CA Paris, Pôle 6 - ch. 13, 3 octobre 2025, n° 22/05697
PARIS
Arrêt
Autre
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 13
ARRÊT DU 03 Octobre 2025
(n° , 26 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 22/05697 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CF2XD
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 21 Avril 2022 par le Pole social du TJ de PARIS RG n° 19/05807
APPELANT
URSSAF CENTRE VAL DE LOIRE
[Adresse 2]
[Adresse 7]
[Localité 3]
représenté par M. [G] [S] en vertu d'un pouvoir spécial
INTIMEE
Madame [N] [O]
Chez Cabinet [5]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Ninon COUANET, avocat au barreau de PARIS, toque : C1522 substitué par Me Sandra MOREIRA AFONSO, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 Juillet 2025, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Renaud DELOFFRE, Conseiller , chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Chantal IHUELLOU LEVASSORT , présidente de chambre
M Renaud DELOFFRE, conseiller
Mme Sophie COUPET, conseillère
Greffier : Mme Fatma DEVECI, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Chantal IHUELLOU LEVASSORT, présidente de chambre et par Mme Fatma DEVECI, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l'appel interjeté par l'union pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (ci-après l'URSSAF) Centre - Val de Loire du jugement rendu le 21 avril 2022 sous le RG 19/05807 par le tribunal judiciaire de Paris dans un litige l'opposant à Mme [N] [O] (la cotisante).
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Les circonstances de la cause ont été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé. Il suffit de rappeler que par courrier du 15 décembre 2017, l'URSSAF Centre-Val de Loire a adressé à Mme [N] [F] épouse [O] un appel de cotisation au titre de son assujettissement à la cotisation subsidiaire maladie (CSM) de l'année 2016, l'informant que selon les éléments transmis par l'administration fiscale, il était redevable de la somme de 6 439 euros exigible au 19 janvier 2018.
Par courrier du 16 janvier 2018, Mme [O] a contesté cette demande auprès des services de l'URSSAF Centre Val de Loire lesquels, par courrier du 28 juin 2018, ont maintenu l'appel de cotisation.
Mme [O], le 9 juillet 2018, a saisi la commission de recours amiable (CRA) aux fins d'obtenir la décharge intégrale de la cotisation contestée.
La CRA, par décision du 25 octobre 2018, a rejeté sa requête.
Par courrier recommandé expédié le 11 février 2019, Mme [O] a saisi le pôle social du tribunal de grande instance de Paris contestant cette décision de le CRA.
Une mise en demeure du 19 avril 2019 d'un montant de 6 439 euros a été notifiée à Mme [O], le 20 avril 2019, par l'URSSAF.
A la suite de la réforme des pôles sociaux, l'affaire a été transférée au pôle social du tribunal judiciaire de Paris, lequel, par jugement du 21 avril 2022 a :
- déclaré Mme [N] [F] épouse [O] recevable en son recours ;
- dit que le caractère tardif de l'appel de CSM du 15 décembre 2017 n'entache pas ce dernier d'irrégularité ;
- déclaré en revanche irrégulier l'appel de CSM en date du 15 décembre 2017 en raison de l'incompétence territoriale de l'URSSAF Centre - Val de Loire, du fait de l'absence de publicité antérieure de l'approbation de la convention de délégation entre l'URSSAF Î1e-de-France et l'URSSAF Centre - Val de Loire par le directeur de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) ;
- annulé en conséquence l'appel de CSM du 15 décembre 2017 ainsi que le mise en demeure subséquente en date du 19 avril 2019 ;
- prononcé le dégrèvement de la somme de 6 439 euros réclamée au titre de la CSM afférente à l'année 2016 ;
- débouté l'URSSAF Centre - Val de Loire de l'ensemble de ses prétentions ;
- condamné l'URSSAF Centre - Val de Loire à verser à Mme [O] la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné l'URSSAF Centre - Val de Loire aux dépens ;
- dit n'y avoir lieu de prononcer l'exécution provisoire.
Pour statuer ainsi le premier juge indique que :
* Le non-respect par l'organisme de recouvrement de la date limite mentionnée par l'article R. 380-4 du code de la sécurité sociale a pour seul effet de reporter le délai au terme duquel la cotisation devient exigible ; l'appel de cotisation n'est donc pas entaché d'irrégularité du seul fait de son caractère tardif ;
* La convention de délégation par laquelle l'URSSAF Île-de-France a délégué à l'URSSAF Centre - Val de Loire le calcul, l'appel et le recouvrement des cotisations dues en application de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale a été approuvée par décision du directeur de l'ACOSS du 11 décembre 2017 publiée au Bulletin Officiel le 15 janvier 2018, date à laquelle elle devient opposable aux tiers, sauf disposition prévoyant une formation de publicité particulière ; L'URSSAF ne démontre pas qu'une publicité suffisante de la convention de délégation et de la décision d'approbation du directeur de l'ACOSS a été garantie avant l'émission de l'appel de cotisation du 15 décembre 2017 ; L'appel de CSM du 15 décembre 2017 était donc entaché d'irrégularité ayant été émis par une URSSAF qui n'était pas encore compétente pour y procéder.
Le jugement lui ayant été notifié le 29 avril 2022, l'URSSAF Centre - Val de Loire en a interjeté appel par courrier recommandé posté le 23 mai 2022.
L'affaire a été plaidée à l'audience de la cour du 2 juillet 2025.
Par conclusions écrites n°1 visées par le greffe et déposées à l'audience par son représentant, l'URSSAF Centre - Val de Loire demande à la cour de :
- déclarer son appel recevable et régulier ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a :
* déclaré irrégulier l'appel de CSM en date du 15 décembre 2017 en raison de l'incompétence territoriale de l'URSSAF Centre - Val de Loire, du fait de l'absence de publicité antérieure de l'approbation de la convention de délégation entre l'URSSAF Ile-de-France et l'URSSAF Centre - Val de Loire par le directeur de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) ;
* annulé en conséquence l'appel de CSM du 15 décembre 2017 et la mise en demeure subséquente du 19 avril 2019 ;
* prononcé le dégrèvement de la somme de 6 439 réclamée au titre de la CSM afférente à l'année 2016 ;
* condamné l'URSSAF Centre - Val de Loire à verser à Mme [O] la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
* condamné l'URSSAF Centre - Val de Loire aux dépens ;
Statuant à nouveau,
- valider l'appel de cotisation du 15 décembre 2017 relatif à la CSM 2016 en son montant de 6 439 euros ;
- confirmer la décision de la CRA du 25 octobre 2018 ;
- valider la mise en demeure du 19 avril 2019 en son montant de 6 439 euros ;
A titre reconventionnel , condamner Mme [O] au paiement de la somme de 6 439 euros au titre de la CSM 2016 ;
- condamner Mme [O] aux dépens.
Par conclusions écrites visées par le greffe et déposées à l'audience par son avocat, Mme [O] demande à la cour de :
A titre principal :
- confirmer le jugement ;
- prononcer la décharge de la somme de 6 439 euros due au titre de la CSM ;
A titre subsidiaire :
- saisir la Cour de cassation pour avis sur le fondement de l'article L. 441- 1 du code de l'organisation judiciaire en raison des questions de droit relatives à l'incompétence, les infractions à la réglementation en matière de données personnelles et la réserve d'interprétation constitutionnelle ;
A titre plus subsidiaire :
- saisir la Cour de justice de l'Union européenne de la question préjudicielle suivante : Le règlement n° 2016/679 et le principe d'effectivité du droit de l'Union européenne doivent-il être interprétés en ce sens que le juge national a l'obligation d'annuler un appel de cotisation établi sur la base de données traitées et transférées illégalement ' ;
En tout état de cause :
- condamner l'URSSAF du Centre à payer la somme de 600 euros à Mme [O] au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner l'URSSAF du Centre aux dépens.
En application du deuxième alinéa de l'article 446-2 et de l'article 455 du code procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties déposées le 2 juillet 2025 à l'audience.
A l'issue de l'audience, les parties ont été informées que la décision serait mise à disposition le 3 octobre 2025.
SUR CE,
Sur la régularité de l'appel à cotisation au regard de la compétence de l'URSSAF Centre - Val de Loire pour le délivrer :
Moyens des parties :
L'URSSAF Centre - Val de Loire expose qu'en application de l'article L. 122-7 du code de la sécurité sociale, les conventions de mutualisation conclues entre les URSSAF prennent effet au jour de la décision d'approbation de ces conventions par le directeur de l'ACOSS, à savoir à la date du 11 décembre 2017 dans le cas présent. Elle précise que, dans un arrêt du 16 novembre 2023, la Cour de cassation a confirmé cette interprétation (pourvoi 21-25.534) et que la Cour de cassation a réitéré cette position dans deux arrêts de la 2ème chambre civile le 25 avril 2024 (n°22-13.481) et le 6 juin 2024 (n°22-15.304). Elle en conclut que le juge de première instance a statué en violation de l'article L. 122-7 du code de la sécurité sociale.
Mme [O] explique que, conformément à ce qu'a jugé le tribunal judiciaire de Paris, la convention de mutualisation non encore publiée à la date de l'appel de cotisation ne lui était pas opposable. Elle rappelle que les URSSAF peuvent calculer et recouvrer les cotisations uniquement auprès des redevables résidant dans leurs ressorts territoriaux respectifs et qu'à la date de l'appel à cotisations, alors que la convention de mutualisation n'était pas opposable, l'URSSAF Centre-Val de Loire ne pouvait donc, pour les cotisants résidant à [Localité 8], ni recevoir les informations de l'administration fiscale, ni effectuer le calcul de la cotisation, ni adresser l'appel à cotisation. Elle souligne que si l'URSSAF agit sur le fondement d'une délégation non opposable au cotisant, l'appel à cotisation doit être annulé, même en l'absence de grief (Civ. 2e, 4 mai 2016, pourvoi 15-18.188). Mme [O] indique que la convention de mutualisation ne prend effet, en application de l'article L. 122-7 du code de la sécurité sociale, qu'après son approbation par le directeur de l'ACOSS, décision qui n'entre en vigueur qu'à compter du lendemain de sa publication, conformément aux articles L. 100-3, L. 221-1 et L. 221-2 du code des relations entre le public et l'administration (CRPA). Faute de publicité suffisante, la décision du directeur de l'ACOSS doit être sanctionnée d'inopposabilité, ainsi que le juge le Conseil d'Etat (CE, 24 avril 2012, n° 339669). Elle en conclut que l'appel à cotisations a été adressé par un organisme qui n'était pas territorialement compétent.
