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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 8, 7 octobre 2025, n° 23/19828

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 23/19828

7 octobre 2025

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 8

ARRÊT DU 7 OCTOBRE 2025

(n° / 2025 , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/19828 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIU73

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 novembre 2023 -Tribunal de commerce d'AUXERRE - RG n° 2023000976

APPELANT

Monsieur [Y] [P], en qualité de dirigeant de la société par actions simplifiée ACTI-POSE, dont le siège social est [Adresse 2] à [Localité 7],

Né le [Date naissance 6] 1964

De nationalité française

Demeurant [Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Laurence DE MONTAUZAN de la SELARL DLBA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : J149,

INTIMÉE

S.E.L.A.R.L. MJ & ASSOCIES , prise en la personne de Me [S] [T] en qualité de liquidateur judiciaire de la société par actions simplifiée ACTI-POSE dont le siège social est situé [Adresse 2], désignée à cette fonction par jugement du tribunal de commerce d'Auxerre du 17 octobre 2022,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés d'AUXERRE sous le numéro 419 349 030,

Dont le siège social est situé [Adresse 3],

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Olivier PECHENARD de la SELARL PBM AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B0899,

Assistée de Me Augustin BILLOT, avocat au barreau de PARIS, toque : B0899,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 4 mars 2025, en audience publique, devant la cour, composée de:

Madame Constance LACHEZE, conseillère faisant fonction de présidente,

Monsieur François VARICHON, conseiller,

Madame Isabelle ROHART, conseillère,

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Constance LACHEZE dans le respect des conditions prévues à l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL

MINISTÈRE PUBLIC : L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Monsieur François VAISSETTE, avocat général, qui a fait connaître son avis écrit du 27 mai 2024.

ARRÊT :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Constance LACHEZE, conseillère faisant fonction de présidente, et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

La société Acti-pose exerçait depuis le 2 février 1998 une activité de transport et de pose de tous matériels et matériaux, meubles et aménagements réalisée et/ou vendus par ses sociétés s'urs.

Elle a été constituée sous la forme d'une société à responsabilité limitée et dirigée par M. [D] [B] jusqu'à sa transformation en société par actions simplifiée le 19 avril 2013 et la démission de M. [B] le 30 avril 2013.

Depuis lors, elle a pour président la SARL [Y] [P] Holding elle-même dirigée par M. [Y] [P].

Le groupe [Y] [P] Holding détient, outre la société Acti-pose, une société BMO Agencement, société de conception, de fabrication et d'installation de mobiliers et d'agencements pour hôtels, restaurants, bureaux et surfaces de vente ainsi qu'une société [D] [B] cuisines et bains qui assurait des prestations d'ameublement de pièces humides.

Sur déclaration de cessation des paiements réalisée le 31 août 2022 et par jugement du 5 septembre 2022, le tribunal de commerce d'Auxerre a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Acti-pose, désigné la SELARL MJ & Associés en la personne de Me [T] en qualité de mandataire judiciaire et fixé la date de cessation des paiements au 5 mars 2021.

Par jugement du 18 octobre 2022, le tribunal de commerce d'Auxerre a converti la procédure en liquidation judiciaire et désigné la SELARL MJ & Associés en la personne de Me [T] en qualité de liquidateur judiciaire.

L'insuffisance d'actif s'élevant selon le liquidateur judiciaire à la somme de 514 068,91 euros, il a assigné M. [P] en responsabilité en se prévalant de deux fautes de gestion, la non-déclaration de la cessation des paiements dans le délai de 45 jours et la poursuite d'une activité structurellement déficitaire en l'absence de mesure de redressement entreprise pour y remédier.

Par jugement du 15 novembre 2023, le tribunal de commerce d'Auxerre a :

- dit la SELARL MJ & Associés ès qualités recevable en ses demandes,

- condamné M. [P] à supporter l'insuffisance d'actif de la procédure de liquidation judiciaire de la société Acti-pose à hauteur de 107 734,54 euros,

- débouté M. [P] de l'ensemble de ses moyens, fins et conclusions,

- ordonné la capitalisation par année entière des intérêts,

- ordonné l'exécution provisoire,

- dit que les dépens seront employés en frais de liquidation judiciaire.

Pour statuer comme il l'a fait, le tribunal a retenu les deux fautes de gestion reprochées.

