Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 1 octobre 2025, n° 23/06887

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Gaiatrend (SARL)

Défendeur :

Group Data (SARLU)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Douillet

Conseillers :

Mme Barutel, Mme Distinguin

Avocats :

Me Lesenechal, Me Greffe, SCP Grappotte Benetreau, Me Lellouche Hanoune, Me Barro

TJ Paris, du 25 oct. 2022, n° 20/07604

25 octobre 2022

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 1

ARRÊT DU 1er OCTOBRE 2025

(n° 129/2025, 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/06887 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHONM

Décision déférée à la Cour : jugement du 25 octobre 2022 tribunal judiciaire de Paris - RG n° 20/07604

APPELANTE

GAIATREND

Société à responsabilité limitée immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Sarreguemines sous le n° 504 762 022, agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée en tant qu'avocat constitué par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque D2090

Ayant pour avocat plaidant Me Pierre GREFFE, avocat au barreau de PARIS, toque E 617

INTIMÉS

M. [P] [M]

Né le 22 avril 1981 à [Localité 5] (02)

De nationalité française

Demeurant [Adresse 4]

GROUP DATA

Société à responsabilité limitée unipersonnelle immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nice sous le n° 798 177 218, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentées en tant qu'avocat constitué par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocat au barreau de PARIS, toque K0111

Ayant pour avocat plaidant Me Cathy LELLOUCHE HANOUNE de la SELARL GASTAUD LELLOUCHE HANOUNE MONNOT, avocat au barreau de NICE, substituée à l'audience par Me Federica BARRO de la SELARL GASTAUD LELLOUCHE HANOUNE MONNOT, avocat au barreau de NICE

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 02 septembre 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

- Mme Isabelle DOUILLET, présidente,

- Mme Françoise BARUTEL, conseillère,

- Mme Valérie DISTINGUIN, conseillère.

qui en ont délibéré conformément à la loi.

Greffier lors des débats : M. Soufiane HASSAOUI

ARRÊT :

contradictoire ;

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

signé par Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre, et par M. Soufiane HASSAOUI, greffier présent lors de la mise à disposition et auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Gaiatrend, fondée en juin 2008, est spécialisée dans la conception et la fabrication de cigarettes électroniques et de liquides pour cigarettes électroniques, appelés e-liquides qu'elle commercialise sous la marque Alfaliquid. Elle exploite depuis 2012, pour désigner certains e-liquides, le signe Saharian qu'elle n'a pas déposé comme marque.

La société Group Data, qui existe depuis 2013, est également fabricant et fournisseur de produits e-liquides pour des professionnels et des particuliers.

Ayant constaté en avril 2020 que M. [M], gérant de la société Group Data, a déposé le 9 mai 2019 la marque Saharian pour désigner notamment des « cigarettes électroniques ; solutions liquides pour cigarettes électroniques » et que la société Group Data exploite la marque Saharian pour désigner un de ses concentrés d'arôme pour e-liquides notamment sur ses sites internet datasmoke.com et dev.datasmoke.com, la société Gaiatrend a assigné le 27 juillet 2020 la société Group Data et M. [M] en revendication de marque et sur le fondement de la concurrence déloyale.

M. [M] a renoncé au dépôt de la marque incriminée le 15 mars 2021.

Par ordonnance du 11 mai 2021, le juge de la mise en état a écarté les fins de non-recevoir soulevées par M. [M] et la société Group Data, tirées d'un défaut de qualité à défendre du premier, et d'un défaut d'objet des demandes en raison du retrait de la demande de marque.

Par jugement contradictoire rendu le 25 octobre 2022, dont appel, le tribunal judiciaire de Paris a :

rejeté l'ensemble des demandes de la société Gaiatrend ;

condamné la société Gaiatrend aux dépens, avec recouvrement par l'avocat de la société Group Data de ceux dont il aurait fait l'avance sans en recevoir provision, ainsi qu'à payer la somme de 5 000 euros à la société Group data et M. [M], au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions numérotées 2, transmises le 28 novembre 2023, la société Gaiatrend demande à la cour de :

déclarer recevable et bien fondée la société SARL GAIATREND en son appel du jugement rendu le 25 octobre 2022 par la 3ème chambre, 3ème section du Tribunal judiciaire de Paris ;

infirmer le jugement en ce qu'il a :