Réponse de la cour :
L'alinéa 9 de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale relatif à la cotisation subsidiaire maladie dispose que :
« La cotisation est recouvrée l'année qui suit l'année considérée, mentionnée aux 1° et 2° du présent article, selon les dispositions des sections 2 à 4 du chapitre III et du chapitre IV du titre IV du livre II du présent code, sous réserve des adaptations prévues par décret en Conseil d'Etat. »
Le livre I du code de la sécurité sociale est intitulé 'Livre I : Généralités - Dispositions communes à tout ou partie des régimes de base (Articles L. 111-1 à L. 184-1)'. Il a donc vocation à s'appliquer à tous les organismes de sécurité sociale et à toutes les cotisations, dès lors qu'aucune disposition spécifique dérogatoire n'est prévue dans les livres suivants. Les chapitres III et IV du titre IV du livre II du code de la sécurité sociale, visés par l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale susvisé, ne comportent aucune disposition spécifique dérogatoire au livre I en matière de délégation entre organismes. Dès lors, l'article L. 122-7 du code de la sécurité sociale, compris dans le livre I susvisé, trouve application pour le recouvrement de la cotisation subsidiaire maladie.
L'alinéa 1 de l'article L. 122-7 du code de la sécurité sociale, dans sa version modifiée par la loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016 prévoit :
« Le directeur d'un organisme local ou régional peut déléguer à un organisme local ou régional la réalisation des missions ou activités liées à la gestion des organismes, au service des prestations, au recouvrement et à la gestion des activités de trésorerie, par une convention qui prend effet après approbation par le directeur de l'organisme national de chaque branche concernée.
« Lorsque la mutualisation inclut des activités comptables, financières ou de contrôle relevant de l'agent comptable, la convention est également signée par les agents comptables des organismes concernés. »
En l'espèce, la convention relative à la centralisation du recouvrement de la cotisation d'assurance maladie visée à l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale, communiquée par l'URSSAF en pièce 11, a été signée le 1er décembre 2017 entre, notamment, les directeurs des URSSAF Île de France et Centre-Val de Loire ainsi que par les agents comptables de ces URSSAF.
Elle stipule que « la présente convention est applicable à compter de la décision d'approbation du Directeur de l'ACOSS et conclue pour une durée indéterminée » (article 2), que « les URSSAF délégantes transfèrent à l'URSSAF délégataire l'ensemble des droits et obligations afférents à l'exercice des missions de recouvrement résultant des articles R. 380-3 et suivants du code de la sécurité sociale sur le champ de la cotisation d'assurance maladie visée à l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale » (article 3) et enfin que « l'URSSAF délégataire assure l'encaissement centralisé et la gestion du recouvrement de la cotisation visée à l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale, dont le contrôle et les suites amiables et judiciaires des contestations soulevées par les cotisants » (article 4).
Par décision du 11 décembre 2017 (pièce 10 de l'URSSAF) prise par le directeur de l'ACOSS en application de l'article L. 122-7 du code de la sécurité sociale et relative au recouvrement des cotisations dues en application de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale, « sont approuvées les conventions de mutualisation interrégionales, prises en application de l'article L. 122-7 du code de la sécurité sociale et conclues entre les URSSAF aux fins de délégation de calcul, de l'appel et du recouvrement des cotisations dues en application de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale, à des URSSAF délégataires conformément à la répartition figurant sur le tableau annexé à la présente décision ».
Dans le tableau annexé, il est précisé que l'URSSAF d'Île de France est « l'URSSAF délégante » et que l'URSSAF Centre, devenue en cours de procédure l'URSSAF Centre-Val de Loire, est « l'URSSAF délégataire » de la première.
Il résulte de l'alinéa premier de l'article L. 122-7 du code de la sécurité sociale susvisé que la convention de délégation prend effet dès son approbation par le directeur de l'organisme national de la branche concernée et qu'en conséquence, l'organisme délégataire est habilité à exercer les pouvoirs résultant de cette délégation à compter de la décision d'approbation, sans qu'il n'y ait lieu d'attendre la publication (Cass., Civ. 2e, 16 novembre 2023, n° 21-25.534).
L'URSSAF du Centre-Val de Loire était donc territorialement compétente pour calculer, appeler et recouvrer la cotisation subsidiaire maladie des assujettis vivant à [Localité 8] dès le 11 décembre 2017.
L'appel de cotisation émis le 15 décembre 2017 et envoyé ensuite à Mme [O] a donc été émis par une URSSAF ayant bénéficié d'une délégation pour calculer, appeler et recouvrer les cotisations subsidiaires maladie au jour de l'appel de cotisation.
Il s'ensuit que le moyen tiré de l'absence de compétence de l'URSSAF ayant émis l'appel de cotisations est inopérant. Le jugement déféré sera donc infirmé sur ce point.
Sur la régularité de l'appel à cotisation au regard de sa tardiveté :
Moyens des parties :
L'URSSAF Centre-Val de Loire expose que le tribunal judiciaire de Paris a, à juste titre, estimé que le non-respect par l'organisme de recouvrement de la date limite mentionnée à l'article R. 380-4 du code de la sécurité sociale a pour seul effet de reporter le délai au terme duquel la cotisation devient exigible. L'URSSAF précise que l'article R. 380-4 du code de la sécurité sociale n'est assorti d'aucune sanction et qu'en conséquence, le tribunal ne peut pas prononcer de sanction en raison de la tardiveté de l'appel, sauf à rajouter une condition au texte, sans fondement juridique. Elle rappelle que la jurisprudence de la Cour de cassation du 28 janvier 2021 (pourvois 19-22.55 et 19-25 .853) confirme l'analyse faite par le juge de première instance. L'URSSAF Centre-Val de Loire rappelle que l'appel à cotisations n'est pas un acte administratif faisant grief, puisqu'il ne modifie pas la situation personnelle du requérant, qui est d'ailleurs expressément invité à se manifester s'il n'est pas d'accord avec les éléments retenus. Elle en conclut qu'au contraire d'un acte administratif, il n'est pas susceptible d'être annulé. L'URSSAF précise qu'en tout état de cause, elle dispose d'un délai de trois ans à compter de la fin de l'année civile au titre de laquelle la cotisation est due pour la recouvrer.
Mme [O] expose qu'en application de l'article R. 380-4 du code de la sécurité sociale, la cotisation doit être appelée au plus tard le 30 novembre de l'année, c'est-à-dire ici le 30 novembre 2017. Elle fait valoir que de très nombreuses juridictions ont statué en ce sens et que la Cour de cassation, malgré les conclusions très fermes de son avocat général, a rendu des arrêts de cassation. Mme [O] indique que toute norme légale ou réglementaire doit être respectée et que sa violation doit être sanctionnée. Il précise que l'article R. 380-4 du code de la sécurité sociale dispose que la CSM doit être appelée au plus tard le 30 novembre, ce qui veut dire que, passé ce délai, l'URSSAF n'est plus recevable à appeler la cotisation litigieuse.
Mme [O] invite donc la cour d'appel à infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris, afin que cette question de principe puisse à nouveau faire l'objet d'une tentative de saisine de l'assemblée plénière de la Cour de cassation.
Réponse de la cour :
L'alinéa 1er de l'article R. 380-4 du code de la sécurité sociale dispose :
« La cotisation mentionnée à l'article L. 380-2 est appelée au plus tard le dernier jour ouvré du mois de novembre de l'année suivant celle au titre de laquelle elle est due. Elle est exigible dans les trente jours suivant la date à laquelle elle est appelée. »
L'article L. 244-3 du code de la sécurité sociale dispose que :
« Les cotisations et contributions sociales se prescrivent par trois ans à compter de la fin de l'année civile au titre de laquelle elles sont dues. Pour les cotisations et contributions sociales dont sont redevables les travailleurs indépendants, cette durée s'apprécie à compter du 30 juin de l'année qui suit l'année au titre de laquelle elles sont dues. »
L'article L. 244-8-1 du code de la sécurité sociale dispose que :
« Le délai de prescription de l'action civile en recouvrement des cotisations ou des majorations de retard, intentée indépendamment ou après extinction de l'action publique, est de trois ans à compter de l'expiration du délai imparti par les avertissements ou mises en demeure prévus aux articles L. 244-2 et L. 244-3. »
Le non-respect par l'organisme de recouvrement de la date limite mentionnée par l'article R. 380-4 a pour seul effet de reporter le délai au terme duquel la cotisation devient exigible (2e Civ., 28 janvier 2021, pourvoi n° 19-22.255 ; 2e Civ., 6 janvier 2022, pourvoi n° 20-16.379), étant rappelé qu'aucune sanction de nullité n'est prévue en cas de non-respect du délai. Dès lors, le dépassement du délai prévu entraîne uniquement le report de l'exigibilité et du point de départ de calcul des majorations de retard.
Le report de l'exigibilité de la cotisation ne fait pas grief au cotisant. En effet, il convient de distinguer, d'une part, la prescription de la dette et d'autre part, la prescription de l'action en recouvrement. En application de l'article L. 244-3 du code de la sécurité sociale, quelle que soit la date de l'appel à cotisation, la dette de cotisation de Mme [O] se prescrit par trois ans à compter de la fin de l'année civile au titre de laquelle elle est due. Un décalage de l'appel à cotisation sera donc sans effet sur le cours de la prescription de la dette, qui commence toujours à courir le 31 décembre de l'année au titre de laquelle elle est due. En revanche, le report de l'exigibilité influe sur la prescription de l'action en recouvrement qui ne pourra courir qu'à compter de la délivrance de la mise en demeure; un décalage de l'appel à cotisation retardera donc le point de départ de la prescription de l'action en recouvrement, qui est sans autre effet sur le cotisant que d'allonger le délai de paiement, étant précisé que si l'appel à cotisation intervient après le délai triennal de prescription de la dette, l'URSSAF Centre - Val de Loire ne pourra plus réclamer aucune somme.