Par déclaration du 8 décembre 2023, M. [P] a relevé appel de ce jugement.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 28 janvier 2025, M. [Y] [P] demande à la cour :

- à titre principal, d'annuler le jugement du 15 novembre 2023 ;

- statuant par l'effet dévolutif de l'appel, de débouter la SELARL MJ & Associés ès qualités de l'intégralité de ses demandes ;

- à titre subsidiaire, d'infirmer ledit jugement en toutes ses dispositions ;

- statuant à nouveau, de débouter la SELARL MJ & Associés ès qualités de l'intégralité de ses demandes ;

- de condamner la SELARL MJ & Associés ès qualités à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 7 mai 2024, la SELARL MJ & Associés en la personne de Me [S] [T] agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société Acti-pose demande à la cour :

- à titre principal, de constater que le jugement n'est entaché d'aucune cause de nullité ;

- de confirmer le jugement excepté sur le quantum de la condamnation de M. [P] à supporter l'insuffisance d'actif ;

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a retenu un quantum de 107 734,54 euros au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif ;

- de condamner M. [P] à lui payer la somme « au minimum » de 224 910,21 euros (sic) à ce titre ;

- à titre subsidiaire, de constater qu'elle est saisie en vertu de l'effet dévolutif de l'appel pour statuer sur l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif initiée à l'encontre de M. [P] ;

- de constater que M. [M] a commis des fautes de gestion ayant contribué à créer ou aggraver l'insuffisance d'actif de la société Acti-pose pour un montant minimum de 224 910,21 euros ;

- de condamner M. [P] à lui payer la somme « au minimum » de 224 910,21 euros (sic) à ce titre ;

- en tout état de cause, de débouter M. [P] de ses demandes ;

- de condamner M. [P] à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par avis notifié par voie électronique le 27 mai 2024, le ministère public demande à la cour d'annuler le jugement déféré et, statuant au fond, de condamner M. [P] à payer la somme de 107 734,54 euros au titre de l'insuffisance d'actif de la société Acti-pose.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 11 février 2025.

SUR CE,

Sur la demande de nullité du jugement

M. [P] fait valoir que le tribunal n'a pas statué au vu du rapport du juge-commissaire en violation de R. 662-12 du code de commerce et en déduit que le jugement encourt la nullité.

Le ministère public est du même avis et précise qu'en vertu de l'effet dévolutif, la cour doit statuer sur le fond, sans qu'il soit nécessaire que le juge-commissaire lui fasse de rapport.

Le liquidateur soutient que la preuve n'est pas rapportée que le juge-commissaire n'a pas fait de rapport oral à l'audience, que donc le jugement n'encourt pas la nullité mais qu'en cas d'annulation, l'effet dévolutif de l'appel impose de statuer sur le fond.

Sur ce,

Aux termes de l'article R. 662-12 du code de commerce, le tribunal statue sur rapport du juge-commissaire sur tout ce qui concerne la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaires, l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, la faillite personnelle ou l'interdiction prévue à l'article L. 653-8. Toutefois, il n'est pas fait de rapport lorsque le tribunal statue sur un recours formé contre une ordonnance de ce juge.

En l'espèce, il ne ressort pas des termes du jugement qui font foi jusqu'à preuve contraire que le tribunal ait été destinataire d'un rapport du juge-commissaire, oral comme écrit, et il n'est pas justifié de l'existence d'un tel rapport.

Le moyen est donc fondé et le jugement doit être annulé.

Le rapport du juge-commissaire ne s'imposant pas devant la cour, le moyen ne l'empêche pas d'examiner le litige au fond en vertu de l'effet dévolutif de l'appel.

Sur la condamnation au titre de l'insuffisance d'actif

L'article L. 651-2 du code de commerce dispose : « Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée (') ».

En l'espèce et à titre liminaire, la qualité de dirigeant de M. [P] n'est pas contestée, en sa qualité de gérant de la société [Y] [P] Holding nommée présidente de la société par actions simplifiée Acti-Pose.

- Sur l'insuffisance d'actif

L'insuffisance d'actif est la différence entre le passif admis ou, en tout cas, non contesté et l'actif réalisé.

En l'espèce, M. [P] ne conteste pas le montant de l'insuffisance d'actif tel que calculé par le liquidateur à hauteur de 514 068,91 euros, résultant de la différence entre le passif définitif de 587 390,16 euros et l'actif recouvré de 73 321,25 euros.

