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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-2, 7 octobre 2025, n° 25/00838

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 25/00838

7 octobre 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 4IF

Chambre commerciale 3-2

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 07 OCTOBRE 2025

N° RG 25/00838 - N° Portalis DBV3-V-B7J-XABA

AFFAIRE :

S.A.S. LES RIVES DE CABESSUT

C/

S.A.S. GIESPER-CONSTRUCTION

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 Octobre 2024 par le Tribunal de Commerce de NANTERRRE

N° Chambre : 5

N° RG : 2023F02092

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Georges FERREIRA

Me Nathalie JOURDE-LAROZE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEPT OCTOBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

APPELANTE :

S.A.S. LES RIVES DE CABESSUT

Ayant son siège

[Adresse 2]

[Localité 7]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Georges FERREIRA de la SELARL CABINET DE L'ORANGERIE, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 484 -

Plaidant : Me Christian PASCOET de la SELASU ENKADENN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0365

****************

INTIMEE :

S.A.S. GIESPER-CONSTRUCTION

Ayant son siège

[Adresse 4]

[Localité 6]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social

Représentant : Me Nathalie JOURDE-LAROZE, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 82

Plaidant : Me Anne-Marie ABBO de la SELARL ABBO, avocat au barreau de TOULOUSE, vestiaire : 213 -

S.C.P. CBF ASSOCIES Prise en la personne de Me [R] [B], ès-qualité d'administrateur judiciaire de la SAS GIESPER-CONSTRUCTION

Ayant son siège

[Adresse 1]

[Localité 5]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Nathalie JOURDE-LAROZE, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 82

Plaidant : Me Anne-Marie ABBO de la SELARL ABBO, avocat au barreau de TOULOUSE, vestiaire : 213 -

S.E.L.A.R.L. [G] ET ASSOCIES Prise en la personne de Me [P] [G], ès-qualité de mandataire judiciaire de la SAS GIESPER-CONSTRUCTION

Ayant son siège

[Adresse 3]

[Localité 5]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Nathalie JOURDE-LAROZE, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 82

Plaidant : Me Anne-marie ABBO de la SELARL ABBO, avocat au barreau de TOULOUSE, vestiaire : 213 -

S.E.L.A.R.L. [G] ET ASSOCIES Prise en la personne de Me [P] [G], ès-qualité de Commissaire à l'exécution du plan de continuation de la SAS GIESPER-CONSTRUCTION

Ayant son siège

[Adresse 3]

[Localité 5]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Nathalie JOURDE-LAROZE, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 82

Plaidant : Me Anne-marie ABBO de la SELARL ABBO, avocat au barreau de TOULOUSE, vestiaire : 213 -

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 1er Septembre 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Cyril ROTH, Président, et Monsieur Ronan GUERLOT, président de chambre chargé du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Ronan GUERLOT, Président,,

Monsieur Cyril ROTH, Président,

Madame Véronique PITE, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Madame Françoise DUCAMIN,

EXPOSE DU LITIGE

Les 29 octobre et 2 novembre 2021, la société Giesper Construction a conclu avec la société Les Rives de Cabessut, maître de l'ouvrage, un contrat (marché) de gros 'uvre pour le lot n° 10 relatif à la construction d'un EHPAD moyennant un prix ferme et forfaitaire de 2 460 000 euros HT.

Le 3 février 2022, la société Giesper Construction a débuté le chantier.

Le 12 septembre 2022, le tribunal de commerce de Toulouse a placé la société Giesper Construction en redressement judiciaire et a nommé la SCP CBF, prise en la personne de M. [B], en qualité d'administrateur judiciaire, ainsi que la SELARL [G] et associés, prise en la personne de M. [G], en qualité de commissaire à l'exécution du plan.

Le 25 octobre 2022, la société Giesper Construction a fait part à la société Les Rives de Cabessut de la résiliation unilatérale du marché ; cette résiliation a été confirmée par l'administrateur le 27 octobre 2022.

Le 15 novembre 2022, le maître de l'ouvrage a déclaré au passif de la société Giesper Construction une créance de 3 479 329,37 euros.

