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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 6, 1 octobre 2025, n° 23/13756

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 23/13756

1 octobre 2025

RÉPUBLIQUE FRAN'AISE

AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 6

ARRÊT DU 01 OCTOBRE 2025

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/13756 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIDOT

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Juin 2023 - tribunal judiciaire de Paris 9ème chambre 3ème section - RG n° 18/04864

APPELANT

Monsieur [R] [P]

né le [Date naissance 2] 1959 à [Localité 11]

Chez Monsieur [M] [S] - [Adresse 5]

[Localité 8]

Représenté par Me Vincent PERRAUT de la SELARL SILLARD CORDIER & ASSOCIÉS, avocat au barreau de Paris, toque : P0087

INTIMÉE

S.C.O.P. S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE ILE-DE-FRANCE

[Adresse 4]

[Localité 6]

N° SIREN : 382 900 942

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Michèle SOLA, avocat au barreau de Paris, toque : A0133

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 17 Juin 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Vincent BRAUD, président de chambre

Mme Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère chargée du rapport

Mme Laurence CHAINTRON, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Vincent BRAUD, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.

* * * * *

PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 2 août 2023, M. [R] [P] a interjeté appel d'un jugement rendu le 16 juin 2023 en ce que le tribunal judiciaire de Paris, saisi par voie d'assignation en date du 26 avril 2018 délivrée à sa requête, déclarant parfait le désistement d'instance de M. [P] à l'encontre de la société de participation financière de profession libérale [V] et de la société d'exercice libéral à forme anonyme MJA ès qualités de liquidateur de ladite société, a ensuite statué ainsi :

'DEBOUTE monsieur [R] [P] de l'ensemble de ses demandes formées contre la société anonyme Caisse d'épargne et de prévoyance Ile-de-France ;

CONDAMNE monsieur [R] [P] à payer à la société anonyme Caisse d'épargne et de prévoyance Ile-de-France la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE monsieur [R] [P] aux dépens ;

AUTORISE maître Michèle Sola à recouvrer directement contre monsieur [R] [P] les frais compris dans les dépens dont elle aurait fait l'avance sans en avoir reçu provision ;

ORDONNE l'exécution provisoire du présent jugement.'

***

À l'issue de la procédure d'appel clôturée le 13 mai 2025 les prétentions des parties s'exposent de la manière suivante.

Au dispositif de ses conclusions communiquées par voie électronique le 31 octobre 2023 qui constituent ses seules écritures l'appelant

présente, en ces termes, ses demandes à la cour :

'Réformer le jugement attaqué en tous ses chefs critiqués,

Statuant à nouveau,

Dire éteints les cautionnements consentis à la CAISSE d'EPARGNE ET DE PREVOYANCE ILE-DE-FRANCE par Monsieur [R] [P] les 12 janvier 2012 et 23 octobre 2013 en l'absence d'obligations principales garanties,

À défaut, vu l'article L. 341-4 du Code de la consommation en sa rédaction applicable à

l'espèce,

Dire que la CAISSE d'EPARGNE ET DE PREVOYANCE ILE-DE-FRANCE ne pourra se prévaloir contre Monsieur [R] [P] des cautionnements consentis les 12 janvier 2012 et 23 octobre 2013,

En tout état de cause, condamner la CAISSE d'EPARGNE ET DE PREVOYANCE ILE-DE-FRANCE à payer à Monsieur [R] [P], outre dépens de première instance et d'appel, la somme de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du CPC.'

Au dispositif de ses conclusions communiquées par voie électronique le 5 janvier 2024 qui constituent ses seules écritures, l'intimé

présente, en ces termes, ses demandes à la cour :

'Il est demandé à la Cour d'appel de Paris de :

- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 16 juin 2023 par le Tribunal

judiciaire de Paris (RG n°18/04864)).

- Débouter monsieur [R] [P] de l'intégralité de ses demandes.

- Condamner monsieur [R] [P] à payer à la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE ILE-DE-FRANCE la somme de 2.720.345,75 €, outre intérêts légaux à compter du 3 avril 2018, date de la mise en demeure.