rejeté l'ensemble des demandes de la société SARL GAIATREND,

condamnée aux dépens, avec recouvrement par l'avocat de la société GROUP DATA de ceux dont il aurait fait l'avance sans en recevoir provision, ainsi qu'à payer 5.000 € à la société GROUP DATA et Monsieur [M], au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

statuant à nouveau :

débouter Monsieur [M] et la société GROUP DATA de l'ensemble de leurs demandes

juger que le dépôt de la marque « SAHARIAN » effectué le 9 mai 2019 par Monsieur [P] [M] sous le n° 4549818 dans la classe 34 est frauduleux ce que celui-ci a reconnu en y renonçant après avoir été assigné

condamner Monsieur [P] [M] à payer à la société SARL GAIATREND la somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de l'enregistrement frauduleux de la marque « SAHARIAN » pendant près de deux ans

juger qu'en commercialisant des e-liquides et des concentrés d'arômes pour e- liquides sous les dénominations « SAHARIAN » et « LE SAHARIAN », la société GROUP DATA a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de la société SARL GAIATREND en application de l'article 1240 du Code civil

interdire à la société GROUP DATA, sous astreinte de 500 € par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt, d'offrir à la vente et de commercialiser des e-liquides et des concentrés d'arômes pour e-liquides marqués « SAHARIAN » et/ou « LE SAHARIAN »

condamner la société GROUP DATA à verser à la société SARL GAIATREND la somme de 200.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire commis à son encontre

ordonner la publication par la société GROUP DATA sur son site https://www.datasmoke.com/ de la mention suivante, dans le premier quart supérieur et dans toute la largeur de la première page du site internet, dans un bandeau de couleur rouge énonçant le texte suivant en lettres noires de taille égale de caractère Verdana taille 12, dans la totalité de l'espace dudit bandeau, et ce pendant une durée ininterrompue d'un mois, sous astreinte de 1000 (mille) euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt :

« Par arrêt de la Cour d'appel de Paris du...., la société GROUP DATA a été condamnée pour avoir commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de la société GAIATREND en commercialisant des e-liquides et des concentrés d'arômes pour e-liquides sous les dénominations « SAHARIAN » et « LE SAHARIAN » ».

condamner solidairement la société GROUP DATA et Monsieur [M] à régler à la société SARL GAIATREND la somme de 10.000 €, et ce compris les frais de constat d'huissier, en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile

condamner solidairement la société GROUP DATA et Monsieur [M] aux entiers dépens de la présente instance, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code procédure civile

Dans ses conclusions uniques, transmises le 20 septembre 2023, la société Group Data et M. [P] [M] demandent à la cour de :

à titre principal,

confirmer le jugement du 25 octobre 2022 en ce qu'il a rejeté l'ensemble des demandes de la société GAIATREND et a condamné la société GAIATREND au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 ainsi qu'aux entiers dépens;

en conséquence,

rejeter les demandes de la société GAIATREND à l'encontre de M. [M] à titre personnel pour défaut d'une faute détachable de ses fonctions de gérant de la société GROUP DATA ;

rejeter toute prétention relative à un prétendu dépôt frauduleux de la marque SAHARIAN ;

débouter la société GAIATREND de sa demande de condamnation au paiement d'une somme de 20.000 euros à l'encontre de Monsieur [M] ;

rejeter toute demande adverse.

sur la concurrence déloyale et parasitaire,

rejeter les demandes de la société GAIATREND en concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de la société GROUP DATA ;

rejeter les demandes de la société GAIATREND tendant à voir interdire à la société GROUP DATA sous astreinte d'offrir à la vente et de commercialiser des e-liquides et des concentrés d'arômes pour e-liquides marqués SAHARIAN et/ ou LE SAHARIAN ;

débouter la société GAIATREND de ses demandes tentant au paiement par la société GROUP DATA de la somme de 200.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

débouter la société GAIATREND de sa demande de publication sous astreinte de l'arrêt à venir ;

débouter la société GAIATREND de sa demande de condamnation au paiement d'un article 700 et aux dépens ;

sur l'appel incident,

infirmer le jugement en date du 25 octobre 2022 en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par la société GROUP DATA et Monsieur [M] et en conséquence et statuant à nouveau,

condamner la société GAIATREND à payer à Monsieur [M] la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

condamner la société GAIATREND à payer à la société GROUP DATA la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive;

à titre infiniment subsidiaire,

si par extraordinaire la Cour d'appel considérait que la société GROUP DATA a commis des actes de concurrence déloyale ou parasitaire à l'égard de la société GAIATREND

rejeter la demande de dommages et intérêts à hauteur de 200.000 euros et la réduire de façon conséquente ;

rejeter toute demande adverse.