Le 7 septembre 2023, le juge-commissaire, saisi par l'administrateur en raison d'une contestation par la débitrice de la totalité de la créance déclarée, a constaté l'existence d'une contestation sérieuse et a invité la société Rives de Cabessut à saisir le juge du fond compétent dans un délai de 30 jours.

Le 10 octobre 2023, la société Les Rives de Cabessut a assigné la société Giesper Construction, MM. [B] et [G], ès qualités, devant le tribunal de commerce de Nanterre.

Le 15 octobre 2024, , ce tribunal a :

- rejeté, pour absence de justification et détermination de leur montant, la demande d'inscription au passif de la société Giesper Construction les sommes suivantes déclarées par la société Les Rives de Cabessut au passif de la société Giesper Construction à titre chirographaire : 2 337 713,90 euros HT, soit 2 805 256,68 euros TTC au titre de l'article L. 622-24 du code de commerce et 173 000 euros HT, 207 600 euros TTC au titre de l'article L. 622-13 du même code ;

- rejeté, au titre de l'absence de preuve des préjudices correspondants aux manquements contractuels invoqués de la société Giesper Construction, la demande d'inscription au passif de cette dernière les sommes déjà rejetées au titre de la demande principale ;

- condamné la société Les Rives de Cabessut à payer aux sociétés Giesper Construction et [G] et associés, prise en la personne de M. [G], en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Giesper Construction, chacune, la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société Les Rives de Cabessut aux dépens.

Le 31 janvier 2025, la société Les Rives de Cabessut a interjeté appel de ce jugement en tous ses chefs de disposition.

Par dernières conclusions du 21 août 2025, elle demande à la cour de :

- infirmer, dans sa totalité et dans toutes ses dispositions, le jugement du 15 octobre 2024 ;

- et, y substituer une nouvelle décision en statuant comme suit :

A titre liminaire,

- enjoindre la société [G] & Associés, en qualité de mandataire judicaire de la société Giesper Construction, de transmettre la copie du courrier encadrant la vérification du passif lequel fait courir le délai de l'article R. 624-1 du code de commerce de 30 jours ;

- déclarer non recevable la demande nouvelle des sociétés Giesper Construction, [G] & Associés ainsi que CBF Associés tendant à une soi-disant compensation avec les situations de travaux ;

A titre principal,

- juger que les contestations émises par la société Giesper Construction le 27 avril 2023 dans le cadre de la vérification du passif ne sont ni explicites ni motivées ;

- en conséquence de quoi, juger que ces contestations sont sans objet et sans effet ;

- que par voie de conséquence, inscrire les sommes suivantes au passif de la société Giesper Construction à son bénéfice, à titre chirographaire :

la somme de 2 337 713,90 euros HT, soit 2 805 256,68 euros TTC au titre de l'article L.622-24 du code de commerce ;

la somme de 173 000 euros HT, 207 600 euros TTC au titre de l'article L.622-13 du même code ;

A titre subsidiaire,

- juger que la société Giesper Construction a gravement manqué à ses obligations contractuelles ;

- en conséquence de quoi, inscrire les sommes suivantes au passif de la société Giesper Construction à son bénéfice, à titre chirographaire :

la somme de 2 337 713,90 euros HT, soit 2 805 256,68 euros TTC au titre de l'article L.622-24 du code de commerce ;

la somme de 173 000 euros HT, 207 600 euros TTC au titre de l'article L.622-13 du même code ;

En tout état de cause,

- débouter les sociétés Giesper Construction, [G] & Associés ainsi que CBF Associés de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

- condamner la société Giesper Construction à lui verser une somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure ;

- la condamner aux entiers, frais et dépens.

Par dernières conclusions du 1er août 2025, les sociétés Giesper Construction, [G] & Associés et CBF Associés demandent à la cour de :

- confirmer en toutes ces dispositions le jugement du 15 octobre 2024 ;

En conséquence,

- rejeter les créances déclarées par la société Les Rives de Cabessut pour absence de justification et détermination de leur montant ;

- débouter la société Les Rives de Cabessut de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

Statuant à nouveau,

- condamner la société Les Rives de Cabessut au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 1er septembre 2025.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux conclusions susvisées.