Ce moyen tiré de l'irrégularité de l'appel à cotisation au regard de sa tardiveté sera en conséquence rejeté.
Sur la régularité de l'appel à cotisations au regard de la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel du 27 septembre 2018 :
Moyens des parties :
L'URSSAF Centre-Val de Loire indique que la décision 2018-735 du Conseil constitutionnel a validé la conformité à la constitution de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale, sous la réserve du paragraphe 19 de la décision, qui précise qu'il appartient au pouvoir réglementaire de fixer le taux et les modalités prévus à l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale de façon à ce que la cotisation n'entraîne pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. L'URSSAF Centre-Val de Loire indique qu'il s'agit d'une réserve d'interprétation directive, c'est-à-dire qu'elle donne l'interprétation à retenir et comporte une prescription à l'égard du pouvoir réglementaire chargé de l'application de la loi. Cette seule réserve d'interprétation ne permet pas de considérer que le Conseil constitutionnel a entendu déclarer rétroactivement non conformes à la constitution les dispositions réglementaires des articles D. 380-1 et D. 380-2 du code de la sécurité sociale tels qu'issus du décret 2016-979 du 19 juillet 2016. L'URSSAF estime que cette réserve d'interprétation ne vaut que pour les autorités de l'Etat et ne peut donc être invoquée directement par les justiciables à l'appui d'une irrégularité de l'appel à cotisations. Elle rappelle que cette réserve d'interprétation, en date du 27 septembre 2018, ne vaut que pour l'avenir et n'a pas d'effet rétroactif.
L'URSSAF Centre-Val de Loire précise que les modifications de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale, introduites par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2019, ne sont pas la conséquence directe de cette réserve d'interprétation mais visaient principalement à répondre aux critiques en lien avec les effets de seuil constatés. L'article 12 de la LFSS 2019 précise expressément que les modifications ne s'appliquent que pour les cotisations appelées au titre des périodes courant à compter du 1er janvier 2019. Ces dispositions de la LFSS 2019 ne peuvent donc être invoquées dans le présent litige.
L'URSSAF Centre-Val de Loire précise également que le Conseil d'Etat, dans une décision du 10 juillet 2019, a déclaré conforme à la constitution les dispositions réglementaires relatives à la CSM. En conséquence, l'URSSAF considère que la cotisante ne peut se prévaloir de cette réserve d'interprétation, pour obtenir la décharge de la CSM.
Mme [O] explique qu'elle a été assujettie à une cotisation d'un montant de 6 439 euros, qui correspond à une cotisation égale à 8 % des revenus patrimoniaux, déduction faite de la somme de 9 654 euros correspondant au seuil d'assujettissement. Il rappelle que cette cotisation est assise sur des revenus du patrimoine qui ont déjà fait l'objet d'une imposition aux prélèvements sociaux plus importante que celle appliquée aux revenus d'activité (17,2 % pour les premiers contre 9,7 % pour les seconds). Elle souligne également que la cotisation, sans plafonnement, entraîne un effet de seuil, puisqu'il suffit d'avoir des revenus d'activité d'un montant de 3 861 euros sur l'année, soit 322 euros par mois, pour réduire le montant de la CSM à environ 1 000 euros, puisque dans ce cas, la CSM est assise sur les seuls revenus d'activité, à l'exclusion des revenus du patrimoine, qui peuvent demeurer très élevés par ailleurs. Mme [O] indique que les modalités de calcul de la CSM peuvent engendrer une cotisation d'un montant très élevé, sans rapport avec le bénéfice supposé d'un accès à une couverture sociale collective. Elle précise que cette situation anormale a été corrigée successivement par les tribunaux, par le législateur et par le pouvoir réglementaire, mais dans des conditions de temps qui sont telles qu'elle en demeure exclu. Ainsi, elle indique qu'à la suite de la saisine du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité visant l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale, le Conseil constitutionnel a confirmé que la CSM était une cotisation sociale et non un impôt et qu'en conséquence, les modalités de calcul de cette cotisation sociale devaient être fixées par un texte réglementaire et non par un texte législatif. Tout en rappelant que son contrôle est limité au domaine de la loi, le Conseil constitutionnel a toutefois formé une réserve d'interprétation applicable au texte réglementaire, afin qu'il fixe les modalités de cette cotisation de telle sorte qu'elle n'entraîne pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Mme [O] expose que la décision du Conseil constitutionnel prend effet immédiatement et vise donc les articles D. 380-1 et D. 380-2 du code de la sécurité sociale dans leur version en vigueur au jour de la décision, qui ne doivent plus être appliqués ; elle souligne d'ailleurs que la décision du Conseil constitutionnel est rédigée au présent de l'indicatif, et non au futur de l'indicatif comme lorsque les réserves d'interprétation visent les textes réglementaires à venir. Mme [O] expose qu'à la suite de la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel, le pouvoir exécutif, après avoir exposé dans la discussion parlementaire les défauts de conception de la CSM, notamment au regard des effets de seuil et de l'absence de plafonnement, a proposé une modification de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale, dans le projet de LFSS 2019, pour remédier aux difficultés pointées dans la réserve d'interprétation susvisée. Elle souligne toutefois que, malgré les mises en garde, l'application cette modification du texte a été différée jusqu'aux cotisations dues pour l'année 2019. Mme [O] expose que, dans sa décision du 10 juillet 2019, visée par l'URSSAF, le Conseil d'Etat n'a pas pu appliquer la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel, puisque saisi pour un recours pour excès de pouvoir, il ne pouvait étudier le moyen dit d'incompétence négative, c'est-à-dire la lacune du texte quant à l'absence de plafonnement. Les dispositions réglementaires existantes qui lui étaient soumises n'étaient pas contraires à la Constitution. Mme [O] souligne toutefois que le Conseil d'Etat rappelle dans cette même décision que la réserve d'interprétation est revêtue de l'autorité absolue de la chose juge et qu'elle lie tant les autorités administratives que le juge, renvoyant ainsi implicitement au juge judiciaire la tâche d'écarter au cas par cas les dispositions réglementaires lorsqu'elles créent une rupture de l'égalité devant les charges publiques. En effet, Mme [O] rappelle que, par application de l'article 62 de la Constitution, la réserve d'interprétation doit s'appliquer erga omnes, avec une autorité équivalente à celle d'une loi, immédiatement, avec un effet rétroactif, puisque la réserve d'interprétation s'incorpore à la disposition critiquée. Elle en conclut qu'elle a pour effet de paralyser l'exécution des articles D. 380-1 et D. 380-2 du code de la sécurité sociale tant qu'ils demeurent contraires à la Constitution, et ce, même pour les situations passées. Ainsi, Mme [O] estime que le juge judiciaire est bien compétent pour appliquer l'article 62 de la Constitution et donner plein effet à la réserve d'interprétation, dès lors que le pouvoir réglementaire ne l'a pas fait pour les situations des cotisants redevables de la CSM pour les années antérieures à 2019.
Réponse de la cour :
L'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige, dispose :
« Les personnes mentionnées à l'article L. 160-1 sont redevables d'une cotisation annuelle lorsqu'elles remplissent les conditions suivantes :
« 1° Leurs revenus tirés, au cours de l'année considérée, d'activités professionnelles exercées en France sont inférieurs à un seuil fixé par décret. En outre, lorsqu'elles sont mariées ou liées à un partenaire par un pacte civil de solidarité, les revenus tirés d'activités professionnelles exercées en France de l'autre membre du couple sont également inférieurs à ce seuil ;
« 2° Elles n'ont perçu ni pension de retraite, ni rente, ni aucun montant d'allocation de chômage au cours de l'année considérée. Il en est de même, lorsqu'elles sont mariées ou liées à un partenaire par un pacte civil de solidarité, pour l'autre membre du couple.
« Cette cotisation est fixée en pourcentage du montant des revenus fonciers, de capitaux mobiliers, des plus-values de cession à titre onéreux de biens ou de droits de toute nature, des bénéfices industriels et commerciaux non professionnels et des bénéfices des professions non commerciales non professionnels, définis selon les modalités fixées au IV de l'article 1417 du code général des impôts, qui dépasse un plafond fixé par décret. Servent également au calcul de l'assiette de la cotisation, lorsqu'ils ne sont pas pris en compte en application du IV de l'article 1417 du code général des impôts, l'ensemble des moyens d'existence et des éléments de train de vie, notamment les avantages en nature et les revenus procurés par des biens mobiliers et immobiliers, dont le bénéficiaire de la couverture maladie universelle a disposé, en quelque lieu que ce soit, en France ou à l'étranger, et à quelque titre que ce soit. Ces éléments de train de vie font l'objet d'une évaluation dont les modalités sont fixées par décret en Conseil d'Etat. Un décret détermine le taux et les modalités de calcul de cette cotisation ainsi que les obligations déclaratives incombant aux assujettis.
« Lorsque les revenus d'activité mentionnés au 1° sont inférieurs au seuil défini au même 1° mais supérieurs à la moitié de ce seuil, l'assiette de la cotisation fait l'objet d'un abattement dans des conditions fixées par décret. Cet abattement croît à proportion des revenus d'activité, pour atteindre 100% à hauteur du seuil défini audit 1°.
« La cotisation est recouvrée l'année qui suit l'année considérée, mentionnée aux 1° et 2° du présent article, selon les dispositions des sections 2 à 4 du chapitre III et du chapitre IV du titre IV du livre II du présent code, sous réserve des adaptations prévues par décret du Conseil d'Etat. »
L'article D. 380-1 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable, prévoit :
« I.-Le montant de la cotisation mentionné à l'article L. 380-2 due par les assurés dont les revenus tirés d'activités professionnelles sont inférieurs à un seuil fixé à 10 % du plafond annuel de la sécurité sociale est déterminé selon les formules suivantes :
« 1° Si les revenus tirés d'activités professionnelles sont inférieurs à 5 % du plafond annuel de la sécurité sociale :
« Montant de la cotisation = 8 % × (A-D)
« Où :
« A est l'assiette des revenus définie au quatrième alinéa de l'article L. 380-2 ;
« D, qui correspond au plafond mentionné au quatrième alinéa du même article, est égal à 25% du plafond annuel de la sécurité sociale ;
« 2° Si les revenus tirés d'activités professionnelles sont compris entre 5% et 10% du plafond annuel de la sécurité sociale :
« Montant de la cotisation = 8 % × (A-D) × 2 × (1-R/ S)
« Où :
« R est le montant des revenus tirés d'activités professionnelles ;
« S, qui correspond au seuil des revenus tirés d'activités professionnelles mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 380-2, est égal à 10% du plafond annuel de la sécurité sociale.
