles. En l'absence d'autre manquement pouvant donner lieu au prononcé de cette sanction, l'intimée sera déboutée de sa demande au titre du prononcé d'une faillite personnelle à l'encontre de l'appelant.
Concernant l'interdiction de gérer, il a été démontré que l'appelant, qui savait, selon ses termes, que les chiffres et résultats dégagés par la société étaient déjà catastrophiques bien avant qu'il n'intègre les organes de direction de la société, comme en témoigne les bilans clos au 31 décembre 2017 et 31 décembre 2018, et ne pouvait ainsi ignorer que les cotisations sociales n'étaient plus payées depuis deux ans, n'a sciemment pas déclaré l'état de cessation des paiements dans le délai légal. Il encourt de ce fait le prononcé d'une interdiction de gérer.
Néanmoins, la durée courte pendant laquelle il a été gérant de la société, les aléas conjoncturels qui se sont réalisés pendant cette période telle que la crise sanitaire et le confinement qui ont impacté l'activité de la société, l'absence de bénéfice financier substantiel retiré de sa mission de co-gérant dont il justifie, ne témoignent pas d'une dangerosité avérée pour l'ordre public économique qui justifierait qu'une interdiction de gérer soit prononcée. En l'espèce, la sanction pécuniaire s'avérant suffisamment dissuasive de réitérer un tel comportement, il n'apparaît ni nécessaire, ni proportionné de prononcer une mesure d'interdiction de gérer à l'encontre de l'appelant.
Le jugement critiqué sera, dès lors, infirmé sur ce point.
Sur les autres demandes
Succombant en son appel, M. [Y] sera condamné à en régler les entiers dépens sur le fondement des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
En outre, l'équité ne commande pas d'allouer une quelconque somme à l'intimée au titre des frais irrépétibles. L'appelant qui succombe sera débouté de sa prétention du même chef.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare les demandes formées par la SELARL [N] [D] à l'encontre de Mme [V] [S] irrecevables ;
Confirme le jugement déféré dans ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu'il a prononcé une interdiction de gérer d'une durée d'un an à l'encontre de M. [K] [Y] et dit qu'elle sera mentionnée à son casier judiciaire, fera l'objet des publicités prévues à l'article R.621-8 du code de commerce et sera adressée aux autorités mentionnées à l'article R.621-7 du même code;
Et statuant à nouveau :
Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une interdiction de gérer à l'encontre de M. [K] [Y] ;
Y ajoutant,
Condamne M. [K] [Y] à régler les entiers dépens de l'appel ;
Rejette toute autre demande plus ample ou contraire.
Le présent arrêt a été signé par Madame Séverine LEGER, Conseillère faisant fonction de Présidente de chambre, et par Madame Nathalie BEBEAU, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
CB
N° RG 24/00935 - N° Portalis DBWB-V-B7I-GDBM
[Y]
C/
S.E.L.A.R.L. [11]
COUR D'APPEL DE SAINT-DENIS
ARRÊT DU 30 SEPTEMBRE 2025
Chambre commerciale
Appel d'un jugement rendu par le TRIBUNAL MIXTE DE COMMERCE DE SAINT-DENIS en date du 26 JUIN 2024 suivant déclaration d'appel en date du 18 JUILLET 2024 rg n°: 2023F515
APPELANT :
Monsieur [K] [Y] à l'enseigne [16]
[Adresse 1]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentant : Me Normane OMARJEE de la SELARL KER AVOCATS, Postulant - Me Gabriel ODIER, Plaidant, avocats au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION
INTIMEE :
S.E.L.A.R.L. [10] Agisssant es-qualités de mandataire liquidateur de la Société [13].
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentant : Me Eric LEBIHAN de la SAS LEGALYS OI, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
DÉBATS : en application des dispositions des articles 778, 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 18 Juin 2025 devant la cour composée de :
Président : Madame Séverine LEGER, Conseillère
Conseiller : Madame Claire BERAUD, Conseillère
La présidente a indiqué que l'audience sera tenue en double rapporteur. Les parties ne s'y sont pas opposées.