en toutes hypothèses,

condamner la société GAIATREND au paiement de la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

condamner la société GAIATREND aux entiers dépens de la procédure distraits au profit de la SCP GRAPPOTTE sous sa due affirmation ;

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 mai 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur la demande de condamnation de M. [M] en paiement de dommages-intérêts pour dépôt frauduleux de la marque Saharian

La société Gaiatrend fait valoir que la marque litigieuse a été déposée par le représentant de la société Group Data en son nom propre ; que M. [M] reconnaît avoir déposé cette marque de manière délibérée dans un mouvement d'humeur compte tenu des procédures judiciaires ; qu'elle n'a donc pas été déposée dans un objectif loyal mais dans l'intention de nuire ; que sa responsabilité personnelle est donc engagée ; qu'elle est fondée à lui demander réparation de son préjudice subi avant le retrait de la marque ; que le fait que M. [M] a abandonné sa marque ne prive pas pour autant d'objet sa demande en réparation du préjudice subi du fait du dépôt frauduleux, et ce d'autant que la renonciation est intervenue tardivement, soit deux ans après le dépôt et lors de la procédure devant le tribunal judiciaire ; que si le comportement fautif a cessé, le préjudice causé, qu'elle évalue à 20 000 euros, doit être réparé.

M. [M] soutient que le dépôt de la marque au nom propre du dirigeant, en qualité de représentant de l'entreprise n'est pas une faute personnelle détachable de sa fonction ; qu'il ne peut donc être personnellement tenu d'une quelconque responsabilité ; que le dépôt de cette marque, qui a été abandonné, n'a pas créé de nuisance à la société Gaiatrend, et ce d'autant que le signe n'est pas utilisé à titre de marque mais seulement pour désigner une saveur ; qu'il n'en résulte aucun préjudice.

Sur ce,

La société Gaiatrend reproche à M. [M] d'avoir procédé au dépôt frauduleux de la marque Saharian dans le seul but de l'empêcher d'utiliser ce signe, et sollicite sa condamnation à des dommages-intérêts de ce chef.

Il est acquis qu'un dépôt de marque est frauduleux lorsqu'il a été opéré pour détourner le droit des marques de sa finalité, c'est à dire non pas pour distinguer des produits et services en identifiant leur origine, mais pour priver des concurrents du déposant ou tous les opérateurs d'un même secteur, d'un signe nécessaire à leur activité.

En l'espèce, il est avéré que M. [M], gérant de la société Group Data, avait connaissance, au moment du dépôt incriminé, le 9 mai 2019, de l'usage antérieur du signe Saharian depuis plusieurs années par la société Gaiatrend, laquelle opère sur le même marché, et que ledit dépôt de la marque Saharian a eu lieu trois jours après que la société Group Data avait fait l'objet d'une saisie-contrefaçon à la requête de la société Gaiatrend, la société Group Data et M. [M] reconnaissant dans leurs écritures que ce dépôt « avait pour seul but de répondre à la stratégie agressive de l'appelante (') ». Le dépôt frauduleux est donc caractérisé.

Concernant l'imputabilité de ce dépôt à M. [M] à titre personnel, il convient de rappeler que la responsabilité personnelle d'un dirigeant à l'égard des tiers ne peut être retenue que s'il a commis une faute séparable de ses fonctions ; qu'il en est ainsi lorsque le dirigeant commet intentionnellement une faute d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales (Cass. Com. 20 mai 2003 n° 99-17.092 ; Cass. Com. 8 novembre 2017 n° 16-10.626).

En l'espèce, il résulte du justificatif du dépôt de la marque Saharian qu'elle a été déposée par M. [P] [M] en qualité de « représentant légal de la personne morale déposante », l'adresse mentionnée étant celle du siège social de la société Group Data et l'adresse email étant l'adresse professionnelle de M. [M]. En outre, la notice de la marque Saharian porte mention de la société Group Data et de l'adresse de son siège social, le reçu de paiement de redevances en date du 9 mai 2019 est adressé à la société Group Data et le « récapitulatif de démarche » en date du 5 novembre 2020, établi suite à la renonciation, mentionne la société Group Data en qualité de déposant et l'email professionnel de M. [M]. Il n'est enfin pas contesté que le signe litigieux Saharian a été exploité, non par M. [M], mais par la société Group Data, dont il est le gérant.

