CA Bordeaux, 4e ch. com., 6 octobre 2025, n° 25/00401
BORDEAUX
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
--------------------------
ARRÊT DU : 06 OCTOBRE 2025
N° RG 25/00401 - N° Portalis DBVJ-V-B7J-ODUF
Monsieur [D] [L]
c/
Monsieur [B] [L]
S.A.S. ÉTABLISSEMENT [L]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : ordonnance de référé rendue le 07 janvier 2025 (R.G. 2024R00902) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 21 janvier 2025
APPELANT :
Monsieur [D] [L], né le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 9] (33), de nationalité Française, demeurant [Adresse 6] - [Localité 3]
Représenté par Maître Edwige HARDOUIN de la SELARL CRISTAL AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉS :
Monsieur [B] [L], né le [Date naissance 2] 1960 à [Localité 3] (33), de nationalité Française, demeurant [Adresse 5] - [Localité 4]
S.A.S. ÉTABLISSEMENT [L], dont le siège social est situé [Adresse 10] - [Localité 9] immatriculée au RCS de Bordeaux sous le numéro 470 202 292, prise en la personne de son administrateur provisoire, la SCP CBF ASSOCIÉS, représentée par Maître [T] [E], administrateur judiciaire, nommée à cette fonction par ordonnance sur requête du président du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 30 juin 2025 domicilié en cette qualité audit siège
Représentés par Maître Claire MORIN de la SCP DACHARRY & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 01 septembre 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Bérengère VALLEE, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Madame Bérengère VALLEE, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE
1. La SAS Etablissements [L] est une entreprise familiale créée par [D]-[Y] [L], spécialisée dans l'achat et la vente de matériaux de construction à [Localité 9].
[D]-[Y] [L] a fait entrer au capital ses trois fils, [D], [Y] et [B], et le capital social de la société Etablissements [L], divisé en 2600 actions, est à ce jour réparti comme suit :
- [D]-[Y] [L] : 1 action en pleine propriété et 2.239 actions en usufruit
- [V] [L] son épouse : 1 action en pleine propriété et 12 actions en usufruit
- [B] [L], par l'intermédiaire de sa société Holding [B] [L] : 170 actions en pleine propriété et 836 actions en nue-propriété
- [D] [L] : 156 actions en pleine propriété et 836 actions en nue-propriété
- [Y] [L] : 21 actions en pleine propriété et 579 actions en nue-propriété.
L'activité est exploitée dans des locaux pris à bail au sein d'un ensemble immobilier situé [Adresse 7] à [Localité 9], propriété de la SCI Aroman, dont le capital social est détenu de manière égalitaire entre [D] [L] (détention directe de 50%) et [B] [L] (détention indirecte de 50% via sa holding personnelle, la société Holding [B] [L]).
Cet ensemble immobilier est également occupé par d'autres sociétés, et notamment la société MB Design, la société Vetermat et la société ASBC Aquitaine Structure Bardage Couverture.
Si la direction de la société Etablissements [L] était historiquement assurée par [D]-[Y] [L] en qualité de président, celle-ci est dirigée au quotidien par son fils [B] [L] en qualité de directeur général.
[D] [L] bénéficie quant à lui au sein de cette société d'un contrat de travail en qualité de directeur commercial depuis septembre 1998.
Outre ses fonctions de directeur général au sein de la société Etablissements [L], [B] [L] est également actionnaire (directement ou indirectement via une holding personnelle) et/ou dirigeant d'autres sociétés :
- la société Holding [B] [L] dont il est associé aux côtés de son fils
- la société Vetermat dont le capital social est réparti entre [D]-[Y] [L] et ses deux fils [B] (via la Holding [B] [L]) et [D] [L]
- la société MB Design
- la société ASBC Aquitaine Structure Bardage Couverture
- la société Aroman dont les associés à parts égales sont [B] [L] et [D] [L]
- la société Lapije détenu par la Holding [B] [L] et [D] [L]
- la société Ateliers [L] dont les associés sont la société Groupe [L] (société Holding du fils de [B] [L]) et la société Holding [B] [L].
2. En 2023, des tensions sont apparues entre [B] [L] et [D] [L] au sujet d'un projet d'aménagement par l'EPA [Localité 9] Euratlantique dans la zone d'implantation du siège de la société Etablissements [L], propriété de la SCI Aroman, et de la relocalisation des activités en découlant.
C'est ainsi que les associés de la société Etablissements [L] se sont opposés à la relocalisation de l'activité de celle-ci au sein de l'ensemble immobilier acquis par [B] [L] à [Localité 8] et qu'une promesse de vente a été signée par la SCI Aroman au profit de la société Demathieu et Bard concernant les locaux accueillant l'activité de la société Etablissements [L]. Aux termes de ladite promesse, la SCI Aroman s'engageait à régulariser des protocoles d'accord de résiliation des baux commerciaux consentis aux différentes sociétés occupantes et notamment à la société Etablissements [L].
Contestant les protocoles de résiliation anticipée des baux, [D] [L], en sa qualité d'actionnaire de plus de 5% du capital social, a, par courrier du 30 mai 2024, adressé à [B] [L] en sa qualité de directeur général de la société Etablissements [L], une demande d'information sur plusieurs opérations de gestion sur le fondement de l'article L. 225-231 du code de commerce.
[B] [L] y a répondu par courrier du 26 juin 2024.
Entre-temps, par lettre du 10 juin 2024 , [D]-[Y] [L] a démissionné de ses fonctions de président de la société Etablissements [L], compte tenu de la 'mésentente de ses enfants'.
Par ordonnance du 25 juillet 2024 sur requête de [B] [L], la SCP CBF prise en la personne de Maître [E] a été nommée par le président du tribunal de commerce de Bordeaux en qualité de mandataire ad'hoc de la société Etablissements [L] avec pour mission de convoquer une assemblée générale en vue de remplacer le président démissionnaire, d'examiner les projets de relocalisation de l'établissement et du siège social de la société et décider le lieu dans lequel ils devront être transférés et rechercher avec le dirigeant et les actionnaires des mesures propres à assurer la poursuite de l'activité.
La situation est restée bloquée et le président du tribunal de commerce de Bordeaux a constaté l'échec de la mission de Maître [E] par ordonnance du 14 octobre 2024.
3. Par acte du 18 juillet 2024, [D] [L] a, au visa des articles L. 225-231 et L. 227-1 du code de commerce, assigné la société Etablissements [L] et [B] [L] devant le juge des référés aux fins d'obtenir une mesure d'expertise sur plusieurs opérations de gestion de la société Etablissements [L].
4. Par ordonnance du 07 janvier 2025, le juge des référés du tribunal de commerce de Bordeaux a :
- débouté M. [D] [L] de sa demande de désignation d'un expert en gestion,
- débouté M. [D] [L] de sa demande de nommer un expert ,
- condamné M. [D] [L] à payer la somme totale de 2000 euros à la société Etablissements [L] SAS et à M. [B] [L] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [D] [L] aux entiers dépens.
Pour statuer ainsi, le tribunal a, en substance, relevé que [D] [L] avait, par courrier du 30 mai 2024, sollicité des explications sur des opérations suspectes de la société Etablissements [L], que cette dernière lui avait fourni des explications complètes le 26 juin 2024 dans le délai légal d'un mois, et que [D] [L] n'apportait pas d'éléments justifiant que ces opérations aient entraîné un préjudice à la société Etablissements [L]. Il a en conséquence rejeté la demande de nomination d'un expert sur le fondement de l'article L. 225-231 du code de commerce.
Le premier juge a également rejeté la demande subsidiaire de nomination d'un expert sur le fondement des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, estimant que la mission de l'expert étant identique à celle sollicitée à titre principal, il n'y avait pas lieu d'y faire droit.
5. Par déclaration au greffe du 21 janvier 2025, M. [D] [L] a relevé appel de l'ordonnance énonçant les chefs expressément critiqués, intimant la SAS Etablissements [L] et M. [B] [L].
L'affaire a été fixée à bref délai à l'audience du 1er septembre 2025.
6. Parallèlement, par actes des 30 juillet et 5 août 2024, [D] [L] a assigné [B] [L] devant le tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins de révocation de ses fonctions de gérant de la SCI Aroman au motif que ce dernier aurait commis une faute de gestion et outrepassé ses pouvoirs en régularisant unilatéralement des protocoles de résiliation des baux commerciaux détenus par la SCI Aroman moyennant des indemnités fixées de façon arbitraire et sans aucune cohérence eu égard aux activités et chiffres d'affaires des sociétés concernées.
Par acte du 14 février 2025, la société Holding [B] [L] a assigné la société Etablissements [L] ainsi que l'ensemble de ses associés aux fins de dissolution judiciaire anticipée et de désignation d'un liquidateur.
Enfin, [B] [L] a présenté sa démission de son mandat de directeur général de la société Etablissements [L] le 12 février 2025 avec effet au 30 juin 2025.
Par ordonnance du 30 juin 2025, le président du tribunal de commerce de Bordeaux, saisi sur requête par [B] [L], a désigné la SCP CBF Associés en la personne de Maître [E] en qualité d'administrateur provisoire de la société Etablissements [L]. Cette ordonnance sur requête fait l'objet d'un référé rétractation initié par [D]-[Y], [W], [D] et [Y] [L], l'instance étant en cours.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
7. Par dernières écritures notifiées par message électronique le 13 août 2025, auxquelles la cour se réfère expressément, M. [D] [L] demande à la cour de :
- Infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :
Débouté M [D] [L] de sa demande de désignation d'un expert en gestion
Débouté M [D] [L] de sa demande de nommer un expert
Condamné M [D] [L] à payer la somme totale de 2000 euros à la société Etablissements [L] et à M [B] [L] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamné M [D] [L] aux entiers dépens
en conséquence
statuant à nouveau
à titre principal
Vu l'article L225-231 du code de commerce,
Vu l'article L227-1 du même code,
- Désigner tel expert qu'il plaira avec pour mission de présenter un rapport sur les opérations de gestion suivantes :
1°) facturations réciproques entre SAS Etablissements [L] et SARL Vetermat et ce sur les exercices 2022 et 2023
2°) Opérations de prêt de personnel entre les sociétés SAS Etablissements [L] , SARL Vetermat et MB Design
3°) Facturations de la société Holding [B] [L] à la société SAS Etablissements [L]
4°) bail de sous location de la SAS Etablissements [L] à Vetermat
5°) partage des factures d'énergie entre Etablissements [L] et les sociétés du groupe [B] [L]
6°)Protocole de résiliation du bail commercial de la SAS Etablissements [L] signé par Monsieur [B] [L] en qualité de Directeur Général et également en qualité de gérant de la SCI bailleresse, SCI Aroman
- Dire que l'Expert devra décrire lesdites opérations et chiffrer les montants des flux entre la société SAS [L] et les sociétés suivantes : SARL Vetermat , société MB Design, société AB Construction, Holding [B] [L] et ce pour les exercices 2022, 2023 et 2024
- Dire si la ou les opérations ci-dessus susvisées ont été conclues et exécutées à des conditions normales de marché,
- Dire si les opérations entre la SAS Etablissements [L] et les sociétés dont Monsieur [B] [L] a le contrôle et/ou la direction, à savoir SARL Vetermat, société MB Design, société AB Construction et SCI Aroman sont conformes à l'intérêt social de la société Etablissements [L],
- Décrire plus généralement tous les flux de trésorerie ou flux financiers entre la société Etablissements [L] et les sociétés dont Monsieur [B] [L] a le contrôle ou la direction,
- Dire que l'Expert devra, pour l'exécution de sa mission, se faire remettre tous documents qu'il jugerait utiles de se voir communiquer,
- Dire que l'Expert devra remettre aux parties un pré-rapport et recueillir leurs observations,
- Dire que l'Expert devra remettre son rapport dans un délai de six mois aux parties,
- Dire que les frais d'expertise seront supportés par la société Etablissements [L],
Dire qu'en cas de difficulté, il conviendra de saisir, par voie de requête, le Juge Chargé des mesures d'instruction auprès de la présente Juridiction,
A titre subsidiaire
Vu l'article 145 du code de procédure civile
- Faire droit à la demande d'expertise telle que sollicitée ci-dessus
En tout état de cause
- Condamner M [B] [L] à payer à [D] [L] la somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- Le condamner au entiers dépens de première instance et d'appel.