A l'issue des débats, la présidente a indiqué que l'arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition le 30 Septembre 2025.
Il a été rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Président : Madame Séverine LEGER, Conseillère
Conseiller : Madame Claire BERAUD, Conseillère
Conseiller : Madame Anne-Charlotte LEGROIS, Vice-présidente placée à la cour d'appel de Saint-Denis par ordonnance de Madame la Première Présidente
Arrêt : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 30 Septembre 2025.
Greffiere lors des débats et de la mise à disposition : Madame Nathalie BEBEAU, Greffière.
* * *
LA COUR
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
La SARL [12] (ci-après société [14]) a été créée le 5 février 2015 avec pour activité la surveillance, le gardiennage, les rondes, la télésurveillance et toutes prestations associées et complémentaires. Elle avait pour gérante Mme [V] [S] depuis le 4 septembre 2017 puis, aux termes du procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire du 14 février 2019, M. [K] [Y] a été nommé co-gérant.
Le 16 juillet 2020, Mme [Z] [S], en sa qualité de gérante, a déclaré l'état de cessation des paiements de la société.
Par jugement du 29 juillet 2020, le tribunal mixte de commerce de Saint-Denis de La Réunion a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société [14] et a désigné la SELARL [P] [U] en qualité d'administrateur judiciaire et la SELARL [N] [D] prise en la personne de Maître [N] [D] en qualité de mandataire judiciaire. La date de cessation des paiements a été provisoirement fixée au 27 février 2020.
Par jugement du 16 septembre 2020, le tribunal a ordonné la poursuite de la période d'observation. Par jugement du 27 janvier 2021, le tribunal mixte de commerce a arrêté un plan de cession en faveur de la société [6] et a prononcé la liquidation judiciaire de la société [14] en désignant la SELARL [N] [D] en qualité de liquidateur judiciaire.
Par assignations en date des 9 et 12 mai 2023, la SELARL [N] [D], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société [14], a fait citer devant le tribunal mixte de commerce de Saint-Denis à l'audience du 21 juin 2023 Mme [S] et M. [Y] aux fins de les voir, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, condamnés au titre du comblement de passif et prononcée leur faillite personnelle.
Par jugement contradictoire du 26 juin 2024, le tribunal mixte de commerce de Saint-Denis a :
- condamné Mme [Z] [S] à payer la somme de 10 000 euros à la SELARL [N] [D] prise en la personne de Maître [N] [D], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [14] au titre de la responsabilité pour insuffisance d'actif avec exécution provisoire à hauteur de 50 % de ce montant,
- condamné M. [Y] à payer la somme de 5 000 euros à la SELARL [N] [D] prise en la personne de Maître [N] [D], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [14] au titre de la responsabilité pour insuffisance d'actif avec exécution provisoire à hauteur de 50 % de ce montant,
- prononcé à l'encontre de Mme [Z] [S] une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de cinq ans,
- prononcé à l'encontre de M. [K] [Y] une mesure d'interdiction de gérer d'une durée d'un an,
- dit qu'en application de l'article 768-5° du Code de procédure pénale, la présente décision sera mentionnée au casier judiciaire, qu'elle fera l'objet à la diligence du greffier des publicités prévues à l'article R. 621-8 du code de commerce et qu'elle sera adressée aux autorités mentionnées à l'article R. 621-7 du même code,
- dit qu'en application de l'article R. 651-3 du Code de commerce, le présent jugement sera communiqué par le greffe à Mme la procureure de la République,
- condamné Mme [Z] [S] et M. [K] [Y] au paiement des entiers dépens,
- débouté la SELARL [N] [D] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il a retenu, concernant M. [Y], que l'insuffisance d'actif était certaine en son principe et devait être chiffrée à la somme de 734 096,68 euros ; qu'il était gérant de droit, nonobstant le défaut de publication de sa nomination ; qu'il avait commis deux fautes de gestion en ne déclarant pas l'état de cessation des paiements dans le délai légal de 45 jours et en poursuivant l'activité déficitaire de la société par une impasse sur le paiement des cotisations sociales et des impôts ; que dans l'évaluation de la sanction pécuniaire, la durée pendant laquelle il avait été gérant de la société devait être prise en compte ; que s'il n'était pas établi qu'il n'avait pas tiré profit de la poursuite de l'activité déficitaire de la société, l'absence de dépôt de la déclaration de cessation des paiements dans les délais légaux justifiait le prononcé d'une interdiction de gérer.