La société Gaiatrend, qui sollicite la condamnation de M. [P] [M] à titre personnel, échoue en conséquence à démontrer une faute intentionnelle d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal de ses fonctions de gérant de la société Group Data. Les demandes de la société Gaiatrend de ce chef à l'encontre de M. [M] seront donc rejetées.

Sur les actes de concurrence déloyale et parasitaire

Sur la concurrence déloyale

La société Gaiatrend fait valoir que son signe Saharian, arbitraire et distinctif pour désigner des e-liquides, est exploité en continu depuis 2012 ; qu'elle est la seule à l'exploiter pour ses produits qui rencontrent un grand succès commercial (plus d'un million d'euros de chiffre d'affaires en 5 ans pour plus de 750 000 flacons) ; que l'utilisation de ce signe arbitraire par la société Group Data, tant sur les flacons que sur ses sites internet, pour désigner des produits identiques, crée manifestement un risque de confusion que la différence de l'emballage ne suffit pas à écarter ; qu'en commercialisant des e-liquides et des concentrés d'arôme pour e-liquides sous le signe arbitraire Saharian, la société Group Data a commis des actes de concurrence déloyale à son encontre.

La société Group Data prétend que le nom Saharian est une appellation générique décrivant une caractéristique du produit, à savoir le goût du tabac cultivé dans les pays de l'Afrique saharienne ; que ce nom ne peut donc pas faire l'objet d'un droit privatif ; qu'elle utilise le signe contesté sous sa propre marque, dans ses propres emballages avec une calligraphie différente, de sorte qu'il n'existe aucun risque de confusion.

Sur ce,

La concurrence déloyale, qui trouve son fondement dans l'article 1240 du code civil selon lequel 'Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer', doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce et de l'industrie qui implique qu'un produit qui ne fait pas l'objet d'un droit de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit ou du service proposé, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce.

En l'espèce, il résulte du procès-verbal de constat du 21 avril 2020, versé par la société Gaiatrend, que la société Group Data commercialise ses produits sous la marque semi-figurative Data Smoke, fortement mise en avant tant en haut des pages du site internet que sur les flacons, le terme « le Saharian », qui désigne un arôme, étant mentionné en petits caractères sous la marque ombrelle, étant observé que les produits Gaiatrend, commercialisés sous la marque Alfaliquid sont présentés sur des pages du site dev.datasmoke.com tout à fait distinctes de celles présentant les produits sous la marque Data Smoke.

Pour démontrer qu'il existe cependant un risque de confusion, ou tout au moins un risque d'association, la société Gaiatrend fait valoir qu'elle exploite sans discontinuer le signe Saharian depuis 2012 et que ses produits Saharian ont remporté un vif succès et sont largement connus des consommateurs. Cependant, si le signe Saharian peut être considéré comme arbitraire pour désigner une saveur d'e-liquides, il ne résulte pas du petit catalogue et des dépliants de présentation des collections d'e-liquides de la société Gaiatrend, vendus sous la marque Alfaliquid, que cette saveur soit mise en exergue, alors qu'elle est présentée, sans aucune visibilité particulière, parmi une centaine d'autres saveurs. Il n'est en outre justifié d'aucun investissement publicitaire ou promotionnel spécifique pour cette saveur Saharian, les attestations produites sur le montant des investissements publicitaires de 220 000 euros par an, en moyenne de 2019 à 2022, concernant la société Gaiatrend dans son ensemble, sans se rapporter spécifiquement à la saveur Saharian et le fait que la société Gaiatrend a vendu environ 750 000 produits de la saveur Saharian de 2014 à 2019, soit sur une période de six ans, ne suffisant pas à justifier que le public visé associe le signe Saharian à la société Gaiatrend, s'agissant de produits de consommation courante d'un prix moyen inférieur à 2 euros vendus sous la marque Alfaliquid.

En conséquence, il ne résulte pas des éléments qui précèdent la preuve d'une faute de la société Group Data par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine des produits e-liquides proposés.

La concurrence déloyale par risque de confusion n'est donc pas caractérisée. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur le parasitisme

La société Gaiatrend fait valoir que les produits marqués Saharian qu'elle commercialise depuis 2012 ont fait l'objet d'investissements importants, pour obtenir des certifications de qualité auprès de l'AFNOR notamment, et ont remporté un vif succès, générant en France un chiffre d'affaires total de plus de 1 300 000 € entre janvier 2014 et décembre 2019 ; que le choix par la société Group Data d'un signe identique montre une réelle intention de se placer dans son sillage ; que ces agissements constituent bien une concurrence parasitaire.