Le montant de l'insuffisance d'actif retenu par la cour s'élève à la somme de 514 068,91 euros.

- Sur la poursuite abusive d'une activité déficitaire

M. [P] conteste la poursuite d'activité déficitaire dans la mesure où la perte réalisée en 2020 résulte de la crise sanitaire du Covid-19 (-66 794 euros), qu'elle n'était pas en état de cessation des paiements le 31 juillet 2020, que les résultats se sont améliorés entre le 31 juillet 2020 et le 31 juillet 2021 et que son activité n'était pas compromise. Il ajoute qu'il a usé de tous les mécanismes juridiques pour parvenir à un redressement de son activité, qu'il a demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation le 22 juin 2022, qu'il a souscrit deux prêts personnels en janvier et octobre 2021 pour procéder à des avances en compte courant, qu'il a réduit sa rémunération de ses fonctions de gérant de 60 383 euros en 2020 à 26 500 en 2022 et qu'il a demandé l'ouverture d'un redressement judiciaire le 31 août 2022.

Le liquidateur judiciaire estime que la faute de gestion est caractérisée par les résultats déficitaires depuis plusieurs années (exercices clos au 31 juillet 2020 et 2021), par le fait que l'actif disponible à ces dates ne permettait pas de faire face au passif exigible avec 134 812,91 euros de dettes sociales. Il souligne que la procédure de conciliation n'a pas été demandée pour la société Acti-pose mais l'a été pour une autre société du groupe, qu'à la date de la requête, l'état de cessation des paiements fixé par le tribunal au 5 avril 2021 était déjà avéré et que cette faute a contribué à hauteur de 134 812,91 euros à l'insuffisance d'actif.

Le ministère public estime pour sa part qu'il est manifeste qu'au 31 juillet 2021, les pertes subies ne permettaient pas la poursuite de l'activité, or l'activité a été poursuivie jusqu'au 5 septembre 2022.

Sur ce,

La poursuite d'une activité déficitaire sans perspective de redressement est en soi une faute de gestion. La situation déficitaire d'une entreprise apparait au moment où le bilan est établi.

Il ressort des comptes annuels de l'exercice clos au 31 juillet 2020 que la société a obtenu un résultat déficitaire de -66 794 euros et que ses capitaux propres ont été réduits de 123 430 euros à 6 635 euros. De même ses dettes ont plus que doublé en passant de 218 801 euros à 505 808 euros, tandis que son chiffre d'affaires a baissé de 880 452 euros à 592 566 euros.

Durant l'exercice suivant, la hausse du chiffre d'affaires à 687 353 euros et la baisse conséquente des dettes à 380 703 euros n'ont pas permis de redresser la situation, le résultat net au 31 juillet 2021 étant demeuré déficitaire de -1 866 euros, le report à nouveau étant négatif, les capitaux propres étant ramenés à 4 770 euros et les disponibilités représentant l'actif disponible réduites à 4 319 euros.

M. [P], en sa qualité de dirigeant (via sa holding) de la société Acti-Pose, ne pouvait donc ignorer que la situation de cette dernière société apparaissait totalement obérée dès le 31 juillet 2021, étant observé que la balance globale au 31 juillet 2022 annexée à la déclaration de cessation des paiements montre une perte équivalente de -1 865 euros sur l'exercice suivant ce dont il résulte que trois exercices consécutifs ont été déficitaires.

En outre, le tribunal de commerce a fixé la date de cessation des paiements au 5 mars 2021 et celle-ci s'impose à la cour, étant précisé que les pièces produites ne permettent pas de nuancer cet élément contrairement à ce que soutient M. [P] qui fait valoir que les créances clients n'auraient pas été comptabilisées par le liquidateur.

Il apparaît donc qu'entre le 31 juillet 2021 et le 31 août 2022, date de déclaration de cessation des paiements, M. [P] a laissé perdurer une activité dont le caractère déficitaire avait été démontré, et ce en toute connaissance de cause.

Compte tenu du caractère flagrant et persistant des difficultés rencontrées, M. [P] ne peut valablement prétendre qu'il s'agisse d'une simple négligence de sa part.

Par ailleurs, les ordonnances de conciliation produites montrent que deux conciliations ont été ouvertes au bénéfice des sociétés [Y] [P] Holding et Bmo Agencement, et non au profit de la société Acti-pose.

