CA Chambéry, 1re ch., 7 octobre 2025, n° 24/01386
CHAMBÉRY
Autre
Autre
MR/SL
N° Minute
[Immatriculation 7]/565
COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
Chambre civile - Première section
Arrêt du Mardi 07 Octobre 2025
N° RG 24/01386 - N° Portalis DBVY-V-B7I-HSSH
Décision attaquée : Ordonnance du Président du TJ d'[Localité 10] en date du 26 Août 2024
Appelant
M. [R] [T], demeurant [Adresse 5]
Représenté par la SAS ANDERLAINE, avocats postulants au barreau de CHAMBERY
Représenté par Me Marie BELLOC, avocat plaidant au barreau de LYON
Intimés
M. [L] [I]
né le [Date naissance 1] 1985 à [Localité 12], demeurant [Adresse 11]
Représenté par Me Véronique RAYNAUD, avocat postulant au barreau d'ANNECY Représenté par la SELARL RC AVOCATS, avocats plaidants au barreau de LYON
ONIAM OFFICE NATIONAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS MEDICAUX DES AFFECTIONS IATROGENES ET DES INFECTIONS, dont le siège social est situé [Adresse 14]
Représenté par la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE-CHAMBERY, avocats postulants au barreau de CHAMBERY
Représentée par la SELARL DE LA GRANGE ET FITOUSSI AVOCATS, avocats plaidants au barreau de PARIS
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA LOIRE, dont le siège social est situé [Adresse 2]
Compagnie d'assurance MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, dont le siège social est situé [Adresse 4]
M. [O] [H]
né le [Date naissance 8] 1981 à [Localité 13], demeurant [Adresse 6]
Sans avocats constitués
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Date de l'ordonnance de clôture : 10 Juin 2025
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 02 septembre 2025
Date de mise à disposition : 07 octobre 2025
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Composition de la cour :
- Mme Nathalie HACQUARD, Présidente,
- Mme Myriam REAIDY, Conseillère,
- M. Guillaume SAUVAGE, Conseiller,
avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,
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Faits et procédure
M. [O] [H], né le [Date naissance 8] 1981 et présentant des gonalgies, a subi deux opérations chirurgicales auprès du Dr [T] en 2014 afin de réduire la lésion du ménisque du genou droit, ainsi que d'ôter l''il de perdrix du 4ème orteil, et celui du 5ème orteil. Il affirme qu'à la suite, une raideur du pied a été constatée, ainsi qu'une métatarsalgie, et le port de semelles orthopédiques est devenu nécessaire. En janvier 2023, le Dr [I] a réalisé une intervention permettant l'allongement des fibres blanches du jumeau médial ainsi qu'une section du plantaire grêle, pour améliorer son état de santé. Il expose que les douleurs persistent et à la suite de consultations médicales, une atteinte sur le nerf sural a été observée.
Par actes d'huissier des 25 et 26 juin 2024, M. [H] a assigné le Dr [R] [T], le Dr [L] [I], l'ONIAM, la CPAM de la Loire, et la société MMA Iard Assurances Mutuelles devant le juge des référés du tribunal judiciaire d'Annecy notamment aux fins de voir ordonner une expertise médicale.
Par ordonnance du 26 août 2024, le président du tribunal judicaire d'Annecy, avec le bénéfice de l'exécution provisoire, a notamment :
- Ordonné une mesure d'expertise ;
- Commis Dr [G] [K], [Adresse 3] 06.62.26.87.88 [Courriel 9]
- Dit que l'expert aura pour mission :
Après avoir recueilli les renseignements nécessaires sur l'identité de la victime et sa situation, les conditions de son activité professionnelle, son niveau scolaire s'il s'agit d'un enfant ou d'un étudiant, son statut et/ou sa formation s'il s'agit d'un demandeur d'emploi, son mode de vie antérieure à l'accident et sa situation actuelle ;
- à partir des déclarations de la victime, au besoin de ses proches et de tout sachant, et des documents médicaux fournis (certificat médical initial, certificats de prolongation et de consolidation, certificats médicaux, tous compte-rendu de soins, d'intervention, d'opérations et d'examens, résultats d'analyses...) décrire en détail les lésions initiales et les modalités de traitement, en précisant le cas échéant, les durées exactes d'hospitalisation et, pour chaque période d'hospitalisation, le nom de l'établissement, les services concernés et la nature des soins;
- Rappelé qu'à défaut d'obtenir la remise des pièces qui lui sont nécessaires l'expert pourra être autorisé par le juge chargé du contrôle des expertises à déposer son rapport en l'état ; que toutefois, il pourra se faire communiquer directement, avec l'accord de la victime ou de ses ayants-droits par tous tiers : médecins, personnels paramédicaux, établissements hospitaliers et de soins, toutes pièces médicales qui ne lui auraient pas été transmises par les parties et dont la production lui paraîtra nécessaire ;
- Dit que l'expert devra s'assurer, à chaque réunion d'expertise, de la communication aux parties des pièces qui lui ont été remises, dans un délai permettant leur étude conformément au principe de contradiction, que les documents d'imagerie médicale pertinents seront analysés de façon contradictoire lors des réunions d'expertise et que les pièces seront numérotées en continu et accompagnées d'un bordereau récapitulatif ;
- Recueillir les doléances de la victime et au besoin de ses proches ; l'interroger sur les conditions d'apparition des lésions, l'importance des douleurs, la gêne fonctionnelle subie et leurs conséquences ;
- Décrire au besoin un état antérieur en ne retenant que les seuls antécédents qui peuvent avoir une incidence sur les lésions ou leurs séquelles ; Décrire l'état de santé de M. [H] préalablement à sa prise en charge par le Docteur [I] ;
- Rechercher si les actes médicaux réalisés étaient indiqués, si le diagnostic pouvait être établi avec certitude et si les soins ou actes médicaux ont été attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science médicale ;
