Cass. crim., 8 octobre 2025, n° 24-82.617
COUR DE CASSATION
Autre
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonnal
Rapporteur :
M. Samuel
Avocat général :
M. Bougy
Avocats :
SCP Sevaux et Mathonnet, SCP Le Bret-Desaché
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces soumises à l'examen de la Cour de cassation ce qui suit.
2. La société [U] France, dirigée par M. [L] [U], a racheté la totalité des parts sociales du groupe [1]. L'administration fiscale ayant réclamé des droits d'enregistrement éludés lors de cette opération, les vendeurs, solidairement responsables de ces droits, ont déposé plainte pour abus de biens sociaux auprès du ministère public qui a ordonné une enquête préliminaire puis ouvert une information à l'issue de laquelle M. [U] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour complicité et recel des abus de biens sociaux reprochés à MM. [E] [N] et [G] [O], dirigeants de la société [4].
3. Les juges du premier degré ont constaté la violation du droit des prévenus à être jugés dans un délai raisonnable et mis fin aux poursuites.
4. Le ministère public et les parties civiles ont relevé appel de cette décision.
Déchéance du pourvoi formé par M. [C]
5. M. [C] n'a pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par son avocat, un mémoire exposant ses moyens de cassation. Il y a lieu, en conséquence, de le déclarer déchu de son pourvoi par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale.
Examen des moyens proposés pour M. [U]
Sur les premier, deuxième, troisième, huitième et neuvième moyens
6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [U] coupable de complicité d'abus de biens sociaux commis par MM. [O] et [N] au préjudice de la société [4] pour avoir fait « procéder à la cession des actifs de ses filiales à un prix notoirement sous-évalué au regard du montant de la rétrocession de ces actifs réalisée le jour même » et de recel de ce délit, alors :
« 1°/ que la complicité suppose l'existence d'un fait principal punissable dont l'existence est établie en tous ses éléments constitutifs ; que l'abus de biens sociaux ne peut porter que sur des biens dont la société victime est propriétaire ; qu'en entrant en voie de condamnation à l'encontre de monsieur [U] du chef de complicité d'abus de biens sociaux commis au préjudice de la société SA [4], lorsqu'elle relevait elle-même que les actifs immobiliers visés par la prévention appartenaient à des sociétés civiles immobilières, filiales de la société SA [4], et non à cette dernière, la cour d'appel a violé les articles 121-6 et 121-7 du code pénal et L. 242-6 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 593 du code de procédure pénale et L. 241-3 et L. 242-6 du code de commerce :
8. Le juge répressif ne peut déclarer un prévenu coupable d'une infraction sans en avoir caractérisé tous les éléments constitutifs.
9. Pour caractériser l'abus de biens sociaux impliquant des filiales de la société [4] dont M. [U] a été déclaré coupable de complicité, l'arrêt attaqué énonce que MM. [N] et [O], respectivement président du directoire et président du conseil de surveillance de cette société, ont été poursuivis pour avoir fait de mauvaise foi de ses biens ou de son crédit un usage qu'ils savaient contraire à l'intérêt de celle-ci, en cédant des actifs de ses filiales à un prix notoirement sous-évalué au regard du montant de leur rétrocession réalisée le jour même.
10. Les juges précisent que le groupe [1] est constitué d'une holding, la société [4], et de dix filiales, parmi lesquelles figurent huit sociétés civiles immobilières (SCI) exploitant des bureaux et entrepôts, dont la gestion pour le compte de la société holding a été confiée, après le rachat du groupe, à la société [2] dont M. [N] est le gérant non salarié et M. [O], l'unique salarié.
11. Ils relèvent que, le 27 avril 2006, une partie des actifs immobiliers de ces SCI a été cédée, pour le prix manifestement sous-évalué de 7 343 346 euros, à la société luxembourgeoise [5] (société [3]) qui l'a revendue le jour même à une autre société pour la somme de 10 494 707 euros.
12. Ils constatent que la plus-value nette de cette double vente s'élève à environ 2 400 000 euros, que la sous-évaluation du prix de vente était contraire aux intérêts sociaux du groupe [1] qui s'est trouvé amputé de tous ses actifs immobiliers, pourtant objet de son activité et source de ses revenus, et que la plus-value réalisée n'a jamais été acquise par [1], ni même ne lui a profité.
13. Ils soulignent que l'interposition de la société [3] traduit une volonté de fraude à l'impôt de la part de MM. [U], [N] et [O], qui ont créé une société écran sans aucune réalité économique, qui ont fait encourir à Alaval le risque d'une rectification fiscale et des pénalités afférentes, de sorte qu'une atteinte manifeste et grave a été portée aux intérêts du groupe [1] par le montage mis en place.