« II.-Lorsque le redevable de cette cotisation ne remplit les conditions mentionnées à l'article L. 160-1 que pour une partie de l'année civile, le montant de la cotisation due est calculé au prorata de cette partie de l'année.
« III.- Si, au titre d'une période donnée, l'assuré est redevable de la cotisation prévue à l'article L. 380-3-1, il ne peut être redevable de la cotisation prévue à l'article L. 380-2 pour la même période. Le montant de celle-ci est alors calculé dans les conditions prévues au II. »
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision QPC n° 2018-735 du 27 septembre 2018, a déclaré l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale instituant la cotisation subsidiaire maladie conforme à la Constitution, sous la réserve d'interprétation énoncée au paragraphe 19, à savoir « la seule absence de plafonnement d'une cotisation dont les modalités de détermination de l'assiette ainsi que le taux sont fixés par voie réglementaire n'est pas, en elle-même, constitutive d'une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Toutefois, il appartient au pouvoir réglementaire de fixer ce taux et ces modalités de façon à ce que la cotisation n'entraîne pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. » Le Conseil constitutionnel a donc validé l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable à l'espèce, et, partant, a validé l'existence d'un seuil d'assujettissement.
L'article D. 380-1 du code de la sécurité sociale fait partie des dispositions réglementaires prises en application de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale et visées par la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel.
Saisi d'un recours pour excès de pouvoir de la décision par laquelle le Premier ministre a implicitement rejeté la demande d'un requérant tendant à l'adoption de nouvelles mesures réglementaires d'application de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale pour les cotisations dues sur les revenus antérieurs au 1er janvier 2019, à la suite de la décision du Conseil constitutionnel n° 2018-735 QPC du 27 septembre 2018, le Conseil d'Etat a statué sur la constitutionnalité des dispositions réglementaires prises en application de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale, telles que rédigées à la suite du décret du 19 juillet 2016, dans un arrêt de la première chambre du 29 juillet 2020 (CE, 29 juillet 2020, n° 430326). Il a ainsi décidé « qu'en fixant, dans le cadre déterminé par les dispositions de l'article L. 380-2 précité, le seuil de revenus professionnels prévu au deuxième alinéa de cet article, en deçà duquel la cotisation est due, à 10% du plafond annuel de la sécurité sociale, soit 3 922,80 euros en 2017, le montant des revenus du patrimoine mentionné au quatrième alinéa du même article, au-delà duquel s'applique le prélèvement, à 25% de ce même plafond, soit 9 807 euros en 2017, et le taux de la cotisation en cause à 8%, le pouvoir réglementaire a défini les modalités de calcul de cette cotisation dans des conditions qui n'entraînent pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Il s'en suit que l'article D. 380-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret du 19 juillet 2016 précité, ne méconnaît pas le principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et des citoyens de 1789, pas plus que les dispositions de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale telles qu'interprétées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2018-735 QPC du 27 septembre 2018, qui, contrairement à ce qui est soutenu, n'impliquait pas l'adoption de mesures réglementaires pour le passé. »
Il s'en déduit que la question de la légalité de l'article D. 380-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2016-979 du 19 juillet 2016, au regard des dispositions de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale telles qu'interprétées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2018-735 QPC du 27 septembre 2018 ne soulève pas de difficulté sérieuse (C. Cass, civ 2ème, 27 février 2025, pourvoi 22-21.800).
Mme [O] n'est pas fondée à soutenir que le pouvoir réglementaire était tenu de modifier les mesures réglementaires d'application des dispositions de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale relatives à la cotisation subsidiaire maladie pour les périodes d'assujettissement antérieures au 1er janvier 2019.
Par ailleurs, en vertu du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires posé par l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et par le décret du 16 fructidor an III, sous réserve des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire et sauf dispositions législatives contraires, il n'appartient qu'à la juridiction administrative de connaître des recours tendant à l'annulation ou à la réformation des décisions prises par l'administration dans l'exercice de ses prérogatives de puissance publique. De même, le juge administratif est en principe seul compétent pour statuer, le cas échéant par voie de question préjudicielle, sur toute contestation de la légalité de telles décisions, soulevée à l'occasion d'un litige relevant à titre principal de l'autorité judiciaire (CE, 16 juin 1923, Septfonds c/ Chemins de fer du Midi, n° 00732). Toutefois, ces principes doivent être conciliés tant avec l'exigence de bonne administration de la justice qu'avec les principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions, en vertu desquels tout justiciable a droit à ce que sa demande soit jugée dans un délai raisonnable. Il suit de là que si, en cas de contestation sérieuse portant sur la légalité d'un acte administratif, les tribunaux de l'ordre judiciaire statuant en matière civile doivent surseoir à statuer jusqu'à ce que la question préjudicielle de la légalité de cet acte soit tranchée par la juridiction administrative, il en va autrement lorsqu'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal (Tribunal des conflits, 17/10/2011, SCEA du Cheneau et autres c/ INAPORC, C3828).
Ainsi, contrairement à ce que soutient Mme [O], le juge judiciaire ne peut statuer sur la légalité de dispositions réglementaires que si leur illégalité est manifeste, au vu d'une jurisprudence établie. Or, ainsi qu'il vient d'être rappelé ci-dessus, la légalité des articles D. 380-1 et D. 380-2 du code de la sécurité sociale, dans leur version applicable au litige, n'a pas été remise en cause par le Conseil d'Etat dans sa décision susvisée du 29 juillet 2020. Les conditions pour permettre au juge judiciaire d'apprécier la légalité des articles D. 380-1 et D. 380-2 du code de la sécurité sociale ne sont donc pas réunies.
Dès lors, dans les litiges relatifs à la CSM pour la période antérieure au 1er janvier 2019, le juge judiciaire ne peut, sans enfreindre la dualité des ordres de juridictions, écarter de lui-même, directement dans un jugement, les articles D. 380-1 et D. 380-2 du code de la sécurité sociale, dans leur version applicable. En conséquence, l'appel à cotisations délivré par l'URSSAF Centre Val de Loire à Mme [O] sera déclaré régulier au regard de la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel en date du 27 septembre 2018.
Sur la régularité de l'appel à cotisations au regard du principe de non-discrimination protégé par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme :
Moyens des parties :
L'URSSAF expose que la LFSS 2016, instaurant la CSM, ne présente pas de contrariété avec le principe de non-discrimination, ainsi qu'il ressort tant de la jurisprudence administrative (CE 10 juillet 2019) que de la jurisprudence judiciaire (Cass Civ 2 , 27 février 2025, pourvoi 23.15-218). L'URSSAF rappelle que Mme [O] remplit toutes les conditions légales pour être assujetti à la CSM et que son raisonnement repose sur la perception hypothétique de revenus d'activité.
Mme [O] estime que la CSM est une atteinte aux principes de non-discrimination et de propriété consacrés par l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et par l'article 1er de son premier protocole additionnel et que cette atteinte n'est pas proportionnée. En effet, elle fait valoir que l'effet de seuil et l'absence de plafonnement ont pour effet de l'assujettir à une cotisation qui est d'un montant 6 fois supérieur à celle qu'elle aurait dû payer s'il avait perçu 3 861 euros de revenus d'activité. Ainsi, à patrimoine égal ou même inférieur, la différence entre deux assurés sociaux qui disposent de revenus d'activité légèrement différents, à savoir une différence de 3 861 euros, peut être exorbitante et totalement disproportionnée. Mme [O] indique qu'elle ne conteste pas que la CSM poursuive un but légitime (à savoir le financement de la couverture sociale d'une catégorie d'assurés démunis, par le mécanisme de la solidarité), mais estime que les moyens mis en oeuvre sont disproportionnés dès lors qu'ils créent des effets de seuil excessifs induisant une différence de traitement.
Réponse de la cour :
L'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme stipule :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance a une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
L'article1er du Premier Protocole à cette Convention stipule :
« 1. Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être prive de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ; 2. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément a l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
Mme [O] conteste ici la conventionnalité des modalités de calcul de la CSM au motif que leur application à son cas particulier est disproportionnée par rapport au but recherché. Elle demande donc à la cour de contrôler la conventionnalité du calcul de la cotisation dans son cas particulier.
Les juridictions ordinaires ont la possibilité d'effectuer ce contrôle de conventionnalité, non pas en appréciant la légalité des dispositions réglementaires, mais en les écartant dans un cas particulier, dans l'hypothèse où elle se révélerait contraire aux principes supérieurs du corpus juridique européen (Cass., Com., 6 mai 1996, pourvoi n° 94-13.347, et Tribunal des conflits, 17/10/2011, SCEA du Cheneau et autres c/ INAPORC, C3828). Dans ce cadre, une mesure prise en application d'une loi dont la conformité aux dispositions constitutionnelles protectrices des droits fondamentaux est établie peut néanmoins être jugée incompatible avec ces mêmes droits tels qu'ils se trouvent garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme à raison par exemple de son caractère disproportionné dans les circonstances de la cause (CEDH, 16 janvier 2018, n° 22612/15, Charron et autres c./ France, paragraphe 28). Il convient donc d'apprécier si, dans le cas de M. [O], l'assujettissement à la CSM est conforme aux principes fondamentaux de non-discrimination et de droit de propriété.