- Décrire les actes de prévention, de diagnostic et de soins pratiqués par chacun des praticiens et dire s'ils ont été attentifs, consciencieux, diligents et conformes aux règles de l'art et aux données acquises de la science à l'époque des faits ;
- Rechercher si le patient a reçu une information préalable et suffisante sur les risques que lui faisait courir l'intervention et si c'est en toute connaissance de cause qu'il s'est prêté à cette intervention ;
- Analyser le cas échéant, de façon détaillée et motivée la nature des erreurs, imprudences, manques de précaution nécessaires, négligences, pré, per ou post-opératoires, maladresses ou autres défaillances de nature à caractériser une faute en relation de cause à effet direct et certaine avec le préjudice allégué ;
- Dire si celles-ci sont en relation de cause à effet directe et certaine avec les préjudices invoqués par M. [H] ;
- En cas de pluralité d'intervenants, fournir tous éléments permettant d'apprécier la responsabilité des différents intervenants et praticiens et indiquer la part de responsabilité de chacun dans la réalisation du dommage ;
- S'il s'agit d'une seule perte de chance, qualifier en quoi il existe un lien de causalité certain entre le manquement retenu et la perte d'une chance d'avoir pu bénéficier d'une issue plus favorable, et préciser alors quelle est la proportion de la chance perdue (en pourcentage) ;
- Préciser s'il s'agit d'un accident médical non fautif, à savoir un risque accidentel inhérent à l'acte médical et qui ne pouvait être maîtrisé, en en expliquant le taux de survenue et sa prévisibilité au regard de la pathologie initiale ;
- Dire si les lésions et séquelles relèvent d'une infection ou plusieurs infections ;
- Dans cette hypothèse préciser si celles-ci sont de nature nosocomiales ou relèvent d'une cause extérieure et étrangère à l'hospitalisation ;
- Dans l'hypothèse d'une infection nosocomiale, préciser la date d'apparition des premiers signes infectieux ; Déterminer la nature du ou des germes ;
- Préciser également à quelle prise en charge et dans quel établissement cette infection se rapporte et déterminer les préjudices qui y sont strictement et exclusivement imputables;
- Dire si l'acte médical litigieux a eu pour la victime des conséquences anormales au regard de son état de santé initial comme de l'évolution prévisible de celui-ci et de dire s'il s'agit d'un accident médical, d'une affection iatrogène ou d'une infection nosocomiale ;
- Dans l'affirmative, préciser : si les séquelles présentées par la victime sont notablement plus graves que celles auxquelles aurait été probablement exposée à court ou moyen terme, en l'absence du traitement ou des actes de soins désignés comme litigieux ;
- le pourcentage de survenue de ce type de complication dans les suites de l'intervention ou des soins en causes, au vu des connaissances médicales actuelles ;
- Procéder, en présence des médecins mandatés par les parties avec l'assentiment de la victime, à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par la victime ; Rappelons que l'expert devra procéder à l'examen clinique, en assurant la protection de l'intimité de la vie privée de la personne examinée ainsi que le secret médical pour des constatations étrangères à l'expertise et, qu'à l'issue de cet examen, en application du principe de contradiction, il informera les parties et leurs conseils de façon circonstanciée de ses constatations et de leurs conséquences ;
- A l'issue de cet examen analyser dans un exposé précis et synthétique :
- la réalité des lésions initiales
- la réalité de l'état séquellaire
- l'imputabilité directe et certaine des séquelles aux lésions initiales en précisant au besoin l'incidence d'un état antérieur.
Au visa principalement des motifs suivants :
M. [H] verse aux débats les éléments relatifs à son état de santé comprenant les certificats médicaux, les comptes-rendus opératoires, d'IRM, de radiographies et d'EMG ainsi que les courriers des médecins démontrant la présence d'une pathologie ;
Il en découle un motif légitime à obtenir la désignation d'un expert judiciaire compte-tenu de la persistance de ses douleurs.
Par déclaration au greffe de la cour d'appel du 8 octobre 2024, M. [T] a interjeté appel de la décision seulement en ce qu'elle a :
- Rappelé qu'à défaut d'obtenir la remise des pièces qui lui sont nécessaires l'expert pourra être autorisé par le juge chargé du contrôle des expertises à déposer son rapport en l'état ; que toutefois, il pourra se faire communiquer directement, avec l'accord de la victime ou de ses ayants-droits par tous tiers : médecins, personnels paramédicaux, établissements hospitaliers et de soins, toutes pièces médicales qui ne lui auraient pas été transmises par les parties et dont la production lui paraîtra nécessaire.
Prétentions et moyens des parties
Par dernières écritures du 18 décembre 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique et signifiées à la CPAM, la société MMA Iard Assurances et M. [H] par actes d'huissier des 13 et 17 janvier 2025, M. [T] sollicite l'infirmation des chefs critiqués de la décision et demande à la cour de :
- Le recevoir en ses écritures, les disant bien fondées ;
- Infirmer la décision attaquée en ce qu'elle autorise l'Expert à se faire communiquer directement « par tous tiers : médecins, personnels paramédicaux, établissements hospitaliers et de soins, toutes pièces médicales qui ne lui auraient pas été transmises par les parties et dont la production lui paraîtra nécessaire » « avec l'accord de la victime ou de ses ayants-droits » ;
Et statuant à nouveau,
- Dire qu'il pourra produire les éléments, pièces, y compris médicales, nécessaires à sa défense dans le cadre des opérations d'expertise à intervenir, sans que les règles du secret médical ne puissent lui être opposées ;
- Statuer ce que de droit sur les dépens.
