Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 1 octobre 2025, n° 23/08640

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Google LLC (Sté)

Défendeur :

Google Car (SASU), Kwantum Participations (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Douillet

Conseillers :

Mme Barutel, Mme Distinguin

Avocats :

Me Moisan, Me Neri

TJ Paris, du 19 avr. 2023, n° 21/03123

19 avril 2023

EXPOSÉ DU LITIGE

La société de droit des États-Unis d'Amérique Google LLC est une entreprise technologique proposant divers produits et services, dont le moteur de recherche éponyme, le système d'exploitation pour mobiles, ainsi que des smartphones, des enceintes connectées et des logiciels.

Elle est notamment titulaire des marques suivantes :

la marque verbale de l'Union européenne Google n°1104306 (n°306), enregistrée le 12 mars 1999 pour désigner différents produits et services en classes 9, 35, 38 et 42, et dûment renouvelée ;

GOOGLE

la marque verbale française Google n°3469539 (n°539), enregistrée le 14 décembre 2006, pour désigner différents produits et services en classes 9, 38 et 42, et dûment renouvelée ;

La société Google LLC indique avoir développé, dans le cadre de la diversification de ses activités, un projet de voiture autonome dénommé « Google Car ».

La société Google Car, immatriculée le 22 mai 2020, a pour activité la construction de véhicules automobiles.

Son associé unique est la société Kwantum Participations, une société à responsabilité limitée immatriculée le 19 juillet 2011, spécialisée dans les activités de sociétés holding et investissements en capital-risque.

Reprochant aux sociétés Google Car et Kwantum Participations de contrefaire ses marques, après une mise en demeure par lettre du 4 novembre 2020 restée vaine, la société Google LLC, par actes d'huissier du 16 février 2021, a fait assigner les sociétés Google Car et Kwantum Participations devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de marques.

Par ordonnance du 22 mars 2022, le juge de la mise en état a notamment déclaré irrecevable la demande, présentée par les sociétés Google Car et Kwantum participations, de sursis à statuer dans l'attente de la décision dans la procédure d'opposition en cours devant l'office européen de la propriété intellectuelle (EUIPO).

Par jugement contradictoire rendu le 19 avril 2023, dont appel, le tribunal judiciaire de Paris a :

débouté la société Google LLC de ses demandes fondées sur l'atteinte portée à ses marques renommées Google ;

débouté les sociétés Google Car et Kwantum Participations de leur demande reconventionnelle en indemnisation ;

condamné la société Google LLC aux dépens ;

condamné la société Google LLC à payer la somme totale de cinq mille euros (5000 €) aux société Google Car et Kwantum Participations en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire.

Dans ses conclusions uniques, transmises le 10 octobre 2023, la société Google LLC, appelante, demande à la cour de :

infirmer le jugement du 19 avril 2023 dans toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté les sociétés Google Car et Kwantum Participations de leurs demandes reconventionnelles en indemnisation

statuant à nouveau,

dire et juger que la marque de l'Union européenne « GOOGLE » n°1104306 et la marque française GOOGLE n°3469539 sont des marques renommées respectivement dans l'Union européenne et en France ;

dire et juger que la reproduction et l'usage de la marque de renommée « GOOGLE » à titre de dénomination sociale, de nom commercial et d'enseigne par la société Google Car constituent des actes de contrefaçon de la marque de l'Union européenne "GOOGLE" n°1104306 et de la marque française GOOGLE n°3469539;

en conséquence,

faire interdiction à la société Google Car de reproduire et d'utiliser la marque de renommée "GOOGLE" seule ou associée à d'autres termes à titre de dénomination sociale, de nom commercial, de nom de domaine et d'enseigne ;

enjoindre la société Google Car de modifier sa dénomination sociale, son nom commercial et son enseigne afin qu'elles ne reproduisent plus les marques renommées "GOOGLE" n°3469539 et n°1104306, et ce, sous astreinte de 500 euros par jour, passé un délai de 15 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;

condamner in solidum les sociétés GOOGLE CAR et KWANTUM PARTICIPATIONS à verser à la société Google LLC la somme de 20 000 (vingt mille) euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice porté au caractère distinctif et à la renommée de sa marque de l'Union européenne "GOOGLE" n°1104306 et de sa marque française GOOGLE n°3469539 et en raison du profit indument tiré par les intimées ;

ordonner la publication du présent dispositif sur son site internet via un lien hypertexte renvoyant vers le dispositif de l'arrêt à venir ;

débouter les sociétés GOOGLE CAR et KWANTUM PARTICIPATIONS de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

condamner in solidum les sociétés GOOGLE CAR et KWANTUM PARTICIPATIONS à verser à la société GOOGLE LLC la somme de 20.000 (vingt mille) euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

condamner in solidum les sociétés Google Car et Kwantum Participations aux entiers dépens, dont distraction au profit du Cabinet Herbert Smith Freehills Paris LLP, Avocats, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.

