CA Reims, ch.-1 civ. et com., 7 octobre 2025, n° 25/00199
REIMS
Arrêt
Autre
R.G. : N° RG 25/00199 - N° Portalis DBVQ-V-B7J-FTI7
ARRÊT N°
du : 07 octobre 2025
Formule exécutoire le :
à :
Me Antoine GINESTRA
la SELARL JACQUEMET SEGOLENE
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRÊT DU 07 OCTOBRE 2025
APPELANTS :
d'une ordonnance de référé rendue le 05 février 2025 par le tribunal judiciaire de Reims (RG 24/00412)
Maître [Z] [L] ès qualité de mandataire judiciaire de la SARL ASP
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représenté par Me Antoine GINESTRA, avocat au barreau de REIMS
S.A.R.L. ASP
[Adresse 7]
[Localité 4]
Représentée par Me Antoine GINESTRA, avocat au barreau de REIMS
S.E.L.A.R.L. A.J.C. prise en la personne de Me [U] [C] ès qualité d'administrateur judiciaire de la SARL ASP
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Antoine GINESTRA, avocat au barreau de REIMS
INTIMÉE :
S.C.I. LES VIVIERS SCI immatriculée au RCS de REIMS sous le numéro 402 620 694 , prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 6]
[Localité 5]
Représentée par Me Ségolène JACQUEMET-POMMERON de la SELARL JACQUEMET SEGOLENE, avocat au barreau de REIMS
DÉBATS :
A l'audience publique du 02 septembre 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 07 octobre 2025, sans opposition de la part des conseils des parties et en application de l'article 805 du code de procédure civile, Mme Christina DIAS DA SILVA, présidente de chambre et M. Kevin LECLERE VUE, conseiller, ont entendu les conseils des parties en leurs conclusions et explications, puis ces magistrat en ont rendu compte à la cour dans son délibéré
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Christina DIAS DA SILVA, présidente de chambre
Mme Sandrine PILON, conseiller
M. Kevin LECLERE VUE, conseiller
GREFFIER D'AUDIENCE :
Madame Lucie NICLOT, greffier
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Mme Christina DIAS DA SILVA, présidente de chambre, et par Mme Lucie NICLOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
EXPOSE DU LITIGE
La SCI Les [Adresse 9] est propriétaire d'un entrepôt situé [Adresse 1] à Tinqueux (51).
Selon acte authentique du 25 mai 2022, la société Les [Adresse 9] a donné à bail commercial ce bâtiment à la SARL A.S.P. à compter du 1er juin 2022, moyennant un loyer mensuel de 1 850 euros hors taxes et hors charges.
Par lettre recommandée distribuée le 9 novembre 2022, la société Les [Adresse 9] a mis vainement en demeure la société A.S.P. de lui régler sous huit jours la somme de 8 586 euros toutes taxes comprises au titre des loyers impayés des mois de septembre, octobre et novembre 2022.
Selon exploit délivré le 26 octobre 2023, la société Les Viviers a fait signifier à la société A.S.P. un commandement de payer les loyers visant la clause résolutoire pour une somme de 10 987,17 euros en principal.
Ce commandement étant demeuré infructueux, la société Les Viviers a, selon exploit délivré le 2 octobre 2024, fait assigner la société A.S.P devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Reims notamment aux fins de constat de la résiliation de plein droit du bail et de paiement des loyers impayés.
L'affaire a été plaidée devant le juge des référés le 8 janvier 2025.
Entre-temps, par jugement du 21 janvier 2025, le tribunal de commerce de Reims a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société A.S.P., fixé la date de cessation des paiements au 16 juillet 2024 et désigné la société AJC, prise en la personne de Me [U] [C], ès qualités d'administrateur judiciaire, ainsi que Me [Z] [L], ès qualités de mandataire judiciaire.
Par courrier réceptionné au greffe le 29 janvier 2025, le conseil de la société A.S.P. a informé le juge des référés de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire.