8. Par dernières écritures notifiées par message électronique le 14 août 2025, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Etablissements [L], prise en la personne de son administrateur provisoire la SCP CBF Associés représentée par Maître [E], administrateur judiciaire, et M. [B] [L], demandent à la cour de :
Vu l'article L. 225-231 du code de commerce,
Vu l'article L. 227-1 du code de commerce,
Vu l'article 145 du code de procédure civile,
A titre principal
- Confirmer l'ordonnance de référé du 7 janvier 2025 du tribunal de commerce de Bordeaux en toutes ses dispositions ;
- Débouter en conséquence Monsieur [D] [L] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
En tout état de cause
- Déclarer irrecevables toutes les demandes de Monsieur [D] [L] à l'encontre de Monsieur [B] [L] ;
- Condamner Monsieur [D] [L] à verser à Monsieur [B] [L] la somme de 2 000 euros au titre de procédure abusive outre 4 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner Monsieur [D] [L] à payer à la société Établissements [L] la somme de 8 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamner Monsieur [D] [L] aux entiers dépens ;
9. L'ordonnance de clôture est intervenue le 18 août 2025.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux derniers conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DECISION
I - Sur la demande principale d'expertise de gestion
10. L'article L. 225-231 du code de commerce dispose :
'Une association répondant aux conditions fixées à l'article L. 22-10-44, ainsi que un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital social, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, peuvent poser par écrit au président du conseil d'administration ou au directoire des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société, ainsi que, le cas échéant, des sociétés qu'elle contrôle au sens de l'article L. 233-3. Dans ce dernier cas, la demande doit être appréciée au regard de l'intérêt du groupe. La réponse doit être communiquée aux commissaires aux comptes, s'il en existe.
A défaut de réponse dans un délai d'un mois ou à défaut de communication d'éléments de réponse satisfaisants, ces actionnaires peuvent demander en référé la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.
Le ministère public et le comité d'entreprise peuvent également demander en référé la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.
S'il est fait droit à la demande, la décision de justice détermine l'étendue de la mission et des pouvoirs des experts. Elle peut mettre les honoraires à la charge de la société.
Le rapport est adressé au demandeur, au ministère public, au comité d'entreprise, au commissaire aux comptes et, selon le cas, au conseil d'administration ou au directoire et au conseil de surveillance. Ce rapport doit, en outre, être annexé à celui établi par les commissaires aux comptes, s'il en existe, en vue de la prochaine assemblée générale et recevoir la même publicité'.
11. En application de ce texte, applicable aux sociétés par actions simplifiées sur renvoi de l'article L. 227-1 du code de commerce, l'expertise de gestion n'est pas un mode d'information sur l'ensemble de la gestion de la société, c'est un moyen supplémentaire accordé aux associés pour obtenir des renseignements sur la valeur ou sur la portée d'une ou plusieurs opérations de gestion déterminées.
C'est une mesure dérogatoire aux règles de fonctionnement d'une société, permettant d'imposer une analyse de ce fonctionnement par un tiers à la société, de sorte que les textes qui prévoient la possibilité du recours à une telle expertise sont d'interprétation stricte.
Il convient ainsi d'abord de déterminer si la demande d'expertise de gestion apparaît utile pour répondre au droit d'information de l'associé minoritaire et donc de rechercher si les éléments communiqués en réponse aux questions écrites qu'il a posées présentent ou non un caractère satisfaisant, quand bien même l'opération serait désapprouvée par le requérant.
L'actionnaire minoritaire doit également démontrer le caractère sérieux de sa demande d'expertise, en rapportant des éléments suffisants à caractériser l'existence de présomptions d'irrégularités des opérations de gestion litigieuses et d'un risque d'atteinte à l'intérêt social.
Ainsi, le juge n'a pas à apprécier la pertinence des choix économiques et financiers adoptés par les dirigeants de la société en cause mais uniquement à vérifier si l'acte de gestion litigieux présente des suspicions d'irrégularités et constitue un possible danger pour son intérêt social.
La juridiction saisie d'une demande d'expertise de gestion est tenue de l'ordonner dès lors qu'elle relève des présomptions d'irrégularités affectant une ou plusieurs opérations de gestion déterminées. Ce faisant, si le demandeur remet en cause de façon générale la politique d'investissement programmée par son dirigeant et cherche à obtenir de l'expert des éléments d'information généraux sur ces investissements, il ne critique pas une opération de gestion déterminée, en sorte que sa demande d'expertise sur ce point ne répond pas aux critères de l'article L.225- 231 du code de commerce et doit être rejetée.
Enfin, l'article L. 225-231 instaure une procédure spéciale, qui déroge aux conditions édictées par les articles 872 et 873 du code de procédure civile, de sorte que le juge des référés est ici habilité à trancher la question préalable, soulevée par les intimés et à laquelle le premier juge n'a pas répondu, de l' irrecevabilité de la demande d'expertise de gestion à l'encontre de [B] [L] es qualité de directeur général de la société Etablissements [L].
A- Sur la qualité à défendre de [B] [L] en son nom personnel
Moyens des parties
12. [B] [L] soutient que seule a qualité pour défendre à une demande d'expertise de gestion, la société dont la gestion est mise en cause ou les sociétés qu'elle contrôle, à l'exclusion de toute autre personne et notamment d'un autre actionnaire, fût-il par ailleurs dirigeant de la société pour laquelle une expertise de gestion est sollicitée, ou du dirigeant de cette société.
13. [D] [L] oppose que [B] [L] est, suite à la démission du président [D]-[Y] [L], le seul dirigeant 'actif' de la société Etablissements et que dans la mesure où toutes les opérations suspectes dénoncées sont de son seul fait et qu'il détient seul les explications et documents qu'il devra communiquer à l'expert désigné, il est indispensable de le maintenir dans la cause.
Réponse de la cour
14. Il est constant que c'est la société, représentée par le président de son conseil d'administration, qui doit défendre à l'action engagée en application de l'article L. 225-231 du code de commerce, le rapport de l'expert lui étant destiné ainsi qu'aux demandeurs, et non le président à titre individuel. Il s'ensuit que ni le président du conseil d'administration à titre personnel, ni d'autres actionnaires, majoritaires ou non, n'ont à qualité à figurer comme défendeurs à l'instance (Com. 13 novembre 1972, n°71-12.393 ; Paris, 12 mars 1986, Rev. soc. 1986.238, D. 1986, I.R. 211, rendu sur renvoi de Com. 7 déc. 1983, Bull. civ. IV, no 345).
15. Il convient en conséquence de déclarer irrecevable la demande d'expertise de gestion formée à l'encontre de [B] [L] en son nom personnel et de mettre ce dernier hors de cause, l'ordonnance entreprise étant complétée de ce chef.
B- Sur les conditions de l'expertise de gestion
Moyens des parties
16. [D] [L] fait valoir en substance que sa demande d'expertise de gestion revêt un caractère sérieux, que le premier juge a ajouté au texte en exigeant la preuve d'un préjudice causé à la société par les opérations dénoncées alors que, selon l'article L225-231 du code de commerce, il suffit au requérant de démontrer le caractère suspect des opérations susceptibles de porter atteinte à l'intérêt social de l'entreprise.
Il précise que toutes les opérations dénoncées impliquent, soit [B] [L] seul, soit des sociétés dans lesquelles ce dernier a des intérêts, relevant ainsi des opérations réglementées de l'article L. 227-10 du code de commerce.
Il soutient que [B] [L] utilise son mandat au sein de la société Etablissements [L] au profit des sociétés dont il a le contrôle et/ou dont il est le dirigeant sans aucune transparence vis-à-vis des actionnaires de la société Etablissements [L].
Il dénonce la disparition des conventions réglementées du rapport du président lors de l'assemblée générale aux fins d'approbation des comptes de l'exercice clos au 31 décembre 2023.
Il énumère les opérations suspectes qui justifient selon lui l'expertise de gestion, à savoir notamment les refacturations de la société Holding [B] [L] à hauteur de 26 300 euros justifiées comme des prestations administratives, une facture de prestations par la SAS [L] à la société Vetermat en 2022, une facturation de Vetermat à Etablissements [L] en 2022 pour la somme de 101 591 euros sans justification suffisante de la part de [B] [L], des prêts de personnel aux sociétés Vetermat et MB Design, ainsi qu'un protocole de résiliation du bail commercial signé par [B] [L].
17. La société Etablissements [L] réplique en substance que l'article L225-231 du code de commerce prévoit que c'est uniquement lorsque l'actionnaire disposant d'au moins 5% du capital social n'a pas reçu de réponse dans le délai d'un mois ou de communication d'éléments de réponses satisfaisants après sa demande formulée par écrit au président du conseil d'administration sur des opérations de gestion, qu'il peut demander en référé la désignation d'un expert chargé de présenter un rapport sur des opérations de gestion. Elle soutient qu'en l'espèce, il a été adressé des explications complètes dans le délai légal d'un mois, ajoutant que l'appelant avait formulé des questions générales et non précises, alors que l'expertise de gestion doit porter sur des opérations de gestion déterminées, et non se confondre avec un audit général de la société.
Sur le caractère sérieux de la demande, elle relève que c'est au demandeur d'apporter des éléments laissant présumer l'existence d'irrégularités, ce qui fait défaut en l'espèce.
Sur les multiples opérations suspectées, elle fait valoir qu'elle a justifié par divers courriers de la légitimité des facturations.
Enfin, elle souligne qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir fait figurer dans le rapport spécial sur les conventions réglementées des contrats qui ne relèvent pas de cette qualification en application de l'article L. 227-10 du code de commerce, seul applicable à une société par actions simplifiées. Elle précise enfin que cet article impose que le commissaire aux comptes ou à défaut le président de la société présente annuellement un rapport aux associés sur les conventions réglementées et que ledit rapport, présenté à l'occasion de l'assemblée annuelle d'approbation des comptes doit uniquement être relatif aux conventions réglementées 'intervenues', c'est-à-dire celles qui ont été conclues au cours de l'exercice examiné, à l'exclusion des conventions conclues au cours d'exercices antérieurs et qui se sont poursuivis au cours de l'exercice considéré, de sorte que s'agissant des prestations accomplies par la société Holding [B] [L] pour le compte de la société Etablissements [L], celles-ci reposent sur une convention conclue antérieurement au 1er janvier 2023 et n'avait donc pas à être mentionnée dans le rapport spécial sur les conventions réglementées présentées au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2023.
Réponse de la cour
18. Il est constant que, par lettre du 30 mai 2024, [D] [L] a sollicité des explications sur certaines opérations de la société Etablissement [L] réalisées en 2022 et 2023, à savoir:
- Pour l'exercice clos le 31 décembre 2022, la sous-traitance effectuée par la société Holding [B] [L] au profit de la société Etablissement [L], ayant donné lieu à une
facturation de 26.300 euros ;
- La facturation de la somme de 114.000 euros de la société [L] à la société Vetermat au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2022 ;
- La facturation de la société Vetermat à la société [L], là encore pour l'exercice clos le 31 décembre 2022 ;
- La facturation de sociétés tierces à la société [L] en 2023 « pour des prestations et produits qui ont profité à la société Vetermat » ;
- Le prêt de personnel par la société [L] à la société Vetermat et à la société MB Design;
- Le loyer facturé par la société Etablissement [L] à la société Vetermat au titre de la sous-location de locaux consentie ;
- Le paiement par la société [L] de certaines factures d'avocat qui ne concerneraient que [B] [L], à savoir une somme de 2.160 euros au titre d'une facture du 17 mai 2023 et une facture du 2 février 2024 pour un montant de 2.220 euros ;
- Le protocole de résiliation du bail commercial liant la société [L] à la SCI Aroman, et plus précisément quant au montant de l'indemnité d'éviction qui a été convenu.