Par déclaration du 18 juillet 2024, M. [Y] a interjeté appel des dispositions de cette décision le concernant intimant la SELARL [N] [D] prise en la personne de Maître [N] [D] en qualité de mandataire judiciaire de la société [14].
Par ordonnance du 20 août 2024 l'affaire a été fixée à bref délai et renvoyée à l'audience du 20 novembre 2024 en vue de la fixation des dates envisagées pour l'ordonnance de clôture et l'audience de plaidoirie. L'appelant a signifié la déclaration d'appel à l'intimée par acte d'huissier du 21 août 2024.
L'appelant a notifié ses conclusions par voie électronique le 18 septembre 2024 et l'intimée le 18 octobre 2024, laquelle a formé appel incident.
Par déclaration transmise par voie électronique le 16 octobre 2024, la SELARL [15] s'est constituée en lieu et place du précédent conseil de l'appelant.
Par ordonnance du 20 novembre 2024, la procédure a été clôturée avec effet différé au 2 juin 2025 et l'affaire fixée à l'audience du 16 juin 2025 renvoyée ensuite au 18 juin 2025.
Le dossier a été communiqué au ministère public qui, selon son avis du 12 juin 2025, communiqué aux parties par voie électronique le 13 juin 2025, a requis la confirmation du jugement.
A l'issue de l'audience du 18 juin 2025 la décision mise en délibéré par mise à disposition au greffe le 30 septembre 2025.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET DES MOYENS
Dans ses seules et uniques conclusions notifiées par voie électronique le 18 septembre 2024 M. [Y] demande à la cour d'appel d'infirmer en toutes ses dispositions le concernant le jugement dont appel et, statuant à nouveau, de :
- juger qu'il ne peut être lui reproché l'absence de dépôt dans les délais de l'état de cessation des paiements, compte tenu du court délai entre sa nomination aux fonctions de co-gérant et le dépôt de la déclaration,
- juger en conséquence, que ce grief ne peut justifier le prononcé d'une mesure d'interdiction de gérer et une mise en cause au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actifs,
- juger qu'il ne peut être lui reproché la poursuite abusive d'une exploitation déficitaire financée par une impasse sur le paiement des cotisations sociales et des impôts, puisque cette situation était déjà bien antérieure à sa nomination aux fonctions de gérant, en témoignent les bilans clos en 2017 et 2018,
- juger de surcroît qu'il n'a retiré aucun intérêt personnel de cette situation eu égard à la rémunération modique qu'il en retiré,
- juger en conséquence que ce grief ne peut justifier le prononcé d'une mesure d'interdiction de gérer et une mise en cause au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actifs,
- juger enfin, qu'il n'est nullement caractérisé dans cette affaire une intention frauduleuse ou une quelconque mauvaise foi de sa part, de sorte que la SELARL [N] [D] n'est pas fondée à solliciter le prononcé d'une mesure d'interdiction de gérer à son encontre ou une condamnation pécuniaire au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif, lesquelles mesure apparaissent disproportionnées,
- débouter la SELARL [N] [D] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
En tout état de cause :
- condamner la SELARL [N] [D] à lui payer la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens.
Le dispositif de ses conclusions reprenant ses moyens, ils ne seront pas développés à nouveau.
