CA Rennes, 3e ch. com., 7 octobre 2025, n° 24/03868
RENNES
Arrêt
Autre
3ème Chambre Commerciale
ARRÊT N°290
N° RG 24/03868 - N° Portalis DBVL-V-B7I-U53U
(Réf 1ère instance : J202300045)
S.A.S. VENTILDEV
C/
M. [K] [Y]
CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE BRETAGNE - PAYS DE LOIRE
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me VERRANDO
Me LHERMITTE
Me CRESSARD
Copie certifiée conforme délivrée
le :
à : TC de [Localité 9]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 07 OCTOBRE 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de Chambre
Assesseur : Madame Sophie RAMIN, Conseiller,
Assesseur : Madame Marie-Line PICHON, Conseillère, désignée par ordonnance de Monsieur le premier président de la cour d'appel de Rennes du 10 février 2025
GREFFIER :
Madame Frédérique HABARE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 26 Juin 2025 devant Madame Sophie RAMIN, magistrat rapporteur, tenant seule l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 07 Octobre 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
S.A.S. VENTILDEV
immatriculée au RCS d'[Localité 10] sous le n°851 474 528, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège
[Adresse 11]
[Localité 5]
Représentée par Me Marie VERRANDO de la SELARL LX RENNES-ANGERS, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Barbara LE BEL de la SARL BARBARA LE BEL AVOCAT, Plaidant, avocat au barreau de VERSAILLES
INTIMÉS :
Monsieur [K] [Y]
né le [Date naissance 2] 1959 à [Localité 8]
[Adresse 3]
[Adresse 7]
[Localité 6]
Représenté par Me Christophe LHERMITTE de la SELEURL GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Bruno MAZAUDON, Plaidant, avocat au barreau de POITIERS
CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE BRETAGNE - PAYS DE LOIRE
immatriculée au RCS de [Localité 9] sous le n°392 640 090, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Thibaut CRESSARD de la SELARL CRESSARD DUTTO LE GOFF, AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Henri BODIN de la SELARL BODIN AVOCATS
M. [Y] détenait 100 % des actions de la société MTH, laquelle détenait l'ensemble des parts sociales de ses filiales, la SARL Girardeau et la SCI Terma.
Selon protocole d'acquisition du 18 mai 2022, M. [Y] a cédé à la société Ventidlev les actions de la société MTH au prix initial de 3 849 000 euros.
Le protocole a été complété par une garantie d'actif et de passif prise le même jour par M. [Y].
M. [Y] a remis à la société Ventidlev une garantie à première demande de la société de banque coopérative Caisse d'Epargne Bretagne Pays de Loire (ci-après, la Caisse d'Epargne) d'un montant égal à 50 % du plafond initial maximum de la garantie d'actif et de passif, « soit 288 675 euros, dégressive d'un tiers à chaque date anniversaire de la date de réalisation ».
Par lettre recommandée du 16 mai 2023, la société Ventidlev a notifié à M. [Y] la mise en jeu de la garantie d'actif et de passif pour un montant total de 224 008,14 euros.
Par lettre recommandée du 24 mai 2023, M. [Z] a répondu qu'une demande au titre de la garantie d'actif et de passif ne peut être examinée tant que les situations comptables individuelles n'ont pas été contradictoirement arrêtées. Il a, en outre, fait valoir que la demande ne respectait pas les conditions de recevabilité en ce qu'elle n'était accompagnée ni de pièces justificatives des réclamations, ni assortie de modalités de calcul de l'indemnisation pour, notamment, établir le préjudice net. Il a ajouté que certaines réclamations lui paraissaient ne pas entrer dans le champ de la garantie.
Le 18 août 2023, la société Ventidlev a saisi le président du tribunal de commerce de Poitiers aux fins de nomination d'un expert, sur divers fondements, pour l'établissement des situations comptables individuelles.
Par ordonnance du 12 février 2024, le président du tribunal de commerce de Poitiers a déclaré irrecevables les demandes de la société Ventidlev. Par arrêt du 4 mars 2025, la cour d'appel de Poitiers a confirmé la décision.
Parallèlement, par lettre du 20 octobre 2023, la Caisse d'Epargne a informé M. [Y] que la société Ventidlev l'avait appelée en paiement au titre de la garantie à première demande à hauteur de 288 675 euros.