La déclaration d'appel et les conclusions de la société Google LLC ont été signifiées respectivement les 17 juillet 2023 et 17 octobre 2023 aux sociétés Google Car et Kwantum Participations, selon procès-verbal de recherches infructueuses prévu à l'article 659 du code de procédure civile.

La société Kwantum Participations a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 14 mars 2024, la société Axyme en la personne de Me [U] [Z] ayant été nommée en qualité de liquidateur judiciaire.

Par acte du 3 janvier 2025, remis à personne morale, la société Google LLC a assigné en intervention forcée la société Axyme en la personne de Me [U] [Z] en qualité de liquidateur judiciaire de la société Kwantum Participations.

La société Google Car et le mandataire liquidateur de la société Kwantum Participations ne sont pas constitués en appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 mai 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur le chef du jugement non contesté

Le jugement n'est pas contesté en ce qu'il a débouté les sociétés Google Car et Kwantum Participations de leur demande reconventionnelle en indemnisation.

Sur la contrefaçon des marques n° 306 et n° 539

La société Google LLC fait valoir que la dénomination et le nom commercial incriminés sont reproduits sur les pages du site internet de la société Google Car, et ce pour faire la promotion des produits proposés au public ; que la dénomination sociale et le nom commercial sont utilisés sur les réseaux sociaux, notamment sur Instagram qui présente Google Car comme « une société française basée à [Localité 8] créant un tout nouveau véhicule automatique pour le marché des voitures autonomes urbaines » et fait la promotion de ses produits en reprenant le nom commercial et la dénomination sociale ; que les signes litigieux sont également reproduits sur le site de cartographie de Mappy ; que le tribunal judiciaire s'est donc mépris en considérant que les signes litigieux ne sont pas utilisés dans la vie des affaires.

Elle ajoute que les marques Google bénéficient d'une renommée mondialement reconnue résultant du service de recherche « google search » et des nombreux autres produits et services Google vendus dans des secteurs divers ; que les signes incriminés sont hautement similaires aux marques de renommée Google tant sur le plan visuel, phonétique qu'intellectuel ; que la société Google Car, en choisissant ces signes, a tenté de profiter indument de la réputation de Google, de sorte qu'il existe un risque que l'image des marques Google soit transférée sur la société litigieuse en raison du risque d'association ; que cet usage est par ailleurs sans juste motif au sens où il n'y avait aucune raison légitime à reprendre ces signes, autrement que pour bénéficier de leur renommée ; que cette reprise porte également atteinte à la valeur des marques Google leur faisant courir un risque de ternissement.

Sur ce,

En application de l'article L.713-3 du code de la propriété intellectuelle et de l'article 9 du règlement (UE) 2017/1001 sur la marque de l'Union européenne : « Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires, pour des produits ou des services, d'un signe identique ou similaire à la marque jouissant d'une renommée et utilisé pour des produits ou des services identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, si cet usage du signe, sans juste motif , tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque, ou leur porte préjudice. »

Il est acquis qu'une marque est considérée comme renommée lorsqu'elle est connue d'une fraction significative du public pertinent et qu'elle exerce un pouvoir d'attraction propre indépendant des produits ou services désignés, ces conditions devant être réunies au moment des atteintes alléguées.

Dès lors que la renommée d'une marque européenne est établie sur une partie substantielle du territoire de l'Union, pouvant le cas échéant coïncider avec le territoire d'un seul Etat membre, il y a lieu de considérer que cette marque jouit d'une renommée dans l'Union (CJUE 3 sept 2015 [Localité 7] & Smith C125-14 points 19 et 20).

En l'espèce, les pièces versées au débat par la société Google LLC et notamment les articles de presse, démontrent que les marques Google sont utilisées en France et en Europe de manière intensive et qu'elles jouissent d'une exceptionnelle renommée auprès du public français et européen établie bien avant 2020, date des faits incriminés, le moteur de recherche Google étant utilisé par plus de 600 millions d'utilisateurs d'Internet en Europe de 2019 à 2023, le site google.fr, visité par plus de 50 millions de visiteurs français par mois et plus de 40 millions de visiteurs par jour en 2020, 2021, 2022 et 2023, étant le quatrième site internet le plus visité en France en octobre 2023, Google faisant partie des dix marques les plus visibles sur Instagram et Twitter en 2018 et 2019 et la quatrième la plus mentionnée sur les réseaux sociaux, décomptant plus de 125 millions de publications.