- Condamner monsieur [R] [P] à payer à la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE ILE-DE-FRANCE la somme de 12.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

- Condamner monsieur [R] [P] aux entiers dépens et autoriser maître Michèle SOLA à les recouvrer conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.'

Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs conclusions précitées.

MOTIFS DE LA DECISION

1 - En juin 2009, M. [R] [P] et M. [L] [E], tous deux pharmaciens, ont constitué la société en nom collectif Pharmacie [P] [E], avec le projet d'exploiter une pharmacie à l'enseigne 'Bazire' située [Adresse 3], à [Localité 9]. Chacun d'eux détenait 250 des 500 parts de la société.

Par acte sous seing privé en date du 25 juin 2009, la société Caisse d'épargne et de prévoyance Ile-de-France a consenti à la société en nom collectif Pharmacie [P]-[E], par ailleurs titulaire en ses livres, depuis le 10 juin 2009, d'un compte courant n°[XXXXXXXXXX01] assorti d'une facilité de caisse de 500 000 euros, un prêt n°8546466 d'un montant de 4 450 000 euros, remboursable en 189 mensualités, au taux annuel contractuel de 4,15 %, destiné à financer partiellement l'acquisition de cette officine.

Par acte sous seing privé en date du 19 juin 2010, la banque a également consenti à la société Pharmacie [P]-[E] un prêt n°8601171, d'un montant de 60 785 euros, remboursable en 120 mensualités, au taux annuel contractuel de 4,05 %, aux fins de financer des travaux dans les locaux de la pharmacie.

Le prêt n°8546466 a été modifié par avenants successifs des 13 avril 2010, 14 octobre 2010 et 12 janvier 2012. Aux termes de ce dernier avenant la durée initiale de ce prêt a été allongée et portée à 252 mois, dont 12 mois en différé. À cette dernière occasion, par acte sous seing privé du même jour, M. [P] s'est engagé en qualité de caution pour garantie du remboursement de ce prêt n°8546466, à hauteur de la somme de 3 083 222,04 euros.

2 - Le 10 janvier 2013, M. [P] a racheté les parts de son associé pour devenir détenteur unique des 500 parts de la société en nom collectif, désormais dénommée SNC Pharmacie [P].

Par un quatrième avenant, du 23 octobre 2013, le prêt n°8546466 a été renuméroté sous le n°A751317V000, et a fait l'objet d'un nouvel allongement de 24 mois et d'un report durant cette période du capital et des intérêts non réglés du 5 février 2013 au 5 janvier 2015. Aux termes de cet avenant, l'engagement de caution de M. [P] destiné à garantir le remboursement du prêt n°8546466 a été porté à 6 200 521,56 euros.

3 - Par jugement en date du 14 avril 2015, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Pharmacie [P]. Par courrier recommandé du 18 mai 2015, la Caisse d'épargne et de prévoyance Ile-de-France a déclaré ses créances pour un total de 5 420 345,75 euros, au titre du solde débiteur du compte courant et des deux prêts susvisés, dont 4 853 050,69 euros au titre du prêt n°8546466. Ces créances ont été admises, intégralement, au passif de la procédure collective par trois ordonnances du juge commissaire en date du 20 juin 2016, pour les sommes suivantes :

- 4 853 050,69 euros à titre privilégié au titre du prêt n°8546466,

- 33 897,12 euros à titre chirographaire au titre du prêt n°8601171,

- 533 397,94 euros à titre chirographaire au titre du solde débiteur du compte courant.

Un plan de redressement par la continuation a été envisagé, moyennant le renoncement de la Caisse d'épargne et de prévoyance Ile-de-France, qui était le principal créancier de la société, à une majeure partie de sa créance, ce qu'elle a tout d'abord refusé.

