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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. de la famille, 3 octobre 2025, n° 22/06098

MONTPELLIER

Arrêt

Autre

CA Montpellier n° 22/06098

3 octobre 2025

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre de la famille

ARRET DU 3 OCTOBRE 2025

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 22/06098 - N° Portalis DBVK-V-B7G-PUHB

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 04 novembre 2022

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PERPIGNAN

N° RG 21/01001

APPELANTS :

Monsieur [H] [V]

né le [Date naissance 3] 1947 à [Localité 16]

[Adresse 11]

[Adresse 11]

[Localité 7]

et

Monsieur [Y] [V]

né le [Date naissance 4] 1953 à [Localité 16]

[Adresse 2]

[Localité 16]

Représentés par Me Yann GARRIGUE de la SELARL LX MONTPELLIER, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué à l'audience par Me Julie SALA, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES loco SCP SAGARD, CODERCH-HERRE & ASSOCIES, avocats au barreau des PYRENEES-ORIENTALES

INTIMEE :

Madame [S] [U] épouse [V]

née le [Date naissance 5] 1951 à [Localité 17] (78)

de nationalité Française

[Adresse 9]

[Localité 8]

Représentée par Me Jacques-Henri AUCHE de la SCP AUCHE HEDOU, AUCHE - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué à l'audience par Me Carole OBLIQUE, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES

Ordonnance de clôture du 22 Mai 2025

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 juin 2025, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

Mme Karine ANCELY, Conseillère faisant fonction de présidente de chambre

Mme Sandrine FEVRIER, Conseillère

M. Yoan COMBARET, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Camille MOLINA

En présence de M. [M] [C], élève avocat stagiaire (PPI)

ARRET :

- contradictoire ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour fixée au 26 septembre 2025 et prorogée au 3 octobre 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Mme Karine ANCELY, Conseillère faisant fonction de présidente de chambre, et par Mme Camille MOLINA, Greffière.

*

* *

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [A] [V], divorcé en premières noces de Mme [G] [B], époux en secondes noces de Mme [S] [U], est décédé le [Date décès 6] 2010, laissant pour lui succéder':

- en qualité de conjoint survivant, Mme [S] [U]-[V], avec laquelle il s'était marié le [Date mariage 1] 1994 sous le régime de la séparation de biens, suivant contrat de mariage du 22 novembre 1994,

- en leur qualité d'héritiers réservataires, ses deux fils issus de sa première union, avec Mme [G] [B], M. [H] [V] et M. [Y] [V].

Suivant assignation, signifiée le 18 novembre 2011, M. [H] et M. [Y] [V] ont saisi le tribunal de grande instance de Perpignan d'une demande de liquidation partage de la succession.

Par jugement du 27 juin 2013, le tribunal de grande instance de Perpignan a'notamment :

- ordonné la liquidation et le partage judiciaire de la succession de M. [A] [V],

- rejeté la demande d'expertise de M. [H] et M. [Y] [V],

- renvoyé les parties devant Me [Z].

Par arrêt rendu le 10 mars 2016, la cour d'appel de Montpellier a'réformé cette décision et a ordonné une expertise.

L'expert commis a rendu son rapport le 20 novembre 2018.

Après dépôt du rapport d'expertise, Me [E], désigné par ordonnance du 2 juin 2020, en lieu et place de Me [Z], chargé du règlement de la succession de feu M. [A] [V], a établi un projet d'état liquidatif et de partage de ladite succession, adressé aux parties le 2 décembre 2020.

Les parties étant en désaccord, un procès-verbal de contestations et de dires a été établi le 4 mars 2021 par Me [E] et transmis au juge commis.

Par ordonnance du 3 juin 2021, le juge commis a renvoyé les parties devant le tribunal judiciaire conformément aux articles 1373 et suivants du code de procédure civile afin qu'il soit statué sur les contestations suivantes :

Contestations de Madame [S] [U] veuve [V] :

- le rapport à la succession de la somme de 15'244,90 € et de la somme de 3036,15 €

- l'attribution des meubles

Contestations de [H] et [Y] [V] :

- demande d'un rapport à la succession d'un montant de 19'940 € et non 15'244,90 €

- primes d'assurance vie manifestement excessives

- demande du rapport de la somme de 66'880,09 euros au titre du compte courant d'actionnaire ( vente d'un fonds de commerce)

- demande de rapport de la somme de 61'608 € au titre d'une soulte au profit de M. [U].

