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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 8, 7 octobre 2025, n° 25/06148

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 25/06148

7 octobre 2025

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 8

ARRÊT DU 7 OCTOBRE 2025

(n° / 2025 , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 25/06148 - N° Portalis 35L7-V-B7J-CLDQL

Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 mars 2025 -Tribunal de commerce de BOBIGNY - RG n° 2024P02267

APPELANTE

S.A.S. J AND Y BROTHERS, représentée par son représentant légal, Monsieur [Z] [O], né le [Date naissance 2] 1984 à [Localité 12] (Tunisie), de nationalité tunisienne, domicilié audit siège en cette qualité,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de BOBIGNY sous le numéro 821 620 051,

[Adresse 4]

[Localité 7]

Représentée par Me Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0020,

Assistée de Me Camille DARRES de la SELARL NAÏM ASSOCIES, avocate au barreau de PARIS, toque C1703,

INTIMÉS

Maître [B] [P], en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS J AND Y BROTHERS,

Dont l'étude est située [Adresse 9]

[Localité 6]

Représenté par Me Nathalie LESENECHAL, avocate au barreau de PARIS, toque : D2090,

Assisté de Me Margot BUISSON, avocate au barreau de PARIS, toque C1515,

L'URSSAF ILE DE FRANCE

Située [Adresse 1]

[Localité 8]

Représentée par Me Vincent DONY de l'AARPI ARKE Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : B0005,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL

[Adresse 3]

[Localité 5]

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 906 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 9 septembre 2025, en audience publique, devant la cour, composée de :

Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,

Madame Constance LACHEZE, conseillère,

Madame Isabelle ROHART, conseillère,

Qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Constance LACHEZE dans le respect des conditions prévues à l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL

ARRÊT :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

La société par actions simplifiée J and Y Brothers a été créée le 20 juillet 2016 pour exercer une activité de salon de coiffure et de barbier au [Localité 11] (93), outre celles de vente et achat de tous produits liés à ces activités, import, export, apporteur d'affaires. Depuis le 11 avril 2022, elle a pour unique actionnaire et président M. [Z] [O]. Elle emploie un seul salarié.

Sur assignation du 19 juillet 2024 de l'Urssaf, invoquant une créance en principal de 7 881,04 euros, et par jugement exécutoire de plein droit du 12 mars 2025, le tribunal de commerce de Bobigny a ouvert une procédure de liquidation judiciaire simplifiée sans maintien de l'activité à l'égard de la société J&Y Brothers, nommé Me [P] en qualité de liquidateur judiciaire, fixé provisoirement au 15 septembre 2023 la date de cessation des paiements motivée par saisie-attribution (sic), et dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

Le 25 mars 2025, la société J&Y Brothers a relevé appel de ce jugement.

Par jugement du 1er avril 2025, le tribunal de commerce de Bobigny a ordonné le maintien de l'activité de la société J&Y Brothers jusqu'au 1er juillet 2025 pour les seuls besoins de la liquidation judiciaire.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 8 juillet 2025, la société J and Y Brothers demande à la cour :

- de la recevoir en son appel,

- d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- d'ordonner l'ouverture d'un redressement judiciaire à son égard,

- de désigner Me [P], ès qualités de mandataire judiciaire,

- de renvoyer l'affaire devant le tribunal de commerce de Bobigny pour désignation du juge-commissaire et organisation de la période d'observation,

- de dire que les dépens seront passés en frais privilégiés de la procédure collective.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 19 juin 2025, Me [G], ès qualités, demande à la cour :

- de confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- de débouter la société J&Y Brothers de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- de juger que les dépens seront comptés en frais privilégiés de procédure collective.

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 6 juin 2025, l'Urssaf demande à la cour :

- de déclarer la société J&Y Brothers mal fondée en son appel,

- de l'en débouter, confirmer en toutes ses dispositions le jugement,

- de dire que les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 2 septembre 2025.

Par une note en délibéré autorisée par la cour lors de l'audience du 9 septembre 2025 et transmise par RPVA le 10 septembre 2025, la société J and Y Brothers a produit son relevé de compte ouvert auprès de la banque Delubac arrêté au 10 septembre 2025 et des justificatifs des virements y figurant.

SUR CE,

Aux termes de l'article L. 631-1 du code de commerce, il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L. 631-2 ou L. 631-3 qui, dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements et le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements. (')

Il résulte de l'article L. 640-1 du code de commerce que la procédure de liquidation judiciaire n'est ouverte qu'au débiteur en cessation des paiements dont le redressement est manifestement impossible.

En cas d'appel, l'état de cessation des paiements s'apprécie au jour où la cour statue.

Sur l'état de cessation des paiements

La société J&Y Brothers ne conteste pas l'état de cessation des paiements. Elle expose que son dirigeant était non comparant lors de l'audience chambre du conseil et n'a pas été en mesure d'exposer une défense et les éléments qui lui auraient permis de justifier de l'ouverture d'un redressement judiciaire.