L'article L. 380-2 susvisé, instaure une cotisation annuelle dont sont redevables les personnes mentionnées à l'article L. 160-1 du même code, en vue de contribuer à la prise en charge des frais de santé. Cette cotisation, en tant qu'elle prive le cotisant d'un élément de sa propriété, à savoir les sommes qu'il doit verser à ce titre et qui sont recouvrées par l'URSSAF, constitue, pour le cotisant qui en est redevable, une ingérence dans le droit au respect de ses biens (CEDH, arrêt du 12 novembre 2013, Marcu c. Roumanie, n° 8986/13, §§ 13-14). Cette ingérence, qui repose sur des dispositions légales et réglementaires de droit interne accessibles, précises et prévisibles, se justifie conformément au second alinéa de l'article 1er du Protocole n°1 précité, qui prévoit expressément une exception pour ce qui est du paiement des impôts ou d'autres contributions. En outre, cette ingérence doit ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu. Par conséquent, l'obligation financière née du prélèvement d'impôts ou de contributions peut léser la garantie consacrée par l'article 1er du Protocole n° 1 précité si elle impose à la personne ou à l'entité en cause une charge excessive ou porte fondamentalement atteinte à leur situation financière (CEDH, arrêt du 4 janvier 2008, Imbert de Tremiolles c. France, n° 25834/05 ; CEDH, arrêt du 15 janvier 2015, Arnaud et autres c. France, n° 36918/11, 36963/11,36967/11, 36969/11, 36970/11 et 36971/11, §§ 23 à 25).
La cotisation subsidiaire maladie, instituée pour faire contribuer à la prise en charge des frais de santé les personnes ne percevant pas de revenus professionnels ou percevant des revenus professionnels insuffisants pour que les cotisations assises sur ces revenus constituent une participation effective à cette prise en charge, répond à un motif d'intérêt général, dès lors qu'elle participe à l'exigence de valeur constitutionnelle qui s'attache à l'équilibre financier de la sécurité sociale.
Il ressort des articles L. 380-2 et D. 380-1 susvisés que le taux de la cotisation subsidiaire maladie est fixé à 8 % des revenus du patrimoine mentionnés par le premier de ces textes, que l'assiette de la cotisation fait l'objet d'un abattement croissant à proportion des revenus d'activité et que la cotisation n'est assise que sur la fraction des revenus du patrimoine dépassant un plafond fixé à 25 % du plafond annuel de la sécurité sociale.
En outre, conformément au principe de solidarité nationale énoncé par l'article L. 111-1 du code de la sécurité sociale, cette cotisation permet d'assurer une participation effective des personnes, percevant des revenus du patrimoine dépassant un plafond, au financement de l'assurance maladie au titre de laquelle des droits leur sont ouverts.
Dès lors, le taux de la cotisation appliqué à l'assiette définie par les articles L. 380-2 et D. 380-1 susvisés ne présente pas de caractère excessif. Il en résulte que ces dispositions ménagent un « juste équilibre » entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu, de sorte qu'elles sont compatibles avec les stipulations de l'article 1er du Protocole additionnel n°1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés (Cass, Civ 2e, 27 février 2025, pourvoi 23-15.218)
Par ailleurs, la discrimination, prohibée par l'article 14 de la convention susvisée, consiste à traiter de manière différente des personnes placées dans des situations comparables ou analogues, sauf justification objective et raisonnable, c'est-à-dire si elle poursuit un but légitime et s'il y a un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (CEDH, arrêt du 13 novembre 2007, DH et autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, § 175). La Cour européenne des droits de l'homme rappelle que les États contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d'autres égards analogues justifient des distinctions de traitement (CEDH, arrêt du 5 juillet 2022, Dimici c. Turquie, n° 70133/16, § 124). Le domaine de la protection sociale constitue un ensemble complexe dont il convient de préserver l'équilibre et, de ce fait, une ample latitude est d'ordinaire laissée à l'État pour prendre des mesures d'ordre général en matière économique ou sociale (CEDH, arrêt du 29 avril 2008, Burden c. Royaume-Uni [GC], n° 13378/05, § 60).
Les dispositions des articles L. 380-2 et D. 380-1 susvisés créent une différence de traitement entre les cotisants redevables de cotisations sociales sur leurs seuls revenus professionnels et ceux qui, dès lors que leur revenu d'activité professionnelle est inférieur au seuil fixé par le second de ces textes et qu'ils n'ont perçu aucun revenu de remplacement, sont redevables d'une cotisation assise sur l'ensemble de leurs revenus du patrimoine. En créant une différence de traitement entre les cotisants pour la détermination des modalités de leur participation au financement de l'assurance maladie selon le montant de leurs revenus professionnels, les textes du code de la sécurité sociale précités poursuivent un but légitime, en ce qu'ils contribuent à l'exigence de valeur constitutionnelle qui s'attache à l'équilibre financier de la sécurité sociale par une répartition équitable entre les assurés sociaux de la charge de financement du régime général d'assurance maladie, selon la nature des revenus perçus et l'absence significative de la part salariale des revenus dans la contribution aux dépenses courantes de l'allocataire.
Il ressort des articles L. 380-2 et D. 380-1 susvisés que le taux de la cotisation subsidiaire maladie est fixé à 8 % des revenus du patrimoine mentionnés par le premier, que l'assiette de la cotisation fait l'objet d'un abattement croissant à proportion des revenus d'activité et que la cotisation n'est assise que sur la fraction des revenus du patrimoine dépassant un plafond fixé à 25 % du plafond annuel de la sécurité sociale. Ainsi, la différence de traitement entre les assurés sociaux décrite plus haut, inhérente à l'existence d'un seuil, se trouve atténuée par ces mécanismes d'abattement d'assiette et de limitation de l'assiette aux revenus du patrimoine dépassant ce plafond.
En outre, la cotisation constitue, pour les personnes qui en sont redevables, des versements à caractère obligatoire constituant la contrepartie légale du bénéfice des prestations en nature qui leur sont servies conformément à l'article L. 160-1 du code de la sécurité sociale.
Dès lors, les articles L. 380-2 et D. 380-1 précités ménagent un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Il en résulte que les dispositions de ces textes sont compatibles avec les stipulations de l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, combiné avec l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à cette Convention (Cass, Civ 2e, 27 février 2025, pourvois 23-15.218 et 22-21.800).
Le moyen tiré de la violation des principes fondamentaux européens sera en conséquence rejeté.
Sur la régularité de l'appel à cotisations au regard de l'article 27 de la loi informatique et libertés
Moyens des parties :
L'URSSAF expose que les dispositions de l'article 27 de la loi informatique et libertés, dans sa version applicable (devenu article 32 depuis) ont été respectées, dès lors que le traitement des données a été autorisé par le décret du 3 novembre 2017 pris après avis motivé et publié de la [6] (avis en date du 26 octobre 2017). Elle souligne que l'avis de la [6] précise bien que les destinataires des données sont les agents de l'ACOSS et les agents habilités des URSSAF.
Par ailleurs, l'URSSAF rappelle que la transmission des informations entre l'administration fiscale et les URSSAF a été prévue par les articles L. 380-2, R. 380-3 et D. 380-5 I du code de la sécurité sociale.
L'URSSAF explique que le décret du 24 mai 2018 a complété le dispositif en autorisant la DGFIP à effectuer à son niveau un traitement automatisé de ces données, pour la cotisation 2017 appelée en 2018. Elle précise que le décret du 24 mai 2018 n'est qu'un prolongement du principe du traitement qui avait déjà été autorisé dans le décret du 3 novembre 2017.
Mme [O] expose que l'URSSAF a violé l'article 27 de la loi Informatique et Liberté, en traitant un fichier contenant des données personnelles dont le transfert n'avait pas été autorisé. En effet, elle indique que le traitement des données doit être autorisé par un décret pris en Conseil d'Etat après avis de la [6]. Or, elle explique que le traitement relatif au transfert des données entre l'administration fiscale et l'URSSAF a été autorisé par le décret du 24 mai 2018, soit postérieurement au transfert des données utilisé pour l'appel à cotisations objet du litige. Elle souligne qu'il est exact qu'a été pris un décret le 3 novembre 2017, mais ce décret ne portait pas sur le transfert des données des cotisants entre la DGFIP et l'ACOSS, mais uniquement sur le calcul et le recouvrement de la cotisation par les URSSAF. Elle indique que la délibération de la [6] évoque clairement un décret pour le traitement mis en oeuvre par la DGFIP relatif au transfert des données mais que ce décret n'est intervenu que le 24 mai 2018, postérieurement à l'appel à cotisations. Mme [O] estime que ce décret n'est pas venu compléter un dispositif existant comme le prétend l'URSSAF mais qu'il portait sur un traitement nécessaire dès la mise en place de la CSM.
Réponse de la cour :
Pour le présent litige, il convient de désigner par « la loi I&L » la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dans sa version applicable au litige, c'est-à-dire au jour de l'émission de l'appel à cotisations.
L'article 27 de la loi I&L dispose :
« I.- Sont autorisés par décret en Conseil d'Etat, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés :
« 1° Sous réserve du I bis de l'article 22 et du 9° du I de l'article 25, les traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre pour le compte de l'Etat, d'une personne morale de droit public ou d'une personne morale de droit privé gérant un service public, qui portent sur des données parmi lesquelles figure le numéro d'inscription des personnes au répertoire national d'identification des personnes physiques ;
« 2° Les traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre pour le compte de l'Etat qui portent sur des données biométriques nécessaires à l'authentification ou au contrôle de l'identité des personnes. (') »
Le principe du partage d'informations nominatives entre l'administration fiscale et les organismes de sécurité sociale préexistait à l'instauration de la CSM et est prévu à l'article L. 152 du livre des procédures fiscales, qui dispose, dans sa version applicable au présent litige :
« Les agents des administrations fiscales communiquent aux organismes et services chargés de la gestion d'un régime obligatoire de sécurité sociale, de l'attribution de la protection complémentaire en matière de santé visée à l'article du code de la sécurité sociale, aux services chargés de la gestion et du paiement des pensions aux fonctionnaires de l'Etat et assimilés, aux institutions mentionnées au chapitre Ier du titre II du livre IX du code de la sécurité sociale, au service mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 815-7 du même code ainsi qu'à l'institution mentionnée à l'article L.5312-1du code du travail les informations nominatives nécessaires :
« 1° à l'appréciation des conditions d'ouverture et de maintien des droits aux prestations ;
« 2° au calcul des prestations ;
« 3° à l'appréciation des conditions d'assujettissement aux cotisations et contributions ;
« 4° à la détermination de l'assiette et du montant des cotisations et contributions ainsi qu'à leur recouvrement ;
« 5° Au recouvrement des prestations indûment versées ;
« 6° A l'appréciation des conditions d'ouverture et de maintien des prestations versées dans le cadre de leur mission légale en matière d'action sanitaire et sociale ;
« 7° Au calcul des prestations versées dans le cadre de leur mission légale en matière d'action sanitaire et sociale.