M. [Y] et la société Ventidlev ont respectivement saisi en référé le président du tribunal de commerce de Nantes, le premier, pour voir interdire à la Caisse d'Epargne de payer ladite somme, la seconde, pour la voir condamnée à titre de provision à ce paiement. Les procédures ont été jointes.
Par ordonnance du 23 avril 2024, le président du tribunal de commerce de Nantes statuant en référé a :
- au fond, renvoyé les parties à se pourvoir comme il appartiendra,
- dès à présent, vu l'urgence, par provision, tous droits et moyens des parties étant réservés :
- ordonné à la Caisse d'Epargne de surseoir au paiement de la somme de 288.675 euros sollicitée par la société Ventidlev au titre de la garantie qu'elle a consentie en date du 13 mai 2022,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes fins et conclusions,
- réservé l'application de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit en application de l'article 514-1 al 3 dudit code,
- réservé les dépens dont frais de greffe liquidés à 98.33 euros TTC
Par déclaration du 28 juin 2024, la société Ventildev a interjeté appel de cette décision et a intimé M. [Y] et la Caisse d'Epargne.
Les dernières conclusions de l'appelant ont été déposées le 24 septembre 2024, celles pour M. [Y], intimé, le 16 mai 2025, celles pour la Caisse d'Epargne, intimée, le 22 octobre 2024.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 juin 2025.
PRETENTIONS ET MOYENS
La société Ventildev demande à la cour de :
- recevoir la société Ventidlev en son appel, le dire bienfondé et y faisant droit,
- infirmer en toutes ses dispositions critiquées l'ordonnance rendue par le Président du tribunal de commerce de Nantes le 23 avril 2024 et particulièrement en ce qu'elle :
- ordonne à la Caisse d'Epargne de surseoir au paiement de la somme de 288.675 euros sollicitée par la société Ventidlev au titre de la garantie qu'elle a consentie en date du 13 mai 2022,
- déboute la société Ventidlev du surplus de ses demandes fins et conclusions,
- réserve l'application de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelle que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit en application de l'article 514-1 al.3 dudit code,
- réserve les dépens dont frais de greffe liquidés à 98.33 euros,
Et statuant à nouveau :
- condamner à titre provisionnel la Caisse d'Epargne au paiement à la société Ventidlev de la somme de 288.675,00 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 avril 2023, au titre de l'exécution de la garantie à première demande souscrite le 13 mai 2022,
- condamner à titre provisionnel et solidairement M. [K] [Y] et la Caisse d'Epargne à lui payer une somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner solidairement M. [Y] et la Caisse d'Epargne aux entiers dépens avec distraction au profit de l'avocat soussigné aux offres de droit.
La Caisse d'Epargne demande à la cour de :
- sur la demande de réformation de l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Nantes en ce qu'il ordonne à la Caisse d'Epargne de surseoir au paiement de la somme sollicitée par la société Ventildev,
- s'entendre donner acte à la Caisse d'Epargne qu'elle s'en remet à justice sur les demandes respectives de la société Ventidlev et de M. [Y] quant à son obligation d'honorer la garantie par elle consentie,
En tout état de cause :
- débouter la société Ventidlev de toutes ses demandes fins et conclusions au titre des frais irrépétibles et dépens en ce qu'elles sont dirigées à l'encontre de la Caisse d'Epargne
- s'entendre tout succombant condamner à payer à la Caisse d'Epargne la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- s'entendre tout succombant condamner aux entiers dépens, conformément à l'article 696 du code de procédure civile.
M. [Y] demande à la cour de :
- débouter la société Ventidlev de son appel et de toutes ses demandes,
- confirmer l'ordonnance ce qu'elle a :
- ordonné à la Caisse d'épargne de surseoir au paiement de la somme de 288.675 euros sollicitées par la société Ventidlev au titre de la garantie qu'elle a consentie en date du 13 mai 2022,
- débouté la société Ventidlev du surplus de ses demandes fins et conclusions,
- infirmer l'ordonnance de référé dont appel en ce qu'elle a :
- réservé l'application de l'article 700 du cde de procédure civile,
- réservé les dépens,
Statuant à nouveau des chefs infirmés :
- condamner la société Ventidlev à payer M. [Y] la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles qu'il a exposés en première instance,
- condamner la société Ventidlev aux entiers dépens de première instance,
Ajoutant à l'ordonnance dont appel :
- condamner la société Ventidlev à payer M. [Y] la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles qu'il a exposés en appel,
- condamner la société Ventidlev aux entiers dépens d'appel.