MOTIFS

Sur la recevabilité de la demande de compensation

L'appelante conteste vainement la recevabilité de la demande du paiement des états de situation présentée pour la première fois en appel par la société Giesper Construction dans la mesure où celle-ci leur oppose la compensation, le bénéfice de la compensation impliquant seulement la démonstration d'une créance de sa part à son encontre.

En conséquence, la demande est recevable.

Sur la procédure de vérification des créances

A titre principal, l'appelante demande qu'il soit enjoint à l'administrateur judiciaire de lui adresser la copie du courrier de transmission du courrier encadrant la vérification du passif et d'inscription de ses créances et que ses créances soient inscrites à la procédure collective de la société Giesper Construction.

Au soutien, elle fait valoir que l'administrateur ne justifie pas de ce que la débitrice a adressé sa contestation dans le délai de 30 jours prévu par le code de commerce et que la contestation de celle-ci n'était pas, en tout état de cause, utile car insuffisamment motivée.

Répondant aux intimés, elle estime qu'elle pouvait soulever devant le tribunal saisi d'une contestation au fond des moyens relatifs à la procédure de vérification des créances. Elle considère qu'à défaut de contestation utile de la débitrice, ses créances doivent inscrites au passif de la débitrice.

Les intimés soutiennent en substance que ces moyens auraient dû être soumis au juge-commissaire avant toute défense au fond.

Réponse de la cour

Selon l'article L. 624-2 du code de commerce, « au vu des propositions du mandataire judiciaire, le juge-commissaire, si la demande d'admission est recevable, décide de l'admission ou du rejet des créances ou constate soit qu'une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence. En l'absence de contestation sérieuse, le juge-commissaire a également compétence, dans les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui l'a désigné, pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d'admission. »

L'article R. 624-5 de ce code prévoit que « lorsque le juge-commissaire se déclare incompétent ou constate l'existence d'une contestation sérieuse, il renvoie, par ordonnance spécialement motivée, les parties à mieux se pourvoir et invite, selon le cas, le créancier, le débiteur ou le mandataire judiciaire à saisir la juridiction compétente dans un délai d'un mois à compter de la notification ou de la réception de l'avis délivré à cette fin, à peine de forclusion à moins d'appel dans les cas où cette voie de recours est ouverte. »

ll résulte de ces textes que, sauf constat de l'existence d'une instance en cours, le juge-commissaire a une compétence exclusive pour décider de l'admission ou du rejet des créances déclarées et que, après une décision d'incompétence du juge-commissaire pour trancher une contestation, les pouvoirs du juge compétent régulièrement saisi se limitent à l'examen de cette contestation (par exemple : Com., 9 juillet 2025, n° 24-16.778 ; Com 2 mars 2022 n° 20 21 712, publié).

La juridiction saisie a, de par la loi, d'ordre public, l'interdiction de statuer sur la créance, l'objet de sa saisine ne pouvant être que de statuer sur la contestation (Com., 19 décembre 2018 n° 17 15 883, publié).

Il est constant que par une ordonnance du 7 septembre 2023, le juge-commissaire a constaté l'existence d'une contestation sérieuse concernant les créances déclarées par la société Les Rives de Cabessut et l'a invitée à saisir le juge compétent pour trancher cette contestation.

Si, comme le soutient justement l'appelant, le débiteur doit faire des observations motivées contre la créance déclarée dans le délai de trente jours à compter du jour où il a avisé par le mandataire judiciaire, sous peine d'irrecevabilité de ses contestations, il n'appartient toutefois pas au juge saisi d'une contestation sur le fond d'apprécier la régularité de la procédure de vérification des créances.

Il n'est pas discuté que la société Les Rives de Cabessus n'a pas excipé devant le juge-commissaire de moyens relatifs à l'irrecevabilité des contestations du débiteur en raison de leur tardiveté ou de leur insuffisance de motivation. Faute d'appel, l'ordonnance du juge-commissaire est définitive.

De là il résulte que les demandes tendant à voir enjoint au mandataire judiciaire de transmettre la copie de la lettre encadrant la vérification du passif et à voir inscrire ses créances pour leur montant total en l'absence de contestation utile ne peuvent qu'être rejetées.

Sur le bien-fondé des créances

Subsidiairement, l'appelante soutient que ses créances sont fondées et qu'elles sont la conséquence de la mauvaise exécution de ses prestations par la société Giesper Construction.

