Cass. crim., 7 octobre 2025, n° 25-80.238
COUR DE CASSATION
Autre
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonnal
Rapporteur :
M. Charmoillaux
Avocat général :
M. Quintard
Avocat :
SCP Françoise Fabiani - François Pinatel
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces soumises à l'examen de la Cour de cassation ce qui suit.
2. M. [I] [Y], salarié de la société [1], a subi de graves brûlures dues à une électrisation survenue alors qu'il participait à des opérations de maintenance sur le site de la société [2].
3. Les deux sociétés, poursuivies des chefs de blessures involontaires, exécution de travaux par entreprise extérieure sans plan de prévention des risques préalables conforme et emploi de travailleurs à des opérations sur des installations électriques ou dans leur voisinage sans respect des règles particulières de sécurité, ont été relaxées par le tribunal correctionnel.
4. Le ministère public, M. [Y] et le syndicat [3], parties civiles, ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en sa première branche, et le troisième moyen
5. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [2] coupable des faits visés à la prévention, alors :
« 2°/ que les obligations prévues au chapitre IV du Livre V de la quatrième partie du code du travail relatives aux « opérations sur les installations électriques ou dans leur voisinage » ne concernent que « l'employeur », lequel est seul visé par les dispositions de ce titre ; qu'en déclarant la société [2] coupable de « délit d'emploi de salarié d'entreprise extérieure à des opérations sur des installations électriques ou dans leur voisinage sans respect des règles particulières de sécurité » quand ces règles de sécurité ne sont prescrites que dans le cadre de la relation de travail qui lie l'employeur à son salarié et n'incombent pas à l'entreprise utilisatrice, la cour d'appel a violé les articles R. 4544-1 et suivants du code du travail, ensemble l'article L. 4741-1 du code du travail et le principe de la légalité des délits et des peines, tels que résultant des articles 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, 111-4 et 222-33-2 du code pénal. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 4741-1, R. 4544-1 et suivants du code du travail et 593 du code de procédure pénale :
7. Il résulte des deux premiers de ces textes qu'est incriminé le fait d'employer des travailleurs à des opérations sur des installations électriques ou dans leur voisinage sans respect des règles particulières de sécurité.
8. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
9. Pour déclarer la prévenue coupable du chef d'emploi de travailleurs à des opérations sur des installations électriques ou dans leur voisinage sans respect des règles particulières de sécurité, l'arrêt attaqué énonce que s'il a été procédé par la société [2] à la consignation des installations électriques situées dans la zone des travaux devant être réalisés par la société [1], l'accident est survenu dans une zone certes non concernée directement par ces travaux, mais dans laquelle M. [Y], qui ne disposait pas de la clé d'accès nécessaire, a pu pénétrer au vu et au su d'autres intervenants, alors que le jeu de barres à l'origine de l'arc électrique était sous tension et que son plastron avait été antérieurement déposé et non remis en place, réduisant d'autant la protection contre le risque électrique.
10. Les juges retiennent que la présence de M. [Y] dans ce local censé être automatiquement verrouillé traduit un manquement manifeste de la prévenue, en sa qualité d'entreprise utilisatrice, à son obligation de contrôle et de coordination des mesures de prévention résultant des articles R. 4511-5 à R. 4511-8 du code du travail.
11. En se déterminant ainsi, par des motifs relatifs à la seule situation particulière d'un salarié d'une entreprise extérieure et à la méconnaissance par la prévenue des obligations de contrôle et de coordination lui incombant en tant qu'entreprise utilisatrice, le cas échéant constitutifs d'une infraction distincte non poursuivie en l'espèce, sans rechercher si la société [2] a elle-même employé des travailleurs à des opérations sur des installations électriques ou dans leur voisinage sans respect des règles particulières de sécurité, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
12. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Et sur le cinquième moyen
Enoncé du moyen
13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [2] coupable des faits de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois, alors :
« 1°/ qu'il ne suffit pas, pour que la responsabilité pénale de la personne morale puisse être engagée, qu'aient été identifiés un organe ou un représentant de la personne morale, il fait encore qu'il soit établi que cet organe ou ce représentant ont bien commis les faits qui font l'objet de la prévention, pour le compte de la personne morale ; qu'en se bornant a constater que la responsabilité pénale de la société [2] pouvait être engagée dès lors que Mme [L] [Z], directrice de l'usine, était l'organe ou le représentant de celle-ci sans caractériser en quoi elle avait effectivement commis un manquement, dans le cadre de l'exécution de ses fonctions, constitutif de l'un ou l'autre des délits pour lesquels la responsabilité pénale de l'entreprise a été engagée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 121-2 du code pénal. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 121-2 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :
14. Selon le premier de ces textes, les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants.
15. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
16. Pour déclarer la société [2] coupable de blessures involontaires, l'arrêt attaqué énonce que le défaut d'établissement d'un plan de prévention des risques relatif à l'intervention de la société [1], la défaillance dans le contrôle de l'accès au local électrique et la dépose du plastron de protection de la cellule constituent des manquements ayant directement causé l'accident dont a été victime M. [Y].
17. Les juges retiennent qu'il résulte des constatations de l'inspectrice du travail et de l'enquête judiciaire que la personne représentant la personne morale prévenue et ayant commis les faits pour le compte de celle-ci est identifiée comme étant Mme [L] [Z], directrice du site de production où a eu lieu l'accident et entendue à ce titre par les enquêteurs.
18. En se déterminant ainsi, sans mieux s'expliquer sur l'existence effective d'une délégation de pouvoirs ni sur le statut et les attributions de Mme [Z] propres à faire de cette préposée une représentante de la personne morale, au sens de l'article 121-2 du code pénal, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
19. La cassation est par conséquent de nouveau encourue, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs.
Portée et conséquences de la cassation
20. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions ayant déclaré la société [2] coupable des chefs de blessures involontaires avec incapacité supérieure à trois mois et emploi de travailleurs à des opérations sur des installations électriques ou dans leur voisinage sans respect des règles particulières de sécurité, ainsi que les dispositions relatives à la peine et aux intérêts civils. Les autres dispositions, en ce compris celles relatives à la déclaration de culpabilité du chef d'exécution de travaux par entreprise extérieure sans plan de prévention des risques préalables conforme, seront donc maintenues.
21. En raison de la cassation prononcée, il n'y a pas lieu d'examiner le quatrième moyen de cassation proposé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Pau, en date du 31 octobre 2024, mais en ses seules dispositions relatives à la culpabilité de la société [2] des chefs de blessures involontaires avec incapacité supérieure à trois mois et emploi de travailleurs à des opérations sur des installations électriques ou dans leur voisinage sans respect des règles particulières de sécurité, à la peine et aux intérêts civils, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bordeaux, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Pau et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;