Par ordonnance de référé contradictoire du 5 février 2025, le juge des référés du tribunal judiciaire de Reims a :
' rejeté l'exception d'incompétence,
' déclaré la société Les Viviers recevable,
' constaté la résiliation de plein droit du bail commercial conclu entre les parties portant sur le local à usage commercial sis [Adresse 1] à [Localité 8] du fait de l'acquisition de la clause résolutoire,
' ordonné l'expulsion de la société A.S.P., occupante sans droit ni titre, et de tout occupant de son chef, du local loué, au besoin avec le concours de la force publique et l'assistance d'un serrurier mais sans astreinte,
' fixé le montant de l'indemnité d'occupation due depuis la résiliation du bail litigieux et jusqu'à la date de la libération effective et définitive des lieux et remise des clés, à la somme de 2 775 euros,
' condamné la société A.S.P. au paiement de ladite indemnité d'occupation depuis la résiliation du bail litigieux et jusqu'à la date de la libération effective et définitive des lieux et remise des clés,
' condamné à titre provisoire la société A.S.P. à payer à la société Les Viviers la somme de 27 750 euros à titre d'indemnité d'occupation, à compter du 26 novembre 2023, date de la résiliation du bail et le mois de septembre 2024, mensualités échues avant la délivrance de l'assignation en date du 2 octobre 2024,
' condamné à titre provisoire la société A.S.P. à payer à la société Les [Adresse 9] la somme de 14 015,95 euros de loyers impayés, somme arrêtée au 26 novembre 2023, date de résiliation du bail, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 2 octobre 2024, date de la délivrance de l'assignation,
' autorisé la société Les Viviers à conserver le dépôt de garantie d'un montant de 3 700 euros hors taxes, à titre compensatoire sur les sommes dues au titre des arriérés locatifs dus,
' condamné la société A.S.P. à payer à la société Les Viviers la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
' condamné la société A.S.P. aux dépens en ce compris le coût du commandement de payer de Me [E] de 178,78 euros,
' débouté la société Les Viviers du surplus de ses prétentions
' débouté la société Les Viviers de ses prétentions,
' rappelé le caractère exécutoire de plein droit de la décision.
Par déclaration du 18 février 2025, la société A.S.P., Me [Z] [L] et la société AJC ont interjeté appel de cette ordonnance à l'exception du chef rejetant l'exception d'incompétence.
Par lettre recommandée distribuée le 19 février 2025, la société Les [Adresse 9] a déclaré sa créance entre les mains du mandataire judiciaire pour un montant total de 51 492,60 euros.
Dans leurs conclusions notifiées par RPVA le 18 août 2025, la société A.S.P., Me [Z] [L] et la société AJC demandent à la cour de :
' infirmer l'ordonnance en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau,
' déclarer la société Les Viviers irrecevable en ses prétentions,
' débouter la société Les [Adresse 9] de toutes ses prétentions.
' condamner la société Les Viviers aux entiers dépens sous le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
Sur le fondement des articles L. 622-21 I, L. 622-22 du code de commerce, ils soutiennent que l'ouverture de la procédure collective au bénéfice de la société A.S.P au cours de l'instance ayant donné lieu à l'ordonnance de référé rend la demande en référé de la société Les Viviers irrecevable. Ils précisent que l'instance en référé est définitivement arrêtée et ne peut être reprise après déclaration de la créance car celle-ci ne donne pas lieu à une décision revêtue de « l'autorité de force jugée ». Ils estiment que pour les mêmes raisons il n'y a pas lieu à référé sur l'ensemble des prétentions de l'intimée.
Dans leurs conclusions notifiées par RPVA le 7 juillet 2025, la société Les Viviers demande à la cour de :
' infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a :
* condamné la société A.S.P. au paiement de ladite indemnité d'occupation depuis la résiliation du bail litigieux et jusqu'à la date de la libération effective et définitive des lieux et remise des clés,
* condamné à titre provisoire la société A.S.P. à payer à la société Les [Adresse 9] la somme de 27 750 euros à titre d'indemnité d'occupation, à compter du 26 novembre 2023, date de la résiliation du bail et le mois de septembre 2024, mensualités échues avant la délivrance de l'assignation en date du 2 octobre 2024,
* condamné à titre provisoire la société A.S.P. à payer à la société Les [Adresse 9] la somme de 14 015,95 euros de loyers impayés, somme arrêtée au 26 novembre 2023, date de résiliation du bail, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 2 octobre 2024, date de la délivrance de l'assignation,
* condamné la société A.S.P. à payer à la société Les Viviers la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
* condamné la société A.S.P. aux dépens en ce compris le coût du commandement de payer de Me [E] de 178,78 euros,
* débouté la société Les Viviers du surplus de ses prétentions
* débouté la société Les Viviers de ses prétentions,
* rappelé le caractère exécutoire de plein droit de la décision.