4 - Cependant, deux pharmaciens, MMme [V], qui envisageaient de reprendre l'exploitation de cette officine et l'intégralité du capital de la société Pharmacie [P], par le biais d'une société à constituer, ont proposé à la Caisse d'épargne et de prévoyance Ile-de-France de racheter ses créances au prix de 2 000 000 euros. Cette opération permettait de réduire considérablement le passif de la société Pharmacie [P] et l'adoption du plan de continuation.

C'est ainsi que la Caisse d'épargne et de prévoyance Ile-de-France le 29 septembre 2016 a cédé sa créance à la société de participation financière de profession libérale [V], au prix de 2 000 000 euros. Le prix de cession n'ayant jamais été acquitté, la Caisse d'épargne et de prévoyance Ile-de-France a notifié au cessionnaire la résolution de la cession, le 11 avril 2017.

5 - La résolution du plan de continuation a été prononcée et la liquidation judiciaire de la société [P] devenue Selarl Basire a été ordonnée, par jugement du tribunal de commerce de Paris du 3 janvier 2018.

Après que la procédure de sauvegarde qu'elle avait sollicitée a été annulée par arrêt du 12 septembre 2017 de la Cour d'appel de Paris, sur demande de la Caisse d'épargne et de prévoyance Ile-de-France et du Ministère public, pour fraude aux droits de la banque, la société de participation financière de profession libérale [V] a elle aussi fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire, suivant jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 31 octobre 2018, clôturée pour insuffisance d'actif le 24 septembre 2019.

6 - Par courrier recommandé en date du 3 avril 2018, le conseil de la Caisse d'épargne et de prévoyance Ile-de-France a mis en demeure M. [R] [P], en sa qualité d'unique associé de la société en nom collectif Pharmacie [P], tenu indéfiniment et solidairement au paiement des dettes de celles-ci conformément à l'article L. 221-1 du code de commerce, de payer au plus tard le 23 avril 2018 la somme globale de 5 420 345,75 euros correspondant au solde débiteur du compte et aux sommes dues au titre des deux prêts, sans succès. Par acte d'huissier du 4 mai 2018, la Caisse d'épargne et de prévoyance Ile-de-France a donc fait assigner M. [P] devant le tribunal de commerce de Paris aux fins d'obtenir sa condamnation en paiement, en cette qualité d'associé de la société en nom collectif Pharmacie [P].

7 - C'est dans ces conditions que M. [P] a, par acte d'huissier daté du 26 avril 2018, fait assigner la société de participation financière de profession libérale [V] et son mandataire liquidateur ainsi que la société Caisse d'épargne et de prévoyance Ile-de-France devant le tribunal de grande instance de Paris, aux fins notamment de voir la banque être déchue du bénéfice du cautionnement consenti le 12 janvier 2012 modifié le 23 octobre 2013, au motif de l'extinction de ces engagements en l'absence d'obligation principale garantie, et à défaut de les voir juger manifestement disproportionnés.

***

En première instance M. [P] développait que la banque l'a poursuivi en paiement devant le tribunal de commerce de Paris, qui dans un jugement rendu le 12 janvier 2023, l'a déboutée de ses demandes en retenant qu'elle n'était plus créancière du débiteur principal en raison de la cession de créance et ne pouvait dès lors solliciter le paiement de la dette sur le fondement de l'article L. 221-1 du code de commerce. Invoquant les dispositions de l'article 1355 du code civil, M. [P] soutenait que le tribunal ne peut juger en sens contraire sans porter atteinte au principe de l'autorité de chose jugée et au principe de concentration des moyens. Il affrmait que dans la mesure où il est acquis que la Caisse d'épargne n'est plus créancière de la société en nom collectif vu les termes du jugement du 12 janvier 2023, le cautionnement consenti en garantie de cette même créance, par nature accessoire de cette dernière, ne peut qu'être dit éteint.