Elle fait valoir que l'entrepreneur de gros 'uvre n'a réalisé que 60 % des prestations prévues par le cahier des charges ; que son maître d''uvre d'exécution, la société Aliénor ingénierie, lui a communiqué l'ensemble des désordres et malfaçons sans que la société Giesber Construction ne réagisse ou ne les conteste ; qu'elle a été contrainte de faire procéder à ses frais à une étude pour calculer le coût des reprises ; que selon le maître d''uvre d'exécution, le coût de reprise des désordres et malfaçons s'élève à 743 357,79 euros ; que selon un devis Sopreco du 23 mars 2023, ce coût est de 959 960,88 euros ; que le coût global pour terminer le chantier est de 2 849 197,86 euros HT, en ce compris le coût de reprise des désordres et malfaçons ; qu'elle doit supporter ce coût en sus de la somme de 1 49 702,65 euros HT déjà payée à la société Giesper Construction pour achever le gros 'uvre ; qu'elle devrait donc s'acquitter d'un prix total de 4 308 900,51 euros pour reprendre ; que son préjudice pour achever le gros 'uvre s'élève à 4 308 900,51 ' 2 460 000 euros = 1 848 900,51 euros .

Elle expose que le rapport fait à sa demande par la société Apave pour déterminer les ouvrages pouvant être conservés est éloquent quant à l'étendue des désordres.

Répondant aux intimés, elle explique que le rapport Apave et les autres pièces ont pu être discutées contradictoirement ; que selon la jurisprudence, un rapport d'expertise officieux soumis à la libre discussion des parties est valable.

Elle soutient également que le retard de la société Giesper Construction a eu des incidences sur les autres corps d'état évaluées à 1 017 023,07 euros.

Elle poursuit qu'elle est fondée à réclamer les pénalités de retard dites maximales soit 5 % du marché ou 147 000 euros.

Elle termine qu'en raison des nombreuses malfaçons démontrées par le rapport Apave, elle est fondée à s'opposer à la demande de compensation en invoquer une exception d'inexécution.

Les intimés contestent le bien-fondé des créances en l'absence de justificatifs objectifs et d'expertise. Ils exposent que créances étant à parfaire ne sont ni déterminées, ni précises ; qu'elles sont fondées sur des estimations.

Ils font observer que l'appelante ne justifie pas du sort de la construction depuis la résiliation du contrat en 2022 ; que le chantier semble avoir été abandonné par le Groupe Orpéa ; que la société Giesper Construction n'a pas à subir les conséquences de cet abandon.

Elles en concluent que le lien de causalité entre les éventuelles fautes de l'entreprise et les préjudices allégués ne peut être établi dans la mesure où le bâtiment en construction s'est dégradé depuis l'arrêt du chantier ; que les dégradations relevées par la société Apave sont la conséquence des dégradations de la construction en l'absence de mesure de protection à la suite de l'arrêt chantier ; que l'avis de l'Apave n'a pas de caractère contradictoire et n'est pas une expertise ; qu'une demande d'expertise présentée trois ans après l'arrêt du chantier n'a pas de sens.

Réponse de la cour

L'article 1353 du code civil dispose que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit le prouver.

L'article 1217 du code civil prévoit :

La partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :

- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;

- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;

- obtenir une réduction du prix ;

- provoquer la résolution du contrat ;

- demander réparation des conséquences de l'inexécution.

Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter.

Il résulte de ce texte que les juges sont tenus d'indemniser un préjudice dès lors qu'ils en constatent l'existence. Cette réparation doit être intégrale, sans perte ni profit (3 Civ., 26 juin 2002, n° 00-19.686 ; 3 Civ., 12 janvier 2010, n° 08-19.224).

Seul le préjudice direct et certain, présentant un lien de causalité avec le fait dommageable peut être indemnisé par l'auteur du dommage (1er Civ., 24 février 2004, n° 00-15.219 ; Com., 22 mars 2005, n° 03-12.922, publié).

Selon l'article L. 622-24 du code de commerce, les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture doivent la déclarer, sur la base d'une évaluation si elles ne sont pas établies par un titre.

A titre liminaire, il sera précisé que la demande d'inscription des créances au passif de la société Giesper Construction doit être comprise comme une demande de fixation de ses créances.