« Le numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques peut être utilisé pour les demandes, échanges et traitements nécessaires à la communication des informations mentionnées aux 1° à 7°, lorsqu'elles concernent des personnes physiques.
« Dans le but de contrôler les conditions d'ouverture, de maintien ou d'extinction des droits aux prestations de sécurité sociale de toute nature, ainsi que le paiement des cotisations et contributions, les organismes et services mentionnés au premier alinéa peuvent demander aux administrations fiscales de leur communiquer une liste des personnes qui ont déclaré soit n'avoir plus leur domicile en France, soit n'avoir perçu que des revenus du patrimoine ou de placement.
« Les agents des administrations fiscales signalent aux directeurs régionaux des affaires sanitaires et sociales et aux chefs des services régionaux de l'inspection du travail, de l'emploi et de la politique sociale agricoles, ainsi qu'aux organismes de protection sociale les faits susceptibles de constituer des infractions qu'ils relèvent en ce qui concerne l'application des lois et règlements relatifs au régime général, au régime des travailleurs indépendants non agricoles, aux régimes spéciaux, au régime agricole de sécurité sociale ou à l'assurance chômage. »
La loi instituant la CSM, cotisation fixée en fonction, notamment, des revenus du patrimoine et de l'activité professionnelle, prévoit que cette cotisation est déterminée sur la base de ce partage d'informations, puisque l'article L. 380-2, dernier alinéa, du code de la sécurité sociale, qui fixe l'assiette de la cotisation, dispose :
« Les agents des administrations fiscales communiquent aux organismes mentionnés aux articles L. 213-1 et L. 752-2 les informations nominatives déclarées pour l'établissement de l'impôt sur le revenu par les personnes remplissant les conditions mentionnées au premier alinéa de l'article L. 380-2, conformément à l'article L. 152 du livre des procédures fiscales. »
Ce partage d'informations entre l'administration fiscale et les organismes de recouvrement, prévu par la loi, existait également dans les dispositions réglementaires rendues applicables à la CSM, puisque l'article R. 380-3 du code de la sécurité sociale, préexistant à la CSM, prévoit, dans sa version applicable au présent litige :
« Les cotisations mentionnées à l'article L. 380-2 et au deuxième alinéa du IV de l'article L. 380-3-1 sont calculées, appelées et recouvrées par les organismes chargés du recouvrement des cotisations du régime général au vu des éléments transmis par l'administration fiscale ou par les personnes redevables de ces cotisations. »
Et l'article D. 380-5-I du code de la sécurité sociale, également préexistant à la CSM, précise, dans sa version applicable au présent litige :
« Les éléments nécessaires à la détermination des revenus mentionnés aux articles D. 380-1 et D. 380-2 sont communiqués par l'administration fiscale aux organismes chargés du calcul et du recouvrement des cotisations mentionnées à l'article L. 380-2 et au deuxième alinéa du IV de l'article L. 380-3-1. »
Les organismes de sécurité sociale, et notamment les URSSAF, disposaient donc d'un accès aux données fiscales sur la base du corpus législatif et réglementaire existant, sans qu'il ne soit nécessaire d'attendre le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article 27 de la loi I&L. En revanche, ce sont les modalités de traitement de ces données pour déterminer les personnes assujetties et le montant de la cotisation qui ont dû être fixées par décret, conformément aux obligations fixées par la loi I&L.
Par application de l'article 27 de la loi I&L, l'article 1er du décret 2017-1530 du 3 novembre 2017, pris après avis motivé et publié de la [6] sous le numéro 2017-279 en date du 26 octobre 2017, prévoit :
« I - Pour l'application des dispositions de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale est autorisée la création par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale d'un traitement de données à caractère personnel dénommé « Cotisation spécifique maladie ».
« Les finalités de ce traitement sont le calcul et le recouvrement par les organismes mentionnés aux articles L. 213-1 et L. 752-2 du code de la sécurité sociale de la cotisation spécifique maladie prévue par l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale.
« II. - Le traitement autorisé par le présent article porte sur les catégories de données suivantes :
« 1° Données relatives à l'identité des personnes (')
« 2° Données fiscales relatives aux revenus :
« - traitements et salaires ;
« - pensions, retraites et rentes ;
« - revenus et plus-values des professions non salariées : revenus agricoles, revenus industriels et commerciaux professionnels, revenus industriels et commerciaux non professionnels, revenus non commerciaux professionnels, revenus non commerciaux non professionnels ;
« - divers : montant net des revenus agricoles, revenus industriels et commerciaux, revenus non commerciaux non soumis aux contributions sociales par les organismes sociaux, indemnités d'élus locaux, revenus étrangers imposables en France, ouvrant droit à un crédit d'impôt égal au montant de l'impôt français ;
« - revenus des valeurs et capitaux mobiliers ;
« - plus-values et gains divers ;
« - revenus fonciers ;
« - revenus fonciers exceptionnels ou différés ;
« - le cas échéant, rectifications apportées, par le contribuable ou les services de la direction générale des finances publiques, aux mêmes données, en cas d'émission de rôles supplémentaires et de dégrèvements.
« III. - Sont destinataires des données à caractère personnel mentionnées au II du présent article, à raison de leurs attributions respectives et dans la limite du besoin d'en connaître :
« 1° Les agents de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale individuellement habilités par le directeur de l'Agence ;
« 2° Les agents des organismes mentionnés aux articles L. 213-1 et L. 752-2 du code de la sécurité sociale chargés du calcul, du recouvrement et du contrôle de la cotisation prévue par l'article L. 380-2, individuellement habilités par le directeur de l'organisme concerné. (')
« V. - Les droits d'accès et de rectification prévus aux articles 39 et 40 de la loi du 6 janvier 1978 susvisée s'exercent auprès du directeur de l'organisme mentionné aux articles L. 213-1 et L. 752-2 du code de la sécurité sociale auquel la personne est rattachée au vu de l'adresse de domicile qu'elle a déclarée à l'administration fiscale.
« Le droit d'opposition prévu par l'article 38 de la même loi ne s'applique pas au traitement dont la création est autorisée par le présent article. »
Il résulte de ce texte qu'est autorisé tout traitement par l'ACOSS des données fiscales qui ont pour finalité le calcul et le recouvrement de la CSM. Ainsi que défini à l'article 2 de la loi I&L, le traitement comprend la collecte, l'utilisation et la transmission des données personnelles. Ainsi, au jour de l'appel à cotisation, l'ACOSS était autorisée à collecter les données fiscales de M. [O] et de les transmettre aux URSSAF pour le calcul de la CSM.
Au jour de l'appel à cotisations litigieux, étaient donc prévus :
* par une disposition législative, le partage des données fiscales entre l'administration fiscale, l'ACOSS et les URSSAF,
* par un décret en Conseil d'Etat, après avis de la [6],
la collecte, le traitement et la transmission des données fiscales par l'ACOSS et les URSSAF.
Il est vrai que le décret 2018-392 du 24 mai 2018 a prévu l'autorisation d'un traitement automatisé pour transmission des données entre la DGFIP et l'ACOSS ainsi qu'il est dit dans son article 1 :
« Pour l'application du dernier alinéa de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale, est autorisée la mise en oeuvre par la direction générale des finances publiques d'un traitement automatisé de transfert de données à caractère personnel à destination de l'agence centrale des organismes de sécurité sociale.
« Ce traitement automatisé a pour finalité de communiquer à l'agence centrale des organismes de sécurité sociale les informations nominatives dont dispose l'administration fiscale nécessaires à la détermination de l'assiette et du montant de la cotisation prévue par les dispositions de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale ci-dessus mentionné.
« Le transfert est mis en oeuvre par un service informatique de la direction générale des finances publiques. »
Il s'agit de la mise en place d'un traitement automatisé des données au niveau de la DGFIP et non au niveau de l'URSSAF, avant la transmission des données, pour faciliter et rationnaliser cette transmission. Ce traitement automatisé a vocation à se mettre en place pour la CSM 2017 appelée à la fin de l'année 2018. Aucun élément du dossier ne permet de laisser supposer qu'un tel traitement des données au niveau de la DGFIP a été réalisé avant la parution de ce décret, pour la CSM 2016 appelée en 2017. Dès lors, le fait que ce décret soit paru après l'envoi de l'appel à cotisations litigieux est sans incidence sur le litige.
Le moyen tiré de l'irrégularité de l'appel à cotisations au regard de l'article 27 de la loi informatique et libertés sera donc écarté.
Sur la régularité de l'appel à cotisation en raison de l'incompétence de l'URSSAF Centre-Val de Loire pour recevoir et traiter les données personnelles du cotisant :
Moyens des parties :
L'URSSAF expose que, dans sa délibération 2017-279, la [6] indique qu'est justifié au regard de la finalité du traitement l'accès aux données fiscales par les agents habilités des URSSAF territorialement compétents. L'URSSAF en conclut que, par suite de la convention de mutualisation, l'URSSAF Centre-Val de Loire était compétente pour recevoir les données fiscales transmises pour les cotisants résidant à [Localité 8].
En ce qui concerne le droit d'accès et de rectification, l'URSSAF expose que les droits du cotisant sont préservés par l'article R. 380-4 du code de la sécurité sociale, cette possibilité de rectification étant d'ailleurs rappelée dans l'appel à cotisations lui-même.
Mme [O] fait valoir que l'avis de la [6] et le décret du 3 novembre 2017 concernent uniquement un traitement des données par les URSSAF territorialement compétentes, et non l'URSSAF Centre - Val de Loire qui s'est appropriée ensuite le traitement des données ; elle souligne qu'il n'est prévu aucune dérogation au principe de territorialité. Elle précise qu'elle en subit un préjudice puisque l'article 1er du décret du 3 novembre 2017 limite ses droits d'accès et de rectification auprès de la seule URSSAF à laquelle il est rattaché au vu de son adresse fiscale, c'est-à-dire auprès de l'URSSAF Île-de-France, qui n'est en réalité pas celle qui a traité ses données. Elle constate qu'elle est dépourvue de tout droit d'accès et de rectification auprès de l'URSSAF Centre-Val de Loire. Il rappelle qu'au jour de l'avis de la [6], les conventions de mutualisation n'étaient pas encore conclues et que la [6] n'a donc pas pu viser les URSSAF territorialement compétentes par délégation. Elle estime que la convention de mutualisation est donc contraire aux dispositions du décret du 3 novembre 2017. Elle précise que son inquiétude est d'autant plus grande que la [6] a constaté que les données des cotisants n'étaient pas chiffrées.