Y faisant droit,
' fixer au passif de la société A.S.P. la somme de 14 015,95 euros de loyers impayés arrêtée au 26 novembre 2023, date de la résiliation du bail, somme soumise à trois fois le taux d'intérêt légal par jour de retard soit à compter du 1er juin 2021,
' fixer au passif de la société A.S.P. la somme de 36 075 euros à titre d'indemnité d'occupation, entre le mois de novembre 2023 et le mois de janvier 2025, date de l'ouverture de la procédure collective,
' fixer au passif de la société A.S.P. la somme mensuelle de 2 775 euros à titre d'indemnité d'occupation jusqu'à son départ effectif des lieux,
' fixer au passif de la société A.S.P. la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de première instance et d'appel.
En défense, sur le fondement des articles L. 145-17 I, 1°, L. 145-41 et L. 622-21 du code de commerce, elle soutient que l'appelante a cessé de procéder au règlement des loyers et que, conformément aux stipulations contractuelles, le bail est résilié de plein droit un mois après le commandement délivré le 26 octobre 2023 visant la clause résolutoire en l'absence de régularisation. Elle précise que cette demande ne tend pas au paiement d'une somme d'argent mais à la résiliation de plein droit d'un bail commercial, ce qui n'est pas interdit en cas d'ouverture d'une procédure collective.
Sur le fondement de l'article 1104 du code civil, elle indique que la somme due au jour de la résiliation du bail s'élève à 14 015,95 euros, qui doit être assortie des intérêts correspondant à trois fois le taux légal à compter du 1er juin 2021, date du premier jour de retard. Elle ajoute qu'en application du bail, elle est en droit de se prévaloir de la conservation du dépôt de garantie ainsi que de réclamer une indemnité d'occupation correspondant au loyer majoré de 50% jusqu'à la date d'ouverture de la procédure collective de l'intimée. Elle précise qu'il s'agit d'une créance antérieure au jugement d'ouverture qu'elle a régulièrement déclarée.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 août 2025 et l'affaire fixée à l'audience de plaidoiries du 2 septembre suivant.
Motifs de la décision
Selon l'article L. 622-1, I. du code de commerce, applicable à la procédure de redressement judiciaire par renvoi de l'article L. 631-14 du même code, le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant :
1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ;
2° A la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.
Selon l'article 145-41 du même code, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.
Le premier de ces textes interdit toute action en paiement d'une somme d'argent de la part du créancier dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture ou dont la créance, si elle lui est postérieure, n'est pas éligible au paiement préférentiel prévu à l'article L 622-17, I du code de commerce. Le créancier doit se soumettre à la procédure de déclaration et vérification des créances. Lorsque le créancier a engagé une action en paiement avant l'ouverture de la procédure collective, l'instance en cours est alors interrompue et ne peut être reprise qu'une fois les organes de la procédure appelés en la cause et vérification par le juge que la créance a été régulièrement déclarée. Dans ce cas, l'instance ne peut alors tendre qu'à la fixation de la créance au passif de la procédure collective. Toutefois, l'instance en cours au sens de ce texte est celle qui tend à obtenir de la juridiction saisie du principal une décision définitive sur l'existence et le montant de cette créance, de sorte que la créance faisant l'objet d'une instance en référé, qui tend à obtenir une condamnation provisionnelle, présentant un caractère provisoire, se heurte à la règle de l'interdiction des poursuites individuelles et doit être soumise à la procédure de vérification des créances et à la décision du juge-commissaire. L'instance en référé est donc dans ce cas définitivement arrêtée. Le moyen tiré de l'arrêt des poursuites individuelles est une fin de non-recevoir d'ordre public.