A - Sur les manquements allégués de la société Giesper construction antérieurs à la résiliation du contrat

Deux catégories de préjudice sont invoquées par l'appelante : un premier préjudice lié directement aux malfaçons ou désordres, un second résultant de surcoûts qu'elles devraient supporter en raison principalement des retards de l'intimée.

S'agissant des désordres et malfaçons, l'appelante verse aux débats deux lettres des 30 mai et 5 septembre 2022 de son maitre d''uvre d'exécution adressées à la société Giesper Construction.

Elles font état d'anomalies « majeures » dans l'exécution du gros 'uvre et listent une série de désordres d'ordre technique et d'anomalies portant sur l'organisation du chantier.

La lettre date du 5 septembre 2022 souligne tant la réalisation de prestations non conformes aux règles de l'art que des difficultés d'organisation non résolues.

Ainsi, on peut lire à titre d'exemples :

« - mauvaise implantation de réservation en voile sous-sol. En effet les réservations ont été positionnées avec des altimétries inférieures non conforme aux lots techniques > réservations toujours non reprises depuis notre dernier courrier ou auto-contrôle non diffusé ;

- absence d'hydrofuge de masse de voile béton contre les voiles enterrés et les voiles de la paroi berlinoise conformément aux articles 3.5.1 et 3.5.3 de votre CCPT. > présentation d'une cunette à valider par MO. Nous attendons le plan d'implantation de cette cunette et la validation auprès du bureau de contrôle de cette solution : démarches toujours en cours depuis notre dernier courrier' »

Encadrement de chantier

(')

Nous avons remarqué à plusieurs reprises lors des réunions de chantier que les communications entre les réunions et le chantier ne sont pas ou mal effectuées 'sujet des poteaux suspendus de la zone entrée).

A ce jour nous manquons cruellement de suivi et de réponse en réunion de chantier

Sujet des surcharges de plancher toujours non soldé depuis juin 2022 ;

Suivi HQE toujours non finalisé, malgré notre courrier RAR du 25 juillet 2022'

Planning

Sur le planning du marché du 2 novembre 2021 et planning recalé Giesper du 29 juin 2022, nous constatons 4,5 mois de retard par rapport au planning initial marché et 1,5 mois par rapport à votre planning recalé du 29 juin 2022 (')

En conclusion cette situation est inacceptable et ne peut perdurer.

Nous vous demandons de nous présenter sous 08 jours vos mesures correctives.

Nous demandons dès à présent auprès du maître d'ouvrage d'établir une mise en demeure à votre encontre' »

Un courrier de mise en demeure du 7 septembre 2022 adressé par l'appelante à la société Giesper Construction reprend les difficultés relevées par le maître d''uvre et précise

« ' suite aux nombreuses anomalies constatées sur l'opération en objet, nous vous mettons en demeure de reprendre vos ouvrages sans délai et vous conformer à notre permis de construire / Par la présente, nous souhaitons vous rappeler vos engagements, car cette nouvelle erreur d'implantation de voile béton s'ajoutant aux difficultés que nous rencontrons déjà avec vos équipes, justifie pleinement les demandes répétées de notre maîtrise d''uvre pour que vous renforciez l'encadrement et vos effectifs sur ce chantier'Nous vous mettons donc en demeure de suivre pleinement les directives de notre maîtrise d''uvre pour réaliser tous travaux rendus nécessaires par l'implantation erronée de ce voile béton au sous-sol, de présenter sous 8 jours vos mesures correctives et de mettre les moyens nécessaires pour respecter vos engagements' »

Ces griefs sont également repris par le maître de l'ouvrage dans son courrier de mise en demeure du 21 septembre 2022 adressé à l'administrateur judiciaire (« ultime mise en demeure avant résiliation du marché de travaux aux torts de la société Giesper »).

