Cass. 1re civ., 8 octobre 2025, n° 24-12.275
COUR DE CASSATION
Autre
Cassation
PARTIES
Défendeur :
L'omnicuiseur vitalité (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Champalaune
Rapporteur :
Mme Robin-Raschel
Avocat :
SARL Cabinet Rousseau et Tapie
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal de proximité de Lunéville, 6 avril 2020), rendu en dernier ressort, et les productions, lors d'un salon, le 17 décembre 2017, M. [O] (l'acquéreur) a commandé à la société l'Omnicuiseur vitalité (le vendeur) une cocotte de cuisine au prix de 1120 euros et versé un acompte de 20 euros. Le bon de commande stipulait un financement du prix par un crédit.
2. L'acquéreur a formé opposition à l'ordonnance lui ayant enjoint de payer au vendeur le solde du prix de vente. Il a demandé l'annulation de la commande en raison de l'absence de conclusion du contrat de crédit affecté, le rejet de la demande en paiement formée par le vendeur, et une indemnisation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. L'acquéreur fait grief au jugement de rejeter sa demande d'annulation de la commande et de le condamner à payer au vendeur la somme de 1 100 euros, alors « que le contrat de crédit affecté et le contrat relatif à la fourniture d'un bien particulier qu'il sert à financer constituent une opération commerciale unique ; qu'aucun engagement ne peut valablement être contracté par l'acheteur à l'égard du vendeur tant qu'il n'a pas accepté l'offre de crédit ; que lorsque cette condition n'est pas remplie, le vendeur ne peut recevoir aucun paiement, sous quelque forme que ce soit, ni aucun dépôt ; que, dans ses écritures, l'acquéreur rappelait que la vente à crédit fait partie des prêts amortissables affectés, c'est-à-dire que l'emprunt porte uniquement sur l'objet de la transaction" ; qu'il ajoutait que « pour valider la vente, l'acheteur doit d'abord accepter l'offre de prêt après vérification de sa solvabilité par le prêteur » ; qu'il en déduisait que, n'ayant reçu aucune offre de prêt, le contrat de vente conclu avec le vendeur devait être annulé ; que la cour d'appel a relevé qu'après signature du bon de commande portant sur la cocotte, l'acquéreur avait rempli une demande de financement – crédit à la consommation Sofinco" ; qu'elle a encore relevé qu'aucune offre de prêt ne lui avait jamais été adressée, faute pour lui d'avoir communiqué les références de sa pièce d'identité, nécessaires pour compléter sa demande de financement ; qu'en déclarant toutefois que le vendeur avait respecté valablement et régulièrement la procédure légale de vente et de demande du crédit à la consommation", et en condamnant l'acquéreur à payer la somme de 1 100 euros au vendeur, après avoir constaté que le contrat de vente devait être financé par l'octroi d'un crédit, ce dont il devait s'en déduire qu'eu égard au caractère unique de l'opération commerciale, l'acquéreur ne pouvait pas valablement s'engager auprès du vendeur avant d'avoir accepté l'offre de prêt, le tribunal, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles L. 311-1, 11°, et L. 312-46 du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 311-1, 11°, et L. 312-46 du code de la consommation et l'article 1186, alinéas 2 et 3, du code civil :
4. Le premier texte dispose qu'est considéré comme un contrat de crédit affecté ou contrat de crédit lié, le crédit servant exclusivement à financer un contrat relatif à la fourniture de biens particuliers ou la prestation de services particuliers ; ces deux contrats constituent une opération commerciale unique. Une opération commerciale unique est réputée exister lorsque le vendeur ou le prestataire de services finance lui-même le crédit ou, en cas de financement par un tiers, lorsque le prêteur recourt aux services du vendeur ou du prestataire pour la conclusion ou la préparation du contrat de crédit ou encore lorsque le contrat de crédit mentionne spécifiquement les biens ou les services concernés.
5. Selon le deuxième texte, aucun engagement ne peut valablement être contracté par l'acheteur à l'égard du vendeur tant qu'il n'a pas accepté le contrat de crédit. Lorsque cette condition n'est pas remplie, le vendeur ne peut recevoir aucun paiement, sous quelque forme que ce soit, ni aucun dépôt.
6. Aux termes du troisième, lorsque l'exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d'une même opération et que l'un d'eux disparaît, sont caducs les contrats dont l'exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l'exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d'une partie. La caducité n'intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l'existence de l'opération d'ensemble lorsqu'il a donné son consentement.
7. Il résulte de ces dispositions qu'en l'absence, pour quelque motif que ce soit, de conclusion du contrat de crédit affecté à l'acquisition d'un bien, le contrat de vente qui lui est lié devient caduc.
8. Pour rejeter la demande d'annulation du contrat de vente et condamner l'acquéreur à payer le solde du prix de vente au vendeur, après avoir constaté que le bon de commande mentionnait un financement par crédit, le jugement retient que l'acquéreur a fait preuve de négligence en faisant obstacle à la constitution du dossier de financement, que la demande en remboursement de l'acompte n'était pas justifiée dès lors que le contrat n'avait pas été conclu hors établissement, que la preuve d'une fausse signature ou d'une utilisation frauduleuse de sa carte bancaire n'était pas rapportée par l'acquéreur, que le contrat de vente était signé des deux parties et que la formation de ce contrat était régulière.
9. En statuant ainsi, le tribunal, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, desquelles il résultait que le contrat de vente était devenu caduc faute de conclusion du contrat de crédit affecté, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
10. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
11. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
12. Il résulte des développements qui précèdent qu'en l'absence de conclusion du contrat de crédit affecté, le contrat de vente est devenu caduc.
13. Il convient, dès lors, de rejeter la demande formée par le vendeur en paiement du solde du prix de vente.
14. En l'absence de preuve du préjudice résultant de la faute alléguée du vendeur, la demande reconventionnelle d'indemnisation formée par l'acquéreur sera rejetée.
15. Partie perdante, le vendeur sera condamné aux dépens en ce compris ceux de la première instance, ainsi qu'à payer à l'acquéreur une somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des instances suivies tant devant le tribunal de proximité de Lunéville que devant la Cour de cassation.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 6 avril 2020, entre les parties, par le tribunal de proximité de Lunéville ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Dit que le contrat de vente conclu le 17 décembre 2017 entre M. [O] et la société l'Omnicuiseur vitalité est caduc ;
Rejette la demande en paiement du solde du prix de vente formée par la société l'Omnicuiseur vitalité ;
Rappelle que la caducité entraîne de plein droit la restitution de l'acompte ;
Rejette la demande d'indemnisation formée par M. [O] ;
Condamne la société l'Omnicuiseur vitalité aux dépens, en ce compris ceux exposés devant le tribunal de proximité de Lunéville ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société l'Omnicuiseur vitalité à payer à M. [O] la somme de 3 500 euros au titre des instances suivies tant devant le tribunal de proximité de Lunéville que devant la Cour de cassation ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le huit octobre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.