En outre, par application combinée de ces textes, la demande en référé introduite par le bailleur, avant le placement en redressement judiciaire du preneur, en vue de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire figurant au bail commercial pour défaut de paiement des loyers ou des charges échus antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure, ne peut être poursuivie après ce jugement.
Il en résulte que si le juge des référés statue à tort sur la demande, la cour d'appel, sur recours, doit infirmer l'ordonnance et déclarer elle-même la demande irrecevable.
En l'espèce, il résulte des éléments de la procédure que la société Les Viviers a, par acte extrajudiciaire du 2 octobre 2024, fait assigner la société A.S.P. devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Reims notamment aux fins de constat de la résiliation de plein droit du bail commercial et de paiement des loyers impayés.
L'affaire a été plaidée devant le juge des référés le 8 janvier 2025.
Entre-temps, par jugement du 21 janvier 2025, le tribunal de commerce de Reims a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société A.S.P. Cette information a été portée à la connaissance du juge des référés par courrier réceptionné au greffe le 29 janvier 2025.
Il en résulte que l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire a eu pour effet d'interrompre définitivement l'instance en référé introduite par la société Les Viviers à l'encontre de la société A.S.P. tendant à sa condamnation au paiement d'une somme provisionnelle au titre des loyers impayés et au constat de l'acquisition des effets de la clause résolutoire stipulée au bail commercial.
C'est donc à tort que le premier juge a, en dépit de l'information qui avait été portée à sa connaissance de ce qu'une procédure de redressement judiciaire était ouverte au profit de la société A.S.P., déclaré la demande en référé de la société Les Viviers recevable.
L'ordonnance entreprise sera par conséquent infirmée en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, la demande en référé de la société Les Viviers sera déclarée irrecevable.
La société Les Viviers, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel sous le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile et déboutée de sa prétention au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.
Par ces motifs
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Déclare irrecevable la demande en référé de la SCI Les Viviers,
Condamne la SCI Les Viviers aux dépens de première instance et d'appel sous le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile,
Déboute la SCI Les Viviers de sa prétention au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.
Le greffier La présidente
ARRÊT N°
du : 07 octobre 2025
Formule exécutoire le :
à :
Me Antoine GINESTRA
la SELARL JACQUEMET SEGOLENE
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRÊT DU 07 OCTOBRE 2025
APPELANTS :
d'une ordonnance de référé rendue le 05 février 2025 par le tribunal judiciaire de Reims (RG 24/00412)
Maître [Z] [L] ès qualité de mandataire judiciaire de la SARL ASP
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représenté par Me Antoine GINESTRA, avocat au barreau de REIMS
S.A.R.L. ASP
[Adresse 7]
[Localité 4]
Représentée par Me Antoine GINESTRA, avocat au barreau de REIMS
S.E.L.A.R.L. A.J.C. prise en la personne de Me [U] [C] ès qualité d'administrateur judiciaire de la SARL ASP
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Antoine GINESTRA, avocat au barreau de REIMS
INTIMÉE :
S.C.I. LES VIVIERS SCI immatriculée au RCS de REIMS sous le numéro 402 620 694 , prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 6]
[Localité 5]
Représentée par Me Ségolène JACQUEMET-POMMERON de la SELARL JACQUEMET SEGOLENE, avocat au barreau de REIMS
DÉBATS :
A l'audience publique du 02 septembre 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 07 octobre 2025, sans opposition de la part des conseils des parties et en application de l'article 805 du code de procédure civile, Mme Christina DIAS DA SILVA, présidente de chambre et M. Kevin LECLERE VUE, conseiller, ont entendu les conseils des parties en leurs conclusions et explications, puis ces magistrat en ont rendu compte à la cour dans son délibéré
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Christina DIAS DA SILVA, présidente de chambre
Mme Sandrine PILON, conseiller
M. Kevin LECLERE VUE, conseiller
GREFFIER D'AUDIENCE :
Madame Lucie NICLOT, greffier
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Mme Christina DIAS DA SILVA, présidente de chambre, et par Mme Lucie NICLOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
EXPOSE DU LITIGE
La SCI Les [Adresse 9] est propriétaire d'un entrepôt situé [Adresse 1] à Tinqueux (51).