Il est tout aussi constant que par courrier en date du 26 juin 2024, soit dans le délai d'un mois prévu à l'article L. 225-31 du code de commerce, [B] [L] a, en sa qualité de directeur général de la société Etablissements [L], répondu à ces différents points.
Il convient d'examiner successivement les différents chefs de mission d'expertise sollicitée par [D] [L].
Sur les facturations réciproques entre la société Etablissements [L] et la société Vetermat au cours des exercices 2022 et 2023
19. Dans son courrier du 30 mai 2024, [D] [L] sollicitait des explications :
- d'une part, sur les sommes facturées par la société Etablissements [L] à la société Vetermat pour un montant de 114.000 euros au motif que cette facturation s'effectuait à marge 'quasi-nulle' pour la société [L],
- d'autre part, sur les sommes facturées par la société Vetermat à la société Etablissements [L] pour 2022, en réclamant 'le détail de ces facturations et [vos] explications sur les éventuels taux de marge appliqués et l'utilisation réelle par [L] des produits et/ou services facturés.'
Dans son courrier du 26 juin 2024, [B] [L], es qualité de directeur général de la société Etablissements [L] a répondu comme suit :
'- Facturation de prestations par [L] SAS à la société Vetermat pour 114.000 euros en 2022.
Cette facturation se ventile de la manière suivante :
- sous-location des locaux
- gestion de la paie
- matériaux acquis pour le compte de Vetermat.
Pour la part matériaux, ce chiffre d'affaires est généré par la demande de l'activité Vetermat sans aucune mise en oeuvre de la force commerciale de la société [L] SAS. Cette part de chiffre d'affaires n'existerait pas sans Vetermat.
La rémunération sur ce chiffre d'affaires est constituée par les BFA (bonifications de fin d'année) consenties par les fournisseurs (...)
- Facturation de Vetermat à [L] SAS pour l'exercice 2022.
Cette facturation se ventile de la manière suivante :
- mise à disposition de personnel
- prestations de découpe
- prestations de transport
- matériaux stockés par Vetermat.
Pour répondre spécifiquement aux exemples visés par votre courrier :
* Facture 4459 de janvier 2022/Mise à disposition de personnel pour 3075€
Le 24/12/2021, M. [F] achevait son contrat de cariste pour la société [L] SAS. Son remplacement par M. [C] datant du 7/02/2022, la fonction de cariste a été assurée dans l'intervalle par [K] [H], salarié de Vetermat (...)
* Facture 4487 d'avril 2022/ Frais de transport et déchargement 2ème trimestre 2022 pour 10.785 €
La société [L] SAS est amenée à solliciter de la société Vetermat l'utilisation de son camion poids-lourd grue et la mise à disposition de son chauffeur (salarié Vetermat) pour réaliser les livraisons clients ou enlèvements fournisseurs.
La facturation visée par votre courrier correspond à la contrepartie de cette prestation de service de Vetermat au profit de [L] SAS.
Pour les autres factures de l'année, il s'agit soit de prestations de découpe, soit de vente de matériaux stockés par Vetermat et que la société [L] SAS ne pourrait approvisionner au détail sans supporter des surcoûts (décolisage, frais de transport).'
20. Les éléments de réponse ainsi apportés apparaissent satisfaisants et il n'est pas rapporté la preuve de présomptions d'irrégularité affectant ces facturations, étant souligné que, s'agissant des sommes facturées par la société Vetermat à la société Etablissements [L], si [D] [L] soutient qu'il n'est pas apporté de précision sur le personnel mis à disposition, les prestations de découpe facturées, les prestations de transport et de matériaux stockés par la société Vetermat, les factures de celle-ci à la société Etablissements [L] pour l'année 2022 sont produites aux débats et détaillent les sommes facturées chaque mois.
Sur les opérations de prêt de personnel entre la société Etablissements [L], la société Vetermat et la société MB Design
21. Dans son courrier du 30 mai 2024, [D] [L] soutenait que la société Etablissements [L] prêtait du personnel à la société Vetermat ainsi qu'à la société MB Design, précisant qu' 'il s'agit principalement de deux salariés, en l'espèce, la responsable comptable Mme [R] [U] qui travaille pour la société MB Design sans aucune refacturation (environ 40% du temps plein) et également de M. [J] [A] employé magasinier qui travaille à plus de 80% de son temps pour Vetermat et MB Design alors qu'il est payé à 100% par la société [L]'. Il sollicitait ainsi des explications sur 'l'absence de tout contrat ou refacturation entre les sociétés concernant ce prêt de main d'oeuvre qui est purement et simplement illicite et s'assimile même à du travail dissimulé.'
Dans son courrier du 26 juin 2024, [B] [L], es qualité de directeur général de la société Etablissements [L], conteste toute opération de prêt de personnel et explique que [R] [U] et [J] [A] sont tous les deux employés à temps partiel de la société [L] et que leur temps de travail effectif au bénéfice de celle-ci est conforme à leur rémunération.
22. Cette réponse apparaît satisfaisante alors que l'appelant ne démontre pas l'existence de présomptions d'irrégularités sur ce point, étant observé que l'intimée produit devant la cour les bulletins de paie des deux salariés précités qui établissent que le salaire qui leur est versé par la société Etablissements [L] correspond bien au temps de travail de ces derniers au sein de la société.
Sur les facturations de la société Holding [B] [L] à la société Etablissements [L]
23. Dans son courrier du 30 mai 2024, [D] [L] sollicitait des explications sur la somme de 26.300 euros facturée au titre de la sous-traitance effectuée par la société Holding [B] [L], faisant valoir qu'une société holding n'avait 'par définition aucune fonction opérationnelle' et soutenant que cette facturation ne correspondrait 'à aucune prestation effectivement réalisée par [la société Holding [B] [L]]'.
Dans son courrier du 26 juin 2024, [B] [L], es qualité de directeur général de la société Etablissements [L] répliquait que contrairement à ce qui était soutenu, une société holding peut avoir une fonction animatrice et opérationnelle, que c'était le cas de la Holding [B] [L] 'qui réalise des tâches administratives et commerciales pour le compte de [L] SAS'. Elle précisait que [D] [L] n'était pas sans ignorer que l'intégralité de la facturation mensuelle de la société Etablissements [L] était assurée par la société Holding [B] [L], par l'intermédiaire de sa salariée [Z] [S] et que la société Holding [B] [L] apportait également 'un soutien important et quotidien à l'accueil commercial ainsi qu'au service comptabilité de la société [L]'.
24. Une telle réponse apparaît satisfaisante, étant ajouté qu'il n'est pas démontré l'existence de présomptions d'irrégularités ou d'atteinte à l'intérêt social de la société Etablissements [L].
En effet, si l'appelant soutient que la même somme est facturée par la société Holding [B] [L] à la société Vetermat, il n'en justifie pas, alors même que, comme le souligne justement l'intimée, si le procès-verbal de l'assemblée générale de la société Vetermat fait effectivement ressortir l'existence d'une refacturation par la société Holding [B] [L] à la société Vetermat de frais de fonctionnement, la somme n'est pas identique (50.400 euros) à celle que la société Holding [B] [L] facture à la société Etablissements [L] (26.300 euros).
Enfin, il sera observé que si [D] [L] demande que l'expertise de gestion porte également sur les refacturations de la société Holding [B] [L] à la société Etablissements [L] au cours des exercices 2023 et 2024, il ne peut en tout état de cause pas être fait droit à cette demande dès lors que celle-ci ne figurait pas dans sa lettre du 30 mai 2024 qui se limitait au seul exercice clos le 31 décembre 2022.
Sur le bail de sous location de la SAS Etablissements [L] à Vetermat
25. Dans son courrier du 30 mai 2024, [D] [L] réclamait des explications sur le bail de sous-location liant la société Etablissements [L], bailleur, à la société Vetermat, sous-locataire, au motif que le loyer facturé lui 'semble largement sous-évalué' au regard des loyers pratiqués dans le secteur.
Dans son courrier du 26 juin 2024, [B] [L], es qualité de directeur général de la société Etablissements [L], répond que le montant du loyer du bail de sous-location est calculé sur la base du loyer principal liant la société Etablissements [L], en qualité de preneur principal, à la SCI Aroman, en qualité de bailleur, au prorata des surfaces occupées par chaque structure, précisant que '[L] SAS loue 1500 m² (...) et sous-loue à Vetermat 350 m² (...) soit 23% du local principal. Appliqué au loyer du bail principal entre la société [L] et la SCI Aroman, ce pourcentage donne lieu à un loyer mensuel de sous-location de 1100 euros, qui correspond très exactement à la somme facturée à ce titre par [L] à Vetermat.' Elle rappelle en outre à [D] [L] qu'il est associé à 50% de la société Aroman dont il approuve les comptes annuels et qu'il a, à ce titre, une parfaite connaissance des loyers appliqués par la SCI aux sociétés d'exploitation.
26. La réponse apportée apparaît ainsi satisfaisante et il n'est pas démontré de présomptions d'irrégularités ni d'atteinte à l'intérêt social de la société Etablissements [L].
Sur le partage des factures d'énergie entre la société Etablissements [L] et les sociétés du groupe [B] [L]
27. Dans son courrier du 30 mai 2024, [D] [L] s'étonne de ce que 'la facture globale d'énergie (EDF) est supportée à 100% par [L] alors que la principale consommatrice (plus de 80%) est la société Vetermat qui dispose d'un atelier de découpe énergivore.'
28. En premier lieu, l'intimée observe pertinemment que le courrier du 30 mai 2024, préalable à la demande d'expertise de gestion, ne porte que sur la question de la répartition du coût de l'énergie entre cette dernière et la société Vetermat, de sorte que [D] [L] n'est pas fondé à solliciter une expertise de gestion sur 'le partage des factures d'énergie entre Etablissements [L] et les sociétés du groupe [B] [L]', seules les opérations de gestion visées dans la demande d'information préalable pouvant, en l'absence de réponse ou de réponse satisfaisante apportée à l'actionnaire, donner lieu à une expertise de gestion.
29. En second lieu, la réponse apportée par [B] [L], es qualité de directeur général de la société Etablissement [L], dans son courrier du 26 juin 2024 apparaît satisfaisante dès lors qu'elle indique : 'Nous prenons note de vos observations relativement à la répartition de la charge des factures d'énergie entre les différentes sociétés. Cette situation de fait n'est probablement plus justifiée en pratique compte tenu de l'évolution des activités des différentes sociétés du site et nous prenons au sérieux cette légitime remarque. Il me paraît cependant en l'état impossible de retenir une répartition du coût de l'énergie, les pourcentages évoqués dans votre courrier ne me paraissant reposer sur aucun élément objectif tangible. Dans le but de définir une clé de répartition équitable (...), j'ai pris la décision de faire procéder à un audit énergétique aux fins d'examen et d'analyse de l'usage et des consommations énergétiques de l'ensemble des structures du site. Je me rapproche d'un bureau d'étude énergétique à cette fin et soyez assuré que je ne manquerai pas de tirer les conséquences qui s'imposeront le cas échéant des conclusions de cet audit.'
30. Aucune présomption d'irrégularité ou de contrariété à l'intérêt social n'étant établie, il n'y a pas lieu à ordonner une expertise de gestion de ce chef.
Sur le protocole de résiliation du bail commercial de la SAS Etablissements [L] signé par [B] [L] en qualité de Directeur Général et également en qualité de gérant de la SCI bailleresse, SCI Aroman
31. Dans son courrier du 30 mai 2024, [D] [L] sollicite 'toute explication sur le protocole de résiliation du bail commercial dont bénéficie la société [L] auprès de la SCI Aroman qui est d'ailleurs la locataire principale.', estimant que ce protocole va à l'encontre des intérêts de la société Etablissements [L] puisque celle-ci 'renonce à toute procédure au titre de l'indemnité d'éviction, laquelle est chiffrée à une somme extrêmement modique à savoir une indemnité de résiliation chiffrée arbitrairement à 26.075 € au profit d'ETS [L], alors que sa sous-locataire VETERMAT se voit allouer 102.702 €'.