Subsidiairement, M. [P] invoquait les dispositions de l'article 2288 du code civil et entendait rappeler que le cautionnement revêt un caractère accessoire, supposant l'existence d'une obligation principale garantie. Il considérait qu'en l'occurrence, la dette qu'il entendait garantir en consentant le cautionnement litigieux a disparu, en raison de la cession de créance intervenue entre la Caisse d'épargne et la société de participation financière de profession libérale, le 29 septembre 2016. Il estimait qu'en application de l'artic1e 1184 du code civil, dans sa version applicable à la présent cession de créance, la banque ne pouvait nullement prononcer la résolution de la cession, en l'absence de clause résolutoire stipulée au contrat. Il considérait que la banque aurait dû agir en justice pour voir constater la résolution de la cession, si elle entendait s'en prévaloir. Il en déduisait que la cession de créance a produit son plein et entier effet et a emporté transfert de la créance dans le patrimoine de la société de participation financière de profession libérale. Ainsi la banque n'est plus créancière depuis le 29 septembre 2016, en sorte que l'obligation cautionnée à son profit n'existe plus, et le cautionnement litigieux n'a plus d'objet en l'absence de créance principale garantie.

En réponse aux moyens adverses, M. [P] soutenait que les dispositions de l'article 1226 du code civil invoquées par la banque ne sont pas applicables à la cession de créance litigieuse qui est antérieure au 1er octobre 2016. Il ajoutait que la Caisse d'épargne ne peut pas davantage se prévaloir d'une résolution unilatérale de la cession de créance, la notification opérée le 11 avril 2017 à l'endroit du cessionnaire étant dépourvue d'effet vu la procédure de sauvegarde ouverte à son endroit le 10 avril précédent par le tribunal de commerce. Il précisait que1'infirmation ultérieure de cette décision, par arrêt du 12 septembre 2017, ne remet nullement en cause l'exécution provisoire attachée à cette décision, et est sans conséquence rétroactive, puisqu'elle ne peut être confondue avec une rétractation ou une annulation. ll relevait aussi que la Caisse d'épargne n'a pas renouvelé sa mise en demeure ou la notification de la résolution dont elle se prévaut après l'arrêt du 12 septembre 2017. M. [P] soutenait qu'en toute occurrence, le manquement allégué par la Caisse d'épargne ne présentait pas une gravité suffisante pour justifier la résolution de la cession de créance. Il ajoutait que, contrairement à ce que prétend la banque, la cession de créance constituait un contrat synallagmatique, et soulignait que la caducité de la cession ne peut pas non plus être invoquée dans la mesure où aucune clause ne prévoyait qu'elle pourrait être acquise de plein droit et où elle n'était prévue qu'en cas de non adoption du plan de continuation, occurrence non réalisée en l'espèce. Il poursuivait en indiquant que l'admission de la créance de la banque au passif de la société en nom collectif Pharmacie [P] est sans incidence sur l'existence de l'obligation principale puisque cette admission ne vaut qu'au jour de l'ouverture de la procédure collective et ne dit rien de l'existence actuelle de la créance dans le patrimoine de la banque. Il ajoutait que la décison prononçant la résolution du plan de continuation n'a aucune incidence sur la cession de créance ou son éventuelle résolution, qui n'est pas évoquée dans le dispositif. Il déniait que l'autorité de chose jugée de cette décision puisse lui être opposée à défaut de réunir les trois conditions posées par l'article 1355 du code civil. Enfin, il indiquait que la circonstance que la banque a reçu paiement de la somme de 2 700 000 euros à l'occasion de la liquidation judiciaire est sans incidence sur la réalité juridique de la créance et soutenait que le liquidateur a été abusé par la thèse de la banque qui s'est prévalue d'une résolution de la cession, à tort.

M. [P] soutenait enfin qu'en tout état de cause, la banque ne peut nullement se prévaloir du cautionnement souscrit eu égard à son caractère manifestement disproportionné au sens de l'article L. 341 -4 du code de la consommation. Il entendait préciser que les biens immobiliers dont il était propriétaire à la date de conclusion des engagements litigieux étaient grevés en garantie de divers encours bancaires. Il estimait que le 'capital net' dont il disposait était alors nul. Il ajoutait que ses revenus imposables étaient marginaux par rapport au montant de l'engagement souscrit. Il entendait préciser que l'ensemble des pièces produites ont été communiquées à la partie adverse, qui n'a élevé aucun incident à ce sujet devant le juge de la mise en état. Il précisait que la créance qu'il détenait en compte courant d'associé, de l'ordre de 2 400 000 euros, est née postérieurement au cautionnement litigieux et ajoutait qu'en toute hypothèse cette créance était très inférieure au montant des engagements pris en qualité de caution.