Dans ses seules et uniques conclusions notifiées par voie électronique le 18 octobre 2024, la SELARL [N] [D] demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris par le tribunal mixte de commerce de Saint Pierre le 26 juin 2024 en ce qu'il a retenu à l'encontre de Mme [V] [S] ainsi que de M. [K] [Y] en leur qualité de dirigeants de droit, à titre de fautes de gestion, la poursuite d'une activité déficitaire plusieurs années de suite sans reconstituer les capitaux propres de la société, financée par une impasse sur le paiement des cotisations sociales et des impôts, ainsi que l'absence de déclaration de l'état de cessation des paiements dans les 45 jours,
Réformant pour le surplus et statuant à nouveau :
- dire et juger que ces fautes de gestion ont eu pour conséquence de constituer la totalité du passif de la société [14],
En conséquence,
- condamner solidairement Mme [V] [S] ainsi que M. [K] [Y] à lui verser en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [14], la somme de 250 000 euros au titre du comblement d'une partie de l'insuffisance d'actif,
- prononcer à l'encontre de Mme [V] [S] ainsi que M. [K] [Y] la faillite personnelle, emportant interdiction de gérer dont les modalités et l'étendue sont laissées à l'appréciation de la cour de céans, le ministère public entendu en ses réquisitions et à titre subsidiaire la seule interdiction de gérer dans les mêmes conditions,
- condamner solidairement Mme [V] [S] ainsi que M. [K] [Y] à lui verser chacun en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [14] la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles,
- condamner aux dépens, comprenant les frais de greffe restant à liquider.
L'intimée fait valoir que :
- le montant de l'insuffisance d'actif s'élève à la somme de 653 694, 05 euros, - Mme [V] [S] ainsi que M. [K] [Y] ont commis des fautes de gestion ayant constitué le passif de la société et ainsi créé l'insuffisance d'actif :
en omettant de déclarer l'état de cessation des paiements dans le délai légal alors qu'ils n'étaient pas en capacité de payer les dettes sociales et fiscales de l'entreprise,
en poursuivant sciemment l'exploitation déficitaire de la société pendant plusieurs années par l'impasse sur le paiement des cotisations sociales et des impôts alors qu'ils ne pouvaient ignorer son état de cessation des paiements, en n'ayant pas reconstitué les capitaux propres devenus négatifs, comme l'article L.222-42 du code de commerce le leur imposait,
- s'il convient d'appliquer le principe de proportionnalité, l'ordre public économique justifie que le montant de la condamnation pécuniaire soit dissuasif et que la condamnation prononcée par le premier juge soit majorée, - les co-gérants ont, tous deux, perçu des rémunérations de gérance de la société et ont ainsi retiré un intérêt personnel de la poursuite abusive de l'activité déficitaire de la société permise par le défaut de paiement des cotisations sociales et des impôts.
Il est fait renvoi aux écritures susvisées pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les demandes formées à l'encontre de Mme [S]
Les articles 550 et 551 du code de procédure civile disposent que sous réserve des articles 906-2, 909 et 910, l'appel incident ou l'appel provoqué peut être formé, en tout état de cause, alors même que celui qui l'interjetterait serait forclos pour agir à titre principal. Dans ce dernier cas, il ne sera toutefois pas reçu si l'appel principal n'est pas lui-même recevable ou s'il est caduc. L'appel incident ou l'appel provoqué est formé de la même manière que le sont les demandes incidentes.
La SELARL [N] [D] forme un appel provoqué à l'encontre de Mme [S] qui n'est ni appelante, ni intimée par l'acte d'appel ni partie intervenante. Elle ne justifie cependant pas lui avoir fait signifier ses conclusions par acte extra-judiciaire.
Par conséquent les demandes formulées par l'intimée à l'encontre de Mme [S] seront déclarées irrecevables.
Sur la qualité de gérant de droit de l'appelant
Il sera seulement précisé à ce titre qu'en cause d'appel l'appelant ne conteste plus sa qualité de co-gérant.
Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif
Aux termes de l'article L651-2 du code de commerce, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou partie, par le dirigeant de droit ou de fait ayant contribué à la faute de gestion Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.