Par jugement contradictoire du 4 novembre 2022, le juge du tribunal judiciaire de Perpignan, a :

- homologué le rapport d'expertise judiciaire du 20 novembre 2018 en ce qu'il a proposé que Mme [U] veuve [V] rapporte à la succession de M. [A] [V] les sommes de':

- 3'036,15 € au titre des droits de succession de Mme [U],

- 66'861 € au titre du montant du compte courant d'actionnaire de Mme [V],

- 25'353,26 € au titre de la soulte payée à M. [P] [U] dans le cadre de la succession de leur mère,

- homologué le projet de partage établi par Me [E] le 2 décembre 2020 sauf en ce qu'il a':

- fait rapport à la succession par Mme [U] veuve [V] de la somme de 15'244,90€,

- attribué à Mme [U] veuve [V] les meubles d'une valeur de 1'970 €,

- renvoyé les parties à poursuivre les opérations de liquidation relatives à la succession de M. [A] [V] devant Me [E], notaire, en exécution du jugement,

- dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté les demandes plus amples ou contraires,

- dit et jugé que les dépens en ce compris les frais d'expertise, seront employés en frais privilégiés de partage.

Par déclaration au greffe du 6 décembre 2022, M. [H] [V] et M. [Y] [V] ont interjeté appel de la décision.

Les appelants, dans leurs conclusions du 3 août 2023, demandent à la cour de :

- débouter Mme [U] veuve [V] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Perpignan, rendu le 4 novembre 2022, en ce qu'il a homologué le rapport d'expertise judiciaire, du 20 novembre 2018, en ce qu'il propose que Mme [U] veuve [V] rapporte à la succession de feu M. [A] [V] les sommes suivantes :

- au titre des droits de succession de Mme [U] : 3 036,15 €,

- au titre du montant du compte courant d'actionnaire': 66 861,00 €,

- au titre de la soulte payée à M. [U]': 25 353,26 €,

- le réformer en ce que les concluants ont été déboutés de leurs demandes et notamment de leur demande concernant le rapport de 30 000 euros au titre de la rente viagère, de leur demande concernant le rapport en totalité du montant des assurances vies souscrites au bénéfice de Mme [U] veuve [V] ainsi que de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Et, statuant à nouveau,

- homologuer le rapport d'expertise judiciaire du 20 novembre 2018 en ce qu'il propose de :

- faire rapport de la rente viagère d'un montant évalué à 30 000 euros,

- faire application de l'article L. 132-13 alinéa 2 du code des assurances,

- faire rapport des primes qui ont permis d'abonder :

- le contrat d'assurance-vie Libre Avenir,

- le contrat d'assurance-vie Ascendo l,

- la rente viagère.

- juger que Mme [U] veuve [V] devra faire rapport à la succession de la somme de :

- 30 000 € au titre de la rente viagère, à mieux ne plaise à la cour, celle de 30 489,90 € au titre de la prime versée dans le placement La Henin devenue La Mondiale,

- 297 642,00 € au titre des primes versées sur le contrat Ascendo l,

- 30.648,49 € au titre de la prime versée sur le contrat Libre Avenir,

- renvoyer les parties à poursuivre les opérations de liquidation relatives à la succession de M. [A] [V] devant Me [E], notaire, en exécution du jugement à intervenir,

- condamner Mme [U] veuve [V] à payer aux concluants au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 13 000 €,

- juger que les dépens exposés seront frais privilégiés de la liquidation et du partage.

L'intimée, dans ses conclusions du 26 mai 2023, demande à la cour de :

- dire et juger mal fondé l'appel de MM. [H] et [Y] [V] à l'encontre du jugement entrepris, rendu par le tribunal judiciaire de Perpignan le 4 novembre 2022.

En conséquence,

- débouter MM. [H] et [Y] [V] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a homologué le projet établi par Me [E] le 2 décembre 2020 et renvoyé les parties à poursuivre les opérations de liquidation et partage relatives à la succession de M. [A] [V] devant Me [E].