La Caisse d'épargne et de prévoyance Ile-de-France sollicitait le rejet des demandes formées à son encontre. À titre liminaire, elle entendait préciser qu'une action en paiement dirigée contre M. [P], en sa qualité d'associé de la société en nom collectif, tenu solidairement aux dettes sociales, a été engagée devant le tribunal de commerce de Paris, lequel a rendu son jugement le 12 janvier 2023. Elle indiquait avoir interjeté appel de cette décision qui 1'a déboutée de sa demande en paiement. Elle déniait que l'autorité de chose jugée attachée à ce jugement puisse lui être opposée à l'occasion de la présente instance du moment que les deux procédures ne portent pas sur la même cause, celle poursuivie devant 1e tribunal de commerce ayant trait à l'obligation de l'associé au passif social et la présente instance étant relative au cautionnement souscrit par M. [P]. Elle soutenait que ces deux actions ont des fondements distincts et ne sont pas fondées sur les mêmes faits. La banque ajoutait que le principe de concentration des moyens ne peut pas davantage lui être opposé du moment qu'elle n'était pas tenue d'invoquer l'existence d'un cautionnement à l'occasion d'une instance relative aux obligations de l'associé. Elle insistait d'ailleurs sur le fait que si la procédure initiée devant le tribunal de commerce avait porté sur les cautionnements litigieux, M. [P] aurait lui-même été tenu de faire valoir tous ces moyens en ce compris ceux soulevés ici. Enfin, la banque soulignait que l'autorité de chose jugée ne s'attache qu'au dispositif des décisions de justice et nullement aux motifs. Elle en déduisait que les développements du tribunal de commerce sur son absence de créance à l'égard de la société débitrice principale, qui ne figurent pas dans le dispositif, ne sont pas revêtus de l'autorité de chose jugée. Elle considérait donc que le jugement n'a d'autorité de chose jugée qu'en ce qu'il l'a déboutée de son action fondée sur l'article L. 221-1 du code de commerce.

Ensuite, la banque soutenait que M. [P] est mal fondé à invoquer l'absence d'obligation principale garantie dans la mesure où ses créances ont été admises intégralement au passif de la débitrice principale, par trois ordonnances du juge commissaire en date du 20 juin 2016, et ce avant la cession de créance du 29 septembre 2016. Invoquant l'article L. 624-2 du code de commerce, elle faisait valoir que l'admission par le juge commissaire d'une créance au passif du débiteur a autorité de chose jugée et s'impose à la caution, laquelle n'a d'ailleurs nullement contesté l'état des créances. Elle estimait que ses créances contre la société en nom collectif ne sont nullement éteintes dans la mesure où elle a notifié la résolution de la cession de créance à la société de participation financière des professions libérales [V] dès le 11 avril 2017, et ce conformément à la jurisprudence finalement consacrée par l'article 1226 du code civil, ce qui lui a permis de retrouver l'intégralité de ses droits à l'égard de la débitrice principale. Elle précisait avoir fait précéder cette notification d'une mise en demeure préalable en date du 14 mars 2017 et soutenait que la gravité du manquement de la société [V] à ses obligations était largement établie et de nature à justifier la résiliation du contrat par voie de notification.

Elle estimait que la circonstance tenant à l'ouverture d'une procédure de sauvegarde à l'égard du cessionnaire est sans incidence sur la résolution prononcée, du moment que la cour d'appel de Paris a annulé cette procédure, en raison de la fraude commise à son endroit, par jugement du 12 septembre 2017, publié au Bodacc le 4 octobre suivant. Elle en déduisait que M. [P] ne peut se prévaloir de cette procédure de sauvegarde qui a été annulée et privée de tous effets, et aussi, que la notification de la résolution était efficace.

Elle ajoutait que le manquement allégué pour justifier ladite résolution, à savoir le non paiement du prix de 2 000 000 euros, est suffisamment grave.

Elle exposait avoir reçu un paiement partiel à l'occasion de la procédure de liquidation judiciaire, ce qui démontre, selon elle, la réalité de sa créance. Elle entendait préciser que l'acte de cession de créance prévoyait expressément la caducité de la cession en cas d'échec du plan de continuation, et ce parce que la cession de créance qui permettait de réduire drastiquement le passif de la débitrice s'inscrivait dans l'objectif poursuivi par la procédure collective. Elle considérait que le défaut de paiement du prix de cession remettait en cause l'économie générale du plan de continuation, qui devait être résolu, comme la cession, laquelle devenait caduque en l'absence de plan de continuation. Elle observait que la résolution du plan de continuation a notamment été justifiée par la remise en cause de la cession de la créance bancaire en l'absence de paiement du prix par le cessionnaire.

La banque par ailleurs contestait toute disproportion du cautionnement consenti. Elle rappelait qu'il incombe à la caution de prouver que son engagement était au jour de sa conclusion manifestement disproportionné, ce que ne fait pas M. [P]. Elle observait que M. [P] ne donne aucune indication concernant ses revenus perçus en 2012 et concernant l'épargne dont il disposait en 2012 et 2013. Enfin, la banque considérait que les demandes formées par M. [P] à l'occasion de la présente instance sont vaines, du moment qu'aucune demande en paiement n'est formée contre lui en sa qualité de caution.

***

Désormais, à hauteur d'appel M. [P] n'argue plus de l'autorité de la chose jugée, et de son côté la Caisse d'épargne et de prévoyance Ile-de-France forme à l'encontre de M. [P] une demande en paiement.

En outre, par arrêt du 22 janvier 2025, la Cour d'appel de Paris, chambre 5-6 a infirmé le jugement du tribunal de commerce de Paris du 12 janvier 2023 et a condamné M. [P] en paiement, en sa qualité d'associé. Aucune des parties n'a repris de nouvelles conclusions dans la présente affaire, au vu de cette dernière décision, postérieures à leurs écritures, précitées.

Le dispositif de l'arrêt rendu le 22 janvier 2025 est ainsi rédigé :

'INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Et, statuant à nouveau,

CONDAMNE M. [R] [P] à payer à la société Caisse d'épargne et de prévoyance [Localité 9] Ile-de-France la somme de 2 720 345,75 euros avec intérêts au taux légal à compter du 3 avril 2018 ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts à compter du 4 mai 2018 ;

CONDAMNE M. [R] [P] à payer à la société Caisse d'épargne et de prévoyance [Localité 9] Ile-de-France à payer à la somme 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [R] [P] aux entiers dépens de la présente instance qui seront recouvrés par Maître Michèle Sola, comme il est disposé à l'article 699 du code de procédure civile.'

A - Toutefois, l'évolution du litige est inopérante en ce qui concerne les motifs du jugement déféré qui conservent toute leur pertinence en ce que le tribunal a jugé, en particulier, et s'agissant de l'extinction de l'obligation de cautionnement alléguée :

' qu'il résulte des dispositions de l'article 1184 du code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, applicable au litige, que la gravité du comportement d'une partie à un contrat peut justifier que l'autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls, cette gravité n'étant pas nécessairement exclusive d'un délai de préavis ;

' qu'en l'espèce, la résolution unilatérale de la cession de créance est parfaitement justifiée et pouvait être prononcée sans intervention du juge, vu la gravité du manquement contractuel reproché au cessionnaire, à savoir l'absence de paiement du prix de cession ;

' que par suite, M. [P] ne peut se prévaloir de la cession de créance pour dire que la Caisse d'épargne et de prévoyance Ile-de-France ne serait plus créancière de la société [P], puisque ladite cession de créance a été valablement résolue et que la banque est ainsi demeurée titulaire d'une créance contre la société [P] ;

' que dans ces conditions, M. [P] n'est pas fondé à se prévaloir de l'absence de lien d'obligation entre la banque et le débiteur principal emportant extinction de sa propre obligation de paiement, en qualité de caution, au bénéfice de la Caisse d'épargne et de prévoyance Ile-de-France, et qu'ainsi, sa demande tendant à voir déclarer éteint le cautionnement consenti au bénéfice de cette dernière ne saurait prospérer.

En cause d'appel, M. [P], qui pour l'essentiel réitère l'argumentation déjà développée devant le premier juge ' à savoir : la Caisse d'épargne et de prévoyance Ile-de-France depuis le 29 septembre 2016 n'était plus créancière de la société en nom collectif [P] pour avoir cédé ses droits, qu'elle n'a jamais recouvrés, de sorte qu'elle ne peut par conséquent prétendre être créancière que de la société [V] ' argumentation à laquelle le tribunal a exhaustivement répondu, souligne que la Caisse d'épargne et de prévoyance Ile-de-France a accepté de céder sa créance sur la société en nom collectif [P], évaluée à plus de 5 400 000 euros, pour le prix de 2 000 000 euros si bien que le retard de paiement du cessionnaire qui était de moins de deux mois lorsque la résolution a été notifiée, ne revêt pas un caractère de gravité tel qu'il faille immédiatement résoudre le contrat, étant observé que le fait allègué par la banque avançant que le cessionnaire aurait affirmé ne pas vouloir payer, n'est pas démontré, et que la banque avait accordé à la société [V] un délai de paiement courant jusqu'au 14 avril 2017.

Cette observation ne constitue pas une critique utile des motifs du jugement déféré concernant le caractère de gravité du manquement contractuel reproché au cessionnaire, à savoir l'absence de paiement du prix de cession, qui est un fait avéré.

Le jugement déféré est donc confirmé sur ce premier chef.

B - Sur la disproportion

En droit, selon les dispositions de l'article L. 341-4 devenu L. 332-1 du code de la consommation, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était lors de sa conclusion manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution au moment où celle-ci est appelée ne lui permette de faire face à son obligation.

La preuve de la disproportion et de son caractère manifeste incombe alors à la caution, et non pas à la banque.

Il y a lieu de relever que les parties à hauteur d'appel ne font état d'aucun argument ni d'aucunes pièces nouvelles, et de souligner que l'ensemble a été examiné attentivement, et analysé exactement, par le premier juge.

Le jugement déféré énonce :

(... ) En l'espèce, le cautionnement litigieux souscrit par monsieur [P] le 23 octobre 2013 porte sur un montant maximum de 6.200.521,56 euros.

Le demandeur produit son avis d'impôt 2013 sur les revenus 2012 qui fait état d'un déficit de 272.995 euros au niveau des revenus industriels et commerciaux professiomels déclarés, ainsi qu'un déficit global des années antérieures reportable sur la déclaration de revenus perçus en 2013.

Il n'est produit aucune autre pièce sur d'autres revenus perçus par monsieur [P] à la date de souscription de l'engagement de caution, en octobre 2013.

En outre, monsieur[P] justifie de ce qu'il était propriétaire de deux biens immobiliers, à savoir un appartement de 97 m² et un studio de 14 m², situés [Adresse 7] à [Localité 9], acquis en 2007 et 2008 aux prix de 823 875 euros et 110 000 euros. Il ressort toutefois des pièces versées aux débats que ces acquisitions ont été financées au moyen de divers emprunts bancaires, regroupés en un prêt de 964 000 euros souscrit en 2009.

Monsieur [P] justifie en outre de la souscription de deux prêts de 50.000 euros et 170.000 euros en 2010 et 2011.

Enfin, il est constant que monsieur [P] détenait l'intégralité des parts de la société en nom collectif [P] à la date de conclusion du cautionnement du 23 octobre 2013 ; cependant, l'officine de pharmacie composant l'actif de cette société a été acquis au moyen de divers prêts, l'avenant au contrat de prêt du 23 octobre 2013 produit par la Caisse d'épargne et de prévoyance Ile-de-France faisant état de six inscriptions de nantissement du fonds de commerce de pharmacie pour sûreté des sommes dues à la défenderesse mais également au CERP [Localité 10] pour 405 000 euros et à la société Phoenix Pharma pour 200.000 euros et 99.244,46 euros.

Si la Caisse d'épargne et de prévoyance Ile-de-France fait valoir que les informations ainsi fournies par monsieur [P] sont parcellaires et ne reflètent pas la réalité de sa situation patrimoniale à la date de conclusion du cautionnement litigieux, évoquant notamment l'absence de justificatif relatif à l'épargne constituée par le demandeur, elle ne produit toutefois aucune pièce laissant voir que de tels éléments d'actif existeraient et que monsieur [P] aurait omis de déclarer certains biens ou revenus. Elle ne peut davantage évoquer l'existence d'un compte courant d'associé d'une valeur de 2.400.000 euros en 2016, du moment que cet élément est postérieur à la conclusion du cautionnement litigieux.

Dès lors, en l'état des éléments foumis par monsieur [P] portant à la fois sur l'actif et le passif de son patrimoine qui ne sont pas utilement critiqués par la société défenderesse, il doit être considéré que l'engagement du 23 octobre 2013 portant sur une somme de plus de 6millions d'euros était manifestement disproportionné à ses biens.'

Ces motifs méritent entière approbation.

Le tribunal a ensuite écrit :

'Néanmoins, les dispositions légales précitées ne prévoient de sanction au cautionnement disproportionné lors de sa conclusion que dans l'hypothèse ou le créancier ne fait pas la preuve du retour à meilleure fortune de la caution au jour de l'appel en garantie.

Or en 1'occurrence, monsieur [P] n'est pas poursuivi en paiement et n'a même jamais été mis en demeure d'exécuter les obligations découlant de l'engagement litigieux, lequel ne peut donc à ce jour lui être déclaré inopposable.

Par conséquent, monsieur [P] sera débouté de sa demande tendant à voir dire que la banque ne pourra se prévaloir de l'engagement de caution.'

Si dorénavant, à hauteur d'appel, la banque formule une demande en paiement à l'encontre de M. [P] en sa qualité de caution, en revanche elle ne propose à la cour aucune démonstration de ce que la situation financière actuelle de M. [P] lui permettrait de s'acquitter de la somme qui lui est réclamée.

Par conséquent, au vu de ce qui précède M. [P] doit être déchargé de son engagement de caution.

Il en découle que le jugement déféré doit être infirmé en toutes ses dispositions.

*****

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Compte tenu du sens de la présente décision, la Caisse d'épargne et de prévoyance Ile de France, partie succombante, supportera la charge des dépens et ne peut prétendre à aucune somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. En revanche pour des raisons tenant à l'équité il y a lieu de faire droit à la demande de M. [P] formulée sur ce même fondement, pour la somme réclamée, de 3 500 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans les limites de l'appel,

INFIRME le jugement déféré, et statuant à nouveau ;

DÉBOUTE M. [R] [P] de sa demande tendant à voir dire éteints les cautionnements consentis à la Caisse d'épargne et de prévoyance d'Ile de France les 12 janvier 2012 et 23 octobre 2013 en l'absence d'obligations principales garanties ;

DÉCHARGE M. [R] [P] de son engagement de caution du 12 janvier 2012 modifié le 23 octobre 2013 souscrit au profit de la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Ile de France en dernier lieu à hauteur de la somme de 6 200 521,56 euros ;

DÉBOUTE la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Ile de France de ses demandes dirigées à l'encontre de M. [R] [P] à ce titre ;

CONDAMNE la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Ile de France à payer à M. [R] [P] la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à raison des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel ;

DÉBOUTE la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Ile de France de sa propre demande formulée sur ce même fondement ;

CONDAMNE la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Ile de France aux entiers dépens de première instance et d'appel.

* * * * *

Le greffier Le président

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