Ce dernier courrier se réfère directement à un rapport de visite du 26 juillet 2022 et à un compte-rendu de chantier du 30 août 2022. On peut y lire :

« l'ensemble de ces griefs et malfaçons sont constatés dans le rapport de visite du 26 juillet 2022 et dans le compte-rendu de chantier du 30 août 2022 récapitulant l'ensemble des désordres constatés au cours des précédentes réunions de chantier dont vous trouverez copies ci-joint (') Toutes ces fautes et ces blocages sont la cause d'un préjudice important qui ne fait que s'aggraver chaque jour. A ce titre, nous avons fait chiffrer à titre conservatoire le montant du préjudice que nous subissons du fait des manquements de la société Giesper à ses obligations à hauteur de 2 162 605,19 euros' »

Les rapports et compte-rendu de chantier mentionnés dans cette lettre ne sont toutefois pas produits par les parties alors qu'ils auraient pu apporter un éclairage utile et contradictoire sur la position de la société Giesper Construction quant aux malfaçons et désordres qui lui sont reprochés.

Si les intimés font observer à juste titre que le chantier a été arrêté depuis près de trois ans en suite de la résiliation du contrat, ce que n'est pas discuté, et qu'il y a lieu de tenir compter de sa dégradation du bâtiment par l'effet du temps, la cour relève que la démonstration des malfaçons contestées ne peut être faite par la seule production de deux courriers du maître d''uvre et d'une lettre du maître d'ouvrage qui n'est pas un spécialiste du gros-'uvre. Une telle démonstration ne peut pas non plus résulter du 'rapport' Agave.

D'une part, ce rapport produit par les appelants comporte une mention selon laquelle il ne peut servir d'expertise

D'autre part, établi le 2 avril 2025, soit quelque trois ans après l'arrêt du chantier, avec pour objet « l'évaluation technique vis-à-vis de la solidité des structures, d'un bâtiment en cours de construction, suite à l'arrêt du chantier par l'entreprise en charge du gros 'uvre » et « l'identification de la mise en 'uvre de certains éléments béton vis-à-vis des plans bétons établis par le bureau d'étude Aliénor » il n'est pas suffisant pour imputer à faute à l'entreprise Giesper Construction trois ans après un chantier totalement abandonné des désordres alors que seule une expertise contradictoire serait en mesure d'établir l'existence de tels désordres imputables.

En effet, seul un expert peut démontrer que les malfaçons constatées par l'Apave constituent des malfaçons par rapport au marché signé, imputable à l'entreprise de gros oeuvre.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes d'indemnisation résultant des fautes alléguées de l'entreprise de gros 'uvre.

B- Sur les préjudices consécutifs à la résiliation du contrat

Au visa de l'article L. 622-13 du code de commerce, l'appelante sollicite encore la fixation au passif de la société Giesper Construction d'une somme de 173 000 euros HT (207 600 euros TTC) correspondant à un préjudice résultant de la résiliation du contrat de gros oeuvre.

Elle fait valoir que cette créance concerne « la direction de l'exécution des travaux » (143 000 euros HT à parfaire), le montant estimé de la reprise des plans et études des malfaçons (25 000 euros HT) et le montant estimé d'un constat d'huissier à réaliser en cas de reprise du chantier (5 000 euros).

Elle ajoute que la société Giesper Construction n'a pas eu un comportement « professionnel » à son égard dans la mise en 'uvre de la résiliation en ne répondant pas à ses mises en demeure ; qu'elle est restée taisante de longues semaines la laissant dans une situation « catastrophique » ; qu'elle est donc fondée à solliciter pour rupture brutale du contrat la somme de 150 000 euros représentant moins de 5 % du marché initial, « soit in fine, un total à parfaire de 323 000 euros HT » ; qu'au regard de la somme déclarée à hauteur de 173 000 euros HT, seule cette dernière somme devra être fixée au passif.

Les intimés développent les mêmes arguments que pour les préjudices résultant des manquements reprochés à la société Giesper Construction et soutiennent que l'appelante ne rapporte pas la preuve de son préjudice. Ils exposent que le contrat de gros 'uvre a été résilié conformément aux règles des procédures collectives et que le maître de l'ouvrage ne justifie pas du devenir du programme de construction depuis octobre 2022.

Réponse de la cour

L'article L. 622-13 du code de commerce prévoit notamment :

I. - Nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d'un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde.

Le cocontractant doit remplir ses obligations malgré le défaut d'exécution par le débiteur d'engagements antérieurs au jugement d'ouverture. Le défaut d'exécution de ces engagements n'ouvre droit au profit des créanciers qu'à déclaration au passif.