14. Les juges retiennent enfin que les bénéficiaires de cette fraude sont MM. [O] et [N], qui ont détourné par la suite une partie des fonds reçus à leur profit personnel, et M. [U], qui, d'une part, détenait la quasi-totalité des parts de la société [3], d'autre part, s'est approprié la plus-value par une inscription sur son compte courant d'associé dans la société [U] France, et, enfin, s'est libéré de l'engagement qu'il avait souscrit en tant que caution personnelle à l'occasion d'un prêt.
15. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision, pour les motifs qui suivent.
16. D'une part, elle ne s'est pas suffisamment expliquée sur les circonstances lui ayant permis d'assimiler au patrimoine de la société [4] les biens immobiliers appartenant aux sociétés civiles immobilières qui en étaient les filiales.
17. D'autre part, l'incrimination d'abus de biens sociaux ne peut être étendue aux agissements commis au préjudice des sociétés que la loi n'a pas prévues, telles des sociétés civiles immobilières, seule la qualification d'abus de confiance étant susceptible d'être retenue en pareil cas.
18. La cassation est encourue de ce chef, sans qu'il y ait lieu d'examiner l'autre grief.
Et sur le sixième moyen
Enoncé du moyen
19. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré déclaré M. [U] coupable de complicité d'abus de biens sociaux commis par MM. [O] et [N] au préjudice de la société [4] pour avoir fait « transférer une partie de la plus-value réalisée lors de la cession des actifs sur son compte courant » et de recel de ce délit, alors :
« 1°/ que la complicité suppose l'existence d'un fait principal punissable dont l'existence est établie en tous ses éléments constitutifs ; que l'abus de biens sociaux ne peut porter que sur des biens dont la société victime est propriétaire ; qu'en entrant en voie de condamnation à l'encontre de monsieur [U] du chef de complicité d'abus de biens sociaux commis au préjudice de la société SA [4], lorsqu'elle relevait elle-même que la plus-value, objet de l'abus de biens sociaux, appartenait à la société de droit luxembourgeois [3] et non à la société [1], la cour d'appel a violé les articles 121-6 et 121-7 du code pénal et L. 242-6 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 593 du code de procédure pénale et L. 241-3 et L. 242-6 du code de commerce :
20. Le juge répressif ne peut déclarer un prévenu coupable d'une infraction sans en avoir caractérisé tous les éléments constitutifs.
21. Pour caractériser l'abus de biens sociaux, dont M. [U] a été déclaré coupable de complicité, relatif au transfert d'une partie de la plus-value réalisée par la société luxembourgeoise [3] dans l'opération d'acquisition et vente des actifs des SCI précitées, l'arrêt attaqué énonce que les fonds perçus par cette société n'ont pas été reçus par la société [4] en comptabilité comme des fonds lui appartenant, mais ont été, d'une part, utilisés pour solder un prêt et permettre à M. [U] de se désengager en tant que caution, d'autre part, inscrits en crédit sur le compte courant de la société [U] France dans la société [4], à titre d'avance, de sorte qu'à aucun moment, cette société n'a été propriétaire de ces sommes qui étaient juridiquement considérées comme faisant partie du patrimoine de la société [U] France et que M. [U] a doublement profité de cette spoliation.
22. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision, pour les motifs qui suivent.
23. D'une part, elle n'a pas constaté que la plus-value réalisée par la société [3] était entrée dans le patrimoine de la société [4] au préjudice de laquelle la prévention reproche aux auteurs principaux d'avoir commis l'abus poursuivi.
24. D'autre part, l'incrimination d'abus de biens sociaux ne peut être étendue aux agissements commis au préjudice des sociétés que la loi n'a pas prévues, telle une société étrangère, seule la qualification d'abus de confiance étant susceptible d'être retenue en pareil cas.
25. La cassation est de nouveau encourue de ce chef, sans qu'il y ait lieu d'examiner l'autre grief.
Portée et conséquence de la cassation
26. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à la déclaration de culpabilité de M. [U] du chef de complicité des abus de biens sociaux consistant dans la cession d'actifs sous-évalués de SCI filiales de la société [4] et dans le transfert de la plus-value de la société [5], ainsi que de recel de ces infractions, aux peines et aux intérêts civils le concernant. Les autres dispositions seront maintenues.
27. Il n'y a pas lieu d'examiner les autres moyens de cassation proposés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Orléans, en date du 12 février 2024, mais en ses seules dispositions relatives à la déclaration de culpabilité de M. [U] du chef de complicité des abus de biens sociaux consistant dans la cession d'actifs sous-évalués de SCI filiales de la société [4] et dans le transfert de la plus-value de la société [5], ainsi que de recel de ces infractions, aux peines et aux intérêts civils le concernant, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Orléans, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;