Faisant droit à l'appel incident de la concluante et statuant à nouveau,

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a':

- débouté la concluante de sa demande de dommages et intérêts, et condamner de ce chef MM. [H] et [Y] [V] sur le fondement de l'article 1240 du code civil au paiement de la somme de 20 000 € en réparation du préjudice subi,

- homologué le rapport d'expertise judiciaire du 20 novembre 2018 mettant à la charge de Mme [U] veuve [V] le règlement de prétendues créances au rapport de la succession, soit les sommes de 3 036,15 €, 66 861 € et de 25.353,26 €,

- condamner MM. [H] et [Y] [V] au règlement d'une somme de 5 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens conformément à l'article 699 dudit code dont distraction au profit de l'avocat postulant soussigné.

Pour un plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 22 mai 2025.

SUR CE LA COUR

Sur le contrat de rente immédiate et les contrats d'assurance vie Libre Avenir et Ascendo 1

Moyens des parties

Au soutien de leur demande de réformation, les appelants font valoir que le premier juge a retenu à tort que le contrat de rente viagère souscrit par le défunt en février 1995 n'avait pas été contesté alors que leurs dires, mentionnés au procès-verbal de contestations établi par le notaire, tendaient à l'application des dispositions de l'alinéa 2 de l'article L 132-13 du code des assurances tant pour la rente viagère que pour les assurances-vie.

Ils rappellent que les articles L 132-12 et L 132-13 du code des assurances ne s'appliquent pas aux contrats qui correspondent à une opération de capitalisation et que si la rente et la «'super retraite'» versées à Mme [U] avaient été considérées comme des assurances placement par le premier juge, il lui appartenait d'apprécier le caractère excessif de la prime versée, qui représentait la quasi-totalité des revenus annuels de M. [V], et d'en ordonner le rapport à la succession.

S'agissant des contrats d'assurance-vie Ascendo 1 et Libre Avenir, ils invoquent le caractère excessif des primes versées qui résulte des investigations de l'expert judiciaire qui s'est prononcé en faveur de l'application des dispositions de l'alinéa 2 de l'article L 132-13 du code des assurances.

Ils reprochent au premier juge de s'être référé à tort au montant global des sommes présentes sur les comptes du défunt et non sur ses liquidités stricto sensu, soulignant que la prime versée en 1994 sur le contrat Libre avenir correspondait aux liquidités disponibles de M. [A] [V]'et que son caractère manifestement exagéré a été reconnu par la compagnie [10].

Ils ajoutent que la prime versée sur le contrat Ascendo 1 représentait 422 % de son revenu annuel et 12,51 % de son patrimoine en 2006'; que celle versée en 2007 représentait 12,58% de ce patrimoine.

Les appelants contestent par ailleurs l'utilité du contrat Ascendo 1 pour le de cujus au regard de son âge, à savoir 84 et 85 ans lors du versement des deux premières primes, et de son état de santé. Ils rappellent qu'il est décédé en 2010 et soutiennent que le contrat Ascendo 1, abondé une première fois avec les sommes présentes sur les divers comptes de M. [V] puis par le remploi du prix de vente d'un immeuble, avait pour objectif de soustraire de l'actif de la succession l'essentiel du patrimoine mobilier et immobilier du défunt au profit de Mme [U].

Mme [S] [U] conclut à la confirmation du jugement entrepris de ce chef et réplique que la rente viagère ne peut être soumise aux règles du rapport à succession et de la réduction'; que le caractère exagéré des primes critiquées n'est pas démontré par les appelants auxquels incombe la charge de la preuve. Elle rappelle que la super retraite de [A] [V] a été perçue par lui seul et a cessé à son décès; que le rapport d'expertise et les conclusions des appelants comportent plusieurs erreurs notamment sur le montant des versements réalisés par le défunt, et que le premier juge a justement rappelé que ses fils avaient également bénéficié d'un contrat Ascendo 2.

Réponse de la cour

Aux termes de l'article L 132-12 du code des assurances, le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l'assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de l'assuré.