Il s'agit d'une action en responsabilité délictuelle qui suppose l'existence d'un préjudice pour la société, une insuffisance d'actif, la caractérisation de la commission de fautes de gestion excédant la simple négligence à la charge de la personne dont la responsabilité est recherchée et la démonstration d'un lien de causalité entre la ou les fautes commises et l'insuffisance d'actif constatée.
- Sur l'insuffisance d'actif
L'insuffisance d'actif s'établit à la différence entre le montant du passif admis et correspondant à des créances antérieures au jugement d'ouverture et le montant de l'actif de la personne morale débitrice tel qu'il résulte des réalisations effectuées en liquidation judiciaire. Le passif postérieur non éligible au privilège de l'article L. 622-17 et le passif social postérieur ainsi que les frais liés à la procédure collective sont exclus du calcul, de même que ceux engendrés par une poursuite d'activité provisoire.
Le liquidateur peut exercer une action en responsabilité pour insuffisance d'actif dès lors que celle-ci, même non chiffrée, est certaine en son principe et certaine pour un montant incontestable.
En l'espèce, le liquidateur judiciaire chiffre le passif total antérieur déclaré non contesté non provisionnel non rejeté de la société à la somme de 734 096,88 euros, l'actif à celle de 80 402,63 euros et évalue donc l'insuffisance d'actif à 653 694,05 euros, somme qui n'est pas remise en cause par l'appelant.
En conséquence, l'insuffisance d'actif est certaine et se chiffre à la somme de 653 694,05 euros au jour où la cour d'appel statue.
- Sur les fautes de gestions excédant une simple négligence et le lien de causalité
La faute de gestion susceptible d'engager la responsabilité pour insuffisance d'actif doit avoir été commise dans l'administration de la société et prouvée par le demandeur. Elle peut également résulter d'une abstention. Elle doit être imputable au dirigeant poursuivi, pour des faits commis durant l'exercice de ses fonctions et ne peut résulter d'une simple négligence. Un intérêt personnel n'est pas exigé.
En vertu du principe de proportionnalité, si plusieurs fautes de gestion sont retenues, il importe que chacune d'elles soit également justifiée.
Un lien de causalité doit être établi entre la faute de gestion et l'insuffisance d'actif. Si plusieurs fautes de gestion sont reprochées, le lien de causalité doit être établi pour chacune d'elles. La faute doit avoir seulement contribué à l'insuffisance d'actif. Il n'est pas nécessaire que la faute soit la cause directe et exclusive du dommage.
En l'espèce, en application de l'article L653-4 du code de commerce le tribunal a retenu que l'appelant avait commis des fautes de gestion en ne déclarant pas l'état de cessation des paiements dans le délai légal de 45 jours et en poursuivant l'activité déficitaire de la société par une impasse sur le paiement des cotisations sociales et des impôts.
L'appelant conteste avoir commis un quelconque manquement qui engage sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif.
L'intimée estime que les fautes retenues par le jugement sont constituées, outre celle de l'absence de reconstitution légale des capitaux propres, et qu'elles ont contribué à l'insuffisance d'actif de la société. Elles seront examinées successivement.
Concernant le défaut de déclaration de cessation des créances dans le délai légal
L'article L.631-4 du code de commerce prévoit que l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les quarante-cinq jours qui suivent la cessation des paiements s'il n'a pas, dans ce délai, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.
Le jugement d'ouverture du 29 juillet 2020 a fixé la date de cessation des paiements au 27 février 2020. En application du texte susvisé, la déclaration de cessation des paiements aurait dû être faite au plus tard le 13 avril 2020 alors que la co-gérante ne l'a déclarée que le 31 mai 2020, date figurant dans sa saisine du tribunal mixte de commerce aux fins d'ouverture d'une procédure collective déposée le 16 juillet 2020. La faute de gestion susvisée est dès lors constituée.
L'appelant excipe qu'il était en réalité employé en tant qu'agent de sécurité et que sa mission en tant que gérant n'était que purement technique, outre le fait qu'étant co-gérant depuis seulement un peu plus d'un an il ne disposait pas du recul nécessaire pour se prononcer sur l'état de cessation des paiements.