Selon acte authentique du 25 mai 2022, la société Les [Adresse 9] a donné à bail commercial ce bâtiment à la SARL A.S.P. à compter du 1er juin 2022, moyennant un loyer mensuel de 1 850 euros hors taxes et hors charges.
Par lettre recommandée distribuée le 9 novembre 2022, la société Les [Adresse 9] a mis vainement en demeure la société A.S.P. de lui régler sous huit jours la somme de 8 586 euros toutes taxes comprises au titre des loyers impayés des mois de septembre, octobre et novembre 2022.
Selon exploit délivré le 26 octobre 2023, la société Les Viviers a fait signifier à la société A.S.P. un commandement de payer les loyers visant la clause résolutoire pour une somme de 10 987,17 euros en principal.
Ce commandement étant demeuré infructueux, la société Les Viviers a, selon exploit délivré le 2 octobre 2024, fait assigner la société A.S.P devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Reims notamment aux fins de constat de la résiliation de plein droit du bail et de paiement des loyers impayés.
L'affaire a été plaidée devant le juge des référés le 8 janvier 2025.
Entre-temps, par jugement du 21 janvier 2025, le tribunal de commerce de Reims a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société A.S.P., fixé la date de cessation des paiements au 16 juillet 2024 et désigné la société AJC, prise en la personne de Me [U] [C], ès qualités d'administrateur judiciaire, ainsi que Me [Z] [L], ès qualités de mandataire judiciaire.
Par courrier réceptionné au greffe le 29 janvier 2025, le conseil de la société A.S.P. a informé le juge des référés de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire.
Par ordonnance de référé contradictoire du 5 février 2025, le juge des référés du tribunal judiciaire de Reims a :
' rejeté l'exception d'incompétence,
' déclaré la société Les Viviers recevable,
' constaté la résiliation de plein droit du bail commercial conclu entre les parties portant sur le local à usage commercial sis [Adresse 1] à [Localité 8] du fait de l'acquisition de la clause résolutoire,
' ordonné l'expulsion de la société A.S.P., occupante sans droit ni titre, et de tout occupant de son chef, du local loué, au besoin avec le concours de la force publique et l'assistance d'un serrurier mais sans astreinte,
' fixé le montant de l'indemnité d'occupation due depuis la résiliation du bail litigieux et jusqu'à la date de la libération effective et définitive des lieux et remise des clés, à la somme de 2 775 euros,
' condamné la société A.S.P. au paiement de ladite indemnité d'occupation depuis la résiliation du bail litigieux et jusqu'à la date de la libération effective et définitive des lieux et remise des clés,
' condamné à titre provisoire la société A.S.P. à payer à la société Les Viviers la somme de 27 750 euros à titre d'indemnité d'occupation, à compter du 26 novembre 2023, date de la résiliation du bail et le mois de septembre 2024, mensualités échues avant la délivrance de l'assignation en date du 2 octobre 2024,
' condamné à titre provisoire la société A.S.P. à payer à la société Les [Adresse 9] la somme de 14 015,95 euros de loyers impayés, somme arrêtée au 26 novembre 2023, date de résiliation du bail, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 2 octobre 2024, date de la délivrance de l'assignation,
' autorisé la société Les Viviers à conserver le dépôt de garantie d'un montant de 3 700 euros hors taxes, à titre compensatoire sur les sommes dues au titre des arriérés locatifs dus,
' condamné la société A.S.P. à payer à la société Les Viviers la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
' condamné la société A.S.P. aux dépens en ce compris le coût du commandement de payer de Me [E] de 178,78 euros,
' débouté la société Les Viviers du surplus de ses prétentions
' débouté la société Les Viviers de ses prétentions,
' rappelé le caractère exécutoire de plein droit de la décision.
Par déclaration du 18 février 2025, la société A.S.P., Me [Z] [L] et la société AJC ont interjeté appel de cette ordonnance à l'exception du chef rejetant l'exception d'incompétence.