32. Dans sa réponse du 26 juin 2024, [B] [L], es qualité de directeur général de la société Etablissements [L], expose que : 'Comme vous le savez en votre qualité d'associé de la société [L], tout comme d'associé égalitaire de la société Aroman, la société Aroman a consenti par acte du 30 janvier 2024 une promesse unilatérale de vente de l'ensemble immobilier dans lequel se situent les locaux donnés à bail à la société [L] SAS. Vous avez agréé le principe de cette cession, tout comme ses modalités, lesquelles prévoyaient expressément les montants proposés au titre des indemnités de rupture anticipée des baux des différentes sociétés occupantes (locataires et sous-locataires). Ces montants ont été définis et négociés avec le cessionnaire de l'ensemble immobilier par la société Aroman, en fonction de la réalité des coûts de transferts des différentes structures occupantes qui comme vous le savez bénéficient d'une promesse de bail dans des locaux situés à [Localité 8], sans pas de porte. Les montants négociés au bénéfice des différentes sociétés occupantes ont été fixés précisément en fonction des coûts de déménagement de chacune d'elles. Les montants des indemnités ont été dument validés par vos soins en qualité d'associé de la société Aroman. Dans ce contexte, vos critiques nous semblent fallacieuses puisque portant sur des actes auxquels vous avez vous-même prêté votre concours et qui ont été mis en oeuvre en vertu d'un mandant exprès donné par vos soins au dirigeant de la société Aroman.'
33. Malgré cette réponse, [D] [L] maintient sa demande d'expertise de gestion, faisant valoir qu'il y a confusion entre les indemnités de rupture anticipée et les indemnités de déménagement et que la réponse apportée n'explique pas pourquoi la société Etablissements [L] est la moins bien servie dans le cadre des résiliations ce, au bénéfice des autres sociétés de [B] [L], reprochant à ce dernier d'avoir signé seul un protocole de résiliation avec lui-même en qualité de gérant de la société Aroman, bailleresse, allouant à la société Etablissements [L] la somme dérisoire de 26.075 euros, au surplus sans qu'aucun congé n'ait été donné par le bailleur.
34. En premier lieu, comme le fait justement observer l'intimée, l'évaluation des indemnités de résiliation, aux termes des protocoles transactionnels conclus entre la SCI Aroman et les différents preneurs de son immeuble, ne peut être qualifiée à proprement parler d'opération de gestion de la société Etablissements [L], dès lors que c'est la SCI Aroman qui a négocié et fixé le montant de l'indemnité avec chacun des preneurs, dont la société Etablissements [L], étant précisé que c'est sur la seule SCI Aroman que pèse l'obligation prévue par la promesse de vente conclue avec la société Demathieu et Bard de répartir le montant global affecté aux indemnités de résiliation et de déménagement prévus par ladite promesse entre les différents preneurs.
35. En deuxième lieu, sur le grief tiré de la confusion entre les indemnités de rupture anticipée et les indemnités de déménagement, l'intimée conteste celle-ci, répliquant que dans la mesure où la société Etablissements [L] bénéficie d'une promesse de bail sans pas de porte, son préjudice se limite à ses frais de déménagement et de réinstallation dans ses nouveaux locaux. Cette réponse apparaît satisfaisante et n'est donc pas de nature à justifier la demande d'expertise de gestion.
36. En troisième lieu, est inopérant le grief tiré de ce que le protocole aurait été signé sans qu'un congé n'ait été donné par le bailleur, dès lors que le protocole, qui consiste en une résiliation anticipée amiable du contrat de bail, stipule que les parties sont convenues que le contrat de bail sera résilié à la date du 30 juin 2025 'sous condition résolutoire tenant à l'absence de réitération de la promesse consentie par le bailleur à la société Demathieu et Bard Immobilier au plus tard le 31 juillet 2025".
37. Aucune présomption d'irrégularité ou de contrariété à l'intérêt social n'est donc établie de ce chef.
Sur la demande de voir décrites et chiffrées les opérations et flux entre la société Etablissements [L] et les sociétés Vetermat, MB Design, AB Construction et Holding [B] [L] pour les exercices 2022, 2023, 2024
38. Il ne peut être fait droit à cette demande dès lors, d'une part, qu'elle n'a pas été précédée d'une demande d'information préalable conformément aux dispositions de l'article L. 225-231 du code de commerce, d'autre part, qu'elle a une portée générale et ne porte pas sur une ou des opérations de gestion clairement identifiées à propos desquelles existent des présomptions d'irrégularités ou d'atteinte à l'intérêt social.
Sur la demande portant sur les opérations entre la société Etablissements [L] et les sociétés dont [B] [L] a le contrôle et/ou la direction 'à savoir Sarl Vetermat, société MB Design, société AB Construction et SCI Aroman'
39. Pour les mêmes motifs, il ne saurait être fait droit à cette demande dès lors, d'une part, qu'elle n'a pas été précédée d'une demande d'information préalable, le courrier du 30 mai 2024 de [D] [L] ne sollicitant pas d'information quant aux relations entre la société Etablissements [L] et la société AB Construction et se limitant, s'agissant de la société MB Design, à solliciter des précisions quant aux opérations de prêt de personnel avec la société Etablissements [L], d'autre part, qu'elle a une portée générale et ne porte pas sur une ou des opérations de gestion clairement identifiées à propos desquelles existent des présomptions d'irrégularités ou d'atteinte à l'intérêt social.
Sur la demande que l'expert décrive plus généralement tous les flux de trésorerie ou flux financiers entre la société Etablissements [L] et les sociétés dont [B] [L] a le contrôle ou le direction
40.Ainsi que le relève justement l'intimée, une telle demande ne peut relever du périmètre d'une expertise de gestion, faute de viser une ou des opérations de gestion clairement identifiées.
41. Au regard de l'ensemble de ce qui précède, c'est à bon droit que le tribunal a débouté [D] [L] de sa demande de désignation d'un expert en application de l'article L. 225-231 du code de commerce, l'ordonnance entreprise étant confirmée de ce chef.
Sur la demande subsidiaire d'expertise fondée sur l'article 145 du code de procédure civile
Moyens des parties
42. Soutenant que l'expertise in futurum coexiste de façon autonome avec l'expertise de gestion, [D] [L] sollicite, à titre subsidiaire et sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, une expertise en vue d'engager une action sociale ut singuli à l'encontre de [B] [L], en réparation du préjudice subi par la société Etablissements [L], au regard selon lui des conventions réglementées non approuvées initiées par [B] [L] en sa qualité de directeur général de la société Etablissements [L].
43. Les intimés répliquent que l'expertise fondée sur l'article 145 du code de procédure civile ne peut avoir un objet identique à l'expertise de gestion qui doit être sollicitée sur le seul fondement de l'article L225-231 du code de commerce, la Cour de cassation ayant récemment précisé, dans son arrêt publié au Bulletin Cass. Com, 11 septembre 2024, 22-24.160, 23-12.681, l'articulation entre ces deux expertises dont la finalité n'est pas la même et qui ne sont pas interchangeables au gré des désirs du demandeur. Ils soutiennent ainsi que l'article 145 du code de procédure civile ne saurait être dévoyé pour contourner le fait que la demande principale, fondée sur l'article L. 225-31 du code de commerce serait rejetée, faute de démontrer que les conditions d'application prévues par ce texte sont réunies.
En outre, ils rappellent que l'expertise doit être sollicitée avant tout procès alors qu'en l'espèce, deux procédures sont actuellement pendantes, l'une initiée par [D] [L] devant le tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins de révocation de [B] [L] de ses fonctions de gérant de la SCI Aroman, l'autre initiée par la société Holding [B] [L] devant le tribunal de commerce de Bordeaux aux fins de dissolution judiciaire anticipée de la société Etablissements [L].
Réponse de la cour
44. Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
L'absence d'instance au fond, qui constitue une condition de recevabilité de la demande formée en application de l'article 145 précité, s'apprécie à la date de saisine du juge.
45. En l'espèce, [D] [L] a, par assignation délivrée le 18 juillet 2024, saisi le juge des référés du tribunal de commerce d'une demande d'expertise de gestion sur le fondement de l'article L. 225-231 du code de commerce.
Aux termes de ses dernières conclusions devant le juge des référés, [D] [L] a sollicité, à titre subsidiaire, dans le cas où sa demande d'expertise de gestion serait rejetée, que soit ordonnée une expertise sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.
La date desdites conclusions n'étant toutefois pas précisée dans l'ordonnance dont appel et ces conclusions n'étant pas produites aux débats, il n'est pas établi avec certitude qu'au jour où le juge des référés a été effectivement saisi de cette demande d'expertise in futurum, un procès au fond était intenté, [D] [L] ayant, par actes des 30 juillet et 5 août 2024, assigné [B] [L] devant le tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins de révocation de ses fonctions de gérant de la SCI Aroman, étant au surplus observé que la société Etablissements [L] n'est pas partie à cette affaire.
Le moyen tiré de l'irrecevabilité de la demande d'expertise liée à la condition d'absence de procès, sera donc écarté.
46. Dans un arrêt publié au Bulletin du 11 septembre 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé qu'en ordonnant, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, une mesure d'expertise qui ne visait, en réalité, qu'à fournir aux actionnaires minoritaires demandeurs des informations sur des opérations de gestion, relevant comme telles du mécanisme prévu à l'article L. 225-231 du code de commerce, et non à conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, la cour d'appel avait violé, par fausse application, l'article 145 susvisé. (Com., 11 septembre 2024, pourvoi n°23-12.681, 22-24.160).
47. Au cas d'espèce, [D] [L] demande, à titre subsidiaire et au visa de l'article 145 du code de procédure civile, à ce que soit ordonnée une expertise 'telle que sollicitée ci-dessus', l'expert désigné sur le fondement dudit texte se voyant confier une mission strictement identique à celle sollicitée sur le fondement de l'expertise de gestion.
Il apparaît ainsi que, contrairement à ce que soutient l'appelant, cette prétention ne tend pas à à conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige mais vise en réalité à obtenir l'analyse par un expert de différentes opérations de gestion, ce qui relève du mécanisme prévu à l'article L. 225-231 du code de commerce.
Or, alors que [D] [L] a été ci-avant débouté de sa demande principale d'expertise de gestion faute de démontrer que les conditions d'application prévues par ce texte sont réunies, il ne saurait être fondé, sauf à détourner l'article L. 225-231 de sa finalité, à solliciter une expertise fondée sur l'article 145 du code de procédure civile, strictement identique à celle réclamée dans sa demande principale et visant les éléments invoqués au soutien de son expertise de gestion.
48. En conséquence, en l'absence de motif légitime, [D] [L] sera débouté de sa demande d'expertise fondée sur l'article 145 du code de procédure civile, l'ordonnance entreprise étant confirmée de ce chef.
Sur la procédure abusive
49. L'exercice d'une action en justice de même que la défense à une telle action constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à l'octroi de dommages et intérêts que lorsque est caractérisée une faute en lien de causalité directe avec un préjudice.