Il ne peut cependant se retrancher derrière ces circonstances dans la mesure où, le 14 février 2019, il a non seulement accepté le poste de gérant, mais il a également obtenu la qualité d'associé de la société, détenant la moitié des parts sociales. Sa situation vis-à-vis de la personne morale n'était donc pas, comme il l'affirme, celle d'un salarié qui se serait impliqué dans son fonctionnement technique uniquement, mais celle d'un associé-gérant qui était tenu de connaître la situation de la société pour avoir accès aux documents comptables et avait le devoir de se mettre en situation de pouvoir prendre les bonnes décisions pour la survie économique de cette dernière dont il était responsable.
En outre, étant devenu gérant depuis un an et demi, il avait nécessairement pris connaissance de la situation de cette dernière avant d'accepter cette mission et lors de son entrée en fonction. Il indique, qui plus est dans ses écritures, que « s'il a accepté les responsabilités de gérant, c'est certainement parce qu'il croyait fermement dans le redressement de la société ». Il ne justifie pourtant pas des démarches réalisées et changements apportés pour apporter une solution aux difficultés financières qui préexistaient depuis deux ans. La faute de gestion commise dépasse ainsi la simple négligence.
Cette faute a, enfin, contribué à l'augmentation du passif dans la mesure où entre la date à laquelle la déclaration de l'état de cessation des paiements aurait dû être déposée et celle à laquelle elle l'a réellement été la société n'a cessé d'accumuler un passif, en particulier un passif social et fiscal.
Concernant la poursuite abusive de l'exploitation manifestement déficitaire de la société
L'appelant ne conteste pas les dettes déclarées par la [7] (385 285,82 euros), les [8] (221 146,85 euros) et la [9] (106 796 euros). Il déclare lui-même dans ses écritures que les chiffres et résultats dégagés par la société étaient catastrophiques depuis au moins l'exercice comptable 2017.
Il est ainsi établi que les gérants ont poursuivi une exploitation déficitaire permise notamment par l'impasse faite sur le paiement des cotisations sociales et des impôts dus aux organismes sociaux et fiscaux, les sommes non versées permettant momentanément de ne pas grever l'actif. Le rapport de l'administratrice judiciaire et les documents comptables produits par l'intimée mettent également en lumière que les capitaux propres étaient négatifs et les résultats d'exploitation largement déficitaires. L'ampleur des créances déclarées par ces organismes suffit à démontrer le caractère abusif du choix fait par les gérants, de poursuivre l'activité. L'appelant, co-gérant pendant une période d'un an et cinq mois avant l'ouverture de la procédure collective a ainsi commis une faute de gestion.
Si cette situation consistait, au regard de l'analyse de l'administratrice judiciaire, en un fonctionnement structurel ancien qui préexistait à la date à laquelle l'appelant est devenu co-gérant, il n'en demeure pas moins, comme cela a été développé précédemment, que lorsqu'il a pris ses fonctions il n'ignorait pas cet état de fait et que la société nécessitait d'être redressée. Il ne justifie pourtant d'aucune démarche réalisée pour y remédier ou solliciter l'ouverture d'une procédure collective. Au regard de ces éléments et de l'ampleur des dettes susvisées, la poursuite de l'activité déficitaire ne pouvait consister en une simple négligence.
Il en résulte que l'appelant a ainsi commis une faute de gestion excédant la simple négligence qui a eu pour résultat de contribuer à l'insuffisance d'actif en ce que notamment les créances des organismes sociaux et fiscaux ont considérablement augmentées, aggravant le passif.
Concernant l'absence de reconstitution légale des capitaux propres dans le délai légal
Au titre de l'article L223-42 du code de commerce si, du fait de pertes constatées dans les documents comptables, les capitaux propres de la société deviennent inférieurs à la moitié du capital social, les associés décident, dans les quatre mois qui suivent l'approbation des comptes ayant fait apparaître cette perte s'il y a lieu à dissolution anticipée de la société.