Il est renvoyé aux dernières écritures des parties visées supra pour l'exposé complet de leurs moyens et prétentions.
DISCUSSION
La société Ventidlev demande le paiement d'une provision au titre de la garantie à première demande. Elle fait valoir que l'existence de son obligation n'est pas sérieusement contestable en ce qu'il s'agit d'une garantie à première demande, autonome, et qu'à cet égard, les raisons de l'inexécution du contrat de base ne conditionnent pas l'engagement de la banque et celle-ci ne peut opposer aucune exception tenant à l'obligation garantie.
M. [Y] demande la confirmation du sursis au paiement de la somme par la Caisse d'Epargne. Il fait valoir dans un premier temps que l'acte conclu avec la banque n'est pas une garantie autonome mais un cautionnement, qu'il est, dès lors, bien fondé à opposer des exceptions résultant notamment de l'absence d'établissement des situations comptables individuelles. Il ajoute qu'en tout état de cause, la demande de la société Ventidlev se heurte à une contestation sérieuse.
Il fait valoir dans un second temps que s'il était considéré que la garantie est une garantie autonome à première demande, elle ne peut s'appliquer en raison d'un abus manifeste dans sa mise en jeu.
La Caisse d'Epargne s'en remet à l'appréciation de la cour.
En application des articles 872 du code de procédure civile,
« dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend ».
Selon l'article 873 du même code,
« Le président peut, dans les mêmes limites, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le président du tribunal de commerce, statuant en référé, peut dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier ».
Une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.
En vertu des dispositions de l'article 1103 du code civil,
« les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».
Aux termes de l'article 2321 du code civil :
« La garantie autonome est l'engagement par lequel le garant s'oblige, en considération d'une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme soit à première demande, soit suivant des modalités convenues.
Le garant n'est pas tenu en cas d'abus ou de fraude manifestes du bénéficiaire ou de collusion de celui-ci avec le donneur d'ordre.
Le garant ne peut opposer aucune exception tenant à l'obligation garantie.
Sauf convention contraire, cette sûreté ne suit pas l'obligation garantie. »
Le garant ne peut invoquer les exceptions appartenant au débiteur ou relatives au contrat de base.
En revanche, outre les cas d'abus ou de fraude manifestes, son exécution doit être strictement conformes aux stipulations contractuelles et aux formalités requises. Le garant peut donc invoquer le non-respect des conditions ou des modalités stipulées dans son engagement. Ainsi, par exemple, il peut être fondé à s'opposer à un appel prématuré ou tardif ou à invoquer l'expiration de la garantie, ces objections étant propres au contrat de garantie et étrangères au contrat de base.
La garantie versée aux débats est intitulée « garantie à première demande » et renvoie expressément à l'article 2321 du code civil et à son caractère autonome.
Il est précisé qu'en couverture de l'exécution des obligations issues de la garantie d'actif et de passif mise à la charge du cédant, celui-ci s'est engagé à la délivrance bancaire d'une garantie d'un montant initial de 288 675 euros, dégressif. Aux termes de cette garantie, la Caisse d'Epargne s'engage à garantir, pour le compte du donneur d'ordre, le bénéficiaire, « des conséquences de l'inexécution ou de la mauvaise exécution des obligations mises à la charge du donneur d'ordre aux termes de la garantie d'actif et de passif », à première demande.
Aussi, bien que la garantie se réfère au contrat qui la justifiait, les termes de cette convention sont suffisamment précis et ne nécessitent aucune interprétation quant au fait qu'il s'agisse d'une garantie autonome, à première demande.
En revanche, elle nécessite pour son application le respect des conditions stipulées.
La garantie à première demande mentionne que « le présent engagement en pourra être mis en jeu par le bénéficiaire que pour autant que le montant total des diminutions d'actif et augmentations de passif s'avérera supérieur à 15 000 euros, laquelle somme constitue une franchise ».
Il n'est pas mentionné qu'il s'agirait seulement de diminutions alléguées. Cette stipulation conduit au contraire à considérer qu'elles puissent devoir être établies. Or, et bien que le montant sollicité au titre de la garantie d'actif et de passif à M. [Y] ait été supérieur à cette franchise, force est de constater que la réalité de ce dépassement est indirectement discuté entre les parties.
M. [Y] soutient en effet que le montant de l'actif et du passif et partant, du préjudice, n'est pas déterminable faute d'établissement des situations comptables individuelles.