50. En l'espèce, un tel comportement de la part de l'appelant n'est pas caractérisé. [B] [L] sera en conséquence débouté de sa demande de dommages et intérêts de ce chef.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
51. L'ordonnance entreprise sera confirmée en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.
52. L'appelant, qui succombe en son recours, en supportera la charge et sera équitablement condamné à la somme de 4.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance déférée, sauf à la compléter en déclarant irrecevable la demande d'expertise de gestion formée à l'encontre de [B] [L] en son nom personnel,
Y ajoutant,
Déboute [B] [L] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
Condamne [D] [L] à payer à [B] [L] et la société Etablissements [L], ensemble, la somme de 4.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne [D] [L] aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
--------------------------
ARRÊT DU : 06 OCTOBRE 2025
N° RG 25/00401 - N° Portalis DBVJ-V-B7J-ODUF
Monsieur [D] [L]
c/
Monsieur [B] [L]
S.A.S. ÉTABLISSEMENT [L]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : ordonnance de référé rendue le 07 janvier 2025 (R.G. 2024R00902) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 21 janvier 2025
APPELANT :
Monsieur [D] [L], né le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 9] (33), de nationalité Française, demeurant [Adresse 6] - [Localité 3]
Représenté par Maître Edwige HARDOUIN de la SELARL CRISTAL AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉS :
Monsieur [B] [L], né le [Date naissance 2] 1960 à [Localité 3] (33), de nationalité Française, demeurant [Adresse 5] - [Localité 4]
S.A.S. ÉTABLISSEMENT [L], dont le siège social est situé [Adresse 10] - [Localité 9] immatriculée au RCS de Bordeaux sous le numéro 470 202 292, prise en la personne de son administrateur provisoire, la SCP CBF ASSOCIÉS, représentée par Maître [T] [E], administrateur judiciaire, nommée à cette fonction par ordonnance sur requête du président du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 30 juin 2025 domicilié en cette qualité audit siège
Représentés par Maître Claire MORIN de la SCP DACHARRY & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 01 septembre 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Bérengère VALLEE, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Madame Bérengère VALLEE, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE
1. La SAS Etablissements [L] est une entreprise familiale créée par [D]-[Y] [L], spécialisée dans l'achat et la vente de matériaux de construction à [Localité 9].
[D]-[Y] [L] a fait entrer au capital ses trois fils, [D], [Y] et [B], et le capital social de la société Etablissements [L], divisé en 2600 actions, est à ce jour réparti comme suit :
- [D]-[Y] [L] : 1 action en pleine propriété et 2.239 actions en usufruit
- [V] [L] son épouse : 1 action en pleine propriété et 12 actions en usufruit
- [B] [L], par l'intermédiaire de sa société Holding [B] [L] : 170 actions en pleine propriété et 836 actions en nue-propriété
- [D] [L] : 156 actions en pleine propriété et 836 actions en nue-propriété
- [Y] [L] : 21 actions en pleine propriété et 579 actions en nue-propriété.
L'activité est exploitée dans des locaux pris à bail au sein d'un ensemble immobilier situé [Adresse 7] à [Localité 9], propriété de la SCI Aroman, dont le capital social est détenu de manière égalitaire entre [D] [L] (détention directe de 50%) et [B] [L] (détention indirecte de 50% via sa holding personnelle, la société Holding [B] [L]).
Cet ensemble immobilier est également occupé par d'autres sociétés, et notamment la société MB Design, la société Vetermat et la société ASBC Aquitaine Structure Bardage Couverture.
Si la direction de la société Etablissements [L] était historiquement assurée par [D]-[Y] [L] en qualité de président, celle-ci est dirigée au quotidien par son fils [B] [L] en qualité de directeur général.
[D] [L] bénéficie quant à lui au sein de cette société d'un contrat de travail en qualité de directeur commercial depuis septembre 1998.
Outre ses fonctions de directeur général au sein de la société Etablissements [L], [B] [L] est également actionnaire (directement ou indirectement via une holding personnelle) et/ou dirigeant d'autres sociétés :
- la société Holding [B] [L] dont il est associé aux côtés de son fils
- la société Vetermat dont le capital social est réparti entre [D]-[Y] [L] et ses deux fils [B] (via la Holding [B] [L]) et [D] [L]
- la société MB Design
- la société ASBC Aquitaine Structure Bardage Couverture
- la société Aroman dont les associés à parts égales sont [B] [L] et [D] [L]
- la société Lapije détenu par la Holding [B] [L] et [D] [L]
- la société Ateliers [L] dont les associés sont la société Groupe [L] (société Holding du fils de [B] [L]) et la société Holding [B] [L].
2. En 2023, des tensions sont apparues entre [B] [L] et [D] [L] au sujet d'un projet d'aménagement par l'EPA [Localité 9] Euratlantique dans la zone d'implantation du siège de la société Etablissements [L], propriété de la SCI Aroman, et de la relocalisation des activités en découlant.
C'est ainsi que les associés de la société Etablissements [L] se sont opposés à la relocalisation de l'activité de celle-ci au sein de l'ensemble immobilier acquis par [B] [L] à [Localité 8] et qu'une promesse de vente a été signée par la SCI Aroman au profit de la société Demathieu et Bard concernant les locaux accueillant l'activité de la société Etablissements [L]. Aux termes de ladite promesse, la SCI Aroman s'engageait à régulariser des protocoles d'accord de résiliation des baux commerciaux consentis aux différentes sociétés occupantes et notamment à la société Etablissements [L].
Contestant les protocoles de résiliation anticipée des baux, [D] [L], en sa qualité d'actionnaire de plus de 5% du capital social, a, par courrier du 30 mai 2024, adressé à [B] [L] en sa qualité de directeur général de la société Etablissements [L], une demande d'information sur plusieurs opérations de gestion sur le fondement de l'article L. 225-231 du code de commerce.
[B] [L] y a répondu par courrier du 26 juin 2024.
Entre-temps, par lettre du 10 juin 2024 , [D]-[Y] [L] a démissionné de ses fonctions de président de la société Etablissements [L], compte tenu de la 'mésentente de ses enfants'.
Par ordonnance du 25 juillet 2024 sur requête de [B] [L], la SCP CBF prise en la personne de Maître [E] a été nommée par le président du tribunal de commerce de Bordeaux en qualité de mandataire ad'hoc de la société Etablissements [L] avec pour mission de convoquer une assemblée générale en vue de remplacer le président démissionnaire, d'examiner les projets de relocalisation de l'établissement et du siège social de la société et décider le lieu dans lequel ils devront être transférés et rechercher avec le dirigeant et les actionnaires des mesures propres à assurer la poursuite de l'activité.
La situation est restée bloquée et le président du tribunal de commerce de Bordeaux a constaté l'échec de la mission de Maître [E] par ordonnance du 14 octobre 2024.
3. Par acte du 18 juillet 2024, [D] [L] a, au visa des articles L. 225-231 et L. 227-1 du code de commerce, assigné la société Etablissements [L] et [B] [L] devant le juge des référés aux fins d'obtenir une mesure d'expertise sur plusieurs opérations de gestion de la société Etablissements [L].
4. Par ordonnance du 07 janvier 2025, le juge des référés du tribunal de commerce de Bordeaux a :
- débouté M. [D] [L] de sa demande de désignation d'un expert en gestion,
- débouté M. [D] [L] de sa demande de nommer un expert ,
- condamné M. [D] [L] à payer la somme totale de 2000 euros à la société Etablissements [L] SAS et à M. [B] [L] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [D] [L] aux entiers dépens.
Pour statuer ainsi, le tribunal a, en substance, relevé que [D] [L] avait, par courrier du 30 mai 2024, sollicité des explications sur des opérations suspectes de la société Etablissements [L], que cette dernière lui avait fourni des explications complètes le 26 juin 2024 dans le délai légal d'un mois, et que [D] [L] n'apportait pas d'éléments justifiant que ces opérations aient entraîné un préjudice à la société Etablissements [L]. Il a en conséquence rejeté la demande de nomination d'un expert sur le fondement de l'article L. 225-231 du code de commerce.
Le premier juge a également rejeté la demande subsidiaire de nomination d'un expert sur le fondement des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, estimant que la mission de l'expert étant identique à celle sollicitée à titre principal, il n'y avait pas lieu d'y faire droit.
5. Par déclaration au greffe du 21 janvier 2025, M. [D] [L] a relevé appel de l'ordonnance énonçant les chefs expressément critiqués, intimant la SAS Etablissements [L] et M. [B] [L].
L'affaire a été fixée à bref délai à l'audience du 1er septembre 2025.
6. Parallèlement, par actes des 30 juillet et 5 août 2024, [D] [L] a assigné [B] [L] devant le tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins de révocation de ses fonctions de gérant de la SCI Aroman au motif que ce dernier aurait commis une faute de gestion et outrepassé ses pouvoirs en régularisant unilatéralement des protocoles de résiliation des baux commerciaux détenus par la SCI Aroman moyennant des indemnités fixées de façon arbitraire et sans aucune cohérence eu égard aux activités et chiffres d'affaires des sociétés concernées.
Par acte du 14 février 2025, la société Holding [B] [L] a assigné la société Etablissements [L] ainsi que l'ensemble de ses associés aux fins de dissolution judiciaire anticipée et de désignation d'un liquidateur.
Enfin, [B] [L] a présenté sa démission de son mandat de directeur général de la société Etablissements [L] le 12 février 2025 avec effet au 30 juin 2025.
Par ordonnance du 30 juin 2025, le président du tribunal de commerce de Bordeaux, saisi sur requête par [B] [L], a désigné la SCP CBF Associés en la personne de Maître [E] en qualité d'administrateur provisoire de la société Etablissements [L]. Cette ordonnance sur requête fait l'objet d'un référé rétractation initié par [D]-[Y], [W], [D] et [Y] [L], l'instance étant en cours.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
7. Par dernières écritures notifiées par message électronique le 13 août 2025, auxquelles la cour se réfère expressément, M. [D] [L] demande à la cour de :
- Infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :
Débouté M [D] [L] de sa demande de désignation d'un expert en gestion
Débouté M [D] [L] de sa demande de nommer un expert
Condamné M [D] [L] à payer la somme totale de 2000 euros à la société Etablissements [L] et à M [B] [L] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamné M [D] [L] aux entiers dépens
en conséquence
statuant à nouveau
à titre principal
Vu l'article L225-231 du code de commerce,
Vu l'article L227-1 du même code,
- Désigner tel expert qu'il plaira avec pour mission de présenter un rapport sur les opérations de gestion suivantes :
1°) facturations réciproques entre SAS Etablissements [L] et SARL Vetermat et ce sur les exercices 2022 et 2023
2°) Opérations de prêt de personnel entre les sociétés SAS Etablissements [L] , SARL Vetermat et MB Design
3°) Facturations de la société Holding [B] [L] à la société SAS Etablissements [L]
4°) bail de sous location de la SAS Etablissements [L] à Vetermat
5°) partage des factures d'énergie entre Etablissements [L] et les sociétés du groupe [B] [L]
6°)Protocole de résiliation du bail commercial de la SAS Etablissements [L] signé par Monsieur [B] [L] en qualité de Directeur Général et également en qualité de gérant de la SCI bailleresse, SCI Aroman
- Dire que l'Expert devra décrire lesdites opérations et chiffrer les montants des flux entre la société SAS [L] et les sociétés suivantes : SARL Vetermat , société MB Design, société AB Construction, Holding [B] [L] et ce pour les exercices 2022, 2023 et 2024
- Dire si la ou les opérations ci-dessus susvisées ont été conclues et exécutées à des conditions normales de marché,
- Dire si les opérations entre la SAS Etablissements [L] et les sociétés dont Monsieur [B] [L] a le contrôle et/ou la direction, à savoir SARL Vetermat, société MB Design, société AB Construction et SCI Aroman sont conformes à l'intérêt social de la société Etablissements [L],
- Décrire plus généralement tous les flux de trésorerie ou flux financiers entre la société Etablissements [L] et les sociétés dont Monsieur [B] [L] a le contrôle ou la direction,
- Dire que l'Expert devra, pour l'exécution de sa mission, se faire remettre tous documents qu'il jugerait utiles de se voir communiquer,
- Dire que l'Expert devra remettre aux parties un pré-rapport et recueillir leurs observations,
- Dire que l'Expert devra remettre son rapport dans un délai de six mois aux parties,
- Dire que les frais d'expertise seront supportés par la société Etablissements [L],
Dire qu'en cas de difficulté, il conviendra de saisir, par voie de requête, le Juge Chargé des mesures d'instruction auprès de la présente Juridiction,
A titre subsidiaire
Vu l'article 145 du code de procédure civile
- Faire droit à la demande d'expertise telle que sollicitée ci-dessus
En tout état de cause
- Condamner M [B] [L] à payer à [D] [L] la somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- Le condamner au entiers dépens de première instance et d'appel.