S'agissant du passif échu et exigible, elle l'évalue à 8 729,24 euros répartis comme suit :

- une créance de 6 431,24 euros due à l'Urssaf,

- deux créances de 1924 euros et de 374 euros dues au Trésor public au titre de la TVA respectivement de 2022 et de 2023,

précisant qu'en fin d'année 2024, le dirigeant a dû mettre à jour toutes les déclarations d'impôts sur les sociétés et de TVA depuis 2021 qui n'avaient pas été effectuées par l'ancien dirigeant, et déposer celles de 2022 et 2023.

S'agissant du passif déclaré, alors que le délai de déclaration de créance a expiré le 21 mai 2025, elle indique qu'il s'élève à la somme de 38 276,13 euros et qu'il est composé de deux créances :

- 8 922,09 euros dus au bailleur, somme qui n'est pas discutée et

- 29 354,04 euros dus à l'Urssaf,

mais que le montant de la créance de l'Urssaf devrait être ramené après vérification à une somme de 4 906,1 euros, cette somme comportant une taxation d'office régularisée depuis lors et une créance de « REGUL » de 15 000 euros devant être déduite, la société étant à jour de ses déclarations et de ses paiements,

soit un passif total de 13 828,19 euros.

S'agissant de l'actif disponible, elle fait valoir disposer d'une caisse en espèces de 3 200 euros déposés sur un compte bancaire ouvert auprès de la banque Delubac, détenir un crédit de TVA de 289 euros au titre de l'année 2022 et disposer d'un fonds de commerce de salon de coiffure, barbier pour lequel l'Office public de l'habitat de Seine-[Localité 13] Habitat lui a consenti un bail commercial au [Localité 10] (94) de 9 ans à compter du 24 octobre 2019 moyennant paiement d'un loyer annuel est de 9 440 euros payable trimestriellement, soit 786,77 euros par mois, un droit d'entrée de 7 500 euros et un dépôt de garantie versé à la signature du bail de 2 360 euros.

Me [G], ès qualités, considère que le passif exigible s'élèverait à tout le moins à la somme de 12 294,13 euros dont 3 244 euros de parts salariales, la créance déclarée par l'Urssaf contenant une taxation d'office sur les mois de janvier à mars 2025 pour un montant total de 10 982 euros, et une régularisation de 15 000 euros pour délais congés, AGS, et régularisations diverses.

Au titre de l'actif disponible, le liquidateur expose qu'il n'est pas justifié du moindre actif disponible, qu'il ne détient aucune somme, qu'il ne peut même pas faire face au paiement de la taxe d'appel de 225 euros, que la société ne produit aucune situation de trésorerie, que la caisse qui contiendrait 3 200 euros ne lui a pas été remise, de sorte que l'état de cessation des paiements est manifeste.

L'Urssaf rappelle qu'elle a fait assigner la société appelante en liquidation judiciaire par acte du 19 juillet 2024 étant titulaire à son encontre d'une créance de 18 381,61 euros, dont 5 238,04 euros au titre des parts ouvrières, qu'elle a déclaré au passif de la société une créance de 29 354,04 euros, dont 3 244 euros au titre des parts ouvrières, qu'il s'agit de cotisations dues pour les périodes de novembre 2018 à mars 2025, qu'elle produit les contraintes délivrées à la société J&Y Brothers qui ont été suivies par des mesures d'exécution qui se sont révélées infructueuses, que les procès-verbaux de saisie-attribution établis les 26 juin et 15 septembre 2023 font ressortir un solde bancaire nul, qu'ainsi, ne pouvant pas faire face à son passif exigible avec son actif disponible, la société appelante se trouve en état de cessation des paiements.

La cour constate que l'état de cessation de paiement ne fait pas débat, que la société débitrice justifie avoir réalisé trois virements de 1 000 euros chacun à destination du compte du mandataire liquidateur en juillet 2025, ainsi qu'un virement de 5 000 euros le 9 septembre suivant, somme constituant un actif disponible au jour où la cour statue.

Par ailleurs, le montant du passif exigible comporte la dette locative de 8 922,09 euros, non discutée, et la créance de l'URSSAF, ancienne mais de faible montant en réalité si l'on en déduit les sommes relevant de la taxation d'office et les « régularisations » de 15 000 euros. En effet, si l'on soustrait de la créance déclarée (29 354,04 euros) les sommes de 15 000 euros (régularisations), de 3 543 (taxation d'office de janvier 2025), de 3 661 euros (taxation d'office de février 2025) et de 3 778 euros (taxation d'office de mars 2025) et que l'on rajoute au titre de ces trois dernières périodes la somme actualisée de 1 534,10 euros, la créance de l'URSSAF se réduit à une somme de 4 906,14 euros, comme le prétend l'appelante. Il en découle un passif exigible total de 13 828,23 euros.