La faute de gestion est donc constituée.

Elle a eu pour conséquence l'augmentation des dettes durant un exercice complet, de sorte que M. [P] ne peut se prévaloir d'un défaut de lien de causalité avec l'insuffisance d'actif.

- Sur l'absence de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai légal

Le liquidateur rappelle que le non-respect du délai légal de 45 jours constitue une faute de gestion, que la déclaration de cessation des paiements est intervenue le 31 août 2022, que le tribunal a fixé l'état de cessation des paiements a été fixé le 5 mars 2021, que l'abstention fautive du dirigeant qui a omis de solliciter l'ouverture d'une procédure collective avant le 19 mai 2021 est en relation avec l'augmentation de l'insuffisance d'actif lorsque les dettes ont été créées sans création de richesses nouvelles, que toutes les dettes nées à compter du mois de juin 2021 n'auraient pas dû intégrer le passif, soit un total de 90 097,4 euros, que M. [P] ne pouvait ignorer la situation de l'entreprise, que le fait qu'il ait cherché à obtenir des prêts démontre qu'il avait conscience des difficultés de la société Acti-Pose.

M. [P] fait valoir que seule une omission volontaire entraine la sanction du dirigeant et que les créances retenues par le liquidateur au titre de l'aggravation du passif sont devenues exigibles en 2022 de sorte que le tribunal a fixé la date de cessation des paiements au 5 mars 2021 de manière totalement arbitraire et injustifiée et que la faute n'est pas caractérisée.

Le ministère public est d'avis que l'appelant a sciemment omis de régulariser une déclaration de cessation des paiements.

Sur ce,

Il résulte des articles L. 631-4 et L. 640-4 du code de commerce que l'obligation de déclarer la cessation des paiements dans le délai légal de 45 jours est d'ordre public et qu'il est de la responsabilité exclusive du dirigeant social d'en assurer le respect.

Le jugement du 5 septembre 2022 ouvrant le redressement judiciaire de la société Acti-Pose a fixé la date de cessation des paiements au 5 mars 2021, soit dans la limite maximale de 18 mois fixée par l'article L. 631-8 du code de commerce. Ce jugement étant devenu irrévocable, cette date s'impose à la cour.

M. [P], qui était présent aux audiences ayant donné lieu à l'ouverture du redressement judiciaire puis au jugement de conversion en liquidation judiciaire et n'a pas exercé de voie de recours pour critiquer la date de cessation des paiements fixée par le tribunal, aurait donc dû effectuer la déclaration de cessation des paiements avant le 19 mai 2021 or il ne l'a fait que le 31 août 2022, sans pour autant demander l'ouverture d'une procédure de conciliation. Le manquement est donc avéré.

Il a été précédemment démontré que M. [P] ne pouvait ignorer les difficultés de son entreprise depuis le 31 juillet 2021. En outre, et alors qu'il indique dans ses écritures avoir souscrit un prêt personnel en janvier 2021 afin de renflouer la trésorerie de la société par des avances en compte courant et qu'il a réduit le montant de sa rémunération de dirigeant, montrant là encore qu'il n'ignorait pas l'état de cessation des paiements, l'omission qui lui est reprochée ne s'analyse pas en une simple négligence de la part de M. [P]. En tout état de cause, la caractérisation d'une faute de gestion à ce titre ne requiert pas de démontrer que c'est sciemment que le dirigeant s'est abstenu de procéder à la déclaration de l'état de cessation des paiements, à la différence de la caractérisation d'un grief conduisant au prononcé d'une sanction personnelle.

La faute de gestion est donc bel et bien constituée, d'autant qu'à compter du 31 juillet 2021, c'est délibérément que M. [P] a retardé la déclaration de cessation des paiements.

- Sur le montant de la contribution à l'insuffisance d'actif

Le liquidateur estime que les fautes de gestion ont contribué à l'insuffisance d'actif dans les proportions suivantes :

- le retard dans la déclaration de l'état de cessation des paiements a causé une aggravation du passif de 90 097,4 euros,

- le maintien abusif de l'activité a contribué au passif à raison de 134 812,91 euros.