L'article 4.3 de la garantie d'actif et de passif mentionne à cet égard que les situations comptables individuelles serviront, notamment, de « référence pour la détermination de l'existence ou non de préjudice au sens du contrat de garantie », tandis que l'article 26.1 stipule que « le garant ne sera tenu à indemnisation qu'à hauteur du préjudice net, calculé à hauteur de la variation des postes comptables concernés dans les situations comptables individuelles, c'est à dire tout préjudice s'étant effectivement traduit pour la Société ou pour
l'une de ses Filliales, par i) un décaissement, ii) une absence d'encaissement iii) un moindre encaissement ou iv) une diminution d'actif v) ou une argumentation de passif ».
Ainsi, il existe une contestation sérieuse que ne peut trancher le juge des référés.
Au surplus, le montant de la garantie d'actif et de passif sollicité par la société Ventidlev, soit 224 008,14 euros, est supérieur au montant réclamé au titre de la garantie autonome. Il existe là encore une contestation sérieuse relatif à l'abus éventuel dans la mise en oeuvre de la garantie à première demande.
Il convient de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté la demande de provision de la société Ventidlev.
Les parties ne discutent pas de l'urgence retenue par le juge des référés pour statuer sur la demande de M. [Y] de sursis au règlement de la garantie à première demande ni de l'existence d'un différend lui permettant d'ordonner ledit sursis.
Sans autre élément de discussion, il convient de confirmer l'ordonnance en ce qu'il a ordonné à la Caisse d'Epargne de surseoir au règlement de la somme de 288 675 euros au profit de la société Ventidlev.
Dépens et frais irrépétibles
Il convient d'infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a réservé les dépens et les frais irrépétibles.
Succombant à l'instance, la société Ventidlev sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la M. [Y] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. La demande de la Caisse d'Epargne au titre de ce même article est rejetée.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme l'ordonnance en ce qu'elle a :
- réservé l'application de l'article 700 du code de procédure civile,
- réservé les dépens,
Confirme l'ordonnance pour le surplus des dispositions soumises à la cour,
Condamne la société Ventidlev aux dépens de première instance et d'appel,
Condamne la société Ventidlev à payer à M. [K] [Y] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles,
Rejette toute autre demande des parties,
Le Greffier, Le Président,
ARRÊT N°290
N° RG 24/03868 - N° Portalis DBVL-V-B7I-U53U
(Réf 1ère instance : J202300045)
S.A.S. VENTILDEV
C/
M. [K] [Y]
CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE BRETAGNE - PAYS DE LOIRE
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me VERRANDO
Me LHERMITTE
Me CRESSARD
Copie certifiée conforme délivrée
le :
à : TC de [Localité 9]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 07 OCTOBRE 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de Chambre
Assesseur : Madame Sophie RAMIN, Conseiller,
Assesseur : Madame Marie-Line PICHON, Conseillère, désignée par ordonnance de Monsieur le premier président de la cour d'appel de Rennes du 10 février 2025
GREFFIER :
Madame Frédérique HABARE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 26 Juin 2025 devant Madame Sophie RAMIN, magistrat rapporteur, tenant seule l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 07 Octobre 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
S.A.S. VENTILDEV
immatriculée au RCS d'[Localité 10] sous le n°851 474 528, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège
[Adresse 11]
[Localité 5]
Représentée par Me Marie VERRANDO de la SELARL LX RENNES-ANGERS, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Barbara LE BEL de la SARL BARBARA LE BEL AVOCAT, Plaidant, avocat au barreau de VERSAILLES
INTIMÉS :
Monsieur [K] [Y]
né le [Date naissance 2] 1959 à [Localité 8]
[Adresse 3]
[Adresse 7]
[Localité 6]
Représenté par Me Christophe LHERMITTE de la SELEURL GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Bruno MAZAUDON, Plaidant, avocat au barreau de POITIERS
CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE BRETAGNE - PAYS DE LOIRE
immatriculée au RCS de [Localité 9] sous le n°392 640 090, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Thibaut CRESSARD de la SELARL CRESSARD DUTTO LE GOFF, AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Henri BODIN de la SELARL BODIN AVOCATS
M. [Y] détenait 100 % des actions de la société MTH, laquelle détenait l'ensemble des parts sociales de ses filiales, la SARL Girardeau et la SCI Terma.