L'article L 132-13 ajoute que «'le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant.

Ces règles ne s'appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés.'»

Il en résulte que les primes versées par le souscripteur d'un contrat d'assurance vie ne sont rapportables à la succession que si elles présentent un caractère manifestement exagéré eu égard aux facultés du souscripteur. Le caractère exagéré des primes s'apprécie in concreto, au moment de leur versement, et au regard de l'âge ainsi que de la situation patrimoniale et familiale du souscripteur, en tenant compte de l'utilité que représente pour lui le contrat, laquelle s'induit des circonstances et de la situation personnelle, familiale et surtout patrimoniale du souscripteur à l'époque de la conclusion du contrat et à la date du versement de chaque prime.

Le contrat d'assurance-vie se distingue du contrat de capitalisation en ce qu'il comporte un aléa dans le sens où les parties acceptent de faire dépendre les effets du contrat, quant aux avantages et aux pertes qui en résulteront, d'un événement incertain.

En l'espèce, il ressort des pièces versées en procédure que M. [A] [V] a souscrit auprès de la compagnie [14] un contrat de rente viagère immédiate prenant effet le 7 janvier 1995 « pour toute la vie de l'assuré », réversible à 100 % sur la tête de Mme [S] [U], et jusqu'au décès des deux bénéficiaires, moyennant une cotisation unique de 30 489,80 €. Il était alors âgé de 75 ans.

Ce contrat, dont il ne pouvait être connu à l'avance si la rente fixée par les parties serait définitivement attribuée au seul assuré, ou au bénéficiaire désigné en cas de décès de l'assuré, présente un caractère aléatoire lié à la survie du souscripteur justifiant de retenir la qualification de contrat d'assurance-vie.

Outre, le contrat de rente viagère immédiate, il est établi que M. [A] [V] a également souscrit trois contrats d'assurance-vie, à savoir':

- un contrat libre avenir A 50103219 souscrit le 20 mai 1994 auprès de [14] par l'intermédiaire du [13], dont Mme [U] était bénéficiaire,

- un contrat Ascendo 1 n° 44508036707 souscrit le 26 juillet 2005 dont la conjointe était la bénéficiaire et à défaut ses enfants, alimenté par un premier versement de 147'373 euros puis un second versement de 150'269 euros en 2007

- un contrat Ascendo 2 n° 44510052012 souscrit le 21 juillet 2006 auprès de [12], dont ses fils étaient bénéficiaires.

Les trois contrats Ascendo 1, Libre avenir et de rente viagère ont fait l'objet de contestations de la part des consorts [V] qui ont, aux termes du procès-verbal de contestations et de dires du 4 mars 2021 et de l'ordonnance du juge commis du 3 juin 2021, sollicité l'application des dispositions de l'alinéa 2 de l'article L 132-13 du code des assurances, les primes versées s'avérant selon eux excessives au regard des liquidités et revenus du défunt.

Ils contestent l'utilité du contrat Ascendo 1 au regard de l'âge et de l'état de santé de M. [A] [V], soutenant que ces opérations avaient pour objectif de soustraire l'essentiel du patrimoine mobilier et immobilier du défunt de l'actif de la succession au profit de Mme [U] et versent aux débats deux courriers du Dr [T] [D] du 16 octobre 2007 et du 30 janvier 2008, décrivant une anémie, une insuffisance rénale favorisée par le diabète avec préconisation d'une insulinothérapie, des troubles cognitifs évoluant depuis 2003 et aggravés en mars 2006 à la suite d'une anesthésie, évoquant une maladie d'Alzheimer.

La cour rappelle en premier lieu que la décision de l'assuré de faire échapper les sommes de l'assurance-vie à sa succession en gratifiant des tiers, est totalement étrangère à la réintégration à l'actif de la succession de primes dont le montant est jugé manifestement exagéré en considération de l'âge, de la situation patrimoniale et familiale du souscripteur au jour du versement de chacune d'elles. Les considérations de l'expert relative à la part totale de patrimoine reçue par Mme [U] du fait des contrats d'assurance-vie, et à l'issue des opérations de liquidation et partage de la succession de M. [V], sur lesquelles s'appuient les appelants, ne sont donc d'aucun emport en l'espèce.