M. [P] soutient que le maintien de l'activité durant la période suspecte n'a pas contribué à aggraver le passif qui au contraire a été réduit de 512 443 à 385 472 euros, que la situation s'est améliorée entre juillet 2020 et juillet 2021, que le lien de causalité entre les prétendues fautes et l'insuffisance d'actif n'est pas avéré, que le montant de la condamnation fixée par le tribunal correspond au prix de cession de ses parts sociales dans la société AGCF à la société Les Muscadiens, que la présente procédure n'a vocation qu'à permettre au liquidateur de percevoir le prix de cette cession, qu'il demande à être exonéré de contribution au regard des efforts conséquents qu'il a réalisé pour rétablir la situation de la société dont l'activité a périclité avec l'apparition du covid 19, qu'il occupe actuellement un emploi de directeur des ressources humaines au sein de l'entreprise Amphenol FCI située à Besançon (revenus 2023 : 32 756 euros), qu'il est marié et vit à Pagny-le-Château et qu'il est débiteur d'une somme de 35 000 euros à l'égard de l'URSSAF.

Le ministère public estime injuste de faire peser sur M. [P] la totalité de l'insuffisance d'actif, demande à la cour de tenir compte des prêts personnellement souscrits par le dirigeant pour faire des avances en compte courant et estime justifiée la condamnation prononcée par le tribunal.

Sur ce,

Il est de jurisprudence constante que le dirigeant d'une personne morale peut être déclaré responsable même si la faute de gestion qu'il a commise n'est que l'une des causes de l'insuffisance d'actif et peut être condamné à supporter en totalité ou partie les dettes sociales, même si sa faute n'est à l'origine que d'une partie d'entre elles.

M. [P] ne justifie pas, contrairement à ce qu'il affirme, d'une amélioration de l'insuffisance d'actif entre juillet 2021 et août 2022, période sur laquelle lui sont reprochées ses fautes de gestion.

A l'inverse, le liquidateur judiciaire justifie par la production de déclarations de créances de la naissance de créances en 2022, notamment de créances de cotisations sociales pour 34 385 euros et de dettes fiscales pour 70 952 euros, outre diverses créances auprès d'organismes de sécurité sociales et de fournisseurs.

Les comptes annuels des exercices clos le 31 juillet 2020 et 31 juillet 2021 confirment par ailleurs l'apport en compte courant des sommes de 117 258 euros en 2020 et de 11 425 euros en 2021, soit un apport non négligeable démontrant l'investissement de M. [P] dans la société Acti-Pose, mais faisant aussi de lui un créancier et relativisant de ce fait les efforts qu'il a fait pour réduire ses rémunérations sur les mêmes périodes.

Eu égard à la situation personnelle de M. [P], à la gravité des fautes de gestion commises et au montant total de l'insuffisance d'actif, la condamnation prononcée par le tribunal à hauteur de 107 734,54 euros n'est pas disproportionnée.

S'il est exact que M. et Mme [P] ont cédé à la SCI Les Muscadiens les parts sociales qu'ils détenaient dans le capital de la SCI AGCF, société propriétaire des locaux d'exploitation des sociétés Bmo Agencement et Acti-Pose pour une somme de 107 734,54 euros (somme séquestrée par le liquidateur), il n'apparaît pas illégitime pour ce dernier qui représente les intérêts des créanciers, de rechercher à appréhender ladite somme, étant rappelé que l'insuffisance d'actif s'élève à plus de 514 000 euros.

Statuant par l'effet dévolutif de l'appel, la cour condamnera M. [P] à payer la somme de 107 734,54 euros avec intérêts au taux légal à compter de ce jour.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

M. [P], partie perdante, sera condamné aux dépens. Sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile doit de ce fait être rejetée.

Sa situation économique et l'équité justifient de rejeter la demande formée de ce même chef par la SELARL MJ & Associés ès qualités.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Annule le jugement du 15 novembre 2023 ;

Statuant par l'effet dévolutif de l'appel,

Condamne M. [Y] [P] à payer à la SELARL MJ & Associés en la personne de Me [S] [T], agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société Acti-pose la somme de 107 734,54 euros avec intérêts au taux légal à compter de ce jour ;

Condamne M. [Y] [P] aux dépens ;

Déboute M. [Y] [P] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la SELARL MJ & Associés en la personne de Me [S] [T], agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société Acti-pose de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Liselotte FENOUIL

Greffière

Constance LACHEZE

Conseillère faisant fonction de présidente

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