8. Par dernières écritures notifiées par message électronique le 14 août 2025, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Etablissements [L], prise en la personne de son administrateur provisoire la SCP CBF Associés représentée par Maître [E], administrateur judiciaire, et M. [B] [L], demandent à la cour de :
Vu l'article L. 225-231 du code de commerce,
Vu l'article L. 227-1 du code de commerce,
Vu l'article 145 du code de procédure civile,
A titre principal
- Confirmer l'ordonnance de référé du 7 janvier 2025 du tribunal de commerce de Bordeaux en toutes ses dispositions ;
- Débouter en conséquence Monsieur [D] [L] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
En tout état de cause
- Déclarer irrecevables toutes les demandes de Monsieur [D] [L] à l'encontre de Monsieur [B] [L] ;
- Condamner Monsieur [D] [L] à verser à Monsieur [B] [L] la somme de 2 000 euros au titre de procédure abusive outre 4 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner Monsieur [D] [L] à payer à la société Établissements [L] la somme de 8 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamner Monsieur [D] [L] aux entiers dépens ;
9. L'ordonnance de clôture est intervenue le 18 août 2025.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux derniers conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DECISION
I - Sur la demande principale d'expertise de gestion
10. L'article L. 225-231 du code de commerce dispose :
'Une association répondant aux conditions fixées à l'article L. 22-10-44, ainsi que un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital social, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, peuvent poser par écrit au président du conseil d'administration ou au directoire des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société, ainsi que, le cas échéant, des sociétés qu'elle contrôle au sens de l'article L. 233-3. Dans ce dernier cas, la demande doit être appréciée au regard de l'intérêt du groupe. La réponse doit être communiquée aux commissaires aux comptes, s'il en existe.
A défaut de réponse dans un délai d'un mois ou à défaut de communication d'éléments de réponse satisfaisants, ces actionnaires peuvent demander en référé la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.
Le ministère public et le comité d'entreprise peuvent également demander en référé la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.
S'il est fait droit à la demande, la décision de justice détermine l'étendue de la mission et des pouvoirs des experts. Elle peut mettre les honoraires à la charge de la société.
Le rapport est adressé au demandeur, au ministère public, au comité d'entreprise, au commissaire aux comptes et, selon le cas, au conseil d'administration ou au directoire et au conseil de surveillance. Ce rapport doit, en outre, être annexé à celui établi par les commissaires aux comptes, s'il en existe, en vue de la prochaine assemblée générale et recevoir la même publicité'.
11. En application de ce texte, applicable aux sociétés par actions simplifiées sur renvoi de l'article L. 227-1 du code de commerce, l'expertise de gestion n'est pas un mode d'information sur l'ensemble de la gestion de la société, c'est un moyen supplémentaire accordé aux associés pour obtenir des renseignements sur la valeur ou sur la portée d'une ou plusieurs opérations de gestion déterminées.
C'est une mesure dérogatoire aux règles de fonctionnement d'une société, permettant d'imposer une analyse de ce fonctionnement par un tiers à la société, de sorte que les textes qui prévoient la possibilité du recours à une telle expertise sont d'interprétation stricte.
Il convient ainsi d'abord de déterminer si la demande d'expertise de gestion apparaît utile pour répondre au droit d'information de l'associé minoritaire et donc de rechercher si les éléments communiqués en réponse aux questions écrites qu'il a posées présentent ou non un caractère satisfaisant, quand bien même l'opération serait désapprouvée par le requérant.
L'actionnaire minoritaire doit également démontrer le caractère sérieux de sa demande d'expertise, en rapportant des éléments suffisants à caractériser l'existence de présomptions d'irrégularités des opérations de gestion litigieuses et d'un risque d'atteinte à l'intérêt social.
Ainsi, le juge n'a pas à apprécier la pertinence des choix économiques et financiers adoptés par les dirigeants de la société en cause mais uniquement à vérifier si l'acte de gestion litigieux présente des suspicions d'irrégularités et constitue un possible danger pour son intérêt social.
La juridiction saisie d'une demande d'expertise de gestion est tenue de l'ordonner dès lors qu'elle relève des présomptions d'irrégularités affectant une ou plusieurs opérations de gestion déterminées. Ce faisant, si le demandeur remet en cause de façon générale la politique d'investissement programmée par son dirigeant et cherche à obtenir de l'expert des éléments d'information généraux sur ces investissements, il ne critique pas une opération de gestion déterminée, en sorte que sa demande d'expertise sur ce point ne répond pas aux critères de l'article L.225- 231 du code de commerce et doit être rejetée.
Enfin, l'article L. 225-231 instaure une procédure spéciale, qui déroge aux conditions édictées par les articles 872 et 873 du code de procédure civile, de sorte que le juge des référés est ici habilité à trancher la question préalable, soulevée par les intimés et à laquelle le premier juge n'a pas répondu, de l' irrecevabilité de la demande d'expertise de gestion à l'encontre de [B] [L] es qualité de directeur général de la société Etablissements [L].
A- Sur la qualité à défendre de [B] [L] en son nom personnel
Moyens des parties
12. [B] [L] soutient que seule a qualité pour défendre à une demande d'expertise de gestion, la société dont la gestion est mise en cause ou les sociétés qu'elle contrôle, à l'exclusion de toute autre personne et notamment d'un autre actionnaire, fût-il par ailleurs dirigeant de la société pour laquelle une expertise de gestion est sollicitée, ou du dirigeant de cette société.
13. [D] [L] oppose que [B] [L] est, suite à la démission du président [D]-[Y] [L], le seul dirigeant 'actif' de la société Etablissements et que dans la mesure où toutes les opérations suspectes dénoncées sont de son seul fait et qu'il détient seul les explications et documents qu'il devra communiquer à l'expert désigné, il est indispensable de le maintenir dans la cause.
Réponse de la cour
14. Il est constant que c'est la société, représentée par le président de son conseil d'administration, qui doit défendre à l'action engagée en application de l'article L. 225-231 du code de commerce, le rapport de l'expert lui étant destiné ainsi qu'aux demandeurs, et non le président à titre individuel. Il s'ensuit que ni le président du conseil d'administration à titre personnel, ni d'autres actionnaires, majoritaires ou non, n'ont à qualité à figurer comme défendeurs à l'instance (Com. 13 novembre 1972, n°71-12.393 ; Paris, 12 mars 1986, Rev. soc. 1986.238, D. 1986, I.R. 211, rendu sur renvoi de Com. 7 déc. 1983, Bull. civ. IV, no 345).
15. Il convient en conséquence de déclarer irrecevable la demande d'expertise de gestion formée à l'encontre de [B] [L] en son nom personnel et de mettre ce dernier hors de cause, l'ordonnance entreprise étant complétée de ce chef.
B- Sur les conditions de l'expertise de gestion
Moyens des parties
16. [D] [L] fait valoir en substance que sa demande d'expertise de gestion revêt un caractère sérieux, que le premier juge a ajouté au texte en exigeant la preuve d'un préjudice causé à la société par les opérations dénoncées alors que, selon l'article L225-231 du code de commerce, il suffit au requérant de démontrer le caractère suspect des opérations susceptibles de porter atteinte à l'intérêt social de l'entreprise.
Il précise que toutes les opérations dénoncées impliquent, soit [B] [L] seul, soit des sociétés dans lesquelles ce dernier a des intérêts, relevant ainsi des opérations réglementées de l'article L. 227-10 du code de commerce.
Il soutient que [B] [L] utilise son mandat au sein de la société Etablissements [L] au profit des sociétés dont il a le contrôle et/ou dont il est le dirigeant sans aucune transparence vis-à-vis des actionnaires de la société Etablissements [L].
Il dénonce la disparition des conventions réglementées du rapport du président lors de l'assemblée générale aux fins d'approbation des comptes de l'exercice clos au 31 décembre 2023.
Il énumère les opérations suspectes qui justifient selon lui l'expertise de gestion, à savoir notamment les refacturations de la société Holding [B] [L] à hauteur de 26 300 euros justifiées comme des prestations administratives, une facture de prestations par la SAS [L] à la société Vetermat en 2022, une facturation de Vetermat à Etablissements [L] en 2022 pour la somme de 101 591 euros sans justification suffisante de la part de [B] [L], des prêts de personnel aux sociétés Vetermat et MB Design, ainsi qu'un protocole de résiliation du bail commercial signé par [B] [L].
17. La société Etablissements [L] réplique en substance que l'article L225-231 du code de commerce prévoit que c'est uniquement lorsque l'actionnaire disposant d'au moins 5% du capital social n'a pas reçu de réponse dans le délai d'un mois ou de communication d'éléments de réponses satisfaisants après sa demande formulée par écrit au président du conseil d'administration sur des opérations de gestion, qu'il peut demander en référé la désignation d'un expert chargé de présenter un rapport sur des opérations de gestion. Elle soutient qu'en l'espèce, il a été adressé des explications complètes dans le délai légal d'un mois, ajoutant que l'appelant avait formulé des questions générales et non précises, alors que l'expertise de gestion doit porter sur des opérations de gestion déterminées, et non se confondre avec un audit général de la société.
Sur le caractère sérieux de la demande, elle relève que c'est au demandeur d'apporter des éléments laissant présumer l'existence d'irrégularités, ce qui fait défaut en l'espèce.
Sur les multiples opérations suspectées, elle fait valoir qu'elle a justifié par divers courriers de la légitimité des facturations.
Enfin, elle souligne qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir fait figurer dans le rapport spécial sur les conventions réglementées des contrats qui ne relèvent pas de cette qualification en application de l'article L. 227-10 du code de commerce, seul applicable à une société par actions simplifiées. Elle précise enfin que cet article impose que le commissaire aux comptes ou à défaut le président de la société présente annuellement un rapport aux associés sur les conventions réglementées et que ledit rapport, présenté à l'occasion de l'assemblée annuelle d'approbation des comptes doit uniquement être relatif aux conventions réglementées 'intervenues', c'est-à-dire celles qui ont été conclues au cours de l'exercice examiné, à l'exclusion des conventions conclues au cours d'exercices antérieurs et qui se sont poursuivis au cours de l'exercice considéré, de sorte que s'agissant des prestations accomplies par la société Holding [B] [L] pour le compte de la société Etablissements [L], celles-ci reposent sur une convention conclue antérieurement au 1er janvier 2023 et n'avait donc pas à être mentionnée dans le rapport spécial sur les conventions réglementées présentées au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2023.
Réponse de la cour
18. Il est constant que, par lettre du 30 mai 2024, [D] [L] a sollicité des explications sur certaines opérations de la société Etablissement [L] réalisées en 2022 et 2023, à savoir:
- Pour l'exercice clos le 31 décembre 2022, la sous-traitance effectuée par la société Holding [B] [L] au profit de la société Etablissement [L], ayant donné lieu à une
facturation de 26.300 euros ;
- La facturation de la somme de 114.000 euros de la société [L] à la société Vetermat au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2022 ;
- La facturation de la société Vetermat à la société [L], là encore pour l'exercice clos le 31 décembre 2022 ;
- La facturation de sociétés tierces à la société [L] en 2023 « pour des prestations et produits qui ont profité à la société Vetermat » ;
- Le prêt de personnel par la société [L] à la société Vetermat et à la société MB Design;
- Le loyer facturé par la société Etablissement [L] à la société Vetermat au titre de la sous-location de locaux consentie ;
- Le paiement par la société [L] de certaines factures d'avocat qui ne concerneraient que [B] [L], à savoir une somme de 2.160 euros au titre d'une facture du 17 mai 2023 et une facture du 2 février 2024 pour un montant de 2.220 euros ;
- Le protocole de résiliation du bail commercial liant la société [L] à la SCI Aroman, et plus précisément quant au montant de l'indemnité d'éviction qui a été convenu.