Si la dissolution n'est pas prononcée à la majorité exigée pour la modification des statuts, la société est tenue, au plus tard à la clôture du deuxième exercice suivant celui au cours duquel la constatation des pertes est intervenue, de reconstituer ses capitaux propres à concurrence d'une valeur au moins égale à la moitié du capital social ou de réduire son capital social du montant nécessaire pour que la valeur des capitaux propres soit au moins égale à la moitié de son montant.
L'intimée soutient, comme devant le premier juge, que l'appelant a commis une faute de gestion en n'ayant pas reconstitué les capitaux propres de la société, négatifs depuis l'année 2017 et étaient donc devenus, de fait, inférieurs à la moitié du capital social.
Le jugement de première instance n'a pas retenu de faute spécifique à ce titre son égard mais a mentionné ce point comme ayant participé à la faute de poursuite abusive de l'exploitation déficitaire de la société.
Il sera rappelé que l'appelant n'a été co-gérant qu'à compter du 14 février 2019. Il ne peut lui être reproché de ne pas avoir reconstitué les capitaux en application de l'alinéa 2 de l'article L.223-42 pendant le temps de sa gérance extrêmement court et alors que les délais susvisés ont commencé à courir alors qu'il n'avait pas cette qualité. Aucune faute de gestion ne sera retenue contre lui à ce titre.
Sur la sanction pécuniaire
Un dirigeant peut être condamné à supporter la totalité de l'insuffisance d'actif même si la faute commise n'en est que l'une des causes. Le tribunal dispose d'un pouvoir souverain, dans la limite de l'insuffisance d'actif, pour fixer le montant de la condamnation. Le montant de la condamnation doit être proportionné au nombre et à la gravite des fautes de gestion que le dirigeant a commises. Il doit également être tenu compte des facteurs économiques qui peuvent conduire à la défaillance des entreprises ainsi que les risques inhérents à leur exploitation et de la situation personnelle du dirigeant et ses facultés contributives en application de ce principe de proportionnalité.
En l'espèce, l'insuffisance d'actif est évaluée à une somme totale de 653 694,05 euros et l'appelant a commis deux fautes de gestion, ce qui justifie qu'il soit condamné à en supporter une partie sous réserve du respect des principes d'individualisation de la sanction et de proportionnalité.
Mme [S], gérante pendant une durée d'environ trois ans et demis a été condamnée au paiement d'une somme de 10 000 euros à ce titre. L'appelant n'a été gérant de la société que pendant un an et cinq mois au cours desquels s'est produit la crise sanitaire avec le confinement entre mars et juin 2020 qui, au regard de son activité, en a forcément impacté les conditions d'exploitation. Il est actuellement gérant d'une société intervenant dans le même secteur d'activité. Il ne justifie pas plus de sa situation personnelle et financière.
Au regard de ces éléments et en l'absence d'autre élément porté à la connaissance de la cour d'appel, les fautes commises qui ont porté une atteinte aux droits des créanciers et l'ampleur du montant retenu au titre de l'insuffisance d'actif, justifient le principe du prononcé d'une sanction pécuniaire. Néanmoins au regard de la brièveté de sa co-gérance, de ce que seules deux fautes ont été commises et des éléments conjoncturels susvisés, sa condamnation à supporter l'insuffisance d'actif à hauteur de 5 000 euros est adaptée et proportionnée.
Le jugement sera confirmé en ce sens.
Sur la sanction personnelle
Le premier juge a prononcé à l'encontre de l'appelant une interdiction de gérer pendant une durée d'un an. Ce dernier en demande l'infirmation au motif qu'il n'a commis aucune faute justifiant le prononcé d'une telle sanction. L'intimée reprend ses prétentions de première instance, sollicitant à titre reconventionnel que soit prononcée la faillite personnelle de l'appelant et, subsidiairement, une interdiction de gérer dans les mêmes conditions.
L'article L. 653-1 I 2° du code de commerce dispose que lorsqu'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les dispositions du présent chapitre sont applicables aux personnes physiques, dirigeants de droit ou de fait de personnes morales. Selon l'article L. 653-2 de ce même code, la faillite personnelle emporte interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale.