S'agissant de l'usage dans la vie des affaires, la CJCE, devenue CJUE, a dit pour droit dans l'arrêt [G] C-17/06 du 11 septembre 2007, que, si une dénomination sociale, un nom commercial, ou une enseigne n'ont pas en soi pour finalité de distinguer des produits et services, puisqu'ils ont pour objet d'identifier une société ou signaler un fonds de commerce, il doit être considéré qu'il y a usage pour des produits ou services lorsque ce tiers appose le signe constituant sa dénomination sociale, son nom commercial ou son enseigne sur les produits qu'il commercialise, et, même en l'absence d'apposition, s'il utilise le signe de telle façon que s'établit un lien entre le signe constituant la dénomination sociale, le nom commercial ou l'enseigne du tiers et les produits commercialisés ou les services fournis par ce tiers.

Il y a usage d'un signe identique à la marque, au sens de l'article 5 de la directive 89/104, lorsque l'opérateur économique concerné utilise ce signe dans le cadre de sa propre communication commerciale (CJUE 16 juillet 2015 C-379-14 Top Logistics, point 41).

En l'espèce, il résulte des pièces produites que la société Google Car a pour dénomination sociale enregistrée « Google Car » et qu'elle utilise sa dénomination sociale et son nom commercial sur le registre du commerce et des sociétés ainsi que sur son site googlecar.fr et sur son compte Instagram pour présenter et promouvoir son activité de construction et de vente de véhicules automobiles. L'usage incriminé dans la vie des affaires pour des produits ou services est donc caractérisé.

S'agissant de la comparaison entre les signes en présence, sur un plan visuel, le signe litigieux Google Car reprend l'intégralité de la marque Google, qui est en position d'attaque et captera immédiatement l'attention du consommateur, l'adjonction du mot « car », terme descriptif placé en seconde position, n'étant pas de nature à écarter, pour le public visé, l'impression visuelle d'ensemble de similarité.

Sur un plan phonétique, la marque Google est intégralement reproduite au sein du signe litigieux, ce terme, qui a une prononciation singulière marquée par la répétition de sons gutturaux, peu communs pour le public français, étant dominant. La similarité phonétique est donc forte.

Sur le plan intellectuel, le terme "Google" est un terme de fantaisie, fortement distinctif, sa distinctivité étant renforcée par la renommée de la marque antérieure. Le terme « Car », accolé au signe litigieux, signifiant voiture en anglais, sera associé à des services en lien avec des véhicules, l'attention du public étant donc retenue par le premier terme, à savoir Google.

Il résulte des développements qui précèdent que la marque Google jouissant d'une exceptionnelle renommée, les consommateurs, en prenant connaissance du signe contesté « Google Car », feront le lien avec les marques de renommée Google.

Il est également avéré qu'en adoptant les signes litigieux, la société Google Car a cherché à se placer dans le sillage des marques de renommée Google, afin de bénéficier de leur pouvoir d'attraction et de tirer profit de leur renommée et de leur caractère distinctif, sans justes motifs. La société Google Car a donc commis des actes de contrefaçon des marques de renommée Google. Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

Sur les mesures de réparation

Il sera fait droit aux mesures d'interdiction et d'injonction sous astreinte, dans les termes du dispositif ci-après.

La société Google LLC demande, au visa de l'article L. 716-4-10 alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle, le paiement de la somme forfaitaire de 20.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la reproduction de ses marques de renommée au sein des signes litigieux.

Compte tenu de la renommée exceptionnelle des marques Google en cause, il sera fait droit à sa demande.

La société Google Car sera donc condamnée de ce chef. La demande de condamnation in solidum de la société Kwantum Participations, placée en liquidation judiciaire, la société Google LLC n'ayant au surplus pas déclaré sa créance, sera en revanche rejetée.

Le préjudice étant suffisamment réparé, il n'y a pas lieu de faire droit à la mesure de publication.

PAR CES MOTIFS,

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté les sociétés Google Car et Kwantum Participations de leur demande reconventionnelle en indemnisation,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que la société Google Car a commis des actes de contrefaçon de la marque de l'Union européenne Google n°1104306 et de la marque française Google n°3469539 ;

Fait interdiction à la société Google Car de reproduire et d'utiliser la marque de renommée « Google » seule ou associée à d'autres termes à titre de dénomination sociale, de nom commercial, de nom de domaine et d'enseigne ;

Enjoint à la société Google Car de modifier sa dénomination sociale, son nom commercial et son enseigne afin qu'elles ne reproduisent plus les marques renommées « Google » n°3469539 et n°1104306, et ce, sous astreinte de 500 euros par jour, passé un délai de trois à compter de la signification du présent arrêt, et ce pendant une période de six mois ;

Condamne la société Google Car à verser à la société Google LLC, à titre de dommages et intérêts, la somme de 20 000 euros ;

Rejette les demandes de la société Google LLC à l'encontre de la société Kwantum Participations, et sa demande de publication ;

Condamne la société Google Car aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile, et vu l'article 700 du même code, la condamne à verser à ce titre, pour les frais irrépétibles de première instance et d'appel, à la société Google LLC, une somme de 15 000 euros.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site