La société Group Data soutient qu'aucune valeur économique individualisée n'est démontrée ; qu'elle a procédé au développement de ses propres produits pour développer sa propre saveur.

Sur ce,

Le parasitisme consiste à capter une valeur économique d'autrui individualisée, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements et à se placer ainsi dans son sillage pour tirer indûment parti des investissements consentis ou de la notoriété acquise.

La cour rappelle que si les idées sont de libre parcours, et que le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en 'uvre par un concurrent ou de copier un produit libre de droit ne constitue pas, en soi, un acte de parasitisme, une valeur économique individualisée et identifiée peut néanmoins être protégée contre toute perte de valeur, lorsque celle-ci est sciemment causée par un tiers. Ainsi, un opérateur économique peut agir en parasitisme pour protéger un produit ou un service, qui constitue une valeur économique, si cette dernière est individualisée et identifiée, et à condition de démontrer la volonté du tiers de se placer dans son sillage.

Le savoir-faire et les efforts humains et financiers propres à caractériser une valeur économique identifiée et individualisée ne peuvent se déduire de la seule longévité et du succès de la commercialisation du produit et, les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en 'uvre par un concurrent ne constitue pas, en soi, un acte de parasitisme (Com., 26 juin 2024, n° 23-13.535 ; Com., 26 juin 2024 n° 22-17.647 ; Com., 26 juin 2024 n° 22-21.497).

En l'espèce, pour justifier d'une valeur économique individualisée, la société Gaiatrend soutient en premier lieu qu'elle a consacré des investissements importants pour obtenir des certifications de qualité auprès de l'AFNOR. Toutefois, outre qu'il n'est pas justifié du montant de ces investissements ni de ce que ces pratiques de certification ne sont pas habituelles sur ce marché, les certifications antérieures aux fait litigieux en 2018 et 2019 se réfèrent à la « fabrication d'e-liquides pour vapotage » sans mentionner aucun produit spécifique, et le certificat obtenu ultérieurement en 2021 comporte une longue liste des produits de la société Gaiatrend ainsi certifiés parmi lesquels figure en page 5 la « référence commerciale Saharian », ces éléments étant insuffisants à caractériser une valeur économique individualisée relative au produit Saharian.

Elle fait en outre valoir que ses produits Saharian ont connu un vif succès lui ayant permis de réaliser un chiffre d'affaires de 1,3 millions d'euros de janvier 2014 à décembre 2019. Cependant, outre qu'en l'absence de données relatives à des parts de marché ou de toute comparaison avec des produits concurrents, ce seul chiffre d'affaires obtenu sur une période de six ans ne permet pas à la cour de conclure que ces produits ont remporté un grand succès commercial, dans le sillage duquel la société Group Data aurait indument souhaité se placer, il doit, en tout état de cause, être rappelé que le savoir-faire et les efforts humains et financiers propres à caractériser une valeur économique individualisée ne peuvent se déduire du seul succès de la commercialisation du produit, la société Gaiatrend ne fournissant en l'espèce aucun élément sur les investissements réalisés pour mettre au point et promouvoir les produits à la saveur Saharian.

Il résulte des développements qui précèdent que la société Gaiatrend échoue à démontrer une valeur économique individualisée qui aurait été indûment captée par la société Group Data. Ses demandes sur le fondement de la concurrence parasitaire seront rejetées. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur la procédure abusive

M. [M] et la société Group Data prétendent que l'action a été engagée de mauvaise foi, et sollicitent la condamnation de la société Gaiatrend pour procédure abusive.

Sur ce,

La société Group Data et M. [M] seront déboutés de leurs demandes à ce titre, faute pour eux de rapporter la preuve d'une faute de la part de la société Gaiatrend, qui a pu légitimement se méprendre sur l'étendue de ses droits.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société Gaiatrend qui succombe aura la charge des dépens.

La cour ayant constaté le caractère frauduleux du dépôt de marque incriminé par la société Gaiatrend, mais débouté la société Gaiatrend de toutes ses demandes, il convient de dire que chaque partie conservera la charge de ses frais irrépétibles d'appel, et de les débouter de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société Gaiatrend aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile, et vu l'article 700 du code de procédure civile, déboute les parties de leurs demandes en appel à ce titre.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site