Les cas dans lesquels la faillite personnelle de tout dirigeant d'une personne morale peut être prononcée sont limitativement prévus par les articles L. 653-4 à L. 653-6 du code de commerce. Ainsi en application de l'article L.653-4 elle peut être prononcée pour avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale.
L'article L. 653-8 du même code dispose que dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.
Il prévoit également que l'interdiction de gérer peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation
La faillite personnelle, tout comme l'interdiction de gérer, sont des sanctions professionnelles et les juges du fond disposent d'un pouvoir souverain d'option. Du fait de leur nature de sanctions, elles sont soumises aux principes de nécessité et de proportionnalité des peines, ce qui impose qu'elles soient motivées dans leur principe et leur quantum, la motivation devant prendre en compte la gravité des fautes et la situation personnelle de l'intéressé. A l'instar de ce qu'il en est de l'action pour insuffisance d'actif, si plusieurs fautes sont reprochées, chacune d'elle doit être justifiée.
Au regard de tout ce qui précède, si l'appelant a commis une faute en poursuivant de manière abusive l'exploitation déficitaire de la société qui ne pouvant que la conduire à la cessation des paiements, il n'est pas démontré qu'il l'ait fait à des fins personnelles. En l'absence d'autre manquement pouvant donner lieu au prononcé de cette sanction, l'intimée sera déboutée de sa demande au titre du prononcé d'une faillite personnelle à l'encontre de l'appelant.
Concernant l'interdiction de gérer, il a été démontré que l'appelant, qui savait, selon ses termes, que les chiffres et résultats dégagés par la société étaient déjà catastrophiques bien avant qu'il n'intègre les organes de direction de la société, comme en témoigne les bilans clos au 31 décembre 2017 et 31 décembre 2018, et ne pouvait ainsi ignorer que les cotisations sociales n'étaient plus payées depuis deux ans, n'a sciemment pas déclaré l'état de cessation des paiements dans le délai légal. Il encourt de ce fait le prononcé d'une interdiction de gérer.
Néanmoins, la durée courte pendant laquelle il a été gérant de la société, les aléas conjoncturels qui se sont réalisés pendant cette période telle que la crise sanitaire et le confinement qui ont impacté l'activité de la société, l'absence de bénéfice financier substantiel retiré de sa mission de co-gérant dont il justifie, ne témoignent pas d'une dangerosité avérée pour l'ordre public économique qui justifierait qu'une interdiction de gérer soit prononcée. En l'espèce, la sanction pécuniaire s'avérant suffisamment dissuasive de réitérer un tel comportement, il n'apparaît ni nécessaire, ni proportionné de prononcer une mesure d'interdiction de gérer à l'encontre de l'appelant.
Le jugement critiqué sera, dès lors, infirmé sur ce point.
Sur les autres demandes
Succombant en son appel, M. [Y] sera condamné à en régler les entiers dépens sur le fondement des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
En outre, l'équité ne commande pas d'allouer une quelconque somme à l'intimée au titre des frais irrépétibles. L'appelant qui succombe sera débouté de sa prétention du même chef.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare les demandes formées par la SELARL [N] [D] à l'encontre de Mme [V] [S] irrecevables ;
Confirme le jugement déféré dans ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu'il a prononcé une interdiction de gérer d'une durée d'un an à l'encontre de M. [K] [Y] et dit qu'elle sera mentionnée à son casier judiciaire, fera l'objet des publicités prévues à l'article R.621-8 du code de commerce et sera adressée aux autorités mentionnées à l'article R.621-7 du même code;
Et statuant à nouveau :
Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une interdiction de gérer à l'encontre de M. [K] [Y] ;
Y ajoutant,
Condamne M. [K] [Y] à régler les entiers dépens de l'appel ;
Rejette toute autre demande plus ample ou contraire.
Le présent arrêt a été signé par Madame Séverine LEGER, Conseillère faisant fonction de Présidente de chambre, et par Madame Nathalie BEBEAU, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE