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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 4-2, 3 octobre 2025, n° 22/00482

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 22/00482

3 octobre 2025

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-2

ARRÊT AU FOND

DU 03 OCTOBRE 2025

N°2025/

Rôle N° RG 22/00482 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BIVLN

[E] [I]

C/

S.A.S. SOGECLAIR AEROSPACE SAS

Copie exécutoire délivrée

le : 03 Octobre 2025

à :

SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN

Me Salomé CASSUTO

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AIX-EN-PROVENCE en date du 14 Décembre 2021 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F19/00198.

APPELANT

Monsieur [E] [I], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, Me Pouya AMIRI de la SELARL L&KA AVOCATS - KAB, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

S.A.S. SOGECLAIR AEROSPACE SAS, prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualité au siège social sis [Adresse 2]

représentée par Me Salomé CASSUTO, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE plaidant par Me Laurent SEYTE de la SELARL GUYOMARCH-SEYTE AVOCATS, avocat au barreau de TOULOUSE,

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 18 Juin 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Guillaume KATAWANDJA, Conseiller, et Madame Muriel GUILLET, Conseillère, chargés du rapport.

Madame Muriel GUILLET, Conseillère, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Florence TREGUIER, Présidente de chambre

M. Guillaume KATAWANDJA, Conseiller

Madame Muriel GUILLET, Conseillère

Greffier lors des débats : Mme Agnès BAYLE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 Octobre 2025..

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 03 Octobre 2025.

Signé par Mme Muriel GUILLET, Conseillère, pour la présidente de chambre empêchée, et Madame Cyrielle GOUNAUD Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*-*-*-*-*

Monsieur [E] [I] a été embauché par la SAS SOGECLAIR AEROSPACE par contrat à durée indéterminée du 8 novembre 2013, prenant effet au plus tard le 30 mai 2014, en qualité de responsable agence et interface commerciale, position III A indice 135 de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 janvier 2019, l'employeur l'a convoqué à un entretien préalable, avec mise à pied conservatoire, fixé au 8 février 2019, et ensuite duquel il l'a licencié pour faute grave, par lettre recommandée avec avis de réception du 14 février 2019, en ces termes : « Vous avez été engagé le 17 mars 2014 au sein de la société SOGECLAIR aerospace en qualité de RESPONSABLE AGENCE ET INTERFACE COMMERCIALE, Position IIIA, Indice 135.

Le 1er avril 2018, vous étiez muté à la direction commerciale en votre qualité de Responsable Agence.

A ce titre, il vous revient, parmi les missions confiées, conformément à votre fiche de poste signée le 22 décembre 2016 :

- de contribuer aux résultats et au développement de l'agence d'[Localité 3] en accord avec les objectifs de l'entreprise,

- de planifier, organiser et piloter le développement de l'agence en accord avec le Directeur,

- d'animer l'agence et d'établir un lien entre l'entreprise et les collaborateurs détachés,

Outre votre responsabilité par rapport aux projets de votre périmètre, à la compétitivité de l'entreprise, à la maîtrise des métiers et des compétences vous avez également des responsabilités et des obligations par rapport aux équipes : vous gérez les aspects RH et administratif pour l'ensemble des collaborateurs de l'agence, vous assurez la circulation des informations générales, vous développez la motivation, l'esprit de groupe et l'adhésion à l'entreprise, vous participez au maintien de la paix sociale. Cette responsabilité est par ailleurs un des objectifs qui est le critère Q5 de l'annexe de la convention forfait jours portant sur les objectifs et les modalités d'attribution de la prime sur objectifs en date du 20 mars 2018, critère Q5 qui représente 2% de la part variable individuelle de la prime.

L'analyse de votre activité démontre que vous n'avez pas su prendre toute la mesure de votre fonction ainsi que des nécessités qui vous incombent liées à l'exercice de votre mission eu égard à votre relationnel avec les collaborateurs dont vous avez la charge.

Vous devez agir pour maintenir la paix sociale et l'esprit de groupe.

Nous constatons des agissements vexatoires, des pressions exercées et des man'uvres d'intimidation à l'encontre de certains de vos collaborateurs qui s'en sont plaints.

Vous avez la responsabilité de maintenir le lien avec vos collaborateurs. Dans un mail adressé à la Direction des Ressources Humaines le 23 janvier 2019 une de vos collaboratrices, Madame [K] [J] évoque la « sensation d'oppression à votre égard » : lorsque vous lui parlez les phrases sont débitées rapidement si bien que vous ne lui laissez aucune liberté pour vous répondre, elle subit votre conversation. Alors qu'elle était malade et qu'elle vous a téléphoné pour vous en avertir vous lui avez répondu que « cela n'était pas la bonne semaine, que son avenir était en jeu et vous lui avez conseillé de se reposer et de retourner au travail le lendemain ». Le lendemain vous n'avez pas hésité à l'appeler 2 fois. Elle a préféré alors prendre des jours de congés au lieu de déclarer sa maladie et reprendre le travail au bout de 3 jours. Devant votre insistance elle a considéré qu'elle devait reprendre son poste.

Cette même collaboratrice en contrat à durée déterminée arrivait en fin de mission au mois de janvier 2019 et ne souhaitait pas la prolonger (mail à votre attention le 14 janvier 2019). Elle a cependant dans le cadre d'une éventuelle prolongation souhaité négocier une augmentation de salaire. Cette augmentation ayant été refusée le 21 janvier 2019 elle vous indiquait qu'elle ne souhaitait pas renouveler. Elle motivait sa décision « par le manque de communication que j'ai eu tout au long de la mission » outre le refus de son augmentation. « Même si l'on m'a clairement informé que je faisais une « grosse erreur » pour mon avenir je ne souhaite pas continuer dans ce service et ces conditions ».

Dans son mail du 23 janvier 2019 à l'attention des Ressources Humaines elle rapporte que :

- la semaine 3 vous l'avez contacté par téléphone à 3 reprises pour discuter sur son envie d'arrêter la mission en contrat à durée déterminée. Le lundi soir 14 janvier 2019, l'entretien s'est mal passé vous vous êtes montré « oppressant et désagréable ».

- le mardi 15 janvier 2019, nouvel appel de votre part.

- le vendredi 18 janvier 2019, vous deviez faire un point avec elle sur le renouvellement au lieu de cela ce fut un entretien téléphonique au cours duquel selon ses dires vous vous êtes « emporté fortement ».

Au cours des différentes conversations vous avez exercé à son encontre une pression en lui parlant de son chantage à ne pas vouloir signé et vous lui avez dit qu'elle était mal vu du client et de l'ingénierie. « J'ai compris que c'était comme une blacklist pour mon avenir. Et bien sûr à chaque fois le ton est monté de plus en plus ». La blacklist évoquée par Madame [J] résulte de propos « pas bon pour toi » que vous auriez prononcé à plusieurs reprises dans vos conversations sur le renouvellement de son contrat à durée déterminée.

Votre insistance s'est non seulement répercutée sur ses conditions de travail mais a également dégradé l'image de SOGECLAIR aerospace vis-à-vis de cette salariée. « j'ai conscience qu'une seule personne ne peut représenter une entreprise mais c'est bien la dernière fois que j'accepte de travailler pour une boite de prestation au vu des conditions. Pour vous résumé les sensations c'est comme du harcèlement, du chantage, toujours insisté pour imposer ses idées. Cela donne une sensation de malaise. Et la peur d'être blacklistée si je ne continue pas. »

Par ailleurs le 22 janvier 2019 pour l'encourager à rester et alors qu'elle était en congés vous l'avez appelé en lui promettant le versement de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat de 200 €. Dans un mail que vous a adressé Monsieur [T] [C], Responsable Paye, le 18 janvier 2019, celui-ci exprime clairement la position des Ressources Humaines sur le renouvellement des CDD qui ne prévoit pas d'augmentation de salaire. Malgré cela vous promettez le versement de la prime complétée par des notes de frais afin de répondre à la demande d'augmentation.

Or la note de la direction du 22 janvier 2019 indique en son article 2-Montant de la prime exceptionnelle « le montant de la prime sera proratisée au temps de travail et au temps de présence dans la société au titre de l'année 2018 ». La collaboratrice vous en fait la remarque, elle est présente dans l'entreprise depuis le 17 septembre 2018 la prime complète ne peut pas lui être versée. Or vous lui répondez que non et on verra plus tard.

Le 15 janvier 2019 vous vous êtes clairement exprimé sur le sujet dans un mail adressé à votre collègue [Y] [P], Ingénier Commercial, « Son CDD arrive à son terme fin janvier. Si elle ne renouvelle pas on est dans la merde »

Par votre attitude vous contrevenez aux directives de l'entreprise et vous ne respectez pas le collaborateur en lui donnant de fausses informations.

Un autre collaborateur, Monsieur [U] [W] dans un mail adressé à la Direction des Ressources Humaines, le 24 janvier 2019, dit ne plus supporter la situation avec Monsieur [I]. « je ressens une pression énorme du fait de ses appels incessants » alors qu'il vous a expliqué plusieurs fois que chez le clients PETROINEOS, il ne peut pas répondre au téléphone mais vous n'en tenez pas compte. Au cours des 30 dernières journées travaillées vous l'avez appelé 26 fois alors que le collaborateur est dans un contexte difficile d'exécution du contrat de travail. Le 15 janvier 2019 vous avez mentionné au client que le collaborateur ne donnait pas signe de vie alors que vous l'aviez eu la veille au téléphone et qu'il répondait à vos mails. Le client, agacé par cette situation, a demandé au collaborateur de vous rappeler et de régler cette histoire au plus vite. « j'ai vraiment mal pris que M.[I] implique le client PETROINEOS (Messieurs [R] [V] et [F] [M]) et entache ainsi ma réputation auprès du client. D'autant plus que, quand M.[I] tente de m'appeler, c'est, la plupart du temps, pour me demander de faire un travail commercial qui ne rentre ni dans le cadre de ma fonction ni dans celui de ma mission chez le client ».

Vous avez tenu à l'encontre de ce collaborateur des propos déplacés qui n'ont pas leur place ni dans un contexte professionnel, ni dans un contexte plus global : « il m'a dit je manque d'empathie vis-à-vis de lui et d'autres collaborateurs ». « Il a également dit que l'exigence que j'ai dans le travail fait de moi une personne dénuée d'humanité qui ne souhaite pas faire de tâches qui ne rentre pas dans le cadre de ma fonction et/ou de ma mission alors que cela l'arrangerait. Il a rajouté que je ne suis pas, je cite « un chrétien » car si c'était le cas, je ne réagirais pas de la sorte. « Quand on est chrétien, on apprend la tolérance et l'empathie ».

Au cours de l'entretien vous avez reconnu la matérialité des faits à l'exception du terme « mauvais chrétien ».

Par ailleurs Monsieur [U] [W] a démissionné de sa fonction d'animateur SSE ( santé sécurité environnement) estimant qu'il ne disposait plus de moyens nécessaires pour remplir sa mission (lettre recommandée du 17 décembre 2018). Vous l'avez mal pris et vous lui avez fait savoir par téléphone et devant le client, PETROINEOS, lors d'un déjeuner pour la nouvelle année, le 19 décembre 2018, en disant « que je faisais une grosse erreur dans ma carrière, que ma carrière chez SOGECLAIR aerospace allait en pâtir ».

Par vos propos et votre pression vous manquez aux règles élémentaires de sécurité notamment de l'article L 4122-1 du code du travail qui dispose : « Conformément aux instructions qui lui sont données par l'employeur, dans les conditions prévues au règlement intérieur pour les entreprises tenues d'en élaborer un, il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail ».

Dans le mail du 24 janvier 2019 adressé à la direction des Ressources Humaines le collaborateur se plaint de cette situation « Cette situation me pèse de plus en plus, je suis sur le point de craquer, je me sens incompris, dénigré et harcelé, j'ai besoin de mettre de la distance. Je suis face à quelqu'un qui ne comprend pas, m'insulte, me fait culpabiliser, me juge, me dénigre face au client et c'est trop pour moi ». Monsieur [W] considère comme des insultes les propos que vous auriez tenus à son encontre et évoqués plus haut à savoir : manque d'empathie, dénué d'humanité, quand on est chrétien on apprend la tolérance et l'empathie ».

« Sans oublier qu'au 24 janvier, M.[I] ne m'a toujours pas fait parvenir mes tickets restaurant capitalisés sur décembre 2018, je ne peux pas me déplacer à l'agence à cause de mes horaires chez le client, il ne prend pas le temps de venir les déposer et il refuse de les envoyer par courrier. Je souhaite continuer ma mission chez le client mais que les nuisances de M.[I] cessent. Il en va de mon bien-être, de ma mission, de mon image et de celle de Sogeclair vis-à-vis de PETROINEOS »

Outre Monsieur [W], Madame [J] nous informe également de la non réception de titres restaurant pour le mois de décembre ; le listing d'émargement concernant le mois de décembre 2018 confirme leur bonne réception. Non seulement nous constatons que vous signez à la place de vos collaborateurs pour [K] [J] et [U] [W] mais vous ne faites pas le nécessaire pour une remise en temps et en heure. Nous vous rappelons que les titres restaurants sont une rémunération annexe pour les collaborateurs qui eux versent chaque mois leur part de participation.

En votre qualité de responsable d'agence vous contribuez aux résultats et au développement de l'agence d'[Localité 3] en accord avec les objectifs de l'entreprise et sa politique commerciale.

Nous ne pouvons que constater que vous n'avez pas su intégrer tous les paramètres inhérents à votre fonction.

Illustrant ce constat :

Dans le mail du 23 janvier 2019, Monsieur [Z], Directeur Commercial, vous a adressé ainsi qu'à Monsieur [Y] [P] concernant une réponse au besoin de SNCF Réseau il vous rappelle que vous devez viser « au minimum une marge de profit de 5%. Donc cela veut dire une marge brute de 25% mini. Merci s'il vous plait de m'expliquer l'intérêt de cette proposition à 15/20% qui ne dégage aucune marge : quel est le plan pour compenser les pertes qu'une telle prestation engendre ».

Vous êtes en désaccord permanent avec la politique commerciale de l'entreprise ce qui nuit à l'image de marque de l'entreprise. Vous l'exprimez clairement dans votre mail du 24 janvier 2019 en réponse au mail de Monsieur [Z] du 23 janvier 2019 « maintenant cela fait 10 fois qu'on échange sur le sujet. Et ce sera pareil chaque fois »

Dans ce mail vous défendez un prix de vente de notre prestation auprès du client SNCF Réseau à un taux plus bas (550 €) que celui fixé par votre direction commerciale (624 €).

Par ces faits vous ne respectez pas les directives de votre direction et vous dégradez l'image de marque de SOGECLAIR aerospace auprès de nos clients en augmentant le prix pour vous aligner sur les consignes de votre direction alors que le client s'attend naturellement, lors de la négociation, à la baisse de ce prix et non à la hausse ce qui entraîne la non retenue de notre entreprise. En effet sachant que le prix plancher proposé par l'entreprise est de 624 € vous auriez dû partir en négociation sur le prix plus élevé. Cette situation vous contraint, lors de la négociation, à revenir au taux plancher de l'entreprise à savoir 624 €.

Vous êtes également critique sur la création de la nouvelle activité de diversification « SOGECLAIR SERVICES » dans laquelle vous êtes partie prenante. Votre mail du 24 janvier 2019 « Nous avons soit-disant créer SGS pour flexibiliser les choses or dans les faits c'est pire qu'avant »

Vous n'êtes d'accord sur rien et critique de tout. Une note sur les jours de fermeture 2019 a été adressée par le Président de la société, Monsieur [A] [N], à l'ensemble des directions le 23 octobre 2018. Le 24 janvier 2019, votre secrétariat a adressé aux collaborateurs rattachés à l'établissement d'[Localité 3] un rappel des congés à prendre au regard des jours imposés par la note de la direction. Le 25 janvier 2019 vous vous adressiez à votre secrétariat « Merci de ne pas mettre la pression aux équipes STI par rapport à cette note qui ne prend pas en compte les problématiques de nos clients. [D] ([Z]) je ne comprends pas pourquoi je ne suis pas consulté avant l'envoi d'une telle note. Cette note est incompatible avec nos problématiques locales ; Peux-tu faire remonter l'info stp ' »

Vous ne contribuez pas au maintien de la paix sociale, à l'esprit de groupe, vous contestez et commentez la politique commerciale. Vous maintenez certains de vos collaborateurs dans un état de stress permanent entrainant une dégradation de leurs conditions de travail. En cela vous portez atteinte aux intérêts de l'entreprise.

Ces faits sont constitutifs :

- d'un manquement particulièrement grave

° à vos obligations professionnelles et contractuelles ;

° à votre obligation de loyauté envers l'entreprise ;

° à l'exécution de bonne foi de votre contrat de travail conformément à l'article L1222-1 du code du travail ;

°aux règles élémentaires de sécurité et notamment au respect des dispositions de l'article L4122-1 du code du travail cité précédemment.

- d'une atteinte au pouvoir de direction dans la mesure où vous ne respectez pas les consignes et instructions, ce qui caractérise un acte d'insubordination.

Ces faits ont imposés une mise à pied à titre conservatoire durant le déroulement de la procédure légale.

C'est dans ce contexte que les faits énoncés ci-dessus nous ont contraints le 29 janvier 2019 à à vous convoquer dans le cadre d'un entretien préalable le 8 février 2019 à 11h30 afin de recueillir vos explications quant aux faits qui vous sont reprochés.

Vos explications n'ont pas été de nature à remettre en cause notre appréciation des faits.

Ce sont les raisons pour lesquelles nous prenons la décision de vous licencier pour faute grave. Compte tenu de la gravité des faits énoncés et de leurs conséquences, votre maintien dans l'entreprise s'avère effectivement impossible pendant le préavis. [']'

Contestant son licenciement et sollicitant diverses sommes notamment au titre de la rémunération variable, Monsieur [E] [I] a, par requête reçue le 19 mars 2019, saisi le conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence, lequel, par jugement du 14 décembre 2021, a

- dit que les faits reprochés à Monsieur [E] [I] ne justifient pas un licenciement pour faute grave

- dit que le licenciement de Monsieur [I] repose sur une cause réelle et sérieuse

- fixé le salaire moyen de Monsieur [I] à 4 828,33 euros

- condamné la société SOGECLAIR AEROSPACE à payer à Monsieur [E] [I] les sommes suivantes avec intérêt au taux légal et capitalisation des intérêts, à compter du prononcé du jugement :

* 14 484,99 euros bruts au titre de l'indemnité de préavis

* 1 448,49 euros bruts au titre des congés payés sur préavis

* 11 970,21 euros bruts au titre de l'indemnité de licenciement

* 17 388,43 euros au titre de rappel de rémunération variable sur les exercices 2016 à 2019

* 1 738,84 euros au titre de congés payés afférents

- ordonné la remise des documents de fin de contrat conformes à la décision

- ordonné le remboursement par la société SOGECLAIR AEROSPACE aux organismes concernés des indemnités chômage versés dans la limite de un mois

- rappelé l'exécution provisoire de droit

- débouté Monsieur [I] du surplus de ses demandes

- condamné la société SOGECLAIR AEROSPACE au paiement de la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- débouté la société SOGECLAIR AEROSPACE de ses demandes reconventionnelles

- condamné la société SOGECLAIR AEROSPACE aux dépens.

Par déclaration électronique du 12 janvier 2022, Monsieur [E] [I] a interjeté appel de cette décision, en sollicitant l'annulation, l'infirmation ou la réformation en ce qu'elle a :

- dit que le licenciement de Monsieur [I] repose sur une cause réelle et sérieuse

- fixé le salaire moyen de Monsieur [I] à 4 828,33 euros

- condamné la société SOGECLAIR AEROSPACE à payer à Monsieur [E] [I] les sommes suivantes avec intérêt au taux légal et capitalisation des intérêts, à compter du prononcé du jugement :

* 14 484,99 euros bruts au titre de l'indemnité de préavis

* 1 448,49 euros bruts au titre des congés payés sur préavis

* 11 970,21 euros bruts au titre de l'indemnité de licenciement

* 17 388,43 euros au titre de rappel de rémunération variable sur les exercices 2016 à 2019

* 1 738,84 euros au titre de congés payés afférents

- ordonné la remise des documents de fin de contrat conformes à la décision

- ordonné le remboursement par la société SOGECLAIR AEROSPACE aux organismes concernés des indemnités chômage versés dans la limite de un mois

- débouté Monsieur [I] de toutes ses demandes, notamment celles de nullité du licenciement et de réintégration dans son emploi, de paiement d'indemnité pour licenciement illicite, d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés y afférents, d'indemnités conventionnelles de licenciement, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages et intérêts pour préjudice distinct, de complément de rémunération pour indemnité de frais de véhicule et de transport, de rémunération variable, de congés payés y afférents, d'arriérés de salaire pour la période de mise à pied, de congés payés y afférents, au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamné la société SOGECLAIR AEROSPACE au paiement de la somme de 1 000 euros seulement au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées et notifiées par RPVA le 21 mai 2025, Monsieur [E] [I] demande à la cour de :

INFIRMER le jugement rendu le 14 décembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes d'Aix-en-Provence en ce qu'il a :

- Dit et jugé que le licenciement de Monsieur [I] repose sur une cause réelle et sérieuse,

- Fixé le salaire moyen de Monsieur [I] à 4 828,33 € (quatre mille huit cent vingt-huit euros et trente- trois centimes) bruts mensuels,

- Condamné la société SOGECLAIR AEROSPACE à payer à Monsieur [E] [I] les sommes suivantes avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, à compter du prononcé du jugement :

' 14 484,99 € (quatorze-mille-quatre-cent-quatre-vingt-quatre euros et quatre-vingt-dix-neuf centimes) bruts au titre de l'indemnité de préavis,

' 1 448,49 € (mille-quatre-cent-quarante-huit euros et quarante-neuf centimes) bruts au titre des congés payés sur préavis,

' 11 970,21 € (onze-mille-neuf-cent-soixante-dix euros et vingt et un centimes) bruts au titre de l'indemnité de licenciement,

' 17 388,43 € (dix-sept-mille-trois-cent-quatre-vingt-huit euros et quarante-trois centimes) au titre de rappel de rémunération variable sur les exercices 2016 à 2019,

' 1 738,84 € (mille-sept-cent-trente-huit euros et quatre-vingt-quatre centimes) au titre de congés payés afférents.

- Débouté Monsieur [I] du surplus de ses demandes.

CONFIRMER le jugement rendu le 14 décembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes d'Aix-en-Provence en ce qu'il a :

- Dit et jugé que les faits reprochés à Monsieur [E] [I] ne justifient pas un licenciement pour faute grave,

- Condamné la société SOGECLAIR AEROSPACE au paiement de la somme de 1.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Débouté la société SOGECLAIR AEROSPACE de ses demandes reconventionnelles

- Condamné SOGECLAIR AEROSPACE aux entiers dépens.

Et, statuant à nouveau :

- JUGER Monsieur [I] recevable et bien fondé en ses moyens, fins, demandes et prétentions ;

Y FAIRE DROIT ;

- DEBOUTER la société SOGECLAIR AEROSPACE de l'ensemble de ses moyens, fins, demandes et prétentions ;

En conséquence,

- JUGER irrecevable la prétention formulée par la société SOGECLAIR au titre de l'irrecevabilité et du rejet des débats de la pièce n°88 communiquée par Monsieur [E] [I], comme étant nouvelle en cause d'appel,

- FIXER le salaire mensuel brut de référence de Monsieur [I] à 5.455€ ;

- JUGER que le licenciement de Monsieur [I] en date du 14 février 2019 est intervenu sans cause réelle ni sérieuse

- CONDAMNER la société SOGECLAIR à verser à M. [E] [I] de la somme de 16.365€ au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre les intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du Conseil des Prud'hommes, soit à compter du 18 mars 2019, et ce sous astreinte de 200€ par jour de retard ;

- CONDAMNER la société SOGECLAIR au paiement au profit de M. [E] [I] de la somme de 1.636,50€ au titre des congés payés y afférents, outre les intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du Conseil des Prud'hommes, soit à compter du 18 mars 2019, et ce sous astreinte de 200€ par jour de retard ;

- CONDAMNER la société SOGECLAIR au paiement au profit de M. [E] [I] de la somme de 17.456 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement, outre les intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du Conseil des Prud'hommes, soit à compter du 18 mars 2019, et ce sous astreinte de 200€ par jour de retard ;

- JUGER que doit être écarté le montant maximal d'indemnisation prévu par l'article L. 1235-3 du Code du travail en ce qu'il porte, dans le cas particulier de Monsieur [I], une atteinte disproportionnée aux droits de ce dernier et CONDAMNER la société SOGECLAIR à verser à M. [E] [I] de la somme de 81.825€, équivalant à 15 mois de salaire, à titre d'indemnité pour licenciement abusif sans cause réelle et sérieuse.

Subsidiairement, APPLIQUER le barème issu du nouvel article L. 1235-3 du Code du travail et CONDAMNER la société SOGECLAIR à verser à Monsieur [I] la somme de 54.550€ équivalant à 10 mois de salaire, à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

En tout état de cause :

- CONDAMNER la société SOGECLAIR au paiement au profit de M. [E] [I] de la somme de 27 390,45€ au titre de sa rémunération variable au titre des périodes suivantes :

' Année 2015, pour 8.250€ ;

' Année 2016, pour 8.250€ ;

' Année 2017, pour 8.643,74€ ;

' Année 2018, pour 1.160,34€ ;

' Année 2019 (prorata), pour 1.086,37€.

Outre les intérêts au taux légal à compter du 25 février 2019, et ce sous astreinte de 200€ par jour de retard ;

- CONDAMNER la société SOGECLAIR au paiement au profit de M. [E] [I] de la somme de 2.739,05€ au titre des congés payés y afférents, outre les intérêts au taux légal à compter du 25 février 2019, et ce sous astreinte de 200€ par jour de retard ;

- CONDAMNER la société SOGECLAIR au paiement au profit de M. [E] [I] de la somme de 2.647,80€ au titre de l'arriéré de salaire pour la période de mise à pied non payée (du 29 janvier au 14 février 2019 inclus) outre les intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du Conseil des Prud'hommes, soit à compter du 18 mars 2019, et ce sous astreinte de 200€ par jour de retard ;

- CONDAMNER la société SOGECLAIR au paiement au profit de M. [E] [I] de la somme de 264,78€ au titre des congés payés y afférents, outre les intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du Conseil des Prud'hommes, soit à compter du 18 mars 2019, et ce sous astreinte de 200€ par jour de retard ;

- CONDAMNER la société SOGECLAIR à remettre à Monsieur [I] les documents de fins de contrat conformes, sous astreinte de 50 € par jour de retard,

- DEBOUTER la société SOGECLAIR de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- CONDAMNER la société SOGECLAIR à payer à Monsieur [I] 8.000 € sur le fondement de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens ;

- ASSORTIR les condamnations des intérêts au taux légal et prononcer la capitalisation des intérêts en application des dispositions de l'article 1343-2 du Code civil.

Par conclusions déposées et notifiées par RPVA le 15 mai 2025, la SAS SOGECLAIR AEROSPACE demande à la cour de :

' Infirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes d'AIX-EN-PROVENCE du 14 décembre 2021 en ce qu'il a :

- Jugé que les faits reprochés à Monsieur [E] [I] ne justifiaient pas un licenciement pour faute grave, mais uniquement un licenciement pour cause réelle et sérieuse

- Condamné la société SOGECLAIR AEROSPACE au paiement des sommes suivantes :

' 14 884,99 € à titre d'indemnité de préavis

' 1 448,49 € au titre des congés payés sur préavis

' 11 970,21 € à titre d'indemnité de licenciement

- Jugé que des sommes étaient dues au titre de la part variable de la rémunération de Monsieur [E] [I]

- Condamné la Société SOGECLAIR AEROSPACE au paiement de :

' 17 388,43 € à titre de rappel de rémunération variable sur les exercices 2016 à 2019

' 1 738,84 € au titre des congés payés afférents

- Ordonné le remboursement aux organismes concernés des indemnités chômage versées à Monsieur [I] dans la limite d'un mois

- Condamné la Société SOGECLAIR AEROSPACE au paiement de la somme de 1000€ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

' Statuant à nouveau, il est demandé à la Cour d'Appel d'AIX EN PROVENCE de :

- A titre préalable, vu les articles 564, 565, 566, et 567 du CPC, Vu la jurisprudence,

Juger irrecevables les enregistrements sonores produits par Monsieur [I] (pièce adverse 88) et les écarter des débats,

- Juger que les faits reprochés à Monsieur [E] [I] justifiaient un licenciement pour faute grave,

Débouter Monsieur [I] de l'intégralité de ses demandes au titre du licenciement.

- Juger que les sommes réclamées par Monsieur [I] au titre de la rémunération variable sont prescrites pour les années 2014 au 14 février 2016, ou, à titre subsidiaire, non fondées,

- Juger que les sommes réclamées par Monsieur [I] au titre de la rémunération variable pour la période postérieure au 15 février 2016 sont infondées,

- Débouter Monsieur [I] de ses demandes au titre de la rémunération variable

- En tout état de cause, débouter Monsieur [I] de l'intégralité de ses demandes

- Condamner Monsieur [I] au paiement de la somme de 8.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture de la procédure est en date du 23 mai 2025.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

I-Sur la rupture du contrat de travail

A-Sur le bien-fondé du licenciement

Aux termes de l'article L1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. L'article L1235-1 du code du travail dispose qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La lettre de licenciement fixe les limites des débats et doivent être examinés tous les griefs qui y sont énoncés, lesquels doivent être précis, objectifs et matériellement vérifiables. Les faits doivent être établis et constituer la véritable cause du licenciement. Ils doivent par ailleurs être suffisamment pertinents pour justifier le licenciement.