Il est rappelé en second lieu, que conformément aux dispositions de l'article 9 du code civil il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention, et qu'il revient donc aux consorts [V] d'apporter la preuve du caractère manifestement excessif des primes versées par le de cujus au titre des trois contrats critiqués.

S'agissant du contrat de rente viagère La Mondiale, M. [A] [V] était âgé de 72 ans lors du versement de la prime unique de 30 489,80 €. Il était retraité et son revenu annuel s'élevait, selon le rapport d'expertise non contesté sur ce point, à 43 385 euros.

Il disposait d'un patrimoine évalué à 1 290 588 euros par l'expert, et déclaré à l'ISF pour 954'164 euros dont 37'467 euros de liquidité et 340'945 euros de valeurs mobilières, de sorte que si le montant de cette prime absorbait effectivement une grande partie de son revenu, son caractère excessif n'est nullement démontré au regard de l'état de fortune du souscripteur et de l'intérêt pour ce dernier, alors retraité, de s'assurer un revenu complémentaire.

S'agissant du contrat Libre Avenir souscrit le 20 mai 1994 auprès de [14] par l'intermédiaire du [13] moyennant une prime de 30 648,49 euros, M. [A] [V] était âgé de 71 ans. L'historique des versements n'a pu être établi au vu des éléments partiels fournis à l'expert mais il ressort du courrier adressé par l'assureur le 6 octobre 2010 que le montant des primes versées après le 70 ème anniversaire de l'intimé s'élève à 45'731,96 euros.

Il ressort par ailleurs du rapport d'expertise que les revenus de M. [V] oscillaient entre 33 545 euros et 49'566 euros sur la période 1994-2000.

Mme [U] a perçu un capital de 76'161,71 euros.

Le récapitulatif des fonds figurant sur ce contrat tel qu'il a été établi par l'expert fait état des sommes suivantes':

2001 : 61'012 euros pour un revenu de 42'918 euros, et un patrimoine déclaré à l'ISF de 954'164'euros

2002 : 63 813 euros pour un revenu de 43'359 euros et un patrimoine déclaré à l'ISF de 953 375 euros

2003 : 66'825 euros pour un revenu de 43'521 euros et un patrimoine déclaré à l'ISF de 917'739 euros

2004': 69 542 euros pour un revenu de 44'780 euros et un patrimoine déclaré à l'ISF de 999'004 euros

2005': 72'359 euros pour un revenu de 40'069 euros et un patrimoine déclaré à l'ISF de 993 733 euros

2006': 75 077 euros pour un revenu de 34'898 euros et un patrimoine déclaré à l'ISF de 1 177 640 euros 2007': 77 830 euros pour un revenu de 43'351 euros et un patrimoine déclaré à l'ISF de 1 194 370 euros 2008': 80 760 euros pour un revenu de 44'954 euros et un patrimoine déclaré à l'ISF de 1 172 976 euros 2009': 83 750 euros pour un revenu de 45'114 euros et un patrimoine déclaré à l'ISF de 1 164 023 euros

M. [A] [V] est décédé le [Date décès 6] 2010.

Le contrat Ascendo 1 a été alimenté par un versement de 147'373 euros en 2006 puis par un versement de 150'269 euros en 2007 consécutif à la vente d'un immeuble situé à [Localité 16]. Cette vente a également permis d'alimenter le contrat d'assurance-vie Ascendo 2 souscrit au bénéfice des appelants.

Il en résulte que contrairement aux allégations des appelants qui soutiennent à tort que les facultés du souscripteur doivent s'apprécier au regard de ses seules liquidités, les revenus confortables et le patrimoine conséquent de M. [A] [V] lui permettaient largement de s'acquitter des primes versées sur le contrat Libre-avenir, dont le montant annuel reconstitué au vu du tableau n°2 de l'expert (page 95) pour la période 2001-2010 n'excédait manifestement pas 3100 euros par an, et de souscrire en sus le contrat Ascendo 1 financé pour partie par le remploi du prix de vente d'un bien immobilier, tout en faisant face à ses besoins.