Sur les perspectives de redressement

La société J&Y Brothers expose avoir établi des prévisionnels de trésorerie et d'exploitation qui démontrent que l'activité est en cours de redressement et pourrait se poursuivre en générant un résultat positif, lui permettant d'envisager un redressement judiciaire et une sortie de la procédure par un plan de continuation. Elle fait état des résultats de ses derniers exercices :

- 2021 : CA de 16 494 euros, pour un résultat net d'exploitation de : - 917 euros ;

- 2022 : CA de 8 000 euros, pour un résultat net d'exploitation de : - 10 261 euros ;

- 2023 : CA de 12 750 euros, pour un résultat net d'exploitation de : - 27 euros.

Elle fait valoir que le fonds de commerce qu'elle possède pourrait faire l'objet d'une cession si le dirigeant, M. [O], ne parvenait pas à proposer une sortie par paiement comptant du passif ou par un plan de redressement.

Me [P], ès qualités, soutient qu'il est impossible d'ouvrir une procédure de redressement judiciaire, qu'en l'absence de trésorerie et d'élément transmis par le dirigeant, le redressement n'est pas envisageable, que le prévisionnel produit aux débats n'est pas établi par un expert-comptable et apparaît particulièrement optimiste en ce qu'il prévoit un chiffre d'affaires mensuel de 3 750 euros par mois, soit 45 000 euros par an, alors que sur les exercices antérieurs connus, le chiffre d'affaires aurait été compris entre 8 000 euros et 12 000 euros maximum, sans que la société ne s'explique sur la multiplication de son chiffre d'affaires par 5. Il ajoute que la société appelante n'a pas tenu de comptabilité depuis 2017, que la liasse fiscale pour l'exercice de 2021 est incomplète et fait apparaître que les capitaux propres sont négatifs avec un chiffre d'affaires de 16 500 euros et un résultat d'exploitation négatif, que les déclarations de TVA et d'IS de 2021, 2022 et 2023 font apparaître un chiffre d'affaires déclaré de 8 000 euros en 2022 et de 12 750 euros en 2023, que le non-règlement du loyer est un problème structurel puisqu'en 2019, la société a fait l'objet d'une expulsion en raison d'une dette de loyers de 14 000 euros, soit 18 mois d'impayés, que le bailleur a accepté de surseoir à son expulsion, qu'au jour de la liquidation judiciaire, la dette locative s'élevait à 8 922 euros, qu'ainsi le chiffre d'affaires réalisé au cours des années 2021 à 2023 ne lui permet pas de régler les charges fixes, les charges sociales, les loyers, et couvre à peine le salaire du seul salarié, qu'aucun élément comptable pour l'année 2024 n'est transmis, que lorsque l'huissier s'est rendu sur place pour délivrer l'assignation, il lui a été indiqué que la société était partie sans laisser d'adresse et que dans ces conditions, sauf à ce que la société justifie d'une trésorerie et d'un prévisionnel cohérent, le liquidateur ne peut s'associer à une demande d'ouverture d'un redressement judiciaire.

L'Urssaf souligne que la société appelante ne justifie pas de la trésorerie qu'elle invoque à hauteur de 3 200 euros, que les états prévisionnels versés aux débats n'ont pas été établis par son comptable et ne disposent d'aucune valeur probante, que les exercices 2021, 2022, et 2023 font ressortir des résultats déficitaires, qu'elle cumule un déficit de 28 400 euros, qu'elle a fait l'objet d'une procédure d'expulsion en 2019 pour dette locative impayée et que sa dette est ancienne car remontant à 2018. Elle en déduit que ces éléments démontrent que la situation déficitaire de la société appelante est structurelle et chronique et que compte-tenu du montant de sa dette et de l'échec des voies d'exécution, son redressement apparaît manifestement impossible.

Sur ce,

Quand bien même le passif de la société J and Y Brothers est minime et son bailleur conciliant, étant précisé qu'à la suite de la procédure d'expulsion menée à son terme le 23 septembre 2019, un nouveau bail a été conclu entre les mêmes parties le 24 octobre suivant, la débitrice ne parvient manifestement pas à maintenir ses comptes à l'équilibre.

Les chiffres précités démontrent que son activité est structurellement déficitaire, que la dette locative est ancienne et n'a jamais été complètement résorbée et qu'elle ne parvient pas à payer les parts salariales de cotisations sociales de son seul salarié. L'entreprise ne tient pas de comptabilité et ne justifie pas des paiements des dettes qu'elle prétend avoir réalisés en 2022.

Son prévisionnel est réalisé sur un seul trimestre et l'unique variable d'ajustement visant à démontrer que la société peut dégager un excédent d'exploitation est son chiffre d'affaires qu'elle prétend multiplier par cinq sans autre explication, ainsi que le relève à juste titre le liquidateur, si bien que ces prévisions, sur une si courte période, apparaissent illusoires.

Il s'ensuit que son redressement apparaît manifestement impossible au jour où la cour statue.

La date de cessation des paiements retenue par le tribunal au 15 septembre 2023 correspond à la date de la tentative de saisie-attribution entre les mains de la société Olinda et sera retenue par la cour s'agissant d'une vaine tentative.

En conséquence, le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.

Les dépens d'appel seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Ordonne l'emploi des dépens d'appel en frais privilégiés de la procédure collective.

Liselotte FENOUIL

Greffière

Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT

Présidente

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