Par lettre recommandée distribuée le 19 février 2025, la société Les [Adresse 9] a déclaré sa créance entre les mains du mandataire judiciaire pour un montant total de 51 492,60 euros.
Dans leurs conclusions notifiées par RPVA le 18 août 2025, la société A.S.P., Me [Z] [L] et la société AJC demandent à la cour de :
' infirmer l'ordonnance en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau,
' déclarer la société Les Viviers irrecevable en ses prétentions,
' débouter la société Les [Adresse 9] de toutes ses prétentions.
' condamner la société Les Viviers aux entiers dépens sous le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
Sur le fondement des articles L. 622-21 I, L. 622-22 du code de commerce, ils soutiennent que l'ouverture de la procédure collective au bénéfice de la société A.S.P au cours de l'instance ayant donné lieu à l'ordonnance de référé rend la demande en référé de la société Les Viviers irrecevable. Ils précisent que l'instance en référé est définitivement arrêtée et ne peut être reprise après déclaration de la créance car celle-ci ne donne pas lieu à une décision revêtue de « l'autorité de force jugée ». Ils estiment que pour les mêmes raisons il n'y a pas lieu à référé sur l'ensemble des prétentions de l'intimée.
Dans leurs conclusions notifiées par RPVA le 7 juillet 2025, la société Les Viviers demande à la cour de :
' infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a :
* condamné la société A.S.P. au paiement de ladite indemnité d'occupation depuis la résiliation du bail litigieux et jusqu'à la date de la libération effective et définitive des lieux et remise des clés,
* condamné à titre provisoire la société A.S.P. à payer à la société Les [Adresse 9] la somme de 27 750 euros à titre d'indemnité d'occupation, à compter du 26 novembre 2023, date de la résiliation du bail et le mois de septembre 2024, mensualités échues avant la délivrance de l'assignation en date du 2 octobre 2024,
* condamné à titre provisoire la société A.S.P. à payer à la société Les [Adresse 9] la somme de 14 015,95 euros de loyers impayés, somme arrêtée au 26 novembre 2023, date de résiliation du bail, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 2 octobre 2024, date de la délivrance de l'assignation,
* condamné la société A.S.P. à payer à la société Les Viviers la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
* condamné la société A.S.P. aux dépens en ce compris le coût du commandement de payer de Me [E] de 178,78 euros,
* débouté la société Les Viviers du surplus de ses prétentions
* débouté la société Les Viviers de ses prétentions,
* rappelé le caractère exécutoire de plein droit de la décision.
Y faisant droit,
' fixer au passif de la société A.S.P. la somme de 14 015,95 euros de loyers impayés arrêtée au 26 novembre 2023, date de la résiliation du bail, somme soumise à trois fois le taux d'intérêt légal par jour de retard soit à compter du 1er juin 2021,
' fixer au passif de la société A.S.P. la somme de 36 075 euros à titre d'indemnité d'occupation, entre le mois de novembre 2023 et le mois de janvier 2025, date de l'ouverture de la procédure collective,
' fixer au passif de la société A.S.P. la somme mensuelle de 2 775 euros à titre d'indemnité d'occupation jusqu'à son départ effectif des lieux,
' fixer au passif de la société A.S.P. la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de première instance et d'appel.
En défense, sur le fondement des articles L. 145-17 I, 1°, L. 145-41 et L. 622-21 du code de commerce, elle soutient que l'appelante a cessé de procéder au règlement des loyers et que, conformément aux stipulations contractuelles, le bail est résilié de plein droit un mois après le commandement délivré le 26 octobre 2023 visant la clause résolutoire en l'absence de régularisation. Elle précise que cette demande ne tend pas au paiement d'une somme d'argent mais à la résiliation de plein droit d'un bail commercial, ce qui n'est pas interdit en cas d'ouverture d'une procédure collective.
