Cass. com., 15 octobre 2025, n° 24-11.150
COUR DE CASSATION
Autre
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Manufacture du marronnier (SARL), VBV International (SARL)
Défendeur :
Koshi (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
M. Regis
Avocats :
SCP Le Guerer, SCP Bouniol-Brochier, SCP Lassalle-Byhet, SAS Buk Lament-Robillot
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 9 novembre 2023), par une ordonnance du 22 septembre 2022, signifiée et exécutée le 9 novembre 2022, la société Koshi a été autorisée à faire pratiquer une saisie-contrefaçon de droits d'auteur au préjudice de la société Manufacture du marronnier, laquelle avait confié à la société VBV International une prestation de fabrication, stockage et distribution de carillons à vent en bois.
2. Le 15 novembre 2022, la société Koshi a adressé à plusieurs distributeurs des sociétés Manufacture du marronnier et VBV International une lettre de mise en demeure de cesser immédiatement d'offrir à la vente ces carillons et de les promouvoir sur leur site internet ainsi que de lui communiquer les documents contractuels y afférents, et ce, au regard de la possible contrefaçon de ses propres produits et d'actes susceptibles de relever de la concurrence déloyale et parasitaire.
3. Les sociétés Manufacture du marronnier et VBV International ont assigné en référé la société Koshi aux fins de voir ordonner la cessation du trouble manifestement illicite constitué par l'envoi de cette lettre et le versement d'une provision à valoir sur des dommages et intérêts pour dénigrement des produits fabriqués et commercialisés par ces deux sociétés.
Examen du moyen
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Les sociétés Manufacture du marronnier et VBV International font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors « que le dénigrement est constitué par la divulgation d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par une personne, à moins que l'information en cause ne se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure ; que constitue, en particulier, un acte de dénigrement le fait de mettre en garde la clientèle ou les distributeurs de produits d'une entreprise concurrente sur l'existence d'un risque de contrefaçon ou de concurrence déloyale ou parasitaire dès lors que cette information ne repose sur aucune décision de justice, a fortiori lorsque la mise en garde est adressée sans qu'aucune action n'ait été introduite ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté que la lettre de mise en demeure du 15 novembre 2022 adressée aux douze revendeurs des sociétés Manufacture du marronnier et VBV International informait les destinataires de ce courrier que la gamme de carillons Heola" présentait les caractéristiques essentielles des carillons Koshi", que la reprise non autorisée de la combinaison originale adoptée par les carillons Koshi est de nature à constituer un acte de contrefaçon de droit d'auteur au détriment de la société Koshi" et que de tels actes sont, à tout le moins, susceptibles d'être qualifiés d'acte de concurrence déloyale et parasitaire" ; qu'il résulte également des propres constatations de l'arrêt qu'après avoir demandé aux destinataires de ces courriers de bien vouloir, immédiatement, dès réception de la présente, cesser d'offrir à la vente, de promouvoir la gamme de carillons Heola sur votre site internet marchand" et communiquer toutes les informations nécessaires (bons de commande, bons de livraison, factures, etc) afin de déterminer les quantités achetées, vendues et actuellement en stock des carillons Heola, lesquels portent atteinte aux droits de la société Koshi et de Monsieur [B]", cette lettre indiquait qu' à défaut de réponse à la présente sous quinzaine à compter de sa réception, Monsieur [B] et la Société Koshi reprendront leur entière liberté d'action, notamment en prenant toutes mesures nécessaires en particulier sur le plan judiciaire, pour faire respecter ses droits" ; qu'en retenant, pour juger que l'envoi de telles mises en demeure ne constituerait pas un acte de concurrence déloyale par dénigrement de nature à caractériser un trouble manifestement illicite, qu'il n'était nul besoin pour [la société Koshi] d'obtenir une décision de justice portant sur les faits de contrefaçon ou d'actes de concurrence déloyale [
] pour délivrer ses mises en demeure ne divulguant aucune information mensongère, malveillante et menaçante mais reposant au contraire sur une base factuelle suffisante et exprimée avec mesure, sans dépasser la stricte information nécessaire relative aux droits auxquels la société Koshi est susceptible de prétendre", cependant qu'en l'absence de toute décision de justice ayant retenu que la commercialisation des carillons Heola" constituerait un acte de contrefaçon de droits d'auteur ou un acte de concurrence déloyale ou parasitaire, l'envoi des mises en demeure litigieuses était de nature à jeter le discrédit sur les produits des sociétés intimées, sans reposer sur une base factuelle suffisante, la cour d'appel a violé les articles 1240 du code civil et 873 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1240 du code civil :
5. Il résulte de ce texte qu'en l'absence de décision de justice retenant l'existence d'actes de contrefaçon de droits d'auteur, le seul fait d'informer des tiers d'une possible contrefaçon de ces droits est constitutif d'un dénigrement des produits argués de contrefaçon.
6. Pour rejeter les demandes des sociétés Manufacture du marronnier et VBV International au titre d'un trouble manifestement illicite résultant du dénigrement des produits qu'elles fabriquent et distribuent, l'arrêt retient que les termes de la lettre litigieuse envoyée par la société Koshi aux douze revendeurs de ces sociétés, leur donnant connaissance d'informations factuelles sur l'existence de son droit d'auteur et sur le fait que la vente des produits visés est « de nature à constituer un acte de contrefaçon de droit d'auteur » ou que de tels actes de vente sont « à tout le moins, susceptibles d'être qualifiés d'acte de concurrence déloyale et parasitaire », et les informant de la possibilité pour elle de prendre toute mesure judiciaire à leur encontre pour protéger ses droits et demander la réparation de son préjudice, sont mesurés et non comminatoires et ne constituent pas à ce titre un acte de dénigrement.
7. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes des sociétés Manufacture du marronnier et VBV International et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 9 novembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne la société Koshi aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Koshi et la condamne à payer aux sociétés Manufacture du marronnier et VBV International la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le quinze octobre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et