Cass. crim., 7 octobre 2025, n° 24-81.319
COUR DE CASSATION
Autre
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonnal
Rapporteur :
M. Wyon
Avocat général :
M. Dureux
Avocats :
SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces soumises à l'examen de la Cour de cassation ce qui suit.
2. À la suite de plaintes déposées par des organismes sociaux et de retraite contre M. [X] [T], une enquête a été diligentée, à l'issue de laquelle ce dernier a été poursuivi pour avoir employé des manoeuvres frauduleuses, notamment en faisant usage de faux documents ainsi qu'en usurpant l'identité de membres de sa famille ou de tiers, afin d'obtenir le versement par des organismes sociaux d'un grand nombre de prestations indues, qu'il se faisait notamment virer sur de faux comptes bancaires, ouverts sous des identités également usurpées.
3. Le tribunal correctionnel a déclaré M. [T] coupable d'escroquerie et tentative, faux et usage, vol, prise du nom d'un tiers, en récidive, blanchiment, l'a condamné à sept ans et deux ans d'emprisonnement, une confiscation et a prononcé sur les intérêts civils.
4. M. [T] et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le moyen du mémoire personnel, le premier moyen, le deuxième moyen, pris en sa première branche, et les troisième, cinquième et sixième moyens du mémoire ampliatif
5. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche, du mémoire ampliatif
Énoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [T] coupable de faux et usage en récidive entre le 19 novembre 2018 et le 31 décembre 2019, alors :
« 2°/ que l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ; qu'en déclarant M. [T] coupable d'usage de faux cependant qu'elle a retenu qu'elle ne pouvait pas déclarer le prévenu coupable de l'usage des faux documents ayant servi à commettre les faits d'escroquerie et tentative d'escroquerie et que, se bornant à relever l'établissement d'autres documents que ceux utilisés lors des escroqueries et tentatives d'escroqueries et non leur usage, elle n'a constaté dans ses motifs aucun autre fait d'usage de faux, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 441-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
7. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
8. Pour déclarer M. [T] coupable d'usage de faux, l'arrêt attaqué énonce qu'en plus des faux documents utilisés pour les escroqueries et tentatives d'escroqueries, l'information a prouvé que le prévenu avait élaboré d'autres faux documents, en vue de constituer de nouveaux dossiers en élargissant son panel d'employeurs fictifs, s'agissant de Mme [V], ou de faux demandeurs de prestations, s'agissant de Mmes [W] et [L].
9. Les juges ajoutent que ces faux étaient de nature à causer un préjudice aux organismes sociaux ainsi qu'aux personnes concernées.
10. En se déterminant ainsi, sans caractériser d'acte positif d'usage des faux documents en question, différents des documents produits par le prévenu pour obtenir la remise des sommes indues par les escroqueries, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
11. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Et sur le quatrième moyen du mémoire ampliatif
Énoncé du moyen
12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [T] coupable de blanchiment d'escroquerie en récidive entre le 19 novembre 2018 et le 31 décembre 2019, alors « que le délit de blanchiment, en ce qu'il suppose de participer à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit de l'infraction, ne saurait être constitué lorsque l'auteur de l'infraction d'origine se contente de détenir les fonds issus de l'infraction ; que cet agissement relève du recel dont l'auteur de l'infraction d'origine ne peut être déclaré coupable ; qu'en reprochant à M. [T], pour le déclarer coupable de blanchiment d'escroquerie, la perception des fonds issus des escroqueries sur des comptes ouverts au nom de tiers cependant que cette perception consomme l'infraction d'escroquerie en ce qu'elle matérialise l'obtention, au moyen de la production de faux relevés d'identité bancaire, de la remise de fonds par les organismes sociaux et manifeste uniquement la détention par le prévenu des fonds provenant des escroqueries, laquelle relève de l'infraction de recel qui ne saurait être reprochée à l'auteur de l'infraction d'origine, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 324-1 du code pénal. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 324-1, alinéa 2, du code pénal :
13. Aux termes de ce texte, constitue un blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit.
14. Pour confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré M. [T] coupable de blanchiment aggravé, l'arrêt attaqué énonce que ce dernier s'est fait virer les sommes qu'il a frauduleusement obtenues, grâce à de faux relevés d'identité bancaire, sur des comptes ouverts aux noms de personnes dont il avait usurpé l'identité, ou sur un compte ouvert au nom de son frère.
15. Les juges ajoutent que l'ensemble de ces agissements frauduleux est constitutif d'opérations de placement et de dissimulation du produit des escroqueries ainsi réalisées, commises de façon habituelle.
16. En statuant ainsi, alors que la perception sur les comptes bancaires ouverts à cet effet sous de faux noms des sommes indûment obtenues des organismes sociaux matérialise la remise du produit de l'escroquerie déterminée par les manoeuvres frauduleuses, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé d'acte de placement, de dissimulation ou de conversion du produit des escroqueries distinct de cette remise, a méconnu le texte susvisé.
17. La cassation est par conséquent également encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
18. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à la déclaration de culpabilité des chefs d'usage de faux et de blanchiment, ainsi qu'aux peines. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Nancy, en date du 18 janvier 2024, mais en ses seules dispositions relatives à la déclaration de culpabilité des chefs d'usage de faux et de blanchiment, ainsi qu'aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Metz, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Nancy et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;