Au soutien de ses prétentions, M. [T] fait notamment valoir que :
L'exercice des droits de la défense du praticien se trouvent nécessairement mis à mal dans la mesure où la production de pièces médicales - préalable requis à toute opération d'expertise se trouve entièrement subordonné à l'autorisation du patient et à sa bonne volonté, alors qu'il est son adversaire au procès.
Or, la libre faculté laissée à une partie d'interdire à une autre de produire des pièces nécessaires à sa défense engendre une atteinte manifestement disproportionnée à l'égalité des armes ;
Cette atteinte constitue une violation en soi des droits de la défense, quelle que soit la valeur de l'intérêt qui y est opposé.
Par dernières écritures du 5 février 2025, régulièrement notifiées par voie de communication électronique et signifiées à la CPAM, la société MMA Iard Assurances et M. [H] par actes d'huissier des 12, 14 et 17 février 2025, M. [I] demande à la cour de :
- Déclarer recevable et bien fondé son appel incident ;
- Infirmer l'ordonnance dont appel en ce qu'elle a donné mission à l'expert judiciaire de : « Rappelons qu'à défaut d'obtenir la remise des pièces qui lui sont nécessaires l'expert pourra être autorisé par le juge chargé du contrôle des expertises à déposer son rapport en l'état ; que toutefois il pourra se faire communiquer directement, avec l'accord de la victime ou de ses ayants droits par tous tiers : médecins, personnels paramédicaux, établissements hospitaliers et de soins, toutes pièces médicales qui ne lui auraient pas été transmises par les parties et dont la production lui paraitra nécessaire.» ;
Et statuant à nouveau,
- Juger qu'il sera autorisé à communiquer ou demander la communication de toutes pièces médicales strictement nécessaires à l'exercice de ses droits, sans que puisse lui être opposé le secret médical ;
- Statuer ce que de droit sur les dépens.
Au soutien de ses prétentions, M. [I] fait notamment valoir que dans un souci de bonne administration de la justice, il est nécessaire que les praticiens aient la possibilité de confier à l'Expert l'ensemble des pièces médicales qu'ils estimeraient strictement nécessaires à leur défense, sans que leur patient, aujourd'hui en demande, ait la possibilité de sélectionner les pièces médicales dans son seul intérêt.
Par dernières écritures du 7 février 2025, régulièrement notifiées par voie de communication électronique et signifiées à la CPAM, la société MMA Iard Assurances et M. [H] par actes d'huissier des 13 et 18 février 2025, l'ONIAM demande à la cour de :
- Le recevoir en ses écritures, et les dire bien fondées ;
- Infirmer l'ordonnance rendue par le tribunal judiciaire d'Annecy en ce qu'elle a subordonné la production de pièces par les parties à l'autorisation de M. [H] ou de son représentant ;
Statuant de nouveau,
- Juger que les parties défenderesses pourront communiquer toutes pièces médicales relatives à l'accident et nécessaires à leur défense ;
- Condamner tout succombant à lui verser la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
- Rejeter toute autre demande.
Au soutien de ses prétentions, l'ONIAM fait notamment valoir que l'exigence d'un accord préalable de la victime met en péril le droit à un procès équitable, reconnu par l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, dès lors qu'elle soumet la défense des parties à l'arbitraire du demandeur.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.
Une ordonnance du 10 juin 2025 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été retenue à l'audience du 2 septembre 2025.
MOTIFS ET DECISION
L'ordonnance entreprise du 26 août 2024 est critiquée par les appelants uniquement en ce qu'elle a subordonné, dans les chefs de la mission confiée à l'expert, la communication des pièces médicales à l'accord préalable de la victime.
L'article L. 1110-4 du code de la santé publique dispose :
'I.-Toute personne prise en charge par un professionnel de santé, un établissement ou service, un professionnel ou organisme concourant à la prévention ou aux soins dont les conditions d'exercice ou les activités sont régies par le présent code, le service de santé des armées, un professionnel du secteur médico-social ou social ou un établissement ou service social et médico-social mentionné au I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant.
Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel, de tout membre du personnel de ces établissements, services ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s'impose à tous les professionnels intervenant dans le système de santé.
L'article 4 du décret du 6 septembre 1995 portant Code de déontologie médicale, devenu l'article R. 4127-4 du Code de la santé publique, prévoit quant à lui que :
'Le secret professionnel institué dans l'intérêt des patients s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi.
Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris'.
La violation du secret médical se trouve par ailleurs pénalement incriminée à l'article 226-13 du code pénal.
Au visa de ces dispositions, il a ainsi été jugé que « le juge civil ne peut, en l'absence de disposition législative spécifique, contraindre un établissement de santé à lui transmettre des informations couvertes par le secret sans l'accord de la personne concernée ou de ses ayants droit , le secret médical constituant un empêchement légitime que l'établissement de santé a la faculté d'invoquer ; il appartient alors au juge saisi sur le fond d'apprécier, en présence de désaccord de la personne concernée ou de ses ayants droits, si celui-ci tend à faire respecter un intérêt légitime ou à faire écarter un élément de preuve et d'en tirer toute conséquence » (Cour de cassation, Civ 1ère, 7 décembre 2004, n°01-02.338).
De même, il a été jugé que l'assureur ne peut produire un document couvert par le secret médical (expertise médicale réalisée par l'un de ses médecins-conseils et d'un compte-rendu d'hospitalisation) intéressant le litige, qu'à la condition que l'assuré ait renoncé au bénéfice de ce secret, et qu'il appartient au juge, en cas de difficulté, d'apprécier, au besoin après une mesure d'instruction, si l'opposition de l'assuré tend à faire respecter un intérêt légitime (Cour de cassation, Civ 2ème, 2 juin 2005, n°04-13. 509).