La cour observera par ailleurs, s'agissant du contrat Libre Avenir, que les appelants se livrent à une interprétation erronée du courrier d'AG2R la Mondiale daté du 22 octobre 2010 (leur pièce 44), l'assureur rappelant aux termes de ce courrier ses règles de déontologie et les procédures de communication des caractéristiques des contrats souscrits sans se prononcer sur le caractère excessif ou non des primes du contrat litigieux.

Enfin, contrairement à ce que font valoir les appelants, l'absence d'utilité des primes versées sur le contrat Ascendo 1 ne peut se déduire de l'âge de M. [A] [V], à savoir 84 ans lors de la souscription et 85 ans lors du versement de la deuxième prime, s'agissant d'un contrat d'assurance-vie par essence aléatoire, étant considéré que même s'il était malade depuis plusieurs années, aucun élément médical ne permet de considérer que son pronostic vital était engagé à court terme et qu'il aurait pu anticiper sa fin prochaine, M. [V] étant décédé près de 3 ans plus tard.

Tenant ses pathologies, M. [A] [V] était légitime à souhaiter conserver la possibilité de procéder à tout moment, en cas de besoin, à des rachats sur les capitaux placés dont il avait la maîtrise.

Le jugement déféré sera par conséquent confirmé en ce qu'il a considéré que les consorts [V] ne rapportaient pas la preuve du caractère manifestement exagéré des primes versées sur les contrats litigieux, la demande de rapport des primes d'assurance devant être rejetée.

Sur la somme de 3036,15 euros due par Mme [U] [S] au titre des droits de succession de Mme [U] (mère)

Moyens des parties

Mme [U] sollicite la réformation du jugement entrepris en soutenant que les fonds affectés au paiement des frais de succession de sa mère n'ont fait que transiter par le compte commun des époux qu'elle a crédité par un virement de son compte personnel le 2 novembre 2005, des remboursements de frais de mutuelle en août 2005, et un dépôt de 4115,05 euros le 14 décembre 2005 représentant des dommages intérêts qui lui ont été alloués suite à une décision de justice.

MM. [H] et [Y] [V] sollicitent la confirmation du jugement déféré et font valoir que les frais de successions de Mme [N] [W] veuve [U] ont été acquittés à partir du compte indivis des époux [V]'et que l'origine des fonds versés le 2 novembre 2005 par Mme [U] n'est pas justifiée'; que le chèque du 14 décembre 2005 a été adressé par leur conseil aux deux époux, et plus généralement qu'il est légitime de considérer qu'un compte joint est destiné aux dépenses du ménage de sorte que les fonds versés sur ce compte se fondent dans un ensemble indivis.

Réponse de la cour

Par application des dispositions de l'article 1538 du code civil alinéa 3, les sommes figurant sur un compte joint ouvert aux noms de deux époux séparés de biens sont présumées leur appartenir en indivision.

Néanmoins, conformément aux dispositions de l'alinéa 1 de l'article 1538, l'époux qui en revendique la propriété peut rapporter la preuve, qui peut être faite par tous moyens, que ce compte a été alimenté par ses fonds propres.

En l'espèce, il est établi par l'attestation délivrée le 28 novembre 2018 par Me [L] que les frais relatifs à la succession de la mère de Mme [S] [U] ont été acquittés le 4 janvier 2006 pour un montant de 6072,30 euros au moyen d'un chèque émis par M. [A] [V] sur le compte joint des époux [V].

Mme [S] [U] n'apporte aucune précision sur l'origine des fonds alimentant ce compte à l'exception des quatre dépôts qu'elle revendique. Il convient d'observer qu'à compter de son mariage avec M. [V] en 1994, elle n'a plus travaillé et n'a perçu aucun revenu jusqu'au décès de son époux selon le rapport d'expertise.

Il est donc permis d'en déduire que le compte joint était essentiellement alimenté par M. [V], les quatre dépôts d'argent de Mme [U] sur ce compte pouvant parfaitement être considérés comme sa participation aux charges du mariage.

Le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu'il a fait droit à la demande des consorts [V] à hauteur de 3036,15 euros, étant néanmoins précisé qu'il n'y a pas lieu à rapport, faute d'intention libérale du défunt, mais qu'il s'agit d'une créance de la succession à l'égard de Mme [U].