Selon protocole d'acquisition du 18 mai 2022, M. [Y] a cédé à la société Ventidlev les actions de la société MTH au prix initial de 3 849 000 euros.
Le protocole a été complété par une garantie d'actif et de passif prise le même jour par M. [Y].
M. [Y] a remis à la société Ventidlev une garantie à première demande de la société de banque coopérative Caisse d'Epargne Bretagne Pays de Loire (ci-après, la Caisse d'Epargne) d'un montant égal à 50 % du plafond initial maximum de la garantie d'actif et de passif, « soit 288 675 euros, dégressive d'un tiers à chaque date anniversaire de la date de réalisation ».
Par lettre recommandée du 16 mai 2023, la société Ventidlev a notifié à M. [Y] la mise en jeu de la garantie d'actif et de passif pour un montant total de 224 008,14 euros.
Par lettre recommandée du 24 mai 2023, M. [Z] a répondu qu'une demande au titre de la garantie d'actif et de passif ne peut être examinée tant que les situations comptables individuelles n'ont pas été contradictoirement arrêtées. Il a, en outre, fait valoir que la demande ne respectait pas les conditions de recevabilité en ce qu'elle n'était accompagnée ni de pièces justificatives des réclamations, ni assortie de modalités de calcul de l'indemnisation pour, notamment, établir le préjudice net. Il a ajouté que certaines réclamations lui paraissaient ne pas entrer dans le champ de la garantie.
Le 18 août 2023, la société Ventidlev a saisi le président du tribunal de commerce de Poitiers aux fins de nomination d'un expert, sur divers fondements, pour l'établissement des situations comptables individuelles.
Par ordonnance du 12 février 2024, le président du tribunal de commerce de Poitiers a déclaré irrecevables les demandes de la société Ventidlev. Par arrêt du 4 mars 2025, la cour d'appel de Poitiers a confirmé la décision.
Parallèlement, par lettre du 20 octobre 2023, la Caisse d'Epargne a informé M. [Y] que la société Ventidlev l'avait appelée en paiement au titre de la garantie à première demande à hauteur de 288 675 euros.
M. [Y] et la société Ventidlev ont respectivement saisi en référé le président du tribunal de commerce de Nantes, le premier, pour voir interdire à la Caisse d'Epargne de payer ladite somme, la seconde, pour la voir condamnée à titre de provision à ce paiement. Les procédures ont été jointes.
Par ordonnance du 23 avril 2024, le président du tribunal de commerce de Nantes statuant en référé a :
- au fond, renvoyé les parties à se pourvoir comme il appartiendra,
- dès à présent, vu l'urgence, par provision, tous droits et moyens des parties étant réservés :
- ordonné à la Caisse d'Epargne de surseoir au paiement de la somme de 288.675 euros sollicitée par la société Ventidlev au titre de la garantie qu'elle a consentie en date du 13 mai 2022,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes fins et conclusions,
- réservé l'application de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit en application de l'article 514-1 al 3 dudit code,
- réservé les dépens dont frais de greffe liquidés à 98.33 euros TTC
Par déclaration du 28 juin 2024, la société Ventildev a interjeté appel de cette décision et a intimé M. [Y] et la Caisse d'Epargne.
Les dernières conclusions de l'appelant ont été déposées le 24 septembre 2024, celles pour M. [Y], intimé, le 16 mai 2025, celles pour la Caisse d'Epargne, intimée, le 22 octobre 2024.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 juin 2025.
PRETENTIONS ET MOYENS
La société Ventildev demande à la cour de :
- recevoir la société Ventidlev en son appel, le dire bienfondé et y faisant droit,
- infirmer en toutes ses dispositions critiquées l'ordonnance rendue par le Président du tribunal de commerce de Nantes le 23 avril 2024 et particulièrement en ce qu'elle :
- ordonne à la Caisse d'Epargne de surseoir au paiement de la somme de 288.675 euros sollicitée par la société Ventidlev au titre de la garantie qu'elle a consentie en date du 13 mai 2022,
- déboute la société Ventidlev du surplus de ses demandes fins et conclusions,
- réserve l'application de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelle que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit en application de l'article 514-1 al.3 dudit code,
- réserve les dépens dont frais de greffe liquidés à 98.33 euros,
Et statuant à nouveau :
- condamner à titre provisionnel la Caisse d'Epargne au paiement à la société Ventidlev de la somme de 288.675,00 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 avril 2023, au titre de l'exécution de la garantie à première demande souscrite le 13 mai 2022,
- condamner à titre provisionnel et solidairement M. [K] [Y] et la Caisse d'Epargne à lui payer une somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner solidairement M. [Y] et la Caisse d'Epargne aux entiers dépens avec distraction au profit de l'avocat soussigné aux offres de droit.