Il est constant qu'aucune disposition législative spécifique ne permet à un médecin dont la responsabilité est recherchée de communiquer dans le cadre d'une expertise judiciaire, sans l'accord de son patient, des informations couvertes par le secret médical.
Le caractère absolu du secret médical, qui est destiné à protéger les intérêts du patient, outre les dérogations qui y sont limitativement apportées par la loi, peut cependant entrer en conflit avec le principe d'égalité des armes consacré à l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en vertu duquel une partie doit pouvoir être en mesure de faire la preuve des éléments essentiels pour l'exercice de ses droits et le succès de ses prétentions (voir notamment, pour une application de ces principes : Cour de cassation, Chambre commerciale, 15 Mai 2007, n° 06-10.606, publié, cour d'appel de Paris, 17 février 2023, RG 22/10322, et cour d'appel de Paris, 19 janvier 2024, RG 23/13817).
De manière générale, il est jugé que 'le droit à la preuve ne peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie privée qu'à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi» (Cour de cassation,1ère Civ., 25 février 2016, n°15-12.403, publié).
Force est de constater qu'en l'espèce, le fait de soumettre la production de pièces médicales par le praticien, dont la responsabilité se trouve recherchée, à l'accord préalable de son patient, et ce alors que ces pièces peuvent s'avérer indispensables à la réalisation de la mesure d'instruction ordonnée, constitue une atteinte excessive et disproportionnée aux droits de la défense du docteur [T] et du docteur [I] et de l'assureur, au regard des intérêts protégés par le secret médical, en ce qu'une des parties au litige peut ainsi se trouver empêchée, par l'autre, de produire les pièces nécessaires à l'exercice de ses droits.
Il convient d'observer, en outre, que l'expertise a été confiée à un médecin, et qu'elle constitue un élément de preuve essentiel dans le cadre du litige qui oppose les parties.
La Cour de cassation a ainsi jugé, que 'si le secret médical, institué dans l'intérêt des patients, s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi et lui fait obligation de protéger contre toute indiscrétion les documents médicaux concernant les personnes qu'il a soignées ou examinées, une expertise médicale qui, en ce qu'elle ressortit à un domaine technique échappant à la connaissance des juges, est susceptible d'influencer leur appréciation des faits, constitue un élément de preuve essentiel qui doit pouvoir être débattu par les parties ; qu'il en résulte que le secret médical ne saurait être opposé à un médecin-expert appelé à éclairer le juge sur les conditions d'attribution d'une prestation sociale, ce praticien, lui-même tenu au respect de cette règle, ne pouvant communiquer les documents médicaux examinés par lui aux parties et ayant pour mission d'établir un rapport ne révélant que les éléments de nature à apporter la réponse aux questions posées et excluant, hors de ces limites, ce qu'il a pu connaître à l'occasion de l'expertise' (Civ, 2ème, 22 novembre 2007, n°06-18.250, Bull. 2007, II, n° 261).
L'application de ces principes au litige doit nécessairement conduire la présente juridiction à infirmer l'ordonnance de référé du 26 août 2024 ce qu'elle a, dans la mission qui a été confiée au docteur [G] [K], conditionné la communication de pièces médicales à l'expert à l'accord préalable de M. [H].
Statuant à nouveau de ce chef, il sera dit que l'expert pourra obtenir la communication de toutes pièces utiles à l'accomplissement de sa mission, et que le docteur [K] sera autorisé dans ce cadre à communiquer ou demander la communication de toutes pièces médicales strictement nécessaires à l'exercice de ses droits, sans que puisse lui être opposé le secret médical
Il sera dit, enfin, que chacune des parties conservera la charge des dépens qu'elle a exposés en cause d'appel, et qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l'ONIAM.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt rendu par défaut, après en avoir délibéré conformément à la loi, dans les limites de sa saisine,
Infirme l'ordonnance de référé du 26 août 2024 en ce qu'elle a donné notamment comme mission à l'expert judiciaire de 'se faire communiquer directement, avec l'accord de la victime ou de ses ayans-droit par tous tiers : médecins, personnels para-médicaux, établissements hospitaliers et de soins, toutes pièces médicales qui ne lui auraient pas été transmises par les parties et dont la production paraîtra nécessaire',
Et statuant à nouveau de ce chef,
Dit que l'expert pourra se faire communiquer directement par tout tiers détenteur, l'ensemble des documents nécessaires à l'exécution de la présente mission, sans que le secret médical de la victime puisse lui être opposé, en particulier le dossier médical complet (certificat médical initial descriptif, certificat de consolidation, bulletin d'hospitalisation, compte-rendu d'intervention, résultat des examens complémentaires, etc...) et les documents relatifs à l'état antérieur (anomalies congénitales, maladies ou séquelles d'accident) ainsi que le relevé des débours de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie ou de l'organisme social ayant servi des prestations sociales, sous réserve de nous en référer en cas de difficulté,
Dit que le docteur [K], expert, sera autorisé à communiquer ou demander la communication de toutes pièces médicales strictement nécessaires à l'exercice de ses droits, sans que le secret médical de la victime puisse lui être opposé,
Confirme l'ordonnance entreprise en ses autres dispositions,
Y ajoutant,
Laisse à chacune des parties la charge des dépens qu'elle a exposés en cause d'appel.