Mme [O] estime qu'un organisme chargé de la gestion d'un service public ne peut pas participer à l'appréhension illicite de données informatiques (Cass., Crim., 27 novembre 2013, pourvoi 13-85.042) et donc ne peut pas être lui-même l'auteur d'une telle infraction. Elle explique que cette irrégularité a un effet immédiat sur la régularité formelle de l'appel à cotisation, puisque l'irrégularité de l'appréhension des données, qui est un acte préalable et non détachable de l'appel à cotisation, entraîne l'irrégularité de l'appel à cotisations. Elle précise que l'irrégularité ne peut être évitée que s'il est prouvé que c'est l'URSSAF Île-de-France qui a collecté les données et que l'URSSAF Centre-Val de Loire s'est contentée de l'expédition de l'appel à cotisations. Il souligne qu'il ne s'agit pas de la compétence de l'URSSAF Centre-Val de Loire au sens du code de la sécurité sociale, mais de l'incidence de la modification d'un traitement informatisé postérieurement à son processus d'autorisation, et notamment la modification du responsable du traitement.
Réponse de la cour :
Dans sa délibération 2017-279 du 26 octobre 2017, la [6] a indiqué :
« Sur les destinataires des données :
« L'article 1er-IV du projet de décret prévoit que seront destinataires des données à caractère personnel, à raison de leurs attributions et du besoin d'en connaître :
« - les agents habilités de l'ACOSS ;
« - les agents habilités des organismes mentionnés aux articles L. 213-1 et L. 752-2 du code de la sécurité sociale (URSSAF) en charge du calcul, du recouvrement et du contrôle de la cotisation. S'agissant de ces organismes, la commission prend acte de ce qu'ils ne seront destinataires que des données concernant les cotisants pour lesquels ils sont territorialement compétents.
« Un tel accès aux données apparaît justifié au regard des finalités du traitement. »
Les organismes territorialement compétents évoqués dans l'avis de la [6] du
26 octobre 2017 ne désignent pas l'URSSAF du lieu de résidence du cotisant, mais, par référence au début du paragraphe, l'URSSAF en charge du calcul, du recouvrement et du contrôle de la cotisation, seule URSSAF légitime à recevoir les données personnelles des cotisants soumis à la CSM. En s'abstenant de désigner expressément l'URSSAF du lieu de résidence du cotisant, mais en utilisant cette formule, la [6] ne fait pas obstacle à la mise en place d'une convention de mutualisation ultérieure tout en garantissant les droits des cotisants pour que leurs données personnelles ne soient transmises qu'à l'URSSAF en charge du traitement du dossier.
Il a été jugé ci-dessus qu'en raison de la convention de mutualisation qu'elle avait signée avec l'URSSAF Île-de-France, l'URSSAF du Centre - Val de Loire était bien, à compter du 11 décembre 2017, l'URSSAF en charge du calcul, du recouvrement et du contrôle de la cotisation subsidiaire maladie des cotisants dont le domicile est situé en Île-de-France. Elle pouvait donc, au regard des impératifs posés par la délibération de la [6], recevoir les données transmises par l'administration fiscale.
L'article 1 du décret 2017-1530 du 3 novembre 2017, autorisant la mise en oeuvre d'un traitement de données à caractère personnel destiné au calcul de la cotisation prévue à l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale, déjà cité, prévoit, dans son paragraphe III :
« I. -
(')
« III. - Sont destinataires des données à caractère personnel mentionnées au II du présent article, à raison de leurs attributions respectives et dans la limite du besoin d'en connaître :
« 1° Les agents de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale individuellement habilités par le directeur de l'Agence ;
« 2° Les agents des organismes mentionnés aux articles L. 213-1 et L. 752-2 du code de la sécurité sociale chargés du calcul, du recouvrement et du contrôle de la cotisation prévue par l'article L. 380-2, individuellement habilités par le directeur de l'organisme concerné.
« IV. ' (').
« V. - Les droits d'accès et de rectification prévus aux articles 39 et 40 de la loi du 6 janvier 1978 susvisée s'exercent auprès du directeur de l'organisme mentionné aux articles L. 213-1 et L. 752-2 du code de la sécurité sociale auquel la personne est rattachée au vu de l'adresse de domicile qu'elle a déclarée à l'administration fiscale.
« Le droit d'opposition prévu par l'article 38 de la même loi ne s'applique pas au traitement dont la création est autorisée par le présent article. »
A l'instar de l'avis de la [6], le décret prévoit que les données à caractère personnel sont transmises aux URSSAF chargés du calcul, du recouvrement et du contrôle de la cotisation, c'est-à-dire, dans le cas d'espèce, l'URSSAF Centre-Val de Loire à compter du 11 décembre 2017. De même, les droits d'accès et de rectification s'exercent auprès du directeur de l'URSSAF auquel la personne est rattachée au vu de l'adresse de domicile qu'elle a déclarée à l'administration fiscale. Par suite de la convention de mutualisation, Mme [O], qui a son domicile à [Localité 8], est rattachée, à compter du 11 décembre 2017, pour la question de la CSM, à l'URSSAF Centre-Val de Loire et peut exercer son droit d'accès et de rectification auprès d'elle.
Ainsi, comme l'avis de la [6], le décret ne fait pas obstacle à la mise en place d'une convention de mutualisation, tout en préservant l'effectivité du droit d'accès et de rectification du cotisant.
Ainsi, l'URSSAF du Centre -Val de Loire, compétente pour calculer, appeler et recouvrer les cotisations subsidiaires maladies dont Mme [O] était redevable au jour de l'appel de cotisation, était également compétente, à compter du 11 décembre 2017, pour traiter les données à caractère personnel légalement collectées à cette fin, sans porter atteinte aux droits de Mme [O].
Ce moyen d'irrégularité sera donc écarté.
Sur la régularité de l'appel à cotisation au regard de l'obligation d'information prévue à l'article 32 de la loi Informatique et libertés :
Moyens des parties :
L'URSSAF indique que, par application de l'article 32 III de la loi Informatique et libertés, l'information doit être donnée au plus tard lors de la première communication de données à caractère personnel. Elle précise que le site internet de l'URSSAF contient cette information et que l'URSSAF n'est tenue que d'une obligation générale d'information, ce qui ne lui impose pas de prendre l'initiative de renseigner les cotisants sur leurs droits éventuels, ni de porter à leur connaissance des textes officiels publiés au journal officiel (Civ. 2e, 28 novembre 2013, pourvoi 12-24.410). L'URSSAF indique que la cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 23 juin 2023 (RG 20/5222) a considéré que le devoir d'information de l'URSSAF était respecté.
Elle expose que la Cour de cassation s'est positionnée dans un arrêt du 27 février 2025 (pourvoi 22.17-970) aux termes duquel il est fait exception à l'obligation prévue à l'article 32 de la loi Informatiques et Libertés pour les cotisations appelées à compter du 3 novembre 2017, dès lors qu'il existait des mesures appropriées visant à protéger les intérêts légitimes des cotisants par les dispositions des articles L.380-2, R .380-3 et D.380-5 du code de la sécurité sociale et par le décret 2017-1530 du 03 novembre 2017.
Elle ajoute que l'appel de cotisations mentionnait correctement toutes les informations nécessaires sur la CSM 2016.
L'URSSAF note qu'en tout état de cause, si une atteinte à la loi Informatique et libertés était avérée, alors seule la [6] pourrait prononcer une éventuelle sanction, qui ne saurait consister en une annulation de l'appel à cotisations.
Mme [O] expose que l'article 11 de la directive sur le traitement des données à caractère personnel prévoit que le responsable du traitement doit, au plus tard lors de la première communication des données, fournir à la personne concernée une liste d'informations énumérées, sauf si la personne en est déjà informée. Elle précise que, dans un arrêt du 1er octobre 2015 (Smaranda Bara C 201/14), la CJUE a jugé que l'exigence de traitement loyal des données personnelles prévues à l'article 6 de la directive 95/46 oblige une administration publique à informer les personnes concernées de la transmission de ces données à une autre administration publique en vue de leur traitement par cette dernière en sa qualité de destinataire desdites données. Elle souligne que cette obligation a été reprise ensuite dans le RGPD (toutefois inapplicable au litige puisqu'entré en vigueur au 23 mai 2018) mais également en droit interne, à l'article 32 de la loi informatique et liberté. Il en conclut que l'appel à cotisation, établi par l'URSSAF Centre - Val de Loire sur la base du transfert des données personnelles du cotisant par l'administration fiscale, sans information individuelle donnée au cotisant, ni par l'URSSAF, ni par l'administration fiscale est irrégulier. Elle souligne que l'information générale par le journal officiel ou par le site internet de l'URSSAF n'est pas valable, puisque les personnes concernées par ce traitement n'étaient pas identifiées et puisque l'information n'était pas individuelle. Elle indique que de nombreuses juridictions ont retenu cette analyse.
Mme [O] explique que les juridictions judiciaires ont compétence pour apprécier les manquements à la loi informatique et libertés. En effet, l'article 22 de la directive prévoit que toute personne doit pouvoir disposer d'un recours juridictionnel en cas de violation de ses droits et la Cour de cassation a déjà eu l'occasion d'apprécier la conformité d'un traitement de données à la loi informatique et liberté, estimant que la sanction de l'acte fondé sur un fichier illégal parce que créé en méconnaissance de la loi informatique et liberté, était la nullité (Cass., Com., 25 juin 2013, pourvoi 12-17.037). Ainsi la sanction des obligations prévues par la loi ne se cantonnent pas aux sanctions administratives de la [6], mais s'étend également aux recours devant le juge judiciaire. Mme [O] précise que, dans un arrêt du 6 octobre 2020 (C-511 /18, C.512/18 et C. 520 /18), la CJUE a également rappelé que l'effectivité du droit de l'Union européenne impose aux Etats d'écarter les preuves obtenues en infraction à ce droit prévu au RGPD.