La Caisse d'Epargne demande à la cour de :
- sur la demande de réformation de l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Nantes en ce qu'il ordonne à la Caisse d'Epargne de surseoir au paiement de la somme sollicitée par la société Ventildev,
- s'entendre donner acte à la Caisse d'Epargne qu'elle s'en remet à justice sur les demandes respectives de la société Ventidlev et de M. [Y] quant à son obligation d'honorer la garantie par elle consentie,
En tout état de cause :
- débouter la société Ventidlev de toutes ses demandes fins et conclusions au titre des frais irrépétibles et dépens en ce qu'elles sont dirigées à l'encontre de la Caisse d'Epargne
- s'entendre tout succombant condamner à payer à la Caisse d'Epargne la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- s'entendre tout succombant condamner aux entiers dépens, conformément à l'article 696 du code de procédure civile.
M. [Y] demande à la cour de :
- débouter la société Ventidlev de son appel et de toutes ses demandes,
- confirmer l'ordonnance ce qu'elle a :
- ordonné à la Caisse d'épargne de surseoir au paiement de la somme de 288.675 euros sollicitées par la société Ventidlev au titre de la garantie qu'elle a consentie en date du 13 mai 2022,
- débouté la société Ventidlev du surplus de ses demandes fins et conclusions,
- infirmer l'ordonnance de référé dont appel en ce qu'elle a :
- réservé l'application de l'article 700 du cde de procédure civile,
- réservé les dépens,
Statuant à nouveau des chefs infirmés :
- condamner la société Ventidlev à payer M. [Y] la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles qu'il a exposés en première instance,
- condamner la société Ventidlev aux entiers dépens de première instance,
Ajoutant à l'ordonnance dont appel :
- condamner la société Ventidlev à payer M. [Y] la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles qu'il a exposés en appel,
- condamner la société Ventidlev aux entiers dépens d'appel.
Il est renvoyé aux dernières écritures des parties visées supra pour l'exposé complet de leurs moyens et prétentions.
DISCUSSION
La société Ventidlev demande le paiement d'une provision au titre de la garantie à première demande. Elle fait valoir que l'existence de son obligation n'est pas sérieusement contestable en ce qu'il s'agit d'une garantie à première demande, autonome, et qu'à cet égard, les raisons de l'inexécution du contrat de base ne conditionnent pas l'engagement de la banque et celle-ci ne peut opposer aucune exception tenant à l'obligation garantie.
M. [Y] demande la confirmation du sursis au paiement de la somme par la Caisse d'Epargne. Il fait valoir dans un premier temps que l'acte conclu avec la banque n'est pas une garantie autonome mais un cautionnement, qu'il est, dès lors, bien fondé à opposer des exceptions résultant notamment de l'absence d'établissement des situations comptables individuelles. Il ajoute qu'en tout état de cause, la demande de la société Ventidlev se heurte à une contestation sérieuse.
Il fait valoir dans un second temps que s'il était considéré que la garantie est une garantie autonome à première demande, elle ne peut s'appliquer en raison d'un abus manifeste dans sa mise en jeu.
La Caisse d'Epargne s'en remet à l'appréciation de la cour.
En application des articles 872 du code de procédure civile,
« dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend ».
Selon l'article 873 du même code,
« Le président peut, dans les mêmes limites, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le président du tribunal de commerce, statuant en référé, peut dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier ».
Une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.
En vertu des dispositions de l'article 1103 du code civil,
« les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».
Aux termes de l'article 2321 du code civil :
« La garantie autonome est l'engagement par lequel le garant s'oblige, en considération d'une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme soit à première demande, soit suivant des modalités convenues.
Le garant n'est pas tenu en cas d'abus ou de fraude manifestes du bénéficiaire ou de collusion de celui-ci avec le donneur d'ordre.
Le garant ne peut opposer aucune exception tenant à l'obligation garantie.
Sauf convention contraire, cette sûreté ne suit pas l'obligation garantie. »
Le garant ne peut invoquer les exceptions appartenant au débiteur ou relatives au contrat de base.