Il est tout aussi constant que par courrier en date du 26 juin 2024, soit dans le délai d'un mois prévu à l'article L. 225-31 du code de commerce, [B] [L] a, en sa qualité de directeur général de la société Etablissements [L], répondu à ces différents points.
Il convient d'examiner successivement les différents chefs de mission d'expertise sollicitée par [D] [L].
Sur les facturations réciproques entre la société Etablissements [L] et la société Vetermat au cours des exercices 2022 et 2023
19. Dans son courrier du 30 mai 2024, [D] [L] sollicitait des explications :
- d'une part, sur les sommes facturées par la société Etablissements [L] à la société Vetermat pour un montant de 114.000 euros au motif que cette facturation s'effectuait à marge 'quasi-nulle' pour la société [L],
- d'autre part, sur les sommes facturées par la société Vetermat à la société Etablissements [L] pour 2022, en réclamant 'le détail de ces facturations et [vos] explications sur les éventuels taux de marge appliqués et l'utilisation réelle par [L] des produits et/ou services facturés.'
Dans son courrier du 26 juin 2024, [B] [L], es qualité de directeur général de la société Etablissements [L] a répondu comme suit :
'- Facturation de prestations par [L] SAS à la société Vetermat pour 114.000 euros en 2022.
Cette facturation se ventile de la manière suivante :
- sous-location des locaux
- gestion de la paie
- matériaux acquis pour le compte de Vetermat.
Pour la part matériaux, ce chiffre d'affaires est généré par la demande de l'activité Vetermat sans aucune mise en oeuvre de la force commerciale de la société [L] SAS. Cette part de chiffre d'affaires n'existerait pas sans Vetermat.
La rémunération sur ce chiffre d'affaires est constituée par les BFA (bonifications de fin d'année) consenties par les fournisseurs (...)
- Facturation de Vetermat à [L] SAS pour l'exercice 2022.
Cette facturation se ventile de la manière suivante :
- mise à disposition de personnel
- prestations de découpe
- prestations de transport
- matériaux stockés par Vetermat.
Pour répondre spécifiquement aux exemples visés par votre courrier :
* Facture 4459 de janvier 2022/Mise à disposition de personnel pour 3075€
Le 24/12/2021, M. [F] achevait son contrat de cariste pour la société [L] SAS. Son remplacement par M. [C] datant du 7/02/2022, la fonction de cariste a été assurée dans l'intervalle par [K] [H], salarié de Vetermat (...)
* Facture 4487 d'avril 2022/ Frais de transport et déchargement 2ème trimestre 2022 pour 10.785 €
La société [L] SAS est amenée à solliciter de la société Vetermat l'utilisation de son camion poids-lourd grue et la mise à disposition de son chauffeur (salarié Vetermat) pour réaliser les livraisons clients ou enlèvements fournisseurs.
La facturation visée par votre courrier correspond à la contrepartie de cette prestation de service de Vetermat au profit de [L] SAS.
Pour les autres factures de l'année, il s'agit soit de prestations de découpe, soit de vente de matériaux stockés par Vetermat et que la société [L] SAS ne pourrait approvisionner au détail sans supporter des surcoûts (décolisage, frais de transport).'
20. Les éléments de réponse ainsi apportés apparaissent satisfaisants et il n'est pas rapporté la preuve de présomptions d'irrégularité affectant ces facturations, étant souligné que, s'agissant des sommes facturées par la société Vetermat à la société Etablissements [L], si [D] [L] soutient qu'il n'est pas apporté de précision sur le personnel mis à disposition, les prestations de découpe facturées, les prestations de transport et de matériaux stockés par la société Vetermat, les factures de celle-ci à la société Etablissements [L] pour l'année 2022 sont produites aux débats et détaillent les sommes facturées chaque mois.
Sur les opérations de prêt de personnel entre la société Etablissements [L], la société Vetermat et la société MB Design
21. Dans son courrier du 30 mai 2024, [D] [L] soutenait que la société Etablissements [L] prêtait du personnel à la société Vetermat ainsi qu'à la société MB Design, précisant qu' 'il s'agit principalement de deux salariés, en l'espèce, la responsable comptable Mme [R] [U] qui travaille pour la société MB Design sans aucune refacturation (environ 40% du temps plein) et également de M. [J] [A] employé magasinier qui travaille à plus de 80% de son temps pour Vetermat et MB Design alors qu'il est payé à 100% par la société [L]'. Il sollicitait ainsi des explications sur 'l'absence de tout contrat ou refacturation entre les sociétés concernant ce prêt de main d'oeuvre qui est purement et simplement illicite et s'assimile même à du travail dissimulé.'
Dans son courrier du 26 juin 2024, [B] [L], es qualité de directeur général de la société Etablissements [L], conteste toute opération de prêt de personnel et explique que [R] [U] et [J] [A] sont tous les deux employés à temps partiel de la société [L] et que leur temps de travail effectif au bénéfice de celle-ci est conforme à leur rémunération.
22. Cette réponse apparaît satisfaisante alors que l'appelant ne démontre pas l'existence de présomptions d'irrégularités sur ce point, étant observé que l'intimée produit devant la cour les bulletins de paie des deux salariés précités qui établissent que le salaire qui leur est versé par la société Etablissements [L] correspond bien au temps de travail de ces derniers au sein de la société.
Sur les facturations de la société Holding [B] [L] à la société Etablissements [L]
23. Dans son courrier du 30 mai 2024, [D] [L] sollicitait des explications sur la somme de 26.300 euros facturée au titre de la sous-traitance effectuée par la société Holding [B] [L], faisant valoir qu'une société holding n'avait 'par définition aucune fonction opérationnelle' et soutenant que cette facturation ne correspondrait 'à aucune prestation effectivement réalisée par [la société Holding [B] [L]]'.
Dans son courrier du 26 juin 2024, [B] [L], es qualité de directeur général de la société Etablissements [L] répliquait que contrairement à ce qui était soutenu, une société holding peut avoir une fonction animatrice et opérationnelle, que c'était le cas de la Holding [B] [L] 'qui réalise des tâches administratives et commerciales pour le compte de [L] SAS'. Elle précisait que [D] [L] n'était pas sans ignorer que l'intégralité de la facturation mensuelle de la société Etablissements [L] était assurée par la société Holding [B] [L], par l'intermédiaire de sa salariée [Z] [S] et que la société Holding [B] [L] apportait également 'un soutien important et quotidien à l'accueil commercial ainsi qu'au service comptabilité de la société [L]'.
24. Une telle réponse apparaît satisfaisante, étant ajouté qu'il n'est pas démontré l'existence de présomptions d'irrégularités ou d'atteinte à l'intérêt social de la société Etablissements [L].
En effet, si l'appelant soutient que la même somme est facturée par la société Holding [B] [L] à la société Vetermat, il n'en justifie pas, alors même que, comme le souligne justement l'intimée, si le procès-verbal de l'assemblée générale de la société Vetermat fait effectivement ressortir l'existence d'une refacturation par la société Holding [B] [L] à la société Vetermat de frais de fonctionnement, la somme n'est pas identique (50.400 euros) à celle que la société Holding [B] [L] facture à la société Etablissements [L] (26.300 euros).
Enfin, il sera observé que si [D] [L] demande que l'expertise de gestion porte également sur les refacturations de la société Holding [B] [L] à la société Etablissements [L] au cours des exercices 2023 et 2024, il ne peut en tout état de cause pas être fait droit à cette demande dès lors que celle-ci ne figurait pas dans sa lettre du 30 mai 2024 qui se limitait au seul exercice clos le 31 décembre 2022.
Sur le bail de sous location de la SAS Etablissements [L] à Vetermat
25. Dans son courrier du 30 mai 2024, [D] [L] réclamait des explications sur le bail de sous-location liant la société Etablissements [L], bailleur, à la société Vetermat, sous-locataire, au motif que le loyer facturé lui 'semble largement sous-évalué' au regard des loyers pratiqués dans le secteur.
Dans son courrier du 26 juin 2024, [B] [L], es qualité de directeur général de la société Etablissements [L], répond que le montant du loyer du bail de sous-location est calculé sur la base du loyer principal liant la société Etablissements [L], en qualité de preneur principal, à la SCI Aroman, en qualité de bailleur, au prorata des surfaces occupées par chaque structure, précisant que '[L] SAS loue 1500 m² (...) et sous-loue à Vetermat 350 m² (...) soit 23% du local principal. Appliqué au loyer du bail principal entre la société [L] et la SCI Aroman, ce pourcentage donne lieu à un loyer mensuel de sous-location de 1100 euros, qui correspond très exactement à la somme facturée à ce titre par [L] à Vetermat.' Elle rappelle en outre à [D] [L] qu'il est associé à 50% de la société Aroman dont il approuve les comptes annuels et qu'il a, à ce titre, une parfaite connaissance des loyers appliqués par la SCI aux sociétés d'exploitation.
26. La réponse apportée apparaît ainsi satisfaisante et il n'est pas démontré de présomptions d'irrégularités ni d'atteinte à l'intérêt social de la société Etablissements [L].
Sur le partage des factures d'énergie entre la société Etablissements [L] et les sociétés du groupe [B] [L]
27. Dans son courrier du 30 mai 2024, [D] [L] s'étonne de ce que 'la facture globale d'énergie (EDF) est supportée à 100% par [L] alors que la principale consommatrice (plus de 80%) est la société Vetermat qui dispose d'un atelier de découpe énergivore.'
28. En premier lieu, l'intimée observe pertinemment que le courrier du 30 mai 2024, préalable à la demande d'expertise de gestion, ne porte que sur la question de la répartition du coût de l'énergie entre cette dernière et la société Vetermat, de sorte que [D] [L] n'est pas fondé à solliciter une expertise de gestion sur 'le partage des factures d'énergie entre Etablissements [L] et les sociétés du groupe [B] [L]', seules les opérations de gestion visées dans la demande d'information préalable pouvant, en l'absence de réponse ou de réponse satisfaisante apportée à l'actionnaire, donner lieu à une expertise de gestion.
29. En second lieu, la réponse apportée par [B] [L], es qualité de directeur général de la société Etablissement [L], dans son courrier du 26 juin 2024 apparaît satisfaisante dès lors qu'elle indique : 'Nous prenons note de vos observations relativement à la répartition de la charge des factures d'énergie entre les différentes sociétés. Cette situation de fait n'est probablement plus justifiée en pratique compte tenu de l'évolution des activités des différentes sociétés du site et nous prenons au sérieux cette légitime remarque. Il me paraît cependant en l'état impossible de retenir une répartition du coût de l'énergie, les pourcentages évoqués dans votre courrier ne me paraissant reposer sur aucun élément objectif tangible. Dans le but de définir une clé de répartition équitable (...), j'ai pris la décision de faire procéder à un audit énergétique aux fins d'examen et d'analyse de l'usage et des consommations énergétiques de l'ensemble des structures du site. Je me rapproche d'un bureau d'étude énergétique à cette fin et soyez assuré que je ne manquerai pas de tirer les conséquences qui s'imposeront le cas échéant des conclusions de cet audit.'
30. Aucune présomption d'irrégularité ou de contrariété à l'intérêt social n'étant établie, il n'y a pas lieu à ordonner une expertise de gestion de ce chef.
Sur le protocole de résiliation du bail commercial de la SAS Etablissements [L] signé par [B] [L] en qualité de Directeur Général et également en qualité de gérant de la SCI bailleresse, SCI Aroman
31. Dans son courrier du 30 mai 2024, [D] [L] sollicite 'toute explication sur le protocole de résiliation du bail commercial dont bénéficie la société [L] auprès de la SCI Aroman qui est d'ailleurs la locataire principale.', estimant que ce protocole va à l'encontre des intérêts de la société Etablissements [L] puisque celle-ci 'renonce à toute procédure au titre de l'indemnité d'éviction, laquelle est chiffrée à une somme extrêmement modique à savoir une indemnité de résiliation chiffrée arbitrairement à 26.075 € au profit d'ETS [L], alors que sa sous-locataire VETERMAT se voit allouer 102.702 €'.