Sur le rapport du compte-courant d'actionnaire

Moyens des parties

Mme [U] soutient que la société [15] a été vendue en 1993 par M. [A] [V] au moyen d'un crédit vendeur qui n'a pas été totalement honoré par les acquéreurs'; qu'un protocole d'accord a été signé en 2004 aux termes duquel M. [A] [V] percevait pour solde de tout compte la somme de 65'000 euros. Elle conteste l'existence d'une donation déguisée à son profit constituée par le compte-courant d'associé de 66'816, 09 euros et expose n'avoir jamais versé la moindre somme dans cette société, ni rien perçu au titre du compte-courant associé qui était purement fictif.

MM. [H] et [Y] [V] répliquent que Mme [U] était associée majoritaire de la société et que le défunt lui avait nécessairement payé ses actions; que l'expert judiciaire a retenu à juste titre que ses revenus ne lui permettaient pas d'alimenter un compte courant d'actionnaire pour un tel montant et qu'il s'agit nécessairement d'une donation de son époux.

Réponse de la cour

Pour ordonner le rapport à la succession du montant du compte-courant d'associée au nom de Mme [U], relatif à la société [15], le premier juge a considéré que faute pour celle-ci d'alléguer ou d'établir que ce compte-courant avait été financé par ses revenus ou d'autres ressources, alors qu'elle indiquait n'avoir jamais versé un seul centime dans cette affaire et qu'il ressort de l'expertise que son salaire ne lui permettait pas d'alimenter un compte-courant d'actionnaires pour le montant litigieux, il s'en déduisait que son conjoint, qui avait acheté toutes les parts de la société et disposait donc des revenus nécessaires, avait alimenté ledit compte-courant.

L'article 843 du code civil dispose que tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l'actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement': il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu'ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale.

La donation consiste essentiellement dans l'aliénation gratuite que le disposant fait de tout ou partie de ses biens ou droits au profit d'une autre personne.

En l'espèce, il est constant que Mme [S] [U] et M. [A] [V] étaient actionnaires de la société [15] dont Mme [U] était actionnaire majoritaire; que M. [A] [V] se portant fort pour les autres actionnaires a promis de céder les 2500 actions de la société'à MM. [X] et [I] lesquels se sont engagés, outre le paiement de la valeur des parts sociales, à rembourser le compte-courant d'associé de Mme [U]; que MM. [X] et [I] ont assigné les cessionnaires en annulation de la vente et qu'un protocole d'accord est intervenu le 14 mai 2004 fixant la somme forfaitaire transactionnelle et définitive de 65 000 euros couvrant l'intégralité des sommes dues par les consorts [X].

En se fondant sur des suppositions de l'expert, qui ne sont corroborées par aucun élément objectif démontrant le moindre mouvement de fonds réalisé par M. [A] [V] pour alimenter le compte-courant d'associé de Mme [U] et alors qu'il n'est pas démontré que la transaction du 14 mai 2004 ait eu pour but ou pour effet le remboursement à cette dernière du compte-courant litigieux, MM. [H] et [Y] [V], auxquels appartient la charge de la preuve de l'élément matériel de la donation, sont défaillants à établir l'existence d'un appauvrissement du de cujus corrélatif à un enrichissement de Mme [U].

Le jugement déféré sera en conséquence infirmé en ce qu'il a ordonné le rapport à la succession de la somme de 66'861 euros par Mme [S] [U].

Sur la soulte payée à M. [P] [U]

Le premier juge a ordonné le rapport à la succession de la somme de 25'353',26 euros représentant le reliquat de la soulte due par Mme [U] à son frère [J] [U] dans le cadre de la succession de leur mère. Il a retenu que la part de Mme [S] [U] sur fonds indivis dépendant de la succession de Mme [N] [U] étant insuffisante à remplir M. [P] [U] de ses droits et que cette dernière n'ayant aucun revenu, le reliquat de la soulte avait nécessairement été financé par M. [A] [V].

Moyens des parties

Mme [U] sollicite la réformation du jugement déféré et verse aux débats l'attestation après décès, cession de droits indivis et décompte démontrant sans aucune contestation possible que la soulte a été réglée sur les fonds qu'elle a perçu de sa mère.