En revanche, outre les cas d'abus ou de fraude manifestes, son exécution doit être strictement conformes aux stipulations contractuelles et aux formalités requises. Le garant peut donc invoquer le non-respect des conditions ou des modalités stipulées dans son engagement. Ainsi, par exemple, il peut être fondé à s'opposer à un appel prématuré ou tardif ou à invoquer l'expiration de la garantie, ces objections étant propres au contrat de garantie et étrangères au contrat de base.
La garantie versée aux débats est intitulée « garantie à première demande » et renvoie expressément à l'article 2321 du code civil et à son caractère autonome.
Il est précisé qu'en couverture de l'exécution des obligations issues de la garantie d'actif et de passif mise à la charge du cédant, celui-ci s'est engagé à la délivrance bancaire d'une garantie d'un montant initial de 288 675 euros, dégressif. Aux termes de cette garantie, la Caisse d'Epargne s'engage à garantir, pour le compte du donneur d'ordre, le bénéficiaire, « des conséquences de l'inexécution ou de la mauvaise exécution des obligations mises à la charge du donneur d'ordre aux termes de la garantie d'actif et de passif », à première demande.
Aussi, bien que la garantie se réfère au contrat qui la justifiait, les termes de cette convention sont suffisamment précis et ne nécessitent aucune interprétation quant au fait qu'il s'agisse d'une garantie autonome, à première demande.
En revanche, elle nécessite pour son application le respect des conditions stipulées.
La garantie à première demande mentionne que « le présent engagement en pourra être mis en jeu par le bénéficiaire que pour autant que le montant total des diminutions d'actif et augmentations de passif s'avérera supérieur à 15 000 euros, laquelle somme constitue une franchise ».
Il n'est pas mentionné qu'il s'agirait seulement de diminutions alléguées. Cette stipulation conduit au contraire à considérer qu'elles puissent devoir être établies. Or, et bien que le montant sollicité au titre de la garantie d'actif et de passif à M. [Y] ait été supérieur à cette franchise, force est de constater que la réalité de ce dépassement est indirectement discuté entre les parties.
M. [Y] soutient en effet que le montant de l'actif et du passif et partant, du préjudice, n'est pas déterminable faute d'établissement des situations comptables individuelles.
L'article 4.3 de la garantie d'actif et de passif mentionne à cet égard que les situations comptables individuelles serviront, notamment, de « référence pour la détermination de l'existence ou non de préjudice au sens du contrat de garantie », tandis que l'article 26.1 stipule que « le garant ne sera tenu à indemnisation qu'à hauteur du préjudice net, calculé à hauteur de la variation des postes comptables concernés dans les situations comptables individuelles, c'est à dire tout préjudice s'étant effectivement traduit pour la Société ou pour
l'une de ses Filliales, par i) un décaissement, ii) une absence d'encaissement iii) un moindre encaissement ou iv) une diminution d'actif v) ou une argumentation de passif ».
Ainsi, il existe une contestation sérieuse que ne peut trancher le juge des référés.
Au surplus, le montant de la garantie d'actif et de passif sollicité par la société Ventidlev, soit 224 008,14 euros, est supérieur au montant réclamé au titre de la garantie autonome. Il existe là encore une contestation sérieuse relatif à l'abus éventuel dans la mise en oeuvre de la garantie à première demande.
Il convient de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté la demande de provision de la société Ventidlev.
Les parties ne discutent pas de l'urgence retenue par le juge des référés pour statuer sur la demande de M. [Y] de sursis au règlement de la garantie à première demande ni de l'existence d'un différend lui permettant d'ordonner ledit sursis.
Sans autre élément de discussion, il convient de confirmer l'ordonnance en ce qu'il a ordonné à la Caisse d'Epargne de surseoir au règlement de la somme de 288 675 euros au profit de la société Ventidlev.
Dépens et frais irrépétibles
Il convient d'infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a réservé les dépens et les frais irrépétibles.
Succombant à l'instance, la société Ventidlev sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la M. [Y] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. La demande de la Caisse d'Epargne au titre de ce même article est rejetée.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme l'ordonnance en ce qu'elle a :
- réservé l'application de l'article 700 du code de procédure civile,
- réservé les dépens,
Confirme l'ordonnance pour le surplus des dispositions soumises à la cour,
Condamne la société Ventidlev aux dépens de première instance et d'appel,
Condamne la société Ventidlev à payer à M. [K] [Y] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles,
Rejette toute autre demande des parties,
Le Greffier, Le Président,