Arrêt de Défaut rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
et signé par Nathalie HACQUARD, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, La Présidente,
Copie délivrée le 07 octobre 2025
à
la SAS ANDERLAINE
Me Véronique RAYNAUD
la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE-CHAMBERY
Copie exécutoire délivrée le 07 octobre 2025
à
la SAS ANDERLAINE
Me Véronique RAYNAUD
la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE-CHAMBERY
N° Minute
[Immatriculation 7]/565
COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
Chambre civile - Première section
Arrêt du Mardi 07 Octobre 2025
N° RG 24/01386 - N° Portalis DBVY-V-B7I-HSSH
Décision attaquée : Ordonnance du Président du TJ d'[Localité 10] en date du 26 Août 2024
Appelant
M. [R] [T], demeurant [Adresse 5]
Représenté par la SAS ANDERLAINE, avocats postulants au barreau de CHAMBERY
Représenté par Me Marie BELLOC, avocat plaidant au barreau de LYON
Intimés
M. [L] [I]
né le [Date naissance 1] 1985 à [Localité 12], demeurant [Adresse 11]
Représenté par Me Véronique RAYNAUD, avocat postulant au barreau d'ANNECY Représenté par la SELARL RC AVOCATS, avocats plaidants au barreau de LYON
ONIAM OFFICE NATIONAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS MEDICAUX DES AFFECTIONS IATROGENES ET DES INFECTIONS, dont le siège social est situé [Adresse 14]
Représenté par la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE-CHAMBERY, avocats postulants au barreau de CHAMBERY
Représentée par la SELARL DE LA GRANGE ET FITOUSSI AVOCATS, avocats plaidants au barreau de PARIS
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA LOIRE, dont le siège social est situé [Adresse 2]
Compagnie d'assurance MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, dont le siège social est situé [Adresse 4]
M. [O] [H]
né le [Date naissance 8] 1981 à [Localité 13], demeurant [Adresse 6]
Sans avocats constitués
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Date de l'ordonnance de clôture : 10 Juin 2025
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 02 septembre 2025
Date de mise à disposition : 07 octobre 2025
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Composition de la cour :
- Mme Nathalie HACQUARD, Présidente,
- Mme Myriam REAIDY, Conseillère,
- M. Guillaume SAUVAGE, Conseiller,
avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,
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Faits et procédure
M. [O] [H], né le [Date naissance 8] 1981 et présentant des gonalgies, a subi deux opérations chirurgicales auprès du Dr [T] en 2014 afin de réduire la lésion du ménisque du genou droit, ainsi que d'ôter l''il de perdrix du 4ème orteil, et celui du 5ème orteil. Il affirme qu'à la suite, une raideur du pied a été constatée, ainsi qu'une métatarsalgie, et le port de semelles orthopédiques est devenu nécessaire. En janvier 2023, le Dr [I] a réalisé une intervention permettant l'allongement des fibres blanches du jumeau médial ainsi qu'une section du plantaire grêle, pour améliorer son état de santé. Il expose que les douleurs persistent et à la suite de consultations médicales, une atteinte sur le nerf sural a été observée.
Par actes d'huissier des 25 et 26 juin 2024, M. [H] a assigné le Dr [R] [T], le Dr [L] [I], l'ONIAM, la CPAM de la Loire, et la société MMA Iard Assurances Mutuelles devant le juge des référés du tribunal judiciaire d'Annecy notamment aux fins de voir ordonner une expertise médicale.
Par ordonnance du 26 août 2024, le président du tribunal judicaire d'Annecy, avec le bénéfice de l'exécution provisoire, a notamment :
- Ordonné une mesure d'expertise ;
- Commis Dr [G] [K], [Adresse 3] 06.62.26.87.88 [Courriel 9]
- Dit que l'expert aura pour mission :
Après avoir recueilli les renseignements nécessaires sur l'identité de la victime et sa situation, les conditions de son activité professionnelle, son niveau scolaire s'il s'agit d'un enfant ou d'un étudiant, son statut et/ou sa formation s'il s'agit d'un demandeur d'emploi, son mode de vie antérieure à l'accident et sa situation actuelle ;
- à partir des déclarations de la victime, au besoin de ses proches et de tout sachant, et des documents médicaux fournis (certificat médical initial, certificats de prolongation et de consolidation, certificats médicaux, tous compte-rendu de soins, d'intervention, d'opérations et d'examens, résultats d'analyses...) décrire en détail les lésions initiales et les modalités de traitement, en précisant le cas échéant, les durées exactes d'hospitalisation et, pour chaque période d'hospitalisation, le nom de l'établissement, les services concernés et la nature des soins;
- Rappelé qu'à défaut d'obtenir la remise des pièces qui lui sont nécessaires l'expert pourra être autorisé par le juge chargé du contrôle des expertises à déposer son rapport en l'état ; que toutefois, il pourra se faire communiquer directement, avec l'accord de la victime ou de ses ayants-droits par tous tiers : médecins, personnels paramédicaux, établissements hospitaliers et de soins, toutes pièces médicales qui ne lui auraient pas été transmises par les parties et dont la production lui paraîtra nécessaire ;
- Dit que l'expert devra s'assurer, à chaque réunion d'expertise, de la communication aux parties des pièces qui lui ont été remises, dans un délai permettant leur étude conformément au principe de contradiction, que les documents d'imagerie médicale pertinents seront analysés de façon contradictoire lors des réunions d'expertise et que les pièces seront numérotées en continu et accompagnées d'un bordereau récapitulatif ;
- Recueillir les doléances de la victime et au besoin de ses proches ; l'interroger sur les conditions d'apparition des lésions, l'importance des douleurs, la gêne fonctionnelle subie et leurs conséquences ;
- Décrire au besoin un état antérieur en ne retenant que les seuls antécédents qui peuvent avoir une incidence sur les lésions ou leurs séquelles ; Décrire l'état de santé de M. [H] préalablement à sa prise en charge par le Docteur [I] ;