Les consorts [V] concluent à la confirmation du jugement déféré en faisant valoir que l'attestation établie par le notaire le 28 novembre 2018 est en contradiction avec l'acte de partage de la succession [U] et que Mme [U] n'a pas pu, au vu de cet acte, s'acquitter de la totalité de la soulte due à son frère. Invoquant l'absence de revenus de l'intéressée, ils en déduisent que M. [A] [V] a réglé le reliquat de la soulte.

Réponse de la cour

La cour rappelle que conformément aux dispositions de l'article 9 du code civil, il incombe aux parties de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention, et par conséquent que M. [A] [V] a réglé la soulte due par son épouse à M. [P] [U] en ses lieux et place.

Mme [S] [U] produit une attestation de Me [L], notaire, en date du 28 novembre 2018 aux termes de laquelle «'la soulte d'un montant de 61.608,10 euros n'a pas été réglée au moyen de deniers extérieurs mais au moyen de fonds indivis entre les coindivisaires [U]'».

Elle verse aux débats l'acte de cession de droits successifs des 29 décembre 2005 et 4 janvier 2006 dont il ressort que M. [P] [U] a cédé à sa s'ur tous ses droits successifs moyennant le paiement de la somme de 61'608,10 euros, et que la totalité des liquidités comprises dans la succession revenant à Mme [S] [U] s'élevait à 68'727,80 euros, de sorte que les consorts [V], à qui incombait la charge de la preuve, sont non seulement défaillants à démontrer la réalité du paiement par leur père de la soulte litigieuse, mais contredits par les pièces versées qui corroborent l'attestation du 28 novembre 2018 de Me [L] en ce que cette soulte a été acquitté à l'aide des fonds de la succession.

Le jugement sera par conséquent infirmé de ce chef.

Sur la demande de dommages et intérêts

C'est à bon droit et par des motifs exacts et pertinents que la cour adopte que le premier juge a rejeté la demande de dommages et intérêts formée par Mme [U] en considérant que l'appréciation erronée de leurs droits par les consorts [V], alors que l'affaire était complexe et avait nécessité la désignation d'un expert, ne caractérisait pas à elle seule un abus de leur droit d'agir en justice.

Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Sur les dépens

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie.

Il résulte du présent arrêt que tant MM. [V] que Mme [U] échouent partiellement en leurs prétentions. Les dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise seront par conséquent employés en frais privilégiés de partage.

Eu égard à cette répartition des dépens, compte tenu de la nature du litige et pour des raisons d'équité, il n'y pas lieu de faire au profit de l'une ou de l'autre droit à leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Les parties seront déboutées de leurs demandes en cause d'appel et le jugement de première instance confirmé'de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a':

- rejeté les demandes de MM. [H] et [Y] [V] relatives au contrat de rente viagère immédiate La Mondiale et aux contrats Libre avenir et Ascendo 1,

- homologué le rapport d'expertise judiciaire du 20 novembre 2018 proposant le rapport à la succession par Mme [S] [U] veuve [V] de la somme de 3 036,15 € au titre des droits de succession de Mme [N] [U],

- rejeté la demande de dommages et intérêts de Mme [S] [U],

- dit que les dépens en ce compris les frais d'expertise, seront employés en frais privilégiés de partage.

- dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Y ajoutant,

DIT que la somme de 3 036,15 euros représentant les frais de la succession de Mme [N] [U] s'analyse en une créance de la succession de M. [A] [V] à l'égard de Mme [S] [V] ;

INFIRME le jugement entrepris en ses autres dispositions critiquées ;

Statuant à nouveau,

REJETTE les demandes de M. [H] [V] et M. [Y] [V] tendant à voir ordonner le rapport à la succession de la somme de 66'861 euros au titre du montant du compte courant d'actionnaire et de la somme de 25'353,26 euros versée au titre de la soulte payée à M. [P] [U] ;

Y ajoutant,

DIT que les dépens d'appel seront employés en frais privilégiés de partage ;

DIT n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière, La conseillère faisant fonction de présidente de chambre,

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