Mme [O] explique que la réglementation en matière de protection des données à caractère personnel constitue une garantie contre les dérives que l'utilisation de ces données peut entraîner et qu'en conséquence toute atteinte portée à ces garanties fait de facto grief aux personnes concernées. L'appel à cotisation qui a résulté de traitements illégaux de données doit donc être annulé. Dans l'hypothèse où l'application des règles de droit interne ne permet pas à la cour de conclure à l'annulation des actes résultant d'un transfert ou d'un traitement illégal de données, Mme [O] demande de saisir la CJUE d'une question préjudicielle pour clarifier la question des conséquences des traitements et transferts de données non conformes à la directive sur les actes subséquents.
Réponse de la cour :
A titre liminaire, il convient de préciser que Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, dit RGPD, est, aux termes de son article 99, applicable à compter du 25 mai 2018. Il n'est donc pas applicable au présent litige.
La directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, dont se prévaut Mme [O] a été transposée en droit interne par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel, qui a modifié la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Il convient donc de faire application du droit interne.
L'article 32 de la loi I&L, qui reprend l'article 11 de la directive, prévoit :
« I.-La personne auprès de laquelle sont recueillies des données à caractère personnel la concernant est informée, sauf si elle l'a été au préalable, par le responsable du traitement ou son représentant :
« 1° De l'identité du responsable du traitement et, le cas échéant, de celle de son représentant ;
« 2° De la finalité poursuivie par le traitement auquel les données sont destinées ;
« 3° Du caractère obligatoire ou facultatif des réponses ;
« 4° Des conséquences éventuelles, à son égard, d'un défaut de réponse ;
« 5° Des destinataires ou catégories de destinataires des données ;
« 6° Des droits qu'elle tient des dispositions de la section 2 du présent chapitre dont celui de définir des directives relatives au sort de ses données à caractère personnel après sa mort ;
« 7° Le cas échéant, des transferts de données à caractère personnel envisagés à destination d'un Etat non membre de la Communauté européenne ;
« 8° De la durée de conservation des catégories de données traitées ou, en cas d'impossibilité, des critères utilisés permettant de déterminer cette durée.
« Lorsque de telles données sont recueillies par voie de questionnaires, ceux-ci doivent porter mention des prescriptions figurant aux 1°, 2°, 3° et 6°.
« (')
« III.-Lorsque les données à caractère personnel n'ont pas été recueillies auprès de la personne concernée, le responsable du traitement ou son représentant doit fournir à cette dernière les informations énumérées au I dès l'enregistrement des données ou, si une communication des données à des tiers est envisagée, au plus tard lors de la première communication des données.
« Lorsque les données à caractère personnel ont été initialement recueillies pour un autre objet, les dispositions de l'alinéa précédent ne s'appliquent pas aux traitements nécessaires à la conservation de ces données à des fins historiques, statistiques ou scientifiques, dans les conditions prévues au livre II du code du patrimoine ou à la réutilisation de ces données à des fins statistiques dans les conditions de l'article 7 bis de la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l'obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques. Ces dispositions ne s'appliquent pas non plus lorsque la personne concernée est déjà informée ou quand son information se révèle impossible ou exige des efforts disproportionnés par rapport à l'intérêt de la démarche.
« IV (') »
Selon l'alinéa 2 du paragraphe III de cet article 32, interprété à la lumière de la directive 95/46/CE, le responsable du traitement n'est pas tenu de fournir à la personne concernée les informations énumérées au I de ce texte lorsque celle-ci est déjà informée. Tel est le cas lorsque la législation prévoit expressément l'enregistrement ou la communication des données, ainsi que des garanties appropriées.
Il résulte des articles L. 380-2, dernier alinéa, R. 380-3 et D. 380-5, I, du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction applicable au litige, précités, que les éléments nécessaires à la détermination des revenus composant l'assiette de la cotisation subsidiaire maladie sont communiqués par l'administration fiscale aux organismes chargés du calcul et du recouvrement des cotisations.
Le décret n° 2017-1530 du 3 novembre 2017 autorise la mise en oeuvre par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale d'un traitement de données à caractère personnel destiné au calcul de la cotisation prévue à l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale. Il prévoit l'identité du responsable du traitement des données, les finalités poursuivies par le traitement, les destinataires des données, la durée de conservation des données traitées, ainsi que l'existence d'un droit d'accès et de rectification aux données et les modalités d'exercice de ces droits.
Il résulte de la combinaison de ces textes que, dès lors que la communication des données fiscales du cotisant à l'URSSAF est expressément prévue par les articles L. 380-2, dernier alinéa, R. 380-3 et D. 380-5, I, du code de la sécurité sociale et qu'il est prévu, par le décret n° 2017-1530 du 3 novembre 2017, des mesures appropriées visant à protéger les intérêts légitimes du cotisant, il est fait exception, pour les cotisations appelées à compter de cette dernière date, à l'obligation d'information, prévue au paragraphe III de l'article 32 de la loi I&L, pesant sur le responsable du traitement des données personnelles, à l'égard de la personne concernée par celles-ci lorsqu'elles n'ont pas été recueillies auprès d'elle (Cass, civ.2e, 27 février 2015, pourvois 22-17.970 et 22-24.094).
En l'espèce, l'appel de cotisation a été adressé au cotisant le 15 décembre 2017, c'est-à-dire postérieurement à l'entrée en vigueur du décret du 03 novembre 2017.
Mme [O] a eu connaissance de la transmission de ses données personnelles, de l'administration fiscale vers l'organisme chargé du recouvrement, par la publication au Journal Officiel des dispositions législatives et réglementaires susvisées (articles L. 380-2, R. 380-3 et D. 380-5 du code de la sécurité sociale).
L'URSSAF Centre-Val de Loire le lui a rappelé directement dans l'appel de cotisations du
15 décembre 2017, puisque ce document, après avoir exposé les informations générales sur la CSM, précise « selon les éléments transmis par la Direction générale des finances publiques (DGFIP), vous êtes redevable de la somme de 6 439 euros calculée sur vos revenus du patrimoine 2016 ». Cet appel à cotisations invite également la cotisante à consulter le site de l'URSSAF ou à contacter un conseiller pour davantage d'informations ou pour contestation des montants retenus.
Ainsi, les dispositions relatives à l'obligation d'information, prévue au paragraphe III de l'article 32 de la I&L, ne s'appliquent pas au cas d'espèce.
Le moyen d'irrégularité de l'appel à cotisations fondé sur l'article 32 de la loi I&L sera donc écarté.
Sur la demande de saisine de la CJUE
Mme [O] a formulé dans le dispositif de ses conclusions, une demande subsidiaire de saisine de la CJUE aux fins de question préjudicielle sur le fondement du règlement 2016/679 (dit RGPD), alors qu'il a été rappelé qu'il n'est pas applicable au cas d'espèce.
De plus, il convient de rappeler que l'article 267 du traité de fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE) prévoit :
« La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel : a) sur l'interprétation des traités, b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union.
« Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.
« Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour. (') »
Telle qu'interprétée par la CJUE, dans son arrêt de principe S.r.l. CILFIT et Lanificio di Gavardo S.p.a. c/ Ministère de la santé du 6 octobre 1982, l'obligation posée par l'article 267 du TFUE ne s'applique pas lorsque la juridiction constate que la « question soulevée n'est pas pertinente ou que la disposition (du droit de l'Union) en cause a déjà fait l'objet d'une interprétation de la part de la Cour ou que l'application correcte du droit (de l'Union) s'impose avec une telle évidence qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable ».
En l'espèce, la question de la sanction du traitement et du transfert illégaux des données personnelles ne se pose pas, puisqu'il a été jugé qu'il n'y avait pas lieu de faire application de l'obligation d'information prévue à l'article 32 III de la loi I&L.
La demande subsidiaire de question préjudicielle sera donc écartée.
Sur la demande de saisine pour avis de la Cour de cassation :
Moyens des parties :
Mme [O] qui a formulé une telle demande dans le dispositif de ses conclusions, ne fait valoir aucun moyen à l'appui dans le corps de ses conclusions.
L'URSSAF n'a pas conclu sur ce point.
Réponse de la cour :
L'article 441-1 du code de l'organisation judiciaire dispose :
« Avant de statuer sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, les juridictions de l'ordre judiciaire peuvent, par une décision non susceptible de recours, solliciter l'avis de la Cour de cassation.
« Elles peuvent, dans les mêmes conditions, solliciter l'avis de la commission paritaire mentionnée à l'article L. 2232-9 du code du travail ou de la Cour de cassation avant de statuer sur l'interprétation d'une convention ou d'un accord collectif présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges. »
en ce qui concerne les questions de droit relatives à l'incompétence, les infractions à la réglementation en matière de données personnelles et la réserve d'interprétation constitutionnelle, l'état du droit et de la jurisprudence est suffisamment établi et il n'apparaît pas nécessaire d'avoir recours à un avis de la Cour de cassation.
Sur les demandes accessoires :
Mme [O], succombant à l'instance, sera tenue de supporter la charge des entiers dépens.
Mme [O] sera déboutée de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
DÉCLARE recevable l'appel formé par l'URSSAF Centre-Val de Loire ;
CONFIRME le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 21 avril 2022 sous le RG 19/05807 en ce qu'il a :
- déclaré Mme [N] [O] recevable en son recours ;
- dit que le caractère tardif de l'appel de CSM du 15 décembre 2017 n'entache pas ce dernier d'irrégularité ;
INFIRME le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 21 avril 2022 en toutes ses autres dispositions ;
STATUANT À NOUVEAU,
DIT qu'est régulier l'appel à cotisations du 15 décembre 2017 délivré par l'URSSAF Centre-Val de Loire à Mme [O] au titre de la cotisation subsidiaire maladie de l'année 2016 d'un montant de 6 439 euros ;
VALIDE la mise en demeure émise le 19 avril 2018 ;
DÉBOUTE Mme [N] [O] de l'ensemble de ses demandes ;
CONDAMNE Mme [N] [O] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
La greffière, La présidente