II. - L'administrateur a seul la faculté d'exiger l'exécution des contrats en cours en fournissant la prestation promise au cocontractant du débiteur.

Au vu des documents prévisionnels dont il dispose, l'administrateur s'assure, au moment où il demande l'exécution du contrat, qu'il disposera des fonds nécessaires pour assurer le paiement en résultant. S'il s'agit d'un contrat à exécution ou paiement échelonnés dans le temps, l'administrateur y met fin s'il lui apparaît qu'il ne disposera pas des fonds nécessaires pour remplir les obligations du terme suivant.

III. - Le contrat en cours est résilié de plein droit :

1° Après une mise en demeure de prendre parti sur la poursuite du contrat adressée par le cocontractant à l'administrateur et restée plus d'un mois sans réponse. Avant l'expiration de ce délai, le juge-commissaire peut impartir à l'administrateur un délai plus court ou lui accorder une prolongation, qui ne peut excéder deux mois, pour se prononcer ;

2° A défaut de paiement dans les conditions définies au II et d'accord du cocontractant pour poursuivre les relations contractuelles. En ce cas, le ministère public, l'administrateur, le mandataire judiciaire ou un contrôleur peut saisir le tribunal aux fins de mettre fin à la période d'observation.

IV. - A la demande de l'administrateur, la résiliation est prononcée par le juge-commissaire si elle est nécessaire à la sauvegarde du débiteur et ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant.

V. - Si l'administrateur n'use pas de la faculté de poursuivre le contrat ou y met fin dans les conditions du II ou encore si la résiliation est prononcée en application du IV, l'inexécution peut donner lieu à des dommages et intérêts au profit du cocontractant, dont le montant doit être déclaré au passif. Le cocontractant peut néanmoins différer la restitution des sommes versées en excédent par le débiteur en exécution du contrat jusqu'à ce qu'il ait été statué sur les dommages et intérêts.

Il résulte des articles L. 622-13 du code de commerce et 1103 du code civil que, si la décision de l'administrateur judiciaire de mettre fin à un contrat à exécution ou paiement échelonnés dans le temps, lorsqu'il lui apparaît qu'il ne disposera pas des fonds nécessaires pour remplir les obligations du terme suivant, peut donner lieu à des dommages-intérêts au profit du cocontractant, leur montant ne peut être déterminé en application des clauses du contrat qu'autant que celles-ci l'auront expressément prévu pour le cas de résiliation en cause (Com., 29 juin 2022, n° 21-11.674).

Il est constant que si le contrat a été résilié par la société Giesper Construction, cette résiliation a été confirmée par l'administrateur judiciaire par lettre du 27 octobre 2022. Cette résiliation résulte donc de l'application de l'article L. 622-13, sur lequel l'appelante fonde sa demande.

Ayant été prononcée par l'administrateur en application de la loi, la résiliation ne saurait être considérée comme fautive.

En tout état de cause, l'appelante ne justifie pas d'une clause contractuelle stipulant l'octroi d'une indemnisation en cas de résiliation à la suite d'une procédure collective.

La demande de fixation d'une créance à hauteur de 173 000 euros sera rejetée.

4- Sur le bien-fondé de la compensation

Subsidiairement, dans l'hypothèse où la cour admettrait les demandes de l'appelante, les intimés sollicite que la créance de cette dernière soit compensée avec la créance détenue par la société Giesper Construction à l'encontre de l'appelante au titre d'une situation de travaux impayée de 555 176,66 euros.

L'appelante estime qu'elle peut s'opposer à cette demande en opposant aux intimés une exception d'inexécution, compte tenu des nombreux désordres affectant les travaux réalisés par la société Giesper Construction.

Réponse de la cour

La solution retenue commande de rejeter cette demande.

5- Sur les demandes accessoires

La solution du litige conduit à condamner l'appelante à payer à les intimées la somme globale de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant contradictoirement,

Déclare recevable la demande de compensation ;

Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Rejette le surplus des demandes ;

Condamne la société les rives de Cabessut à payer au liquidateur, ès qualités, la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne les rives de Cabessut aux dépens de première instance et d'appel.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Ronan GUERLOT, Président, et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

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