Il appartient au juge, qui n'est pas lié par la qualification donnée au licenciement, de vérifier la réalité des faits reprochés au salarié et de les qualifier puis de décider s'ils constituent une cause réelle et sérieuse au sens de l'article précité.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Il incombe à l'employeur d'en rapporter la preuve.

Sur ce :

L'employeur développe dans la lettre de licenciement deux groupes de griefs, l'un relatif au comportement du salarié vis-à-vis de collaborateurs, l'autre relatif à des critiques et non-respect de directives de la direction.

1-Sur le comportement du salarié à l'encontre de collaborateurs

La SAS SOGECLAIR AEROSPACE produit en pièce 20 le mail envoyé le 23 janvier 2019 par Madame [K] [J], exposant de manière claire et circonstanciée :

- d'une part qu'elle a renoncé à un arrêt-maladie fin novembre 2019 et l'a remplacé par 3 jours de congés en raison des remarques de son superviseur (Monsieur [E] [I]) sur le fait que « ce n'était pas la bonne semaine » et que son « avenir était en jeu », qu' « on se comprenait » « je regarder la télé je me reposer et je retournai le jour d'après au boulot » , et ses appels téléphoniques à deux reprises le lendemain pour lui demander quand elle revenait travailler

- d'autre part, qu'il a été « désagréable et oppressant » quand elle lui a annoncé ne pas vouloir rester jusqu'à la fin du projet Petroineos en 2020 mais proposait de poursuivre jusqu'à fin mai [2019] le temps de trouver quelqu'un d'autre ; que lorsqu'il a insisté pour qu'elle signe l'avenant de prolongation en lui disant qu'elle pourrait ensuite démissionner quand elle le voudrait et qu'elle lui a dit qu'elle allait réfléchir puisqu'elle n'avait pas les conditions qu'elle demandait, il « s'est emporter assez fortement » ; qu'il lui a dit qu'elle faisait « une grosse erreur pour [sa] carrière » ; qu'elle lui faisait « du chantage à pas vouloir signé » ; qu'elle était « mal vu du point de vue du client et de l'ingénierie » ; qu'à chacune des 3 conversations, « le ton monté de plus en plus »

- enfin, qu'il lui a téléphoné le 22 janvier 2019 durant ses congés, en lui indiquant qu'elle aurait la prime annuelle de 200 euros ; qu'elle lui a posé la question au vu de la note indiquant que cette prime était versée au prorata du temps passé ; qu'il lui a confirmé que « non et qu'on verra ça plus tard » et qu'il lui a « promis des notes de frais pour compenser [sa] demande d'augmentation »,

la salariée concluant « c'est comme du harcèlement, du chantage, toujours insisté pour imposer ses idées. Cela donne une sensations de malaise. Et la peur d'être blacklisté si je continue pas ».

Monsieur [E] [I] conteste la teneur des échanges ainsi rapportés, considérant d'une part qu'il a légitimement demandé un justificatif de l'absence de la salariée, laquelle a « fabriqué de toute pièce une histoire aussi peu crédible que l'annulation par son médecin d'un arrêt de travail » ; que leurs échanges étaient cordiaux ; que face à la demande d'augmentation de la salariée de 300 euros, il n'a eu aucune intention de retenir Madame [K] [J] dans l'entreprise ; qu'il s'est conformé à la position du service des Ressources Humaines ne prévoyant ni prime ni augmentation de salaire pour les renouvellements de CDD ; que sur instruction de Monsieur [D] [Z], son propre supérieur hiérarchique, « il sera proposé à Madame [J] une augmentation de salaire de 150 € par mois sous forme de note de frais » .

La cour constate toutefois, au vu des propres pièces qu'il produit :

- que lorsque Madame [K] [J] a informé l'employeur le 21 janvier 2019 qu'elle ne renouvelait pas le CDD expirant le 31 janvier, elle a invoqué notamment « un manque de communication tout au long de la mission » et qu'elle ne souhaitait pas continuer dans ce service et ces conditions « même si l'on m'a clairement informé que je faisais une grosse erreur », ce qui est cohérent avec les explications plus détaillées qu'elle formulera dans son mail du 23 janvier précité

- qu'il résulte des multiples échanges relatifs à la demande d'augmentation de la salariée qu'il a reçu une réponse négative claire du service des Ressources Humaines et a tenté d'obtenir l'appui de ses supérieurs hiérarchiques pour influer sur la position considérant qu'il fallait maintenir le contrat de la salariée ; qu'il n'a, contrairement à ce qu'il affirme, jamais obtenu un accord sur l'octroi de frais à la salariée, Monsieur [E] [I] lui disant le 21 janvier 2019 que [L] [Z] est « OK pour la partie frais qu'il faut appuyer pour conserver la mission quelque temps » et Monsieur [L] [Z] lui disant simplement le 22 janvier 2019 qu'il ne voyait pas pourquoi « si le client est d'accord RH devrait bloquer ». Il s'ensuit que Monsieur [E] [I] a faussement présenté à la salariée l'octroi de remboursement de frais comme acquis, alors que le service responsable avait opposé une réponse négative et que ses supérieurs hiérarchiques lui indiquaient uniquement « appuyer » la demande.

Monsieur [E] [I] communique également au débat de multiples attestations d'anciens supérieur hiérarchique et collaborateurs, louant ses qualités professionnelles et humaines, ce qui n'exclut pas la réalité d'un comportement pouvant être différent à l'égard d'autres personnes. Le fait que, dans leurs quelques échanges produits au débat, Madame [K] [J] ne se soit pas plainte auprès de lui de son comportement ne caractérise aucunement une relation dénuée de propos ou attitudes inappropriées.

Au vu de l'ensemble des éléments communiqués par chacune des parties, la cour retient que l'employeur apporte la preuve des griefs de pressions, de communication de fausses informations à Madame [K] [J] afin de l'inciter à signer l'avenant de prolongation de son contrat de travail, ainsi que de contravention aux directives de l'employeur la concernant.

La SAS SOGECLAIR AEROSPACE produit au débat le mail envoyé le 24 janvier 2019 par Monsieur [U] [W], ayant comme objet « situation délicate avec [E][I] », dans lequel il développe de manière claire et circonstanciée, ce qu'il décrit comme une situation pesante, dans laquelle il se sent « incompris, dénigré et harcelé ['] je suis face à quelqu'un qui me ['] m'insulte, me fait culpabiliser, me juge, me dénigre face au client », en exposant notamment :

- des appels téléphoniques multiples, 26 au cours des 30 derniers jours, alors qu'il lui a expliqué à plusieurs reprises ne pas pouvoir décrocher sur le terrain ou en réunion, sa mission chez le client l'amenant à être très régulièrement sur le chantier ou en réunion, ce dont Monsieur [E] [I] ne tenait pas compte ; qu'il répondait « évidemment aux mails » ; que le 15 janvier, Monsieur [E] [I] est allé jusqu'à contacter le client pour lui dire qu'il ne donnait plus signe de vie, ce qui a agacé le client qui lui a demandé de « régler cette histoire au plus vite »

- que lorsqu'il qu'il a rappelé Monsieur [E] [I] pour lui expliquer la situation, celui-ci lui a répondu qu'il était son chef ; que lui-même devait systématiquement décrocher quand il l'appelait et qu'il n'y avait aucune excuse valable

- que Monsieur [E] [I] lui a tenu des propos vexatoires, en lui disant qu'il manquait d'empathie ; que l'exigence qu'il avait dans le travail faisait de lui « une personne dénuée d'humanité » et qu'il n'était pas « chrétien » car sinon, il ne réagirait pas de la sorte « quand on est chrétien, on apprend la tolérance et l'empathie »

- que, lorsqu'il a quitté son poste d'animateur SSE, Monsieur [E] [I] lui a fait savoir par téléphone et devant les clients qu'il faisait « une grosse erreur dans sa carrière ».

Monsieur [E] [I] conteste les propos reprochés, conclut que Monsieur [U] [W] ne s'est jamais plaint de lui avant le mail du 24 janvier 2019 ; que les appels téléphoniques s'inscrivent dans leur relation professionnelle telle que résultant de la fiche de poste du salarié ; que Monsieur [U] [W] est demeuré injoignable téléphoniquement durant une semaine en janvier ce qui était inhabituel et injustifié et a « logiquement suscité [son] inquiétude » ; qu'il a soutenu le salarié lors de sa démission des fonctions d'animateur SSE, a proposé à sa hiérarchie de l'augmenter en 2016, s'enquerrait de sa charge de travail, se souciait de ses RTT et d'améliorer ses conditions de travail.

Il résulte des propres pièces qu'il produit :

- qu'il a envoyé un SMS le 8 janvier 2019 à Monsieur [U] [W], lui indiquant qu'il avait sans succès tenté de le joindre pour lui souhaiter une bonne année, auquel ce dernier a répondu

- qu'il lui a envoyé un SMS le 10 janvier 2019, lui disant « tu es plus dur à joindre qu'un ministre » et lui demandant s'il connaissait quelqu'un qui pourrait être intéressé par un poste d'ingénieur Process

- qu'il lui a envoyé un SMS le 14 janvier 2019 à 20h10, lui demandant s'il y avait un souci car il avait tenté de le joindre 5 fois depuis la semaine dernière sans succès,

- qu'il a tenté de le joindre à deux reprises le 14 janvier 2019 à 15h41 et 15h45, avant que Monsieur [U] [W] ne décroche le téléphone le même jour à 16h19.

Monsieur [E] [I] ne conteste pas dans ses écritures avoir contacté le client le 15 janvier 2019 pour lui dire qu'il n'avait plus signe de vie de Monsieur [U] [W], alors qu'il est constant que ce dernier lui avait a minima répondu au téléphone la veille à 16h49 et qu'ils avaient assisté ensemble à une réunion ce même jour. Monsieur [E] [I] ne conteste de même pas que Monsieur [U] [W] se trouvait souvent sur un chantier ou en réunion chez le client et qu'il répondait à ses mails.

S'il résulte de la fiche de poste de Monsieur [U] [W] que Monsieur [E] [I] était son supérieur hiérarchique dont il recevait les instructions notamment en termes de livrables, que le salarié devait lui rendre compte de l'avancement de ses travaux chez le client et lui faire remonter les difficultés techniques et que Monsieur [E] [I] était chargé du contrôle des travaux, la cour retient que la multiplicité des appels téléphoniques, pour des sujets n'intéressant pas nécessairement les missions de l'intéressé, dans des termes instaurant une urgence et une pression non justifiées, comme l'appel inapproprié au client le 15 janvier 2019, n'entraient pas dans le strict cadre de la relation professionnelle telle que résultant de la fiche de poste invoquée par Monsieur [E] [I].

Le fait que Monsieur [U] [W] ne se soit jamais plaint préalablement du comportement de Monsieur [E] [I], notamment lors des entretiens annuels ensemble, et que ce dernier ait montré par ailleurs de l'attention pour les conditions du travail du salarié dans les années précédentes, n'écarte pas la réalité des comportement ci-dessus décrits.

Au vu de l'ensemble des éléments communiqués par chacune des parties, la cour retient que l'employeur apporte la preuve des griefs de pressions et de propos dénigrants à l'encontre de Monsieur [U] [W].

Il résulte du listing d'émargement en date du 3 janvier 2019, et il n'est pas contesté par Monsieur [E] [I], que c'est lui qui a réceptionné les 15 tickets restaurant destinés à Madame [K] [J] et les 18 destinés à Monsieur [U] [W], chacun d'une valeur de 8 euros, et qu'il ne leur avait toujours pas remis au 24 janvier 2019, ce dont les salariés se sont plaints auprès de l'employeur.

La cour ne retient pas comme fautif le fait qu'il ait retiré ces avantages en leur nom, pratique manifestement acceptée par les salariés et leur employeur. En revanche, il ne communique aucune explication satisfaisante au retard pris dans leur communication aux bénéficiaires, le fait qu'il ait eu l'intention de se rendre dans les locaux du client le 31 janvier 2019 et de les leur remettre à cette occasion mais qu'il en a été empêché par sa mise à pied ne justifiant pas une rétention de plus de 3 semaines d'un élément de leur rémunération.

- Sur les critiques et le non-respect de directives de la direction

Les échanges de mails communiqués au débat, relatifs au dossier SNCF, montrent que Monsieur [E] [I] critiquait, dans des termes vigoureux et avec insistance, la politique de prix de la société, qu'il considérait non compétitifs, ainsi que l'absence d'efficacité de la SGS. La cour ne retient toutefois pas que la forme et le fond de ces critiques excédaient la liberté d'un salarié d'exprimer une position sur des thématiques susceptibles d'affecter son activité, comme la politique tarifaire de la société.

En revanche, la cour retient de la chronologie des échanges de mails que Monsieur [E] [I], qui connaissait la position précédemment exprimée de Monsieur [L] [Z], de viser une marge de profit de 25% et un taux minimal de PB de 624 euros, a proposé au client une offre avec un taux de 550 euros contrevenant ainsi à la politique tarifaire claire de la direction, qu'il lui appartenait d'appliquer malgré son désaccord avec elle, peu importe à ce titre que sur d'autres années, la société ait visé une marge brute de 15%. La cour considère que ce comportement, qui obligeait ensuite la société à un rectificatif à la hausse de sa proposition commerciale, était susceptible de nuire à l'image de celle-ci.

Il résulte des pièces 26, 27 et 28 communiquées par la SAS SOGECLAIR AEROSPACE qu'alors que l'employeur a diffusé le 23 octobre 2018 une note concernant les jours de fermeture en 2019 et que la secrétaire de Monsieur [E] [I] a rappelé aux collaborateurs de l'agence le 24 janvier 2019 de penser à poser leurs jours de congés en se référant aux jours imposés, Monsieur [E] [I] a indiqué à sa secrétaire de ne pas mettre la pression aux équipes par rapport à cette note et a envoyé un mail le 25 janvier 2019 auxdits collaborateurs en leur donnant des consignes différentes : rester conformes à la règle de 2018 et s'adapter aux fermetures du client.

Le grief d'absence de respect de consignes de l'employeur est ainsi établi.

- Sur la cause réelle du licenciement

Monsieur [E] [I] soutient que les reproches qui lui sont adressés sont factices et s'inscrivent dans une volonté de l'employeur de l'évincer depuis la réorganisation intervenue en juillet 2016, ainsi que cela résulte de mails de Monsieur [B] de novembre « 2016 » (sic) et 2017, et d'un enregistrement qu'il produit en pièce 88 de l'entretien annuel d'évaluation du 7 mars 2018, dans lequel l'employeur a exprimé clairement sa demande de ce qu'il quitte l'entreprise, tout en reconnaissant que ses résultats étaient satisfaisants, et lui a indiqué qu'un employeur « qui veut se séparer d'un salarié, il trouve », se montrant ainsi prêt à constituer faussement un dossier. Il conclut à l'irrecevabilité de la demande de l'employeur, nouvelle en appel, d'écarter cette pièce, alors qu'il n'a réalisé cet enregistrement que pour se protéger dans le cadre d'un contexte professionnel agressif.

La SAS SOGECLAIR AEROSPACE répond :

- qu'elle a soutenu en première instance l'irrecevabilité de ce mode de preuve, demande qui en tout état de cause peut être considérée :

* comme visant à faire écarter les prétentions adverses consistant à prétendre que le licenciement n'est pas fondé,

* comme tendant aux mêmes fins que la demande en débouté de l'intégralité des prétentions de Monsieur [I]

* comme l'accessoire des prétentions soumises aux premiers juges

* comme une demande reconventionnelle

- que Monsieur [I] ne justifie pas de l'authentification de ces documents

- que Monsieur [I] ne disposait pas de ce seul moyen de preuve pour fonder sa demande de remise en cause de son licenciement alors qu'il produit plus de 94 pièces.

Sur ce :

Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent, sauf exceptions, soumettre à la cour de nouvelles prétentions.

Il résulte du jugement du conseil de prud'hommes du 14 décembre 2021 que la société a déposé des conclusions et pièces et qu'à l'audience, « les parties ont plaidé oralement leurs conclusions écrites ». Monsieur [E] [I] ne conteste pas que les conclusions transmises en pièce 52 par la société sont bien celles déposées en première instance. La cour y relève la demande, développée par des moyens de droit et de fait en pages 24 à 26, d'irrecevabilité de ce moyen de preuve.

La prétention d'irrecevabilité de la pièce 88 communiquée par le salarié n'est donc pas nouvelle en cause d'appel et est par conséquence recevable.

Dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

En l'espèce, la production de l'enregistrement clandestin par le salarié d'un entretien annuel avec son employeur n'est pas indispensable au soutien de sa prétention de reconnaissance d'un dossier de licenciement avec des reproches factices s'inscrivant dans une volonté existante depuis plusieurs années de lui faire quitter les effectifs de l'entreprise. En effet, la cour constate qu'il communique au débat d'une part des mails (pièces 14 et 18) au soutien de son affirmation d'une volonté ancienne de l'employeur de se séparer de lui, d'autre part de nombreuses pièces (mails et attestations) au soutien de son affirmation de la fausseté des griefs invoqués, ces dernières ayant été analysées par la cour lors de l'examen des griefs ci-dessus.

La cour écarte en conséquence comme moyen de preuve illicite la pièce 88 communiquée par Monsieur [E] [I].

La pièce 14 produite par Monsieur [E] [I] consiste en un mail adressée par Monsieur [B] à l'intéressé le 7 novembre , dans lequel il qualifie de « assez gonflées » les prétentions financières du salarié au vu des résultats et de l'absence quasi-totale de « new business significatif cette année sur la région » , considère que ses revendications et son manque de discernement lui paraissent incompatibles avec son poste ; qu'il y a une incompréhension mutuelle de fonctionnement et qu'il serait « sage pour tout le monde d'envisager une solution satisfaisante pour les deux parties » et conclut en lui demandant sa position sur ce point.

La pièce 18 produite par Monsieur [E] [I] consiste en un mail adressée par Monsieur [B] à l'intéressé le 28 novembre 2017, dans lequel il répond sur des points relatifs à des missions confiées au salarié, et conteste ensuite la présentation que ce dernier a fait de son caractère « indésirable » en lui rappelant que son choix de ne pas embaucher d'assistante pour l'agence avait été dramatique, que son attitude et son manque de discernement étaient non professionnels et qu'il lui avait effectivement proposé une rupture conventionnelle.

La cour retient de ces pièces que les désaccords stratégiques entre Monsieur [E] [I] et l'employeur étaient anciens, que l'employeur avait proposé sans suite une rupture conventionnelle au salarié plus d'un an avant son licenciement, tout en continuant à lui confier des missions, à en discuter avec lui et en lui proposant des formations, et considère que le licenciement du salarié trouve sa véritable cause dans les griefs ci-dessus examinés, largement postérieurs.

La cour considère que le comportement répété d'un cadre expérimenté à l'encontre de collaborateurs relevant de pressions injustifiées, d'intimidations et de dénigrement, ainsi que l'absence de respect de directives claires de l'employeur tant commerciales que dans la gestion du personnel revêt un caractère de gravité suffisant pour que le licenciement constitue une mesure disciplinaire proportionnée à la faute et que le degré de gravité de cette faute rendait impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

La cour confirme en conséquence le jugement déféré en ce qu'il a débouté Monsieur [E] [I] de sa demande en dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et en rappel de salaire pour la mise à pied conservatoire, mais l' infirme en ce qu'il a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse, a condamné la SAS SOGECLAIR AEROSPACE à payer à Monsieur [E] [I] les sommes de 14 484,99 euros au titre de l'indemnité de préavis, outre 1 448,49 euros de congés payés afférents, 11 970,21 euros au titre de l'indemnité de licenciement, et ordonné le remboursement aux organismes concernés des indemnités chômage versées à Monsieur [E] [I] dans la limite de un mois.

II-Sur la rémunération variable

A-Sur la prescription

La SAS SOGECLAIR AEROSPACE soutient, au visa de l'article L3245-1 du code du travail, la prescription des demandes au titre d'un rappel de la rémunération variable pour la période antérieure aux 3 années précédant le licenciement, soit celles du 17 mars au 31 décembre 2014, du 1er janvier au 31 décembre 2015 et du 1er janvier au 14 février 2016.

Monsieur [E] [I] répond que la société versait la rémunération variable de l'année N en février ou mars de l'année N+1 ; qu'il n'a donc pu se convaincre de la créance qui était la sienne au titre de l'année 2015 qu'après le 14 février 2016.

Sur ce :

Le conseil de prud'hommes a omis de statuer sur cette demande. Compte tenu de l'effet dévolutif de l'appel, la cour statue sur l'ensemble des demandes.

Selon l'article L3245-1 du code du travail, l'action en paiement ou en répétition de salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture.

Ce texte instaure, dans le cas de la rupture du contrat de travail, une déconnexion entre le délai pour agir en paiement du salaire (3 ans) et la période sur laquelle la demande au titre des créances salariales peut porter, sur les 3 années précédant, au choix du demandeur, soit la saisine de la juridiction prud'homale soit la rupture du contrat de travail.

Le délai de prescription de l'action court à compter de la date d'exigibilité du salaire, soit celle de la date habituelle du paiement du salaire en vigueur dans l'entreprise. Il résulte de la pièce 13 communiquée par l'employeur que la prime variable de l'année N était payée au plus tard le 5 mars de l'année N+1.

Le contrat de travail de Monsieur [E] [I] a été rompu le 15 février 2019. Il a saisi le conseil de prud'hommes le 19 mars 2019.

La demande de Monsieur [E] [I] est donc prescrite s'agissant de la prime variable au titre de l'année 2015. Monsieur [E] [I] sollicitant un rappel de rémunération jusqu'au 14 février 2019 inclus, il ne peut former de demande au titre de la rémunération variable pour l'année 2016 qu'au prorata du nombre de mois à compter du 15 février 2016.

B-Sur le fond

La charge de la preuve du paiement du salaire incombe à l'employeur qui se prétend libéré.

Même s'il appartient au salarié qui revendique une prime ou une rémunération variable de justifier qu'il a droit à son attribution, en fonction de conventions ou d'usages, l'employeur est tenu à une obligation de transparence qui le contraint à communiquer au salarié les éléments servant de base de calcul de son salaire notamment de cette part variable.

