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Décisions

Cass. crim., 7 octobre 2025, n° 24-85.552

COUR DE CASSATION

Autre

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bonnal

Rapporteur :

Mme Piazza

Avocat général :

M. Quintard

Avocats :

SCP Waquet, SCP Farge, SCP Hazan, SCP Féliers

Riom, ch. corr., du 11 sept. 2024

11 septembre 2024

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces soumises à l'examen de la Cour de cassation ce qui suit.

2. Fin 2014, le procureur de la République a fait diligenter une enquête sur la gestion par M. [K] [Z] de sociétés commerciales en lien avec le château fort de Busset, faisant l'objet de procédures collectives, malgré l'interdiction judiciaire de gérer prononcée contre lui pour dix ans, le 4 juillet 2006, par le tribunal de commerce.

3. Les investigations ont ainsi porté sur le rôle de M. [Z] et les mouvements financiers observés sur les comptes de la SARL [1], dont l'objet social est l'hôtellerie et la restauration, placée en redressement judiciaire le 26 février 2013, de la société [2], dont l'objet social est la construction et la rénovation du site, placée respectivement les 3 juillet 2012 et 27 janvier 2015 en redressement et en liquidation judiciaire, la gérance de ces deux sociétés ayant été assurée par M. [Z] avant que sa famille et des amis ne le remplacent à la suite de son interdiction, de la SCI [1], dirigée par M. [Z], locataire d'une partie des murs du château donnée à bail par la première SARL, et de l'association [1], présidée par M. [Z].

4. Une information a été ouverte le 4 août 2016, à l'issue de laquelle, par ordonnance du juge d'instruction du 15 octobre 2019, M. [Z] a été renvoyé des chefs susvisés devant le tribunal correctionnel.

5. Par jugement en date du 29 avril 2021, le tribunal correctionnel a déclaré M. [Z] coupable de ces chefs et l'a condamné à un an d'emprisonnement avec sursis, 40 000 euros d'amende, une interdiction définitive de gérer, une confiscation et a prononcé sur les intérêts civils.

6. Le prévenu et le ministère public ont relevé appel de ce jugement.

Examen des moyens

Sur les premier et quatrième moyens

7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur les deuxième et troisième moyens

Enoncé des moyens

8. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [Z] coupable d'abus de biens sociaux au préjudice de la SARL [1], et a en conséquence prononcé sur la peine et les intérêts civils, alors « que le délit d'abus de biens sociaux suppose le prévenu ait, de mauvaise foi, fait des biens de la société un usage qu'il savait contraire à l'intérêt de celle-ci ; que le seul constat matériel de transferts de fonds depuis le compte de la SARL [1] vers celui de l'association [1] n'implique pas par lui-même la mauvaise foi du prévenu, laquelle ne ressort d'aucune des énonciations de l'arrêt ; que faute d'avoir caractérisé l'élément intentionnel de l'infraction, la cour d'appel a violé l'article L. 241-3 4° du code de commerce. »

9. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [Z] coupable de banqueroute, alors « que le délit de banqueroute prévu à l'article L. 654-2 2° du code de commerce requiert la conscience de son auteur de détourner ou de dissimuler tout ou partie de l'actif de la société débitrice ; qu'en se bornant en l'espèce, pour déclarer M. [Z] coupable de ce délit, à relever que des sommes ont été débitées du compte de la SARL [1] postérieurement à la date de cessation des paiements, sans caractériser l'élément intentionnel du délit, lors même que M. [Z] alléguait l'existence de simples erreurs d'encaissement, la cour d'appel a violé les articles L. 654-2 2° et L. 654-3 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

10. Les moyens sont réunis.

11. Pour déclarer M. [Z] coupable du délit d'abus de biens sociaux, l'arrêt attaqué énonce qu'entre le 1er janvier et le 16 août 2012, 47 200 euros ont été débités du compte de la SARL [1] pour être crédités sur le compte de l'association [1] et que M. [Z], président de celle-ci, a été bénéficiaire de ces transferts bancaires.

12. Les juges précisent que les experts comptables des sociétés litigieuses ont déclaré avoir constaté des mouvements financiers suspects entre elles et l'association, dont M. [Z] n'a jamais justifié l'origine.

13. Les juges confirment le jugement du tribunal correctionnel qui a également retenu que plusieurs chèques ont été encaissés sur les comptes de la SCI ou de l'association alors qu'ils étaient destinés au paiement de prestations dues à la SARL [1].