- Rechercher si les actes médicaux réalisés étaient indiqués, si le diagnostic pouvait être établi avec certitude et si les soins ou actes médicaux ont été attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science médicale ;
- Décrire les actes de prévention, de diagnostic et de soins pratiqués par chacun des praticiens et dire s'ils ont été attentifs, consciencieux, diligents et conformes aux règles de l'art et aux données acquises de la science à l'époque des faits ;
- Rechercher si le patient a reçu une information préalable et suffisante sur les risques que lui faisait courir l'intervention et si c'est en toute connaissance de cause qu'il s'est prêté à cette intervention ;
- Analyser le cas échéant, de façon détaillée et motivée la nature des erreurs, imprudences, manques de précaution nécessaires, négligences, pré, per ou post-opératoires, maladresses ou autres défaillances de nature à caractériser une faute en relation de cause à effet direct et certaine avec le préjudice allégué ;
- Dire si celles-ci sont en relation de cause à effet directe et certaine avec les préjudices invoqués par M. [H] ;
- En cas de pluralité d'intervenants, fournir tous éléments permettant d'apprécier la responsabilité des différents intervenants et praticiens et indiquer la part de responsabilité de chacun dans la réalisation du dommage ;
- S'il s'agit d'une seule perte de chance, qualifier en quoi il existe un lien de causalité certain entre le manquement retenu et la perte d'une chance d'avoir pu bénéficier d'une issue plus favorable, et préciser alors quelle est la proportion de la chance perdue (en pourcentage) ;
- Préciser s'il s'agit d'un accident médical non fautif, à savoir un risque accidentel inhérent à l'acte médical et qui ne pouvait être maîtrisé, en en expliquant le taux de survenue et sa prévisibilité au regard de la pathologie initiale ;
- Dire si les lésions et séquelles relèvent d'une infection ou plusieurs infections ;
- Dans cette hypothèse préciser si celles-ci sont de nature nosocomiales ou relèvent d'une cause extérieure et étrangère à l'hospitalisation ;
- Dans l'hypothèse d'une infection nosocomiale, préciser la date d'apparition des premiers signes infectieux ; Déterminer la nature du ou des germes ;
- Préciser également à quelle prise en charge et dans quel établissement cette infection se rapporte et déterminer les préjudices qui y sont strictement et exclusivement imputables;
- Dire si l'acte médical litigieux a eu pour la victime des conséquences anormales au regard de son état de santé initial comme de l'évolution prévisible de celui-ci et de dire s'il s'agit d'un accident médical, d'une affection iatrogène ou d'une infection nosocomiale ;
- Dans l'affirmative, préciser : si les séquelles présentées par la victime sont notablement plus graves que celles auxquelles aurait été probablement exposée à court ou moyen terme, en l'absence du traitement ou des actes de soins désignés comme litigieux ;
- le pourcentage de survenue de ce type de complication dans les suites de l'intervention ou des soins en causes, au vu des connaissances médicales actuelles ;
- Procéder, en présence des médecins mandatés par les parties avec l'assentiment de la victime, à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par la victime ; Rappelons que l'expert devra procéder à l'examen clinique, en assurant la protection de l'intimité de la vie privée de la personne examinée ainsi que le secret médical pour des constatations étrangères à l'expertise et, qu'à l'issue de cet examen, en application du principe de contradiction, il informera les parties et leurs conseils de façon circonstanciée de ses constatations et de leurs conséquences ;
- A l'issue de cet examen analyser dans un exposé précis et synthétique :
- la réalité des lésions initiales
- la réalité de l'état séquellaire
- l'imputabilité directe et certaine des séquelles aux lésions initiales en précisant au besoin l'incidence d'un état antérieur.
Au visa principalement des motifs suivants :
M. [H] verse aux débats les éléments relatifs à son état de santé comprenant les certificats médicaux, les comptes-rendus opératoires, d'IRM, de radiographies et d'EMG ainsi que les courriers des médecins démontrant la présence d'une pathologie ;
Il en découle un motif légitime à obtenir la désignation d'un expert judiciaire compte-tenu de la persistance de ses douleurs.
Par déclaration au greffe de la cour d'appel du 8 octobre 2024, M. [T] a interjeté appel de la décision seulement en ce qu'elle a :
- Rappelé qu'à défaut d'obtenir la remise des pièces qui lui sont nécessaires l'expert pourra être autorisé par le juge chargé du contrôle des expertises à déposer son rapport en l'état ; que toutefois, il pourra se faire communiquer directement, avec l'accord de la victime ou de ses ayants-droits par tous tiers : médecins, personnels paramédicaux, établissements hospitaliers et de soins, toutes pièces médicales qui ne lui auraient pas été transmises par les parties et dont la production lui paraîtra nécessaire.
Prétentions et moyens des parties
Par dernières écritures du 18 décembre 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique et signifiées à la CPAM, la société MMA Iard Assurances et M. [H] par actes d'huissier des 13 et 17 janvier 2025, M. [T] sollicite l'infirmation des chefs critiqués de la décision et demande à la cour de :
- Le recevoir en ses écritures, les disant bien fondées ;
- Infirmer la décision attaquée en ce qu'elle autorise l'Expert à se faire communiquer directement « par tous tiers : médecins, personnels paramédicaux, établissements hospitaliers et de soins, toutes pièces médicales qui ne lui auraient pas été transmises par les parties et dont la production lui paraîtra nécessaire » « avec l'accord de la victime ou de ses ayants-droits » ;
Et statuant à nouveau,
- Dire qu'il pourra produire les éléments, pièces, y compris médicales, nécessaires à sa défense dans le cadre des opérations d'expertise à intervenir, sans que les règles du secret médical ne puissent lui être opposées ;
- Statuer ce que de droit sur les dépens.