32. Dans sa réponse du 26 juin 2024, [B] [L], es qualité de directeur général de la société Etablissements [L], expose que : 'Comme vous le savez en votre qualité d'associé de la société [L], tout comme d'associé égalitaire de la société Aroman, la société Aroman a consenti par acte du 30 janvier 2024 une promesse unilatérale de vente de l'ensemble immobilier dans lequel se situent les locaux donnés à bail à la société [L] SAS. Vous avez agréé le principe de cette cession, tout comme ses modalités, lesquelles prévoyaient expressément les montants proposés au titre des indemnités de rupture anticipée des baux des différentes sociétés occupantes (locataires et sous-locataires). Ces montants ont été définis et négociés avec le cessionnaire de l'ensemble immobilier par la société Aroman, en fonction de la réalité des coûts de transferts des différentes structures occupantes qui comme vous le savez bénéficient d'une promesse de bail dans des locaux situés à [Localité 8], sans pas de porte. Les montants négociés au bénéfice des différentes sociétés occupantes ont été fixés précisément en fonction des coûts de déménagement de chacune d'elles. Les montants des indemnités ont été dument validés par vos soins en qualité d'associé de la société Aroman. Dans ce contexte, vos critiques nous semblent fallacieuses puisque portant sur des actes auxquels vous avez vous-même prêté votre concours et qui ont été mis en oeuvre en vertu d'un mandant exprès donné par vos soins au dirigeant de la société Aroman.'
33. Malgré cette réponse, [D] [L] maintient sa demande d'expertise de gestion, faisant valoir qu'il y a confusion entre les indemnités de rupture anticipée et les indemnités de déménagement et que la réponse apportée n'explique pas pourquoi la société Etablissements [L] est la moins bien servie dans le cadre des résiliations ce, au bénéfice des autres sociétés de [B] [L], reprochant à ce dernier d'avoir signé seul un protocole de résiliation avec lui-même en qualité de gérant de la société Aroman, bailleresse, allouant à la société Etablissements [L] la somme dérisoire de 26.075 euros, au surplus sans qu'aucun congé n'ait été donné par le bailleur.
34. En premier lieu, comme le fait justement observer l'intimée, l'évaluation des indemnités de résiliation, aux termes des protocoles transactionnels conclus entre la SCI Aroman et les différents preneurs de son immeuble, ne peut être qualifiée à proprement parler d'opération de gestion de la société Etablissements [L], dès lors que c'est la SCI Aroman qui a négocié et fixé le montant de l'indemnité avec chacun des preneurs, dont la société Etablissements [L], étant précisé que c'est sur la seule SCI Aroman que pèse l'obligation prévue par la promesse de vente conclue avec la société Demathieu et Bard de répartir le montant global affecté aux indemnités de résiliation et de déménagement prévus par ladite promesse entre les différents preneurs.
35. En deuxième lieu, sur le grief tiré de la confusion entre les indemnités de rupture anticipée et les indemnités de déménagement, l'intimée conteste celle-ci, répliquant que dans la mesure où la société Etablissements [L] bénéficie d'une promesse de bail sans pas de porte, son préjudice se limite à ses frais de déménagement et de réinstallation dans ses nouveaux locaux. Cette réponse apparaît satisfaisante et n'est donc pas de nature à justifier la demande d'expertise de gestion.
36. En troisième lieu, est inopérant le grief tiré de ce que le protocole aurait été signé sans qu'un congé n'ait été donné par le bailleur, dès lors que le protocole, qui consiste en une résiliation anticipée amiable du contrat de bail, stipule que les parties sont convenues que le contrat de bail sera résilié à la date du 30 juin 2025 'sous condition résolutoire tenant à l'absence de réitération de la promesse consentie par le bailleur à la société Demathieu et Bard Immobilier au plus tard le 31 juillet 2025".
37. Aucune présomption d'irrégularité ou de contrariété à l'intérêt social n'est donc établie de ce chef.
Sur la demande de voir décrites et chiffrées les opérations et flux entre la société Etablissements [L] et les sociétés Vetermat, MB Design, AB Construction et Holding [B] [L] pour les exercices 2022, 2023, 2024
38. Il ne peut être fait droit à cette demande dès lors, d'une part, qu'elle n'a pas été précédée d'une demande d'information préalable conformément aux dispositions de l'article L. 225-231 du code de commerce, d'autre part, qu'elle a une portée générale et ne porte pas sur une ou des opérations de gestion clairement identifiées à propos desquelles existent des présomptions d'irrégularités ou d'atteinte à l'intérêt social.
Sur la demande portant sur les opérations entre la société Etablissements [L] et les sociétés dont [B] [L] a le contrôle et/ou la direction 'à savoir Sarl Vetermat, société MB Design, société AB Construction et SCI Aroman'
39. Pour les mêmes motifs, il ne saurait être fait droit à cette demande dès lors, d'une part, qu'elle n'a pas été précédée d'une demande d'information préalable, le courrier du 30 mai 2024 de [D] [L] ne sollicitant pas d'information quant aux relations entre la société Etablissements [L] et la société AB Construction et se limitant, s'agissant de la société MB Design, à solliciter des précisions quant aux opérations de prêt de personnel avec la société Etablissements [L], d'autre part, qu'elle a une portée générale et ne porte pas sur une ou des opérations de gestion clairement identifiées à propos desquelles existent des présomptions d'irrégularités ou d'atteinte à l'intérêt social.
Sur la demande que l'expert décrive plus généralement tous les flux de trésorerie ou flux financiers entre la société Etablissements [L] et les sociétés dont [B] [L] a le contrôle ou le direction
40.Ainsi que le relève justement l'intimée, une telle demande ne peut relever du périmètre d'une expertise de gestion, faute de viser une ou des opérations de gestion clairement identifiées.
41. Au regard de l'ensemble de ce qui précède, c'est à bon droit que le tribunal a débouté [D] [L] de sa demande de désignation d'un expert en application de l'article L. 225-231 du code de commerce, l'ordonnance entreprise étant confirmée de ce chef.
Sur la demande subsidiaire d'expertise fondée sur l'article 145 du code de procédure civile
Moyens des parties
42. Soutenant que l'expertise in futurum coexiste de façon autonome avec l'expertise de gestion, [D] [L] sollicite, à titre subsidiaire et sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, une expertise en vue d'engager une action sociale ut singuli à l'encontre de [B] [L], en réparation du préjudice subi par la société Etablissements [L], au regard selon lui des conventions réglementées non approuvées initiées par [B] [L] en sa qualité de directeur général de la société Etablissements [L].
43. Les intimés répliquent que l'expertise fondée sur l'article 145 du code de procédure civile ne peut avoir un objet identique à l'expertise de gestion qui doit être sollicitée sur le seul fondement de l'article L225-231 du code de commerce, la Cour de cassation ayant récemment précisé, dans son arrêt publié au Bulletin Cass. Com, 11 septembre 2024, 22-24.160, 23-12.681, l'articulation entre ces deux expertises dont la finalité n'est pas la même et qui ne sont pas interchangeables au gré des désirs du demandeur. Ils soutiennent ainsi que l'article 145 du code de procédure civile ne saurait être dévoyé pour contourner le fait que la demande principale, fondée sur l'article L. 225-31 du code de commerce serait rejetée, faute de démontrer que les conditions d'application prévues par ce texte sont réunies.
En outre, ils rappellent que l'expertise doit être sollicitée avant tout procès alors qu'en l'espèce, deux procédures sont actuellement pendantes, l'une initiée par [D] [L] devant le tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins de révocation de [B] [L] de ses fonctions de gérant de la SCI Aroman, l'autre initiée par la société Holding [B] [L] devant le tribunal de commerce de Bordeaux aux fins de dissolution judiciaire anticipée de la société Etablissements [L].
Réponse de la cour
44. Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
L'absence d'instance au fond, qui constitue une condition de recevabilité de la demande formée en application de l'article 145 précité, s'apprécie à la date de saisine du juge.
45. En l'espèce, [D] [L] a, par assignation délivrée le 18 juillet 2024, saisi le juge des référés du tribunal de commerce d'une demande d'expertise de gestion sur le fondement de l'article L. 225-231 du code de commerce.
Aux termes de ses dernières conclusions devant le juge des référés, [D] [L] a sollicité, à titre subsidiaire, dans le cas où sa demande d'expertise de gestion serait rejetée, que soit ordonnée une expertise sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.
La date desdites conclusions n'étant toutefois pas précisée dans l'ordonnance dont appel et ces conclusions n'étant pas produites aux débats, il n'est pas établi avec certitude qu'au jour où le juge des référés a été effectivement saisi de cette demande d'expertise in futurum, un procès au fond était intenté, [D] [L] ayant, par actes des 30 juillet et 5 août 2024, assigné [B] [L] devant le tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins de révocation de ses fonctions de gérant de la SCI Aroman, étant au surplus observé que la société Etablissements [L] n'est pas partie à cette affaire.
Le moyen tiré de l'irrecevabilité de la demande d'expertise liée à la condition d'absence de procès, sera donc écarté.
46. Dans un arrêt publié au Bulletin du 11 septembre 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé qu'en ordonnant, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, une mesure d'expertise qui ne visait, en réalité, qu'à fournir aux actionnaires minoritaires demandeurs des informations sur des opérations de gestion, relevant comme telles du mécanisme prévu à l'article L. 225-231 du code de commerce, et non à conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, la cour d'appel avait violé, par fausse application, l'article 145 susvisé. (Com., 11 septembre 2024, pourvoi n°23-12.681, 22-24.160).
47. Au cas d'espèce, [D] [L] demande, à titre subsidiaire et au visa de l'article 145 du code de procédure civile, à ce que soit ordonnée une expertise 'telle que sollicitée ci-dessus', l'expert désigné sur le fondement dudit texte se voyant confier une mission strictement identique à celle sollicitée sur le fondement de l'expertise de gestion.
Il apparaît ainsi que, contrairement à ce que soutient l'appelant, cette prétention ne tend pas à à conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige mais vise en réalité à obtenir l'analyse par un expert de différentes opérations de gestion, ce qui relève du mécanisme prévu à l'article L. 225-231 du code de commerce.
Or, alors que [D] [L] a été ci-avant débouté de sa demande principale d'expertise de gestion faute de démontrer que les conditions d'application prévues par ce texte sont réunies, il ne saurait être fondé, sauf à détourner l'article L. 225-231 de sa finalité, à solliciter une expertise fondée sur l'article 145 du code de procédure civile, strictement identique à celle réclamée dans sa demande principale et visant les éléments invoqués au soutien de son expertise de gestion.
48. En conséquence, en l'absence de motif légitime, [D] [L] sera débouté de sa demande d'expertise fondée sur l'article 145 du code de procédure civile, l'ordonnance entreprise étant confirmée de ce chef.
Sur la procédure abusive
49. L'exercice d'une action en justice de même que la défense à une telle action constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à l'octroi de dommages et intérêts que lorsque est caractérisée une faute en lien de causalité directe avec un préjudice.
50. En l'espèce, un tel comportement de la part de l'appelant n'est pas caractérisé. [B] [L] sera en conséquence débouté de sa demande de dommages et intérêts de ce chef.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
51. L'ordonnance entreprise sera confirmée en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.
52. L'appelant, qui succombe en son recours, en supportera la charge et sera équitablement condamné à la somme de 4.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance déférée, sauf à la compléter en déclarant irrecevable la demande d'expertise de gestion formée à l'encontre de [B] [L] en son nom personnel,
Y ajoutant,
Déboute [B] [L] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
Condamne [D] [L] à payer à [B] [L] et la société Etablissements [L], ensemble, la somme de 4.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne [D] [L] aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président