14. Pour déclarer M. [Z] coupable du délit de banqueroute, l'arrêt attaqué énonce que l'analyse des documents bancaires et comptables des sociétés a permis de constater qu'après la date de cessation des paiements du 16 août 2012, ont été débitées du compte de la SARL [1] les sommes de 44 910 euros, entre le 17 août 2012 et le 10 juin 2013, en faveur de l'association [1], et de 7 340 euros, entre le 28 août 2012 et le 23 février 2013, en faveur de M. [Z], de sorte que le préjudice de la société est évalué à la somme totale de 52 250 euros.

15. Ils ajoutent que M. [Z] ne peut pas se retrancher derrière son ignorance de la loi française ou sa maîtrise insuffisante de la langue pour se prétendre de bonne foi, alors que l'expert comptable l'a alerté sur ces mouvements d'argent sans obtenir d'explications, ce qui l'a conduit à mettre fin à sa mission.

16. En se déterminant ainsi, par des motifs relevant de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, la cour d'appel, qui a, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé l'élément intentionnel des délits d'abus de biens sociaux et de banqueroute dont elle a déclaré le prévenu coupable, a justifié sa décision.

17. Ainsi, les moyens doivent être écartés.

Mais sur les cinquième et sixième moyen

Enoncé des moyens

18. Le cinquième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [Z] au paiement d'une amende de 100 000 euros, alors « que selon l'article 132-20 du code pénal, le juge pénal qui prononce une amende doit motiver sa décision en tenant compte des ressources et des charges du prévenu ; qu'en condamnant en l'espèce M. [K] [Z] au paiement d'une amende conséquente de 100 000 euros sans avoir analysé préalablement ni ses ressources ni ses charges, lors même que l'amende était significativement aggravée par rapport à celle prononcée en première instance, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »

19. Le sixième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la confiscation des scellés, alors « qu'il incombe au juge qui décide de confisquer un bien, après s'être assuré de son caractère confiscable en application des conditions légales, de préciser la nature et l'origine de ce bien, ainsi que le fondement de la mesure et, le cas échéant, de s'expliquer sur la nécessité et la proportionnalité de l'atteinte portée au droit de propriété du prévenu ; en se bornant en l'espèce à ordonner sans autre précision la confiscation des « scellés », sans indiquer ni la nature la nature ni l'origine des biens concernés, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'en contrôler la légalité et a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 131-21 du code pénal. »

Réponse de la Cour

20. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 131-21, 132-1, 132-20 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :

21. Selon le deuxième de ces textes, en matière correctionnelle, le juge qui prononce une peine doit motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur.

22. Selon le troisième, le juge qui prononce une amende doit, en outre, motiver sa décision en tenant compte des ressources et des charges du prévenu.

23. Selon le premier, la peine complémentaire de confiscation est encourue dans les cas prévus par la loi ou le règlement. Elle porte sur les biens qui ont servi à commettre l'infraction ou qui étaient destinés à la commettre, et sur ceux qui sont l'objet ou le produit, direct ou indirect, de l'infraction et ne peuvent être restitués. Si la loi qui réprime le crime ou le délit le prévoit, la confiscation peut porter sur tout ou partie des biens appartenant au condamné. Il incombe au juge qui décide de confisquer un bien, après s'être assuré de son caractère confiscable en application des conditions légales, de préciser la nature de ce bien ainsi que le fondement de la mesure.

24. Selon le dernier, tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

25. Pour condamner M. [Z] au paiement d'une amende de 100 000 euros, l'arrêt attaqué énonce qu'il est âgé de 64 ans, qu'il vit en Suisse et que son casier judiciaire est vierge de toute mention.

26. Les juges précisent qu'il a été placé sous contrôle judiciaire jusqu'à sa comparution devant le tribunal correctionnel, dont il a en vain sollicité à deux reprises la modification, et n'a pas respecté l'obligation de cautionnement de la somme de 50 000 euros, mais qu'il a versé le 1er décembre 2022 la somme de 65 011,66 euros entre les mains du mandataire liquidateur de la SARL [1].

27. Ils ajoutent que les infractions dont il est déclaré coupable ont perduré plusieurs années malgré les avertissements préalables qui lui ont été délivrés, qu'elles ont indéniablement favorisé un enrichissement illicite et qu'il doit être tenu compte de l'ancienneté des faits et du remboursement effectué.

28. Pour ordonner la confiscation des scellés, l'arrêt attaqué se borne à confirmer le jugement de ce chef en précisant qu'il s'agit des instruments des infractions.

29. En prononçant ainsi, sans mieux s'expliquer sur les ressources et les charges de M. [Z] pour fixer l'amende ni indiquer la nature et l'origine des biens dont la confiscation est ordonnée, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

30. La cassation est par conséquent encourue de ces chefs.

Portée et conséquences de la cassation

31. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives aux peines. Les autres dispositions seront donc maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Riom, en date du 11 septembre 2024, mais en ses seules dispositions relatives aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bourges, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Riom et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

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