Au soutien de ses prétentions, M. [T] fait notamment valoir que :
L'exercice des droits de la défense du praticien se trouvent nécessairement mis à mal dans la mesure où la production de pièces médicales - préalable requis à toute opération d'expertise se trouve entièrement subordonné à l'autorisation du patient et à sa bonne volonté, alors qu'il est son adversaire au procès.
Or, la libre faculté laissée à une partie d'interdire à une autre de produire des pièces nécessaires à sa défense engendre une atteinte manifestement disproportionnée à l'égalité des armes ;
Cette atteinte constitue une violation en soi des droits de la défense, quelle que soit la valeur de l'intérêt qui y est opposé.
Par dernières écritures du 5 février 2025, régulièrement notifiées par voie de communication électronique et signifiées à la CPAM, la société MMA Iard Assurances et M. [H] par actes d'huissier des 12, 14 et 17 février 2025, M. [I] demande à la cour de :
- Déclarer recevable et bien fondé son appel incident ;
- Infirmer l'ordonnance dont appel en ce qu'elle a donné mission à l'expert judiciaire de : « Rappelons qu'à défaut d'obtenir la remise des pièces qui lui sont nécessaires l'expert pourra être autorisé par le juge chargé du contrôle des expertises à déposer son rapport en l'état ; que toutefois il pourra se faire communiquer directement, avec l'accord de la victime ou de ses ayants droits par tous tiers : médecins, personnels paramédicaux, établissements hospitaliers et de soins, toutes pièces médicales qui ne lui auraient pas été transmises par les parties et dont la production lui paraitra nécessaire.» ;
Et statuant à nouveau,
- Juger qu'il sera autorisé à communiquer ou demander la communication de toutes pièces médicales strictement nécessaires à l'exercice de ses droits, sans que puisse lui être opposé le secret médical ;
- Statuer ce que de droit sur les dépens.
Au soutien de ses prétentions, M. [I] fait notamment valoir que dans un souci de bonne administration de la justice, il est nécessaire que les praticiens aient la possibilité de confier à l'Expert l'ensemble des pièces médicales qu'ils estimeraient strictement nécessaires à leur défense, sans que leur patient, aujourd'hui en demande, ait la possibilité de sélectionner les pièces médicales dans son seul intérêt.
Par dernières écritures du 7 février 2025, régulièrement notifiées par voie de communication électronique et signifiées à la CPAM, la société MMA Iard Assurances et M. [H] par actes d'huissier des 13 et 18 février 2025, l'ONIAM demande à la cour de :
- Le recevoir en ses écritures, et les dire bien fondées ;
- Infirmer l'ordonnance rendue par le tribunal judiciaire d'Annecy en ce qu'elle a subordonné la production de pièces par les parties à l'autorisation de M. [H] ou de son représentant ;
Statuant de nouveau,
- Juger que les parties défenderesses pourront communiquer toutes pièces médicales relatives à l'accident et nécessaires à leur défense ;
- Condamner tout succombant à lui verser la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
- Rejeter toute autre demande.
Au soutien de ses prétentions, l'ONIAM fait notamment valoir que l'exigence d'un accord préalable de la victime met en péril le droit à un procès équitable, reconnu par l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, dès lors qu'elle soumet la défense des parties à l'arbitraire du demandeur.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.
Une ordonnance du 10 juin 2025 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été retenue à l'audience du 2 septembre 2025.
MOTIFS ET DECISION
L'ordonnance entreprise du 26 août 2024 est critiquée par les appelants uniquement en ce qu'elle a subordonné, dans les chefs de la mission confiée à l'expert, la communication des pièces médicales à l'accord préalable de la victime.
L'article L. 1110-4 du code de la santé publique dispose :
'I.-Toute personne prise en charge par un professionnel de santé, un établissement ou service, un professionnel ou organisme concourant à la prévention ou aux soins dont les conditions d'exercice ou les activités sont régies par le présent code, le service de santé des armées, un professionnel du secteur médico-social ou social ou un établissement ou service social et médico-social mentionné au I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant.
Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel, de tout membre du personnel de ces établissements, services ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s'impose à tous les professionnels intervenant dans le système de santé.
L'article 4 du décret du 6 septembre 1995 portant Code de déontologie médicale, devenu l'article R. 4127-4 du Code de la santé publique, prévoit quant à lui que :
'Le secret professionnel institué dans l'intérêt des patients s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi.
Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris'.
La violation du secret médical se trouve par ailleurs pénalement incriminée à l'article 226-13 du code pénal.
Au visa de ces dispositions, il a ainsi été jugé que « le juge civil ne peut, en l'absence de disposition législative spécifique, contraindre un établissement de santé à lui transmettre des informations couvertes par le secret sans l'accord de la personne concernée ou de ses ayants droit , le secret médical constituant un empêchement légitime que l'établissement de santé a la faculté d'invoquer ; il appartient alors au juge saisi sur le fond d'apprécier, en présence de désaccord de la personne concernée ou de ses ayants droits, si celui-ci tend à faire respecter un intérêt légitime ou à faire écarter un élément de preuve et d'en tirer toute conséquence » (Cour de cassation, Civ 1ère, 7 décembre 2004, n°01-02.338).
De même, il a été jugé que l'assureur ne peut produire un document couvert par le secret médical (expertise médicale réalisée par l'un de ses médecins-conseils et d'un compte-rendu d'hospitalisation) intéressant le litige, qu'à la condition que l'assuré ait renoncé au bénéfice de ce secret, et qu'il appartient au juge, en cas de difficulté, d'apprécier, au besoin après une mesure d'instruction, si l'opposition de l'assuré tend à faire respecter un intérêt légitime (Cour de cassation, Civ 2ème, 2 juin 2005, n°04-13. 509).