Lorsque le contrat de travail prévoit que la rémunération variable dépend d'objectifs fixés annuellement par l'employeur, celui-ci est tenu de les déterminer. Les objectifs doivent être portés à la connaissance du salarié en début d'exercice, sauf si des circonstances particulières rendent impossible la fixation de ces objectifs à cette date, ce que le juge doit contrôler. A défaut d'objectifs assignés à un salarié pour la détermination de sa rémunération variable, celle-ci doit lui être payée dans son intégralité.

En l'espèce, il résulte de la convention de forfait prenant effet le 30 mai 2014 que Monsieur [E] [I] bénéficiait d'une rémunération annuelle de 55 000 euros, pour 218 jours de travail par an, et en complément d'une prime sur objectifs annuelle, plafonnée à 15% « dont les conditions et les modalités feront l'objet d'un courrier qui viendra en annexe du présent contrat ».

1-Pour l'année 2016

Monsieur [E] [I] soutient que la société n'apporte pas la preuve que des objectifs lui ont été fixés pour l'année 2016. L'employeur répond que les objectifs qualitatifs assignés au salarié ressortent du manuel qualité qui lui a été remis. Il renvoie à sa pièce 3, qui consiste en un document intitulé « Quality Manual », dont la cour relève qu'il est en date du 12 avril 2018 et n'est donc pas de nature à justifier de l'assignation d'objectifs à Monsieur [E] [I] au titre de l'année 2016. Le salarié a en conséquence droit au paiement de l'intégralité de la prime variable prévue au contrat, à savoir 15% de la rémunération annuelle brute de 55 000 euros au prorata de 10,5 mois, soit 7 218,75 euros, outre congés payés afférents.

2-Pour l'année 2017

L'employeur soutient que les objectifs pour l'année 2017 ont été assignés à Monsieur [E] [I] par mail de Madame [G] du 26 septembre 2016 (sa pièce 7). Or, il résulte du propre mail de Madame [G] du 3 octobre 2016, proposant un rendez-vous le lendemain au salarié « pour l'entretien annuel afin de tracer les objectifs », et du compte-rendu de cet entretien annuel du 4 octobre 2016, aux termes duquel les objectifs étaient notés en cours de finalisation, que ceux listés dans le mail invoqué par l'employeur du 26 septembre 2016 n'étaient pas définitifs (pièces 6 et 83 du salarié). Le salarié a en conséquence droit au paiement de l'intégralité de la prime variable prévue au contrat, à savoir 15% de la rémunération annuelle brute. L'employeur ne conteste pas le montant invoqué par le salarié d'une rémunération annuelle brute de 57 625 euros, étant précisé qu'aucune des parties ne communique au débat les bulletins de paie de l'année considérée. La cour fait en conséquence droit à la demande d'un montant de prime variable de 8 643,75 euros, outre congés payés afférents.

3-Pour l'année 2018

Monsieur [E] [I] soutient qu'en lui réglant une prime variable d'un montant de 13% de sa rémunération annuelle brute, l'employeur ne l'a pas rempli de ses droits, dès lors :

- que les objectifs lui ont été fixés tardivement, par annexe au contrat de travail intervenant près de 4 mois après le début de la période de référence qui lui est donc inopposable

- que la retenue de 2% pratiquée au titre du critère qualitatif Q5 n'est pas fondée puisque les griefs retenus à son encontre, et qu'il conteste, datent de 2019.

La cour constate que « l'annexe à la convention forfait en jours portant sur les objectifs et les modalités d'attribution de la prime sur objectifs » pour l'année 2018 a été signée par le salarié le 19 avril 2018 et ne répond donc pas à l'exigence d'objectifs portés à la connaissance du salarié en début d'exercice, sans que l'employeur soutienne l'existence de circonstances particulières ayant rendu impossible la fixation de ces objectifs avant cette date. Le salarié a en conséquence droit au paiement de l'intégralité de la prime variable prévue au contrat, à savoir 15% de la rémunération annuelle brute de 57 928,06 euros, soit un solde lui restant dû de 1 158,56 euros, outre congés payés afférents.

4-Pour l'année 2019

L'employeur ne soutient pas avoir fixé les objectifs de Monsieur [E] [I] pour l'année 2019. Le salarié a en conséquence droit au paiement de l'intégralité de la prime variable prévue au contrat, au prorata du temps durant lequel il a fait partie des effectifs de l'entreprise, soit 1,5 mois. Sur la base d'une rémunération annuelle brute de 57 928,06 euros, le montant auquel le salarié peut prétendre est donc de 1 086,15 euros, outre congés payés afférents.

La cour émende en conséquence le jugement déféré et condamne la SAS SOGECLAIR AEROSPACE à payer à Monsieur [E] [I] la somme de 18 107,21 euros au titre de la rémunération variable, outre 1 810,72 euros au titre des congés payés afférents.

Il est rappelé que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le conseil de prud'hommes. En l'espèce, faute d'indication, dans les dossiers fournis par les parties et dans celui envoyé par le conseil des prud'hommes, de la date de réception de la convocation devant le bureau de conciliation, les créances salariales objet de la demande initiale ont été connues de l'employeur lors de la tentative de conciliation du 17 mai 2019, qui est donc, pour ces créances, la date de départ des intérêts légaux, sans qu'il soit besoin d'y adjoindre une astreinte.

La capitalisation des intérêts est de droit conformément à l'article 1343-2 du code civil pourvu qu'il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière.

Au vu de la solution donnée au litige, la cour confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SAS SOGECLAIR AEROSPACE aux dépens de première instance et à payer à Monsieur [E] [I] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. En revanche, la cour faisant largement droit à l'appel de la société, chacune des parties conservera à sa charge les dépens et les frais irrépétibles non compris dans les dépens qu'elle a engagés pour la présente instance.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe et contradictoirement,

Emende le jugement du conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence en date du 14 décembre 2021, en ce qu'il a condamné la SAS SOGECLAIR AEROSPACE à payer à Monsieur [E] [I] la somme de 17 388,43 euros au titre du rappel de rémunération variable, outre 1 738,84 euros au titre des congés payés afférents ;

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence en date du 14 décembre 2021, en ce qu'il a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse, a condamné la SAS SOGECLAIR AEROSPACE à payer à Monsieur [E] [I] les sommes de 14 484,99 euros au titre de l'indemnité de préavis, outre 1 448,49 euros de congés payés afférents, 11 970,21 euros au titre de l'indemnité de licenciement, et ordonné le remboursement aux organismes concernés des indemnités chômage versées à Monsieur [E] [I] dans la limite de un mois ;

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence en date du 14 décembre 2021, en toutes ses autres dispositions soumises à la cour ;

Statuant des chefs émendé, infirmés, réparant l'omission de statuer et y ajoutant,

Dit recevable la demande d'irrecevabilité formée par la SAS SOGECLAIR AEROSPACE de la pièce 88 communiquée par Monsieur [E] [I] ;

Ecarte des débats la pièce 88 communiquée par Monsieur [E] [I] ;

Déclare irrecevable la demande de Monsieur [E] [I] en paiement d'un rappel de rémunération variable pour la période antérieure au 15 février 2016 ;

Condamne la SAS SOGECLAIR AEROSPACE à payer à Monsieur [E] [I] la somme de 18 107,21 euros au titre de la rémunération variable, outre 1 810,72 euros au titre des congés payés afférents ;

Dit que les créances salariales sont productives d'intérêts au taux légal à compter du 17 mai 2019 ;

Ordonne la capitalisation des intérêts de droit conformément à l'article 1343-2 du même code, pourvu qu'il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ;

Déboute Monsieur [E] [I] de ses autres demandes ;

Dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens et des frais irrépétibles qu'elle a engagés en cause d'appel.

Le greffier Mme la conseillère

pour la présidente empêchée

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