Sur le fondement de l'article 1104 du code civil, elle indique que la somme due au jour de la résiliation du bail s'élève à 14 015,95 euros, qui doit être assortie des intérêts correspondant à trois fois le taux légal à compter du 1er juin 2021, date du premier jour de retard. Elle ajoute qu'en application du bail, elle est en droit de se prévaloir de la conservation du dépôt de garantie ainsi que de réclamer une indemnité d'occupation correspondant au loyer majoré de 50% jusqu'à la date d'ouverture de la procédure collective de l'intimée. Elle précise qu'il s'agit d'une créance antérieure au jugement d'ouverture qu'elle a régulièrement déclarée.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 août 2025 et l'affaire fixée à l'audience de plaidoiries du 2 septembre suivant.
Motifs de la décision
Selon l'article L. 622-1, I. du code de commerce, applicable à la procédure de redressement judiciaire par renvoi de l'article L. 631-14 du même code, le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant :
1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ;
2° A la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.
Selon l'article 145-41 du même code, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.
Le premier de ces textes interdit toute action en paiement d'une somme d'argent de la part du créancier dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture ou dont la créance, si elle lui est postérieure, n'est pas éligible au paiement préférentiel prévu à l'article L 622-17, I du code de commerce. Le créancier doit se soumettre à la procédure de déclaration et vérification des créances. Lorsque le créancier a engagé une action en paiement avant l'ouverture de la procédure collective, l'instance en cours est alors interrompue et ne peut être reprise qu'une fois les organes de la procédure appelés en la cause et vérification par le juge que la créance a été régulièrement déclarée. Dans ce cas, l'instance ne peut alors tendre qu'à la fixation de la créance au passif de la procédure collective. Toutefois, l'instance en cours au sens de ce texte est celle qui tend à obtenir de la juridiction saisie du principal une décision définitive sur l'existence et le montant de cette créance, de sorte que la créance faisant l'objet d'une instance en référé, qui tend à obtenir une condamnation provisionnelle, présentant un caractère provisoire, se heurte à la règle de l'interdiction des poursuites individuelles et doit être soumise à la procédure de vérification des créances et à la décision du juge-commissaire. L'instance en référé est donc dans ce cas définitivement arrêtée. Le moyen tiré de l'arrêt des poursuites individuelles est une fin de non-recevoir d'ordre public.
En outre, par application combinée de ces textes, la demande en référé introduite par le bailleur, avant le placement en redressement judiciaire du preneur, en vue de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire figurant au bail commercial pour défaut de paiement des loyers ou des charges échus antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure, ne peut être poursuivie après ce jugement.
Il en résulte que si le juge des référés statue à tort sur la demande, la cour d'appel, sur recours, doit infirmer l'ordonnance et déclarer elle-même la demande irrecevable.
En l'espèce, il résulte des éléments de la procédure que la société Les Viviers a, par acte extrajudiciaire du 2 octobre 2024, fait assigner la société A.S.P. devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Reims notamment aux fins de constat de la résiliation de plein droit du bail commercial et de paiement des loyers impayés.
L'affaire a été plaidée devant le juge des référés le 8 janvier 2025.
Entre-temps, par jugement du 21 janvier 2025, le tribunal de commerce de Reims a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société A.S.P. Cette information a été portée à la connaissance du juge des référés par courrier réceptionné au greffe le 29 janvier 2025.
Il en résulte que l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire a eu pour effet d'interrompre définitivement l'instance en référé introduite par la société Les Viviers à l'encontre de la société A.S.P. tendant à sa condamnation au paiement d'une somme provisionnelle au titre des loyers impayés et au constat de l'acquisition des effets de la clause résolutoire stipulée au bail commercial.
C'est donc à tort que le premier juge a, en dépit de l'information qui avait été portée à sa connaissance de ce qu'une procédure de redressement judiciaire était ouverte au profit de la société A.S.P., déclaré la demande en référé de la société Les Viviers recevable.
L'ordonnance entreprise sera par conséquent infirmée en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, la demande en référé de la société Les Viviers sera déclarée irrecevable.
La société Les Viviers, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel sous le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile et déboutée de sa prétention au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.
Par ces motifs
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Déclare irrecevable la demande en référé de la SCI Les Viviers,
Condamne la SCI Les Viviers aux dépens de première instance et d'appel sous le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile,
Déboute la SCI Les Viviers de sa prétention au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.
Le greffier La présidente