Il est constant qu'aucune disposition législative spécifique ne permet à un médecin dont la responsabilité est recherchée de communiquer dans le cadre d'une expertise judiciaire, sans l'accord de son patient, des informations couvertes par le secret médical.
Le caractère absolu du secret médical, qui est destiné à protéger les intérêts du patient, outre les dérogations qui y sont limitativement apportées par la loi, peut cependant entrer en conflit avec le principe d'égalité des armes consacré à l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en vertu duquel une partie doit pouvoir être en mesure de faire la preuve des éléments essentiels pour l'exercice de ses droits et le succès de ses prétentions (voir notamment, pour une application de ces principes : Cour de cassation, Chambre commerciale, 15 Mai 2007, n° 06-10.606, publié, cour d'appel de Paris, 17 février 2023, RG 22/10322, et cour d'appel de Paris, 19 janvier 2024, RG 23/13817).
De manière générale, il est jugé que 'le droit à la preuve ne peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie privée qu'à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi» (Cour de cassation,1ère Civ., 25 février 2016, n°15-12.403, publié).
Force est de constater qu'en l'espèce, le fait de soumettre la production de pièces médicales par le praticien, dont la responsabilité se trouve recherchée, à l'accord préalable de son patient, et ce alors que ces pièces peuvent s'avérer indispensables à la réalisation de la mesure d'instruction ordonnée, constitue une atteinte excessive et disproportionnée aux droits de la défense du docteur [T] et du docteur [I] et de l'assureur, au regard des intérêts protégés par le secret médical, en ce qu'une des parties au litige peut ainsi se trouver empêchée, par l'autre, de produire les pièces nécessaires à l'exercice de ses droits.
Il convient d'observer, en outre, que l'expertise a été confiée à un médecin, et qu'elle constitue un élément de preuve essentiel dans le cadre du litige qui oppose les parties.
La Cour de cassation a ainsi jugé, que 'si le secret médical, institué dans l'intérêt des patients, s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi et lui fait obligation de protéger contre toute indiscrétion les documents médicaux concernant les personnes qu'il a soignées ou examinées, une expertise médicale qui, en ce qu'elle ressortit à un domaine technique échappant à la connaissance des juges, est susceptible d'influencer leur appréciation des faits, constitue un élément de preuve essentiel qui doit pouvoir être débattu par les parties ; qu'il en résulte que le secret médical ne saurait être opposé à un médecin-expert appelé à éclairer le juge sur les conditions d'attribution d'une prestation sociale, ce praticien, lui-même tenu au respect de cette règle, ne pouvant communiquer les documents médicaux examinés par lui aux parties et ayant pour mission d'établir un rapport ne révélant que les éléments de nature à apporter la réponse aux questions posées et excluant, hors de ces limites, ce qu'il a pu connaître à l'occasion de l'expertise' (Civ, 2ème, 22 novembre 2007, n°06-18.250, Bull. 2007, II, n° 261).
L'application de ces principes au litige doit nécessairement conduire la présente juridiction à infirmer l'ordonnance de référé du 26 août 2024 ce qu'elle a, dans la mission qui a été confiée au docteur [G] [K], conditionné la communication de pièces médicales à l'expert à l'accord préalable de M. [H].
Statuant à nouveau de ce chef, il sera dit que l'expert pourra obtenir la communication de toutes pièces utiles à l'accomplissement de sa mission, et que le docteur [K] sera autorisé dans ce cadre à communiquer ou demander la communication de toutes pièces médicales strictement nécessaires à l'exercice de ses droits, sans que puisse lui être opposé le secret médical
Il sera dit, enfin, que chacune des parties conservera la charge des dépens qu'elle a exposés en cause d'appel, et qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l'ONIAM.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt rendu par défaut, après en avoir délibéré conformément à la loi, dans les limites de sa saisine,
Infirme l'ordonnance de référé du 26 août 2024 en ce qu'elle a donné notamment comme mission à l'expert judiciaire de 'se faire communiquer directement, avec l'accord de la victime ou de ses ayans-droit par tous tiers : médecins, personnels para-médicaux, établissements hospitaliers et de soins, toutes pièces médicales qui ne lui auraient pas été transmises par les parties et dont la production paraîtra nécessaire',
Et statuant à nouveau de ce chef,
Dit que l'expert pourra se faire communiquer directement par tout tiers détenteur, l'ensemble des documents nécessaires à l'exécution de la présente mission, sans que le secret médical de la victime puisse lui être opposé, en particulier le dossier médical complet (certificat médical initial descriptif, certificat de consolidation, bulletin d'hospitalisation, compte-rendu d'intervention, résultat des examens complémentaires, etc...) et les documents relatifs à l'état antérieur (anomalies congénitales, maladies ou séquelles d'accident) ainsi que le relevé des débours de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie ou de l'organisme social ayant servi des prestations sociales, sous réserve de nous en référer en cas de difficulté,
Dit que le docteur [K], expert, sera autorisé à communiquer ou demander la communication de toutes pièces médicales strictement nécessaires à l'exercice de ses droits, sans que le secret médical de la victime puisse lui être opposé,
Confirme l'ordonnance entreprise en ses autres dispositions,
Y ajoutant,
Laisse à chacune des parties la charge des dépens qu'elle a exposés en cause d'appel.
Arrêt de Défaut rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
et signé par Nathalie HACQUARD, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, La Présidente,
Copie délivrée le 07 octobre 2025
à
la SAS ANDERLAINE
Me Véronique RAYNAUD
la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE-CHAMBERY
Copie exécutoire délivrée le 07 octobre 2025
à
la SAS ANDERLAINE
Me Véronique RAYNAUD
la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE-CHAMBERY